UN JOUR SANS FIN - Raconter le travail

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UN JOUR SANS FIN - Raconter le travail
Samir
UN JOUR SANS FIN
Infirmier en collège, Samir, partout et toujours, étonne ses interlocuteurs par le simple
fait d’être présent à son poste. Une chronique humoristique avec inscrite, en filigrane,
l’infinie variété des tâches et missions des infirmiers et infirmières scolaires.
« Il y a malheureusement aussi des accidents graves qui nécessitent une certaine expertise pour
déterminer s’il faut seulement prévenir les parents ou alerter les secours… »
Il y a une expression que les infirmiers scolaires entendent avant même d’être salués : « Tu es
là aujourd’hui !!! ».
Je dois reconnaître que, pour moi, c’est un peu différent car partout où je vais, j’y ai droit…
Ça commence le matin à la maison :
– Tu travailles aujourd’hui, chéri ?
– Euh, oui, comme tous les jours…
– Ah d’accord, à ce soir.
J’arrive au collège où je suis présent tous les jeudis et vendredis, plus un mercredi sur deux :
– Bonjour, mais tu es là aujourd’hui ?
– Euh, oui, comme tous les vendredis...
Je vous passe les réflexions du principal, de la principale adjointe, des secrétaires, de la dame de
l’accueil, des CPE, des profs que je croise, des surveillants, des personnels chargés de l’entretien… pour en arriver à la première phrase qu’un élève prononce quand, ouvrant la porte de
l’infirmerie, il me voit assis derrière mon bureau, tout sourire :
– Vous êtes là, aujourd’hui, Monsieur !!!
J’ai droit aussi dans la journée aux surveillants qui accompagnent des élèves et qui, en
entrant, me disent immanquablement :
– Ah, tu es là. Je t’amène cet élève pour…
Il faut savoir que les infirmiers, comme tous les autres personnels, doivent demander des
autorisations d’absence en temps et en heure s’ils ont besoin d’un congé exceptionnel. Leurs
absences sont donc prévues et signalées à l’avance aux personnels de la vie scolaire, à l’accueil
et aux personnes qui entretiennent les locaux (notamment pour ne pas perdre de temps à
l’infirmerie quand il n’y a personne).
Il y a plus fort encore : afin d’être joignable en permanence lorsque je travaille au collège, je
dispose d’un téléphone sans fil qui ne fonctionne que dans l’enceinte de l’établissement, mais
systématiquement quand je décroche, j’entends :
– Tu es dans le collège ?
D’autant que je n’ai pas vraiment besoin que l’on me rappelle que je suis présent : je reçois
entre dix et trente élèves par jour (mon collège en compte 1 200) pour des raisons bien diverses.
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Cela va de l’élève qui a de la fièvre, ou des nausées, ou des douleurs abdominales, mais que ses
parents envoient en classe en lui disant : « Tu iras voir l’infirmier du collège, s’il est là. Et si ça ne
va pas mieux, tu m’appelles ».
Il y a les élèves qui se blessent dans la cour, surtout en fin de récréation (ils se précipitent trop
pour retourner en classe peut-être).
Il y a les jeunes filles qui ne savent pas que les menstruations, par définition, sont mensuelles
et qui à chaque fois n’ont pas prévu de serviettes hygiéniques (avec un peu de chance, l’infirmier sera là…).
Il y a les élèves qui portent un appareil dentaire et qui viennent se brosser les dents à l’infirmerie. (C’est incroyable le nombre d’adolescents qui porte un appareil dentaire !!!)
Bien sûr, il y a les élèves qui se blessent en cours d’éducation physique et sportive (dans mon
collège, les professeurs d’EPS doivent certainement se concerter pour choisir les activités les
plus susceptibles de maintenir la vigilance de l’infirmier. Autrement, je ne comprends pas
pourquoi ils proposeraient de faire de la course d’orientation, puis des cross en plein automne,
les jours de pluie, dans des sous-bois au sol couvert de feuilles mortes et glissantes ; une activité rugby au printemps, en faisant des équipes où licenciés, dans un club comme le CSBJ *,
affrontent des élèves qui s’étonnent que le ballon ne soit pas rond !!! ; enfin, une activité judo
pour l’hiver. (Les transports en bus coûtent trop cher…)
Il faut aussi remercier les autres enseignants qui acceptent que leurs élèves sortent à n’importe
quel moment du cours pour aller chercher un paracétamol ou un Spasfon à l’infirmerie, tant
qu’il y a quelqu’un.
À tout cela, s’ajoutent les coups de fil pour rappeler qu’on m’attend pour une réunion du
CESC **, de suivi d’élèves ou autre, avec toujours cette phrase :
– On vous attend pour la réunion, vous êtes où ?
Il y a malheureusement aussi des accidents graves qui nécessitent une certaine expertise pour
déterminer s’il faut seulement prévenir les parents ou alerter les secours. À chaque fois, je suis
prévenu par téléphone : « Tu es où ? Nous avons un élève qui s’est blessé à… ». Mais cela peut
aussi concerner un agent qui ne se sent pas bien.
Les atteintes les plus difficiles à déterminer sont les fractures non déplacées, celles que l’on
appelle en « bois vert » et qui se produisent beaucoup chez les enfants.
Il y a peu de temps, j’ai appelé une maman car je pensais que son fils avait une fracture de
l’avant-bras et qu’il fallait une radiographie pour vérifier. (L’ Éducation nationale refuse de
faire réparer mes lunettes à rayons X qui sont en dotation à la prise de poste !!! Il y a aussi des
lentilles de contact pour les coquettes…).
La maman se présente donc à l’accueil et s’étonne que l’infirmier scolaire ne soit pas présent
auprès de son enfant. « Mais il est où alors ???? ». En plus, la faire se « déplacer pour ça alors qu’il
est visible qu’il n’y a rien !!! » Elle va jusqu’à dire à la personne de l’accueil : « Qu’est-ce qu’un
infirmier scolaire peut y connaître ? » (Dans l’esprit de certains, les infirmiers scolaires sont des
soignants qui, par manque de compétence, ne peuvent plus rester dans les services actifs, voire
qui ont un diplôme gagné lors d’une loterie...). Ceci dit, lorsqu’elle a ramené, deux heures
plus tard, son fils qui avait l’avant-bras dans une résine, elle a demandé que l’infirmier soit
remercié, « quand on le verrait »…
* CSBJ : club sportif de Bourgoin-Jallieu
** CESC : comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté.
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Sans oublier que l’infirmier affecté en collège doit voir en visite annuelle les élèves de certains
niveaux des écoles élémentaires environnantes. Ces visites infirmières sont prévues en général
de longue date, mais en arrivant les équipes sont toujours surprises :
– Tu es là aujourd’hui ??? Tu viens pour les élèves de ma classe ?
En plus de toutes ces activités, j’assume des responsabilités au niveau fédéral pour les infirmiers scolaires. Quand j’arrive à la fédération à Paris, fatalement, j’entends :
– Ah, tu es là aujourd’hui !!!
Il en va de même dans mon syndicat à Grenoble et dans les instances où je représente le SgenCFDT.
Le pire, c’est qu’en rentrant le soir chez moi, mes enfants s’y mettent :
– Papa, tu es là ce week-end ? Tu peux m’emmener au foot à 11 h et venir me chercher quand
je t’enverrais un SMS ?
Il y a des jours où je comprends que des personnes se demandent où est leur place dans
la vie !
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