otion de concept - Banque de données en santé publique
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OTION DE CONCEPT ANALYSE DE L’EMPATHIE : EST-CE UN CONCEPT ADAPTÉ A LA PRATIQUE DES SOINS INFIRMIERS? Janice M. Morse, Gwen Anderson, Joan L. Bortorff, Olive Yonge, Beverley O’Brien, Shirley M. Solberg, Kathleen Hunter Mcllven. TRADUIT PAR L’A.R.S.1. L’article « Exploring empathy : a conceptual fit for nursing practice?» a été publié dans la revue américaine : «Journal of nursing scholarship» vol. 24 Number 4 Winter 1992 p. 273-280 Nous remercions la rédaction de cette revue de nous avoir donné l’autorisation de traduire et de publier cet article en français dans la revue : « Recherche en soins infirmiers » LA REDACTION RÉSUMÉ SUMMARY ANALYSE DE L’EMPATHIE : EST-CE UN CONCEPT ADAPTÉ À LA PRATIQUE DES SOINS INFIRMIERS? EXPLORING EMPATHY : A CONCEPTUAL FIT FOR NURSINC PRACTICE? Après trois décennies, on s’aperçoit que l’efficacité de I’empathie dans le cadre clinique ne repose sur aucune preuve écrite. Récemment, on s’est inquiété du fait que ce concept d’empathie risquait d’être inadapté, ou même nuisible à la relation entre le patient et l’infirmière. Une analyse du concept révèle que I’empathie comporte des caractéristiques morales, affectives, cognitives et comportementales. Après avoir replacé ce concept dans le contexte historique des soins infirmiers, il nous a semblé que I’empathie ait été empruntée à la psychologie, sans qu’une analyse critique n’ait été effectuée. De plus, c’est en fait un concept qui correspond mal à la réalité clinique de la pratique des soins infirmiers. D’autres techniques de communication actuellement sous-estimées, telles que la sympathie, la pitié, la consolation, la compassion et la commisération, nécessitent d’être réexaminées. Celles-ci pourraient être plus appropriées que I’empathie au cours de certains stades de l’expérience de la maladie. Nous suggérons quelques orientations en vue d’une recherche ultérieure. After three decades, the efficacy of empathy in the clinical setting remains undocumented. Recently, concerns have been raised that the concept may b e inappropriate and even harmful to the nurse-patient relationship. An analysis of the concept indicates that empathy consists of moral, emotive, cognitive and behavioral components. By tracing the integration of this concept into nursing, we suggest that empathy was uncritically adopted from psychology and is actually a poor fit for the clinical reality of nursing practice. Other communication strategies presently devalued, such as sympathy, pi& consolation, compassion and commiseration, need to be reexamined and may be more appropriate than empathy during certain phases of the illness experience. Directions for future research are suggested. Mots-clés : empathie, analyse de concept, relation entre le patient et l’infirmière Keywords: empathy, concept analysis, relationship 54 Recherche en soins infirmiers N” 58 - Septembre 1999 patient-nurse OTION DECONCEPT ANALYSE DE L’EMPATHIE : EST-CE UN CONCEPT ADAPTÉ À LA PRATIQUE DES SOINS INFIRMIERS? L’empathie est un concept qui a longtemps été considéré comme un élément fondamental, au cœur de la relation entre le patient et l’infirmière. Cependant, après avoir employé ce concept pendant trois décennies, les premières critiques sur l’utilité et l’adéquation de I’empathie à la pratique des soins infirmiers apparaissent actuellement dans les documentations. Pike (1990) a récemment soutenu un raisonnement convaincant qui remettait en cause le manque de preuves pour justifier la notion selon laquelle I’empathie est bien au centre du travail thérapeutique. II note que certaines descriptions de la pratique clinique, volontairement ou involontairement, ne mentionnent pas ce concept (par exemple, Benner, 1984; Benner & Wrubel, 1988). D’après Holden (1990), cette omission peut être liée à un problème de dénomination, puisque les exemples utilisés par Benner illustrent bien I’empathie dans le cadre clinique. Face à ces questions, il paraît donc impératif que I’empathie, concept emprunté ad hoc au domaine de l’assistance socio-psychologique, soit examiné dans le contexte de la pratique des soins infirmiers. L’objectif de cet article est de : 1) analyser la signification et les caractéristiques de I’empathie, 2) décrire l’histoire de l’intégration de I’empathie dans les soins infirmiers, 3) examiner l’opportunité de l’utilisation de I’empathie dans le cadre clinique, et 4) identifier les perspectives d’avenir dans I’évolution de la théorie et de la recherche. La signification et les caractéristiques de I’empathie La confusion actuelle sur la signification et les caractéristiques de I’empathie provient de la nature subjective du concept, de la complexité du processus empathique (y compris du processus abstrait et non-linéaire) et du fait de sa conceptualisation non analysée, et parfois incomplète, dans les documentations. Le résultat donne un ensemble de documentations déroutantes, et ceci est compliqué par les opinions contradictoires de nombreux chercheurs. En effet, certains pensent que I’empathie a plusieurs attributs alors que d’autres I’envisagent de manière restrictive et particularisante. Une analyse des documentations d’ordre psychologique et du domaine des soins infirmiers a révélé la présence de quatre caractéristiques de I’empathie : morales, affectives, cognitives et comportementales. L’empathie est décrite par différents auteurs comme étant un phénomène qui comporte une ou plusieurs de ces caractéristiques. Les éléments constitutifs de chacune de ces caractéristiques sont présentés dans le Tableau N”I. Morales : bien que certains auteurs aient fait allusion à l’existence d’un aspect moral de I’empathie, celui-ci n’a pas été clairement énoncé ou défini comme étant une caractéristique à part entière de ce concept. Néanmoins, il existe des preuves qui justifient cette notion. Le terme de « prédisposition morale » a été assimilé à celui de « disposition empathique » ou à celui d’avoir la «disposition d’adopter une large perspective morale» (Hogan, 1969). La conviction de Rogers (1962) et de Buber (1973) d’une acceptation incondi.tionnelle de la « différence » des autres êtres humains comme- condition préalable à des relations humaines, pourrait être considérée comme le reflet de la caractéristique morale de I’empathie. L’empathie a également été décrite comme étant un art qui implique une «philosophie humanitaire de la vie» et une «profonde sagesse humaine» (Baumgartner, 1970,). Zderad (1970) a décrit « une atttude de réceptivité, de disponibilité et de présence de la personne tout entière» comme étant une condition indispensable à la communication empathique, ce qui pourrait être interprété comme un moyen supplémentaire de soutenir cette thèse. L’existence d’une relation entre la moralité et I’empathie a été contestée en sociologie, en philosophie et en psychologie du développement par ceux qui ont tenté de comprendre ce qui incite un individu à adopter un comportement d’assistance. L’idée selon laquelle I’empathie implique une moralité sociale (Arnett & Nakagawa, 1983) ou universaliste (Hoffman, 1981) est ancrée dans la croyance philosophique que les êtres humains partagent les mêmes besoins, qu’ils vivent tous dans les mêmes conditions humaines, et qu’ils sont tous en communication et en relation entre eux (Buber, 1973; Gladstein, 1983 ; Menaker, 1983 ; Stewart, 1973; Zderad, 1969). On trouve à l’intérieur de cette hypothèse la croyance selon laquelle il existe en chaque être la volonté naturelle ou peut-être un désir irrésistible d’aider les personnes qui sont en état de détresse ou qui ont besoin d’aide. Le «souci empathique» qui représente un ensemble d’émotions telles que la compassion et la préoccupation du bien-être des autres (à la différence de la « détresse personnelle » ou du désir égoi’ste de réduire son propre inconfort), entraîne un comportement d’assistance et devrait être inclu dans la définition et dans le processus d’empathie. D’après Batson et Coke (1981), cette motivation altruiste, ou sa caractéristique morale, est déclenchée par un intérêt spontané 55 Recherche en soins infirmiers N” 58 Septembre 1999 / Tableau N” 1 : Les composantes de I’empathie Thérapeutiques Caractéristique Caractéristique Morale Caractéristique Affective Cognitive Comportementale Caractéristique Béfinition La capacité à expérimenter subiectivement et à prendre part à l’état psychologique de l’autre, 0 ses émotions ou à ses sensations intérieures. Une force intérieure altruiste qui incite à la pratique de I’empathie La capacité intellectuelle du thérapeute à s’identifier et à comprendre les sensations et la perspective d’une autre personne à partir d’une position objective. Réaction par la communication pour exprimer la compréhension de la perspective de l’autre. huires Lppellations “à vif”, “ e m p a t h i e naturelle”,“empathie caractéristique”, “sensibilité instinctive” “empathie émotionnelle”, “ e m p a t h i e affective”, “identification à vif”, “un lien émotionnel” “une prédisposition morale” “un éclair intuitif” une “disposition empathique” “empathie d’état” “réaction empathique” “empathie complexe” “empathie clinique” “prise de rôle” “prise de perspective” “imitation en miroir” des attitudes non-verbales “empathie d’interaction” “expression comportementale de I’empathie” “empathie exprimée” Nsychologie l’Assistance ociale et ‘hilosophie Hogan, 1969 Burleson, 1984 Hoffmann, 1981 Buber, 1973 Meyer, Boster, & Hecht, Batson & Coke, 1983 1988 Gladstein, 1983 Rogers, 1957 Stewart, 1973 Kolliopuska, 1986 Basch, 1983 Gladstein, 1983 Meyer, Boster, & Hecht, Gazda et al., 1982 1988 Traux & Carkhuff, Rogers, 1957 1967Rogers, 1 9 5 7 lypolhèses 1) La détresse émotionnelle est contagieuse c’est-à-dire que les individus ressentent indirectement la détresse de l’autre quand ils perçoivent sa détresse). 1) La personne qui pratique I’empathie doit faire un travail sur elle-même et se connaître avant d’associer l’autre dans I’empathie. Ainsi, devenir empathique est un processus conscient et délibéré. 1) Le thérapeute peut soisir l’expérience du client d’un point de vue plus obiectif que les clients eux-mêmes 2) Un désir empathique dépend de : a) une acceptation inconditionnelle de l’autre ; b) un engagement vers la compréhension de l’autre ; et c) une croyance dons l’universalité des besoins humains et un sens de l’obligation d’aider l’autre à satisfaire ses besoins élémentaires. 2) 1) L’exercice de son pouvoir de volonté pour soit s’occuper de l’autre ou s’engager envers l’autre, soit éviter l’autre et se tenir à distance de l’outre. 1) Compte-rendu critique qui nécessite d’imaginer, de saisir, de raisonner, d’analyser 2) 2) Utiliser sa capacité à 2) itratégies / danifestations 1) La capacité d’être empathique est un potentiel naturel inné qui se développe avec la maturité. Excitation émotionnelle chez la personne qui pratique I’empathie 2) La personne qui pratique I’empathie ressent qu’elle réagit émotionnellement au signale émotionnel de l’autre. Attitude de réceptivité lité envers l’autre. et de disponibi- Cette caractéristique de I’empathie est une compétence qui peut être enseignée et mesurée, formée à partir de capacités naturelles. faire “comme siO 3) Prendre délibérément ses distances par rap- 1 ) U n c o m p o r t e m e n t empathique peut être vu par un observateur indépendant 2) L’attitude d’observer indique I’empathie 3) L’attitude empathique peut ê t r e d é m o n t r é e à des degrés supérieurs ou inférieurs d’empathie et peut être mesurée. 4) II y a un empressement de la part du client à recevoir de l’aide. 5) Les réactions empathiques faciliteront le développement personnel du client. 1) Position du corps 2) Imitation en miroir 3) Ecoute active 4) Quatre niveaux de réaction’ empathiques (modèle dt Carkhuff) 5) Perception-vérification, vali dation port aux émotions et aux mouvements d’au- 6) Reflection trui pour aller vers le 7) Révélation de soi traitement cognitif de toute la situation. 58 - Septembre 1999 de communication qui peut être appliquée et enseignée universellement, prétendant qu’ils déformaient ses idées sur la nature subjective des relations humanistes. Avant que I’empathie ne soit utilisée, le concept de sympathie était principalement employé pour décrire les relations entre les infirmières et leurs patients. F. Nightingale l’intégra à l’ensemble des qualités que doit avoir une bonne infirmière : « L’infirmière doit toujours être bonne et sympathique, mais jamais émotive » (cité dans Seymer, 1954). Même si la sympathie était reconnue comme un attribut important des soins infirmiers et était un complément aux soins médicaux (Hanson, 1916), à partir des années 1890 jusqu’aux années 1930, l’infirmière était censée rester détachée sur le plan émotionnel (Robb, 1910). Afin d’accomplir son « propre travail de sympathie », l’infirmière devait projeter l’image d’une personne sachant maîtriser ses émotions en « bannissant » (Gladwin, 1932) les sentiments personnels et en évitant de mener avec les patients ou leur famille des discussions franches sur des questions d’ordre affectif ou relevant de leur état de santé (Goodnow, 1921 ; Pope, 1919). L’une des premières définitions de la sympathie était un «sentiment d’affinité avec les autres personnes dans leurs différents états de joie et de peine» (Aikens, 1923). La sympathie était considérée comme étant à la fois un trait de caractère souhaitable et une compétence apprise. Pour pouvoir exercer sa sympathie de manière efficace, l’infirmière devait avoir des connaissances, de la compréhension et de l’expérience; par ailleurs, la sympathie était une «arme dangereuse » entre les mains de celles qui n’avaient pas ces qualités (Gladwin, 1932). Dans les années 1930, on prit davantage conscience de l’aspect psychologique des soins accordés au patient (Tracy, 1938); la notion de sympathie fut réintégrée dans les soins infirmiers comme étant une qualité «essentielle » (Harmer & Henderson, 1939) qui renforçait la relation entre l’infirmière et le patient et qui améliorait le processus thérapeutique (Orlando, 1961 ; Peplau, 1952). On encouragea les infirmières à ne pas traiter les patients comme si elles n’avaient « pas plus de sentiments qu’un morceau de bois» (Gladwin, 1932); on leur demandait plutôt d’aider les patients à déterminer et à exprimer leurs besoins en établissant une relation de compréhension et d’assistance (Orlando, 1961). L’exactitude des perceptions des infirmières et leurs actions étaient validées avec le patient. transmises au bébé. Cette image implique que les nouveaux-nés possèdent de manière innée la forme primordiale de I’empathie affective (Sullivan, 1953). En 1957, Carl Rogers fit un discours programme devant I’American Nurse? Association (Association Américaine des Infirmières) sur les caractéristiques essentielles de la relation thérapeutique. Ce discours eut un impact considérable sur l’enseignement des soins infirmiers. Par la suite, les infirmières ont commencé à examiner le concept d’empathie et son application dans la pratique des soins infirmiers (Holliday, 1961 ; Travelbee, 1963 ; Triplett, 1969 ; Zderad, 1969). Le concept de Rogers d’une thérapie centrée sur le client (1951) et l’ensemble des hypothèses qui l’accompagnent fut adopté par la pratique des soins infirmiers et appliqué tel quel à la relation entre l’infirmière et le patient. Comme Cunter (1962) le note, «Alors qu’il [Rogers] parle de la thérapie centrée sur le client, les infirmières parlent de soins centrés sur le patient, il peut donc y avoir un lien logique entre les deux ». Gunter poursuit et cite directement les postulats de Rogers, qui remplace «patient » par « client » pour illustrer I’applicabilité de ce modèle aux soins infirmiers. Alors que certains étaient plus réticents à adopter d’emblée le terme d’« empathie » comme faisant partie de la relation entre l’infirmière et le patient, ce terme était pourtant implicite dans leurs descriptions des techniques utilisées pour saisir la perspective et l’expérience des patients (Elder, 1963 ; Hays & Larson, 1963 ; Ujhely, 1968 ; Weidenbach, 1964). Par exemple, les descriptions faites par Henderson (1964, 1966) des relations entre l’infirmière et le patient soulignent la compréhension du patient en «se mettant dans sa peau » bien qu’elle ne cite Rogers ou n’utilise le terme d’« empathie » que lors d’une publication ultérieure. Le terme de « résonance empathique » fut introduit plus tard par Geach et White (1974) pour désigner le fait de ressentir des états ou des sentiments chez les patients qui sont incapables de communiquer de façon « ordinaire », tels que les patients schizophrènes. Pendant cette période, des discussions ont continué à porter sur l’équilibre entre, d’une part, l’implication subjective ou affective vis-à-vis des patients et, d’autre part, une position plus objective ou professionnelle considérée comme nécessaire pour optimiser la nature thérapeutique de la relation entre l’infirmière et le patient. À l’exception de Travelbee (1964), qui pensait que la compassion et la sympathie avaient toutes deux leur place dans la pratique des soins infirmiers, le résultat de ces discussions fut la sous-estimation de la sympathie, considérée comme appartenant à la sentimentalité, et la mise en valeur de I’empathie comme étant une approche plus professionnelle (Bradley & Edinberg, 1982; Brammer, 1979; Holden, 1990; Ce ne fut pas avant les années 1950 que I’empathie apparut dans les documentations des soins infirmiers. Peplau (1952) introduisit dans le domaine des soins infirmiers le terme d’empathie pour décrire le processus naturel par lequel les émotions de la mère sont 58 Recherche en soins infirmiers N” 58 - Septembre 1999 ANALYSE DE L’EMPATHIE : EST-CE UN CONCEPT ADAPTÉ À LA PRATIQUE DES SOINS INFIRMIERS? Kalisch, 1973; Ludemann, 1968; Triplett, 1969; Zderad, 1969). Etant donné que la différence entre la sympathie et I’empathie était (et continue d’être) peu claire (MacKay, 1990), l’acceptation de I’empathie pourrait être considérée comme un moyen de professionnaliser la pratique des soins infirmiers. Plus précisément, avec l’évolution des théories sur les soins infirmiers, plusieurs tentatives ont été entreprises pour clarifier et légitimer le concept d’empathie dans les soins infirmiers (Forsyth, 1980; La Monica & Karshmer, 1978 ; Pluckman, 1978 ; Rawnsley, 1987 ; Travelbee, 1972 ; Triplett, 1969 ; Tyner, 1985 ; Williams, 1990 ; Zderad, 1970), pour incorporer I’empathie dans la théorie des soins infirmiers (Sanchez, 1989; Wheeler, 1988), et pour modifier les modèles psychologiques d’empathie afin qu’ils conviennent à la relation entre l’infirmière et le patient (Burgess, 1990; Ehmann, 1971 ; La Monica, 1983 ; MacKay, Hughes, & Carver, 1990). mière phase impliquait une réceptivité aux signaux des autres individus ou objets, et la deuxième phase était liée à la réaction intérieure de la personne qui mène le processus d’empathie face à ces signaux en assimilant l’expérience de l’autre à sa propre expérience. La troisième et dernière phase était celle du détachement et de la re-matérialisation. D’autres théoriciens des soins infirmiers ont proposé des modèles d’empathie similaires composés de quatre phases (Ehman, 1971), trois phases (Kalisch) et deux phases (Kunst-Wilson, Carpenter, Poser, Venohr, & Kushner, 1981). La seule nouveauté par rapport à ces modèles composés de multiples phases était celle du modèle d’empathie de Wheeler (1988) basé sur le paradigme fonctionnel de la science des soins infirmiers établi par Martha Rogers (Rogers, 1970). D’après ce raisonnement, I’empathie était considérée comme un échange mutuel simultané qui se produisait à l’intérieur d’une immense matrice de champs énergétiques humains et environnementaux. De plus, Forsyth (1980) a identifié huit conditions (dont certaines furent postulées par Carl Rogers 119621) qui doivent être présentes pour que I’empathie ait lieu. Des auteurs de modèles de soins infirmiers ont admis que I’empathie était une caractéristique essentielle de la communication thérapeutique, que les capacités de communication empathique pourraient être renforcées, et que I’empathie était un processus dont les phases pourraient être explicitées. A partir de l’hypothèse selon laquelle I’empathie pourrait être décrite comme étant un processus, on détermina les différences entre I’empathie « naturelle » et I’empathie « clinique » (Ehmann, 1971 ; Zderad, 1969). Les auteurs d’études sur les soins infirmiers ont continué à perpétuer les caractéristiques cognitives et comportementales de I’empathie. Le point de vue traditionnel qui consistait à dissuader les infirmières de s’impliquer émotionnellement dans la situation des patients existe toujours dans les modèles de soins infirmiers contemporains, à l’exception de celui de Williams (1990). Dans cet article, donc, le terme d’empathie thérapeutique est utilisé pour désigner les stratégies utilisées délibérément dans l’assistance socio-psychologique et dans les soins infirmiers qui englobent les caractéristiques cognitives et comportementales de I’empathie, appelées réactions thérapeutiques (voir Tableau N”I ). En général, la première phase du processus d’empathie consistait à évaluer ou à percevoir le monde intérieur de l’autre, et la deuxième phase permettait de créer la relation entre les personnes qui renforcerait le bien-être de l’autre. Ces phases étaient nécessaires dans les interactions empathiques aussi bien naturelles que cliniques. La troisième phase, une phase qui était au cœur de I’empathie clinique, mais qui n’était pas une condition indispensable à I’empathie naturelle, était celle du détachement ou de la dissociation, qui ôtait à l’infirmière le risque d’implication personnelle et professionnalisait l’interaction. Lorsque cette phase n’était pas expressément décrite, les auteurs d’étude sur les soins infirmiers insistaient sur la nécessité d’objectivité de la part de la personne qui mène un processus d’empathie. Au cours de ces deux dernières décennies, les formateurs et les chercheurs en soins infirmiers ont tenté de mesurer I’empathie; ces moyens et ces programmes observables, bien qu’ils aient été mis au point par des infirmières, sont fondés sur l’assistance psychologique et la psychologie sociale (Brunlick, Thurston & Feldhusen, 1967, Clay; 1984; Kalisch, 1971 a, 1973 ; La Monica, 1981, 1986 ; Layton, 1979 ; Speroff & Kerr, 1954). Les chercheurs ont également tenté de : (a) identifier les caractéristiques et les actions des infirmières qui distinguent les infirmières empathiques des infirmières non-empathiques (Forsyth, 1979 ; Stetler, 1977) ; (b) identifier les facteurs qui sont liés à la capacité des infirmières de suivre un processus d’empathie (Brunt, 1985; Hughes & Carver, 1990; Kunst-Wilson et al., 1981 ; MacDonald, 1977; Mynatt, 1985; Olsen & Le modèle à trois phases de Zderad (1970), qui suit de près la pensée générale sur le processus d’empathie, mettait l’accent sur les relations mutuelles ou le « mouvement empathique » de l’assistant à partir de la position d’identification et de sensation de l’expérience subjective de l’autre, jusqu’à une analyse cognitive objective de la situation de la personne. Ce qui est comparable au modèle de Rogers, c’est que la pre- 59 Recherche en soins infirmiers N” 58 - Septembre 1999 Iwasiw, 1989 ; Rogers, 1986) ; (c) identifier les comportements qui facilitent la communication empathique dans les relations entre le patient et l’infirmière (Mansfield, 1973); (d) évaluer les niveaux fonctionnels d’empathie des infirmières (Hills & Knowles, 1983; Pluckman, 1978); et (e) évaluer l’efficacité des programmes de formation sur I’empathie (Daniels, Denny, & Andrews, 1988; Hughes, Carver, & MacKay, 1990; Kalisch, 1971a, b; La Monica, Carew, Winder, Hasse & Blanchard, 1976; La Monica, Madea, & Oberst, 1987; Layton, 1979; Olsen & Iwasiw, 1987; Reynolds & Presly, 1987), ainsi que leurs effets sur les patients (MacKay, Carver, & Hughes, 1990; Williams, 1979). Les résultats de ces études sont peu concluants et difficiles à comparer à cause des illogismes méthodologiques tels que l’absence de coefficients de fiabilité inter-évaluateur obtenus statistiquement, l’absence de barême d’empathie valable pouvant être utilisé auprès des infirmières et des patients, l’impossibilité de faire des comparaisons entre les programmes de formation sur I’empathie mis au point par des chercheurs individuels et enfin l’absence de validité démontrée du construit du concept dans le cadre des services médicaux. Par conséquent, peu de progrès ont été accomplis dans la construction d’une conceptualisation de I’empathie ou dans la compréhension de son utilisation appropriée à l’intérieur de la relation entre l’infirmière et le patient. Ce n’est que récemment, 30 ans après I’apparition du terme d’empathie dans les soins infirmiers, que les auteurs ont commencé à contester l’opportunité de l’introduction du concept dans la pratique des soins infirmiers (Diers, 1990; Cordon, 1987; Pike, 1990). Dans le domaine des soins infirmiers, ce qui peut être considéré comme un obstacle à la compréhension de I’empathie, c’est l’attention pratiquement exclusive accordée par les chercheurs à l’évaluation des.caractéristiques objectives observables de I’empathie - c’est-àdire les caractéristiques cognitives et comportementales - alors que les caractéristiques subjectives non-mesurables-telles que les composantes affectives et morales - ont été négligées et par conséquent sousestimées (Olson & Iwasiw, 1989; Smith, 1986; Sparling & Jones, 1977; Stetler, 1977; Williams, 1990). Alors que les caractéristiques affectives de I’empathie ont été explicitées comme désignant la capacité de l’infirmière à s’identifier émotionnellement à ses patients, les formateurs en soins infirmiers ont limité leur enseignement de I’empathie à des exemples de réactions comportementales observables, qu’ils proviennent de l’émulation par le rôle, de jeux de rôle, de séquences enregistrées sur magnétoscope ou d’exemples tirés de l’expérience. Afin d’examiner la caractéristique affective de I’empathie, certains cher- cheurs ont mesuré la capacité des infirmières à percevoir avec exactitude les sensations des patients, et ces chercheurs ont probablement saisi la caractéristique cognitive plutôt qu’affective (Kalisch, 1973 ; KunstWilson et al., 1981). À la suite de discussions sur I’utilisation clinique et thérapeutique de I’empathie dans les soins infirmiers, le terme a pris un sens plus cognitif et comportemental, et la caractéristique affective n’a pas été légitimée (Arnold & Boggs, 1989; Bradley & Edinberg, 1982 ; Burgess, 1990). L’opportunité de l’utilisation de I’empathie dans le cadre clinique Les programmes pédagogiques destinés à apprendre aux infirmières à être empathiques n’ont pas influencé la pratique des soins infirmiers et n’ont pas eu, sur leurs patients, les effets spectaculaires attendus (Kalisch, 1973 ; La Monica et al., 1987). Bien que cela ait été noté par certains auteurs (Kunst-Wilson et al., 1981), à ce jour, personne n’a tenté d’examiner sérieusement ce problème. Pourtant, à partir de l’hypothèse selon laquelle I’empathie est l’élément qui est au cœur de toutes les relations d’assistance, des infirmières ont affirmé que : (a) I’empathie est véritablement l’essence d’une interaction thérapeutique entre l’infirmière et le patient (Forsyth, 1980; Gagan, 1983; Holden, 1990; Kalisch, 1973 ; La Monica, 1981 ; Zderad, 1969) ; (b) I’empathie a toujours des effets positifs sur tous les patients (Olson & Iwasiw, 1989; Smith, 1986) ; (c) I’empathie donne des résultats importants dans les interactions entre les infirmières et les patients (La Monica et al., 1987; Mackay et al., 1990); et (d) I’empathie est réellement une capacité essentielle pour soigner efficacement (Arnold & Boggs, 1989 ; Zderad, 1969). Ces affirmations ont été acceptées sans que ne soient prises en considération les différentes hypothèses sous-jacentes à chaque modèle professionnel, les différents cadres de la pratique et la variété des résultats obtenus sur le patient ou client. Trois hypothèses élémentaires étayent le modèle d’assistance socio-psychologique : 1. Le client reconnaît un besoin d’assistance et recherche l’aide du thérapeute. Cela signifie que le client : (a) comprend qu’il y a un problème, (b) possède à la fois l’énergie et l’intention de souhaiter un changement, et (c) a la volonté de chercher de l’aide pour obtenir ce changement. 2. La relation empathique a lieu dans un contexte d’assistance professionnelle. L’assistant dispose d’un laps 60 Recherche en soins infirmiers No 58 Septembre 1999 ANALYSE DE L’EMPATHIE : EST-CE UN CONCEPT ADAPTÉ À LA PRATIQUE DES SOINS INFIRMIERS? de temps ininterrompu pour établir une relation thérapeutique face à face et voit le client de manière régulière jusqu’à ce que les objectifs d’assistance soient atteints. 3. L’occasion d’un développement personnel résultant du processus d’empathie est inhérente à la nature thérapeutique de l’interaction d’assistance. Les réactions thérapeutiques s’intègrent dans l’ensemble de la réalité du patient, non pas comme des affirmations isolées ou une interaction unique. Le rôle de l’assistant est d’élucider et d’expliciter le sens «dont le client est rarement conscient » (Rogers, 1962). En ce qui concerne les soins infirmiers, on ne peut pas rencontrer ce type d’hypothèses dans le cas de soins aigus. La nature éphémère de la rencontre entre I’infirmière et le patient, les réalités du cadre clinique et le stade de conscience du patient, en particulier dans le cadre des soins aigus limitent l’utilisation et I’efficacité de I’empathie thérapeutique. Dans le domaine des soins infirmiers, en particulier dans le cas d’une maladie grave et soudaine, le patient et sa famille n’ont peut-être pas accepté la réalité et les ramifications de la maladie. Ils concentrent toutes leurs énergies à faire face à l’inconfort et à apprendre à accepter la réalité. C’est une phase que les patients en difficulté et leurs familles doivent traverser (Morse & Johnson, 1991) avant d’atteindre les phases pour lesquelles l’adaptation et le changement (N le développement personnel ))) sont importants, pertinents ou possibles. En tant que telle, l’utilisation des réactions empathiques peut ne pas convenir à ces situations. Les infirmières peuvent ressentir de I’empathie devant la condition difficile du patient, donc I’empathie émotionnelle de la part de l’infirmière est présente, mais I’empathie thérapeutique peut être moins appropriée que d’autres réactions humaines, telles que la sympathie, la compassion, la pitié, la consolation et la commisération qui permettent aux patients d’accepter la réalité. Bien qu’il puisse y avoir des exceptions à cela (par exemple I’empathie thérapeutique peut convenir pour traiter des problèmes communautaires, des cas psychiatriques ou de réinsertion, ou encore pour les patients en long séjour), il est à peine croyable qu’un fait aussi évident soit passé inaperçu dans les soins infirmiers. En général, il est impossible de créer une relation empathique entre l’infirmière et le patient (une relation semblable à celle qui existe dans l’assistance psychologique) et ceci est une autre préoccupation qui n’a pas encore été directement abordée. La nature de la charge de travail des infirmières dans le cas des soins aigus ne leur permet pas en général de passer 30 minutes ou plus à écouter un patient. De plus, à moins que le patient soit dans une chambre individuelle, il n’y a pas suffisamment d’intimité pour établir le rapport et la communication nécessaires qui sont associés à I’empathie thérapeutique. Même lorsque le patient se trouve dans une chambre individuelle, le fait de savoir que quelqu’un risque d’entrer à tout moment peut empêcher une relation intime. De même, la nature de I’affectation du patient dans les soins infirmiers ne garantit pas un contact régulier. La relation entre l’infirmière et le patient est généralement interrompue lorsque le patient sort de l’hôpital, le plus souvent au bout de 10 jours. Le travail de soins infirmiers en équipe ne permet, ni ne tolère, la possibilité de préserver la confidentialité du patient, en particulier lorsqu’il s’agit de questions liées à la santé du patient, y compris à son bien-être psychologique. Comme les principales préoccupations du patient et de sa famille pendant cette période sont vraisemblablement liées au traitement, au diagnostic et au pronostic, on peut prévoir que de telles confidences données par le patient à une seule infirmière soient enregistrées et confiées à tous les autres membres du personnel lors du compte-rendu. Cette stratégie, conçue pour le «bien » du patient, permet aux autres membres du personnel de continuer à travailler avec le patient et ses problèmes et, ainsi, assure la «continuité des soins ». Ailleurs, on prétend que cette stratégie soidisant bénéfique ne tient pas compte du développement de la confiance nécessaire à une relation d’assistance, c o m m e d a n s l e m o d è l e p s y c h o l o g i q u e d’empathie. La violation de la confidentialité entraîne en fait la destruction du processus thérapeutique (Morse, 1991). Etant donné que I’empathie a été considérée exclusivement comme une stratégie thérapeutique, du fait de ses critiques et de l’attribution d’effets nuisibles sur d’autres réactions par la communication telles que la sympathie (Bradley & Edinberg, 1982; Kalisch, 1973 ; Walker, 1983), de nombreuses techniques de communication effectivement utilisées par des infirmières expertes avec leurs patients en détresse sont demeurées obscures et stigmatisées. Ce qui est paradoxal, c’est que, bien que les infirmières n’aient pas réussi à reconnaître la valeur clinique des autres stratégies effectivement utilisées par les infirmières dans la pratique, nombreuses sont celles qui continuent à les utiliser. De plus, ces autres stratégies, lorsqu’elles sont utilisées efficacement donnent des résultats égaux ou plus importants que ceux qui sont obtenus par l’utilisation de I’empathie thérapeutique. Ce qui est encore plus préoccupant, c’est que ces stratégies souvent efficaces et couramment utilisées ne sont pas enseignées par les formateurs et sont même considérées comme 61 Recherche en soins infirmiers N” 58 - Septembre 1999 « fausses ». Par exemple, la réaction de pitié est considérée comme non-thérapeutique et non-professionnelle (Forsyth, 1980 ; Knobbe, 1989 ; Travelbee, 1972), pourtant cette hypothèse n’est pas toujours vraie. De même, la pitié a une fonction thérapeutique lorsqu’elle est utilisée pour confirmer l’expérience des malades, qui, à son tour, facilite l’acceptation et la prise de conscience de la maladie. sent à écarter ces sensations, du moins provisoirement (Kalisch, 1973, p. 1549) : Kalisch recommande de vérifier avec le patient les conclusions que les infirmières tirent sur les sensations des patients. Plus récemment, Cordon (1987) et Griffin (1983) ont mis en garde les infirmières contre la tentation d’imposer d’emblée I’empathie à des patients «à leur insu ». Cordon prétend que les stéréotypes et I’empathie sont analogues en ce qu’ils sont «tout aussi dangereux », puisqu’ils sont également fondés sur l’hypothèse selon laquelle les êtres ont les mêmes caractéristiques et les mêmes sensations. Dans le cas de I’empathie, les infirmières risquent de projeter leurs propres sentiments dans les situations de leurs patients et, par conséquent, limitent leur éventail de réactions au lieu d’essayer de comprendre réellement le point de vue du patient. Des auteurs ont prétendu qu’un développement personnel renforcé n’est probablement pas l’effet le plus important de I’empathie dans le cadre des soins infirmiers. Ces auteurs ont élargi les bienfaits de I’empathie au renforcement de la relation entre l’infirmière et le patient (Olsen & Iwasiw, 1989 ; Zderad 1970), à la dynamique de l’interaction (Hughes & Carver, 1990), à la possibilité de faciliter la communication entre les personnes (MacKay et al., 1990), à une meilleure capacité, chez l’infirmière, à prédire le comportement d’un patient (Travelbee, 1972), et enfin à l’individualisation des soins accordés aux patients (Zderad, 1970). Des orientations futures pour l’évolution de la théorie et de la recherche Les bienfaits de I’empathie thérapeutique ont également été élargis pour y inclure le soulagement de la douleur, de la dépression et de l’anxiété du patient (La Monica et al., 1987), le soulagement de l’isolement du patient (Kalisch, 1973), l’accroissement de l’échange d’énergie pour renforcer l’intégrité du champ de l’être humain et de celui de l’environnement (Wheeler, 1988) et la possibilité de faciliter le développement personnel et la compréhension de soi chez le patient (Arnold & Boggs, 1989; Bernstein, Brophy, Mc Carthy & Roepe, 1954; Ehmann, 1971). Pourtant, des stratégies autres que I’empathie peuvent permettre d’obtenir plus efficacement certains de ces effets thérapeutiques. Comme Diers (1990) l’a noté, lorsque les infirmières utilisent I’empathie comme concept cadre, elles risquent de faire une erreur d’appellation de la réaction par la communication. Cela crée une confusion au lieu d’expliciter ce que les infirmières font réellement. L’empathie thérapeutique peut convenir à certaines interactions entre l’infirmière et le patient; cependant, il est nécessaire d’identifier le moment où elle devrait être utilisée dans le cadre clinique, les façons dont I’empathie émotionnelle et morale se communique entre les infirmières et leurs patients ainsi que les effets (à la fois positifs et négatifs) constatés sur les patients lorsque l’infirmière utilise I’empathie thérapeutique. Par exemple, il est essentiel que I’empathie thérapeutique soit utilisée comme une approche logique et constante des soins infirmiers. Mais, est-il réaliste de prévoir que les infirmières utilisent I’empathie thérapeutique lorsqu’elles entreprennent une procédure extrêmement technique qui nécessite une concentration intense et une grande précision, telle que la mise en place d’une intraveineuse, comme certains auteurs le préconisent (Hughes & Carver, 1990) ? Est-ce que les patients souhaitent ce type de relation ? En fonction de la perspective ou du stade de la maladie du patient, quel est le meilleur moment pour utiliser I’empathie? Est-ce que l’utilisation de I’empathie thérapeutique dans la relation entre l’infirmière et le patient répond au besoin de l’infirmière ou à celui du patient? L’effet sur le patient est-il différent si le soignant transmet des réactions empathiques thérapeutiques machinalement, sans être sincère, ou si toute empathie comporte les quatre caractéristiques ? On doit examiner plus attentivement l’hypothèse selon laquelle I’empathie thérapeutique est toujours appropriée. D’ailleurs, certains auteurs demandent une analyse critique de cette notion (Barkham & Shapiro, 1986; Gladstein, 1983). L’efficacité de I’empathie thérapeutique pour faciliter les relations entre les infirmières et leurs patients reste encore à être prouvée (MacKay et al., 1990; Reynolds & Presly, 1987). De plus, toutes les infirmières ne peuvent probablement pas pratiquer la compréhension empathique avec tous les patients (Ehmann, 1971 ; Travelbee, 1963). On a également évoqué l’idée selon laquelle I’empathie peut, en fait, ne pas convenir à certains patients, par exemple, ceux qui ne sont pas prêts à «admettre certaines sensations» et qui ont besoin qu’on les autori- Au lieu d’attacher une plus grande importance au résultat du processus empathique (c’est-à-dire la compréhension et la communication de cette compréhension), l’accent devrait être mis sur les différentes phases 62 Recherche en soins infirmiers N” 58 Septembre 1999 ANALYSE DE L’EMPATHIE : EST-CE UN CONCEPT ADAPTÉ À LA PRATIQUE DES SOINS INFIRMIERS? du processus même de l’implication et de I’engagement affectifs de l’infirmière dans la situation difficile du patient, comme cela est souvent indispensable dans une situation de tension nerveuse, ou dans le cas d’une injustice sociale manifeste. Ce processus d’identification entre l’infirmière et le patient peut être un processus thérapeutique qui est élémentaire et applicable à un ensemble de réactions naturelles et spontanées, par exemple à I’empathie, à la sympathie, aux condoléances ou à la pitié. Ainsi, un modèle de communication plus large ayant I’empathie émotionnelle comme antécédent peut avoir plus de valeur que I’enseignement inadéquat d’une empathie thérapeutique simpliste et restrictive comme étant l’essence de la relation entre l’infirmière et le patient. Ce modèle, le cheminement de la réaction par la communication, a été développé (Morse, Bortoff, Anderson, O’Brien, & Solberg, 1992) et peut être appliqué précisément pour comprendre les réactions des infirmières face à des patients dans le domaine clinique. Avec les progrès de la recherche et de la science des soins infirmiers dans des domaines qui étaient autrefois considérés comme légers, subjectifs ou invérifiables, on s’aperçoit clairement qu’il ne convient pas d’adopter des concepts «empruntés » (Hogan & De Santis, 1991) tels que I’empathie, qui provient d’autres disciplines, sans avoir procédé à une analyse critique du concept, des conditions, ni des objectifs ou des résul- tats escomptés. La profession des soins infirmiers est probablement plus indépendante que nous ne l’avions autrefois admis et cette indépendance comporte à la fois des avantages et des inconvénients. L’un de ces inconvénients est que nous devons mettre au point notre propre pratique (y compris nos propres interventions) avec prudence et raison au lieu d’imiter les stratégies thérapeutiques des autres professions. Inversement, l’évolution des connaissances pratiques et d’une théorie des soins infirmiers indépendants doit être considérée comme un avantage et comme un aspect essentiel au fur et à mesure que nous nous distinguons des autres professions. Les récentes tendances de la recherche en soins infirmiers visant à examiner la perspective du patient ou la relation entre l’infirmière et le patient, au lieu de se concentrer essentiellement sur l’infirmière, sont à la fois fondamentales et révélatrices d’une maturité dans la profession. Cet objet, associé à l’examen de la pratique des soins infirmiers et au ré-examen de concepts qui ont été importés, vantés et enseignés dans les études d’infirmières, est essentiel au développement de la connaissance des soins infirmiers et permet de supprimer le fâcheux écart qui existe entre l’enseignement et la pratique. Enfin, procéder à un examen auto-critique est essentiel à l’évolution d’une théorie appliquée au cadre clinique. De plus, cela permet d’optimiser l’efficacité de la pratique des soins infirmiers. 63 Recherche en soins infirmiers N” 58 - Septembre 1999