Des "dieux de la danse" aux "affreuses danseuses du sexe masculin
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Des "dieux de la danse" aux "affreuses danseuses du sexe masculin
1 Des "dieux de la danse" aux "affreuses danseuses du sexe masculin" Évolution des normes de genre dans la critique de danse à la période romantique. Hélène Marquié Dans la presse des années 1820, le danseur peut encore être, comme au siècle précédent, un "dieu de la danse" ; en 1840, il est devenu "une affreuse danseuse du sexe masculin"1. Dans cet intervalle, les représentations collectives se sont profondément modifiées. La danse est devenue un art d'essence strictement féminine, où un homme digne de ce nom ("vous et moi", écrit Jules Janin), n'a plus sa place. La presse est témoin, mais également actrice de ce revirement. En effet, la critique de danse se renouvelle à partir de 1830, prend davantage d'importance et mobilise des auteurs comme Théophile Gautier ou Jules Janin, dont le champ d'influence dépasse largement le cadre de la critique théâtrale. Par des propos souvent virulents, la presse parisienne contribuera fortement au discrédit des danseurs et participera à leur éviction progressive des scènes françaises. La rupture qui intervient après la Révolution de Juillet dans la façon dont le ballet est conçu puis perçu, est à la fois d'ordre esthétique et politique. Le ballet d'action et la danse noble où le danseur était valorisé, représentent à la fois un art poussiéreux et un vestige de l'ancien régime. Le ballet romantique prend place dans une conception nouvelle, moderne, du monde et de l'art, mais qui implique aussi une redéfinition des sphères féminine et masculine. L'objet de cette étude est tout d'abord de repérer, au travers des différents points de vue exprimés par les critiques, comment se fait cette redéfinition, et la façon dont elle se noue avec l'essor du romantisme en danse. Il est ensuite de rechercher le sens politique de l'exclusion des hommes et du masculin de l'univers du ballet. Au passage, on repérera les ambiguïtés et les paradoxes exprimés par des auteurs pris entre la proclamation idéologique d'une incompatibilité radicale entre le sexe masculin et le ballet, et leur appréciation de critiques, sensibles au talent de certains danseurs, pris aussi entre une fascination pour la danse et le rejet de cet art féminin. 1 J. JANIN, Le Journal des débats politiques et littéraires, 2 mars 1840.