La dualité au développement de la petite enfance, une réalité ou
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La dualité au développement de la petite enfance, une réalité ou
présentation de Michel Doucet, c.r., professeur titulaire et directeur de l’Observatoire international des droits linguistiques, Faculté de droit, Université de Moncton dans le cadre de la « Rencontre annuelle du Programme d’appui aux droits linguistiques » Ottawa, 28 octobre 2011 Pourquoi la petite enfance devrait-elle faire partie de nos préoccupations? La petite enfance est importante pour la survie de la communauté minoritaire, car elle est son avenir. Si nous n’agissons pas à ce niveau, cela risque d’avoir un impact important sur la survie non seulement de nos institutions d’enseignement, mais également de nos communautés. La petite enfance est un prolongement (ou le début) de l’éducation offerte dans nos écoles. Les défis des communautés en situation minoritaire Les tendances lourdes Proportion démographique décroissante: en 1951, les francophones constituaient 29 % de la population canadienne, ils ne représentent plus que 22, 1% en 2006 À l’extérieur du Québec, la proportion est passée de 7,3 % en 1951, à 4, 1 en 2006; Ces chiffres sont encore plus bas, si l’on tient compte de la langue « le plus souvent parlée à la maison » (2, 5%) Taux de transfert linguistique à la baisse: o, 73 en 1971 et o, 62 en 2006 ; Taux de transfert linguistique des nouveaux arrivants favorisant nettement la communauté anglophone; Taux de fécondité inférieur au taux de remplacement; Taux d’exogamie à la hausse. Vieillissement de la population francophone Ces tendances lourdes posent des problèmes particuliers à la communauté minoritaire de langue officielle: Décroissance de la population scolaire Défis de la (re)francisation; Sensibilisation des parents aux défis de l’éducation en milieu minoritaire; Etc… Depuis 1988, j’ai donné au moins une dizaine d’avis sur la question de la petite enfance et prononcé pas moins d’une douzaine de conférences sur le sujet partout au Canada. J’ai l’impression que nous sommes toujours au point de départ et que nous ne faisons que tourner en rond. Principe de base Toutes institutions publiques qui contribuent au développement du langage, de la culture et de la construction identitaire de la minorité doivent être prises en charge par le groupe minoritaire. L’article 23 et la petite enfance 23 1) Les citoyens canadiens : a) dont la première langue apprise et encore comprise est celle de la minorité francophone ou anglophone de la province où ils résident, b) qui ont reçu leur instruction, au niveau primaire, en français ou en anglais au Canada et qui résident dans une province où la langue dans laquelle ils ont reçu cette instruction est celle de la minorité francophone ou anglophone de la province, ont, dans l'un ou l'autre cas, le droit d'y faire instruire leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans cette langue. (2) Les citoyens canadiens dont un enfant a reçu ou reçoit son instruction, au niveau primaire ou secondaire, en français ou en anglais au Canada ont le droit de faire instruire tous leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans la langue de cette instruction. (3) Le droit reconnu aux citoyens canadiens par les paragraphes (1) et (2) de faire instruire leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans la langue de la minorité francophone ou anglophone d'une province : a) s'exerce partout dans la province où le nombre des enfants des citoyens qui ont ce droit est suffisant pour justifier à leur endroit la prestation, sur les fonds publics, de l'instruction dans la langue de la minorité; b) comprend, lorsque le nombre de ces enfants le justifie, le droit de les faire instruire dans des établissements d'enseignement de la minorité linguistique financés sur les fonds publics. L’allusion à la culture est importante, car toute garantie générale de droits linguistiques, surtout dans le domaine de l’éducation, est indissociable d’une préoccupation à l’égard de la culture véhiculée par cette langue. Une langue est plus qu’un simple moyen de communication ; elle fait partie intégrante de l’identité et de la culture du peuple qui la parle. Dans Arsenault-Cameron c. L’Île-du- Prince-Édouard, Cour Suprême du Canada précise : «Il faut clairement tenir compte de l’importance de la langue et de la culture dans le domaine de l’enseignement ainsi que de l’importance des écoles de la minorité linguistique officielle pour le développement de la communauté de langue officielle lorsque l’on examine les mesures prises par le gouvernement...» Le fil conducteur de la jurisprudence relative à l’article 23 est la prise en charge par les communautés de langue officielle minoritaires de la gestion de leur système scolaire afin d’assurer un enseignement de qualité égale dans leur langue à celui dont bénéficie la majorité et de favoriser le développement et l’épanouissement de ces communautés. Une caractéristique de l’article 23 est son caractère collectif. En effet, si cet article reconnaît des droits individuels, dans la mesure où chaque parent répondant aux critères peut se prévaloir des droits qu’il accorde; il porte aussi une dimension collective puisqu’en fin de compte, c’est la communauté minoritaire qui de façon ultime est la vraie bénéficiaire des droits conférés par l’article. L’article 23 a également un caractère réparateur, en ce sens qu’il vise à remédier aux déficiences des systèmes d’éducation en vigueur dans les provinces canadiennes qui ont pour effet de nuire à l’épanouissement et à la préservation de la langue et de la culture de la minorité officielle. La Cour suprême a donc adopté une approche qui voit dans l’article 23 une disposition réparatrice dont le but ultime est de remédier à l’érosion progressive des minorités de langue officielle au Canada et également une disposition qui offre une réparation qui permet de répondre aux atermoiements des gouvernements dans sa mise en oeuvre. Le droit de faire instruire leurs enfants dans la langue de la minorité francophone ou anglophone d’une province appartient aux citoyens canadiens (critère général) : dont la première langue apprise et encore comprise est celle de la minorité francophone ou anglophone de la province où ils résident (alinéa 23 (1)a)); aux parents qui ont reçu leur instruction, au niveau primaire, en français ou en anglais au Canada et qui résident dans une province où la langue dans laquelle ils ont reçu cette instruction est celle de la minorité francophone ou anglophone de la province (alinéa 23(1)b)); et, dont un enfant a reçu ou reçoit son instruction, au niveau primaire ou secondaire, en français ou en anglais au Canada (par. 23 (2)). L’article 23 n’exige pas que les enfants, pour avoir droit de recevoir leur instruction en français, soient eux-mêmes francophones. En faisant ce choix, le constituant n’a pas tenu compte du fait qu’il y a souvent absence d’homogénéité linguistique chez les ayants droit et que ceci force les institutions à répondre tant aux besoins des enfants parlant déjà la langue de la minorité qu’à ceux qui, en raison de l’assimilation, parlent la langue de la majorité. Cette réalité pose un défi énorme aux écoles de la minorité tant sur le plan des ressources humaines et financières, que sur le plan de la qualité de l’éducation et justifie à lui seul une intervention auprès de la petite enfance. Bien qu’il parle uniquement du primaire et du secondaire, l’article 23 peut-il avoir une application pour ce qui est de la petite enfance? Pour que l’objet de l’article 23 puisse se réaliser pleinement n’y a-t-il pas lieu d’élargir l’interprétation de l’article afin de favoriser une intervention au niveau préscolaire? Puisque l’objet de cette disposition vise l’égalité réelle et puisqu’il vise à réparer les injustices du passé qui font en sorte qu’aujourd’hui à peine la moitié des enfants des ayants droit sont inscrits à l’école de langue française, ne s’agit-il pas là d’un exemple parfait où il faut combler le vide du texte pour donner plein effet à l’objet de l’article 23? Quoi qu'il en soit, et en attendant qu’une décision judiciaire à ce sujet soit éventuellement (?) rendue, nous croyons qu’il serait possible pour la communauté francophone de s’appuyer sur cette disposition, et sur la jurisprudence l’ayant interprétée, pour revendiquer un droit de gestion sur les programmes éducatifs offerts à la petite enfance. Un autre argument plus pragmatique pourrait également être fait en utilisation le pouvoir de gestion que l’article 23 confère aux ayants droit et à leurs représentants. En effet, puisque l’article 23 confère aux ayants droit un droit de gestion exclusif sur toutes questions qui touchent à la langue et à la culture, ne serait-il pas possible pour les conseils scolaires minoritaires de déclarer, en raison des tendances lourdes identifiées ci-dessus, qu’en milieu minoritaire l’éducation au niveau primaire débute dès la petite enfance par des programmes de francisation et de sensibilisation? Les commissions scolaires pourraient par la suite réclamer des provinces (et du fédéral?) un financement accru pour ces programmes. En cas de refus, une action en justice permettrait alors de clarifier deux questions: l’étendue du pouvoir de gestion des ayants droit; l’existence de protection au niveau du préscolaire J’éviterai ici de parler du cas particulier du Nouveau- Brunswick où les parents pourraient réclamer la dualité pour ce qui est des programmes destinés à la petite enfance en invoquant l’article 16.1 de la Charte et le Loi reconnaissance l’égalité des collectivités de langues officielles du Nouveau-Brunswick. Malheureusement, les parents de cette province semblent ne pas comprendre l’étendue de leurs droits et ils acceptent docilement le fait que la province ait adopté une loi sur les garderies éducatives, qui accepte le concept de garderies bilingues. Le Commissaire aux langues officielles du NB a avec raison dénoncé dans son dernier rapport cette loi. Conclusion Le pouvoir de gestion exclusif donné aux ayants droit sur toutes les questions touchant à la langue et à la culture peut avoir un impact sur le préscolaire 2. Le besoin est grand pour que l’on agisse à ce niveau en raison des défis énormes qui se posent et en raison des liens étroits qui existent entre la petite enfance et le droit à l’éducation en milieu minoritaire. 3. Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre un autre quinze ans. Sinon, les tendances lourdes risquent de nous mener vers notre perte. 1.