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Magazine Réponses à Tout Flavius Josèphe, le premier reporter de guerre Sans Flavius Josèphe, nous ne saurions pratiquement rien de la guerre de cent ans qui opposa Jérusalem à Rome. Après deux mille ans, n’est-il pas temps de réhabiliter ce témoin clé du I° siècle ? AU Ier siècle, l’Empire romain est en plein chaos. Tibère, Caligula et Néron, par leurs excès, ont précipité la fin de la dynastie d’Auguste. Jérusalem se soulève contre Rome brandissant le risque d’enflammer tout le ProcheOrient de l’Egypte à l’Asie. Le messianisme connaît ses premiers martyrs. Le conflit dépasse les hommes, car il s’agit bien d’un choc de civilisations, les soldats des Ténèbres contre les soldats de la Lumière. Au centre de ce champ de bataille, se retrouve Flavius Josèphe, un héros qui aurait bien mérité le prix Pulitzer. Prêtre du Temple, général de Galilée, Flavius Josèphe tentera sans succès d’éviter à son peuple la tragédie d’une défaite meurtrière. Diplomate et stratège de talent, patriote au point de mener contre Rome une guerre à laquelle il ne croit pas, puis partisan des Romains lors du siège de Jérusalem par Titus, Flavius Josèphe est un personnage hors du commun, dont le témoignage nous rappelle qu’il n’y a que quarante générations entre son temps et le notre. Ses nombreux écrits, indispensables à la compréhension du premier siècle et de notre monde contemporain, restent la seule preuve, hors évangiles, de l’existence de Jean-Baptiste, de Jacques et de Jésus. Historien d’un siècle en mutation, Flavius Josèphe observe le pouvoir romain se déplacer vers l’Orient, assiste au couronnement du premier César issu de la plèbe, à la chute du Temple de Jérusalem, à la naissance d’un judaïsme rabbinique et à l’émergence de la pensée chrétienne. Un personnage à la frontière entre héroïsme et trahison. Une véritable épopée dont le mystère se résume à une question : comment a-t-il pu survivre dans ce monde en fusion ? Premier reporter de guerre, il rapporte la chute de Jérusalem Flavius Josèphe, sera le seul témoin oculaire du siège de Jérusalem par les légions de Titus et de la destruction du temple (En 70). Le premier reporter de guerre, il rapportera, dans son fameux ouvrage « La guerre de Judée », les détails d’un siège de près de deux ans. Placé du côté romain, sa famille de l’autre côté des murailles, partagé entre fidélité et clairvoyance, il fera tout pour obtenir la reddition des insurgés mais n’aboutira qu’au massacre par les Romains de plus d’un million de personnes, des combattants mais aussi de simples pèlerins venus des quatre coins de l’empire célébrer Pâque. Sans la précision de son écriture, sans l’humanité de ses témoignages, sans la richesse de ses informations, le journalisme de guerre ne serait sans doute pas ce qu’il est devenu aujourd’hui. Avec Flavius Josèphe, naît aussi le véritable métier d’historiens, marginalisant les anciens auteurs grecs qui confondaient histoire et propagande. Chanceux ou mathématicien hors paire, il échappe au suicide collectif Au 1er siècle, le suicide collectif devient une pratique glorieuse de plus en plus répandue. Les terroristes d’aujourd’hui n’ont rien inventé ! Les insurgés contre Rome préfèrent la mort à la reddition. La cité de Jotapata, défendue par Flavius Josèphe, tombe entre les mains des légions de Vespasien, après 47 jours de siège. Josèphe, réfugié dans une citerne avec quarante survivants, refuse de se suicider. La croyance en l’immortalité de l’âme et pour certains combattants, la perspective d’une résurrection leur rend plus acceptable la perte de la vie terrestre. « Vous croyez que le suicide est une marque de courage ! » s’exclame Josèphe. « Au contraire, c’est la preuve de la plus grande lâcheté ! Que pensezvous du pilote qui coule son navire par peur de la tempête? Le suicide est un acte contre nature ! Croyez-vous que nous devrions mépriser le don que Dieu fait en nous donnant la vie ? » Le prêtre-général propose alors que chacun prenne la vie de l’autre. « En prenant mutuellement nos vies, nous ne serons pas coupables de notre propre mort », promet-il. Puis, il propose de tirer au sort l’ordre de l’égorgement. Aurait-il fait un calcul savant, ou la providence était vraiment de son côté ? Toujours est-il qu’une fois que ses compagnons se sont entretués, il reste le dernier survivant et se rend à Vespasien. Toujours vivant ! Stratège téméraire, il écrase une révolte… sans armée Tibériade, capitale de Galilée choisit le camp des Romains. Ses habitants ont été informés du débarquement de l’immense armée de Vespasien. Il faut que Flavius Josèphe réagisse rapidement, ou il va perdre une place forte indispensable à la révolte contre Rome. Mais il n’a pas d’armée, seulement quatre vingt soldats autour de lui. Alors, il rassemble les embarcations de pêche retournées sur la grève et les cargos en cours de chargement. Tout ce qui flotte est regroupé sur le lac. Deux cent trente bateaux qui forment désormais sa flotte de guerre. Quatre hommes par embarcation ! Lance Joseph. Chaque bateau est attaché à quatre ou cinq autres. Profitant de la nuit, la flotte de fortune vogue vers Tibériade donnant l’impression qu’une armée s’approche de la cité alors qu’il suffirait d’un seul navire de guerre pour la couler entièrement. Dans la brume du matin, Joseph aligne son impressionnant mirage au large de la cité. Son coup de bluff va marcher, et Tibériade préfère se rendre plutôt que de subir l’assaut de cette flotte qui leur paraît invincible. Plusieurs fois Flavius Josèphe sauvera ainsi sa vie, son sang froid et son éloquence se révélant des armes étonnamment efficaces. Sans Flavius Josèphe, on ne saurait rien de Massada Un rocher au bord de la Mer Morte, la place forte de Massada résiste encore et toujours à l’envahisseur romain depuis 7 ans. Au printemps 73, huit camps romains encerclent la citadelle, soit de huit à dix mille légionnaires contre un millier d’assiégés dont à peine cinq cents combattants. Les 967 survivants décident alors de se suicider par tirage au sort rituel. Les pères tuant leurs enfants et leurs femmes, eux-mêmes égorgés par leurs frères et leurs compagnons. Au matin, les légionnaires entrent dans une forteresse en flammes, sans âme qui vive. La chute de Massada résonne davantage comme une victoire qu’une défaite. Le récit de ce sacrifice ultime, qui n’est pas sans rappeler celui des 300 Spartiates affrontant l’armée perse dans le défilé des Thermopyles, sera rapporté par le seul Flavius Josèphe. Le nom Massada est d’ailleurs la transcription du terme grec utilisé par Flavius Josèphe, mesad, signifiant « forteresse ». Cet épisode sera considéré une légende jusqu’à ce que le site soit redécouvert qu’au XIX°siècle, les traces archéologiques confirmant le récit de Josèphe. La preuve de l’existence de Jésus ? Quelques lignes trouvées dans un ouvrage de Flavius Josèphe continuent de faire couler autant d’encre que les Evangiles. Véritable profession de foi du christianisme, ces quelques lignes ont autant de traductions que d’interprétations. Mais apparaissent comme la seule preuve historique (hors évangiles) qu’un homme nommé Jésus a bien existé, a été crucifié par les Romains et considéré par ses fidèles comme le Messie. Le fameux Testimonium flavinium de Jesu, est cité pour la première fois par Eusèbe de Césarée au début du IV° siècle. Depuis, le débat n’a pas cessé. Jésus est il qualifié « d’homme sage » ou « d’homme exceptionnel » ? Flavius Josèphe a-t-il écrit « il était le messie » ou « pour eux, c’était le christ » ? Etait-il « surnommé le Christ » ou encore « Le Christ, c’était lui » ? Autant d’interprétations qui ne sont ni tout à fait semblables ni tout à fait une autre. Quelques lignes qui ont permis à Flavius Josèphe de traverser le temps, au point que son ouvrage consacré à la Guerre de Judée, aura sa place dans les bibliothèques protestantes aux côtés des Evangiles. 16 siècles avant Racine, Flavius Josèphe immortalise Bérénice Sans Flavius Josèphe, Racine n’aurait sans doute pas écrit Bérénice, son chef d’œuvre le plus joué, ni Corneille créé sa tragédie, Titus et Bérénice. Les histoires d’amour finissent mal… en général, mais elles plaisent toujours plus. La liaison de Titus, futur César, vainqueur de la révolte de Judée et destructeur du temple de Jérusalem, avec l’irrésistible Bérénice, fille de roi, deux fois reine, et sœur d’Agrippa roi de Judée, réunit tous les ingrédients d’un amour impossible. Titus a vingt-huit ans, Bérénice approche de la quarantaine, et bien qu’à Rome on considère une femme vieille à vingt-cinq, leur liaison passionnelle durera trois ans. Mais sous la pression du peuple romain qui ne supporte pas que la princesse d’une nation vaincue s’installe au Palais de César, Titus, sur l’ordre de son père Vespasien, la renvoie loin de Rome, malgré lui et malgré elle. Flavius Josèphe perd avec Bérénice son soutien le plus fidèle à Rome, mais il lui restera toujours Titus. Titus un châtiment divin ou un empoisonnement ? En 79, le Vésuve entre une nouvelle fois en éruption. Pompéi, Herculanum et Stabies sont détruites. Il n’en faut pas plus pour que les mouvements messianistes de Judée y voient un châtiment divin pour Titus, le César en place qui a osé détruire le temple de Jérusalem. Mais la véritable malédiction qui poursuivra Titus prend forme avec sa soudaine disparition après seulement deux années d’un règne marqué par les catastrophes : l’éruption du Vésuve, un nouvel incendie de Rome et une épidémie de peste. Titus en quittant la Judée après la destruction du temple de Jérusalem aurait été pris de névralgies qui ne cessèrent qu’avec sa mort. Un châtiment causé selon la légende par une mouche entrée par le nez et trouva son chemin vers son cerveau. Une théorie à prendre avec des pincettes, puisque la rumeur avance que ce serait son frère Domitien, impatient de régner qui l’aurait fait empoisonner. Patrick Banon Flavius Josèphe, un Juif dans l’Empire romain Editions des Presses de la Renaissance 434 pages, 23 Euros