YAN PEI-MING - David Zwirner

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YAN PEI-MING - David Zwirner
PORTRAIT
YAN PEI-MING
LE ROUGE ET LE NOIR
Le grand artiste franco-chinois – qui expose aujourd’hui à New York – veut être le
peintre de l’Histoire contemporaine. À coups de larges brosses et en bichromie...
PAR ELODIE PERRODIL
L
e talent prend parfois des
voies détournée. Yan PeiMing a appris la peinture
car il souffrait de bégaiement. « J’ai toujours
imaginé un autre langage
pour remplacer la parole », confie
aujourd’hui l’un des artistes les plus
doués de sa génération en tirant sur son
gros cigare, ses cheveux longs balayant
ses joues. Son physique est asiatique,
mais il a la gouaille chaleureuse de ceux
qui ont appris le français dans la rue. Il
nous invite à entrer dans la galerie newyorkaise David Zwirner. Dans ce grand
espace blanc où sont suspendues,
jusqu’au 23 juin, cinq de ses toiles les
plus récentes (*).
Aux cimaises ? Quatre opus très sombres et un écarlate : sa réinterprétation
de Tres de Mayo 1808, le tableau magistral de Goya, intitulé ici Exécution,
Après Goya, 2008. Le sang des révolutionnaires espagnols semble s’être
écoulé du rouleau de Yan Mei-Ping,
qui se décrit comme « le peintre du
XXI e siècle ». L’artiste s’inspire de
l’actualité. Et quoi de plus actuel, en
effet, que le Printemps arabe ou la fin
du colonel Kadhafi, représenté gisant
de tout son long, plus grand que
nature, des traces de sang frais sur le
visage ? Ou encore cet Acropole plongé
dans le noir par le vol des corbeaux ?
« La Grèce, c’est notre civilisation
occidentale, c’est le berceau de la
démocratie, qui nous regarde. Dans
l’exposition, ce tableau fait face au cadavre de Kadhafi qui est mort sur ses propres victimes. Tout est mis en cause. »
Yan Pei-Ming peint la tragédie
humaine, mais son histoire est celle d’un
conte de fées. Né en 1960 à Shanghai,
il grandit pendant la Révolution culturelle. Le régime communiste de Mao
Zedong ne lui offrait que peu d’options.
« J’avais deux rêves : dessiner des affiches
de cinéma ou faire des portraits funéraires. » Son handicap le conduit de sa
Chine natale en France, où il entre
à l’École des beaux-arts de Dijon, en
1980. Trente ans plus tard, le FrancoChinois a pris sa revanche sur ses débuts
difficiles : ses œuvres font partie des
collections permanentes de plusieurs
« TOUT EST MIS EN
CAUSE. »
musées de renommée internationale,
dont celui de Shangai. En 2009, il
entre en grande pompe au Louvre, à
Paris, avec son triptyque Les Funérailles
de Mona Lisa : une Joconde surdimensionnée, en pleurs, entourée d’un portrait du père de l’artiste sur son lit de
mort et d’un autoportrait.
À coups de larges brosses et en bichromie, Yan Pei-Ming s’est inventé un
style unique. « Il n’a jamais essayé de
faire des chinoiseries, souligne le galeriste belge Rodolphe Janssen qui l’a
découvert en 1991 et a organisé plusieurs expositions de son travail. Même
quand il peignait Mao, ce dernier était
interprété façon posters politiques ironiques sur le pouvoir officiel, à la
manière d’Andy Warhol. Il ne joue pas
sur le fait qu’il est chinois. Même s’il
était anglais, il serait un grand peintre. » Avec son visage rond et débonnaire, ses yeux pétillants, rien chez Yan
Pei-Ming ne traduit l’angoisse de ses
tableaux. Il bosse avec bonheur et sans
penser à sa réussite. « Il y a un proverbe
chinois qui dit « Impossible de savoir
quelle hauteur fait le ciel et quelle est la
profondeur de la terre. » Si on comprend cela, on reste humble. » ■
(*) Black Painting, www.davidzwirner.com
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MASAHIRO HANDA/COURTESY THE ARTIST AND DAVID ZWIRNER, NEW YORK
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