Accompagner : la belle histoire

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Accompagner : la belle histoire
Accompagner : la belle histoire
Marie-Françoise Bonicel
Accompagner
Quelle belle image vraiment que celle de l'étymologie de ce terme : " marcher avec un compagnon
". Compagnon : cum panis, " partager le pain avec l'autre". ! Nous connaissons le
compagnonnage, qui est une association entre ouvriers d'une même profession à des fins
d'instruction professionnelle et d'assistance mutuelle, et qui s'appuie sur des valeurs qui ont depuis
le Moyen-Age fondé leur démarche : accueil et accompagnement, transmission des compétences
professionnelles, ouverture et attention aux autres.
Tandis que les compagnons de la Libération se réunissaient autour d'un même projet, la figure du
" compagnon de route " popularisée par Sartre supposait une distance dans le cheminement.
L'actualité avec la disparition de l'Abbé Pierre ces jours -ci nous rappelle que le nom que s'est
donné son association " Compagnons d'Emmaüs " dès 1954, enraciné dans une référence
chrétienne, renvoie au croisement de deux conceptions : la solidarité, d'une part et une conception
de l'autonomisation des personnes du quart-monde d'autre part, avec la prise en charge par ellemêmes de leur destin, mais avec un accompagnement qui ne portait pas ce nom.
Accompagnement
Un florilège de termes se conjuguent, ramifient à partir de ce concept ou se substituent à lui selon
les lieux et les champs.
Diriger, suivre, guider, tutorer, former, soutenir, coacher, superviser, étayer, cheminer avec,
conduire, mener, parrainer, escorter, faire alliance, superviser, accueillir en groupe de paroles,
d'analyse de la pratique ou en espaces de médiations…sans oublier l'accompagnement musical qui
est censé soutenir la voix du soliste, du chœur ou du danseur, et même le soutien au soutien
(Jacques Levine)
Le droit a lui aussi son cortège d'accompagnements :
un accompagnement du chômeur vers le retour à l'emploi est prévu en droit social, tandis qu'un
arrêté du 6 juin 2006 désigne des membres du Comité national de suivi du développement des
soins palliatifs et de l'accompagnement de la fin de vie .
Rien n'échappe à l'accompagnement des temps modernes !
L'envahissement du concept d'accompagnement comme fourre-tout sémantique dans la littérature
professionnelle d'aujourd'hui et les programmes de formation, m'amène dans un moment d'humeur
à penser que la floraison des métiers qui gravitent autour de cette notion est surtout l'occasion… de
gagne-pain pour ceux qui les exercent … y compris pour moi, plutôt que de partage du pain auquel
renvoie l'étymologie! Moment d'humeur fugace, car l'idée du cheminement qui s'impose dans cette
idée d'un compagnonnage dans l'espace et dans le temps, et d'une action dynamique à engager fait
émerger des images de partage, de solidarité, de proximité
Accompagnateur, accompagnant
La distinction ne va pas de soi, sinon, peut- être après avoir exploré quelques champs qui utilisent l'un
ou l'autre des termes, une plus grande action pour les accompagnateurs et une plus grande
proximité pour l'accompagnant.
Des images viennent s'associer :
le maître, le mentor, le directeur spirituel, le thérapeute, le cicérone, le guide, le conseiller, l'entraîneur,
le tuteur , le chaperon, le gardien , le gorille, la duègne , la demoiselle d'honneur, l'éducateur , le
référent, le condisciple, le tuteur de résilience, le coach, l'écoutant, le médiateur, le facilitateur, le
leader charismatique, la personne-ressource…
sans compter l'accompagnant naturel au quotidien en famille, en voisinage ou auprès d'un mourant,
les accompagnants informels de la vie, de la vieillesse de leurs parents, de la croissance de leurs
enfants, des accidents de la vie .
Quelques termes anciens comme maître ou directeur spirituel perdurent (revisités) aux côtés de ceux
de la modernité : coach, tuteurs de résilience, médiateurs, auditeur (accompagnement du changement
dans les organisations), maître-accompagnateurs ou experts-accompagnateurs. Mais les termes
anciens qui puisent leur légitimité dans la verticalité et donc de la filiation, notamment celle du savoir et
de l'interdit (celle des pères réels ou symboliques) ont perdu en force et en nombre à côté de ceux liés
à " l'accompagnement " proche de l'horizontalité et des pairs, à peine asymétrique, où celui qui
accompagne est le plus souvent supposé être dans un non-savoir d'où est censée jaillir une cocréation, dans l'inter-dit, plutôt que dans l'interdit.
Un regard sur l'histoire de ces termes " accompagner ou accompagnement ",
dans la mesure où cette évolution colore le présent.
La notion générale d'aide a été longtemps ancrée dans trois secteurs : santé-social, celui de la
spiritualité, celui de l'apprentissage.
Au 19eme siècle, dans les secteurs de la santé et du social la volonté était de soutenir, assister,
tandis que le modèle de l'apprentissage était celui du maître, y compris dans le compagnonnage, et
que la direction spirituelle éclairait le chemin dont le but était censé être connu.
Puis les pratiques sociales se sont orientées vers l'aide, le suivi dans le secteur de la santé et du
social, avec l'influence de la psychanalyse, tandis que s'essayaient dans l'apprentissage des pratiques
pédagogiques innovantes nécessitant une participation plus active des apprenants et où nous avons
vu émerger des pédagogies Freinet, Montessori, Janus Korzack - avec parfois des tuteurs - tandis que
la direction spirituelle faisait place en partie à des " pères ou guides spirituels ".
Dans les années 1970, l'accompagnement de fait mais le plus souvent jamais nommé ainsi, était
l'apanage des bénévoles, des guides spirituels et des thérapeutes. Les sciences humaines sont
évidemment en lien étroit avec l'évolution sociale et les courants issus des mouvements de libération
des années 68 en occident, ont infléchi les pratiques sociales. Carl Rogers a ainsi influencé
profondément par ses théories de la non-directivité (mal comprises d'ailleurs et confondues avec le
laisser-faire passif) les pratiques d'aides à la personne ou aux groupes.
La notion d'accompagnement apparaît comme telle, dans les années 1980 dans le domaine
professionnel alors qu'elle agissait sous le couvert d'appellations évoquées plus haut. Un regard sur
des plans de formation dans les organisations, antérieurs à cette période, ne laisse pas visible l'usage
de ce terme. Elle coïncide par ailleurs avec la période où se développe la pratique des récits de vie en
formation qui invite la personne à devenir " auteur " de son existence.
Le concept se développe enfin, sur un fond de rupture du lien social, que ce soit dans
l'intergénérationnel, la solidarité de voisinage, la désaffection syndicale, etc.
Pourquoi cette apparition de l'accompagnement dans le vocabulaire de nombreuses
professions depuis 20 ans avec une surcharge de sens et son versus coaching depuis 10
ans ?
Que signifie l'émergence en force de ce concept fédérateur ou intégrateur ces dernières
décennies, sous toutes ses formes et en tous lieux, qui semble reconfigurer la notion
d'autorité fragmentée, épuisée ?
S'agit-il de poser des prothèses, faute de colonne vertébrale ? Là où le vide de la
verticalité fragilise les individus, l'accompagnement pourrait en effet paraître un soin
palliatif, un moyen de colmater les brèches et les carences des déficits d'humanité ou de
sens, un moyen de réparer.
Par ailleurs, dans un contexte où il faudrait " enseigner les limites dans un monde sans
limites " (Xavier Darcos), les formes et les structures organisées d'accompagnement de la
vie sont sollicitées pour apporter un étayage et un cadre. L'accompagnement, une identité
à construire.
Tout passe
et tout demeure
Mais notre affaire est de passer
De passer en traçant
Des chemins
Des chemins sur la mer
Voyageur, le chemin
C'est les traces
de tes pas
C'est tout ; voyageur,
il n'y a pas de chemin,
Le chemin se fait en marchant
Le chemin se fait en marchant
Et quand tu regardes en arrière
Tu vois le sentier
Que jamais
Tu ne dois à nouveau fouler
Voyageur! Il n'y a pas de chemins
Rien que des sillages sur la mer
Antonio Machado
http://perso.orange.fr/jacques.nimier/accompagnement_bonicel_etymologie.htm