Avoir 20 en philosophie

Transcription

Avoir 20 en philosophie
Résultats du bac : avoir 20/20 en philo ? C'est possible, mais c'est une humiliation
Publié le 05-07-2013
Par Laura-Maï Gaveriaux
LE PLUS. "Alors, alors, tu l'as ?!" Cette question, on va l'entendre sur toutes les lèvres
des lycéens ce vendredi matin, lors de la découverte des résultats du bac 2013. Et
certains vont peut-être découvrir de (très) heureuses surprises. Un 20/20 par exemple.
Car oui, avoir 20 en philo, c'est possible, mais il ne faut pas franchement s'en réjouir.
Explication avec Laura-Maï Gaveriaux, professeur de philosophie.
Découvrir les résultats du bac, c'est toujours un grand moment d'émotion (CHIBANE/SIPA)
RÉSULTATS DU BAC. L’épreuve de philosophie du bac est une des légendes urbaines les
plus solidement installées dans l’imaginaire français. Celle-ci consiste dans la croyance que
les notes seraient complètement aléatoires, attribuées selon l’humeur du correcteur...
Croyance alimentée par les anecdotes annuelles des anciens cancres de la Terminale,
fanfaronnant sur leur "super bonne note" du mois de juillet, après n’avoir "rien foutu pendant
l’année" ou “enchaîné les taules avec le prof" parce qu’il ne les "aimait pas".
20/20 en philo ? Bien sûr que oui meuf !
Ainsi, à la question de savoir si l’on peut avoir 20/20 au bac philo, l’on répondra sans hésiter :
"Non mais allô quoi ! Bien sûr que oui, de toutes façons on peut avoir n’importe quelle note
au bac philo, meuf !"
Ça tombe bien, la philosophie s’étant donné pour tâche, depuis son acte de naissance, de
distinguer la croyance infondée de la vérité, c’est l’occasion de faire le point sur ce préjugé
qui voudrait que l’on note au hasard une copie de philosophie.
La philosophie est une discipline : son traitement dans le cadre scolaire, mais plus
généralement dans le cadre académique (le secondaire, les concours, la recherche) suit un
ensemble de méthodes... comme toute discipline.
- On peut étudier la philosophie selon une démarche historique, c’est d’ailleurs une part de
l’initiation philosophique telle qu’elle est accomplie dans le cadre de la Terminale.
- Elle peut être très topique (relative aux concepts du discours philosophique que l’on nomme
aussi la tradition, ou la littérature), comme on l’enseigne beaucoup en classes préparatoires.
- Elle peut être prospective, comme sont censés l’être le travail de thèse et la recherche
universitaire.
Il n'y a pas de recette miracle en philo
Mais encore faut-il s’entendre sur ce que l’on entend par le concept de "méthode". Si l’on
pense que la méthode est une recette, une suite automatique et invariable de gestes qui marche
à tous les coups, alors il y a de fortes chances pour que l’on ne réussisse pas très bien en
philosophie... Si l’on comprend qu’une méthode est un ensemble d’exigences adaptées à une
fin déterminée, dont l’on établit le procédé particulier en fonction du propos, alors on s’ouvre
déjà une bonne opportunité de saisir l’intérêt de l’exercice scolaire.
Deux professeurs de Terminale peuvent avoir des méthodes différentes pour produire une
dissertation, ce n’est pas pour cela que l’un est plus mauvais que l’autre.
Alors, évidement, la question qui vous brûle les lèvres est celle-ci : quelles sont ces fameuses
exigences pour l’épreuve du bac ?
Gare aux petits malins qui espèrent nous bluffer
Certaines sont effectivement dépendantes de l’époque et vont donc fluctuer en fonction des
années, disons-le, en fonction du niveau général constaté. Mais il y a, malgré tout, un socle
minimal qui, lui, ne varie que très peu.
Il faut écrire français autant que faire se peut, il faut avoir conscience des grandes
thématiques du programme et de leur traitement par quatre ou cinq auteurs cardinaux. Et,
finalement, avoir un minimum de sincérité dans le traitement de la question, s’affronter à la
vraie difficulté du sujet plutôt que de formuler de faux problèmes déjà trop faciles à
résoudre.
Car l’intérêt de la philosophie, que celle-ci soit scolaire comme en Terminale, ou savante
comme en prépa, c’est de nous confronter à la difficulté de penser parce que le sujet abordé
présente en lui-même une tension inextricable, que la parole à l’emporte-pièce ne suffit pas à
démêler.
Finalement, l’exercice scolaire de philosophie est un réjouissant mélange de formalisme et de
réflexion personnelle. Oui, l’on évalue la qualité d’un candidat à maîtriser un ensemble de
règles formelles (la rhétorique, la disposition du propos, l’usage d’une certaine langue...).
Le petit malin qui cherche à bluffer le correcteur en proposant la copie de pure dissidence (la
page blanche signée, la suite d’aphorismes, le dessin), celui-là n’a que très peu de chances de
séduire. Car, en fait, la dissidence n’a de réussite que lorsqu’elle est géniale. Or le génie, c’est
un talent fort inégalement réparti dans l’espèce humaine. Heureusement pour tout le monde,
ce n’est pas le génie que l’on attend au bac : mais juste le sérieux et la sincérité.
Alors, peut-on avoir 20/20 au bac de philosophie ?
Le niveau du bac est vraiment mauvais
Je suppose qu’en ces temps de désillusion et de nivellement intellectuel généralisé, oui, c’est
possible. Si le jury tombe sur une copie de bonne facture, avec moins de dix fautes
d’orthographe sur quatre pages, où l’on sent que l’élève a travaillé, mais qu’il s’est aussi
amusé, on pourra lui mettre 20. Parce que ce sera un soulagement, une éclaircie dans un long
tunnel de mauvaises copies écrites en charabia.
Car, enfin, il est temps selon moi de dire la vérité sur le bac. Et j’ai bien conscience de toutes
les sensibilités et les hypocrisies que je risque de heurter : en 2013, le bac est donné. Le
niveau est mauvais. Les exigences sont si basses que c’en est affligeant.
Suis-je élitiste en disant cela ? Je crois que la vraie condescendance envers nos adolescents
consiste dans le fait de les conforter dans la médiocrité au lieu de partir du principe
qu’ils peuvent faire mieux.
20/20 c'est possible, mais faut-il vraiment s'en réjouir ?
Le bac a voulu être démocratique : il est devenu intellectuellement hémiplégique. En tant
qu’enseignant, j’ai tenu le même discours d’exigence quel que soit le lycée dans lequel j’étais.
Parce que mon respect des élèves pris comme des individus doués d’intelligence et capables
de progrès exclut parfaitement de dire qu'"après tout, vu de là où ils partent, ils ont fait de leur
mieux".
Pour moi, le vrai respect, la vraie démocratie, c’est ceux de l’exigence et de l’excellence, à
la mesure de chaque personnalité prise dans sa singularité. Une utopie qu’aucun correcteur, ni
aucun professeur n’est vraiment en mesure de réaliser, tant l’esprit général de l’Éducation
nationale se contente du pis-aller.
Oui, il est possible d’avoir 20/20 au bac de philosophie, mais je ne suis pas certaine qu’il
faille s’en réjouir. À titre personnel, cette note sonnerait pour moi comme une humiliation :
le constat que je ne peux pas faire mieux que ce je fais. Qui veut se contenter de ne pouvoir
jamais se dépasser ?
http://leplus.nouvelobs.com/contribution/897888-resultats-du-bac-avoir-20-20-en-philo-c-estpossible-mais-c-est-une-humiliation.html