C.St-Laurent - Le Film français 01032013

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C.St-Laurent - Le Film français 01032013
Chronique juridique : Le saviez-vous ? A propos du Visa d'exploitation des films
vendredi 1 mars 2013 08:00
Chronique juridique : Le saviez-vous ? A propos du Visa d'exploitation des
films
par Claire Saint Laurent
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Les dessous de l’octroi du visa d’exploitation : leçons tirées de la décision
du Conseil d’Etat du 29 juin 2012 Association Promouvoir et a. Antichrist.
La récente affaire Antichrist qui a fait l’objet de vives polémiques et suscité un véritable déferlement médiatique
nous donne l’occasion de revenir sur le régime français d’octroi du visa cinématographique.
La France est un des rares états où il existe encore une censure à l’égard des œuvres
cinématographiques.
En effet, la représentation cinématographique de tout film français ou étranger est
subordonnée à l’obtention d’un visa d’exploitation délivré par le Ministre de la Culture
(article L.211-1 du Code du cinéma et de l’image animée).
Le visa est donc une autorisation administrative qui fait suite à un contrôle préalable du
contenu des films et constitue une limite à la liberté d’expression et du commerce et de
l’industrie. Ainsi et à l’instar de toute restriction de liberté, elle ne peut se justifier que par la
protection d’un intérêt général supérieur : en l’occurrence, le visa ne peut être refusé que pour
des motifs tirés de la protection de l’enfance et de la jeunesse ou du respect de la dignité
humaine (article L. 211-1 du Code du cinéma et de l’image animée).
Aujourd’hui, et après de nombreuses réformes, le régime des visas d’exploitation donne
pouvoir au ministre de l’accorder pour « tous publics » ou bien éventuellement assorti d’une
interdiction aux moins de 12 ans, 16 ans ou 18 ans, ou encore d’une classification X si le film
comporte des scènes pornographiques ou d’incitation à la violence. Le ministre peut
également l’accompagner d’un avertissement portant sur son contenu ou ses particularités.
L’enjeu est majeur car l’obtention du visa constitue toujours un élément essentiel de
l’engagement des partenaires financiers et distributeurs du film ; en outre, il conditionne bien
souvent son succès commercial.
La décision du ministre de la culture est donc cruciale et doit scrupuleusement respecter cet
objectif de conciliation entre la liberté d’expression et la protection des mineurs.
A cette fin, plusieurs garde-fous :
- le ministre rend sa décision après consultation de la commission de classification, même s’il
n’est pas tenu par cet avis,
- la décision du ministre est susceptible de faire l’objet d’un recours devant le Conseil d’Etat.
La sanction d’interdiction totale du Film n’a jamais été effectivement appliquée, seul le film
de Jacques Rivette Suzanne Simonin, la religieuse de Diderot avait fait l’objet d’une
interdiction totale pour les motifs qu’il était de nature "en raison du comportement de
quelques personnages comme de certaines situations, à heurter gravement les sentiments et les
consciences d’une très large partie de la population". Or le Conseil d’Etat avait annulé la
décision, estimant que le contenu du film n’était pas d’une gravité suffisante pour justifier
légalement l’interdiction générale d’exploiter et d’exporter le film et compromettre l’avenir
commercial du Film.
Après cela, les recours ont majoritairement porté sur des décisions de classification X : classer
un film X revient à le vouer à un échec commercial certain (projection limitée exclusivement
aux salles spécialisées, soutien cinématographique supprimé, traitement fiscal lourd).
Deux affaires retentissantes ont notamment illustré cet enjeu :
Le film Baise moi de Virginie Despentes, dont le visa interdit au moins de 16 ans a fait l’objet
d’un recours devant le Conseil d’Etat[1] à la demande de l’association Promouvoir qui
souhaitait le voir classé X. C’est à la suite de cette affaire que le régime des visas a été
réformé et l’interdiction au moins de 18 ans instaurée afin de créer une catégorie
intermédiaire, et une alternative à la classification X.
La décision de classification accordée au film de Lars Van Trier, Antichrist, interdit au moins
de 16 ans, a elle aussi fait l’objet d’une demande en annulatio [2] de la même association, en
vue de son classement X voire de son interdiction totale. Cette demande a été rejetée, le
Conseil d’Etat rappelant par ailleurs que l’avis de la commission de classification doit être
suffisamment motivé afin de permettre au ministre de prendre une décision éclairée.
En conclusion, il apparaît que les juges ont à cœur de protéger la diffusion des films et les
intérêts commerciaux en jeu. Enfin et surtout, on peut se demander si ces règles de visa ne
sont pas devenues désuètes, à l’ère de l’ultra diffusion des images sur les nouveaux supports
de communication et notamment internet.
[1] CE 30 juin 2000
e
e
[2] CE 10 et 9 sous-sect., 29 juin 2012, n° 335771 : Association Promouvoir
Claire SAINT-LAURENT (Cabinet Taylor Wessing)
© crédit photo : Taylor Wessing

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