Intervention de Monsieur John Crowley Sociologue et chef de
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Intervention de Monsieur John Crowley Sociologue et chef de
CONFERENCE INTERNATIONALE DES ONG EN RELARIONS OFFICIELLES AVEC L’UNESCO 30 novembre, 1-2 décembre 2009 Intervention de Monsieur John Crowley, sociologue et chef de section d'éthique des sciences et des technologies à l'UNESCO (secteur des sciences humaines et sociales, cf. www.unesco.org/shs/éthique). Je travaille au secrétariat de l’UNESCO, Secteur des sciences sociales et humaines dans la Division de l’éthique des sciences et des technologies. Je suis responsable, en particulier, des programmes de l’UNESCO en matière d’éthique de l’environnement. Je suis donc amené à prendre la responsabilité d’un certain nombre d’action en cours, qui concernent le changement climatique et, en particulier, la mise en œuvre de décisions prises par le dernier Conseil exécutif et la dernière Conférence générale. Celles-ci ont invité le Directeur général à lancer un processus institutionnel qui pourrait conduire, le moment venu, à l’adoption par l’UNESCO d’une déclaration universelle de principes éthiques en relation avec le changement climatique. Je ne sais pas si vos êtes au courant de ces décisions. Je serai très heureux de vous apporter, tout à l’heure dans le débat, quelques compléments d’information sur la teneur des décisions adoptées par les organes directeurs et sur leurs implications pratiques pour le travail de l’UNESCO, notamment pour la Section dont j’ai la charge dans les deux ans qui viennent. Toutefois, répondant à l’invitation qui nous est faite de réfléchir de manière un petit peu plus large, réagissant notamment à l’invocation de la figure mythologique, ou pseudo-historique, de Cassandre, j’aimerais élargir un peu mon propos et vous proposer quelques réflexions qui ne sont pas nécessairement liées au changement climatique, quitte à ce qu’on y revienne pendant le débat, et qui incluent l’éthique sans nécessairement s’y réduire. Je vais essayer de vous expliquer pourquoi cette figure de Cassandre me semble intéressante et pourquoi, effectivement, le pire des rôles qu’on puisse donner à la science serait celui de la prophétie, dans ses relations à la décision publique, au débat public et à l’action sur les choix technologiques controversés et/ou en matière de changement climatique et sur les choix de société, face à des défis qui sont en partie scientifiques et technologiques, en partie d’un autre ordre. Ce que nous dit le mythe de Cassandre, résumé au le verso d’un document que vous avez sans doute eu, qui nous invitait à danser avec Cassandre ou peut-être nus mettait en garde contre le risque de danser avec Cassandre, c’est, finalement, que la connaissance est un fardeau et que la certitude est un fardeau insupportable. Comme toujours, quand les dieux font don de quelque chose, ce dont ils font don se révèle rarement être un cadeau. Et pour Cassandre, le don qui lui a été fait de la prophétie était tout sauf un cadeau. Et évidemment, le retrait partiel du bénéfice de ce don la place dans une situation impossible. Sa situation est impossible pour plusieurs raisons : tout d’abord parce qu’elle dispose d’une certitude ; deuxièmement parce qu’elle dispose d’une certitude dont la teneur et les fondements sont incommunicables. Elle peut dire la vérité, mais elle ne peut pas expliquer pourquoi. Et, troisièmement, 2 elle est condamnée à ne pas être crue. Mais vous noterez que les deux premiers points se seraient appliqués y compris si elle n’avait pas été condamnée par Apollon, gêné de son précédent cadeau, à ne jamais être crue. C’est cette conjonction de la certitude et du fondement du savoir qui me semble être le message le plus fort que l’on peut retirer de cette histoire de Cassandre et qui mérite que nous l’appliquions aux réflexions que nous pouvons avoir ici, à l’UNESCO, sur la relation entre connaissance et action, médiatisée dans notre cas, bien sûr, par l’incertitude inhérente à toute forme de connaissance scientifique, mais qui — et le mythe vient de nous le rappeler —s’appliquerait même en cas de certitude. On pourrait peut-être même retourner cette assertion et en faire un paradoxe qui est moins paradoxal qu’il n’y paraît : c’est précisément parce que la science n’offre pas les certitudes de la prophétie qu’elle n’est pas condamnée à rester comme Cassandre dans cette relation d’incommunicabilité fondamentale avec son public non spécialisé ; c’est précisément parce que l’incertitude est une dimension inhérente de l’entreprise scientifique, que le débat peut avoir lieu entre scientifiques et non scientifiques sur les enjeux fondamentaux de la science Tout en étant bref j’espère lancer quelques pistes qui peuvent vous paraître intéressantes.. L’enjeu éthique soulevé par l’histoire de Cassandre (et soulevé par toute tentative de réflexion sur la relation entre les connaissances dégagées par l’activité scientifique et les enjeux de l’action publique) c’est celui des responsabilités qui résultent du fait de savoir : quand on sait, a-t-on le droit de taire ? Et, sans entrer dans les détails des types de débats éthique qu’on pourrit avoir sur cette question, on arrive assez aisément, à partir de cadres éthiques familiers et relativement diversifiés, à la conclusion de bon sens selon laquelle quand on sait quelque chose avec un degré raisonnable de certitude sur des phénomènes qui pourraient affecter de manière grave les intérêts d’autrui, on a, en tous cas, de bonnes raisons de le prévenir ; on a peut-être, dans certains cas et sous réserve de certains critères qui resteraient à préciser, une obligation morale de lui faire part des connaissances que l’on a sur sa situation. C’est d’ailleurs quelque chose qui a été beaucoup repris dans la culture populaire : vous connaissez peutêtre ce feuilleton américain (dont le nom malheureusement m’échappe — mais vous avez peut-être vu cela à la télévision) : le protagoniste est un monsieur quelconque, doté non pas d’un don de divination mais d’une relation favorisée avec le paranormal puisque, chaque matin, un chat blanc lui apporte le journal du lendemain. Et, étant confronté aux nouvelles du lendemain, il doit assumer précisément la responsabilité éthique de faire en sorte que telle ou telle catastrophe de plus ou moins grande ampleur ne se produise pas. Cette responsabilité résulte directement de la connaissance qu’il a de ce qui en l’occurrence arriverait. C’est donc une certitude hypothétique qui n’est pas détachable du réel. Il y aurait donc sur le plan éthique, une « responsabilité de faire savoir » qui résulterait directement du fait de savoir. Il y a une deuxième responsabilité, corrélative de la première et qui n’est pas moins importante s’agissant du type de cas qui sont mentionnés sur le document qui vous a été distribué (encéphalite spongiforme bovine, ou changement climatique, ou enjeux de l’économie,..) à savoir : tout d’abord ne pas faire semblant de savoir et, ensuite, de communiquer son savoir d’une manière qui ne le dénature pas. Les prophètes, vous le notez, n’ont pas ces obligations. Le prophète a pour seule obligation, qui n’est pas une obligation éthique mais une contrainte, quelque chose auquel il ne peut échapper, qui est un fardeau, voire une malédiction : le prophète ne peut s’empêcher de dire ce qui doit être dit. Mais ce qui doit être dit, c’est « sa » vérité : non pas les explications du fondement encore moins une réflexion collective sur les implications de sa vérité et bien sûr, puisque c’est un prophète, aucune réflexion n’est nécessaire sur les limites de sa connaissance. La science est dans une situation tout à fait différente : pour autant qu’il y ait une obligation de faire savoir, cette obligation implique logiquement non seulement de faire savoir les résultats, de communiquer des prévisions par exemple, mais aussi de faire comprendre les démarches, le sens et les limites des résultats qui sont communiqués. Encore une fois, on pourrait contester certaines de ses affirmations mais elles ne résultent pas d’un cadre éthique qui serait particulier et spécifique aux 3 controverses, mais plutôt de la conjonction de la plupart des grands cadres de réflexion sur l’éthique professionnelle en l’occurrence, qui sont à notre disposition. La responsabilité qui échoit à la science, aux scientifiques individuellement ou à la science considérée collectivement et institutionnellement, n’est donc pas épuisée, à la différence de celle du prophète, par le fait de parler. La nature de la connaissance scientifique s’oppose à cette relation purement prophétique au savoir. Et cette impossibilité de réduire la connaissance scientifique, fut-elle prévisionnelle, et fut-elle fondée sur une forte certitude acquise par le travail de la science,… cette nécessité de la distinguer de l’approche prophétique passe, me semble-t-il, au moins par quatre caractéristique. La première, je l’ai déjà dit, c’est que l’obligation de faire savoir c’est aussi l’obligation de permettre de comprendre. C’est-à-dire que les questions de méthodes sont aussi importantes que les questions de résultats. On sait que sur nombre des questions difficiles qui nous occupent, par exemple sur la question du changement climatique, la mauvaise compréhension dans le débat public des manières par lesquelles les scientifiques arrivent à leurs conclusions, contribue de manière essentielle à rendre tendu, difficile, le débat autour de ces conclusions et suffit parfois à discréditer, dans le débat public, des conclusions à la validité irréprochable. Ensuite, le rôle de la science face aux problèmes complexes ne saurait se réduire à la prévision. Il s’agit tout autant de comprendre, y compris de comprendre des phénomènes dont la prévision au sens strict est pour l’instant, ou peut-être impossible de manière inhérente, que de prévoir des résultats spécifiques. On ne discrédite pas la météorologie simplement parce qu’on est bien incapable de prévoir avec exactitude le temps qu’il fera le 25 décembre. C’est la capacité de la science de faire comprendre, d’analyser et de modéliser, de traiter numériquement et d’élaborer les modèles physiques sous-jacents au système météorologique, qui en fait la crédibilité et non pas simplement sa capacité prophétique. Troisièmement, si le prophète a pour seul rôle de dire sa vérité, qui par définition, tant que ce n’est pas un faux prophète, est « la » vérité, — mais je vous rappellerai, paraphrasant Hobbes qu’il n’y a aucun critère de ce monde qui permette de distinguer un faux prophète d’un vrai prophète et donc qu’il s’agit toujours de la vérité du prophète qui est prononcée puisque le profane n’a aucun accès aux critères qui permettraient de départager les deux rôles — à la différence du prophète, donc, qui ne peut dire que « sa » vérité, le scientifique au sens le plus large, y compris le scientifique des sciences sociales, a aussi pour obligation d’aider à comprendre ce qu’il ne sait pas et pourquoi il ne le sait pas. Les limites de la science font partie de l’entreprise scientifique alors que les limites de la prophétie ne font pas partie de l’entreprise prophétique. Et enfin — c’est peut-être le plus important et cela nous ramène à des considérations de sciences sociales sur l’organisation institutionnelle de la science, qui sont, je crois, d’une importance éthique considérable — il est essentiel, s’agissant de la science, (ce qui ne l’est pas, s’agissant de la prophétie) de ne pas cloisonner les rôles. Aucun scientifique n’est simplement un scientifique ; aucune organisation scientifique n’est simplement une organisation scientifique ; aucun profane n’est simplement un profane. Bien sûr, ceux dont la connaissance est fondée sur la pratique professionnelle et sur les procédures institutionnelles de la validation de la qualité des connaissances ne sont pas placés dans la même situation que ceux qui n’ont qu’une culture scientifique générale, éventuellement ancienne, mal maîtrisée, voire en partie fausse. Il n’empêche qu’il s’agit là d’une différence de degré et non pas de nature. Alors que la différence entre le prophète et son public est de nature et non pas de degré. Tout le monde, potentiellement, est un scientifique amateur, Il n’est pas vrai que tout le monde, potentiellement, soit un prophète amateur et la notion n’a guère de sens. Le prophète est professionnel ou il n’est pas. La prophétie est un destin. La science est un métier. Quand on décloisonne les rôles on arrive à une vision de la relation entre science et action publique qui est plus complexe, à certains égards pas moins difficile que celle qui existe entre le prophète et son public, mais qui, à condition d’admettre ce continuum entre les différentes formes du savoir et la pluralisation des expertises et des compétences qui préside au débat public, permet de sortir d’un certain nombre des difficultés. En effet, dès lors qu’on 4 adopte cette vision assez institutionnelle et pragmatique de la science, qui est assez conforme à l’image que les sciences sociales en ont aujourd’hui, du moins dans la plupart de leurs manifestations, on se rend compte de deux choses. On se rend compte tout d’abord que la mise en œuvre pratique du savoir fait partie des responsabilités éthiques qui résulte du fait d’être détenteur de savoir. Il ne suffit pas de dire il faut aussi réfléchir sur les implications du fait de dire et sur les conséquences pour le ou les groupes auxquels on appartient de la détention de cette connaissance. Les enjeux politiques et pratiques, en d’autres termes, sont aussi des enjeux éthiques pour les détenteurs de savoir. Et, inversement, pour ceux qui ne détiennent pas de savoir spécialisé mais qui ont en charge le destin d’une communauté politique, il existe une obligation de nature éthique qui est celle de savoir du mieux qu’on peut y compris, mais pas uniquement, en faisant appel aux expertises pertinentes ce qui pourrait toucher le devenir, l’évolution de cette communauté politique. Le savant et le politique — pour parler comme Max Weber — doivent donc se parler mais ils ne se parlent en aucun cas comme le prophète et le peuple. Les termes de leur discussion, heureusement, sont profondément différents. Pour le scientifique, on l’espère, la connaissance n’est pas un fardeau et la certitude, qui de toute façon n’est pas à la disposition des hommes que nous sommes, et saurait être un fardeau insupportable. En revanche, il subsiste — c’est inscrit dans les conditions mêmes que je viens d’énumérer et qui font la différence entre contribution de la science au débat public et prophétie — un certains nombre d’écarts de divergences inévitables mais pas forcément insurmontables entre les langages employés par les savants et les politiques. Ces langages proviennent du fait tout d’abord que les questions posées ne sont pas les mêmes. C’est banal, mais il importe de la rappeler. Les questions auxquelles les scientifiques apportent des réponses validées par des procédures de contrôle auxquelles sont assujettis les travaux scientifiques, ne sont pas des questions que les politiques se posent. S’agissant du changement climatique, la science peut, à condition de choisir un jeu d’hypothèses initiales, un scénario, formuler un certain nombre de prévisions conditionnelles sur des trajectoires possibles de l’évolution, par exemple de la température moyenne du globe. De même, les scientifiques peuvent, sous réserve de modélisations qui ne sont pas sans controverses, faire le lien entre l’évolution des températures moyennes et les concentrations atmosphériques de gaz carbonique. Ce que les scientifiques ne peuvent pas faire, en revanche, c’est dire à l’humanité quel est le seuil inacceptable d’augmentation des températures moyennes de la planète. On peut nous dire — et on nous dit, de fait — qu’il y a un seuil correspondant à la nature du système climatique au sens large au-delà duquel des dommages graves et susceptibles de ne pas être maîtrisables pourraient se produire. Mais après tout, si l’humanité collectivement voulait tenter sa chance dans ce nouveau climat au double sens du terme, ce n’est pas la science qui l’empêcherait de le faire. On pourrait, en toute connaissance de cause, choisir ce que James Lovelock appelle le monde chaud, dans lequel, probablement la capacité de survie de l’humanité serait limitée à deux cents ou trois cents millions de personnes (d’après lui !) Il est vrai qu’il parle d’élévation de température plutôt de l’ordre de six degrés que de deux degrés. Mais ce scénario, qui est dans son dernier livre, "The Vanishing Face of Gaia" est un scénario que l’on peut esquisser. On ne voit pas très bien pourquoi on choisirait cet avenir. Il n’empêche que le fait de le choisir n’est pas une impossibilité logique et n’est pas contraire aux connaissances scientifiques. Au contraire, il pourrait, en théorie, être fondé sur elles. Inversement, les questions que se posent les politiques sont de questions auxquelles, en général, la science n’a pas de réponse directe, la question, par exemple, « que faut-il faire, quand faut-il le faire et combien est-ce que cela va coûter ? » Questions auxquelles les scientifiques, en général ne peuvent apporter d’autre réponse que « ça dépend, ça dépend et ça dépend : ça dépend de ce que vous voulez faire, et ça dépend d’aspects du système qui ne sont pas encore complètement connus. » En outre, comme vous le savez, le temps du scientifique n’est pas celui du politique et le contexte institutionnel ne se prête pas à ce que les débats qui pourraient être utiles aux deux parties ait lieu, pour des raisons d’agenda, pour des raisons de mise en forme des débats, pour des raisons de connaissances préalable, 5 pour des raisons d’urgence. Bref, on ne peut pas imaginer que les scientifiques parlent directement aux politiques de telle façon que les politiques les comprennent, de même qu’on ne peut pas imaginer — et c’est peut-être tant mieux pour les scientifiques — que les politiques parlent directement aux scientifiques, en leur disant quoi faire, par exemple, d’une manière qui repose sur la compréhension. Mais ce clivage n’est pas absolu. Premièrement, des médiatisations sont possibles. Deuxièmement, il n’y a pas que deux acteurs en jeu, parce qu’on n’a pas à faire à la relation entre une certitude et un besoin d’action, comme dans la prophétie. On a une relation entre des systèmes de production de connaissance pluralisés dont aucun ne domine les autres ni en droit ni en fait, et des besoins d’action eux-mêmes diversifiés qui doivent s’inscrire dans un cadre hybride, pour emprunter le vocabulaire de Michel Calon ou de Bruno Latour, qui permet — mais impose, en même temps — de trouver des modalités plus pragmatiques, non définitives, de règlement de ces conflits possibles. Dès lors que les questionnements sont pluriels, des difficultés spécifiques émergent, parce qu’on n’a pas à faire avec la seule transmission de « la » vérité mais des chances, des possibilités émergent aussi puisqu’il est possible de discuter entre nous sur une base citoyenne non pas de « la » vérité, ni même « des » vérités mais de ce que « nous », tous ensemble, pourrions faire, sur la base des connaissances que nous avons, des incertitudes, aussi, que nous avons et des valeurs auxquelles nous souscrivons, qui viennent rarement directement de la science, ce qu’il conviendrait de faire pour préserver au mieux notre avenir. Je pense que j’ai été déjà relativement long. Donc je vais m’arrêter là, à titre introductif et, notamment qui les questions spécifiques qu programme d’éthique de l’UNESCO je serais très heureux de répondre à vos questions par la suite Merci