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le cahier des RH
—— L’enquêt e ——
Gestion
des carrières
À QUOI SERVENT
les
re
de personnel ?
p.23 France Télévisions
Une revue du personnel vécue
comme un “fichage”
p.24 Eurotunnel
La people review
dans les starting-blocks
p.25 Maif
Un processus en deux temps
pour valoriser la mobilité
18 - Entreprise & Carrières - n° 1268/1269 du 15 décembre 2015 au 4 janvier 2016
l’essentiel
1
Les revues de personnel
sont devenues un exercice
incontournable pour mettre
en œuvre la politique
de gestion des talents.
À la Maif, elles s’inscrivent
dans la volonté de repérer
les candidats à la mobilité
et couvrent l’ensemble
de l’effectif.
2
3
Souvent centrées sur
l’évaluation collective du
potentiel et de la performance,
ces sessions nécessitent
de s’appuyer sur des critères
observables et des regards
croisés objectifs. Il incombe
au RH qui les anime de veiller
à ces principes.
Les people reviews pèchent
souvent par manque de
transparence. Chez France
Télévisions, la découverte
par les syndicats de fiches
établies lors des revues
de personnel a débouché
sur une action en justice.
vues
Moment charnière pour la gestion
des carrières et des compétences,
la revue de personnel est le lieu
où se joue le devenir professionnel
de nombreux salariés, en particulier
des cadres. Comment la préparer,
l’animer ? Quels critères retenir
et quelle publicité lui donner ?
Questions autour d’un outil devenu
incontournable dans nombre
d’entreprises.
COORDONNÉE PAR Élodie Sarfati
ILLUSTRATION Nini La Caille
n° 1268/1269 du 15 décembre 2015 au 4 janvier 2016 - Entreprise & Carrières - 19
le cahier des RH
——
L’enquêt e
É
«
valuation secrète », « journalistes
fichés »… Depuis l’été, un parfum de scandale agite France Télévisions, après la découverte
par les syndicats de “fiches d’évaluation de la performance et du
potentiel” et des commentaires
pas toujours bienveillants qui y
sont portés. En cause, le système
de revue de personnel dont la
plupart des salariés ont appris
l’existence à ce moment-là (lire
p.M23).
Un cas révélateur d’un « processus mal maîtrisé», comme le suggère Hervé Borensztejn, directeur
associé du cabinet Karistem
Consulting ? Ou d’une « culture
du secret très française », selon
Christophe Falcoz, chercheur et
professeur associé à l’IAE de
——
Lyon (lire l’encadré p.M21) ? Il
donne en tout cas l’occasion de
s’interroger sur le fonctionnement de cet exercice bien ancré
dans les entreprises, sous différentes appellations : revue des
talents, people review, comité
carrière…
Avec quelques variantes, il s’agit
à chaque fois de réunir RH et management pour opérer collectivement le diagnostic des compétences et de la performance,
mesurer, en croisant les regards,
les capacités d’évolution. Et, selon les cas, repérer les “talents”
ou alimenter des viviers de candidats, afin d’élaborer les organigrammes de remplacement, de
prendre des décisions en matière
de mobilité, de promotion, de rémunération, etc.
Destinée la plupart du temps à
tout ou partie de la population
des cadres comme à Eurotunnel
(lire p.M24), la revue de personnel
peut aussi couvrir l’ensemble du
personnel comme à la Maif (lire
p. 25). Dans le groupe Socotec,
« le processus des revues de talents est en cours de refonte, indique le DRH Sébastien Botin.
Nous voulons passer d’un outil
top down, où le management central organise le mercato des
postes et des promotions, à un
processus bottom up. Il s’agira,
à partir de 2016, de réunir les directeurs de région – les n + 3 –
et les RRH pour passer au crible
l’organisation et identifier trois
populations clés : les “talents
prometteurs”, les “managers de
Des entretiens d’évaluation ou
professionnels à la gestion des carrières,
des emplois et des compétences,
en passant par les politiques de
rémunération ou de diversité,
la revue de personnel « interfère avec
tous les processus de la fonction RH ».
20 - Entreprise & Carrières - n° 1268/1269 du 15 décembre 2015 au 4 janvier 2016
demain” et les “executive”, ayant
vocation à intégrer le Comex.
Puis la synthèse sera remontée
à la direction France et consolidée au niveau du groupe ».
Sur ce modèle, Carrefour France
organise chaque année, échelonnés sur plusieurs mois, des comités carrière dont l’objet est
de « détecter, à tous les niveaux
de l’entreprise, les personnes évolutives, verticalement ou horizontalement, explique MarieHélène Mimeau, directrice de la
formation et du développement
RH. L’intérêt est aussi d’anticiper l’évolution des métiers et de
vérifier si nous disposons des
profils dont nous aurons besoin
dans les prochaines années ». Le
groupe de distribution a également déployé depuis quelques
années un comité carrière à destination des femmes, « en vue de
renforcer la mixité des équipes
de direction ».
choisir les bons
indicateurs
Des entretiens d’évaluation ou
professionnels, sur lesquels elle
se fonde, à la gestion des carrières, des emplois et des compétences qu’elle contribue à mettre en musique, en passant par
les politiques de rémunération
ou de diversité dont elle peut assurer la cohérence, la revue de
personnel « interfère avec tous
les processus de la fonction RH»,
résume Hervé Borensztejn. Alors,
comment en faire un rendez-vous
efficace ? D’abord en choisissant
les bons indicateurs. Chez Carrefour par exemple : « Outre la
performance, nous évaluons la
capacité à apprendre de la personne, sa curiosité, sa motivation
pour évoluer. Mais aussi sa capacité à réfléchir au-delà de son
périmètre, et ses qualités managériales, notamment sa maturité
émotionnelle, liste Marie-Hélène
Mimeau. Plus le niveau hiérarchique est élevé, plus la vision
stratégique et la bonne compréhension du business comptent. »
Mais ces critères ne sont pertinents qu’au regard du contexte
et des besoins propres à l’entre-
un exercice subtil
Les écueils de la people review
sont réels : considérations d’ordre personnel plutôt que professionnel, profils retenus standardisés, salariés laissés de côté par
leur manager qui ne veut pas les
perdre… « Croiser les subjectivités est un exercice subtil », résume Nicolas Bourgeois, soulignant le rôle crucial des RH qui
animent les sessions (lire l’encadré ci-contre). Ceux de Carrefour démarrent les réunions
en rappelant aux participants les
règles du jeu, que Marie-Hélène
Mimeau résume ainsi : « Ne pas
relayer de on-dit, laisser tout le
monde s’exprimer, être dans la
bienveillance, être factuel. » Pour
être utile, la revue de personnel
doit en effet s’appuyer sur « une
fonction RH reconnue dans l’entreprise, qui puisse imposer son
point de vue, alerter si les principes d’équité ne sont pas respectés », insiste Hervé Borensztejn. De leur côté, en partageant
le regard qu’ils portent sur leurs
équipes, « les managers doivent
accepter d’être challengés et de
challenger les autres », complète
Sébastien Botin.
la fonction RH
en soutien
Pour cela, « la qualité de la relation entre les RH et le management est déterminante, analyse
Sandrine Caillé, directrice de
mission à la société de conseil
Ifas. Plus la fonction RH est perçue comme un soutien, plus les
managers sont en confiance et
plus le dialogue lors des revues
de personnel sera constructif et
transparent. De la même façon,
en amont, la façon dont les managers mènent les entretiens
Témoignage
prise, prévient Christophe Falcoz.
Or, « on retrouve souvent les
mêmes, dupliqués d’un secteur
à l’autre, ce qui n’a aucun sens »,
soupire-t-il. « Qu’est-ce qu’un talent pour notre entreprise ? Sur
quels critères objectifs l’identifie-t-on et comment le traduit-on
concrètement ? Ce travail n’est
pas toujours fait, abonde Anne
Saüt, directrice générale de Diversity Conseil. De même, les critères retenus sont parfois appliqués de la même façon dans tous
les pays, sans tenir compte des
spécificités culturelles. Mais l’autonomie ou la capacité de communication n’ont pas le même
sens en Chine, en France ou au
Brésil. »
Pour sa part, Nicolas Bourgeois,
directeur associé du cabinet Identité RH, recommande de définir
des compétences comportementales en adéquation avec les valeurs et la culture de l’entreprise,
et surtout observables, plutôt que
de s’appuyer sur la seule notion
de potentiel, dont il souligne les
limites: «C’est un critère souvent
hasardeux : celui qui a du potentiel, c’est généralement celui que
l’on imagine pouvoir prendre la
place de son chef. Cette approche
est biaisée, car on projette l’image
du titulaire actuel du poste sur
celui que l’on évalue, et l’on arrive
vite à sélectionner toujours les
mêmes profils, voire à des considérations du type “il n’a pas la
tête de l’emploi”, “elle n’est pas
mal”… »
l’avis de l’expert
Gestion des carrières ——
——
À quoi servent les revues de personnel ?
Christophe Falcoz
PROFESSEUR ASSOCIÉ À L’IAE LYON
En France, il y a un vrai déficit de transparence, une culture
du secret autour des people reviews et de l’identification
des talents ou des hauts potentiels. Les listes sont confidentielles
et, la plupart du temps, les personnes qui y figurent n’en sont
même pas informées. C’est ce que ne comprennent pas les entreprises anglo-saxonnes qui, à l’inverse, sont beaucoup plus transparentes : les personnes inscrites sur les listes le savent, et savent
aussi qu’elles peuvent en sortir. Ce déficit d’information se joue
à d’autres niveaux. Par exemple, je doute que ces listes soient
systématiquement déclarées à la Cnil, alors qu’il s’agit de fichiers
établis sur la base de critères particuliers. Cette déclaration,
à mon sens incontournable, emporte en outre un droit d’accès
aux données pour les personnes concernées.
De même, les people reviews sont rarement débattues avec les
représentants du personnel. C’est compréhensible s’il s’agit d’établir la liste des futurs dirigeants, qui revêt un caractère stratégique sensible. Mais lorsque les revues de personnel sont menées
sur une population élargie, a fortiori sur l’ensemble des salariés, il
n’y a pas de raison de ne pas le faire. Il me paraît normal d’échanger avec les IRP sur les critères utilisés, la fréquence des people
reviews, les profils que l’on estime être stratégiques, les compétences indispensables et difficiles à remplacer, etc. Et même obligatoire, selon moi, au vu de la jurisprudence sur les entretiens
d’évaluation, dont les revues de personnel sont la synthèse. ♦
François Mazoyer
RESPONSABLE RH D’UNE ENTREPRISE INDUSTRIELLE DE 250 SALARIÉS (ISÈRE).
Lors des comités carrière, le RH occupe d’abord
le rôle de chef d’orchestre. Il doit permettre aux
participants de jouer leur partition tout en les amenant à adopter un regard nouveau sur leurs collaborateurs. À lui aussi de s’assurer de l’objectivité
des débats. Car les managers peuvent avoir une
approche subjective et partisane sur un profil.
C’est au RH d’éviter cela, de mettre les participants
devant leurs contradictions le cas échéant,
de creuser et d’être le poil à gratter pour pousser
chacun à justifier son point de vue et surtout
à faire fi des a priori, positifs ou négatifs,
sur les personnes dont il est question.
Enfin, il est très important de garantir la bienveillance de l’exercice. Le RH doit faire comprendre
que, quelle que soit la performance de la personne
mesurée à l’instant T, il y a une solution qui peut lui
permettre de se développer, de franchir un cap.
Ce n’est pas toujours compris par les managers,
pris dans leurs problématiques quotidiennes. Il faut
expliquer qu’une action de formation peut être
importante même si elle n’a pas d’impact à court
terme, mais s’inscrit dans une logique d’employabilité. C’est en outre l’occasion de rappeler aux managers qu’ils ont aussi la mission de faire évoluer
les compétences de leurs collaborateurs
et de les aider à se projeter sur le long terme.
Mais, au-delà de ces rendez-vous annuels formels,
la revue de personnel est un exercice presque
quotidien. Nos entreprises bougent et doivent
s’adapter en permanence. Ainsi, lors des rencontres avec les managers, il est très souvent question
des compétences, de l’accompagnement dont les
équipes ont besoin. De ce point de vue, la revue
de personnel donne l’occasion d’affirmer le rôle
et la vision de la fonction RH. ♦
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Gestion des carrières ——
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À quoi servent les revues de personnel ?
d’évaluation, la place qu’ils laissent à leurs collaborateurs pour
s’exprimer, leur capacité à repérer et à relayer leurs aspirations
influencera la façon dont leur
dossier sera évoqué ».
Et puis se pose la question sensible de la communication donnée
à cet outil de pilotage dans l’en-
treprise. « Pour certains DRH, la
people review doit rester confidentielle, constate Nicolas Bourgeois. Mais c’est une erreur, il faut
communiquer sur son existence,
les critères utilisés, et informer
les personnes concernées des décisions prises. » Le feedback aux
salariés n’est d’ailleurs pas le fort
des revues de personnel, notent
la plupart des consultants. Seulement, trop de discrétion peut
finir par alimenter la méfiance :
« Personne ne sait précisément
ce qui se passe lors des people
reviews: qui prend des décisions,
sur quelles bases ? Comment relie-t-on cet outil à la politique de
promotion, de rémunération ? Le
manque de visibilité que les salariés ressentent vis-à-vis de cet
outil crée des soupçons de favoritisme », témoigne par exemple
Didier Gladieu, secrétaire CFDT
de Thales France. Tout ce qu’une
revue de personnel bien menée
doit justement éviter. É. S.
France Télévisions
UNE REVUE DU PERSONNEL vécue
comme un “fichage”
Les syndicats ont découvert cet été l’existence
d’une revue de personnel, fondée sur une
évaluation des salariés tenue secrète, contenant
des annotations sévères, en décalage avec
les entretiens annuels. La direction a dû faire
machine arrière.
À
France Télévisions, la
revue de personnel a
viré au cauchemar pour
la direction. Delphine Ernotte
venait de prendre les rênes du
groupe public quand le scandale
a éclaté. Le syndicat FO a été
averti de l’existence de « fiches
d’évaluation de la performance
et du potentiel » du personnel,
tenues à l’insu des intéressés, à
France 3 Auvergne. Il a obtenu
la copie d’une quarantaine d’entre elles, toutes avec la même
grille d’évaluation, et des annotations à la main, souvent désobligeantes pour le salarié
concerné. Éric Vial, délégué
central FO, cite des exemples :
« non productif », « décalé ». Il
précise : « Ces propos étaient
en discordance avec l’entretien
annuel, généralement consensuel. »
Puis FO s’est rendu compte que
d’autres régions étaient concernées, ainsi que le siège parisien.
L’histoire a laissé des traces profondes : « Comment voulez-vous
faire confiance à votre rédacteur
en chef s’il dit des choses, dans
votre dos, différentes de ce qu’il
vous dit en face ? La plupart
des salariés se sentent trahis,
s’indigne Raoul Advocat, délégué
central SNJ (Syndicat national des journalistes). C’est, au
minimum, de l’incompétence
grave. »
« Dans un premier temps, la direction a nié l’existence de ce
système d’évaluation, rappelle
Éric Vial. Mais nous avions les
fiches en question : on nous a
alors expliqué qu’il s’agissait de
brouillons papier, pour aider les
responsables à réaliser cette revue du personnel, avant d’entrer
les résultats dans le système d’information, en présence d’un
membre des ressources humaines qui aurait enlevé les commentaires inadéquats. » La direction a alors voulu détruire ces
brouillons : les syndicats ont saisi
le tribunal de grande instance en
référé, pour interdire la disparition de ce qu’ils considèrent
comme des preuves. Le tribunal
leur a donné raison.
Aujourd’hui, France Télévisions
s’est engagé à stopper la revue
de personnel et à restituer le
contenu des fiches existantes
aux salariés lors des entretiens
annuels. L’accord a été signé par
la CGT et FO, pas par le reste des
syndicats, qui veulent porter l’affaire devant la justice. « Nous ne
croyons pas les engagements de
la direction, assène Raoul Advocat. Les entretiens annuels se déroulent en ce moment, et les retours que nous avons sont que,
pour l’instant, aucune fiche n’a
été communiquée. Quand le salarié pose la question, on lui répond qu’il n’y en a pas à son
nom. »
Des salariés
non informés
Pour lui, la question n’est pas réglée : le fond du problème, c’est
l’absence d’information des salariés : « Les règles fixées par la
Cnil n’ont pas été respectées, sur
l’utilisation d’informations collectées à l’insu de la personne »,
précise-t-il. Le Code du travail
(article 1222-3) de son côté est
strict : « Un salarié est expressément informé (…) des méthodes
et techniques d’évaluation mises
en œuvre à son égard. » De plus,
au dernier comité central d’en-
repères
Activité
Production et diffusion
de programmes télévisuels.
Personnel
10 000 salariés.
Chiffre d’affaires 2014
394 millions d’euros.
treprise, les représentants du personnel ont décidé de déposer
plainte pour délit d’entrave,
puisqu’ils n’ont pas non plus été
informés.
La direction de France Télévisions reconnaît un problème de
communication, mais refuse de
commenter le sujet plus avant.
« Ce n’est pas le système d’évaluation que nous attaquons », insiste Éric Vial, de FO. Raoul Advocat précise qu’à l’origine une
revue de personnel avait été
mentionnée dans un accord sur
l’égalité professionnelle entre
hommes et femmes, mais sans
que le fonctionnement ni les objectifs soit précisés. Les deux
hommes sont d’accord pour dire
que l’outil RH a été « dévoyé » de
sa fonction première.
Stéphanie Maurice
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le cahier des RH
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L’enquêt e
——
Eurotunnel
LA PeoPle review
dans les starting-blocks
Le groupe gestionnaire du tunnel sous la Manche
vient de me2re en place sa première revue
de personnel, en commençant par le haut
de la pyramide hiérarchique, pour « montrer
l’exemple ».
L
e groupe Eurotunnel
vient tout juste d’entrer
dans la phase pratique
de sa première people review.
« Il s’agit de mettre en adéquation les attentes et besoins de
l’entreprise, en fonction de la
manière dont elle se projette
dans l’avenir, avec les attentes
des collaborateurs », souligne
Xavier Moulins, le DRH groupe.
Elle vise pour l’instant les encadrants, dans tous les secteurs,
en gestion de la concession du
tunnel sous la Manche et activités ferroviaires, en France
comme en Angleterre. Soit 800
personnes.
C’est par le top management que
commence la people review,
avant de s’étendre au middle
management, puis au reste des
cadres : « Le fait de montrer
l’exemple est nécessaire pour
que le processus se déploie »,
note le directeur des ressources
humaines. Le projet, People development, a été initié au premier
semestre 2013 : « Nous avons pris
le temps de l’appropriation et de
la coconstruction de la philoso-
phie », précise Xavier Moulins.
Ce que confirme Dominique Tirmarche, président du syndicat
CFE-CGC Eurotunnel, même s’il
précise : « Nous en avons entendu parler pour la première
fois en octobre 2014, lors d’une
présentation rapide pendant le
Management Forum. Les gens
se sont demandé ce qu’était ce
nouvel outil, et il y a eu une démarche syndicale de demande
de transparence, pour en savoir
plus. »
Xavier Moulins voit cet outil RH
comme le prolongement naturel
de l’entretien annuel, qui est d’ailleurs le support premier de la
people review. Il note : « Dans un
entretien annuel, il faut d’abord
écouter le collaborateur. » Pour
promouvoir ce temps fort des
ressources humaines, une prime
est envisagée pour le manager
qui tient 100 % des entretiens
annuels prévus. Un outil informatique a été mis en place, afin
d’exploiter plus facilement les
données recueillies lors de ces
rendez-vous individuels, et aussi
d’aider à la décision, avec des
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grilles d’évaluation que le n + 1
remplit. Avec, bien sûr, transmission à la Cnil dans le respect de
la loi. Chaque collaborateur disposera d’un code d’accès. Sur sa
page seront indiqués les étapes
de la revue de personnel, ainsi
que le compte-rendu digitalisé
de l’entretien annuel, relu et signé
par le salarié. « Il y aura un meilleur accès à l’information », se
félicite Xavier Moulins. Les critères sont classiques, et passent
au crible les compétences managériales : vision, relation client,
leadership, sens de l’innovation,
par exemple.
« Nous avons
pris le temps
de l’appropriation
et de
la coconstruction
de la philosophie ».
Xavier Moulins,
DrH groupe
Ensuite, une discussion informelle se tient entre celui qui a
dirigé ces entretiens et la RH
pour préparer la revue de personnel. Puis, le “comité people
review” se réunit : il est constitué
du DRH (ou RRH selon l’organi-
repères
Activité
Concession du tunnel
sous la Manche et fret
ferroviaire.
Effectif
3 949 salariés, dont un tiers
en Grande-Bretagne.
Chiffre d’affaires 2014
1,2 milliard d’euros.
sation existante) et du patron du
département concerné, ainsi que
des responsables d’autres services, pour permettre un croisement des regards. Ainsi, on peut
repérer par exemple un collaborateur qui s’est distingué dans le
travail en équipe sur un projet
transversal. Surtout, dans le cadre du plan de succession d’Eurotunnel – sa GPEC en fait – « le
process en place permet de réfléchir à quelle place le salarié
pourrait se trouver dans un an,
deux ans ou plus », indique Xavier Moulins.
Enfin, dernière étape, c’est le retour vers le collaborateur de la
décision prise à son sujet. Car il
ne faut jamais le laisser dans l’expectative. Dominique Tirmarche
trouve la démarche intéressante,
même s’il attend les premiers retours : « C’est plutôt positif, cela
permet de se projeter dans les
nouveaux jobs de demain en
étant formé. Une grande partie
des cadres voit cela comme une
opportunité. » S. M.
Gestion des carrières ——
——
À quoi servent les revues de personnel ?
Maif
Un processus en deux temps
POUR VALORISER LA MOBILITÉ
Afin de développer la mobilité interne,
l’un des axes de sa stratégie, l’assureur a mis
en place ce2e année des revues de personnel
et des comités carrière. En veillant à la bonne
compréhension du dispositif.
C
omment développer une
culture de la mobilité
dans une entreprise où
l’ancienneté à un même poste
avoisine les vingt ans ? À la
Maif, c’est à ce défi que l’on s’attelle, avec la mise en chantier
d’un certain nombre d’outils
dont le déploiement, depuis le
début de l’année, d’un comité
carrière. « L’objectif est de permettre aux salariés d’exprimer
leurs souhaits d’évolution et, de
notre côté, de mieux ordonnancer les mobilités », expose Bernard de Laportalière, DRH adjoint. Car, paradoxalement,
ajoute Janick Debref, responsable du développement RH,
« nous avons peu de candidatures sur les postes ouverts,
mais, lorsqu’on les interroge, les
salariés demandent davantage
d’évolutions de carrière. »
Le comité carrière est en fait le
second niveau d’un dispositif qui
démarre avec les revues de personnel. Réunissant une fois par
an, sur chaque site, les managers
de proximité et les RRH, elles visent à identifier les collaborateurs
ayant un projet professionnel
susceptible d’être accompagné.
Un repérage effectué «sur la base
d’une grille de questions fermées,
détaille Janick Debref : le collaborateur s’est-il porté candidat
à un poste au cours de l’année ?
A-t-il fait part d’un projet professionnel, ou entamé une démarche
de bilan carrière ? S’est-il déclaré
mobile au cours de son entretien
individuel ? Et, en dernier lieu,
le manager répond à la question :
voulez-vous présenter son dossier
en comité carrière ? ».
Celui-ci valide ou non les dossiers
proposés et définit le plan d’action à mettre en place : détachement temporaire, mobilité sur
un nouveau poste… « Le point
d’entrée du comité carrière, ce
n’est pas le niveau de performance ou de potentiel, mais la
maturité du projet, quand bien
même le salarié est en difficulté
sur son poste. Il s’agit de repérer
les talents à suivre mais aussi les
personnes qui ont besoin d’accompagnement », reprend-il.
Des dossiers
soutenus
par les managers
Les comités carrière sont organisés soit au niveau régional, pour
les collaborateurs du réseau, soit
au niveau national, pour ceux du
siège. Ce dernier comité se tient
en présence des directeurs des
différentes filières ; les premiers
mobilisent les RRH et les n + 2.
Une façon, également, d’impliquer ces derniers dans le suivi
individuel des équipes. « Nous
demandons aux managers présents dans les comités carrière
d’être des sponsors, de défendre
les dossiers qu’ils présentent »,
commente Janick Debref.
La « clé de la réussite » du dispositif, c’est d’abord, pour Bernard
de Laportalière, « que les collaborateurs voient que des actions
concrètes en découlent, et s’inscrivent dans la démarche ». Ensuite que les managers « soient
en confiance sur les profils qu’on
leur présente, de manière à lever
les a priori sur les métiers, à passer d’un système grégaire, où les
managers recrutent dans leur
environnement proche, à une
approche transversale de la
mobilité ». Et enfin « que ce processus soit perçu comme transparent, et surtout pas comme
une boîte noire ». La démarche
a ainsi été présentée au comité
d’entreprise.
Pour l’heure, les salariés n’ont
toutefois pas eu de retour direct
systématique des comités carrière : « Nous sommes en train de
réfléchir à la forme qu’il devra
prendre. Mais, dès l’année prochaine, chaque collaborateur
connaîtra la date des comités carrière, saura si son dossier est évoqué et aura un débriefing par son
manager et le RRH », assure-t-il.
Secrétaire de l’Unsa-Maif, Frédéric Raison considère que la démarche peut être utile, mais reste
vigilant sur son déroulement :
« Attention à ne pas laisser de
côté des salariés dont le projet
n’intéresse pas l’entreprise. On
peut vouloir prendre de nouvelles
repères
Activité
Assurance.
Effectif
7 000 salariés.
Chiffre d’affaires 2014
3,278 milliards d’euros.
responsabilités, avoir davantage
d’autonomie, même sans changer
de poste. »
60 % de l’effectif
concerné en 2015
Pour cette première année d’application, les revues annuelles
ont concerné 4 800 salariés, soit
environ 60 % de l’effectif – l’objectif étant d’atteindre 100 %
dès 2016 –, et près de 10 % ont
vu leur dossier présenté en comité carrière. Un chiffre modeste, révélateur d’une « faible
culture de la mobilité », explique
Janick Debref, et non d’une sélection drastique : « Avec cet outil, insiste-t-il, nous ne nous inscrivons pas dans une démarche
élitiste. » É. S.
« le point d’entrée du comité
carrière, ce n’est pas le niveau
de performance ou de potentiel,
mais la maturité du projet, quand
bien même le salarié est en difficulté
sur son poste. »
Janick Debref, responsable Du DéveloppeMent rH
n° 1268/1269 du 15 décembre 2015 au 4 janvier 2016 - Entreprise & Carrières - 25