Particularités du juron dans le français québécois
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Particularités du juron dans le français québécois
Particularités du juron dans le français québécois k albot yra Keiksmažodžiai Kvebeko provincijos prancūzų kalboje Particularités du juron dans le français québécois Jurgita MATAČIŪNAITĖ, Keiksmažodžiai Kvebeko provincijos prancūzų kalboje Département d’études françaises, Maîtrise en français, Université de Moncton,E1A 3E9, Canada [email protected] Vilhelmina VITKAUSKIENĖ Université de Vilnius LT-01513. Vilnius, Lituanie [email protected] Santrauka žodžių analizė, pagrįsta paplitusia sacres vartosena įvairiuose šaltiniuose: Kvebeko literatūroje, spaudoje, televizijoje bei kasdienėje kalboje. Sociolingvistinis leksikologinės analizės aspektas patvirtino Kanados mokslininkų vyraujančią nuomonę, kad aptartieji keiksmažodžiai, ilgą laiką Kvebeko gyventojams buvę tabu, šiandien tapo šios provincijos išskirtiniais identiteto skiriamaisiais ženklais. Mūsų lingvistinė analizė leido geriau susipažinti su frankofonų kultūra ir prieiti prie išvados, kad sacres yra ne tik laikytini Kvebeko familiariosios kalbos ypatumais, o dar daugiau, – jie išplečia ir prancūzų vulgariosios/familiariosios kalbos pažinimo ribas. Esminiai žodžiai: šventenybės (sacre), keiksmažodis (juron), leksema (lexème), žargoniniai žodžiai(mots argotiques), žargonas joual (joual), Kvebeko prancūzų kalba (français québécois), familiarioji prancūzų kalba (français familier), kalbos registrai (registres de langue). Swearwords in the Quebec French The paper “Swearwords in the Quebec French” is intended to analyse the swearwords of Quebec, or the so-called sacres, from the lexicology point of view, while giving a socio-linguistic assessment of the phenomenon. The research methods are descriptive and statistical. Various theoretical and historical sources helped us look into the origin and meaning of the object. Syntactic, semantic, and morphological aspects of the swearwords are discussed from the diachronic point of view, indicating the causes of their occurrence in the province of Quebec. Particular attention 36 is paid to the papers of Canadian linguists Michel Prénovost, Jean-Pierre Pichette and others. We use their classification of swearwords depending on their meaning and morphological structure. A syntactic and lexical-semantic analysis has been undertaken. It is based on the common usage of the sacres in various layers of the society, including the Quebec literature, newspapers, television and everyday speech. A socio-linguistic aspect of the lexicology analysis confirmed the prevailing opinion of Canadian researchers that the swearwords – a long-time taboo , Summary Jurgita MATAČIŪNAITĖ Vilhelmina VITKAUSKIENĖ Straipsnio „Keiksmažodžiai Kvebeko provincijos prancūzų kalboje“ tikslas – sociolingvistiniu ir leksikologiniu aspektais išanalizuoti vienos iš Kanados provincijų – Kvebeko – keiksmažodžius, vadinamuosius sacres (šventenybės) bei pateikti šio reiškinio sociolingvistinį vertinimą. Mokslinio tyrimo metodai – deskriptyvinis ir statistinis. Gausi teorinė ir istorinė literatūra padėjo įsigilinti į šio reiškinio kilmę ir prasmę. Prieš tai šie keiksmažodžiai aptarti sintaksiniu, semantiniu, morfologiniu aspektais, diachroniškai apžvelgtos jų atsiradimo Kvebeko provincijoje priežastys. Pristatyta tyrinėjamos temos mokslinių darbų apžvalga. Ypatingas dėmesys atkreiptas į Kanados lingvistų, Jean-Pierre Pichette, Clément Légaré, André Bougaïeff ir kt. darbus, remiamasi jų atliktais keiksmažodžių skirstymais pagal reikšmę ir morfologinę (darybinę) sandarą. Taip pat pateikta sintaksinė analizė, parodanti, kokias sakinio dalis gali pakeisti tokio tipo keiksmažodžiai, bei leksiko-semantinė pačių populiariausių keiksma- žmogus ir žodis 2010 III subject for the residents of Quebec – has now become a sign of the province identity. Our linguistic analysis has enabled us to better understand the Francophone culture and come to the conclusion that the sacres do not fall out of the context of the standard French; they can be regarded as a feature of the Quebec familiar language in particular, and as an extension of the limits of the familiar French language in general. Key������ ����� words: Sacre, swearword, cursing word, invective, slang, slang joual, Quebec French, familiar French, standard French, language registers. Introduction définissant des objets, des concepts ou des personnages qui ont un rapport avec la religion chrétienne» [Le Petit Robert, 1997]. D’après la théorie de Freud, le juron a une signification cachée, c’est-à-dire qu’on l’interprète comme le rejet des contraintes sociales et religieuses. Dans le cas des jurons québécois nous parlerons du rejet des contraintes imposées par le clergé (Hardy, 1999, p. 190). Jurer vient du mot latin jurare qui signifie faire serment ou plus précisément prendre par serment Dieu ou quelqu’un ou quelque chose à témoin, attester par serment Dieu, une personne ou une chose qu’on juge sacrée. Jurer est un synonyme de blasphémer dans le sens que les deux invoquent sans nécessité le nom de Dieu, des Saints ou des choses liturgiques (Le Petit Robert, 1997). Le sacre est un phénomène parmi d’autres mots argotiques du français qui appartient à la classe des jurons. Le lexème sacre, de la catégorie des noms masculins, renvoie en français à trois homonymes dont deux font partie de la langue commune, le troisième appartenant au registre de langue populaire du Québec. Selon Le Petit Robert, sacre, lexème 1. désigne la cérémonie religieuse au cours de laquelle un personnage est investi solennellement du pouvoir soit civil soit ecclésiastique. Sacre, lexème 2. comme un terme de zoologie et de chasse, dénomme une variété de faucon qu’on utilise à la chasse. Le sens du sacre, lexème 3. est donné comme l’équivalent de l’acceptation du juron dérivé du vocabulaire religieux (Le Petit Robert, 1997). Dans le français québécois le sacre fait partie du joual qui n’est pas identique au français québécois standard et si nous essayons de placer le joual parmi les niveaux de langue, il serait attribué à la langue familière. Les mots sacrés deviennent des jurons en changeant leur sens, c’est-à-dire quand un signifiant dans un contexte sacrilège renvoie non à son signifié habituel, mais à son antonyme. Par exemple, le mot sacré qui, dans ce sens, voulait dire détestable. Ou le cas du juron Le but de cet article est de faire une analyse linguistique d’une des particularités très marquantes du français québécois, c’est-à-dire son juron, dit le sacre. Pour arriver à ce but, nous avons utilisé une riche bibliographie des œuvres théoriques et historiques ainsi que de diverses sources littéraires telles que la pièce de théâtre, le roman et la poésie, afin de dévoiler l’emploi du sacre dans les médias et la langue quotidienne au Québec. Avant de procéder à l’analyse linguistique détaillée des sacres d’après leur sens et leur forme morphologique, d’après leur emploi syntaxique et celui des niveaux de la langue, on a eu recours à l’aperçu diachronique des travaux de recherches concernant le sacre. Souvent nous nous réclamons des œuvres des linguistes canadiens M. Prénovost, J.-P. Pichette et d’autres. De nos jours, les sacres ont perdu leur aspect sacré et sont devenus pour les Québécois une sorte de manière populaire de se reconnaître entre eux. Des spécialistes en sociolinguistique ont analysé les diverses fonctions du sacre ainsi que ses motivations psychologiques. Le juron québécois, dit sacre, longtemps était le terme tabou. Comme le sacre est le témoin d’identification au Québec, son analyse linguistique nous permet de connaître mieux la culture francophone afin de réfuter la théorie que le juron n’appartient qu’au niveau vulgaire de la langue. Analyse Les Québécois gardent leur identité en enrichissant la langue avec une variété de mots et d’expressions dites québécismes. Les québécismes doivent principalement servir à dénommer des réalités concrètes ou abstraites qui n’ont pas de correspondant ou qui ne sont pas encore dénommées en français, ou pour lesquelles les dominations québécoises qui les expriment ont acquis un statut linguistique ou culturel qui les rend difficilement remplaçables» [Énoncé,1985, 16]. Les sacres sont «des jurons ou des formules de jurons fondés par l’emploi ou la déformation de mots Il est à noter que les Québécois utilisent les sacres où les Français, eux, préfèrent les expressions à caractère sexuel (Le Petit Robert, 1997) ISSN 1392-8600 k albot yra 37 38 Jusqu’au début de XIX siècle, on ne trouve que quelques sacres, comme nom de Dieu ou baptême qui sont les jurons les plus fréquents. Vierge noire, sacré Jésus, sacré Dieu noir sont déjà plus fréquents à la deuxième moitié du siècle. Et les sacres qui renvoient aux vases liturgiques, au calvaire et au tabernacle apparaissent dans la dernière décennie du siècle. La première indication de l’usage progressif des sacres dont le caractère est blasphématoire se trouve dans les textes juridiques (Hardy, 1999, 193–195). Jusqu’à la fin du XIX s. les personnes qui blasphémaient étaient punies par le tribunal. Mais des organismes contre le blasphème existaient encore tout au long du XX s. Par exemple, la première de ses grandes campagnes est l’œuvre de l’Association des voyageurs du commerce qui, se destine à moraliser et à désinfecter le langage des Canadiens. Ses membres ont mis partout des images du Sacré-Cœur avec l’inscription Ne me blasphémez pas ou des affiches 40 $ d’amende au blasphémateur. [Hardy, 1999, 201–202]. Au milieu du XX s. sur les places publiques, on peut déjà trouver des affiches beaucoup plus insultantes, par exemple, seuls, l’idiot et l’ignorant sacrent et blasphèment (Pichette, 1980, 135). À la fin du XIXe s. on pouvait entendre plus d’expressions comme sacrer comme un draveur ou sacrer comme un bûcheron parce que ces deux métiers étaient à l’époque les plus populaires. Et parce que ces groupes d’hommes travailleurs étaient rassemblés dans des territoires éloignés du milieu social où il n’y avait pas le même respect des tabous. Il ne faut pas oublier non plus « l’aide » de l’alcool qui empêche normalement la transgression des interdictions, aussi le manque d’éducation et de formation intellectuelle (Hardy, 1999, 202–203). Au début du XXe s. le Québec est marqué par l’industrialisation. Ce sont plutôt les employeurs des scieries ou les travailleurs de la construction et des usines qui « servent » pour former de telles expressions (Hardy, 1999, 204). Jusqu’aux années 70, les sacres étaient surtout employés par les hommes qui les utilisaient pour marquer leur virilité. Les femmes en ont utilisés quelques-uns aussi. Pourtant pour une femme le processus de sacrer signifiait plutôt prouver à l’homme son affranchissement (Charest, 1974, 63– 64). De nos jours, on peut observer l’usage des sacres dans toutes les catégories sociales. Les Québécois sacrent de plus en plus pour compenser l’insuffisance de la langue officielle. Expliquer le sacre québécois c’est aussi analyser la place de l’Église dans la société afin de comprendre pourquoi le juron du Québec s’attaque exclusivement à cet univers sacré. , sacré tordieu dont le sens premier tort à Dieu perd sa signification paisible en prenant celle que les anglophones traduisent damn twisted God (Légaré, Bougaïeff, 1984, 197). On nomme le processus de sacrer – la sacrure ou le sacrage et celui qui sacre, sacreur ou sacrard. Le français québécois possède d’autres mots pour désigner la personne qui sacre, par exemple, le terme de baptémeux, blasphémateur, maudisseur. Le verbe sacrer peut être remplacé par baptémer, câlisser, ciboirer, crisser, hostier, maudire, c’est-à-dire les verbes synonymes, dérivés des sacres les plus populaires (Pichette, 1980, 27–28). Les Québécois francophones n’ont pas cessé d’étonner avec leurs jurons inédits, empruntés au vocabulaire du culte catholique. Les sacres sont utilisés à tel point que, par exemple, les Mexicains appellent les Québécois los Tabarnacos en référence à une petite armoire dans l’église contenant le ciboire ou au juron grossier au Québec, dit le sacre (Hardy, 1999, 189). Chez l’adulte, l’utilisation fréquente des sacres montre un manque de culture. Il est quand même utilisé dans les cas extrêmes, là où le juron ordinaire ne suffit plus, par exemple, l’expression comme crisse-moi la paix, veux-tu! (Donne-moi la paix, s’il te plait!). Chez l’adolescent, c’est une façon de s’affirmer. Pour les jeunes le sacre n’est qu’un élément stylistique du langage hérité de la génération précédente. Aperçu des travaux de recherches sur le sacre. Le juron québécois, dit sacre, longtemps était le terme tabou. De nos jours, les sacres ont perdu leur aspect sacré et sont devenus pour les Québécois une sorte de manière populaire de se reconnaître entre eux. Beaucoup de spécialistes en sociolinguistique ont étudié les diverses fonctions du sacre ainsi que ses motivations psychologiques. Les riches recherches sur les interdits conversationnels parmi lesquels nous trouvons les sacres ont été faites par Gilles Charest (Charest G., 1974), Nancy Huston (Huston N., 1980) et D. Vincent (Vincent, D., 1982). René Hardy nous a laissé un très bon aperçu historique du juron québécois du même que l’analyse des causes qui auraient pu influencer son apparition et une vaste utilisation au Québec (Hardy R.,1999). Le côté sémio-linguistique du sacre a été étudié par Clément Légaré et André Bougaïeff (Légaré, Bougaïeff, 1984). L. Benveniste (Benveniste L., 1969) s’est penché sur la question de l’euphémie dans le phénomène du sacre, tandis que Michel Prénovost (Prénovost M., 2006) et Jean-Pierre Pichette Pichette (Pichette J.-P., 1980) nous intéressent surtout pour la description et la classification de ce juron québécois. Keiksmažodžiai Kvebeko provincijos prancūzų kalboje Jurgita MATAČIŪNAITĖ Vilhelmina VITKAUSKIENĖ Particularités du juron dans le français québécois žmogus ir žodis 2010 III k albot yra Le grand pouvoir clérical imposé au XIXe siècle et son caractère offensif qui menaient les gens à utiliser des mots sacrés comme les jurons. Le sacre exprime les sentiments et les émotions contradictoires après l’époque de la prédominance religieuse. Les jurons s’attaquent donc aux symboles les plus sacrées de l’Église, tels que le ciboire, le calice, le calvaire ou le tabernacle. Bien sûr que l’aspect phonétique joue aussi un grand rôle. La perte ou l’atténuation du sens du juron expliquerait le fait qu’il étend largement et qu’il passe au rang d’une sorte d’archaïsme trop usé dont la première signification est déjà oubliée (Hardy, 1999, 204–207). Classement des sacres d’après leur signification. Dans la littérature linguistique, le plus souvent les sacres sont classés d’après leur signification et le phénomène qu’ils décrivent. Voici les sacres les plus utilisés, classés par Michel Prénovost d’après leur signification [http://pages.videotron.com/mic6 preno/index.htm]: SACRE PERSONNAGES OBJETS CONCEPTS Christ Hostie Sacrement Vierge Ciboire Sacrifice Diable Tabernacle Baptême Bon Dieu Crucifix Eucharistie Saint Esprit Eau bénite LIEU Calvaire Dans nousnous nousréclamons réclamons l’altération. Certainsdes sacres sont déformés par les Dansnos nos recherches recherches nous du du classement plus intéressant sacres québécois classement plus intéressant des sacres québécois usagers à un tel point qu’il devient très difficile de les proposé par J.- P. Pichette [Pichette, 1980, 30 - 31], qui dans son « Guide raisonné du juron » proposé par J.- P. Pichette [Pichette, 1980, 30–31], reconnaître. Voici un fragment du tableau des sacres sortes de jurons qui distingue dans son trois «Guide raisonné du a,b,c: juron» distingue et leurs dérivés, que nous avons établi après avoir trois sortes de jurons a,b,c: analysé les propositions du classement de Pichette a) Les expressions religieuses authentiques. Ce sont les mots religieux pris tels quels de la langue a) Les expressions religieuses authentiques. Ce et de Charest: par exemple, lesquels nomsdedivins (Christ, sont liturgique, les mots religieux pris tels la langue li- Dieu,), les noms des saints (Sainte Vierge, saint turgique, par exemple, les noms divins (Christ, Dieu), Antoine), les sacrements (baptême, Eucharistie), les choses (hostie, des vêtements Origine Dérivéstabernacle), / Signification les noms des saints (Sainte2 Vierge, saint Antoine), les Christ Noms: clisse,des clousse, clif, liturgiques (chasuble , robe-noire), etc. On peut diviser les locutions de lacrisse, catégorie expressions sacrements (baptême, Eucharistie), les choses (hostie, crim, cric, crousse, cristi, cristophe tabernacle), desauthentiques vêtements liturgiques (chasuble religieuses en deux parties : celles, qui sont pleines de de grossièreté, comme (onmalice, fait la pause entre les syllabes: robe-noire), etc. On peut diviser les locutions de 3la de Christ), hostie dans le trou de cul, hostie à la marde , et celles qui sontcris-tophe), torvisse plutôt péjoratives,(corps ironiques, par catégorie des expressions religieuses authentiques crissage, décrissage, déconcrissage, exemple, dans le restaurant, le Québécois peut il goûtera une hostiechristie au lard(de en deux parties: celles qui sont pleines de malice, dedire que pour l’entrée crissaillage, décrissaillage, Christ et hostie). grossièreté, comme hostie dans le trou de cul, hostie servie avec l’hostie toasté. Verbes: crisser, décrisser, déconcrisser, à la marde, et celles qui sont plutôt péjoratives, irob) par Lesexemple, mots dérivés ou composés. Les façons de modifier contrecrisser, les jurons sont nombreuses : la concrisser, reconcrisser, niques, dans le restaurant, le Québécois recrisser, crissailler, décrissailler. peutdérivation, dire que pour l’entrée il goûtera une hostie au la composition, la juxtaposition des deux mots ou l’altération. Certains sacres sont Adjectifs ou attributs: crisseur (-se), lard servie avec l’hostie toasté. déformés par les usagers à un tel point qu’il devient très difficile de les(-se), reconnaître. Voici un décrisseur déconcrisseur (-se), b) Les mots dérivés ou composés. Les façons de crisailleur (-se), décrissailleur (-se), fragment du tableau des sacres etla leurs dérivés, que nous avons établi après avoir analysé les modifier les jurons sont nombreuses: dérivation, crissable, décrissable, déconcrissable. la composition, la juxtaposition des deux mots ou propositions du classement de Pichette et de Charest : → Vêtement sacerdotal en forme de manteau sans manche, porté par le prêtre qui célèbre la messe (Le Petit Robert, 1997). Origine Dérivés / Signification Façon de prononcer le mot « merde » au Québec. Christ ISSN 1392-8600 Calice Noms : crisse, clisse, clousse, clif, crim, cric, crousse, cristi, cristophe (on fait la pause entre les syllabes : cris-tophe), torvisse 2 Vêtement sacerdotal en forme de manteau sans manche, porté par le prêtre qui célèbre la messe ([Le Petit Robert, 1997). 3 Façon de prononcer le mot « merde » au Québec. 39 Origine Hostie4 Tabernacle5 Dérivés / Signification Noms: osti, stie, asti, esti(e), ostine, estine, nostie, ostifie (de hostie et crucifix), estif, ostibouère (de hostie et ciboire), (h)ostinâtion (de hostie et obstination), sapristi, pristi (de sacré et hostie). Adjectifs: hostique Noms: tabarnac, tabarnak, tabarouette, tabarnouche, tabernouche, tabarnache, tabarname, tabarnane, tabarniche, tabarnik, tabarsac(k), tabaslac(k) ou tabarslaque, taboire (de tabernacle et ciboire), tabarsloune, tabouère, tabernicle, tabargeolle, cacarnac ou kakarnak, barnac(k), batarnac(k). Verbes: tabarnaquer, détabarnaquer. c) Les jurons profanes ou les euphémismes. Une autre façon de faire un juron, c’est de le suggérer phonétiquement. Le mot qu’on emploie n’a aucun sens injurieux parce qu’il existe indépendamment et a une signification stable, mais sa consonance rappelle celle du juron. Alors le mot employé est considéré comme un euphémisme qui appartient d’après Pichette à la liste des jurons profanes (Pichette, 1980, 32–33). Pour faire cette liste nous nous sommes servis du modèle de Pichette: A titre d’exemple: Euphémismes Cric ou crique Christmas Crime Cristal Christophe Crêpe Sacrifice Cimetière Cigare Citron Désespoir Espoir Six-boîtes Six-bols Cul-noir Jurons suggérés Christ (Sacré fils – Christ) Ciboire - Emploi du sacre dans les différents niveaux de la langue. Nos recherches nous ont fait voir que le plus souvent les sacres sont utilisés dans le niveau populaire ou familier de la langue, c’est-à-dire dans On entend presque toujours les dérivés noms, surtout esti ou sti. Le sacre est un des plus employés mais ne semble pas se diversifier (Charest, 1974, 41). Le sacre dont les dérivés sont très répandus (Michel Prénovost). 40 la langue parlée. Lorsqu’on écrit le sacre sur papier, il perd son charme et une partie importante de sa puissance. Pourtant, quand la langue écrite transmet la langue parlée, comme par exemple, dans le cas du théâtre, de l’interview ou de TV show, les sacres sont bel et bien présents. Pour démontrer que les sacres sont un phénomène bien répandu dans la langue orale, ainsi que dans le patrimoine écrit, nous avons analysé l’utilisation du juron dans de différentes sphères de la culture québécoise: dans les médias (TV show « Têtes à claque »); dans le théâtre (Jean Barbeau, Joualez-moi d’amour, Jean-Claude Germain, Le roi des mises à bas prix, Michel Tremblay, Les Bellessœurs); dans le roman (Jacques Godbout, Salut, Galarneau! et Jacques Benoît, Des voleurs); dans la poésie (Gérald Godin, Libertés surveillés). Alors, le sacre est bien répandu dans plusieurs des niveaux de la langue, mais il n’y apparaît pas de la même façon. Il est le plus utilisé au niveau vulgaire de la langue. Au niveau recherché, il n’apparait presque jamais. Au niveau familier, les sacres sont souvent accompagnés par des excuses, comme, par exemple, après avoir sacré on ajoute: excusez-moi de cette expression, mais… . En ce qui concerne la littérature, très souvent les phrases dans la langue familière sont mises entre guillemets ou en italique. Au niveau populaire, ce sont les dérivés qui sont plus utilisés comme l’affirmation de soi-même ou l’appartenance au peuple québécois en général (Charest, 1974, 74). Emploi syntaxique du sacre. Notre analyse a confirmé l’avis de Michel Prénovost (Voir son site d’Internet [http://pages.videotron.com/micpreno/ index.htm) selon lequel on retrouve les sacres sous forme de toutes les parties de la proposition: - interjection au début de la phrase: Ex.: Tabarnak ! C’est bon ! Tabarnak (dérivé du tabernacle) peut être remplacé par les sacres suivants ou un de leurs dérivés: Vierge, bon Dieu, hostie, ciboire, tabernacle, calice, sacrement, sacrifice, baptême, calvaire, etc. - nom pour indiquer la péjoration: Ex.: Hostie, il m’a eu! Hostie peut être remplacé par les mêmes sacres ou un de leurs dérivés comme dans l’exemple de Tabarnak. C’est fini! Je veux te voir. Notre calvaire est terminé! Calvaire dans ce cas-là signifie l’enfer, les relations insupportables. - verbe pour donner de l’intensité à sa pensée: Ex.: Je vais te crisser (donner) une volée si tu continues à m’écoeurer! Décrisse-toé de ma vie! (Laisse-moi tranquille), Je me crisse de tout ça! (Je m’en fous). On peut remplacer crisser par câlisser et ses dérivés qui gardent le même sens. , → Keiksmažodžiai Kvebeko provincijos prancūzų kalboje Jurgita MATAČIŪNAITĖ Vilhelmina VITKAUSKIENĖ Particularités du juron dans le français québécois žmogus ir žodis 2010 III - adverbe pour insister sur le syntagme verbal: Ex.: Ce gars-là, il est crissement parfait! Il fait crissement beau ! ou Il travaille vite en sacrament! - devant un adjectif pour indiquer le superlatif: Ex.: As-tu vu la crisse de belle fille qui vient de passer? ou Et le plus crissant, c’est qu’elle ne regrettait même pas ! Crisse peut être remplacé par d’autres sacres ou leurs dérivés. - à la suite d’un verbe suivi de la préposition en pour marquer l’état d’âme ou la manière de faire: Ex.: C’est beau en tabarnak ! Tabarnak peut être remplacé par d’autres sacres ou leurs dérivés. - complément d’un autre sacre: Ex.: Mon tabarnak d’hostie de calvaire de pas bon, tu n’es qu’un hypocrite! - locution: Ex.: Tabarouette de tabarouette ! ou Bout de torrieux ! Les locutions peuvent être des alliances de dérivés avec des jurons religieux authentiques ou des mots simples (comme bout de notre exemple) ou peuvent être utilisés comme des regroupements entre eux (l’exemple avec tabarouette ) (Pichette, 1980, 35–36). - fusion de deux sacres: Ex.: Taboire est né de la fusion de tabernacle et ciboire. Caliboire de celle de calice et ciboire. Ce qui pose des problèmes dans cette branche d’analyse linguistique, c’est qu’il est très difficile de dire quelle valeur sémantique acquiert chaque emploi du sacre. Par exemple, comment pouvons-nous expliquer laquelle de ces expressions est la plus ou la moins marquée sémantiquement ? Un christ de bel homme. Christ ! C’est un bel homme ! C’est un christ de câlisse de bel homme. Ou par exemple, comment pouvonsnous juger des nuances entre ces exemples: Un hostie de bel homme. Un sacrament de bel homme. Dans la langue parlée il est assez difficile de faire la différence entre les sacres utilisés, leurs valeurs sémantiques ou leurs nuances (Charest, 1974, 45–46). Pourtant, il existe des expressions ou des comparaisons dont la signification est assez claire. Par exemple: Mal de tête gros comme un calvaire. Brillant (e) comme un câlisse (calice) (Charest, 1974, 47). Conclusions Notre analyse linguistique nous a permis de constater le suivant: - Les sacres appartiennent à la classe des jurons, c’est-à-dire à la langue orale dont le vocabulaire est plus pittoresque et surprenant. - Les causes d’une utilisation vaste des sacres sont multiples: l’influence du milieu, l’alcool, l’esclavage au travail, la sévérité de l’Église, l’ignorance, l’habitude et le désir de se montrer. Pourtant, la haine envers Dieu n’est invoquée dans aucune source. À travers les transformations profondes qu’avait subies la société québécoise, les sacres se sont transformés peu à peu. L’Église québécoise n’a plus le même pouvoir qu’avant et les sacres ont perdu leur signification sacrée. - Maintenant le sacre est devenu l’affirmation de soi-même, une sorte d’acte social. Les sacres se concentrent sur l’Eucharistie, la chose la plus sacrée de l’Église. Au centre de ce sacrement nous avons l’hostie et le calice, symboles de Jésus. Viennent ensuite les autres objets du culte: le tabernacle, le ciboire, etc. Pourtant, plus le sacre s’éloigne du corps du Christ, plus il perd sa puissance injurieuse, comme c’est le cas avec les dérivés. - Le sacre est plus souvent repéré sous la forme de dérivé (56 %) que celle d’expression religieuse authentique (44 %). Les Québécois évitaient de prononcer les expressions religieuses authentiques par peur de Dieu, de l’Église et de la punition. Par contre, le dérivé échappe à la relation directe avec les phénomènes sacrés. - Les sacres et leurs dérivés les plus utilisés sont: Christ, Vierge, Calice, Hostie, Ciboire, Baptême, Tabernacle, Sacrement, Calvaire. - Les différents emplois syntaxiques du juron: nom, verbe, locution, interjection, adverbe, aussi le sacre suivi de la préposition en ou utilisé devant un adjectif pour marquer le superlatif. - Ce qui crée l’originalité du sacre québécois, c’est sa créativité grammaticale. Des noms peuvent se transformer en verbes, adverbes ou adjectifs. Les sacres remplissent de multiples fonctions. Ils peuvent exprimer la rage, la colère, la joie bien sûr, mais ils ponctuent aussi les phrases. Les Québécois se permettent d’altérer les mots sacrés par n’importe quel moyen: la dérivation, la composition ou l’altération. - Aujourd’hui les sacres sont si bien ancrés dans le quotidien des Québécois que nous les retrouvons partout. La littérature, le cinéma, le théâtre, les médias en sont bel et bien la preuve. - Ce travail montre que les sacres au Québec ont acquis des significations que les mots du français standard n’ont jamais connues. Les sacres se sont intégrés à la langue en formant, de façon naturelle avec les autres mots, des lexèmes originaux par rapport à ceux du français standard. Notre analyse linguistique prouve aussi que les sacres sont un domaine riche en variété de questions et de possibilités pour la recherche. ISSN 1392-8600 k albot yra 41 Particularités du juron dans le français québécois Littérature Le Petit Robert, 1997, Paris. Pichette J.-P., 1980��,� Guide raisonné du juron, Quinze, Montréal: Collection Mémoires d’homme. Prénovost M., 2006��,� Les sacres au Québec. Expressions Québécoises. Available at: http://pages.videotron. com/micpreno/index.htm). Robitaille A., 1998��,� Sacres et autres péchés de langue. Moncton: Le Devoir, le 26 septembre. 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