Paul Andreu : “La course aux l - Association française de l`éclairage
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Paul Andreu : “La course aux l - Association française de l`éclairage
LUX maître Paul Andreu : “La course aux l E n 1991, l’architecte Paul Andreu recevait le prix Alfred Monnier des mains du président de l’AFE, en la personne de Jean Balladur, pour sa mise en œuvre très personnelle et très novatrice de la lumière. Presque 15 ans se sont écoulés depuis. Nous avions pressenti l’architecte, membre honoraire de cette association, pour faire retour avec lui sur ce thème qui est au cœur de nos colonnes. Les récents et terribles événements qui se sont entre-temps produits à l’aéroport de Roissy, au printemps, devaient-ils empêcher l’architecte de nous parler ou, nous, de le rencontrer ? Nous avons tous jugé que non. Nous avions désiré qu’il nous parle de la lumière, et ce propos reste éloigné de la contingence, même si l’ambiance de l’entretien fut souvent à la tristesse. Pour cet X-Pont et architecte DPLG, la lumière, naturelle ou artificielle, est un matériau et non un accessoire. Pensée dès l’amont, elle termine l’ouvrage bâti et lui donne sa vraie dimension. Quel rapport entretenezvous avec la lumière ? PAUL ANDREU - Au début de ma carrière, la lumière n’était, pour moi, que ce qui rend visible et crée les ombres. Aujourd’hui, je la considère comme l’un des matériaux de la construction, mon alliée, ma partenaire. Ce qui résulte de cette alliance nous échappe, car elle joue ensuite sur le bâtiment, comme le temps, et parachève l’œuvre construite. Quand avez-vous intégré cette réflexion dans vos ouvrages ? P.A. - J’en ai fait la découverte Photo : Michel Jacquelin / ADP / AFP progressivement, jusqu’à la première réalisation fondée sur ma nouvelle perception : la gare TGV de Roissy, dont le toit de verre portant des sérigraphies de densité variable crée, 22 LUX n° 228 - Mai/Juin 2004 selon les passages du soleil, des ombres d’abord nettes puis qui s’évanouissent progressivement. Ensuite, ce fut le Musée maritime à Osaka où j’ai utilisé des feuilles métalliques prises en sandwich entre deux feuilles de verre pour créer des découpes d’ombre et de lumière. Ou encore dans l’aérogare du Caire : j’ai réalisé des tracés de lumière dans les murs, qui se mêlent aux traits de l’architecture. Ce dessin reprend, de façon contemporaine, celui des moucharabiehs, évoque plus intimement encore les traits de lumière que je voyais traverser les persiennes, lorsque j’étais petit, au moment de la sieste. La matière est traversée par la lumière naturelle, onctueuse, précise d’abord puis de plus en plus ronde jusqu’à l’estompe. Ce déclenchement onirique Petite biographie. Né en 1938, à Bordeaux, Paul Andreu, X-Pont en 1958, devenait architecte DPLG en 1968. À travers le monde, avec ADP, il a construit essentiellement des aéroports (une vingtaine), que ce soit à Paris, au Caire à Jakarta ou encore à Shanghai. Ses deux derniers projets asiatiques, qui devraient être livrés entre la fin de cette année et la fin de la prochaine, sont des lieux culturels : le Grand Théâtre national de Pékin et le Centre des arts orientaux de Shanghai. LUX maître ux est une idiotie” Vous nous parlez de lumière naturelle. Comment l’utilisation de la lumière artificielle rejoint-elle ces préoccupations ? P.A. - Mon cheminement fut le même. J’ai de plus en plus pensé à elle. Au début, je pensais nombre de lux, travail à partir des appareils du commerce, linéaire des gaines de ventilation. A l’époque, le grand ennemi était l’éclairage indirect, cher, au mauvais rendement. L’esthétique, le décoratif, on le réservait aux monuments. Je m’en suis libéré et le monde de l’éclairage n’en est plus là. Mais j’insiste : la course aux lux est une idiotie. Ce qui compte, c’est l’équilibre entre la lumière et l’ombre. Quels exemples nous donneriez-vous ? P.A. - Avez-vous lu Eloge de l’ombre du japonais Tanizaki Junichiro (1) ? Cet essai montre comment, au Japon, l’ombre est aimée et cultivée parce qu’elle laisse la surface des matériaux luire avec noblesse dans un écrin sombre, tandis qu’ils seraient outranciers, laids, sans intérêt s’ils étaient arrosés de lumière. C’est le cas de l’or. Dans l’opéra de Pékin, par exemple, que nous livrerons l’année prochaine, le mur en béton de la salle d’opéra est recouvert d’une résille de métal à trois nuances d’or doublée par un tissu qui servira d’absorbant. La lumière ne fera que s’y refléter. Si j’envoyais sur ce matériau un éclairage direct, la salle ressemblerait à un café-concert. L’éclairage artificiel doit savoir ménager ces zones presque obscures, parcimonieuses, qui permettent de faire ressortir la valeur de certaines matières. Il ne s’agit pas de tout plonger dans l’ombre. Au contraire. Dans ce même opéra, nous jouerons le contraste entre le flux lumineux intense de projecteurs puissants, envoyant leur lumière en contre-plongée vers le haut et de zones où le niveau d’éclairement atteindra à peine 30 lux. Travailler la variation des intensités, le rapport entre les zones très lumineuses et les autres, utiliser les propriétés réfléchissantes des surfaces, tout cela agit sur les volumes, les dilate, donne à l’ouvrage sa respiration, et donc une qualité d’ambiance qui influe sur les personnes s’y trouvant. C’est ce que j’ai voulu aussi pour les deux terminaux E et F de l’aéroport Charles-deGaulle. Plutôt qu’un nombre de lux, une sensation. La nuit, leur éclairage est faible en termes de lux, mais doux. même si je travaille avec eux. Plus généralement, dans les projets architecturaux, je crois qu’il faut un chef d’orchestre, que ce rôle revient à l’architecte lui-même et que cette conviction n’ôte rien à l’excellence des musiciens, ici les concepteurs, qui jouent dedans. En 1991, lorsque vous avez reçu le prix Alfred Monnier, vous rendiez hommage aux concepteurs lumière – vous citiez Louis Clair notamment – qui vous avaient appris “l’écriture de la nuit”. (2) Diriez-vous encore la même chose ? P.A. - Il y a sûrement un com- P.A. - Je crois toujours que la formation des architectes n’est pas suffisante, encore maintenant, dans ce domaine. Ils continuent trop souvent d’apprendre sur le tas et/ou, comme moi, grâce aux concepteurs lumière et aux industriels. Je pense toujours qu’un concepteur lumière peut m’apporter une expérience que je n’ai pas, une conception nouvelle ou un savoir technique. C’est pourquoi, sur le chantier de l’opéra de Pékin, j’ai fait appel au talent du japonais Mende, avec qui j’ai travaillé pour la première fois sur le Musée maritime d’Osaka. En revanche, mais je crois que ce n’est un secret pour personne, je suis plus réticent à reconnaître aux concepteurs lumière le fait qu’ils fassent œuvre solitaire, au sens artistique, même si beaucoup ont un talent absolument phénoménal. Ou, pour nuancer un peu ce propos qui pourrait les froisser, je n’ai pas envie, pour ma part, d’abandonner des morceaux de mon projet à des concepteurs, lisation à outrance, j’aime la médecine générale. Comme architecte, je me sens généraliste, capable d’éclairer sans concepteur lumière. Le concepteur lumière me fera découvrir toutefois des effets auxquels je n’aurais pas pensé tout seul. Inversement, je crois que certains concepteurs lumière, tout comme les architectes d’intérieur, ont toutes les qualités requises pour construire, devenir chef d’orchestre. Il est dommage que l’on raisonne aujourd’hui par spécialités. Vous savez que les concepteurs lumière se plaignent précisément de ne pas être reconnus comme créateurs, ni dans cette orchestration dont vous parlez, ni lorsqu’ils font œuvre solitaire, par exemple en illuminant un bâtiment vénérable, donc a posteriori. Comment intégrer ce débat dans votre propos ? P R O P O S R EC U E I L L I S PA R A N N E L O M B A R D (1) Publié par les publications orientalistes de France. (2) Lux n° 162, mars-avril 1991. Le prix Alfred Monnier est la plus haute distinction par laquelle l’Association française de l’éclairage récompense la valeur scientifique de personnalités du monde de l’éclairage. promis à trouver. Mais j’insiste. Ce que j’aime, c’est le travail en groupe. Je n’aime pas la spécia- Des luminaires sur mesure. En 1974, Paul Andreu dessinait pour le tout nouvel aéroport de RoissyCharles-de-Gaulle un luminaire d’éclairage routier, qui a connu un franc succès sur le territoire national comme à l’étranger. Le modèle Roissy vit encore aujourd’hui. En avril 2004, au cours du salon Light & Building, qui se déroulait à Francfort, un autre luminaire, Gem, également conçu pour l’aéroport de Roissy, il y a deux ans, a été primé lors du concours Design+. A chaque fois, l’architecte a voulu créer ce qu’il ne pouvait trouver dans le commerce. Dans le premier cas, tout devait être nouveau à Roissy, jusqu’au “jingle” de l’aéroport (le signal sonore) commandé spécialement à l’ORTF. La surface de luminaire ovoïde Gem en polycarbonate translucide présente des stries plates qui composent des carrés. Il possède un réflecteur perforé et peut éclairer vers le haut et vers le bas. Dessiné avec iGuzzini, son design reproduit la maille carrée des voûtes à caissons où il est installé et des alvéoles qui laissent passer la lumière du jour dans le terminal. La lumière, découpée par la gravure de surface, présente de subtiles différences d’intensité, selon qu’elle passe par la strie ou par le losange qu’elle dessine, qui est un peu plus opaque. Le luminaire est équipé de lampes à induction à très longue durée de vie. Il devrait être installé à l’opéra de Pékin, dont il paraît être la miniature. Photo DR aboutit plus concrètement à livrer l’objet, le bâtiment, à la lumière pour qu’elle l’achève, le termine. LUX n° 228 - Mai/Juin 2004 23