Démocratie, classes préparatoires et grandes écoles

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Démocratie, classes préparatoires et grandes écoles
DEMOCRATIE,
CLASSES PREPARATOIRES
ET GRANDES ECOLES
Ce Colloque a été organisé par l'Union des Professeurs de Spéciales avec la participation
de la Conférence des Grandes Ecoles (C.G.E.) et les Associations de Professeurs de Classes
Préparatoires aux Grandes Ecoles (A.P.H.E.C., A.P.P.L.S., U.P.A., U.P.L.S., U.P.S.T.I.).
Il a bénéficié du soutien des Ecoles Normales Supérieures, de l'Ecole Nationale Supérieure
de la Statistique et de l'Administration Economique (E.N.S.A.E.), et enfin de la Direction de
la Prospective et du Développement du Ministère de l'Education Nationale.
Comité Scientifique
Christian BAUDELOT, Bruno BELHOSTE, Bernard LAHIRE, Jean LAMOURE,
Catherine PARADEISE, Fabienne ROSENWALD, Claude THELOT, Alain TROGNON
Organisation
Gérard DEBEAUMARCHE - 20 rue Thiers – 51100 – Reims
03 26 47 07 11 ou 06 81 27 68 99 - [email protected]
François LOUVEAUX - 61 Boulevard Bessières – 75017 - Paris
01 44 85 99 30 ou 06 81 23 77 14 - [email protected]
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Introduction
Le colloque Démocratie, classes préparatoires et grandes écoles s'est tenu les 16 et 17 mai 03
à l'Ecole Normale Supérieure. Réalisé à l'initiative de l'Union des Professeurs de Spéciales
avec la participation de la Conférence des Grandes Ecoles, soutenu par les autres associations
de professeurs des classes préparatoires, par les Ecoles Normales Supérieures et la Direction
de la Programmation et du Développement du Ministère, ce colloque, placé sous le haut
patronage de Luc Ferry, Ministre de l'Education Nationale, a été introduit par Xavier Darcos,
Ministre délégué à l'enseignement scolaire. Plus de trois cents personnes ont suivi les débats
et la liste des participants montre que la plupart de ceux qui ont affaire aux classes préparatoires
étaient présents : représentants du Ministère, Inspecteurs généraux, directeurs et responsables
d'Ecoles, responsables de l'orientation, professeurs des CPGE - toutes disciplines et filières
représentées, proviseurs, professeurs d'Université et chercheurs, anciens étudiants, journalistes
spécialisés…
L'idée de ce colloque est née de la volonté de savoir comment la multiplication des classes,
l'évolution et la diversification des filières, des débouchés, des étudiants ont modifié la réalité
des classes préparatoires. L'image qui est encore parfois donnée de celles-ci ne correspond plus
à la réalité que vit chacun d'entre nous.
Les objectifs de ce colloque étaient alors doubles. D'abord réunir une documentation solide - à
la fois des chiffres croisés, des statistiques, des expériences, des interprétations - qui puisse
servir de base à une analyse lucide d'un système de formation qui mérite davantage que des
raccourcis souvent trompeurs. Ensuite lancer une réflexion que d'autres pourront poursuivre.
Ainsi, il s'agissait d'imaginer des moyens et d'évoquer des pistes permettant de réaffirmer
les liens entre démocratie, classes préparatoires et Grandes Ecoles.
Pour une majorité d'entre nous, l'ouverture de nos classes à de nouveaux publics, socialement
plus divers, est à la fois une condition de bonne santé de notre système et une façon pour lui
d'être fidèle à un héritage précieux, celui de l'élitisme républicain qui ne se décrète pas, mais
se construit volontairement en tenant compte souplement des évolutions de la société. C'est
ainsi que Christian Baudelot a parlé "du casse-tête de l'élitisme républicain, entre mérite et
héritage". Ce colloque n'avait évidemment pas pour objectif d'imposer une vision ou de fixer
des évolutions, mais l'ambition d'être un lieu d'échanges, une incitation à poursuivre.
C'est dans cet esprit qu'ont été réunies les pages qui suivent. On retrouvera sur le site de l'INT
ces Actes, ainsi que de riches annexes qui n'ont pu être publiées ici. Qu'il nous soit permis de
remercier la Conférence des Grandes Ecoles pour son soutien tout au long du colloque et de
sa préparation. Nos remerciements vont aussi à l'E.N.S., son directeur, Gabriel Ruget,
sa secrétaire générale, Marylène Meston de Ren, les différents services de l'Ecole, en particulier
Juliette Roussel qui a assuré la délicate transcription des Tables rondes. Grâce à eux, la préparation, le déroulement, puis la rédaction du compte-rendu de ce colloque ont pu être menés
dans les meilleures conditions.
Gérard Debeaumarché et François Louveaux
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Résumé du Colloque
Vendredi 16 Mai 2003
Les interventions de la première matinée voulaient établir un état des lieux de l'objet original
que constituent les classes préparatoires et les grandes écoles. Les tables rondes de l'après midi
étaient consacrées à une analyse des pratiques, à des comptes rendus d'expériences originales,
mais elles voulaient aussi permettre d'imaginer très librement des solutions pragmatiques pour
une plus grande ouverture.
Le Doyen de l'I.G.E.N., Dominique Borne, s'est interrogé en ouverture sur l'impossibilité de
définir le système à partir des mots qui le désignent. L'analyse historique de Bruno Belhoste,
Histoire et place des CPGE et GE dans le système éducatif a rappelé à tous l'originalité du
système C.P.G.E./G.E. Tissé d'héritages multiples, ce système est né avec les concours, il s'est
placé délibérément en face d'une Université qui semblait ne pas se préoccuper vraiment de
former des "cadres performants" pour répondre aux besoins nés des progrès de l'Etat, des
techniques, du développement de l'économie. On peut voir là une grande continuité historique
et un défi : l'heure n'est certes plus à opposer Université, CPGE et GE, surtout dans un contexte
de coopération-compétition internationale pour la formation et la recherche, mais à inventer
de nouveaux liens, des synergies fondées sur une claire identification et reconnaissance
réciproques. Le très riche travail mené par Christian Baudelot et les statisticiens de la DPD,
Evolutions historique, géographique et sociologique des différentes classes préparatoires
depuis 25 ans, a posé clairement les termes des débats à venir. En ouverture, ils notent que
"la situation ne s'aggrave pas" : le triplement des effectifs des CPGE depuis les années 1960,
l'ouverture de nouvelles classes, la réorganisation des filières et concours ont, pour l'essentiel,
accompagné la croissance spectaculaire des effectifs d'élèves et d'étudiants. Seuls 5% des
élèves de sixième seront concernés par les classes préparatoires. Le système CPGE ne touche
donc qu'un faible pourcentage des élèves, et, à l'image du public des classes terminales S,
il est socialement différentié. La composition des CPGE ne reflète pas la moyenne française :
il y a concentration des enfants issus des milieux sociaux supérieurs et des enfants d'enseignants, sous-représentation des autres catégories et d'abord des milieux populaires et intermédiaires. Ce constat est clair - même si la consultation des chiffres incitera à le nuancer,
voire à le contester sans doute sur certains points. En revanche les résultats globaux masquent
de réelles diversités : des disparités géographiques - entre un fils d'ouvrier et un fils de cadre
supérieur, la propension à entrer en CPGE varie de 1 à 5 à Paris, de 1 à 2 seulement en
Province ; des nuances selon les filières - les classes littéraires - AL et BL - sont socialement
plus ouvertes, plus provinciales, plus féminines et nettement liées au monde enseignant. Reste
que ce constat, sous bénéfice d'inventaire et de recherches nouvelles, ne peut être éludé. Il est
très loin pourtant de clore tout débat sur "Démocratie, classes préparatoires et grandes écoles".
L'étude des trajectoires individuelles des étudiants montre en effet que l'entrée en CPGE est
aujourd'hui le résultat d'une " distillation fractionnée" qui se fait au long du parcours scolaire.
Citant une étude de l'IREDU, Alain Cadix, Président de la Conférence des Grandes Ecoles,
en souligne les prémisses dès le primaire et insiste sur l'étape essentielle du collège. Il sera
alors intéressant de comparer la composition sociale des étudiants des CPGE avec celles des
formations universitaires à bac plus 5. Cette sélection par le mérite scolaire en CPGE se
révèle socialement inégalitaire, ce qui renvoie, bien en amont des CPGE, au système éducatif
dans son ensemble dans lequel réussite scolaire et origine sociale restent fortement corrélées.
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L'exposé de Bernard Lahire sur Les difficultés scolaires des étudiants issus des milieux
populaires apporte des éclairages particulièrement riches, précis et stimulants. Il montre
l'ampleur et la profondeur des questions soulevées, économiques mais aussi culturelles, tenant
à une méconnaissance de "la nature des exigences scolaires et des moyens matériels et
intellectuels pour parvenir à les satisfaire". L'étude de Christian Baudelot et de son équipe a
mis par ailleurs à jour un phénomène que nous étions nombreux à pressentir, l'importance de
l'information sur les CPGE donnée par les enseignants. Ce critère est le plus discriminant, au
delà de tous les autres, origine sociale incluse, pour déterminer à résultats scolaires comparables un lycéen à postuler pour une CPGE ; les 3/4 des bacheliers issus des milieux ouvriers
qui s'inscrivent en CPGE le font après avoir été informés par un professeur. Il y a d'un côté de
"nouveaux viviers" pour les CPGE -c'est à dire des élèves auxquels leur réussite scolaire pourrait donner accès aux CPGE et qui n'en font pas la demande- et de l'autre des professeurs qui
peuvent inciter ces élèves à entrer dans des classes qui leur assureraient une réussite, mais
qu'ils ne connaissent pas ou dont ils ont une image déformée, et vis à vis desquelles ils pratiquent donc une sorte "d'autocensure".
Il est alors intéressant de considérer sous cet éclairage les "ateliers" de l'après midi.
Les ateliers 2, La diversification des CPGE, instrument d'ouverture sociale? et 6, La diversité
des recrutements des Grandes Ecoles, quels bilans? ont montré que ni les CPGE, ni les GE
ne se contentaient d'un constat vaguement désolé sur l'inégalité sociale, mais que de nombreuses initiatives - individuelles ou institutionnelles - permettaient d'ouvrir CPGE et GE à
des publics moins favorisés, voire défavorisés. Il reste que cet indispensable travail aux marges
du système ne dispense pas d'une réflexion sur le coeur du dispositif et les Grandes Ecoles
ont, en ce domaine, une marge de manoeuvre et d'initiative plus étendue que les CPGE, ce qui
ramène, une fois encore, à la question des concours, largement et vivement abordée lors de
la table ronde animée par Claude Thélot.
Les ateliers 3, Les débouchés des CPGE en lettres et sciences sociales: quelle organisation en
vue d'un meilleur affichage, quelles évolution en vue de leur élargissement, et 7, Filière
économique et commerciale : le coût des études, frein à l'ouverture sociale?, ont mis en
évidence des obstacles techniques, financiers et d'organisation, et ont montré que les collègues
ne manquaient pas d'idées - pas toujours mises en œuvre, pas toujours parfaitement consensuelles - pour améliorer encore l'efficacité de ces filières, en illustrer les mérites, y attirer
davantage. Ces ateliers ont aussi évoqué les questions de l'image, de l'information, de leurs
distorsions parfois, qui étaient au coeur des travaux des ateliers 5, L'image des CPGE, frein à
leur ouverture sociale? et 1, L'information et l'orientation, outils majeurs pour l'ouverture des
CPGE?. Si le professeur de terminale apparaît comme un personnage majeur, tous les autres professeurs, proviseurs, conseillers d'orientation, organismes et médias chargés d'informer
les étudiants - sont directement impliqués, tandis que reviennent aux professeurs de CPGE
non seulement le travail habituel dans les "forums", "portes ouvertes"... mais aussi la tâche de
diffuser en " amont", en particulier auprès des collègues, une information et une image justes
des CPGE, "ni bagne, ni Club Med" pour reprendre la formule d'un intervenant.
L'atelier 4, Les prépas scientifiques : comment élargir le recrutement, a mis en lumière toute
l'efficacité de la réorganisation des différentes voies scientifiques, de leur diversification, en
même temps qu'il a rappelé à tous l'enjeu essentiel pour la Nation que représente la formation
en grand nombre de cadres et chercheurs scientifiques de haut niveau. Les CPGE et GE ont
ici un rôle majeur mais non exclusif à jouer. L'élargissement du recrutement des CPGE et
l'augmentation du nombre d'ingénieurs, cadres et professeurs sont des nécessités.
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L'atelier 8, Les formations étrangères d'ingénieurs : quels modes de fonctionnement?, a
montré à quel point l'étude comparative était instructive, à la fois parce que nous sommes
dans un système de plus en plus ouvert et concurrentiel, dans lequel les étudiants seront de
plus en plus amenés à circuler d'un pays à l'autre, mais aussi parce que la question de la sélection des élites est sociale et culturelle. La table ronde animée par Alain Trognon l'illustrera
le lendemain. Dans le domaine de la formation, et surtout celle des élites, la définition de ce
qui est indispensable, souhaitable, acceptable est affaire de perception par une société donnée.
Le souci d'égalité, celui de corriger les déséquilibres, cette volonté de suivre et de traquer
dans notre système éducatif et pas seulement les CPGE/GE, les inégalités et injustices
sociales correspondent profondément à une certaine idée que les Français se font de l'égalité.
Il n'y pas que les CPGE/GE qui soient une exception française, il y a aussi une certaine façon
d'envisager le débat éducatif, le rôle de l'Ecole : sans doute est-il utile de le dire, sans que cela
signifie qu'il faille ne pas regarder au delà de notre propre horizon. Les ateliers ont été ainsi
l'occasion d'échanges très riches, ouverts, libres. Sont apparues de façon récurrente, des questions comme celle de l'argot, du "folklore" des CPGE comme un possible frein à leur ouverture, la marque d'une volonté de se distinguer et de ne s'ouvrir qu'à des "déjà initiés"; ou
encore celle de la notation en CPGE, envisagée à la fois sous l'angle "technique" - l'écart
croissant entre les exigences des concours et les savoir-faire de bons élèves des terminales - et
sous l'angle de l'effet qu'elle produit sur les étudiants, d'autant plus difficile à vivre qu'ils ne
sont pas familiers du monde des prépas.
La multiplicité et la diversité des thèmes pourraient faire croire que les travaux se sont égarés
loin de leur sujet de réflexion initial. On peut considérer au contraire qu'ils ont été fidèles à
leur objectif et que les questions des CPGE, des GE et de la démocratie ne se réduisent pas à
quelques formules rapides, à quelques recettes "faciles", mais supposent une ferme volonté
qui soit le guide de toute une série de mesures très diverses, touchant tous les domaines, de
l'organisation à la pédagogie, de la défense à la promotion, de la justification à une saine et
constructive critique.
***
Samedi 17 Mai 2003
Après une première journée consacrée à un état des lieux et des pratiques et à des mises en
perspectives historiques, les tables rondes de la seconde matinée étaient consacrées à des
points de vue et des débats, dans une optique volontairement internationale, à l'image du
monde auquel seront confrontés les étudiants des CPGE et des GE. Il s'agissait donc de traiter
de l'aval et de l'avenir.
Faut-il diversifier - ou plutôt élargir - les modes de sélection des Grandes Ecoles ?
Cette première table ronde est animée par Claude Thélot –ancien Directeur des Etudes et de
la Prospective au Ministère de l'Education Nationale - avec la participation de deux Directeurs
(HEC et ENSAM) qui font le point des réflexions menées dans leurs Ecoles.
Pour Claude Thélot, deux raisons principales rendent indispensables "de diversifier et
d'élargir le recrutement et les modes de recrutement des Grandes Ecoles". Les futurs cadres et
ingénieurs devront avoir des connaissances, des compétences et des comportements qui leur
permettent de réagir face à l'incertain, à l'inattendu : les connaissances n'y suffisent pas.
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Les Grandes Ecoles doivent élargir leur recrutement, pour la richesse que représentent ouverture et diversification, et pour asseoir une légitimité qui serait contestée si les Grandes Ecoles
ne recrutaient que sur une base socialement trop étroite. Cette double obligation entraîne
nécessairement une modification des procédures de recrutement et donc des concours. Pour
Claude Thélot, il n'est pas bon que la diversification soit assurée "par des filières parallèles de
recrutement": il faut que les concours eux mêmes assument cette double exigence d'élargissement des compétences et d'ouverture sociale. Sélectionner de nouvelles compétences oblige
à repenser l'organisation des concours, à mener une triple réflexion : sur l'importance à donner
aux différentes matières, le jeu des coefficients ; sur les contenus des épreuves - "selon
la forme et le contenu, ce ne sont pas les mêmes compétences qui sont sélectionnées"; sur la
définition de nouvelles épreuves, "moins strictement scolaires" car "l'inégalité sociale devant
l'Ecole est une inégalité devant la réussite scolaire". Faire apparaître "de nouveaux profils
d'élèves" exige cette fois de "compléter le concours par autre chose ( ...) prendre en compte
d'autres critères que les résultats obtenus aux épreuves". Plusieurs pistes s'ouvrent, par
exemple tenir compte du cursus scolaire antérieur, accorder des bonifications en fonction de
l'âge ou du sexe... Pour Claude Thélot cela ne remet pas en cause les concours "dès lors que
c'est à des doses faibles et que cela correspond à une politique explicite". Il rappelle enfin que
notre conception juridique de l'égalité à la française "ne veut pas dire uniformité" et "que
l'égalité consiste aussi à compenser les handicaps, réels ou supposés". L'intervention s'achève
sur le souhait d'aboutir à un système transparent qui permette de caractériser l'étudiant de
façon plus globale.
Michel Raimbaut, Directeur des HEC, insiste à la fois sur les qualités du système actuel et
sur les redoutables défis auxquels il est confronté. L'Ecole des Hautes Etudes Commerciales
est satisfaite de la formation intellectuelle initiale et des qualités humaines que suppose la
réussite aux concours - "courage, ténacité, résistance au stress". Cette formation initiale doit
se poursuivre ensuite par "une formation par la recherche", la plus à même de développer les
qualités nécessaires aux futurs dirigeants, savoir gérer, l'instabilité, faire face à la complexité
croissante, être capable de rendre intelligibles des bouleversements inattendus et donc
d'apporter des solutions nouvelles à des situations nouvelles. On ne peut cependant s'arrêter à
ce constat plutôt positif. Il faut souligner la diversification déjà largement à l'oeuvre dans les
Ecoles de gestion, et se préparer à une triple ouverture : ouverture internationale, diversification des profils, ouverture sociale "question de légitimité et de crédibilité", notamment
lorsque l'on forme ceux qui auront "à gérer des entreprises qui seront, elles, représentatives de
l'ensemble de la société". L'ouverture internationale pose en outre un redoutable défi aux
grandes Ecoles, aux concours et aux CPGE. Deux standards internationaux se dégagent, deux
niveaux : under-graduate et post-graduate, c'est à dire avant ou après le niveau 3 - Licence,
Bachelor's Degree. Les Ecoles de gestion doivent-elles devenir "des graduate business
schools, c'est à dire proposer des enseignements de type program master en recrutant des
étudiants, français ou non, munis d'un Bachelor's Degree ou d'une Licence?" Doivent-elles
aussi investir le niveau undergraduate? Développer les deux niveaux? On imagine à quel
point ces interrogations pèseront lourd sur le sort et la nature des CPGE et des Concours.
Marie Reynier, Directrice de l'ENSAM, souligne l'importance du moment, des enjeux et des
véritables ruptures à mettre en oeuvre. Il s'agit pour les pays de l'Union Européenne de rester
"dans la très haute technologie, d'être des "fers de lance du progrès" faute de quoi l'Europe
deviendrait "une vieille Europe". Il importe pour cela d'aboutir à une claire connaissance et
reconnaissance des systèmes de formation propres à chaque pays européen, à favoriser les
échanges alors même que "les cultures, le rapport à l'enseignement et à la formation"
diffèrent. Pour Marie Reynier, la question est loin de se résumer à une mise en oeuvre des
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ECTS, code d'échange et non cadre que chaque pays pourrait définir seul. Le défi majeur est
de déterminer comment et à quoi il faut former les étudiants. En ce domaine, des ruptures lui
semblent nécessaires. Le système actuel est orienté vers l'aval, axé vers "l'opérationnalité
immédiate des ingénieurs". Il privilégie ainsi le "problem solving", la capacité "à résoudre des
problèmes existants", plus qu'il ne favorise "les inventeurs, les entrepreneurs, les innovateurs". Notre système, les concours ont aussi leurs atouts. La formation a, entre autres
avantages, celui de "savoir former vite". Le principe du concours a ses vertus : la mise à
l'épreuve, l'aptitude à résister au stress, la capacité à préparer longtemps un objectif, sont
formateurs. Ils ont aussi des effets pervers : certains étudiants sont capables de réussir le
concours car ils ont été assistés, portés à bout de bras par leurs parents, puis par les
enseignants, mais arrivent dans les Ecoles épuisés et n'ayant pas toujours les aptitudes pour
être un bon ingénieur. Surtout, les épreuves actuelles sont trop exclusivement organisées
autour des critères qui permettent de sélectionner des enseignants ou la haute fonction
publique et non des "entrepreneurs, des inventeurs, des directeurs techniques, des ingénieurs
capables de maîtriser des chaînes de production, capables de conduire sans risques industriels
un certain nombre d'installations difficiles". Marie Reynier plaide ainsi pour l'introduction de
nouvelles épreuves, destinées à tester d'autres qualités : chaque Ecole pourrait ainsi définir des
tests d'aptitudes adaptés à sa spécificité. Elle conclut sur de nécessaires mobilités, sur l'effort
d'information qui s'impose, sur la nécessité de proposer effectivement l'accès "à une situation
sociale de qualité", faute de quoi, les étudiants ayant de plus en plus une attitude consumériste, les CPGE pourraient être concurrencées par des formations moins exigeantes.
La situation en Europe, quels enseignements retenir?
Cette seconde table ronde est animée par Alain Trognon, Directeur du groupe des Ecoles de
Statistiques. Elle permet d'évoquer d'autres systèmes d'éducation européens et extra européens
sous l'angle à la fois des objectifs, des types de cursus et de la question, qui se révèle centrale,
du coût et du financement des études.
Alain Trognon souligne l'importance du moment présent : "dans toute l'Europe, l'hétérogénéité des structures est en passe de coexister avec la normalisation des LMD". Il indique
que se posent donc en Europe des questions comparables - celle des inégalités sociales, du fait
que les étudiants les moins favorisés se tournent principalement vers les filières courtes et
techniques, celle de l'auto-censure de ces étudiants et partout s'affirme la volonté d'informer
sur la question du financement des études, entre autres celles des étudiants d'origine modeste.
Enfin, chacun réfléchit à des modes de sélection des élites clairs et "loyaux". A ces questions
communes sont apportées des réponses diverses selon les sociétés.
Michael O'borne, Directeur à l'OCDE, présente ensuite l'exemple américain de
discrimination positive "affirmative action". Les Etats-Unis ont désormais 45 ans de recul
pour évaluer les effets de cette décision politique mise en oeuvre concrètement en jouant sur
les financements - les Universités qui ouvrent de nouveaux enseignements et accueillent de
nouveaux publics disposent de financements supplémentaires. Pour l'intervenant, "le succès
de ce système est important". Il a profondément modifié le profil des étudiants et a été
l'occasion d'une grande ouverture d'esprit, entre autres grâce à ces nouveaux enseignements
mis en place pour attirer les nouveaux publics. M.Oborne montre bien les difficultés du
système -de la délicate définition des minorités à la qualité des diplômes et à une possible
modification de l'interprétation de cette disposition à la suite d'une plainte portée devant la
Cour Suprême. Il évoque ensuite le cas britannique, la politique nouvelle "de financement et
de choix des disciplines" : il s'agit de favoriser des enseignements nouveaux, de réduire au
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contraire les crédits alloués à certains enseignements classiquement choisis par les élites
traditionnelles. L'intervention se termine par un plaidoyer en faveur de la souplesse, de
l'établissement de passerelles pour faire en sorte qu'il n'y ait plus, comme en France
aujourd'hui, une sorte de "CV absolument établi", mais que l'on tienne compte des évolutions
des étudiants au cours de leur vie, bref que l'on diversifie les voies de réussite.
Eric Maurin est chercheur au CREST (Centre de recherche en économie et statistique) et fait
partie d'un réseau européen de chercheurs sur l'éducation. Les premiers résultats des études
comparatives menées en Europe "ne sont pas enthousiasmants". Il ne semble pas en effet que
la variété institutionnelle des systèmes d'enseignement permette de dégager un type d'organisation qui serait à même de promouvoir "des formes intéressantes d'égalité des chances sans
nuire à l'efficacité". Il semble par contre que les pays européens soient tous plus ou moins
confrontés au même phénomène : une progression de l'accès à l'enseignement supérieur, mais
une inégalité croissante dans l'accès aux filières les plus prestigieuses. Eric Maurin parle
"d'inégalités de deuxième ordre, qui reposent sur les effets d'auto-sélection : en fin de parcours, les enfants des milieux défavorisés ne prennent pas le risque de formations pour
lesquelles ils n'ont pas d'informations très précises et s'engagent dans les voies les moins
prestigieuses qui permettent "d'assurer (...)". L'une des questions centrales est donc alors de
savoir comment lutter contre ces effets d'autocensure. Il semble que des "politiques d'excellence doublées de volontarisme au niveau local " soient prometteuses. En effet "il semblerait
que ce qui compte dans un voisinage, ce n'est pas tant qu'il soit pauvre ou culturellement mal
intégré, mais le fait que les enfants soient entourés d'élèves qui eux-mêmes échouent".
Politique volontariste de mixité sociale et de promotion locale de l'excellence peuvent selon
l'auteur "avoir des effets de long terme potentiellement intéressants".
Daniel Grimm, Directeur adjoint de l'Ecole Centrale de Paris, rassemble les différents points
évoqués par cette table ronde. Il souligne les différences de cursus. Cela vaut d'abord pour
le pré-baccalauréat, qui peut avoir trois grands objectifs : en France l'acquisition d'une culture
générale, aux Etats-Unis la socialisation, en Allemagne la professionnalisation précoce. Cela
porte ensuite sur la durée des études. Cela joue donc logiquement sur le type de formation.
Daniel Grimm estime par exemple que "nos formations longues de qualité permettent à nos
ingénieurs d'être capables, entre plusieurs solutions, d'anticiper celles qui marcheront le
mieux", tandis qu'aux Etats-Unis, "les ingénieurs plus pragmatiques et pratiques vont être
amenés à développer toutes les solutions et constater, après coups, celles qui marchent et
celles qui ne marchent pas".
La table ronde s'achève sur la question du financement des études, question centrale à
l'évidence, domaine dans lequel des évolutions sensibles sont très prévisibles, enjeu technique
et symbolique fort. Daniel Grimm rappelle qu'en 1994, l'OMC a esquissé une distinction entre
un premier niveau - "L", Bachelor, bac + 3 - qui ferait partie du service public tandis que la
suite de la formation entrerait dans "le champ commercial". Se posent alors au moins deux
question : celle du coût des études - et donc de leur durée, de l'éventualité aussi qu'un coût
élevé soit un frein à la mobilité internationale - et, en arrière plan, celle du lien entre
démocratisation de l'enseignement et financement des études. En France, le débat porte aussi
sur la notion de gratuité des études, question soulevée il y a une dizaine d'année par Laurent
Schwartz et spectaculairement posée aujourd'hui par le Directeur de l'IEP de Paris. Si l'on
considère que la formation supérieure est un investissement non seulement pour l'Etat, mais
aussi pour l'étudiant qui en bénéficie, on peut imaginer que cet investissement soit progressivement remboursé au cours de la vie professionnelle (remboursé au cours de sa vie professionnelle par celui qui en a bénéficié). Daniel Grimm souligne que l'Australie a mis en place
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un tel système. Alain Trognon indique que les projets du gouvernement britannique vont dans
ce sens. Michael O'borne quand à lui s'interroge sur le sens même de "gratuité": rien n'est
gratuit, la question est de savoir qui paie pour la formation, la collectivité ou celui qui en
bénéficie.
Cette table ronde, comme la précédente d'ailleurs, s'achève sur l'affirmation que ces questions
constituent des enjeux stratégiques majeurs pour l'Europe.
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Claude Boichot, Doyen du groupe "physique-chimie" de l'IGEN et chargé de mission sur les
CPGE et le post-bac auprès du Ministre et du Ministre délégué, Alain Cadix, président de la
Conférence des Grandes Ecoles et Gérard Debeaumarché, président de l'U.P.S. et
organisateur du colloque, pouvaient en conclusion remercier partenaires et participants pour
la densité et la qualité des travaux, pour la très grande qualité d'écoute manifestée par tous, et
insister sur la nécessité de fournir à la Nation plus de cadres en recrutant plus largement.
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L'ouverture du colloque par Dominique BORNE, Doyen de l'I.G.E.N.
A sa droite, Gabriel RUGET, Directeur de l'E.N.S.
A sa gauche, Gérard DEBEAUMARCHÉ, président de l'U.P.S.
L'assistance pendant le colloque.
Au premier rang, Claude BOICHOT, assis devant Claude THELOT, Claudine RUGET, Laurent WIRTH,
Jean-Pierre SARMANT, I.G.E.N. et Christian MARGARIA, Conférence des Grandes Ecoles.
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Christian BAUDELOT pendant son exposé,
entouré de Sylvie LEMAIRE et Brigitte DETHARE, et retourné vers Fabienne ROSENWALD
Gérard DEBEAUMARCHÉ, président de l'U.P.S., remercie le Ministre, Xavier DARCOS
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Une histoire des C.P.G.E.
Une histoire des C.P.G.E.
Bruno Belhoste, I.N.R.P.
Dans cet exposé, je présenterai un panoramique sur l’histoire de ce qui constitue certainement
l’une des institutions les plus originales du système éducatif : les classes préparatoires aux
grandes écoles.
Ces classes, on le sait, se caractérisent par plusieurs traits spécifiques :
D’abord, elles sont des classes d’enseignement supérieur, mais situées dans des
établissements secondaires. Remarquons qu’autrefois, il existait également des classes
élémentaires dans les lycées, mais celles-ci ont disparues depuis 40 ans.
Ensuite, ces classes sont étroitement liées, par leur mission et leur enseignement, aux
établissements particuliers appelés « grandes écoles », qui recrutent sur concours. C’est même
là, bien sûr, leur raison d’être. C’est pourquoi on ne peut faire l’histoire des classes
préparatoires sans évoquer les concours auxquels elles préparent.
Enfin, elles disposent d’un personnel enseignant à part, ayant ses traditions, ses intérêts et ses
méthodes de travail spécifiques, qui les distinguent aussi bien des professeurs de
l’enseignement secondaire que des enseignants-chercheurs des universités.
L’histoire des CPGE est une histoire de longue durée, puisque le système se met en place dès
le XVIIIe siècle, en même temps que celui des concours, et qu’il est toujours bien vivant
aujourd’hui. Il faut noter cependant que les classes préparatoires ont été pendant longtemps
exclusivement des classes scientifiques et que ce n’est qu’au XXe siècle que l’on voit
apparaître des classes préparatoires littéraires, puis commerciales.
Curieusement, si le rôle considérable des CPGE est bien connu, leur histoire n’a pour ainsi
dire jamais été étudiée. Je me limiterai ici à un cadre : l’objectif est de fournir quelques points
de repère historiques susceptible d’alimenter notre réflexion sur la situation présente et aussi
sur l’avenir de ces classes.
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La naissance des classes préparatoires
C’est au XVIIIe siècle que sont nées les classes préparatoires. Comme il n’y a pas de prépas
sans examen à préparer, c’est la création d’un recrutement sur concours qui constitue le point
de départ.
Les premiers concours sont des concours de recrutement pour les armes savantes, c’est à dire
le Génie, l’Artillerie et la Marine. Dès 1692, Vauban institue un examen pour l’admission au
Génie.
« Personne, écrit-il, ne doit être reçu dans les fortifications par faveur ou par recommandation.
Il faut que le mérite seul et la capacité des gens leur attirent les emplois. »
Les aspirants du Génie doivent subir un examen oral portant sur les mathématiques devant un
examinateur membre de l’Académie des sciences.
A partir de 1756, l’Artillerie, à son tour, se dote d’un examinateur sur le modèle du Génie,
puis la Marine à partir de 1764.
A la veille de la Révolution, les examinateurs des armes savantes sont des savants de premier
ordre : Bossut pour le Génie, et surtout Laplace pour l’Artillerie et Monge pour la Marine.
Dès la fin du XVIIIe siècle, par conséquent, il existe un système de recrutement sur concours
lié à l’institution militaire. Les candidats admis sont reçus dans des écoles dépendant des
armes savantes. La plus connue est l’École du Génie de Mézières, fondée en 1749, où le
mathématicien Monge a longtemps été professeur.
Tout naturellement, l’examen d’admission suscite, en amont, sa préparation.
L’examen consiste alors en une interrogation orale qui porte sur le manuel rédigé par
l’examinateur. Les plus connus de ces manuels sont ceux de l’ancien examinateur de
l’Artillerie et la Marine, sur lesquels Laplace et Monge continuent d’interroger à la veille de
la Révolution. Préparer l’examen revient donc à connaître le manuel.
En fait, à la fin de l’Ancien régime, il est exceptionnel qu’un candidat reçu se soit préparé seul
à l’épreuve. Certains candidats font appel à des maîtres de mathématiques qui donnent,
moyennant finance, des leçons privées sur les matières du concours. Mais, dès cette époque,
la plupart se préparent dans des établissements spécialisés.
14
Une histoire des C.P.G.E.
On peut distinguer, en fait, deux types d’établissement préparatoire. Les premiers sont des
institutions privées, souvent protégées par l’examinateur. C’est le type le plus ancien, et aussi
le plus florissant. On en trouve quelques-uns en province, principalement à Metz où a lieu
l’examen d’artillerie, mais la plupart sont à Paris. Les plus connues sont la pension Longpré et
la pension Berthaud.
Lazare Carnot, par exemple, se prépare d’abord seul à l’examen du génie, mais il échoue en
1769. L’année suivante, son père décide de le placer à Paris dans une institution spécialisée.
Sur les conseils de l’intendant du protecteur de la famille Carnot, le duc d’Aumont, Lazare
entre ainsi chez Longpré et il est admis à l’École de Mézières après quelques mois de
préparation, en 1770.
Le succès des pensions privées s’explique parce que, dans les établissements publics que
constituent les « collèges », que ceux-ci soient dépendants d’une Université ou d’une
congrégation enseignante, les mathématiques sur lesquelles on interroge les candidats aux
examens, n’occupent qu’une position marginale.
C’est pour former les officiers des armées, et en particulier ceux des armes savantes, que
l’École militaire est fondée à Paris en 1751, à l’instigation de la marquise de Pompadour. La
nouvelle école accueille des boursiers du roi. On y enseigne les sciences et en particuliers les
mathématiques. Les résultats s’avèrent malheureusement décevants. C’est pourquoi, en 1776,
le ministre de la guerre décide de fermer l’École militaire et de la remplacer par douze écoles
militaires, installées en province pour préparer les boursiers du roi au métier militaire. C’est
ainsi que le jeune Napoléon Bonaparte prépare au collège de Brienne, érigée en école
militaire, l’examen d’artillerie qu’il passe devant Laplace en 1785.
C’est la Révolution française qui va étendre le système de recrutement des armes savantes à
l’ensemble des administrations techniques, en créant l’École polytechnique. Cette
transformation répond au souci de perfectionner la formation des experts civils et militaires
mais aussi à celui de démocratiser leur recrutement. Avant 1789, en effet, l’autorisation de
passer les examens n’était accordée qu’à ceux qui pouvait prouver la qualité de leur naissance
ou une parenté avec un officier. Carnot lui-même reçoit sa lettre d’examen en se réclamant
d’un cousin très éloigné, l’ancêtre commun remonterait à cinq générations, qui est capitaine.
Après 1786, tout candidat doit prouver quatre degrés de noblesse. La sélection par concours
15
ne fait ainsi que s’ajouter à une sélection préalable beaucoup plus sévère, fondées entièrement
sur des critères de naissance.
Cet exclusivisme social explique les caractères de la filière de formation. La préparation aux
examens des armes savantes relève de l’éducation nobiliaire. Les pensions préparatoires
privées sont très chères et les écoles militaires sont créées pour accueillir les rejetons de la
noblesse militaire auxquels le roi accorde des bourses. C’est le cas, je le rappelle, de
Bonaparte lui-même, qui appartient à la petite noblesse corse.
La Révolution balaie tout cela. Dorénavant, les emplois publics sont ouverts à tous les
citoyens, sur le seul critère du mérite. L’admission à l’École polytechnique, fondée en 1794,
se fait sur un concours auquel tout jeune homme entre 16 et 20 ans peut se présenter. Si l’on
compare le concours de l’École polytechnique avec les anciens examens des armes savantes,
les différences apparaissent donc évidentes : désormais, le concours, organisé dans une
vingtaine de villes, est public et ouvert à tous. Le nombre de places offertes est beaucoup plus
élevé, car les débouchés ont été considérablement élargies : aux armes savantes, s’ajoutent
principalement le génie maritime et les grands corps civils, ponts et chaussées et mines. C’est
la technocratie française dans son ensemble qui s’alimente à l’École polytechnique.
Quant aux pensions préparatoires privées et aux écoles militaires d’Ancien régime, elles
disparaissent dans la tourmente, et les candidats au concours de la nouvelle école ne disposent
d’aucun lieu de préparation. Très vite, les professeurs de mathématiques des écoles centrales,
ouvertes dans chaque département en 1795, s’efforcent de pallier ce manque. C’est ainsi
qu’Henri Beyle, notre Stendhal, se prépare à l’École polytechnique en suivant les cours du
professeur de mathématiques de l’école centrale de Grenoble. Il ne passera d’ailleurs jamais le
concours.
En 1802, sont créés les lycées, où la loi prévoit que l’on enseigne le latin et les
mathématiques. Dans chaque lycée, il existe une classe dite de mathématiques transcendantes,
rebaptisée en 1809, classe de mathématiques spéciales. La vocation de ces classes, dites
parfois aussi classes de deuxième année de philosophie, par référence à l’organisation de
l’enseignement dans les collèges d’Ancien régime, devient aussitôt la préparation au concours
de l’École polytechnique. On peut dire alors que les classes préparatoires sont nées.
16
Une histoire des C.P.G.E.
Les classes préparatoires au XIXe siècle
L’imposition du monopole universitaire donne aux lycées la main mise sur la préparation à
l’École polytechnique. Je rappelle que l’Université (avec U majuscule) a été fondée par
Napoléon. Elle correspond grosso modo à ce qu’on appelle aujourd’hui l’Éducation nationale
et elle dispose jusqu’à la loi Falloux, votée en 1850, du monopole de l’enseignement. Celui
s’exerce en fait principalement sur l’enseignement secondaire. Certes, il existe des pensions et
des institutions privées, mais leurs chefs doivent être membre de l’Université, dont ils ont les
grades, et ils ont obligation d’envoyer leurs élèves dans les établissements publics, lycées ou
collège communaux. Leur rôle se limite, en principe, à l’hébergement des élèves et aux
travaux d’études et de révision des cours. Évidemment, ce monopole s’étend aux classes
préparatoires. Si certains candidats se préparent au concours en suivant les leçons privées de
maître de mathématiques, ce qui reste possible, la très grande majorité suit les cours de
mathématiques spéciales des lycées.
Comme je l’ai dit, dans la première moitié du XIXe siècle, on trouve des classes de
mathématiques spéciales dans tous les lycées, c’est à dire en 1848 dans une cinquantaine
d’établissement. Cette omniprésence des mathématiques spéciales permet d’offrir partout une
préparation à l’École polytechnique. L’organisation même du concours répond au même souci
égalitaire : les examinateurs sillonnent la France, allant de ville d’examen en ville d’examen,
interroger les candidats. Jusqu’au milieu des années 1830, ils s’arrêtent ainsi dans tous les
lycées.
Cette organisation n’a été rendue possible que par la création d’un véritable corps enseignant
de professeurs de mathématiques. La création d’une agrégation de sciences en 1808, pour
laquelle est organisé un véritable concours dès 1821 et sa spécialisation en mathématiques et
en sciences physiques en 1840, ainsi que l’ouverture de l’École normale en 1809 assure la
formation et le recrutement de ces professeurs. Dans chaque lycée, existent deux chaires de
mathématiques, l’une dite de mathématiques élémentaires et l’autre de mathématiques
spéciales. Les professeurs de mathématiques spéciales sont les mieux payés, mais ils n’ont
pas le monopole de l’enseignement dans les classes de mathématiques spéciales, les
règlements universitaires prévoyant longtemps l’alternat avec les professeurs de
mathématiques élémentaires.
17
La présence dans tous les lycées d’une classe de mathématiques spéciales ne doit cependant
pas faire illusion. En réalité, la préparation à l’École polytechnique se trouve concentrée dans
quelques grandes villes, comme Metz, Lyon, Toulouse, Rennes, Dijon et Strasbourg et
surtout, bien entendu, Paris, qui domine outrageusement. On remarquera en outre que le nord
l’emporte très largement sur le midi. Dans beaucoup de lycées, la classe de mathématiques
spéciales existe sur le papier, mais elle n’accueille en fait que quelques élèves, qui ne se
destinent pas à Polytechnique. Un autre phénomène, en revanche, doit être pris en compte :
celui de la préparation aux autres écoles recrutant sur concours qui apparaissent au XIXe
siècle : l’École spéciale militaire de Saint-Cyr, l’École navale et l’École forestière. Pour ces
concours, beaucoup moins relevés que celui de Polytechnique, on voit apparaître dans un
certain nombre de villes des enseignements préparatoires accueillis dans des classes de
mathématiques élémentaires ou spéciales.
Qu’il s’agisse de ces concours ou de celui de l’École polytechnique, l’épreuve, jusqu’au
milieu du XIXe siècle, reste comparable à celle des examens d’Ancien régime. Les candidats
sont interrogés oralement par l’examinateur en tournée, à peu près exclusivement sur les
mathématiques. On ne voit apparaître des épreuves écrites que très timidement à partir des
années 1840. Une bonne préparation doit donc être un entraînement à l’oral. Or, il faut bien
reconnaître que l’enseignement magistral des classes préparatoires de lycée est peu adapté à
cet objectif. A Paris, où près des deux tiers des candidats admis à Polytechnique se sont
préparés, un système original de préparation se met en place, associant étroitement classes de
mathématiques spéciales publiques et institutions préparatoires privées. C’est au lycée, à
cause du monopole universitaire, que tous les préparationnaires étudient le cours, sous la
direction d’enseignants chevronnés, qui constituent l’élite des professeurs de sciences de
l’enseignement secondaire. Pour ne citer qu’un exemple, Louis Richard enseigne à Louis-leGrand où il forme, entre autres, Galois et Hermite. Dans la première moitié du XIXe siècle,
les trois principaux établissements de Paris, pour les classes de mathématiques spéciales, sont
Louis-le-Grand, Saint-Louis et Charlemagne. Mais, si certains élèves sont externes libres ou
pensionnaires au lycée – c’est le cas de Galois-, la plupart, venus de province, sont en pension
dans des établissements privés. Les principaux de ces établissements privés sont l’institution
Mayer, où ont étudiés entre autres Liouville et Le Verrier, et le collège Sainte-Barbe, qui
ouvre en 1832 une école préparatoire spécialisée placées sous la direction du mathématicien
Duhamel. C’est dans ces établissements privées que les élèves de mathématiques spéciales,
les taupins comme on les appelle déjà, s’entraînent véritablement à l’examen, par un système
18
Une histoire des C.P.G.E.
d’études encadrées, de conférences et surtout de colles. Les enseignants qui font ce travail
sont des professeurs de lycée, des répétiteurs de l’École polytechnique et des maîtres de
mathématiques spécialisés, généralement d’anciens polytechniciens qui n’ont pas intégrés
l’institution universitaire. Le plus illustre exemple, sans doute, est le philosophe Auguste
Comte, ancien polytechnicien qui donne des cours à l’institution Laville tout en étant
répétiteur d’analyse à l’École polytechnique et, pendant un temps, examinateur d’admission.
Le milieu du XIXe siècle voit des changements importants dans l’organisation générale de
l’enseignement en France : la loi Falloux abolit l’enseignement libre et autorise la création
d’écoles libres, en particulier au niveau de l’enseignement secondaire. Le ministre Fortoul
réforme peu après l’enseignement secondaire public pour mieux l’adapter à la concurrence.
Dorénavant, l’obtention du baccalauréat ès sciences est exigée pour l’admission à l’École
polytechnique. Le nombre des classes de mathématiques spéciales est considérablement réduit
et leur moyen renforcé : à l’exemple de ce qui se faisait déjà dans les institutions privées, un
système de conférences et d’interrogations est organisé pour les élèves pensionnaires des
lycées. Ces changements entraînent à Paris l’effondrement de l’ancien système préparatoire
qui associait aux cours des mathématiques spéciales les répétitions et les colles des
institutions privées. Sainte-Barbe renonce à envoyer ses élèves à Louis-le-Grand comme
autrefois et organise un enseignement dans ses propres murs, les autres institutions
préparatoires disparaissent, et, en revanche, on voit apparaître un nouvel établissement privée
dans le Quartier latin : l’École Sainte-Geneviève, dirigée par les jésuites, qui organise un
enseignement préparatoire sur le modèle de Sainte-Barbe et remporte de grands succès aux
concours de Polytechnique et Saint-Cyr. Pour contrer la concurrence de ces préparatoires
privées, le ministère de l’Instruction publique décide à la fin des années 1860 de créer sur le
même modèle dans un certain nombre de lycées de Paris, comme à Saint-Louis, et de
province, comme au lycée de Nancy, des écoles préparatoires, dont les élèves sont
entièrement séparées de leurs camarades de l’enseignement secondaire.
Les classes préparatoires au XXe siècle
C’est sous la IIIe République, entre 1880 et 1914 que le système des classes préparatoires
scientifiques prend le visage qu’il va conserver presque sans changements jusqu’aux années
1970. On peut estimer qu’à la fin du XIXe siècle, ce système accueille et forme environ
19
10000 élèves. Ce chiffre ne sera pas dépassé avant les années 1960. On trouve des classes
préparatoires dans les grands lycées, en province et surtout à Paris. Saint-Louis et Louis-leGrand dominent, comme dans la période précédente. Viennent ensuite les lycées de l’Ouest
parisien, Janson-de-Sailly, Condorcet et Carnot, ce dernier ancienne école Monge nationalisée
en 1894. L’école préparatoire de Saint-Louis, qui est la plus importante, comprend ainsi vers
1890 plusieurs filières préparatoires : une préparation à Saint-Cyr en deux ans, au sortir de la
classe de 3e ou de 2e, une préparation à l’École navale en un an, au sortir de la classe de 3e,
une préparation à Centrale et aux Mines en un an, sous forme d’une classe de mathématiques
spéciales, après le baccalauréat ès sciences, et, également après le baccalauréat ès sciences,
une préparation à l’École polytechnique en deux ans, sous forme d’une spé de nouveaux et
d’une spé de vétérans. Louis-le-Grand obtient régulièrement les meilleurs résultats aux
concours de l’ENS et de Polytechnique. Janson de Sailly est renommé, entre autres, pour sa
prépa Agro. En province, les meilleures préparatoires sont celles du lycée du Parc, à Lyon, et
du lycée de Nancy. Face à ces préparatoires publiques, seule l’École Sainte-Geneviève, qui
déménage à Versailles en 1905, est en mesure de faire concurrence, en restant jusqu’à
aujourd’hui l’un des meilleurs établissements préparatoires aux grandes écoles.
Selon une tendance déjà sensible dans la période précédente, les professeurs de spé forment
une sorte d’aristocratie enseignante au sein des lycées, se séparant nettement de leurs
collègues des classes inférieures. En même temps, il faut distinguer les professeurs de
province des professeurs de Paris. Les professeurs de spé des grands lycées parisiens
dominent leur discipline, sont en contact étroit avec les examinateurs, participent aux
commissions ministérielles, et alimentent le corps des inspecteurs généraux. Les professeurs
de province se sentent en position d’infériorité. C’est pour mieux défendre leurs intérêts qu’ils
décident finalement en 1927, contre la volonté de la majorité de leurs collègues de la capitale,
de s’organiser en une Union des professeurs de spéciales. Si, à l’origine, la création de cette
association est le fruit des tensions internes au milieu des professeurs de spé, son existence
ultérieure, jusqu’à aujourd’hui traduit plutôt la spécificité de ce milieu au sein du corps des
professeurs de lycée. Cette tendance va d’ailleurs se renforcer au cours du siècle, avec la
croissance des effectifs du corps enseignant secondaire, qui réduit de plus en plus la part des
anciens normaliens où se recrutent exclusivement les professeurs de spé.
Un autre phénomène majeur affecte les classes préparatoires de la Belle époque : c’est l’essor
rapide de l’enseignement supérieur, en particulier de l’enseignement supérieur scientifique,
20
Une histoire des C.P.G.E.
dont l’existence était à peu près nulle avant 1880. Cet enseignement supérieur s’intéresse en
particulier à la formation des cadres techniques. Plusieurs universités créent ainsi autour de
1900 des instituts universitaires délivrant des diplômes d’ingénieurs. Tout naturellement, vers
1900 les enseignants du supérieur commencent à revendiquer pour eux la préparation aux
grandes écoles. Cette revendication, qui reviendra souvent au cours du Xxe siècle, n’aboutit
pas, car elle se heurte à l’opposition conjuguée des grandes écoles et des professeurs des
classes préparatoires. L’offensive permet seulement d’imposer une réforme de l’organisation
des épreuves de concours et de leurs programmes, qui sont revus et mis à jour en 1905. La
place des sciences physiques est augmentée par rapport aux mathématiques, qui continuent
cependant à avoir la part du lion. La préparation est étendue officiellement à deux ans et les
classes préparatoires de première année qui existaient déjà dans certains lycées sous le nom de
classe de mathématiques élémentaires supérieures, sont généralisées sous le nom de classes de
mathématiques spéciales préparatoires. Ces classes seront rebaptisées sous l’Occupation
classes de mathématiques supérieures. Toujours en 1905, l’inspection générale obtient un
droit de regard sur la nomination des examinateurs et le choix des sujets. A l’École
polytechnique le jury d’admission doit rédiger un rapport auquel les professeurs de spé ont
accès après 1920 et qui deviendra public après 1945.
Alors que l’histoire des classes préparatoires scientifiques remonte au début du XIXe siècle et
même, comme on l’a vu, au-delà, les classes préparatoires littéraires et commerciales sont
beaucoup plus récentes. La création des Khâgnes est liée au concours de l’École normale
supérieure de la même manière que celle des taupes est liée au concours de l’École
polytechnique. Pendant longtemps, cependant, les candidats au concours littéraire de l’École
normale se préparent dans les classes de rhétorique des lycées, où ils reviennent après avoir
passé leur baccalauréat de philosophie. C’est en 1880 que sont créées dans quelques lycées
des classes de rhétorique supérieure, spécialement réservées à cette préparation. La plupart,
cependant, ne sont que de simples subdivisions des classes de rhétorique. Seuls quelques-unes
sont autonomes. Les plus importantes de ces Khâgnes, et de très loin, sont celles de Louis-leGrand et d’Henri IV, qui sont subdivisées en deux années, hypokhâgnes et khâgnes, dès le
début du Xxe siècle. Si ces classes ont un rayonnement notable – on songe à l’influence
d’Alain, qui enseigne longtemps la philosophie dans la khâgne d’Henri IV- en formant l’élite
littéraire, elles pèsent peu au point de vue numérique avant les années 1960. Quand aux
classes préparatoires économiques et commerciales, leur origine est beaucoup plus récente. Si
les premières grandes écoles de commerce sont créées à la fin du XIXe siècle, le système de
21
recrutement par concours ne se met en place qu’au siècle suivant et la préparation est assurée
pour l’essentiel par l’enseignement privé. C’est seulement après 1970 que se multiplient les
prépas HEC dans les lycées. La croissance a été fulgurante à partir de 1980.
Le système des classes préparatoires est lié à celui des grandes écoles recrutant sur concours,
qui prend véritablement naissance à la fin du XIXe siècle avant de se développer au siècle
suivant. La réorganisation d’ensemble des écoles d’ingénieurs autour de la question du
diplôme, dans les années 1930, favorise son expansion progressive. Au terme d’un long
travail d’homogénéisation et de différentiation, qui dure une trentaine d’années, ces écoles
s’intègrent dans une pyramide dont les différents niveaux sont déterminés par le concours.
L’extension après 1945 du principe méritocratique à l’ensemble des carrières administratives
et économiques supérieures, avec la création de l’ENA et le développement des grandes
écoles de commerce aboutit à la mise en place dans les années 1960 du système des grandes
écoles tel qu’il existe encore aujourd’hui, et à celui des classes préparatoires qui en est
l’appendice.
On notera cependant qu’en dépit de tout, le nombre des préparationnaires à la fin des années
50 n’est pas supérieur à celui de la fin du XIXe siècle. Cette stagnation met en évidence un
profond malthusianisme, qui n’est pas l’apanage d’ailleurs des grandes écoles et de leurs
préparations mais qui caractérise, en fait, également l’enseignement secondaire, ou du moins
celui des lycées, pendant les deux premiers tiers du XXe siècle.
Je laisse à Christian Baudelot et ses complices le soin de nous éclairer sur l’évolution des
classes préparatoires au cours du dernier tiers du XXe siècle. Ils sont beaucoup plus
compétents que moi pour le faire. Je voudrais cependant pour terminer et avant de leur laisser
la parole soulever quelques questions en me plaçant au point de vue de la longue durée.
Les classes préparatoires constituent un élément d’un dispositif plus vaste, celui des grandes
écoles, dont la pièce essentielle est le recrutement par concours. On a vu que ce mode de
recrutement remonte à la fin du XVIIe siècle, quand est créé par Vauban un examen
d’admission dans le corps des ingénieurs des fortifications. Depuis l’origine, on n’a cessé
d’insister, avec plus ou moins de raisons, sur deux avantages de ce mode de sélection
méritocratique : en écartant la recommandation, il est ouvert à tous, selon leurs talents et leur
travail ; en obligeant tous les candidats à se préparer intensément, il assure une grande
homogénéité de la formation. Au début du XIXe siècle, ce système a suscité l’admiration
22
Une histoire des C.P.G.E.
partout en Europe. Des écoles comme l’École polytechnique ou l’École centrale ont servi de
modèles, imités dans de nombreux pays, y compris aux Etats-Unis. Mais, il y a eu depuis un
développement extraordinaire des universités. Aux Etats-Unis par exemple, les engineering
schools et les business schools ont un statut universitaire. De même en Allemagne ou en
Angleterre. Il n’existe pas de système de concours homogène. Les établissements sont
beaucoup plus grands et profitent des synergies qu’offre l’intégration dans de vastes structures
universitaires. Le MIT compte 20000 étudiants, contre 500 à peine pour l’École
polytechnique qui voudrait se comparer à lui.
En France, où l’enseignement universitaire s’est développé plus tard et plus faiblement,
l’histoire a été différente. On est resté sur le modèle mis en place au début du XIXe siècle,
pour la formation des élites scientifiques et techniques. On insiste souvent sur son degré
d’excellence, qui est réel. On veut moins souvent voir ses défauts, qui sont évidents :
étroitesse, auquel ne peuvent remédier ni l’explosion du nombre des classes prépas, ni
l’harmonisation entre les écoles ; malthusianisme, qui reste celui d’une filière fortement
hiérarchisée et isolée du système global de formation supérieure, élitisme, d’une formation
financièrement avantagée, pour une population scolaire le plus souvent déjà favorisée
socialement. Notre système des grandes écoles est typique d’un mal français : on s’illusionne
pour ne rien changer. Si on veut remédier un jour aux faiblesses criantes de notre
enseignement supérieur, que tout le monde reconnaît, il faudra bien aussi réformer en
profondeur notre système des grandes écoles et, avec lui, un système des classes préparatoires
qui a aujourd’hui plus de deux siècles.
***
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Les C.P.G.E. au fil du temps : une étude statistique et sociologique (Acte I)
Les CPGE au fil du temps
Christian Baudelot
(Département de sciences sociales, Ecole normale supérieure)
Brigitte Dethare, Sylvie Lemaire et Fabienne Rosenwald
(Direction de l’Evaluation et de la Prospective,
Ministère de la Jeunesse, de l’Education Nationale et de la Recherche)
Nous connaissons, désormais, grâce à l’exposé de Bruno Belhoste, les origines historiques des
classes préparatoires et des grandes écoles ainsi que la place très originale, qu’elles occupent
dans le système français. Le caractère duel de notre enseignement supérieur et les classes
préparatoires participent de cette exception française qu’il est si difficile d’expliquer
simplement à l’étranger...Et pour cause, puisque ce fer de lance de l’école laïque et
républicaine est le fruit de l’église et de l’armée ! Héritage composite qui réunit des aspects
empruntés aux Collèges des Jésuites, à la formation des officiers des corps techniques des
armées de l’Ancien régime et de l’Empire, à la recherche démocratique des talents inspirée
par la Convention, à la volonté des entreprises et de l’Etat de sélectionner et de former les
cadres dont ils ont besoin. Sources diverses qui partagent pourtant un point commun : une
méfiance séculaire à l’égard de l’Université, jugée a priori incapable de former efficacement
les cadres scientifiques et techniques dont l’Etat puis les entreprises avaient besoin. La
division du travail est la suivante : à l’Université de former les « clercs », les intellectuels,
savants et autres hommes de culture. Aux grandes écoles et aux classes préparatoires la
mission de choisir et de former des professionnels chargés d’encadrer les diverses fonctions
scientifiques, techniques de l’Etat et des entreprises.
Après la fresque historique de long terme, voici venu le temps d’une autre fresque, de moyen
et de plus court terme, telle que peut la brosser la statistique. Les données statistiques que
nous allons vous présenter permettent de se faire une idée précise de la place qu’occupe
aujourd’hui les classes préparatoires dans l’enseignement supérieur ainsi que des évolutions
récentes et même de moyen terme. La très grande qualité des statistiques scolaires établies
depuis plus de cinquante ans par les services du Ministère – autre exception française,
l’excellente qualité des services statistiques – permet de remonter assez loin (années 60) mais
surtout de combiner deux approches : une approche institutionnelle et une approche
individuelle. La première est synchronique ou plutôt synchro-diachronique ; elle dresse le
tableau de la situation une année donnée ou une série d’années données par des courbes ou
des graphique. La seconde, beaucoup plus individuelle est longitudinale ; elle retrace
l’itinéraire scolaire d’une génération. Elle est ainsi capable de reconstituer le processus de
sélection continu qui isole progressivement dès la classe de sixième les cinq petits pour cent
de leur génération qui entreront dans une classe préparatoire. Cinq petits pour cent d’une
génération, telle est la dimension exacte de la population qui nous réunit tous dans le cadre de
ce colloque. L’articulation de ces deux approches est absolument nécessaire. Complémentaire
de la vision historique qui vient de nous être présentée, elle montre combien le système des
classes préparatoires ne constitue pas seulement un petit morceau de notre enseignement
supérieur mais comment, au contraire, il fait corps avec la conception de l’excellence scolaire
à la française, telle que la République l’a empruntée aux Jésuites, aux Armées de l’Ancien
régime et à l’administration de l’Empire, in saecula saeculorum.
25
L’articulation de ces deux approches permet aussi d’identifier des marges d’action. Elle permet
en particulier de repérer de nouveaux viviers susceptibles de renouveler et d’élargir la base
sociale, scolaire et géographique des publics des CPGE. Elle appelle ainsi à modifier le profil des élites de demain de manière à ce qu’ils soient plus en phase avec les transformations
des emplois et des métiers de la France de demain.
***
Acte I
Les graphiques permettant de suivre l'exposé sont à la fin de celui-ci.
Attention : pendant la première partie de l’étude, le champ considéré est celui des classes
préparatoires publiques relevant du Ministère de l’Education Nationale. Les autres CPGE
(celles du ministère de l’agriculture, de la défense ainsi que les écoles privées) représentent en
2002, 17 % des effectifs, soit 12600 étudiants. Mais pour des raisons de suivi sur longue
période et de meilleures statistiques sur différentes variables nous ne les avons pas incluses
dans notre étude.
Commençons par le début et observons l’évolution des effectifs des classes préparatoires
depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, soit plus d’un demi-siècle. Le profil d’ensemble
est à la hausse, avec trois périodes bien distinctes : une montée en charge de la fin des années
40 à 1985, un fort et vif accroissement, pendant dix ans, de 1985 à 1995, suivi d’un plateau
où l’effectif demeure à peu près constant frôlant sans jamais l’atteindre les 60 000 élèves.
Plus précisément si en 1947 seulement 8 600 élèves étaient en classes préparatoires, ils sont
actuellement 58 600 soit près de 7 fois plus. De 1975 à 2000, en 25 ans, les effectifs ont
doublé en CPGE. La hausse a été particulièrement forte de 85 à 95 (+ 55%) (avec +40% de
85 à 90) puis on a assisté à une légère baisse de 95 à 2 000 suivie d’une légère remontée de 2
000 à 2 002.
Cette progression des effectifs des CPGE ne s’est pas effectuée au détriment de la capacité de
l’Education Nationale à former une élite scolaire. En effet la Direction de l’Evaluation et de la
Prospective a évalué en 1993 les connaissances et compétences scolaires des " meilleurs
élèves " et les a comparées à celles de leurs aînés des années 50, 60, 70 et 80. Les conclusions
de l'étude sont claires : ces compétences scolaires prises globalement étaient stables et même
en légère croissance. Croissance des effectifs de l'élite scolaire et maintien de son niveau
d'excellence sont donc allés de pair.
Lorsqu’on fragmente cet ensemble « classes préparatoires, toutes filières confondues », en ses
trois composantes – classes préparatoires scientifiques, économiques et commerciales,
littéraires, les khagnes BL étant regroupées avec les prépas littéraires -, on s’aperçoit que :
Les 3 filières de CPGE qui se distinguent à la fois par leurs évolutions mais également par
leur contribution à l’évolution totale ont connu chacune leur propre rythme de développement
26
Les C.P.G.E. au fil du temps : une étude statistique et sociologique (Acte I)
Ainsi, de 1975 à 2002, l’ensemble des effectifs des CPGE a augmenté de 95%.
- les effectifs des classes scientifiques ont augmenté de 82%
- les effectifs des classes économiques ont augmenté de 214%
- et les effectifs des classes littéraires ont augmenté de 63%
Lors de la période 85 à 95, ce sont les prépas scientifiques qui tirent l’évolution vers le haut ;
elles sont relayées de 95 à 2000 par un boom des classes économiques et commerciales qui
sont les seules à augmenter à ce moment. De 2000 à 2002, toutes les filières augmentent, mais
les classes littéraires relativement plus que les autres.
Finalement
-
les prépas scientifiques se taillent la part du lion puisqu’à elles seules elles constituent,
tout au long de la période, près des deux tiers des effectifs. C’est à elles qu’on doit la
forte croissance observée entre 1985 et 1995, les deux autres composantes ne se
caractérisant par aucune inflexion forte à la hausse. La forte progression de 85 à 95 se
retrouve quelles que soient les filières mais elle est surtout expliquée par la forte augmentation des filières scientifiques.
-
ne représentant à elles deux qu’un tiers des effectifs, les prépas commerciales et littéraires
ont une influence moins accentuée. Cependant elles contribuent fortement aux évolutions
récentes.
Ainsi, de 1995 à 2000, les effectifs des CPGE ont baissé de 1,6% mais la filière économiecommerce a connu, et c’est la seule filière, une hausse de 31%. Cette augmentation
s’explique en partie par la réforme de 95, c’est-à-dire, le passage de un à deux ans de la
scolarité des prépas économiques et commerciales option scientifique et économique.
Conséquence de tout cela : les prépas commerciales et économiques dont les effectifs étaient
en début de période inférieurs à ceux des prépas littéraires, les dépassent en 1995 et comptent
désormais 2 000 élèves de plus.
Une comptabilité plus précise de l’évolution des volumes respectifs de ces trois composantes
met en évidence un net accroissement de la part des prépas économiques qui, en 25 ans,
passent de 13 à 20%. Cette percée réduit donc mécaniquement les parts relatives des deux
autres composantes – scientifiques et littéraires – sans que ces dernières voient baisser leurs
effectifs.
Avant 1995, sur 10 élèves de CPGE, 7 étaient des scientifiques, 2 des littéraires et 1 un économiste. En 2002, sur 10 élèves, 6 sont des scientifiques, 2 des littéraires et 2 des économistes.
On assiste donc à une redistribution des scientifiques vers les économistes-commerciaux.
Tout cela est bel et bon, dira-t-on, mais une croissance des effectifs n’a de sens que si on la
rapporte à la croissance des effectifs des autres composantes de l’enseignement supérieur, les
universités, bien sûr mais aussi les autres secteurs sélectifs, Iut, Sts… Chacun sait en effet que
depuis les années 60, les effectifs de l’enseignement supérieur ont explosé, le nombre
d’étudiants passant de 310 000…. en 1960 à 2 millions 2…. en 2002. Soit un facteur 7.
27
La seule vraie question est donc de savoir si les effectifs des prépas ont cru plus, autant ou
moins que les autres secteurs de l’enseignement supérieur, ceux du premier cycle universitaire
en particulier. Et là, surprise : miracle de la statistique et de ses fonctions d’objectivation. En
dépit des fortes variations des effectifs enregistrées dans la première courbe, en dépit des
transformations de la composition organique des prépas (plus de prépas commerciales et économiques), en dépit de toutes ces créations de classes ici et là, au prix d’un travail acharné de
chefs d’établissements et des associations professionnelles qui devaient développer des trésors
d’ingéniosité et d’obstination pour faire ouvrir dans leur établissement qui une khagne BL,
qui une taupe M, ou une prépa Hec, c’est un tableau de la constance et des permanences que
la statistique nous invite à contempler. Il en va des statistiques des prépas comme de celles
que Durkheim a établies pour le suicide : elles sont animées d’une grande force d’inertie, elles
varient très peu. L’information la plus intéressante du graphique réside en effet dans l’alignement des petits bâtonnets bleu roi qui représentent la part occupée par les classes préparatoires
par rapport à la part des étudiants de premier cycle des universités.
Elle ne varie quasiment pas oscillant légèrement au cours du dernier quart de siècle autour de
7%, tantôt un peu plus, tantôt un peu moins. Dans le cadre d’une tendance générale à la
hausse des effectifs de l’enseignement supérieur, les classes préparatoires ont maintenu, à la
décimale près, leur place. Ni plus, ni moins. Le phénomène est particulièrement remarquable
lorsqu’on sait qu’une partie de la régulation des effectifs est spontanée. Ce quota de 7 % n’a
jamais fait l’objet d’une décision politique ou administrative. Nombreux ont également été les
bouleversements de l’enseignement supérieur au cours de la période. Or, dans cet ensemble,
la proportion des prépas reste constante.
Deuxième enseignement de ce graphique, celui qui joue le rôle de trompe l’œil, tant il est
spectaculaire :la forte croissance d’autres filières sélectives de premier cycle : IUT et STS. La
seule croissance de ces filières réduit considérablement la part des classes prépas proprement
dite dans le secteur ouvertement sélectif : elle tombe de 10 points (de 29 à 18). Le secteur
ouvertement sélectif se rééquilibre donc au détriment des CPGE et au profit des IUT et STS.
Autre évolution importante : la montée des classes BL (sciences économiques et sociales),
nouvelles venues dans le paysage qui ont créé un pôle nouveau, un pôle d’avenir au sein des
formations littéraires, en recrutant des bacheliers scientifiques et en diversifiant considérablement leurs débouchés : ens, ensae, écoles de commerce, etc…Elles ne représentaient que
4 % des effectifs des khagnes littéraires, elles sont passées à 10 % et ne demandent qu’à
croître et embellir.
Au terme de ce premier aperçu, il ressort que les Cpge ont évolué, mais qu’elles ont évolué au
même rythme que l’enseignement supérieur en général, d’autres structures ouvertement1
sélectives voyant le jour et se développant à leurs côtés.
Cependant – spéciale dernière ! ! !- à la rentrée 2002 on observe une forte hausse des
nouveaux entrants en CPGE (+3,6%) alors que les nouveaux entrants baissent en IUT (-1,5%)
et en STS (-2,5%).
***
1
Nous utilisons à dessein « ouvertement » car d’autres instances de premier cycle sont « fermement sélectives »
dans la mesure où elles exigent une certaine section de bac pour inscrire les étudiants : fac de sciences et d’économie ne recrutent que des bacs C ou S.
28
Les C.P.G.E. au fil du temps : une étude statistique et sociologique (Acte I)
Il importe maintenant de compléter cette première vue d’ensemble par une analyse plus
détaillée des évolutions internes. De mieux caractériser les différentes populations qui
composent cet ensemble et ses sous-ensembles. Chercher à savoir comment au fil du temps,
les classes préparatoires se distribuent sur l’ensemble du territoire, entre Paris et la Province,
distinction stratégique en France. Se demander si le procès qu’on leur fait souvent de n’attirer
que des garçons et de repousser les filles est fondé ou si les filles au contraire ne commencent
pas à conquérir à leur manière ce nouveau territoire. S’interroger également sur leur
recrutement scolaire. Et puis aussi d’avoir des idées plus claires sur l’évolution de son
recrutement social. Chacun se souvenant de l’article de Michel Euriat et Claude Thélot qui
montrait qu’en trente ans les chances d’un enfant d’origine populaire d’entrer dans l’une des
quatre très grandes écoles (Ens, X, Hec, Ena) sont demeurées constantes : 24 fois moins de
chances qu’un élève originaire d’un autre milieu.
Longtemps, le centralisme jacobin (qui existait déjà sous l’Ancien Régime ! ! !) a fait de Paris
le foyer unique des lumières, la capitale concentrant les meilleures formations.
De fait, Paris et la région parisienne abritaient en 1970, 40 % des élèves scolarisés en classes
préparatoires. Les trente dernières années du siècle passé ont sensiblement corrigé cette
disparité majeure. Soixante dix pour cent des effectifs étudient désormais dans des classes
préparatoires situées en dehors de la Région Parisienne, sur l’ensemble du territoire, les parts
de la Région parisienne et de Paris intra muros étant respectivement tombées en trente ans de
40 à 33 et de 30 à 19. Aujourd’hui, seul un élève de prépa sur cinq est scolarisé à Paris. On a
donc une redistribution vers la province et à l’intérieur de l’Ile de France hors de Paris.
Progrès certes mais qui semble avoir atteint un palier. La situation ne progresse plus depuis
1995.…
Et le poids de Paris reste encore très élevé : il existe une forte redistribution des élèves
entrant en classes prépas avant et après l’obtention de leur baccalauréat. Les bacheliers
parisiens inscrits en CPGE ne représentent que 8% du total des bacheliers qui continuent en
CPGE. Or, 17% - un peu plus du double - des bacheliers entrant en CPGE font leur scolarité
à Paris.
De plus, si toutes les académies de France possèdent des classes préparatoires, les capacités
d’accueil sont très variables : en France métropolitaine et sans l’académie de Corse, .le
rapport est de 1 à 24 entre l’académie dotée de la capacité d’accueil la plus faible
(Limoges avec 470 élèves) et l’académie dotée de la capacité d’accueil la plus large
(Paris avec 11 130 élèves). Six académies (Paris, Versailles, Lyon, Lille, Rennes et Toulouse)
sur 26 concentrent à elles seules près de la moitié des effectifs.
Rien d’étonnant, dans ces conditions, si les élèves de CPGE sont plus mobiles que les autres
étudiants du supérieur. De fait, les CPGE suscitent d’importants flux migratoires. Alors qu’un
étudiant sur dix change d’académie après son bac, c’est le cas d’un préparationnaire sur
quatre.
Plus précisément, sur l’ensemble des élèves qui continuent après leur baccalauréat en CPGE :
10% quittent une académie de province pour aller à Paris, 14% changent d’académie dans le
sens province … province, 1% vont de Paris vers la Province et les trois autres quarts ne
changeant pas d’académie.
29
Il existe par contre une bonne raison de se réjouir, sans devoir le moins du monde bouder son
plaisir. Il s’agit à coup sûr de la transformation la plus importante intervenue au cours des
cinquante dernières années dans l’univers des clases préparatoires. La percée scolaire des
filles. Certes, on est encore loin de la parité. Surtout, les classes préparatoires accusent un
retard considérable sur l’évolution en cours dans toutes les autres instances de
l’enseignement, médecine comprise. La percée des filles s’est effectuée là avec retard et sur
un rythme moins soutenu qu’ailleurs. Mais il faut pour mesurer à sa juste valeur ces
évolutions récentes se souvenir d’où l’on part, c’est-à-dire d’un état voisin du degré zéro. Ces
classes, héritées, rappelons-le des collèges des Jésuites, avaient gardé de l’Eglise cette
défiance dont toutes les religions ont toujours fait preuve à l’égard des femmes. S’agissant de
former l’élite intellectuelle du pays, ces classes ne pouvaient recruter que des hommes. Les
grandes écoles étaient des écoles de garçons. Ce n’est plus le cas.
Si le rythme de croissance des années récentes de 1 % par an se maintient, la parité sera enfin
réalisée vers 2009 ou 2010, ce qui a longtemps été exclu des imaginations les plus hardies.
Petite ombre au tableau, toutes les filières ne sont pas également féminisées. Et une analyse
plus fine des prépas scientifiques montre que la poussée des filles est forte dans les classes bio
et plus faible, beaucoup plus faible dans les prépas Maths et Physique. Par contre, les filières
« modernes », économiques, commerciales et sciences sociales se caractérisent par des
poussées significatives. La « femme étant l’avenir de l’homme », ne sont-ce pas ces filières
qui sont aujourd’hui, le plus porteuses d’avenir ? ? ? ?
Si certaines filières ne sont pas encore assez féminisées (le noyau dur des prépas
scientifiques), certaines par contre, le sont trop (les prépas littéraires, avec près de 80 % des
filles). L’équilibre étant presque atteint par les préparations commerciales. Phénomène là
encore très récent : l’art de la vente et des échanges a longtemps été un apanage masculin,
associé à la faconde (voir le personnage de Gaudissart chez Balzac). Depuis que ces
professions commerciales et économiques sont devenues plus scientifiques et rationnelles
(marketing, études de marché, prévisions, modèles économétriques, direction de grandes
surfaces…), elles se sont ouvertes aux femmes qui y font merveille. Idem pour la filière B/L,
sciences économiques et sociales. A chacun de se demander où est la cause, où est l’effet ?
Mais, en dépit de ces fortes disparités sectorielles, les pentes sont à la hausse dans les trois
secteurs. Le retard accumulé dans le domaine des prépas scientifiques et surtout dans son
noyau dur (maths-physique) constitue à lui seul un grave problème. Ne nous laissons pas
berner par les représentations graphiques. N’oublions pas que la micro flûte de Pan à gauche
(celle des prépas scientifiques), qui se font toutes petites, lorsqu’il s’agit d’enregistrer la
progression des filles, dissimule sous sa taille modeste les gros bataillons des prépas.
Souvenons-nous des premiers schémas.
La courbe des évolutions des effectifs par sexe montre avec clarté un phénomène décisif,
confirmé par beaucoup d’autres analyses. Les effectifs masculins stagnent ou régressent, ceux
des filles ne cessent de progresser. Autre phénomène non négligeable : les filles contribuent
plus que les garçons proportionnellement à leur poids à la croissance des effectifs en CPGE.
Ainsi de 1975 à 2002 les effectifs de filles en CPGE ont augmenté de 172% alors que ceux
des garçons n’augmentaient que de 60%. Ce sont les filles qui ont le plus contribué à la
croissance totale des effectifs de CPGE et leur poids augmente donc de 1975 à 2002 comme
nous l’avons vu précédemment. Ce phénomène se retrouve quelle que soit la filière de
CPGE.
30
Les C.P.G.E. au fil du temps : une étude statistique et sociologique (Acte I)
Récemment, de 2000 à 2002, les effectifs de garçons baissent de 1% alors que les effectifs de
filles augmentent de 7%. Ces évolutions inverses se retrouvent également quelle que soit la
filière.
C’est donc aux filles qu’on doit dans les dernières années le maintien et la progression du
poids des classes préparatoires dans le système d’enseignement supérieur français. Ce
mouvement est particulièrement net dans le secteur des prépas commerciales. Par contre, la
décroissance sensible de la participation masculine aux formations littéraires pose un
problème du même ordre que la sous représentation des filles dans les prépas scientifiques.
Le moment est venu d’aborder un sujet délicat. Celui du recrutement social des classes
préparatoires et de son évolution. Afin de ne pas froisser des oreilles sensibles par un discours
trop appuyé sur la reproduction, nous avons opté pour une présentation muette en laissant
cette fois les faits parler d’eux-mêmes. Car ils sont éloquents…..
Mais ces disparités sociales se construisent tout au long de la scolarité.
En matière sociale, une situation n’est jamais désespérée. La connaître de façon objective
constitue un premier pas pour la transformer. Une analyse des évolutions récentes des
baccalauréats indique l’existence de nouveaux viviers.
De nouveaux viviers
Les analyses précédentes des évolutions des CPGE permettent déjà d’identifier deux viviers
d’élèves pour les CPGE mais également de mettre en évidence une certaine démocratisation
des recrutements en CPGE sur 25 ans. Un troisième vivier apparaîtra à la fin de l’ Acte II..
a) les bacheliers technologiques.
Globalement, la courbe des bacheliers a la même allure que celle des effectifs de CPGE avec
des différences qui sont liées au comportement des différents bacs, des différentes séries
composant le bac général, mais surtout aux taux de poursuite des bacheliers en CPGE. Ces
deux facteurs ont joué de grands rôles sur la période et la hausse des effectifs de CPGE est
due à la fois à une augmentation du nombre de bacheliers mais également à une croissance de
leurs taux de poursuite en CPGE.
Ainsi, de 1975 à 2002, le nombre de bacheliers généraux a augmenté de 63% et celui des
bacheliers technologiques de 170%. Parallèlement de 1975 à 2002 les effectifs des entrants en
CPGE venant d’un bac techno de 2288% et ceux d’un bac général de 79%, donc beaucoup
plus que leur effectifs au bac. On assiste donc à une hausse des taux de poursuite des
bacheliers en CPGE à la fois pour les bacheliers généraux et pour les technologiques. On a
le même phénomène quelle que soit la série au bac général : 5% des bacheliers L continuaient
en CPGE en 75, ils sont 7,1% en 2002, 2% des bacheliers ES continuaient en CPGE en 75,
ils sont 4,5% en 2002, 15,6% des bacheliers S continuaient en CPGE en 75, ils sont 17,3% en
2002.
31
Les taux de poursuite jouent un rôle essentiel mis un peu compliqué à analyser puisqu’ils
mesurent à la fois un attrait pour les CPGE, un nombre de places disponibles mais également
un degré de sélectivité, ces trois facteurs n’étant pas totalement indépendants entre eux :
De 1985 à 1995 le nombre de bacheliers généraux a plus augmenté que celui des entrants en
CPGE : ce sont en effet les taux de poursuite des bacheliers généraux, les S et dans une
moindre mesure les L, et ceux des bacheliers technologiques qui ont baissé entraînant une
moindre hausse des CPGE.
De 1995 à 2000 le nombre de bacheliers généraux a baissé de 6% mais celui des bacheliers
technologiques a augmenté de 10%, or les effectifs des entrants en CPGE connaissent sur la
même période une baisse de 6% : cette fois les taux de poursuite des bacheliers généraux ont
légèrement baissé, en raison d’une forte baisse des taux de poursuite des bacheliers S
contenue par une hausse des celles des bacheliers L et ES. Par contre les taux de poursuite des
bacheliers technologiques ont augmenté.
Par contre, de 2000 à 2002 le nombre de bacheliers généraux a baissé de 5%, celui des
bacheliers technologiques de 7% alors que les effectifs des entrants en CPGE augmentaient
quel que soit le bac et la série. Donc les taux de poursuite ont augmenté et permis d’enrayer
la baisse des effectifs de bacheliers.
Cette hausse des taux de poursuite des bacheliers généraux en CPGE a permis de compenser
la baisse des bacheliers généraux et plus particulièrement celle des bacheliers S si bien qu’on
assiste en 2002 à une hausse des entrants en 1ère année de CPGE alors qu’on on une baisse
des effectifs en IUT et STS.
Dans la conjoncture démographiquement déprimée que nous connaissons, les CPGE demeurent toujours attractives.
Si on examine plus finement le profil des bacheliers on constate une redistribution des profils
des élèves en terminales et en CPGE en terme de bac, de séries mais également d’options.
Cependant cette redistribution a évolué dans le temps.
En 1975, au baccalauréat général ou technologique on avait 75% de bacheliers généraux et
25% de bacheliers technologiques. Plus précisément parmi les bacheliers généraux 33%
avaient un bac A, 14% un bac B et 53% un bac C, D , D’ ou E (et 37% d’entre eux un bac C).
Toujours en 1975, les bacheliers qui se retrouvent en CPGE étaient pour 99,6% des bacheliers
généraux et pour 0,4% des bacheliers technologiques. Plus précisément parmi les bacheliers
généraux qui entrent en CPGE 17% avaient un bac A, 3% un bac B et 80% un bac C, D , D’
ou E ( avec 80% d’entre eux un bac C).
En 2002, au baccalauréat général ou technologique le poids des bacheliers technologiques a
été multiplié par 1,4 et leurs effectifs par 3 : on a 65% de bacheliers généraux et 35% de
bacheliers technologiques. Plus précisément parmi les bacheliers généraux 19% ont un bac L,
31% un bac ES et 50% un bac S.
Et en 2002, soit 27 ans plus tard, le poids des bacheliers technologiques en CPGE a été
multiplié par 12 et leurs effectifs par 24: les bacheliers qui se retrouvent en CPGE sont pour
5% des bacheliers technologiques. Plus précisément parmi les bacheliers généraux qui entrent
en CPGE 12% avaient un bac L, 12% un bac ES et 76% un bac S.
32
Les C.P.G.E. au fil du temps : une étude statistique et sociologique (Acte I)
Aussi, les bacheliers technologiques rendent compte, à eux seuls, entre 1975 et 2002 de 10%
de l’évolution des effectifs d’ensemble. Alors qu’ils ne représentaient que 0,4 % des effectifs
de CPGE en 1975, ils en représentent 5 % aujourd’hui. Leurs taux de poursuite en CPGE a été
multiplié par 10. Mais cela reste faible : si seulement 0,1% d’entre eux entraient en CPGE en
1975, ils sont 1% actuellement.
Autre mesure qui confirme la première. Les rapports de chances relatives d’entrée en CPGE,
entre un bachelier général et un bachelier techno, un bachelier S et un autre bachelier ont
diminué depuis 75. On enregistre ainsi une diminution des disparités scolaires face à l’entrée
en CPGE.
b) Les filles
De 1975 à 2002,
le nombre de bachelières générales a augmenté de 70% alors que celui des bacheliers
généraux n’augmentait que de 54%.
Le nombre de bachelières générales série S a augmenté de 59% alors que celui des bacheliers
généraux n’augmentait que de 47%.
Le poids des filles a donc augmenté au bac général et au bac S mais également en ES et L.
Sur la même période leur présence en CPGE a été multipliée par trois, donc plus que leurs
effectifs au baccalauréat. Leur taux de poursuite en CPGE a donc cru fortement. De plus,
quelle que soit la filière les effectifs de filles ont plus augmenté que ceux des garçons si bien
qu’elles expliquent, à elles seules, plus de la moitié de la croissance des effectifs en CPGE de
1975 à 2002 alors qu’elles représentent bien moins que la moitié des effectifs.
Cette forte contribution des filles aux évolutions des CPGE est due à la fois à une
augmentation des effectifs de bachelières, à une hausse de leur poids au bac mais également à
une progression de leur taux de poursuite en CPGE.
Allons plus loin : depuis 1995, c’est la poussée des filles qui soutient les Cpge puisque les
effectifs masculins diminuent. Alors qu’elles ne représentaient que 30 % des effectifs, elles
passent à 40 aujourd’hui.
Il y a là un fort potentiel : d’autant qu’elles sont plus souvent bachelières, qu’elles obtiennent
plus souvent avec une mention. Or, ces poids des filles dans les différentes séries au bac et
cette meilleure réussite des filles ne se retrouve pas en CPGE lorsqu’on examine le poids des
filles. Les réserves sont grandes et forte est la marge d’accroissement. Les filles ont toujours
moins de chances d’entrer en classes prépa que les garçons mais l’écart se resserre. Les
rapports de chances relatives d’entrée en CPGE, entre un bachelier et un bachelière ont
diminué depuis 75. On enregistre ainsi une diminution des disparités filles/garçons face à
l’entrée en CPGE.
Nous tirerons de ce premier acte, 5 conclusions :
33
a) forte résistance de l’institution qui évolue en s’adaptant à la montée des effectifs dans
l’enseignement supérieur, sans la moindre baisse de qualité
b) montée en puissance d’autres filières « ouvertement sélectives »
c ) poussée forte des filles et significatives des bacs technologiques, qui constituent de
nouveaux viviers à la fois par une progression de leur effectifs en amont (au bac) en
absolu et en relatif et par de meilleurs taux de poursuite en CPGE. Mais il reste de la
marge.
d) maintien d’une forte sélection sociale qui doit être tempérée par le fort accroissement dans
la population active des catégories de cadres intellectuels moyens et supérieurs.
e) Mais baisse de la disparité par sexe et par origine scolaire.
***
34
Les C.P.G.E. au fil du temps : une étude statistique et sociologique (Acte I)
Les grandes évolutions
Evolution des effectifs des classes préparatoires - publiques MEN 70000
58157
60000
58572
57251
57460
2000
2001
52547
50000
37519
40000
30078
22716
30000
33531
27387
14925
20000
8619
10000
0
1947
1958
1964
1970
1975
1980
1985
1990
1995
2002
Rentrées
LES DIFFERENTES PARTS AU COURS DU TEMPS DES FILIERES SCIENTIFIQUES, LITTERAIRES ET ECONOMIQUES
45 000
39 728
40 000
36 703
35 256
36 827
37 152
35 000
30 000
25 000
18 382
20 450
22 347
24 466
20 000
15 000
10 000
6 300
5 849
6 496
5 000
2 705
0
1970
3 779
1975
4 688
1980
7 071
5 982
1985
Classes scientifiques
9 179
8 112
1990
9 671
8 758
1995
Rentrées
Classes économiques
35
11 882
11 481
11 383
9 067
9 250
9 538
2000
2001
2002
Classes littéraires
Le poids des cpge dans le premier cycle
30,0
29,3
26,4
23,8
25,0
22,4
19,5
18,1
20,0
18,6
18,2
15,0
10,0
7,5
5,0
7,0
6,0
6,8
6,4
5,5
5,2
5,0
6,8
6,8
5,0
7,2
7,1
5,1
5,0
5,2
0,0
1975
1980
1985
1990
1995
CPGE/filières sélectives (STS + IUT + CPGE)
2000
2001
cpge/1er cycle universitaire
2002
CPGE/ensemble
Evolution du poids Paris/province
61,0
69,1
69,4
68,2
67,0
70,0
% Paris
68,9
61,9
60,0
50,0
40,0
30,3
28,5
30,0
20,9
19,7
18,4
20,0
19,0
18,7
10,0
0,0
2002
2001
2000
1995
1990
1980
1970
-200
-200
-200
6
1
2
3
1
-199
-199
-81
-71
36
% Ile de
France
%
Province
Les C.P.G.E. au fil du temps : une étude statistique et sociologique (Acte I)
Evolution de la part des filles dans les classes préparatoires (Education
nationale)
100
90
80
Elèves
70
60
50
40
31
33
1975-76
1980-81
37
38
1990-91
1995-96
41
42
43
2000-2001
2001-2002
2002-2003
30
20
10
0
Garçons
Filles et garçons
dans les classes scientifiques
Filles
30 000
29 394
25 000
27 205
20 000
26 426
26 629
26 446
18 177
16 788
27205
15 000
10 334
10 000
10 401
10 074
10 706
8 051
3 662
5 000
4952
4 170
0
3
00
-2
02
20
Garçons
dans les classes littéraires
Filles
8000
2
00
-2
01
20
1
00
-2
00
20
6
-9
95
19
1
-9
90
19
5
-8
84
19
0
-9
80
19
6
-7
75
19
Garçons
Dans les classes économiques et commerciales
Filles
8000
7085
6529
7000
7165
7165
6611
7000
7412
5842
6000
6000
5346
4785
5000
5000
4952
4000
3000
4772
4797
4000
3084
3833
2275
2484
5071
4586
4102
3973
3000
1910
2826
2000
2000
2270
2506
2120
2085
2126
2000
2204
1000
1000
1504
1747
0
0
03
-20
02
20
02
-20
01
20
01
-20
00
20
-96
95
19
-91
90
19
-86
85
19
-90
80
19
-76
75
19
03
-20
02
20
02
-20
01
20
01
-20
00
20
6
5-9
199
1
0-9
199
5
4-8
198
1
0-8
198
6
5-7
197
37
L’origine sociale des étudiants
dans les classes scientifiques
50,0
44,7
43,7
43,5
43,9
44,2
44,2
28,8
28,9
28,9
44,8
40,0
28,9
30,0
20,0
28,3
27,9
14,7
14,9
14,7
13,7
10,0
13,3
11,7
15
14,9
14,9
12,4
12
12
28,2
15,2
11,8
0,0
02
20
01
20
00
20
99
19
98
19
97
19
96
19
Milieu supérieur
Milieu enseignant
Milieu intermédiaire
Milieu populaire
dans les classes économiques et commerciales
60,0
50,0
52,8
52,0
25,8
26,2
13,2
12,7
9,1
51,3
51,2
51,5
51,5
51,1
26,1
25,7
26,1
26,1
25,5
13,2
9,4
14
13,9
13,9
14,8
9
8,4
8,4
8,6
40,0
30,0
20,0
10,0
8,2
0,0
1996
1997
Milieu supérieur
1998
1999
Milieu enseignant
38
2000
Milieu intermédiaire
2001
Milieu populaire
2002
Les C.P.G.E. au fil du temps : une étude statistique et sociologique (Acte I)
dans les classes littéraires
50,0
40,0
44,3
42,7
30,0
26,2
20,0
17,2
10,0
12,2
44,9
43,5
41,8
44,9
45
27,8
26,8
25,8
25,8
25,9
19,5
18,6
18,5
17,4
17,4
11,9
11,8
11,2
12
12
16,6
12,4
25,9
0,0
1996
1997
1998
Milieu supérieur
1999
Milieu enseignant
2000
Milieu intermédiaire
2001
2002
Milieu populaire
Les origines sociales des étudiants :
57 % des garçons et 59 % des filles élèves de classes préparatoires
sont issus de milieux sociaux supérieurs ou de familles d’enseignants.
Lesquels ne représentent que 18% de la population active.
La contribution de la Province :
- plus d’enfants d’enseignants.
- plus d’enfants de classes moyennes.
39
Les origines sociales des élèves selon leurs origines
géographiques
(1996-1997)
60
Ile de
France
Province
56,5
50
42,1
40
31,2
30
19,8
20
14,4
13,9
9,3
12,8
10
0
Milieu supérieur
Milieu intermédiaire
Milieu populaire
Milieu enseignant
Ile de
France
Province
(2002-2003)
60
56,4
50
41,4
40
31,1
30
19
20
15,3
14,4
13,1
9,3
10
0
Milieu sup?rieur
Milieu
interm?diaire
Milieu populaire
Milieu enseignant
l'origine sociale des filles selon la classe suivie en 2002-2003
60,0
50,0
50,0
45,1
44,9
40,0
27,9
25,9
26,1
30,0
14,0 13,3
20,0
15,9
13,1 15,6
8,3
10,0
0,0
Sciences
Economie
Milieu supérieur
Milieu intermédiaire
Lettres
Milieu populaire
Milieu enseignant
et des garçons selon la classe suivie en 2002-2003
52,8
60
50
40
44,6
44,6
28,7
25,4
25
30
15,3
20
11,4
20,1
13,2
10
9
10
0
Sciences
Milieu supérieur
Economie
Milieu intermédiaire
40
Lettres
Milieu populaire
Milieu enseignant
Les C.P.G.E. au fil du temps : une étude statistique et sociologique (Acte I)
MP*
Les CSP en MP et MP*
PSI*
Les CSP en PSI et PSI*
PSI
MP
60
60
51,3
43,8
50
51,9
43,5
50
40
40
27,7
30
16,8 13,2
20
29,9
23
30
21,4
10,5
15,3
20
10
13,2 15,2
11,9 11,5
10
0
0
Milieu supérieur Milieu enseignant
Milieu
Milieu populaire
intermédiaire
Milieu supérieurMilieu enseignant
PC*
Les CSP en PC et PC*
Milieu
Milieu populaire
intermédiaire
PT*
Les CSP en PT et PT*
PC
PT
52,6
60
60
42,4
50
55,4
50
40
30
22,5
33,2
26,6
30
12,7 15,6
12,3 11,6
20
39,2
40
30,4
20
10
10,8
7,2 9,8
17,8
10
0
0
Milieu supérieurMilieu enseignant
Milieu
Milieu populaire
intermédiaire
Milieu supérieurMilieu enseignant
Milieu
Milieu populaire
intermédiaire
Evolution des bacheliers
600000
501941
500000
478519
400000
281004
300000
250316
200000
148476
137425
100000
90778
59287
0
1960
28000
1970
1975
Bac général
1980
1985
Bac technologique
41
1990
1995
2000
Bac professionnel
2001
2002
Tous bacs
Poids des différents types de baccalauréat
Bac
professionnel
100%
Bac
technologique
80%
60%
40%
Bac général
20%
0%
1960
1970
1975
1980
1985
1990
1995
2000
2001
2002
Où se sont inscrits les bacheliers technologiques ?
750
687
650
528
550
Elèves
450
Ter STI
350
Ter STL
250
Ter STT
150
50
84
17
14
51
32
25
6 4 6
-50
ENS cachan
C
PTSI
TPC
TB
TSI
42
Eco opt
techno
ENS Cachan Autres cpge
D2
Les C.P.G.E. au fil du temps : une étude statistique et sociologique (Acte II)
Acte II
Les données qui vont être présentées dans ce deuxième moment de l’exposé apportent sur la
question un autre éclairage, complémentaire au premier. Les premières étaient une succession
de photographies instantanées prises, année après année, de la structure : évolution des
effectifs, évolution de la part des trois principales composantes (sciences , commerce, lettres),
des garçons et des filles, etc…. Les secondes relèvent plus du cinéma que de la photo. Elles
retracent des trajectoires individuelles. Issues d’un panel longitudinal, elles situent les élèves
de prépas de la fin des années 90 au sein de leur propre génération, celle qui entrait en classe
de sixième en 1989. Ces données permettent de saisir directement, depuis la fin de l’école
primaire, les facteurs favorables et défavorables à une entrée en classes préparatoire, huit ans
plus tard. Elles retracent les étapes d’un processus de sélection continu. Le point de référence
auquel sont rapportées toutes les grandeurs est la génération, c’est à dire l’ensemble des filles
et des garçons qui se entraient en sixième en 1989. Parmi cet ensemble d’environ 770 000
individus, seuls 38 500 soit 5 % de la génération se retrouvent huit ou neuf ans plus tard
élèves d’une classe préparatoire. Cinq % d’une génération, voilà le poids statistique à peu près
constant chaque année, de cette élite scolaire. Car à n’en pas douter il s’agit d’une élite
scolaire sévèrement sélectionnée qui a su très tôt manifester ses talents.
Elite scolaire, certes, mais très inégalement issue des différents milieux sociaux. Il y a, dans
ce processus de sélection, deux forces à l’œuvre que l’élitisme républicain aimerait bien
dissocier, découpler l’une de l’autre : l’origine sociale et l’excellence scolaire, l’héritage et le
mérite.. Depuis la déclaration des droits de l’homme et l’établissement de la République, les
seules distinctions légitimes entre les citoyens sont celles qui séparent les talents. Là sont le
principe et l’esprit de l’élitisme républicain. La sélection par l’excellence scolaire devrait
rebattre à chaque génération les cartes de l’origine sociale. Il n’en va malheureusement pas
ainsi : le recrutement des classes préparatoires, antichambre des grandes écoles, offre une
image grossie d’un phénomène qu’on retrouve à tous les points du système. Ce sont à coup
sûr, les meilleurs élèves qui entrent en classes préparatoires. Il n’est pas question ici de passe
droit ; ils en payent le prix en termes d’efforts et de travail, mais l’expérience prouve qu’ils se
recrutent beaucoup plus souvent en haut qu’en bas, à excellence scolaire égale.
Les futurs élèves de CPGE se recrutent en effet d'abord parmi les meilleurs élèves de leur
génération : trois sur quatre avaient ainsi obtenu aux tests d'évaluation organisés au début de
la 6ème des résultats qui les plaçaient parmi les 25 % d'élèves les plus brillants. Mais tous les
élèves du quartile supérieur n'ont pas la même probabilité d'accéder en classe préparatoire :
parmi eux, ceux dont les parents sont enseignants ou cadres supérieurs iront quatre fois plus
souvent en classe préparatoire que ceux de milieu populaire. Si on prend l'ensemble des élèves
de 6ème, la proportion est de 1 à 10, la probabilité d'accès en CPGE d'un élève du milieu intermédiaire étant à peine plus élevée que celle d'un enfant de milieu populaire.
Les vues suivantes illustrent de façon très suggestive, sous la forme de flûtes de pan, la
distillation continue qui s'opère à partir de l'entrée en 6ème : les élèves appartenant aux milieux
supérieurs sont trois fois plus nombreux parmi les entrants en CPGE que dans l'ensemble de
la cohorte des élèves de 6ème. La généralisation de l’accès au bac – qui a constitué un saut
quantitatif – modifie peu la distribution des catégories sociales telle qu'on l'observe en 6ème..
43
Par contre le clivage important - saut qualitatif, celui-là – c'est celui qui sépare l'accès au bac
de l'accès à un baccalauréat général avec mention, cela pour les filles comme pour les
garçons, à cette nuance près que les filles d'origine populaire résistent un peu mieux...
On retrouve ce même saut qualitatif lorsqu'on compare le niveau de diplôme des parents : plus
de six bacheliers sur dix sont des bacheliers de la première génération, c'est à dire qu'ils sont
les premiers de leur famille à accéder au bac. A l'inverse six sur dix de ceux qui ont eu un
baccalauréat général avec mention ont un père bachelier, plus d'un sur trois a au moins une
licence, une maîtrise ou le diplôme d'une grande école, et c'est le cas de pas très loin d'un
élève de prépa sur deux. On retrouve le même phénomène, un peu atténué, pour les mères.
Sur les revenus familiaux, on ne dispose que d'un indicateur, avec ses limites qui sont celles
des critères d'attribution des bourses, mais qui montre quand même que les boursiers sont
presque trois fois moins nombreux parmi les élèves de terminale inscrits en classe prépa que
dans l'ensemble des bacheliers du panel.
Il s'agit là d'un phénomène fort connu, et qui n’est pas propre à la France, - notre pays ayant
l’avantage sur beaucoup d’autres de le reconnaître et de le regarder en face par des mesures
précises et régulières -, l’embourgeoisement croissant de la population scolaire à mesure
qu’on s’élève dans les degrés de l’excellence, ou, autre façon de le décrire, l’élimination
progressive des enfants d’origine populaire à mesure qu’on gravit les degrés de l’excellence
scolaire. La hausse et la baisse semblent animés d’une force implacable : les filles ne se
taillent progressivement leur place que dans le strict respect des inégalités existantes.
Ce nouvel angle de vision permet de relativiser les grandes tendances mises au jour au cours
de l’Acte 1. Les classes préparatoires ne constituent pas une exception, un monde qui serait
régi par des lois à part. Elles s’inscrivent au contraire dans le droit fil de la logique de
fonctionnement du système scolaire français. Elles concentrent seulement, en les grossissant,
des constantes du système. Mérite et héritage, excellence scolaire et sélection sociale ont
parties liées.
Cela dit, on aurait tort de croire que tout processus de sélection explicite ne corresponde
qu’aux aptitudes et aux aspirations des milieux sociaux les plus riches en capitaux
économiques et culturels. La structure sélective en soi ne rebute les aspirations ni des parents,
ni des élèves de classes populaires. L’atteste avec clarté le fait que leurs enfants s’engagent
plus que les autres dans les IUT et STS : formation sélective, courte, qualifiante à finalité
professionnelle claire.
Le tableau suivant contient à ce sujet des informations très instructives.
La population prise en compte dans le tableau est celle de l’élite scolaire nationale saisie
immédiatement après le bac. Ils sont tous titulaires d’un bac général obtenu avec mention et
ne constituent à eux tous qu'à peine 12 % de leur génération entrée la même année en classe
de sixième. Dans la mesure où ils disposent les uns et les autres des mêmes atouts scolaires,
on pourrait supposer que s’agissant de choisir une orientation dans l’enseignement supérieur
et dans la vie professionnelle, ce soient leurs goûts ou leurs projets personnels qui déterminent
leur choix. En tous cas, la marge scolaire de décision étant la même pour tous, l’origine
sociale ne devrait pas jouer un rôle important.
Or que voit-on ? Dans la première colonne, en rouge, celle de l’orientation en CPGE, les proportions diminuent à mesure qu’on descend des catégories les mieux dotées aux plus démunies.
44
Les C.P.G.E. au fil du temps : une étude statistique et sociologique (Acte II)
Les deux suivantes offrent un spectacle inverse. Les proportions augmentent à mesure qu’on
descend les degrés de la hiérarchie sociale. Les élèves s’orientant d'autant plus en IUT et STS
que leurs parents sont d’origine plus populaire. Et cela, rappelons-le, à réussite scolaire égale.
La disparité des choix faits par les garçons et les filles accentue ces inégalités : la probabilité
qu'un élève qui obtient un bac général avec mention entre en CPGE est trois fois et demi plus
forte s'il s'agit d'un garçon de milieu supérieur que s'il s'agit d'une fille de milieu populaire.
On constate que le clivage majeur s’opère entre les milieux supérieurs et enseignants d’une
part, et les classes moyennes et populaires de l’autre. Les IUT semblent ainsi jouer pour les
classes moyennes et populaires un rôle analogue à celui des prépas pour les milieux
supérieurs : accueillir leurs meilleurs élèves. Ce n’est donc pas leur caractère ouvertement
sélectif qui décourage les meilleurs élèves des classes populaires de s’y engager en force, bien
au contraire. C’est peut-être davantage le risque d’un saut dans l’inconnu et le sacrifice d’un
investissement long sans retour immédiat. L’effet du diplôme des parents joue dans le même
sens que leur profession. Le clivage majeur s'opère ici entre le fait que le père ait accédé ou
non à l’enseignement supérieur : le bac ne suffit pas pour modifier les comportements.
Le bilan social que l'on peut en tirer ? Il montre bien sûr de fortes disparités : les catégories
sociales sont très inégalement représentées au sein des grandes filières empruntées par les
bacheliers après leur bac, le premier cycle d'études médicales n'étant pas très éloigné des
classes préparatoires, le DEUG et l'IUT présentant de leur côté une structure sociale assez
proche. Les bacheliers "de première génération" sont particulièrement sous-représentés parmi
les élèves qui s'inscrivent en classes préparatoires, et deux fois plus nombreux en DEUG ou
en IUT. La seconde mesure confirme ainsi celle du premier acte.
Si on estime maintenant l'effet toutes choses égales par ailleurs des différentes caractéristiques
des bacheliers sur leur probabilité d’entrer en CPGE, on constate que c'est le niveau scolaire
qui creuse l'écart le plus important. Mais entre deux élèves qui ont décroché un baccalauréat
général à 18 ans avec une mention AB, celui dont le père appartient aux catégories
supérieures ou détient un diplôme de niveau bac+3 intégrera bien plus souvent une classe
préparatoire que celui dont le père appartient aux milieux intermédiaires ou a juste le bac.
Que peut-on faire ? L’enquête longitudinale suggère ici quelques pistes.
Le bac en soit n’induit pas une modification des comportements. Lesquels dépendent en
grande partie du niveau d’information et de connaissance du système.
Lequel est loin d’être également partagé. Beaucoup n’entrent pas en prépas tout simplement
parce qu’ils en ignorent l’existence. Alors qu’ils disposent d’un capital scolaire tout à fait
comparable à ceux qui entrent. Ce facteur de sélection négative est loin d’être négligeable. Il
s’ajoute à cette inhibition psychologique, bien connue des sociologues, qui persuade à tort
élèves et parents de certains milieux que « les prépas, ce n’est pas pour nous ».
Le rôle des enseignants dans l’information et les conseils aux bons élèves d’origine populaire
est ici capital. Puisque trois sur quatre d'entre eux, lorsqu'ils s'inscrivent en prépa, déclarent
avoir été informés par leurs enseignants, ce qui n’est le cas que d’un enfant de cadre sur deux,
l’information circulant pour eux dans le cadre de la famille. Tandis que les élèves d'origine
ouvrière n'ont disposé d'aucune autre information, ni bien sûr de leurs familles qui le plus
souvent ne connaissent pas cette filière, ni non plus des conseillers d'orientation. On peut
penser que la nouvelle procédure d’inscription en CPGE agira dans le sens d’une meilleure
lisibilité des classes préparatoires.
45
Si on revient aux orientations prises par les bacheliers généraux avec mention, on voit que
ceux-ci prennent toujours plus souvent la voie d'une classe préparatoire lorsqu'ils ont
bénéficié d'informations de la part de leurs enseignants. Mais ce rôle des enseignants n'a pas
du tout le même impact selon le contexte familial : l’absence d’information par les
enseignants au lycée réduisant à néant chez les enfants d’ouvriers toute chance d'orientation
en prépa, ce qui n’est pas le cas pour les enfants de cadre. Cette importance de l’information
est confirmée par la régression logistique : on voit que le fait d'avoir été conseillé par ses
enseignants pour son orientation exerce toutes choses égales par ailleurs une influence
presqu'aussi forte que les variables scolaires, et plus sensible que l'appartenance sociale.
Le fait qu’une part aussi importante d’élèves de prépas déclare avoir dans son environnement
familial proche au moins une, voire plusieurs personnes passées par cette filière indique a
contrario une certaine absence de visibilité nationale de ces classes, et en même temps la
pesanteur qui s'exerce en faveur d'une orientation en prépa pour les bons élèves de certaines
familles.
Dans cette perspective l'analyse des motivations d'une inscription en classe préparatoire est
éclairante. L’inertie des résultats scolaires antérieurs est ainsi très souvent invoquée pour
l'entrée dans les prépas scientifiques, ce qui laisse planer certains doutes sur l’intérêt suscité
par les matières et carrières scientifiques, tandis que la qualité des débouchés joue le rôle le
plus important pour ceux qui s'inscrivent dans les classes économiques. Pour le choix d'une
classe littéraire, l'intérêt pour le contenu des études est très fort, mais le souci de
l'encadrement et du suivi comme celui de se garder le plus de portes ouvertes ont beaucoup
pesé aussi. La comparaison avec les motivations des bacheliers généraux avec mention qui
ont fait eux le choix de l'université est intéressante : on voit en particulier que c’est là où les
débouchés sont les plus aléatoires que « le projet professionnel » est le plus souvent invoqué.
Quoiqu’il en soit et c’est la leçon du dernier graphique, le choix d'une classe prépa n’était pas
un mauvais choix… y compris pour l’immense majorité des littéraires qui pourtant,
contrairement aux élèves de prépa scientifique et économiques, pour beaucoup - quasiment un
sur deux - n’y passent qu’un an. Cette présence fugitive les dote néanmoins d’atouts
substantiels pour la suite de leur parcours. Ils trouvent de meilleurs débouchés, plus variés et
plus rapidement que ceux qui ne sont pas passés par cette filière.
Le troisième vivier final, lui aussi très fourni, est constitué de tous les bacheliers avec mention
issus de milieux populaires et moyens qui faute d’informations ou de confiance en soi se
détournent du chemin des prépas.
Il ressort clairement de cette fresque statistique que les CPGE doivent trouver des moyens de
compenser les effets sociaux pervers des processus de sélection qui se construisent tout au
long de la scolarité. En élargissant la base sociale, il s’agit aussi d’ouvrir davantage l'éventail
des compétences des étudiants recrutés en CPGE. Les réservoirs potentiels existent et ne sont
pas très loin : plus de femmes, plus de bacheliers technologiques, plus de bons et très bons
élèves issus des classes moyennes et populaires.
Les contraintes sociales sont fortes, certes, mais les marges de jeu aussi. L’école a du poids,
elle peut convaincre et briser des résistances. Il suffit, pour s’en convaincre et se rassurer, de
se rappeler le rôle que jouent les enseignants dans les orientations des bons et très bons élèves
des catégories culturellement les plus éloignées du monde des prépas.
***
46
Les C.P.G.E. au fil du temps : une étude statistique et sociologique (Acte II)
Le mérite et l’héritage,
comment les dissocier ?
Le casse-tête de
l’élitisme républicain
Parmi les élèves du quartile supérieur
à l’évaluation en classe de 6ème...
30 % sont issus du milieu enseignant,
27 % sont issus du milieu supérieur,
mais 10 % sont issus du milieu intermédiaire
et... 7 % sont issus du milieu populaire
47
5 % des élèves entrés en 6ème en 1989
intègreront une classe préparatoire après leur bac
20 % des élèves de 6ème issus du milieu enseignant
16 % des élèves issus du milieu supérieur
4 % des élèves issus du milieu intermédiaire
..et 1,5 % des élèves du milieu populaire,
(qui représentent par ailleurs 45 % des élèves de 6ème)
entreront en classe préparatoire
De la 6ème aux classes préparatoires…
les origines sociales
100%
14%
90%
19%
32%
5%
42%
7%
80%
milieu supérieur
enseignants
mil.intermédiaire
mil.populaires
70%
36%
60%
14%
38%
18%
50%
34%
40%
30%
27%
45%
36%
20%
20%
10%
13%
0%
élèves entrés en
6ème
bacheliers
bach.généraux
avec mention
48
entrants
en CPGE
Les C.P.G.E. au fil du temps : une étude statistique et sociologique (Acte II)
celles des garçons...
100%
14%
90%
20%
5%
80%
34%
42%
8%
70%
36%
17%
60%
38%
19%
50%
40%
milieu supérieur
enseignants
mil.intermédiaire
mil.populaires
30%
30%
26%
45%
34%
20%
19%
10%
13%
0%
élèves 6ème
ensemble
bacheliers
bacheliers généraux
avec mention
entrants en CPGE
et celles des filles...
100%
14%
90%
17%
31%
4%
42%
5%
80%
70%
37%
12%
39%
60%
15%
50%
milieu supérieur
enseignants
36%
40%
mil.intermédiaire
mil.populaires
29%
30%
45%
20%
38%
21%
10%
14%
0%
élèves 6ème
ensemble
bacheliers
bacheliers
généraux
avec mention
49
entrants en CPGE
le niveau de diplôme du père...
100%
12%
90%
16%
6%
80%
8%
12%
34%
44%
14%
70%
10%
60%
dipl.de niveau bac+3 et +
17%
50%
12%
dipl.de niveau bac+2
baccalauréat
40%
70%
14%
pas de bacc.
62%
30%
39%
20%
30%
10%
0%
ensemble des
élèves de 6ème
ensemble des
bacheliers
bach. généraux
avec mention
entrants
en CPGE
… et celui de la mère
100
7%
90
9%
80
13%
9%
11%
16%
70
22%
27%
16%
17%
60
dipl.de niveau bac+3 et +
23%
50
dipl.de niveau bac+2
23%
40
baccalauréat
pas de bac
71%
64%
30
39%
20
33%
10
0
ensemble des
élèves de 6ème
ensemble des
bacheliers
bach. généraux
avec mention
50
entrants
en CPGE
Les C.P.G.E. au fil du temps : une étude statistique et sociologique (Acte II)
Une indication sur les revenus familiaux :
la part de boursiers en terminale
Les disparités dans les grandes orientations
prises par les bacheliers généraux avec mention
CPGE
milieu supérieur
45
47
garçons
filles
6
29
48
41
27
5
49
23
51
7
3
15
35
58
52
33
17
9
4
34
50
37
21
garçons
filles
milieu populaire
39
53
38
garçons
filles
milieu intermédiaire
IUT/STS
57
36
garçons
filles
enseignants
DEUG/PCEM
19
13
19
41
60
20
18
L’influence du niveau de diplôme du père...
CPGE
PCEM
DEUG
IUT/STS
2ème-3ème cycle sup.
49%
12%
28%
3%
1er cycle sup.
42%
5%
32%
10%
baccalauréat
29%
8%
38%
16%
pas de baccalauréat
26%
7%
44%
16%
et du niveau de diplôme de la mère...
CPGE
PCEM
DEUG
IUT/STS
2ème-3ème cycle sup.
47
12
29
3
1er cycle sup.
39
11
36
5
baccalauréat
35
7
37
12
pas de baccalauréat
27
6
41
18
Un bachelier inscrit en CPGE sur 4
a une mère enseignante
52
Les C.P.G.E. au fil du temps : une étude statistique et sociologique (Acte II)
Une représentation inégale des catégories sociales
selon les filières
100%
19%
90%
13%
4%
80%
42%
38%
8%
70%
41%
60%
50%
12%
41%
18%
milieu supérieur
milieu enseignant
milieu intermédiaire
milieu populaire
40%
30%
28%
27%
42%
20%
32%
22%
10%
13%
0%
CPGE
PCEM
DEUG
IUT/STS
mais aussi des niveaux de diplôme des parents
100%
7%
17%
90%
36%
80%
44%
70%
15%
16%
10%
60%
50%
9%
7%
12%
2ème-3ème cycle sup.
1er cycle sup.
baccalauréat
14%
pas de baccalauréat
1
40%
14%
71%
58%
30%
20%
40%
30%
10%
0%
CPGE
PCEM
DEUG
53
IUT/STS
Le rôle décisif des enseignants au lycée
auprès des élèves les moins informés par leurs familles
MOYENS D’INFORMATION UTILISES PAR LES BACHELIERS INSCRITS EN CPGE
enfants de cadres
enfants d'ouvriers
Forums ou salons
32
31
Conseillersd'orientation
13
15
Enseignants
48
76
Famille
45
17
Relations
22
28
L’importance aussi des motivations
dans le choix d’une filière...
classes
classes
scientifiques économiques
classes
littéraires
bacheliers
avec mention
inscrits
à l'université
Intérêt pour le contenu études
57
57
79
76
Débouchés de la filière
52
64
20
36
Projet professionnel
34
30
28
53
Souci de se garder le plus
possible de portes ouvertes
33
35
39
21
Résultats scolaires précédents
33
20
23
24
Encadrement et suivi
25
33
45
2
54
Intervention du Ministre
Intervention de
Xavier DARCOS
Ministre délégué à l’Enseignement scolaire
Lors du colloque
« Démocratie,
classes préparatoires et grandes écoles»
le Vendredi 16 mai 2003
55
Messieurs les Présidents,
Monsieur le Directeur de l’Ecole normale supérieure,
Monsieur le Doyen de l’Inspection générale,
Mesdames et Messieurs les Inspecteurs généraux,
Mesdames et Messieurs les Professeurs,
Mesdames, Messieurs,
Je suis très heureux d’être parmi vous ce matin. Comme vous le savez, je porte depuis
longtemps un intérêt et même une affection particuliers aux classes préparatoires aux
grandes écoles. J’y ai enseigné pendant dix ans. J’y ai introduit, aux côtés de François
Bayrou, un certain nombre de réformes dont celle, notamment, des classes économiques et
commerciales. Enfin, en tant que doyen de l’Inspection générale, j’ai eu à en suivre de très
près le fonctionnement et les évolutions. Je me réjouis, donc, cette fois-ci en qualité de
ministre délégué à l’enseignement scolaire, d’avoir la charge d’un dossier qui me tient à
cœur.
Je voudrais tout d’abord remercier les organisateurs de ce colloque qui va permettre, durant
deux jours, de favoriser les échanges, de croiser les points de vue et surtout d’aboutir à des
propositions concrètes, susceptibles de renforcer l’ouverture, le diversité et l’efficacité du
système des classes préparatoires et des grandes écoles. Ces remerciements s’adressent en
premier lieu à l’Union des Professeurs de Spéciales, en la personne de son président M.
Gérard Debeaumarché. Ils vont aussi aux associations de professeurs de classes
préparatoires ainsi qu’à la Conférence des Grandes Ecoles, dont je salue également le
Président, M. Alain Cadix. Je n’oublie évidemment pas l’ensemble des intervenants qui ont
bien voulu faire bénéficier ces journées de leur expérience et de leur expertise.
Je suis convaincu, Mesdames et Messieurs, que le colloque d’aujourd’hui était nécessaire
et qu’il vient à point nommé. Nous le savons tous : d’ici peu de temps et dans tous les
domaines d’activité, notre pays va devoir assurer la relève de ses très nombreux cadres
parvenus au terme de leur carrière. Dans cette formidable entreprise, les classes
préparatoires et les grandes écoles vont être naturellement placées en première ligne. Plus
que jamais, elles vont avoir à remplir la mission qui leur a été assignée dès leur origine :
celle de sélectionner et de former les responsables de haut niveau dont les entreprises et
l’Etat ont besoin.
Il est donc important de se demander si cette mission s’exerce aujourd’hui de manière
optimale. Et d’ailleurs un certain nombre de données nous forcent à nous interroger.
56
Intervention du Ministre
En effet, après avoir doublé en l’espace d’une génération, les effectifs des classes
préparatoires ont tendance à stagner. Plusieurs centaines de places y demeurent vacantes.
Depuis trois ans, sur les 14 000 places offertes par les écoles d’ingénieurs, 2 000 n’ont pas
été pourvues et près d’un millier, sur les 7000 offertes par les écoles commerciales, ne
l’ont pas été davantage.
Ces chiffres appellent deux explications, sur lesquelles nous sommes nombreux, je crois, à
nous accorder. La première est que la base de recrutement des classes préparatoires est trop
étroite. Il importe donc de réfléchir aux moyens de l’élargir rapidement, dans un souci à la
fois d’efficacité et de justice sociale, ce qui est au fond un des objectifs majeurs de ce
colloque.
Je voudrais dire à cet égard qu’il ne me paraît pas souhaitable que se multiplient les
formules fondées sur la discrimination positive, peu conformes au fond avec les principes
d’égalité de notre école républicaine. Je considère que les expériences menées jusqu’à
présent ont certes un effet d’affichage extrêmement positif – et c’est évidemment le cas de
celle mise en œuvre par Sciences Po – mais qu’elles doivent demeurer ponctuelles et
transitoires. Il me semble préférable de parvenir à un élargissement du recrutement en
maintenant de vrais critères de sélection, qui demeurent rigoureux et exigeants tout en
prenant mieux en compte les compétences et les aptitudes des publics scolaires qui ont été
jusqu’à présent insuffisamment concernés par le système des classes préparatoires.
La deuxième explication est que les classes préparatoires ont perdu ces dernières années un
peu de leur attractivité, parce que la représentation qui en est donnée auprès du public et en
particulier du public « non initié » est souvent ou inexacte ou dépassée. Nous sommes
nombreux, je crois, à estimer que la réalité des classes préparatoires d’aujourd’hui s’avère
assez éloignée de l’image que beaucoup de familles, de lycéens et même d’enseignants en
ont encore.
Dans la remarquable analyse qu’ils vous ont présentée ce matin, Brigitte Dethare, Sylvie
Lemaire, Fabienne Rosenwald et Christian Baudelot ont montré de manière lumineuse les
grandes évolutions qu’avaient enregistrées les classes préparatoires en l’espace d’une
génération. En particulier, le rééquilibrage entre les prépas de province et celles d’Ile de
France, la meilleure répartition entre les filles et les garçons ou encore la montée en
puissance des classes économiques et commerciales. Je n’y reviendrai donc pas.
Je ne m’attarderai pas non plus sur les profondes transformations qu’elles ont connues dans
leurs structures ou dans le contenu de leurs enseignements : la diversification des filières,
57
surtout scientifiques, la mise en place d’une pédagogie de projet, prenant mieux en compte
la spécificité des élèves et assurant une meilleure transition avec le second degré.
Tout ceci montre à l’évidence la profonde capacité d’adaptation d’un système pouvant,
sans aucun doute, se montrer beaucoup plus souple et beaucoup plus réactif que les
premiers cycles universitaires et qui n’a pas vocation, en lui-même, à assurer la
reproduction d’une élite sociale. Tout ceci témoigne surtout de la qualité de l’engagement
des professeurs à faire constamment évoluer le système en fonction des besoins et des
exigences du monde d’aujourd’hui. Et je n’oublie pas, évidemment, le rôle majeur que
jouent les chefs d’établissement non seulement dans la gestion des classes préparatoires,
mais dans la réflexion sur leur devenir.
Par ailleurs, nous savons tous qu’en à peine vingt ans, c’est un véritable réseau qui s’est
développé, permettant aux classes préparatoires d’être à la proximité immédiate des élèves
et non plus reléguées dans les établissements chics des grandes capitales régionales. En
1980, 171 lycées d’enseignement général et technique du public possédaient des prépas. Ils
sont aujourd’hui 336, soit près d’un lycée sur cinq.
A travers ces établissements, c’est une véritable irrigation intellectuelle de notre pays qui
s’est constituée, au-delà même des villes universitaires, et il importe bien évidemment de
continuer à faire vivre ce vaste réseau qui contribue à implanter des pôles d’excellence
dans les zones parfois les plus défavorisées. C’est là un des enjeux du système informatisé
de recrutement dont je reparlerai tout-à-l’heure.
Pour que l’image qui est donnée des classes préparatoires reflète plus exactement ces
réalités, il nous faut donc mieux informer et notamment mieux informer les enseignants.
Ceux-ci, en effet, devraient pouvoir jouer un rôle analogue à celui que remplissaient jadis
les Hussards noirs de la République, à savoir repérer les jeunes faisant montre d’évidentes
potentialités et accompagner leur promotion scolaire. Mais pour cela il convient de cesser
de présenter les classes préparatoires comme des bagnes ou des abbayes de Trappistes,
comme le font encore certaines brochures de l’éducation nationale elle-même !
Certes, nous savons tous qu’il ne s’agit pas là de lieux de tout repos. Mais il faut souligner
aussi et avant tout les formidables atouts qu’elles sont à même d’offrir. Permettant
d’effectuer des études pluridisciplinaires et fortement encadrées, elles ont tout pour séduire
beaucoup de jeunes qui ne désirent pas opter pour une spécialisation trop précoce ou qui ne
se sentent pas suffisamment autonomes pour affronter la vie universitaire.
Mais surtout elles ouvrent des voies qui conduisent de manière presque assurée à la
réussite. Que celle-ci soit immédiate, comme dans le cas des classes économiques et
58
Intervention du Ministre
commerciales, où chaque élève a quasiment la garantie de pouvoir intégrer une grande
école. Ou qu’elle soit différée, comme dans le cas des anciens khâgneux qui triomphent
sans doute plus aisément que les autres étudiants du CAPES ou de l’agrégation. A cet
égard, l’Inspection générale des lettres propose d’évaluer de façon précise le nombre
d’anciens élèves des classes préparatoires reçus à ces concours. Je pense que c’est là une
excellente initiative qui permettrait d’ajouter un argument supplémentaire en faveur de ces
classes.
Mieux informer, mais aussi mieux recruter. C’est là notamment l’objectif de la procédure
informatisée et globale de recrutement des étudiants de classes préparatoires qui a été mise
en place cette année et qui répond à un souhait unanime de tous les acteurs concernés.
Comme vous le savez, cette procédure a pour ambition de déboucher sur une amélioration
de l’offre et des conditions d’accueil et de permettre une utilisation optimale des ressources
du dispositif, répondant ainsi davantage aux vœux des candidats et aux besoins des
établissements.
Elle introduit une complète transparence dans un système jugé jusqu’alors opaque et
favorisant les initiés et concourt ainsi à lever les blocages, les inhibitions que pouvaient
éprouver certains jeunes au moment d’effectuer leur choix d’établissements. Parmi les
douze vœux possibles, chacun est désormais libre d’indiquer Louis-le-Grand aussi bien que
Mantes-la-Jolie !
Mais évidemment, cette procédure ne suffit pas à elle seule à ouvrir les classes
préparatoires à de nouveaux élèves et à utiliser de manière optimale les ressources
existantes. C’est pourquoi il nous faut trouver les moyens d’assurer un repérage plus
systématique des meilleurs élèves de condition modeste, afin que leur soient proposées des
poursuites d'études auxquelles il n’avaient jusqu’à présent guère l’accès, qu’il s’agisse des
prépas, mais aussi des facultés de médecine ou de droit. C’est en ce sens qu’ont été créées
les « bourses au mérite » qui ont apporté un début de réponse à ce problème. Nous devons
poursuivre dans cette voie, notamment en nous intéressant, comme l’a suggéré le Président
de la Conférence des Grandes Ecoles, aux meilleurs des bacheliers technologiques, dont les
compétences et la créativité pourraient être très certainement mises à profit au sein des
prépas et des grandes écoles.
Sur toutes ces questions, j’attends naturellement beaucoup de la réflexion que vous allez
conduire au cours de ces deux journées et des propositions que vous serez amenés à
formuler. Toutes vos idées, toutes vos suggestions seront les bienvenues. Mais faisons
attention toutefois à ne pas fragiliser un dispositif qui, malgré des défauts dont nous avons
59
tous conscience et notamment son insuffisante mixité sociale, n’en constitue pas moins un
des maillons les plus solides de notre système d’enseignement supérieur. Et un des
éléments essentiels de cette vaste entreprise de renouvellement des cadres de la Nation que
j’évoquais en commençant. Nous avons tous la volonté de ne pas laisser au bord du chemin
des jeunes pleins de promesses, mais entravés par leur condition sociale. Ne jouons pas
pour autant aux apprentis-sorciers. Pour reprendre une pertinente formule d’Alain Cadix,
ce n’est pas parce que nous ne savons pas ou que nous ne savons plus faire fonctionner
l’ascenseur social que nous devons détruire les étages les plus élevés de l’édifice éducatif.
Enfin, la promotion des classes préparatoires ne doit pas se faire contre les premiers cycles
universitaires. Bien au contraire, je crois qu’il nous faut rechercher entre toutes les
formations post-baccalauréat les meilleures synergies possibles pour former et promouvoir
les jeunes qui, demain, auront à prendre la relève des centaines de milliers d’ingénieurs,
d’entrepreneurs, d’enseignants, de commerciaux ou d’administratifs qui cesseront leur
activité.
***
60
Les difficultés des étudiants issus des milieux populaires
Les difficultés scolaires des étudiants issus des milieux populaires
Bernard Lahire
Professeur de sociologie à l'École Normale Supérieure LSH
Directeur du GRS (UMR 5040 CNRS)
Pour pouvoir parler des difficultés scolaires des étudiants issus des milieux populaires,
il est indispensable de faire un détour par l'analyse des cadres scolaires au sein desquels ils
sont insérés car chaque cadre engendre des difficultés spécifiques. Et l'on ne comprend bien le
cadre spécifique des classes préparatoires aux grandes écoles que si on les saisit dans la
comparaison avec les autres formes d'enseignement supérieur.
Tout d'abord, il est important de rappeler que pour des raisons évidentes d'effectifs, la
première voie d'accès à l'enseignement supérieur en France reste aujourd'hui, et ce, quelle que
soit l'origine sociale des étudiants, l'université (près des trois-quarts des effectifs de
l'enseignement supérieur).
Si un étudiant de classe préparatoire sur deux est enfant de cadre supérieur (ce qui
constitue une sur-représentation massive), moins d'un étudiant dont le père est cadre supérieur
sur dix sont scolarisés dans les classes préparatoires. Les classes préparatoires sont donc des
études socialement improbables pour tout le monde, y compris pour les fractions de la
population les plus dotées en capitaux économiques et scolaires.
Enquête OVE 1994: Composition sociale des différents établissements* (%)
Agriculteurs
Artisans, commerçants
Cadres et prof. intell.
sup.
Prof. intermédiaires
Employés
Ouvriers
Total
UFR
3,5
8,7
36,1
STS
6,6
7,6
12,4
IUT
4,5
9,5
25,6
PRÉPAS
2,8
6,3
51,3
18,9
15,1
17,2
100
18,3
22,4
32,7
100
20,8
17,2
21,6
100
18,4
9,7
11,4
100
* Profession du père. On lira : sur 100 étudiants en classes préparatoires, 3 ont un père
agriculteur, 6 un père artisan, commerçant, 51 un père cadre...
Des styles d'études différenciés
Pour comprendre complètement la forme que prennent les études dans les classes
préparatoires aux grandes écoles et saisir la difficulté pour les enfants de milieux populaires
d'y accéder, il est important de situer ce type particulier d'études dans l'univers des types
d'études possibles (STS, IUT, études universitaires plus ou moins sélectives). Les grandes
enquêtes (1994 et 1997) sur les conditions de vie des étudiants menées dans le cadre de
l'Observatoire nationale de la Vie Étudiante (OVE) et reposant sur environ 28 000 réponses à
des questionnaires permettent d'opérer des comparaisons : elles s'adressent à des étudiants et
61
élèves d'Universités, d'Instituts Universitaires de Technologie (IUT), de Sections de
Techniciens Supérieurs (STS) et de Classes Préparatoires aux Grandes Écoles1.
En ne retenant qu'un seul critère, le temps de travail scolaire ("personnel" ou "encadré
par l'institution"), distribué entre semaine et week-end, on fait déjà apparaître des différences
essentielles. On a, en effet, très largement esquissé les grands traits du profil (ou du style) des
étudiants de premier cycle lorsqu'on a précisé les parts qui reviennent, dans leur emploi du
temps hebdomadaire, aux heures de cours, de TD ou de TP, ainsi qu'aux heures de travail
personnel en semaine et en week-end. On peut ainsi établir une distinction entre quatre grands
groupes d'étudiants :
1) Ceux qui ont peu d'heures de cours et de TD-TP hebdomadaires et relativement peu
d'heures de travail personnel en semaine comme durant le week-end : l'ensemble des
étudiants de premier cycle des facultés, Médecine excepté.
Par exemple, les étudiants de Lettres et sciences humaines n'ont en moyenne que
16-18 heures de présence encadrée à l'université et ne sont guère nombreux à
étudier longuement hors de ces temps scolairement encadrés (44% travaillent
moins de 10 heures en semaine et seulement 13% consacrent 10 heures et plus à
l'étude durant le week-end). Même si les étudiants de faculté dans leur ensemble
consacrent davantage d'heures par semaine à leur travail scolaire personnel que
ceux de STS et d'IUT, ils restent encore loin derrière eux du point de vue du
volume global d'heures consacrées au travail scolaire (encadré et personnel) durant
la semaine.
2) Ceux qui ont relativement peu d'heures de cours et de TD-TP hebdomadaires, mais
beaucoup d'heures de travail personnel en semaine comme durant le week-end : les étudiants
de Médecine, et tout particulièrement ceux de premier cycle (la première année de Médecine
étant une année de préparation intensive au concours de fin d'année, elle exige des étudiants un
grand investissement scolaire qui, une fois le concours réussi, a tendance à faiblir).
Les étudiants de Médecine de premier cycle n'ont que 23-24 heures
d'enseignement par semaine, mais ils sont 73% à travailler plus de 15 heures en
semaine et 55% à travailler 10 heures et plus durant le week-end.
3) Ceux qui ont beaucoup d'heures de cours et de TD-TP hebdomadaires et relativement peu
d'heures de travail personnel en semaine comme durant le week-end : l'ensemble des
étudiants de STS et d'IUT.
Les étudiants d'IUT production ont en moyenne 33 heures d'enseignement et ceux
d'IUT tertiaire, environ 30-31 heures. 36-37 heures en STS production ; 34 heures
en STS tertiaire. Leur charge de travail personnel est incomparablement moins
lourde que celle des étudiants des classes préparatoires : seulement 16,1% des
étudiants d'IUT production et 17,7% des étudiants d'IUT tertiaire travaillent 15
1. Cf. C. Grignon et L. Gruel, La Vie étudiante, Paris, PUF, 1999 ; B. Lahire, Les Manières d'étudier, Paris,
La Documentation française (avec la collaboration de Millet M. et Pardell E.), 1997 et « Conditions d'études,
manières d'étudier et pratiques culturelles », in C. Grignon, Les Conditions de vie des étudiants. Paris, PUF,
2000, p. 241-381.
62
Les difficultés des étudiants issus des milieux populaires
heures et plus par semaine ; c'est le cas de 9,6% de ceux de STS production et de
18,8% de ceux de STS tertiaire.
4) Enfin, ceux qui ont beaucoup d'heures de cours et de TD-TP hebdomadaires et de
nombreuses heures de travail personnel en semaine comme durant le week-end : l'ensemble
des étudiants des classes préparatoires.
Par exemple, les étudiants des classes préparatoires scientifiques ont en moyenne
environ 35-36 heures hebdomadaires d'enseignement auxquelles se rajoutent de
nombreuses heures de travail personnel durant la semaine (environ deux tiers des
étudiants travaillent plus de 15 heures en semaine) et durant le week-end (un tiers
des étudiants travaillent plus de 10 heures les samedi-dimanche). De même, les
étudiants des classes préparatoires littéraires ont en moyenne environ 33-34
heures hebdomadaires d'enseignement par semaine et généralement davantage
d'heures de travail personnel que leur camarades scientifiques (72% des étudiants
travaillent plus de 15 heures en semaine et 55% travaillent plus de 10 heures en
week-end). Les étudiants des classes préparatoires s'avèrent ainsi les champions
de l'investissement scolaire. Ce type d'étude interdisant quasiment par nature tout
travail salarié, même à temps partiel, il va de soi qu'en plus des compétences
scolaires, il suppose une possibilité pour les parents de supporter le coût
économique de telles études.
Trois lignes de clivage se laissent donc percevoir à travers ces différences de rythme de travail :
* la première sépare les établissements à forts encadrements pédagogiques, c'est-à-dire à forts
temps de présence obligatoire à des cours et à des travaux dirigés ou pratiques (classes
préparatoires, IUT, STS), des établissements moins exigeants en la matière et pour lesquels
l'assiduité n'est que rarement contrôlée ou même contrôlable (facultés). Les étudiants d'IUT, de
STS et de classes préparatoires continuent à être soumis au régime lycéen et les élèves sont
obligés de fournir des justificatifs d'absence ;
* une seconde ligne marque une différence à l'intérieur de l'espace des établissements à forts
encadrements pédagogiques, entre ceux où les étudiants travaillent essentiellement dans les
limites du temps scolairement contraint (IUT et STS) et ceux où ils travaillent sans
discontinuité en cours comme chez eux (les classes préparatoires) ;
* la troisième et dernière ligne partage, d'une part, les étudiants de Médecine, qui suivent une
formation prestigieuse, très sélective et doivent, à l'instar des étudiants de classes
préparatoires, travailler de nombreuses heures hors des temps officiels de présence dans
l'établissement, et d'autre part, les étudiants des autres facultés (avec, bien sûr, des formations
qui s'éloignent plus ou moins de ce modèle prestigieux, les Lettres et sciences humaines
constituant le pôle le plus éloigné).
Concernant la première opposition, on peut dire qu'elle est celle qui distingue le plus
les étudiants entre eux. Le passage du lycée à l'enseignement supérieur peut être vécu comme
un moment de crise plus ou moins important, selon à la fois le degré de rupture pédagogique et
les dispositions scolaires des étudiants. Or, pour ce qui est du premier point, on peut
remarquer que la rupture pédagogique est radicale lors du passage en faculté et minimale lors
du passage vers les IUT, les STS ou les classes préparatoires. Les étudiants sortent
concrètement plus ou moins du modèle du lycée dans lequel ils ont été socialisés jusque-là
(avec relativement de bonheur, étant donné leur réussite au baccalauréat) : une semaine
63
relativement chargée en cours, une assiduité obligatoire et contrôlée, des unités pédagogiques
fixes sous forme de classes d'élèves, des enseignants fixes que l'on voit tout au long de l'année
scolaire, un contrôle des connaissances régulier et fréquent, un programme de connaissances
relativement balisé par les manuels scolaires (qui permettent de savoir ce que l'on doit
apprendre et de s'y préparer), etc.
"Devenir étudiant, écrivait Michel Verret à propos des étudiants des facultés de
lettres, c'est entrer en liberté. La vie antécédente, c'était lycée et collège, l'emploi
du temps réglé, voire même l'internat, «le temps dirigé», ponctué du lever au
coucher par la sonnerie, arrière petite fille du tambour napoléonien. L'entrée en
Faculté marque une rupture brutale, vécue tout à la fois dans la surprise et le
désarroi. (...) Un emploi du temps demeure bien, mais il n'intéresse que les cours :
au maximum 15 heures par semaines — non sans déplacements, ni irrégularités. Et
la prescription n'est plus soutenue ni par un appareil de surveillance extérieure ni
par un système de sanctions immédiates. (...) Pour peu que l'étudiant n'ait pas
intériorisé, en un ethos de la discipline et du travail, la longue régularisation
scolaire antécédente, l'auto-surveillance ne signifie plus pour lui que le droit à
l'auto-permissivité indéfinie. La règle devient invisible, tout étudiant un peu
myope peut croire qu'il devient invisible à la règle […]2".
On pourrait dire que les facultés posent un problème aux étudiants qui est d'emblée
résolu par les établissements à forts encadrements pédagogiques : "Comment occuper et
organiser son temps journalier et hebdomadaire ?". Laissant les étudiants libres de s'organiser
et d'occuper une grande partie de leurs journées, de leurs semaines et de leur année, les facultés
les laissent objectivement libres d'échouer dans la résolution pratique de ce problème. Si les
étudiants les plus fortement encadrés pédagogiquement vivent de longues séquences d'activités
univoques, contraints qu'ils sont à la mono-activité — scolaire — durant un temps
relativement long, en revanche ceux des facultés affrontent une difficulté (nouvelle dans leur
parcours scolaire), à savoir celle de la mise en place le plus souvent dans un univers nonacadémique — domestique — d'un contexte d'études scolaire. Ils doivent eux-mêmes trouver
des lieux et surtout des temps spécifiques d'étude à l'intérieur d'espaces-temps le plus souvent
pluri-fonctionnels, où plusieurs activités peuvent entrer en concurrence au sein d'une même
séquence temporelle. Pourquoi se lever à 7 ou 8 heures du matin, si les cours ne débutent pas
avant 14 heures ? Pourquoi ne pas regarder la télévision, discuter avec ses parents, ses frères et
sœurs ou ses amis, alors que la rédaction des notes de lecture ou la préparation des examens de
fin d'année peuvent (semblent pouvoir) encore attendre ?
Dans une étude sur les carrières étudiantes3, Bernard Convert et Michel Pinet,
parlent d'une "immixtion du domestique dans le scolaire" que font apparaître les
budgets-temps : le travail universitaire personnel peut être fréquemment
interrompu par des temps familiaux, les étudiants peuvent continuer à travailler en
parlant avec leurs parents ou en regardant la télévision avec des membres de leur
famille, etc.
2.
M. Verret, Le Temps des études, Lille, Université Lille III, 1975, Thèse présentée devant l'Université de
Paris V le 29 mai 1974, 2 tomes, p. 686-687.
3.
B. Convert, M. Pinet, La Carrière étudiante, Laboratoire d'aménagement régional et urbain, École Centrale de
Lille, Programme interministériel de recherche-expérimentation "L'Université et la Ville", novembre 1993,
p. 251.
64
Les difficultés des étudiants issus des milieux populaires
Lorsque la séparation ainsi que les basculements du contexte scolaire au contexte nonscolaire (et inversement) ne sont plus objectivés, institutionnalisés (comme cela était le cas
dans le cadre du lycée), ils deviennent désormais des problèmes "personnels" (produit
pourtant par l'institution) que doit s'efforcer de résoudre chaque étudiant.
La nature même du travail "personnel" au sein des différents établissements varie : les
objectifs du travail personnel sont plus ou moins explicités par les différents établissements
d'enseignement supérieur, les différents actes de travail personnel sont plus ou moins prescrits
par l'institution, les différentes injonctions au rendu du travail personnel sont plus ou moins
fréquentes. Ainsi, tout oppose l'objectif lointain de la dissertation finale dans les facultés de
Lettres et sciences humaines, qui laisse les étudiants "libres" de déterminer les moyens les plus
adéquats de l'atteindre, aux micro-injonctions plus denses que constituent "devoirs", exercices
ou révisions prescrits quasi quotidiennement au sein, notamment, des classes préparatoires. Là
où les étudiants d'UFR sont amenés à conduire eux-mêmes leur travail personnel pour
atteindre des objectifs plus ou moins clairement établis par leurs enseignants, les étudiants de
STS, d'IUT ou de classes préparatoires sont véritablement conduits par l'institution et leur
travail "personnel" est donc très largement un travail dirigé.
Cependant, si cette première coupure, de même que la troisième (entre des filières plus
ou moins sélectives et plus ou moins animées par l'esprit de concurrence), sont assez bien
connues, la seconde – entre STS/IUT et CPGE – est moins immédiatement perceptible et, par
conséquent, intéressante à souligner. En effet, si la différence de prestige social des
établissements paraît évidente (la composition sociale des différents publics le montre bien), si
l'on peut saisir sans difficulté la différence de prestige spécifiquement scolaire (opposition
entre culture générale et théorique — ou formelle — d'une part, culture technique et pratique
d'autre part), la différence dans le type d'investissement dans le travail est le signe d'une
différence fondamentale dans le rapport des étudiants à leurs études. Si les étudiants de STS
ou d'IUT sont particulièrement encadrés scolairement, ils ont davantage tendance à cesser le
travail hors cadre, alors que les étudiants des classes préparatoires se doivent de continuer le
travail scolaire hors du temps spécifiquement scolaire. D'un côté, on a affaire à une mise au
travail scolaire d'étudiants qui ressentent parfois le besoin d'être contraints, peu sûrs qu'ils
sont de leur volonté scolaire ; de l'autre, les enjeux scolaires sont tels que les étudiants ont
intériorisé la nécessité du travail scolaire au-delà du travail surveillé et doivent s'être constitué
une capacité d'auto-contrainte au travail scolaire.
Ce sont les STS qui comptent proportionnellement le plus d'étudiants désirant
stopper leurs études à Bac + 2 (54,9%). Puis viennent les IUT (28,1%), les
facultés (2,9%) et les classes préparatoires (0,5%). Pour une grande partie des
élèves de STS (et pour une part non négligeable des étudiants d'IUT), le choix d'un
tel type d'établissement est une manière d'éviter l'université qui sera alors critiquée
(et crainte) pour son faible degré d'ancrage dans des réalités économiques (manière
négative de désigner la nécessaire autonomie culturelle, symbolique des univers de
production et de diffusion de la connaissance savante) et son faible degré
d'encadrement pédagogique. Le choix d'études supérieures courtes dans un
établissement qui fonctionne sur le modèle, déjà expérimenté, du lycée permet
d'éviter les paris universitaires par trop risqués tout en donnant l'espoir d'accéder à
un diplôme d'enseignement supérieur pour se distinguer sur le marché du travail de
ceux qui n'y ont pas eu accès.
65
La forte croyance en l'univers scolaire est déterminante pour comprendre cette énergie
dépensée quasi exclusivement dans le domaine scolaire. Ainsi, la part de ceux qui consacrent
plus de 20 heures en semaine à un travail personnel augmente au fur et à mesure que l'on
grimpe l'échelle de l'excellence scolaire : c'est le cas de 10% des étudiants ayant obtenu une
mention Passable au baccalauréat, de 13% de ceux qui ont une mention Assez bien, de 17,2%
de ceux qui ont une mention Bien et de 25,9% de ceux qui ont atteint la reconnaissance scolaire
maximale (Très bien). De même pour le travail durant le week-end : la part de ceux qui
travaillent plus de 10 heures diminue quand on va de la mention Très bien (21,3%) à la
mention Passable (7,4%) en passant par la mention Bien (15,2%) et Assez bien (10,8%).
Ce sont quasiment des styles de vie et de travail qui se dessinent dans ces différences :
les étudiants d'IUT et de STS (ceux parmi lesquels on compte le plus d'enfants d'ouvriers et
d'employés) anticipent une vie sociale fondée sur la nette distinction entre "travail
professionnel" et "loisir" (on sort de l'école, chaque soir ou chaque week-end, comme on sort
du "boulot"), alors que les étudiants des classes préparatoires, destinés à des fonctions plus
intellectuelles et/ou de pouvoir, vivent l'apprentissage de rythmes temporels qui préfigurent
des lignes de partage plus floues entre ce qui relève du "travail" et ce qui est de l'ordre de la
"vie privée", du "loisir"... De ce point de vue aussi, les étudiants d'origine populaire sont
moins préparés à trouver « normal » ce style de travail et de vie : nombre de témoignages de
transfuges de classe par la voie scolaire montrent qu'ils sont obligés de résister à des visions
pathologisantes de ce type d'investissement scolaire (« Tu travailles trop », « À force de lire,
tu vas attraper une méningite », « Tu gâches ta jeunesse », etc.).
Les origines économiques et culturelles des difficultés scolaires des étudiants de
milieux populaires
Les difficultés scolaires des étudiants issus des milieux populaires ont des origines
diverses. Et l'on peut établir grossièrement, mais utilement, une différence entre :
* d'une part ce qu'on pourrait appeler, d'une part, des "échecs scolaires" (pour des raisons
liées à la nature des savoirs scolaires ou aux dispositions sociales-culturelles nécessaires à leur
appropriation systématique : habitudes ascétiques, maîtrise de méthodes de travail intellectuel
et d'habitudes de planification de son travail) ;
* et d'autre part ce qu'il est sans doute plus juste d'appeler des "abandons scolaires" pour
des raisons économiques et sociales indépendantes de la bonne ou mauvaise compréhension
des objectifs scolaires, ou des faibles ou fortes dispositions à l'ascétisme scolaire.
Ne pas se présenter aux épreuves ou ne pas achever sa formation pour des raisons de
manque (économiquement déterminé) de concentration sur des enjeux scolaires (aide financière
parentale réduite et nécessité de travailler parallèlement à ses études), ce n'est pas la même
chose qu'éprouver des difficultés à se mettre au travail dans un cadre pédagogique faiblement
contraignant, qui privilégie l'autonomie et repose sur l'auto-discipline des étudiants. Et ce n'est
pas non plus la même chose qu'obtenir de "mauvaises notes" par manque de maîtrise
intellectuelle des savoirs universitaires-savants.
Qu'est-ce qui tient à des raisons économiques ou matérielles (la nécessité pour certains
étudiants de travailler parallèlement à leurs études ou de prendre en charge l'organisation
domestique quotidienne, qui rend difficile la concentration sur des objectifs scolaires) ? Qu'estce qui tient à des difficultés culturelles (au sens de cognitives) liées à la nature des savoirs
savants enseignés ? Qu'est-ce qui tient enfin à des raisons de non maîtrise des nouvelles
66
Les difficultés des étudiants issus des milieux populaires
conditions de travail (manque d'auto-contrainte, d'auto-discipline…) ? Situer les problèmes,
c'est évidemment envisager une politique raisonnée de solutions articulées (pédagogie
rationnelle ? soutien scolaire/tutorat ? conditions scolaires de travail améliorées ? système
élargi de bourses ? conditions de logement améliorées ?, etc.).
Étudier est une activité qui demande du temps et ce temps spécifiquement consacré aux
études suppose que soit réglé le problème du temps passé à faire autre chose : s'occuper des
courses, de la lessive, du repassage, du ménage, de la cuisine, des tracas administratifs liés à la
responsabilité d'un logement et d'un budget et, bien sûr, travailler pour gagner l'argent
nécessaire à son autonomie financière. La vie hors de la protection morale, financière,
domestique, etc., des parents est une vie moins favorable à un haut degré d'investissement
mental (et temporel) spécifiquement scolaire. La concentration sur des enjeux purement
académiques suppose une forme d'irresponsabilité sociale et, par conséquent, de remise de soi
temporaire vis-à-vis d'institutions publiques (l'internat) et/ou privées (famille). On voit donc
bien qu'une des tensions qui travaillent, à un degré ou à un autre, tout étudiant oppose les
injonctions sociales plus ou moins tacites à gagner son autonomie, son indépendance morale et
financière vis-à-vis des parents et la nécessaire dépendance et remise de soi que suppose
l'appropriation des connaissances scolaires-universitaires. À la différence du statut de lycéen,
être étudiant c'est aussi vivre le passage progressif (et la plus ou moins grande rapidité de ce
processus fait évidemment la différence entre les différentes manières d'être étudiant) vers une
vie d'adulte "autonome", le moment des études supérieures correspondant, étant donné l'âge
des étudiants, à un moment particulier du cycle de vie.
Par ailleurs, une coupure sépare assez nettement les étudiants des facultés peu
prestigieuses socialement, non professionnalisantes, et dont les chances de trouver un emploi
par une stratégie mono-centrée d'investissement strictement scolaire sont les plus faibles, de
l'ensemble des autres étudiants. Vivant un faible encadrement universitaire qui leur laisse
objectivement le temps d'avoir des activités extra-académiques et connaissant la faible
rentabilité de leur diplôme sur le marché de l'emploi, les étudiants de Lettres et sciences
humaines ne perçoivent sans doute pas comme une dispersion fatale à leur avenir
professionnel l'exercice d'une activité salariée. Cette dernière est même le moyen de prendre
ses marques sur le marché de l'emploi et d'éventuellement s'y faire une place si l'occasion s'en
présente. Ils ont quelques bonnes raisons sociales d'"avoir la tête ailleurs" et en tout cas de ne
pas "avoir la tête" qu'aux études.
On pourrait donc dire que, dans une logique méritocratique, l'injustice la plus
grande est celle que vivent des étudiants d'origine populaire freinés non pour des raisons
spécifiquement scolaires, mais pour des raisons de difficultés objectives à se consacrer à leurs
études. Ces étudiants ressemblent à nombre de ces femmes de milieux populaires qui, à une
autre époque, ont payé cher le fait d'être les aînées de leur famille et qui ont du arrêter leurs
études pour des raisons économiques (pauvreté économique) et sociales (organisation interne
de la famille) alors que celles-ci se passaient plutôt bien. On ne saura jamais combien de
milliers d'étudiants de milieux populaires, stoppés pour des raisons économiques, auraient pu
faire des études longues et brillantes.
Mais l'injustice n'est au fond pas moins grande si l'on se tourne du côté des degrés
d'encadrement pédagogique, de densité des injonctions, conseils, évaluations et d'explicitation
des exigences, méthodes et jugements scolaires.
67
Une thèse récemment soutenue sous la direction de Jean-Michel Chapoulie, celle de
Valérie Monfort4, qui portait sur le rapport au travail scolaire, les conditions de travail
universitaire et les relations de travail d'étudiants de première année d'AES (public hétérogène
et plutôt mal doté scolairement) et de Sciences (public plus homogène, socialement et
scolairement bien doté) réactualise les conclusions des Héritiers de Pierre Bourdieu et JeanClaude Passeron : attentes non explicitées, méthodes de travail non transmises, rareté des
évaluations, absence d'émulation (cf. la remise des notes qui ne prend pas du tout la même
forme au lycée et à l'université), absence de relations d'entraides, représentations
dévalorisantes du niveau d'exigence et du type d'investissement demandé, quasi-absence de
contrôle des absences et des retards, absence de révisions planifiées et d'examens "blancs", de
"devoirs" à faire chez soi, relatif désinvestissement pédagogique des enseignants-chercheurs et
attitudes peu normatives, absences de consensus enseignant sur les exigences, etc. L'appel à
une pédagogie plus rationnelle semble pouvoir être relancé près de quarante ans après la
publication des Héritiers.
Les universitaires sont d'ailleurs les plus mal placés, historiquement, pour réfléchir sur
les manières de transmettre leurs savoirs et leurs techniques intellectuelles, sur les façons dont
les étudiants perçoivent leurs messages, leurs enseignements, les ouvrages conseillés ou
imposés, etc. Ils sont les plus mal placés parce qu'historiquement, la pédagogie a été
constituée comme une affaire "primaire" dans les deux sens du terme : 1) la pédagogie est une
question qui se pose à l'école primaire et 2) c'est une question qui est peu digne d'intérêt pour
ceux qui sont censés maîtriser des savoirs. La ligne de séparation existe déjà fondamentalement
dans l'histoire entre l'école primaire et le lycée. Pour les enseignants de lycée en France au
début du XXème siècle, il est inconcevable de suivre des cours de pédagogie, de suivre des
stages, etc., et la pédagogie n'a aucune place dans une véritable formation intellectuelle. Or, la
question de la "pédagogie" se pose d'autant plus que l'enseignement se démocratise ou se
massifie. Comment faire entrer dans des savoirs savants des populations qui en sont très
éloignées ? Or c'est bien la situation que connaissent les Universités aujourd'hui. Dès lors
qu'on quitte "l'Université chargée de former des élites" pour "l'Université qui forme des cadres
supérieurs et, de plus en plus, des cadres moyens", on est amené à se poser des questions
nouvelles sur les manières de transmettre les connaissances ou d'aider les étudiants à construire
leur savoir.
Plus les enseignants (des instituteurs aux professeurs d'Universités) explicitent leurs
exigences ainsi que les moyens concrets pour y arriver et plus ils donnent la possibilité à ceux
qui ne partagent pas les implicites culturels par leur milieu familial de s'approprier les savoirs
scolaires. L'enseignant doit alors avoir pour objectif de transmettre explicitement, mais aussi
pratiquement, les techniques matérielles et intellectuelles les plus ordinaires qui permettent
aux élèves de construire leurs savoirs. Les élèves ou les étudiants sont inégalement dotés des
capacités de mettre en œuvre une organisation du travail scolairement efficace parce qu'ils ne
saisissent pas tous 1) la nature des exigences scolaires et 2) les moyens matériels et
intellectuels à employer pour parvenir à les satisfaire.
Une pédagogie à la fois explicite et pratique devrait viser à transmettre les techniques
matérielles et intellectuelles du travail scolaire qui font souvent partie de la "cuisine" de la
réflexion. De même que dans certaines maisons la cuisine est un lieu qui ne se montre pas, les
4.
V. Monfort, Les étudiants de première année à l'Université et le travail scolaire. L'exemple de deux filières :
sciences et AES, Université de Paris I, le 15 février 2002.
68
Les difficultés des étudiants issus des milieux populaires
enseignants rechignent à faire entrer les élèves ou les étudiants dans les "cuisines" où se
fabrique le travail intellectuel. De même que le tour réussi du magicien ou l'exécution d'une
œuvre musicale donnent l'impression du "naturel" parce que les "ratés" ont été peu à peu
éliminés au cours des multiples répétitions, les performances orales des enseignants, les textes
littéraires ou les ouvrages scientifiques peuvent désarmer ceux qui sont dépourvus des moyens
les plus ordinaires pour se les approprier ou les imiter. En définitive, l'explicitation de ces
actes les plus anodins du travail intellectuel est nécessaire si l'on veut dissiper le mystère de la
production intellectuelle (mystère qui apparaît davantage aux yeux de ceux qui sont les plus
étrangers au monde scolaire, qui ont plus rarement que d'autres assisté dans leur famille à des
échanges argumentatifs, qui n'ont parfois jamais vu leurs parents ou leurs frères et sœurs
prendre des notes sur leurs livres, se constituer des fiches de lecture personnelle ou des cahiers
de citations, et ainsi de suite).
Que peut-on donc tirer ici, en matière de saisie des difficultés scolaires des étudiants
d'origine populaire, du tableau que j'ai dressé en commençant cet exposé concernant les
investissements dans les différents types d'études ? Le fait que c'est souvent à ceux qui en
auraient le plus besoin que l'on accorde ou donne finalement le moins (et notamment
de temps, d'attentions, de conseils, d'encouragements, d'explicitations, d'orientations, de
consignes, de techniques, de recettes...). Le fait que c'est dans les parties les moins sélectives
de l'université que les étudiants les plus éloignés de la culture savante sont les moins encadrés
pédagogiquement, contrairement aux élèves des classes préparatoires ou des grandes écoles.
*****
Dans tous les cas, que l'on soit dans des cas d'"abandons scolaires" ou dans des cas
d'"échecs scolaires", que l'origine des difficultés scolaires des étudiants de milieux populaires
soit plutôt de nature économique (et appelle des aides économiques) ou plutôt de nature
culturelle (et appelle des moyens d'encadrement supplémentaires), on voit bien qu'une
politique rationnelle qui viserait l'amélioration significative des parcours scolaires aurait un
coût économique important.
*****
69
70
Atelier n°1
Atelier 1
Information et orientation, outils majeurs pour l’ouverture des CPGE ?
Après avoir introduit l’atelier, Brigitte PERUCCA donne la parole aux quatre intervenants.
Jean Lamoure rappelle l’esprit qui a toujours animé la réalisation des Palmarès des classes
prépas, aussi bien dans Le Monde de l’éducation que dans leur mise en ligne sur le site
www.lemonde.fr. C’est, dit-il, satisfaire la demande légitime des familles et des élèves en leur
fournissant le maximum d’éléments d’information pour les aider à choisir « nous mobilisons
alors le vaste réseau d’enseignants, de responsables d’établissements, constitué au cours des
années et qui nous font confiance ». Trois principes guident ces palmarès. C’est, d’abord,
« faire avec », et non « faire contre » : définir avec les enseignants, les partenaires, les
informations les plus pertinentes ; c’est également « faire pédagogique » et non
« démagogique » : le souci est de rendre un service aux familles, aux élèves, « loin de toute
recherche de sensationnel » ; c’est enfin « jouer la complémentarité plutôt que
l’opposition » : complémentarité avec les conseils des enseignants, des COP dans les
établissements, avec les sources officielles, documents statistiques et revues d’orientation.
Ces trois principes sont, pour Jean Lamoure, à la base de la « qualité d’expertise » largement
reconnue à ces publications.
Renaud Palisse pense que les élèves du secondaire sont insuffisamment informés, et que de
manière générale l’information qui leur est donnée par les canaux officiels est très lacunaire
en particulier pour les jeunes dont les familles n’ont pas la connaissance des prépas. Pour
attirer un public plus large, il lui semble par ailleurs nécessaire de « passer d’une logique de
sélection à une logique d’orientation » et suggère que les principes de sélection pour l’entrée
en prépa soient revus dans un souci de plus grande ouverture sociale.
Jean-François Guipont revient sur le rôle essentiel des professeurs de terminale dans le
processus d’information et d’orientation des élèves vers les prépas « même si la prise de
conscience des élèves doit s’effectuer bien avant la terminale ». Il regrette également que,
bien souvent, ils soient la seule source d’information de nombreux élèves. A cet égard, JeanFrançois Guipont pense que la nouvelle procédure d’admission en CPGE « donne une
opportunité aux professeurs de terminale d’avoir désormais un véritable rôle de conseil,
puisqu’ils se trouvent dégagés de la procédure des conseils personnalisés, même s’ils portent
une évaluation verbale et chiffrée sur le dossier de l’élève. Les professeurs de terminale
devront évidemment se persuader de ce nouveau rôle et il appartiendra évidemment aux chefs
d’établissement de favoriser cette prise de conscience chez les professeurs ».
Marie-Claude Gustot reconnaît que les changements qui se sont opérés dans les classes prépas
ces vingt dernières années sont d’importance et réclament une nouvelle lecture, une
présentation différente. Pour Marie-Claude Gustot, les publications de l’Onisep,
continuellement actualisées, sont un excellent support pour véhiculer l’information sur les
classes prépas.
Brigitte Perucca lance alors les débats en donnant la parole aux inspecteurs généraux,
proviseurs et professeurs participant à l’atelier. De nombreuses questions sont posées par
certains, de nombreux témoignages sont donnés par d’autres. L’essentiel est regroupé ici en
quatre thèmes.
71
Thème 1 : le rôle des professeurs de terminale dans l’information et l’orientation de leurs
élèves en prépas.
Ce rôle est jugé essentiel. Deux points sont soulignés :
-
l’action importante que peuvent mener les proviseurs envers ces professeurs en
stimulant, organisant, leur rôle de conseil auprès des élèves,
le rôle des professeurs de terminale envers ceux de leurs élèves qui s’autocensurent ;
les professeurs de terminale peuvent « rassurer en informant davantage ».
Thème 2 : les actions d’information menées par les professeurs de prépas.
De nombreuses actions sont déjà menées par les professeurs de prépas pour recruter les élèves
de terminales : forums, journées portes ouvertes, déplacement des collègues dans les lycées.
On remarque dans tous les cas que l’élève de prépa qui accompagne son professeur est un
excellent vecteur d’information.
Un véritable partenariat s’instaure parfois entre les prépas de proximité et les lycées qui les
entourent ; un collègue de Marseille témoigne combien ce partenariat s’avère alors très
efficace pour l’élargissement du public des candidats aux classes préparatoires.
On peut par contre regretter qu’il n’y ait pas davantage de forums sur les métiers organisés
par les lycées pour leurs élèves du secondaire qui semblent largement méconnaître la réalité
des métiers d’ingénieur, de chercheur, etc. généralement destinés aux élèves qui, après une
prépa, ont intégré une grande école.
Thème 3 : l’ouverture des CPGE aux élèves des mileux plus modestes.
Deux remarques sont faites à ce sujet :
-
le frein que peut constituer, dans les milieux modestes, la perspective d’avoir à
s’engager dans un processus de cinq années d’études : certains de ces élèves sont
tentés de commencer par une orientation vers une voie plus courte - en IUT ou BTS –
quitte à rejoindre les grandes écoles , après ce premier niveau « assuré ».
-
l’information sur le coût des études devrait être plus systématique, et mieux signaler
que l’enseignement en classe prépa est gratuit, que les frais de scolarité – en particulier
dans les écoles de commerce peuvent être pris en charge de diverses manières, par
exemple, par le biais de l’apprentissage ou de l’alternance : un étudiant d’école de
commerce peut commencer à gagner sa vie en école.
Thème 4 : un outil d’information d’actualité pour l’ouverture des prépas : l’Internet.
L’étude de faisabilité réalisée par la Commission TICE inter-unions a mis en valeur une
demande croissante d’information par l’Internet émanant des élèves du secondaire. A
l’objection d’utiliser pour une meilleure ouverture de nos classes un outil pas encore assez
démocratique on peut opposer les efforts réels faits par les collectivités locales pour mettre en
72
Atelier n°1
place l’Internet pour tous. Ce thème, présenté par Nathalie Van de Wiele, secrétaire de la
Commission TICE, est repris par Jean-François Guipont pour qui il semble en effet que
«l’usage de la ‘toile’ est pleinement intégré au mode de vie des jeunes, qui se procurent
facilement des accès internet hors de chez eux : cyber-cafés, établissement scolaire,
camarades,… » et que l’on ne doit pas garder le sentiment qu’internet ne se répand pas
aisément dans les classes sociales moins favorisées : «la ‘publicité’ [sur les prépas] sous
toutes ses formes est essentielle (…) et le vaste usage d’internet va s’avérer des plus précieux.
Presque tous les lycées se présentent maintenant sur internet - la nouvelle procédure y
incitaient fortement les lycées à CPGE - mais une information plus générale (ONISEP,
Ministère) qui existe déjà sur internet doit s’amplifier, et sans démagogie mais avec réalisme
(la CPGE n’est ni le « bagne », ni le « club méditerranée »), encourager véritablement le
futur étudiant à ne pas éliminer la possibilité d’une CPGE. »
Brigitte PERUCCA conclut alors en saluant la qualité des interventions des intervenants et
des participants ; elle est heureuse de constater que la réflexion est en route, grâce en
particulier à ce « croisement des regards » des divers partenaires engagés dans ce rôle
d’information, et que l’atelier a su dégager des propositions concrètes concernant
l’information et l’orientation pour une meilleure ouverture de nos classes.
***
Encadré 1
La question de la démocratisation de nos CPGE est à mon sens complexe en raison
essentiellement des barrages psychologiques de type socio-culturel, les élèves des milieux
modestes ne possédant pas les « codes » et percevant mal les enjeux des CPGE. A cet égard,
la notation traditionnellement basse des professeurs de CPGE est plus déroutante pour eux
que pour les élèves mieux avertis. Il faut ajouter à cela la relative incertitude de ces élèves sur
leur engagement dans des études longues, dont ils perçoivent assez mal la finalité. Les
premiers éléments chiffrés du déroulement de la procédure informatique semblent indiquer un
très bon remplissage des établissements, et pas seulement des plus prestigieux. Il faut
évidemment attendre les confirmations et acceptations des élèves (il ne manquera pas d’y
avoir des abandons), mais d’ores et déjà les indicateurs de « remplissage » sont bons. Ce
nouveau dispositif semble aller dans le sens que nous souhaitons tous d’une meilleure
ouverture des CPGE.
J-F Guipont, Lycée Saint-Louis
Encadré 2
C'est en qualité de Conseillère d'orientation-psychologue que je voudrais apporter mon témoignage qui ne vise qu'un objectif: une meilleure collaboration entre nous tous.
J'ai essayé au cours de cet atelier de faire passer deux messages qui nous tiennent vraiment à
cœur mais qui vont manifestement à l'encontre d'idées véhiculées tout au long de ce colloque.
Quelles sont-elles?
73
- « Les élèves du secondaire ne sont pas informés de l'existence des CPGE ». Je ne peux que
m'inscrire en faux contre cette assertion. Les élèves reçoivent des informations, et ceci bien
avant le second trimestre de l'année de terminale. Certes, le fait que chaque COP ait en charge
deux ou trois établissements scolaires limite la portée de notre action mais nous passons dans
les classes, des documents de l'Onisep sont distribués ( dont je conseille aux participants du
colloque une lecture attentive), des conférences ou des rencontres avec des anciens élèves
sont organisées. Les élèves sont en outre invités à se rendre aux Journées Portes Ouvertes et
bien sûr à faire des recherches sur différents sites. Nous passons notre temps à inciter les
élèves à multiplier les occasions de s'informer, à confronter les différentes sources
d'information... Ceci en collaboration avec les professeurs du secondaire.
- « L'information n'étant pas faite ou mal faite, il faut l'organiser car l'information, c'est la
solution ». Nous considérons pour notre part que si l'information est nécessaire, elle n'est pas
suffisante, en particulier dans le cas des jeunes d'origine modeste. C'est un tout autre travail
qu'il faut mener avec ces jeunes. Notre expérience montre qu'il est illusoire de penser qu'une
information, en particulier si elle est délivrée de façon collective, suffira à ébranler le
sentiment très intériorisé que peut avoir un jeune que le monde des prépas et des grandes
écoles n'est pas pour lui.
[Joëlle Moynier développe alors l’exemple d’un jeune d’origine populaire et étrangère, « P.3,
qui est un brillant élève de terminale ES et qui choisit de s’inscrire en BTS alors que, d’après
son professeur principal, « il aurait le profil CPGE »]
La décision de préparer un BTS, «P.» l'a prise, semble-t-il, en fin de 1ère. Dès lors, il va filtrer
les informations pour ne retenir que ce qui va dans le sens de son projet. Ce mécanisme est
fondamental pour comprendre son cas mais pas uniquement car nous fonctionnons tous de
cette manière. Personne n'y échappe. «P.» écoutera d'une oreille distraite le témoignage de
Caroline, ancienne élève du lycée, étudiante en CPGE économique et commerciale. Il ne se
rendra pas aux Journées Portes Ouvertes des lycées qui proposent ce type de classe ...
Si «P.» vise un BTS plutôt qu'une classe préparatoire, sa demande comporte néanmoins
quelque chose de hardi! En effet, c'est au lycée Y que «P.» demande à poursuivre ses études,
le prestigieux lycée Y, qui l'aurait peut-être également admis en CPGE. Ce n'est pas rien!
C'est accéder au lycée qu'il ne s'est pas autorisé à demander à l'entrée en classe de seconde. Il
a préféré alors le lycée X, jugé plus « convivial », dont « les profs sont proches des élèves »
au lycée Y qui a la réputation de « casser les élèves » et qui semble, au fil des ans, se
spécialiser dans l'accueil des héritiers de l'incontournable Pierre Bourdieu. Il y a là encore un
problème d'image. Il y a aussi des éléments de réalité, des statistiques qui montrent que les
lycées X et Y, situés dans le même district, n'accueillent pas les mêmes publics.
«P.» va donc préparer un BTS. Dans deux ans se posera la question d'une poursuite d'études,
de la possibilité de postuler pour les Grandes Ecoles par le biais des admissions parallèles.
Vous vous en doutez, le lycée Y obtient d'excellents résultats à ces concours... Il lui faudra
aborder la question du financement avec ses parents (son père est employé au service des
jardins de la ville, sa mère est employée de maison) . Il sera alors peut-être en mesure
d'entendre ce que ses enseignants de terminale n'ont pas manqué de lui indiquer: les étudiants
de deuxième année des écoles de commerce (la quatrième année d'enseignement supérieur!)
peuvent, grâce à l'alternance, devenir salariés. «P.» n'est donc peut-être pas perdu pour les
74
Atelier n°1
Grandes Ecoles. Ou il entrera à l'Université en IUP, en MST ou autre. Il aura la possibilité de
faire des études longues... N'est-ce pas l'essentiel? (…)
J'ai choisi un cas extrême pour illustrer mon propos. La plupart des élèves de terminale
franchissent la porte de nos bureaux. Nous conseillons les CPGE car nous n'avons aucun
préjugé concernant cette filière mais pour certains, c'est un choix qui ne coule pas de source,
qui se fait après une valse-hésitation. Nous essayons, dans le temps qui nous est imparti, de
les accompagner tout au long de leurs questionnements, de lever leurs inquiétudes mais
certainement pas de les nier! J'ajouterai que ces inquiétudes ne sont pas l'apanage des élèves
qui postulent pour une CPGE, tous les élèves de terminale sont inquiets à la veille de l'entrée
dans l'enseignement supérieur, au moment de faire des choix qui les engagent.
(…)
Il nous faut continuer à échanger, dans l'intérêt des élèves, plutôt que de donner des réponses
rapides à un problème qui est complexe.
Joëlle Moynier, Conseillère d'orientation-psychologue
***
75
Atelier 2
"La diversification des C.P.G.E., instrument d'ouverture sociale ?"
L'atelier n°2 s'est déroulé selon le planning suivant :
o Introduction par J.L. PIEDNOIR, Inspecteur Général de Mathématiques
o Intervention de M. TEMMERMAN, enseignant en PT au lycée Langevin Wallon de
Champigny sur Marne et précédemment en TSI au lycée Voillaume d’Aulnay sous
Bois.
o Intervention de M. MESTRE, professeur de Génie Mécanique en TSI au Lycée
Raspail Paris 14e.
o Intervention de R. BERTRAND, présidente de l'A.D.E.P.P.T (Association des
Professeurs de Classes Préparatoires H.E.C. voie technologique)
o Intervention de S. TARDIF, vice-présidente de l'A.P.H.E.C. (Association des
Professeurs de Classes Préparatoires H.E.C.)
o Débat avec la salle.
En introduction, J.L. PIEDNOIR indique que, depuis leur création, en 1977, les classes
préparatoires réservées aux élèves des séries technologiques STI et STT accueillent des élèves
qui n'auraient pas pu choisir cette voie si elles n'existaient pas.
Il mentionne que pour l'année scolaire 2001 2002 :
o les effectifs des classes TSI-ATS ne représentent que 3,8 % des bacheliers STI, soit
environ 1300 étudiants, contre 20% d'inscriptions en CPGE pour les bacheliers S.
o les effectifs des classes ECT ne représentent que 0,6 % des bacheliers STT, soit
environ 500 étudiants.
o 40 % des étudiants des classes TSI-ATS-ECT sont boursiers contre 14 % pour
l'ensemble des C.P.G.E.
o 25% des élèves de TSI sont titulaires d’un BEP et proviennent donc d’une première
d’adaptation.
Les classes préparatoires technologiques jouent donc un rôle d’ascenseur social réel mais
méconnu. S’il est difficile de le quantifier au niveau national de nombreux témoignages
montrent qu’il en est de même pour les classes de proximité quoique dans une moindre
mesure.
Les statistiques complètes sont données ci-dessous :
Année
TSI 1
TPC
+TB 1
2001-2002
2000-2001
1999-2000
1998-1999
1997-1998
779
759
695
757
705
137
127
126
129
114
HEC
techno
1
491
529
537
430
416
TSI 2
TPC
+TB 2
660
611
648
663
734
95
91
70
75
89
76
HEC
techno
2
439
436
361
354
292
ATS
Bac
STI
Bac
STL
Bac
STT
540
526
509
474
407
32900
35700
36900
36200
34600
5800
6100
6300
6300
6200
72700
78400
82200
79400
77000
Atelier n°2
M. TEMMERMAN décline la question posée selon les deux points suivants :
•
•
La diversification permet-elle d’augmenter le flux d’élèves d’origine sociale moins
favorisée ?
Quelles sont les moyens pédagogiques à mettre en œuvre pour la réussite des élèves ?
Avant de développer le premier point, M. TEMMERMAN présente brièvement la classe
préparatoire PTSI /PT du lycée Langevin Wallon (LW) de Champigny sur Marne.
Elle a été créée en septembre 1993 et totalise toutes promotions confondues depuis cette date,
selon l’indicateur "mentions au baccalauréat S "les résultats suivants :
2,7% Bien, 26% Assez Bien et 71,3% Passable
M. TEMMERMAN revenant au premier point, apporte son témoignage d’une diversification
avec la voie PTSI de la filière scientifique, de son implantation dans un lycée de proximité
associée à un partenariat régional avec d’autres lycées possédant des CPGE.
Si on donne la parole aux élèves, ils sont nombreux à affirmer que « Si la prépa du
LLW n’avait pas existé, ils n’auraient jamais fait ce type d’étude… »
Pourquoi ?
Pour certains, ils sont élèves du lycée depuis la 2nd et ont bénéficié d’une
information privilégiée avec de nombreux contacts et ont leur a proposé une
poursuite d’étude dans le même établissement, à coté de chez eux avec des
professeurs qu’ils connaissent…
Pour d’autres, ils ont fait une terminale S avec des notes simplement moyennes en
mathématiques et ne pensaient pas avoir la compétence requise pour suivre cette
formation. On leur a présenté la spécificité de cette voie avec son approche
expérimentale importante.
Ou encore, on leur a expliqué l’esprit et les contenus des sciences de l’ingénieur,
discipline nouvelle pour eux et fortement valorisée en PTSI-PT.
Un des moyens du développement du recrutement vers une population moins captive
serait la diversification des voies et l’implantation de CPGE notamment dans des lycées de
proximité, et plus particulièrement dans des lycées polyvalents avec filière scientifique et
technologique, vecteurs de démocratisation !
Or on constate sur l’Académie de Créteil à forte population ouvrière possédant cinq
PTSI-PT (Aubervilliers, Cachan, Champagne, Champigny et Meaux), que hormis la section
de Cachan qui bénéficie de l’intégration dans le campus de l’ENS, les autres sections ont des
difficultés de recrutement !
Comment dès lors, concilier une implantation de CPGE dans un lycée de proximité et
assurer un recrutement optimal ?
M. TEMMERMAN présente alors une expérience intéressante ; le partenariat régional
associant trois lycées du Val de Marne dont l’un des objectifs est d’augmenter les flux
77
d’élèves dans les sections scientifiques PTSI et PCSI. Ces trois lycées du Val de Marne
géographiquement proches possédant des CPGE scientifiques sont :
Marcellin Berthelot à St Maur
D’Arsonval à St Maur
Langevin Wallon à Champigny
(2MPSI,3PCSI,2MP,1MP*,1PC,1PC*,1PSI*)
(1PCSI/PSI,1PSI*)
(1PTSI, 1PT),
En ce qui concerne plus particulièrement la PTSI-PT, les premières conséquences de
l’existence de ce pôle sont les suivantes :
o le déficit d’image du lycée technique LW , frein important au recrutement est
en grande partie gommé par le partenariat avec les lycées prestigieux voisins.
o l’information confidentielle de la Journée Portes Ouverte-LW sort de ses
limites étroites vers un auditoire beaucoup plus large à l’occasion des JPO des
deux autres lycées. Plus généralement l’information en direction des candidats
potentiels et de leurs familles est nettement améliorée avec le souci de la faire
la plus en amont possible.
o la connaissance et la valorisation des sciences de l’ingénieur s’expriment par
des actions spécifiques au sein du pôle.
o L’attractivité est renforcée par l’existence d’une structure sécurisante très
réactive avec de nombreuses passerelles entre les voies scientifiques pour
optimiser les parcours et améliorer l’adéquation filière / profil d’élève.
o La mise en commun d’un certain nombre de moyens, ressources du pôle,
comme l’internat du lycée MB favorisent le recrutement en PTSI du LW.
o Une image d’ouverture et d’innovation est attachée à l’existence de ce pôle
régional décidant les élèves les plus indécis.(exemple : complémentarité
d’équipement entre les différents établissements enrichit les ressources
matérielles du pôle accessibles à l’ensemble des élèves).
Ainsi le maintien d’une CPGE-PTSI/PT dans un lycée polyvalent de proximité et dans
une cité ouvrière facilite l’accès à ce type de formation d’une population de condition
modeste et l’isolement de cette implantation nuisible notamment en terme d’effectif est
rompu par l’appartenance à un pôle régional.
M. MESTRE, dans son intervention propose une réflexion issue d’une expérience de 22 ans
d’enseignement en CPGE dont 5 en TSI.
« La démocratisation des armes de guerre est en marche ». C’est ainsi que débute un article
du Monde sur le grand banditisme. « Démocratiser » signifie maintenant non plus « instaurer
un gouvernement où le peuple exerce la souveraineté », mais « rendre accessible au plus
grand nombre » et, partant, « faire œuvre de promotion sociale ». Et le glissement sémantique
du terme « démocratie » est semble-t-il en marche, lui aussi, en direction de : « ouverture
sociale ».
78
Atelier n°2
Il pose ensuite en termes concrets les questions suivantes :
•
•
« Les classes prépa technologiques sont-elles seulement des entreprises
caritatives destinées à assurer la promotion sociale d’élèves marginalisés par
le système scolaire ? ».
« Quels sont les ingrédients d’un enseignement réussi dans ces classes ? »
M. MESTRE présente alors trois exemples d’élèves (un échec, un espoir, un succès) qui
illustrent les spécificités pédagogiques de la filière TSI.
L’échec était celui d’un élève d’origine marocaine et ouvrière. Particulièrement
respectueux, sérieux, travailleur, bref : méritant, il avait gravi tous les échelons des études
techniques : CAP, BEP, BP, Bac technologique, et enfin CPGE TSI. Il était assis au premier
rang, voulait TOUT comprendre, posait des questions jusqu’à épuisement. Hélas ses capacités
d’abstraction et de rapidité n’ont pas permis le moindre passage en deuxième année, et nous
avons dû le réorienter en IUT. Échec apparent du point de vue étroit de la seule classe prépa,
en réalité une réussite du point de vue des études supérieures car son expérience en CPGE
l’avait bien armé pour l’IUT où il s’est épanoui.
L’espoir est le cas d’un autre élève d’origine marocaine encore en activité dans ma
classe : il est issu d’un lycée de la banlieue nord de Paris.
Or cet élève est fort en math – très fort même, pas seulement à l’aune du niveau
moyen de TSI. Il aurait sa place en prépa classique. Mieux, à l’occasion de Noël, je racontais
à la classe un conte dans lequel j’avais intégré, sans crier gare, un ciel bas et lourd pesant
comme un couvercle sur l’esprit gémissant en proie aux longs ennuis. Le gaillard réjoui
s’écria « Baudelaire ! »
La réussite est incarnée par une jeune fille issue d’un collège violent de banlieue sud,
auquel elle put échapper par l’inscription en cycle technologique à Paris. Première de sa
classe en sup et en spé, stage dans un labo d’astrophysique suivi d’un TIPE brillant, et enfin
admission en 3/2 aux Mines de Paris. Certes, ses performances dans les matières scientifiques
ne la placent pas en tête de promotion, mais elle vient « d’avoir » son semestre. De plus,
il semble qu’elle confirme ses talents d’initiative, de communication, d’interdisciplinarité,
d’organisation et de leadership, tant appréciés dans cette institution – sans parler
de ses capacités, spécifiques à sa formation, à garder les pieds sur terre même dans
les situations où prévaut la réflexion théorique.
Enfin, M. MESTRE pose la question suivante :
"Considérant que certains, y compris dans les Grandes Écoles, affichent une hostilité ouverte
à la présence de TSI, la filière TSI n’est-elle qu’un filet servant à repêcher des élèves
méritants, et qui bénéficient d’une discrimination positive du fait de l’étanchéité entre leur
concours et ceux des autres filières ? Ou à l’inverse, est-ce une pépinière de talents que
d’autres filières seraient moins à même de développer ?"
En conclusion, pour M. MESTRE, une réflexion plus large conduit à considérer les
spécificités des étudiants de TSI non comme celle d’élèves marginalisés en voie de
réinsertion, mais comme celles de toute la classe d’âge, à peine caricaturées en TSI. M.
MESTRE est amené à proposer quelques pistes à une réflexion et une action future : Pour
79
« démocratiser », il faut sélectionner. - Il ne suffit pas de démocratiser, il faut former. - Pour
former, il faut du temps.
En conclusion, on observe banalement que l’enseignement ne peut faire fi de règles anciennes
et éprouvées : la sélection des meilleurs, l’effort et la mémorisation, la répétition, ainsi que le
respect de la durée et des rythmes d’apprentissage – conditions pour que la diversification des
CPGE puisse constituer un instrument d’ouverture sociale, et que l’ensemble des CPGE et du
système éducatif français continue à former une élite de niveau européen.
R. BERTRAND indique que les classes préparatoires Economiques et Commerciales option
technologique (ECT) ont été créées en 1976 et qu'il y a désormais 24 classes préparatoires
ECT.
Les séries technologiques tertiaires STT desquelles sont issus les étudiants des CPGE ECT
forment chaque année 100 000 futurs bacheliers. Parmi eux 600 entrent en classe préparatoire
ECT.
Leurs profils sont très différents du vivier classique des classes préparatoires commerciales
car 70% d'entre eux sont enfants d’employés, d’ouvriers, ou de personnes sans emploi
(chômage ou retraite). Ils ont un baccalauréat technologique qui développe des qualités de
pragmatisme, de sens de l’initiative, d’ouverture d’esprit appréciées par des responsables
d’écoles.
Les classes préparatoires ECT permettent de :
o Donner à ces étudiants un bon niveau d’enseignement général leur conférant les
qualités indispensables à de futurs cadres, leur permettant de suivre avec profit les
trois années d’Ecole.
o Conserver leurs aptitudes dans les disciplines de l’entreprise qu’ils retrouveront en
Ecoles mais en les utilisant comme vecteurs de développement de capacités de
réflexion, d’analyse, de logique.
On constate enfin qu'en dépit de ce qui précède, les candidats option technologique restent
trop peu nombreux. En effet, faute d’un recrutement suffisant, les classes préparatoires ECT
ne jouent pas pleinement leur rôle.
L’action des prescripteurs naturels peut être améliorée. Professeurs mais aussi proviseurs et
conseillers d’orientation psychologues devraient être mieux informés de la nature des études
en classe préparatoire et de la réussite aux concours. On pourrait sur la toile développer les
entrées par mots-clefs dédiés aux divers métiers accessibles après une Grande Ecole : le
hasard de la recherche pourrait ouvrir, alors de nouveaux horizons ! Il en est de même pour
les sites de chacune des Ecoles de Management
Les bacheliers STT ont des idées fausses sur leur CPGE. Nombreux sont ceux qui sont
persuadés qu’une moyenne générale de 15 est tout à fait indispensable pour être admis en
prépa. Ils pensent qu’une prépa est le royaume du « chacun pour soi », du bachotage, de la
rivalité. Ils ignorent que des conventions existent entre prépas technologiques et Université et
que toute admissibilité à une Ecole permet d’entrer en licence avec dispense de DEUG ; du
coup ils privilégient les études supérieures courtes. Ils ont une mauvaise connaissance des
débouchés concrets des Grandes Ecoles ce qui les amène à s'autocensurer.
Ils ont des atouts, des capacités intellectuelles mises en lumière par la prépa, qui leur
permettraient de suivre avec profit l’enseignement des Ecoles du plus haut niveau. Encore
faudrait-il que les critères de sélection tiennent compte de leurs spécificités.
80
Atelier n°2
Mais le jeu de « course-poursuite » pour les grands concours est rendu impossible par le
passage à deux ans de la réforme de 1995 et l’impossibilité de passer à trois ans pour les voies
technologiques. D’autant que le niveau d’exigence des très Grandes Ecoles s’est accru.
Il est possible de se résigner à cet état de chose, c’est dommage pour la mixité sociale et pour
les écoles qui se privent d’une source de renouvellement.
Sophie TARDIF note que les étudiants issus des prépas commerciales, voie technologique
réussissent bien aux concours et accèdent à des carrières globalement plus intéressantes que
celles offertes par les filières courtes (BTS/IUT) plébiscitées par les bacheliers STT. La
population des Ecoles se trouvent enrichie d’étudiants caractérisés par des profils intellectuels
et sociaux particuliers mais ils continuent à devoir faire face à des obstacles qui leur sont
propres : structure de concours relativement défavorable, financement du concours et des
études.
Trop souvent les élèves de seconde s’orientent ou sont orientés vers la filière STT par défaut :
profil scolaire jugé mal adapté à des études générales, travail insuffisant, manque d’ambition
des familles, etc…Arrivés en terminale ils hésitent à s’orienter en CPGE. En effet, ils pensent
ne pas être capables de réussir, d’avoir trop de travail, ils ont peur de l’échec, les études
coûtent cher. En résumé, ils sont insuffisamment informés et surtout insuffisamment
encouragés. Aussi l’orientation en BTS les rassure et souvent attire les meilleurs élèves.
En classe préparatoire ils ont besoin d’un encadrement plus grand que leurs camarades des
voies scientifique ou économique mais ils sont volontaires et s’accrochent malgré des lacunes
en culture générale, surtout en langue étrangère. Leur réussite est réelle car 85% d’entre-eux
intègrent une grande école de commerce. Il y a bien une ouverture sociale mais elle reste
modeste.
***
81
Le débat avec la salle
Les intervenants présents à l'atelier n°2 étaient des collègues professeurs de CPGE, des
proviseurs de lycée, des inspecteurs généraux de l'Education nationale.
Le débat s'est orienté autour des deux questions suivantes :
1.
Comment mieux recruter pour ces CPGE ?
2. Quelle est la réussite de ces étudiants ?
Les responsables de l'Atelier n°2 proposent la synthèse suivante :
Pour la première question, il s'agit de mieux informer et convaincre que la réussite est réelle
En effet, les élèves de première et de terminale se sentent, à priori, peu concernés par ces
classes et n'utilisent pas les vecteurs traditionnels d'information sur les prépas (stands
spécifiques des salons étudiants, presse spécialisée...).
D'autre part, les prescripteurs d’orientation (proviseurs de lycée, professeurs principaux des
classes terminale, conseillers d'orientation-psychologues) sont trop souvent mal informés de
la réussite réelle des classes préparatoires technologiques.
Comment faire ?
Il est nécessaire de fournir, aux futurs bacheliers technologiques, à leurs professeurs,
des témoignages ;
• d'élèves en classes préparatoires pour prouver, par exemple, que l'accès des bacheliers
technologiques est possible,
• d'élèves en écoles d'ingénieur ou de management, issus des classes préparatoires
technologiques
• d'ingénieur, de professeur ou cadre manager diplômés issus des mêmes classes.
D'autre part, il faut aussi ;
• rencontrer les élèves de terminale concernés dans leur classe et, plus particulièrement pour
les bacheliers technologiques, leur proposer d'assister aux cours et colles de C.P.G.E.). Le
climat particulier des classes préparatoires technologiques peut rassurer les élèves.
• développer le nombre des classes de proximité et des classes préparatoires technologiques
afin de rendre ces classes plus accessibles à des jeunes de milieu modeste.
• développer les internats pour ces classes compte tenu du contexte sociologique de ces
élèves.
• accepter des effectifs plus réduits pour ces classes car plus la classe est hétérogène plus elle
nécessite des moyens adaptés.
Pour la seconde question, les points suivants ont été relevés :
82
Atelier n°2
•
Le bon niveau de réussite (80 % au moins) à l'entrée en grande école (reconnue par la
commission des titres ou visées ou homologuées par le ministère de l'éducation nationale)
atteste de la qualité de la formation de prépas.
•
Certaines écoles d'ingénieurs signalent, pour ces élèves, quelques difficultés en première
année d'étude qui s'estompent ensuite, éventuellement au prix d'un redoublement.
Les élèves de prépas option technologique tertiaire n'éprouvent pas de difficultés
particulière en école de management.
•
•
Une enquête réalisée par la C.G.E. auprès des Ecoles montre que la grande majorité des
Ecoles se déclare satisfaite de ces élèves à capacités et à profils différents.
Un exemple original
Le pôle " CPGE des boucles de la Marne " regroupe les lycées Marcellin Berthelot et
d'Arsonval de Saint Maur et le lycée Langevin Wallon de Champigny.
Cette structure permet :
• d'élargir l'information à un public plus vaste,
• de réguler les flux d'étudiants (à l'entrée et à l'intérieur du parcours) au mieux de l'intérêt
des étudiants,
• d'optimiser l'utilisation des équipements des trois sites (laboratoires de sciences de
l'ingénieur conçus en concertation).
Un exemple à suivre ?
J.L. PIEDNOIR remercie tous les participants.
83
Atelier 3
Les débouchés des C.P.G.E. en lettres et sciences sociales :
Quelle organisation en vue d’un meilleur affichage ?
Quelles évolutions en vue de leur élargissement ?
Rapporteur : Jean Duchesne (UPLS et APPLS)
Intervenants : Mme Catherine Paradeise, E.N.S. Cachan.
Mme Katherine Weinland, Doyen I.G.E.N. Lettres.
M. Zanotti, I.G.E.N. Arts.
M. Charles Thomas, Proviseur, Écoles de management.
M. Sadran, ancien Directeur, I.E.P. Bordeaux
M. Hervouet, Directeur, École de Journalisme, Lille.
I. Possibilités d’évolution et d’élargissement des débouchés.
1. Nouveautés en C.P.G.E. : options cinéma (5), théâtre (11), histoire des arts (3).
Débouchés dans des domaines sous contrôle du Ministère de la Culture (en plus des
options arts plastiques et musique, qui ne permettent jusqu’à présent que relativement
peu d’intégrations dans les E.N.S.). Ces nouvelles options ne devraient pas nuire à
celles qui existent déjà.
2. Écoles de management : depuis 1995, recrutement par concours sur les programmes
des khâgnes. En moyenne 20% des candidatures aux écoles de management.
Également possibilité d’intégration après licence ou maîtrise (concours sur titre), ce
qui peut intéresser d’anciens khâgneux. Pas de quotas. 181 intégrations de littéraires
(soit 30% des candidats) intégrés en 2002 (2% du total - beaucoup d’admis vont
ailleurs...). Tendance à l’élargissement des écoles demandées (y compris en province).
3. I.E.P. : 9 (1 à Paris, 8 en province). Objectif : diplôme (de l’établissement, et non
national) à bac + 5 (soit licence, puis maîtrise). Bordeaux : plus de 2000 candidats en
2002 (dont de nombreux khâgneux) pour 120 places. Objectif : organiser la
complémentarité avec les khâgnes. Bordeaux : 20 conventions entre I.E.P. et lycées à
prépas littéraires avec option I.E.P. en vue d’entrée en second cycle. Concours en fin
d’hypokhâgne. Les reçus restent en khâgne. Cette complémentarité a bien fonctionné
quand il y avait des échanges pédagogiques entre enseignants. Procédure à consolider
dans le cadre du système L.M.D.
4 . Écoles de journalisme : 5 en France. En moyenne 2000 nouvelles cartes de
journaliste en France chaque année, pour un total d’environ 36000. Lille : 833
candidats à bac + 3 (soit 180 ECTS) pour 50 places en 2002. Parmi les reçus : 40%
d’I.E.P. et 20% de khâgneux. Les écoles souhaitent diversifier les origines des
étudiants. Perspective de banque d’épreuves pour la culture générale et la maîtrise du
français. Les écoles souhaitent garder des épreuves propres (testant empathie,
autonomie, créativité, etc.).
84
Atelier n°3
II. Quinze propositions et suggestions entendues en vue d’un meilleur affichage.
A. Améliorer l’information.
1. Retourner les chiffres. On dit trop 400 places pour 4000 candidats. Il faudrait faire entrer
dans les têtes : 8000 places pour 4000 candidats (il y a plus de 8000 places aux Capes et
agrégations dans l’ensemble des disciplines littéraires, en comptant tout). Il va falloir
compenser quantité de départs à la retraite dans les années qui viennent !
2. Recenser systématiquement les anciens hypokhâgneux et khâgneux parmi les lauréats du
Capes et de l’agrégation et publier les chiffres.
3. Alerter les lycées : a) en insistant sur le caractère pluridisciplinaire des prépas littéraires,
qui évite les spécialisations prématurées et s’ouvre sur la culture artistique (cf. épreuve de
culture littéraire et artistique à l’ENSLSH de Lyon) ; b) en attirant l’attention de
professeurs sur la nécessité vitale de la maîtrise de la langue française et de la dissertation
pour remplir les dossiers de candidature selon la nouvelle procédure : c) en faisant inscrire
la spécificité des prépas littéraires dans les « projets » des établissements qui en ont.
4. Informer élèves et familles dès la fin de la seconde sur les débouchés des études littéraires,
afin de relancer sur une filière qui souffre actuellement de désaffection.
5 . Organiser des « tournées des popotes » pour expliquer les débouchés des C.P.G.E.
littéraires et les possibilités de financement des études en écoles de management.
B. Augmenter la lisibilité.
6. Ne pas trop distinguer et surtout ne pas opposer le littéraire « pur » et les « sciences
humaines » et souligner au contraire leur complémentarité.
7 . Bien insister sur le système des équivalences, et donc resserrer les liens avec les
universités, qui demeurent le principal débouché des khâgnes (préparation aux Capes et
agrégations), notamment avec le renouvellement prévisible du corps enseignants.
8. Clairement inscrire ce système d’équivalences dans le cadre 3-5-8 ou L.M.D. des ECTS.
9. Fédérer autant que possible (p. ex. avec une convention-cadre) les concours d’entrée pour
khâgneux dans les écoles de management, les I.E.P. et écoles de journalisme.
10. Envisager une rationalisation du dispositif des concours d’admission dans les ENS, soit
sur le modèle de la banque d’épreuves B/L, soit au moyen d’une banque de notes, l’une et
l’autre accessibles à d’autres écoles.
C. Accroître l’attractivité.
10. Bien insister sur l’intérêt du rétablissement l’option maths en 1ère et terminale L : c’est une
condition pour la revalorisation de cette filière ; la répugnance pour les chiffres est aussi
une raison d’échec dans les intégrations de khâgneux dans les écoles de management (de
même que la réticence devant les stages en entreprise dans le cours des études et l’absence
de projet professionnel).
11. Augmenter (pourquoi pas ? fût-ce de façon symbolique) le nombre de places aux E.N.S.
12. Valider au niveau des équivalences la pluridisciplinarité des CPGE littéraires : pourquoi,
en règle générale, limiter les équivalences à une seule discipline ?
13. Envisager de donner une équivalence complète de licence (180 ECTS) aux bons étudiants
qui font une seconde khâgne.
14. Proposer un système de bourses comme celui des IPES d’autrefois, qu’il faudrait
« réinventer » (valable également pour les filières scientifiques, voire management ?).
Conclusion : La filière « lettres et sciences humaines » est décisive pour la démocratisation
des C.P.G.E. : c’est la littérature (entendue au sens le plus large) qui a constitué la
démocratie !
85
Atelier 4
Classes préparatoires scientifiques :
comment élargir le recrutement ?
La question de l'élargissement du recrutement se pose d'une manière cruciale aujourd'hui. En
effet, d'une part, une certaine désaffection pour les études scientifiques se fait sentir alors que
les classes préparatoires scientifiques peuvent accueillir davantage d'élèves en leur offrant les
débouchés correspondants, d'autre part, la composition du recrutement apparaît parfois trop
homogène et n'inclut pas suffisamment toutes les catégories de la population.
L'atelier 4 a été suivi par un grand nombre de participants, principalement des professeurs,
mais aussi des chefs d'établissement et des responsables d'associations de professeurs.
Le débat fut introduit par quatre interventions de personnes de terrain qui se voulaient des
témoignages : celle de Jean-Marc Fournier, fondateur de l'association TREMPLIN, celles
d'Olivier Sidokpohou, professeur à la Courneuve, de Daniel Gasecki et Jean-Marc Truffaut,
professeurs à Mantes la Jolie, et celle de Jean-Hervé Cohen, professeur à Saint Denis.
Monsieur Maurice Porchet, professeur de biologie à l'université de Lille-I, termina les interventions en élargissant la réflexion plus généralement aux formations scientifiques.
On trouvera en annexe trois textes
[1] texte de présentation de Jean-Marc Fournier
[2] texte de Olivier Sidokpohou
[3] texte de Daniel Gasecki
Principaux constats et recommandations issus de l'atelier
1- Les causes de la sous représentation des élèves issus de milieu modeste
II est apparu au fil des interventions, puis au cours du débat avec la salle, que quatre causes
principales se dégageaient à partir de tous les cas étudiés. Il s'agit de l'autocensure, du besoin
supplémentaire d'encadrement, de l'inégalité d'information, et de la difficulté de financement.
Certaines de ces causes sont liées, par exemple l'inégalité d'information et l'autocensure.
Le rôle des professeurs du secondaire est déclaré prépondérant aussi bien dans sa pratique
quotidienne que dans l'information qu'il peut transmettre (voir les chiffres donnés dans les
interventions du matin).
2- Quelques propositions
Du côté des professeurs qui enseignent dans des classes préparatoires qui recrutent déjà dans
des milieux moins homogènes, et qui désirent attirer plus d'élèves, il s'agit d'abord de gérer le
cours d'une manière adaptée, mais en évitant l'image de "prépas au rabais", pour donner au
contraire l'image de prépas comme les autres, dont les élèves bénéficient d'une proximité
géographique et d'un accompagnement personnalisé. Il s'agit aussi de concevoir une
évaluation structurante et non cassante, afin d'éviter tout découragement, et toute "mauvaise
presse" véhiculée par le bouche à oreille.
86
Atelier n°4
Du côté des professeurs des classes de lycée, et tout particulièrement des classes de seconde,
il leur est recommandé de jouer leur rôle, prépondérant, dans l'information et l'orientation, en
repérant les potentiels (même dans le cas de résultats scolaires inégaux selon les matières) et
en apportant l'information et le soutien aux élèves concernés ( parfois en essayant de
convaincre leurs collègues réticents lors des conseils de classe). Ce suivi et ce soutien devront
se poursuivre en première et terminale. Il en résulte une nouvelle recommandation, celle
d'informer en premier lieu ces professeurs (et aussi bien entendu les CIO).
Pour modifier l'image qui peut être négative des "prépas" et les tabous qui persistent malgré
l'information (ou par manque d'information) chez les élèves des classes secondaires, il est
recommandé de faire intervenir le témoignage de jeunes eux-mêmes en prépas auprès de ces
derniers, ainsi que celui d'anciens élèves des lycées d'accueil qui ont réussi. Ce genre
d'intervention est plus efficace que beaucoup de discours.
Enfin, il faut repérer des élèves à haut potentiel mais avec des talents différents. Ceci
constitue un autre volet de l'ouverture et concerne plus directement les grandes écoles et leur
recrutement. L'ouverture sociale ne passe pas uniquement par l'attention, la confiance à
donner, le tutorat, mais aussi sans doute par la reconnaissance de talents moins académiques.
Par exemple, l'augmentation de la part des démarches d'invention par rapport aux démarches
de restitution dans les évaluations, ou la mise en place d'entretiens sont des évolutions à
prendre en compte.
___________________________________________________________________________
Annexe [1]
L’expérience de l’Association Tremplin : une action de proximité
Un double constat :
- Les jeunes issus de milieux modestes sont sous-représentés dans l’enseignement supérieur
français, et notamment en classes préparatoires scientifiques.
- En théorie, ces élèves n’ont pas d’obstacles particuliers pour intégrer ces filières.
Notamment, l’anonymat du concours est censé garantir l’équité et donner les mêmes chances
à tous.
Pourquoi cette sous représentation ?
- Autocensure : ‘Ce n’est pas pour moi’
- Difficultés de financement : Les études longues obligent à reporter les premiers salaires.
- Besoin d’encadrement au travail : faire face aux méthodes de travail exigées en prépas.
- Inégalités devant l’information : en terminale, on ne sait pas ce qu’est une école d’ingénieur.
- Importance des proches : des parents ou amis ayant suivi des parcours analogues à celui de
l’élève jouent un rôle important pour conseiller et mettre en confiance.
Que propose l’Association Tremplin ?
- L’Association Tremplin intervient dans des lycées en Z.E.P. ou des lycées dont les taux de
réussite au baccalauréat sont sensiblement inférieurs à la moyenne nationale (8 lycées sont
concernés).
- Sur place, Tremplin offre des séances régulières d’exercices scientifiques pour des lycéens
volontaires, par des étudiants (de l’X, de l’E.N.S. ou de l’E.N.S.A.E pour l’année 2003).
87
- Les exercices sont destinés à des élèves intéressés par des études longues (prépas,
université…).
- Les exercices proposés sont des exercices d’approfondissement traités en petits groupes.
- Les étudiants engagent un dialogue afin de donner des conseils d’orientation.
Un exemple de petit groupe :
- Dans un lycée classé en Z.E.P. en Seine-Saint-Denis.
- 4 élèves motivés en terminale S : 3 élèves en ‘tête de classe’ et un redoublant.
- Aujourd’hui, deux élèves sont en MP* à Condorcet, une élève est en deuxième année de
BCPST à Sainte-Geneviève et un élève est en DEUG MIAS à PARIS VI.
Quelles leçons tirer de ce type d’expérience ?
- Oser dire ‘toi aussi tu peux’, démystifier les classes préparatoires.
- La proximité de l’âge est un atout auprès des élèves : les étudiants ont un rôle important à
jouer, complémentaire de celui des professeurs.
- Un ciblage sur l’année charnière de Terminale est efficace. Cependant, intervenir plus tôt
dans le cursus aide à toucher davantage d’élèves.
- Ne pas hésiter à donner leurs chances à des jeunes issus de ‘lycées de banlieue’, ils en sont
capables et cela crée une dynamique positive pour l’image de ces lycées.
Pour en savoir plus sur Tremplin : - [email protected]
- http://tremplin.polytechnique.org
Annexe [2]
Contribution d'Olivier Sidokpohou
Par mon intervention, je voudrais essayer de présenter quelques pistes de réflexions
concernant les moyens de favoriser l'ambition des jeunes de milieu défavorisés, et ce à partir
de ma double expérience d'ancien préparationnaire et d'enseignant dans le secondaire.
Je voudrais tout d'abord présenter le cadre dans lequel s'inscrit mon action. Un lycée public
situé et recrutant majoritairement à La Courneuve, avec une forte proportion de population
défavorisée, pour des taux de réussite au baccalauréat un peu au-dessus de 50%.
Précisons tout de suite que ma conviction profonde est que les problèmes et les
difficultés que l'on peut rencontrer dans ce type de lycée ne sont pas de nature particulière. Il
n'y pas d'élèves de banlieue, mais des élèves rencontrant des difficultés auxquelles l'école se
heurte de tout temps et de tout lieu. Simplement, elles se rencontrent ici sous une forme plus
concentrée, et concernent un nombre d'élèves tel qu'il n'est pas possible d'éviter de s'y
confronter.
Une première remarque s'impose concernant les élèves de lycée : par rapport à leur
milieu, au passé scolaire de leurs parents, se retrouver au lycée général est pour eux déjà une
réussite, souvent obtenue grâce à un investissement personnel et familial réel. Dès leur entrée,
ils ont par rapport à la réussite un comportement double : une fierté d'être arrivés jusque là et
en même temps une facilité déconcertante à perdre confiance en eux. C'est ainsi qu'en début
d'année, on pourra compter une vingtaine d'élèves déclarant vouloir exercer une profession
scientifique ou médicale, mais seulement cinq osant timidement déclarer vouloir faire une
première S.
Deux options se présentent alors : faire son métier comme si de rien n'était, déclarer
qu'enfin cette année ils vont commencer à faire des mathématiques, car on n'apprend
maintenant plus grand chose au collège, débuter par des révisions d'algèbre, constater que les
88
Atelier n°4
élèves n'ont pas du tout le niveau, rédiger des devoirs où les questions faciles valent un point
et les belles questions difficiles 4, mettre 5 de moyenne à la classe pour ne pas lui mentir sur
son vrai niveau et constater avec tristesse que dès le deuxième trimestre, il n'y a plus que deux
élèves qui travaillent. Ou au contraire, entrer dès le premier jour dans le vif des
mathématiques, valoriser le savoir accumulé par les élèves au cours du primaire et du collège,
faire des devoirs un moment de contrôle et non un petit concours, valoriser les progrès plutôt
que stigmatiser les manques, fixer à chacun un objectif qu'il puisse réaliser et donc qu'on
puisse exiger de lui, en un mot mettre en place un véritable élitisme républicain, et non une
sélection par le découragement.
Ce débat n'est d'ailleurs sans doute pas spécifique à la classe de seconde…On ne peut pas
mettre 5 de moyenne à une classe, expliquer que l'on ne fait qu'exiger des notions de base que
tout élève de terminale devrait savoir ,et se plaindre que les élèves ne se sentent pas capables
de préparer Normale Sup. Bien sûr certains élèves, parce qu'ils connaissent la musique, ou
qu'ils ont un caractère exceptionnel, continueront à travailler, mais combien se décourageront,
et décourageront leurs camarades de suivre leur voie : la S c'est trop dur, la prépa c'est l'enfer.
On sous estime à ce propos l'effet très puissant du système de notation utilisé autrefois en
lycée et aujourd'hui encore dans certaines classes préparatoires, qui décourage chaque année
une bonne partie de ceux qui auraient pu être intéressés par cette filière. L'idée qu'on peut
avoir 5 et ne pas être nul, et le prendre comme un encouragement à progresser est une idée
totalement incompréhensible pour beaucoup d'élèves. Méfions-nous à ce propos de ces
injonctions paradoxales, qui peuvent se nicher dans les discours les mieux intentionnés, et
consistent à présenter les élèves venus de lycée du 93 uniquement par leurs défauts : ils ne
savent pas… ils devraient connaître… ils auraient dû apprendre… ils ne savent pas calculer,
factoriser, lire (!), même si ce catalogue de déficiences est suivi d'un…mais nous allons les
aider.
Une politique d'accompagnement et d'encouragement permet au contraire à quasiment
tous les élèves de quitter la seconde avec des connaissances de base et l'idée que les
mathématiques peuvent être aussi un monde accessible et un atout dans leur cursus. Pour ce
qui est plus directement des séries scientifiques, elle permet d' y amener une douzaine d'élèves
ce qui a pour effet d'offrir de réelles perspectives de promotion sociale à ces jeunes, et d'avoir
un vivier suffisant pour que se dégage cette élite qui nous intéresse ici particulièrement.
En terminale, s'effectue un travail plus directement lié au propos de ce colloque,
puisqu'il s'agit d'amener les élèves à élargir leur choix d'orientation, et à se mettre dans la peau
de futurs étudiants au long cours. On utilise tout ce qui peut rendre les études longues
familières, proches, visibles. Il s'agit d'un travail de longue haleine car entre le moment où on
commence à expliquer le système des classes préparatoires et celui où des élèves commencent
à spontanément poser des questions sur le sujet, il s'écoule souvent plusieurs mois. Tout ce
qui peut inscrire le monde des études dans la réalité et les projets concrets des élèves est
bienvenu. Carrefours des métiers, sélections pour la bourse scientifique des jeunes filles,
ateliers Tremplin. Le cours de mathématique est encore une fois un lieu essentiel
d'information, où l'on indique les prolongements, les applications que la notion peut avoir, en
mettant en valeur la diversité des points de vue mathématiques sur un même objet : le point de
vue du biologiste, celui du mathématicien, celui de l'ingénieur ou celui de l'économiste. Cela
permet aux élèves d'avoir une idée du type de mathématiques qu'ils aiment, et de faire leurs
choix en conséquence. Le fait que j'aie moi-même suivi la filière des classes préparatoires et
que j'aie réussi le concours de l'Ecole Polytechnique et de L'Ecole Normale Supérieure de
Cachan donne une légitimité à mon discours et aux avis que je peux donner sur les possibilités
de réussite des élèves. Il ne s'agit pas d'impressionner les élèves, mais encore une fois de leur
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rendre proches et accessibles un code, un vocabulaire, à la façon peut-être d'un artisan
transmettant son métier.
Il me semble, et c'est là encore une conviction profonde, que l'on favorise d'autant
mieux la réussite des meilleurs que l'on s'attache à la réussite de tous. Je ne peux que mettre
en garde contre la tentation de "sauver les petits Mozart qu'on assassine" en sacrifiant ceux
qui décidément "ne comprendront jamais rien à rien". Voir une élève réussir brillamment une
classe préparatoire à Saint-Louis est évidemment tout à fait gratifiant, mais savoir qu'un élève
de section littéraire deviendra un instituteur ayant gardé un bon souvenir de son cours de math
l'est aussi.
Pour conclure, il me semble que plutôt que de regarder ce qui manque aux élèves, il faut avoir
aussi le courage de regarder ce qui nous manque pour les faire réussir, voire les obstacles que
nous pouvons plus ou moins consciemment mettre en travers de leur route. Choix
pédagogiques, notations, les enseignants ont beaucoup plus de latitude qu'on ne le dit pour
améliorer la réussite des élèves de banlieue. Il ne faut cependant pas cacher la difficulté de la
tâche, qui nécessite un travail profond de remise en question de la part de chaque enseignant.
Annexe [3]
Contribution de Daniel Gasecki
A la suite des émeutes de 1991, le lycée Saint-Exupéry a connu une longue grève pour obtenir
les moyens de sortir d’une logique de ghetto. Refusant le classement en ZEP, les collègues
ont notamment demandé une redéfinition de la sectorisation, et la création de classes
préparatoires. (Cette dernière revendication n'étant pas absurde puisque le Mantois constitue
un bassin de recrutement suffisamment grand et sans concurrence immédiate d'autres lycées.)
Une classe préparatoire scientifique a été ouverte en 1993 (ainsi qu’une classe commerciale
voie économique puis, en 98, une classe littéraire). Pour assurer le recrutement et le bon
fonctionnement de ces classes, on doit surmonter deux obstacles majeurs :
1) l'image du lycée (c'est le lycée du Val Fourré, le lycée des foulards islamiques,… )
2) l'absence de culture de travail chez la plupart des élèves.
Sont ainsi admis des élèves qui n'ont pas de vocation particulière pour les CPGE mais pour
qui le lycée est plus proche que la faculté (concept de classes de proximité) et des gens au
profil plus traditionnel.
On est donc amené à pratiquer le grand écart pédagogique c'est-à-dire :
1) veiller à ce que les plus motivés puissent intégrer l'école de leur choix (deux élèves ont
préféré rester en Spé au lycée plutôt que d'aller dans une classe étoilée et ont obtenu en
3/2 Ponts et Chaussées et Centrale Paris) et donner ainsi une bonne image de la classe
(cercle vertueux)
2) s'efforcer que les autres ne décrochent pas.
L'expérience montre que ces derniers obtiennent presque tous une école dès la première année
et que les rares contre-exemples concernent des élèves ayant un projet personnel (futurs
enseignants, poursuite d'une filière universitaire.. ) ou des gens qui n'auraient pas pu suivre à
la faculté.
Les classes préparatoires de proximité ne sont donc pas exotiques : on y suit les mêmes cours
(TP de physique, TP de MAPLE), on y prépare les mêmes concours (le filtre s'effectue entre
le collège et le lycée), seules les proportions changent :
1) Davantage d'élèves intègrent des écoles du concours E3A et quand on les retrouve à
l'occasion des forums, ils semblent métamorphosés (l'enseignement devient concret et
90
Atelier n°4
est adapté à leur niveau, ils se découvrent un projet professionnel, et ils me semblent
personnellement plus épanouis que certains ayant des écoles plus prestigieuses).
En consultant le palmarès des classes préparatoires du Monde au concours E3A, je
m'étonne de voir ce concours rester marginal dans certains lycées (si les écoles
n'arrivent pas à recruter des effectifs suffisants, elles se tourneront vers les formations
intégrées comme à Poitiers et ce, nécessairement au détriment des CPGE )
2) Le recrutement étant plus large, le profil sociologique des étudiants est plus diversifié
(entre 1/4 et 1/3 d'élèves boursiers, ou d'origine maghrébine, ou de filles, même si ces
critères sont discutables)
3) De nouvelles tendances se dessinent : absence de travail de la part de ceux qui se
destinent au concours E3A "puisque tout le monde l'a " et refus de s'investir dans un
TIPE (non évalué à ce concours) Le regroupement des concours ESTP, ECRIN,
ARCHIMEDE et ICARE ne permet plus d'avoir des épreuves classantes pour les
écoles de bas de tableau ni même d'établir une hiérarchie entre les écoles. Les élèves,
sans repères clairement définis, identifient les concours à une loterie et font 5/2 en
dépit du bon sens.
En conclusion, les classes préparatoires de proximité participent de façon efficace à l'ascenseur
social tant qu'elles ne sont pas ressenties par les élèves, les collègues, … comme des classes
au rabais. Cela nécessite un matériel performant en physique ou en informatique, des résultats
honorables aux concours et surtout une information permanente auprès des intéressés (jamais
acquise). Elles ont alors un rayonnement bien plus important pour le lycée que certaines
mesures de discrimination positive (comme les conventions avec Sciences Po) puisque
concernant des élèves qui n'auraient pas pu réussir par des voies universitaires.
***
91
Atelier 5
L’image des CPGE et des GE, un frein à leur ouverture sociale ?
Le constat
Les échanges au cours de l’atelier ont essentiellement porté sur les CPGE à propos desquelles un
constat a été assez aisé à établir et unanime: les CPGE présentent l’image d’un « monde à part ».
On peut en préciser les contours : c’est d’abord une image patrimoniale ; elle participe à la reproduction des héritiers et à la dissuasion des autres. C’est également une image sexiste qui
contribue à renforcer l’exclusion précédente. La transmission de ces images participe à la fois de
l’autorité parentale, mais aussi professorale, et professionnelle – des spécialistes de l’éducation et
de l’orientation. Dans tous les cas, c’est généralement une image retardée – ou rémanente,
véhiculée sur la base d’une expérience - ou d’une expertise datée, ou décalée.
Les échanges ont essentiellement porté sur les usages, les pratiques, au sein même de l’institution
scolaire – les lycées mais aussi les classes préparatoires - qui contribuaient à transmettre cette
image. Si cette image n’explique pas l’essentiel d’une sélectivité sociale qui, comme le montrent
bien les travaux de la DEP se détermine tout au long de la scolarité secondaire, il ne semble faire
de doute pour aucun de participants à l’atelier qu’elle contribue à repousser une part des
bacheliers qui auraient toute leur place en CPGE.
A cet égard, nombre de participants se sont émus des références au « bagne », à « la vie
monacale », aux « sacrifices » à consentir… qui émaillent fréquemment les articles de presse sur
les classes prépas mais que l’on retrouve également dans des documents officiellement destinés à
l’information des enseignants…. Cette image strictement négative ne peut être que dissuasive,
bien au-delà même des seules catégories populaires ou féminines qui semblent désormais
communément considérées comme les nouvelles cibles stratégiques de recrutement des classes
préparatoires.
A l’inverse, plusieurs intervenants ont souligné combien l’image des prépas pouvait être
présentée par les mêmes enseignants ou élèves sous un jour totalement différent selon leurs
interlocuteurs. Ces remarques venaient en écho à l’intervention de Jean-Claude Lafay sur
l'ambivalence de la perception du « monde prépas » par lui-même, sur cette image retardée
« maintenue vivante par des processus complexes où les traditions familiales, professorales,
étudiantes - les BDE, les associations d'anciens élèves - ont un rôle important. C'est pourquoi
les enquêtes (en particulier auprès des élèves de prépas) obtiennent des réponses souvent
contradictoires ou en décalage avec la réalité : on ‘défend’ sa prépa - ou on s'en dissocie - tantôt
en exagérant les contraintes, tantôt en les niant contre toute évidence, selon les intentions que
l'on suppose à l'enquêteur ».
Encore semble-t-il nécessaire de distinguer les « lycées à prépas » des lycées sans prépas ; pour
Albert Munoz, par exemple, l’absence d’image des prépas est peut-être aussi fréquente, pour
certaines catégories de lycéens – de familles immigrées ou populaires – que la « mauvaise » ou la
« bonne » image : nombreux sont ceux qui ne connaissent tout bonnement pas ces classes et
encore moins les différentes filières : aussi, la première information qui leur en est donnée – le
plus fréquemment par des enseignants – jouera-t-elle un rôle déterminant.
92
Atelier n°5
L’importance de l’information apportée par les enseignants de lycée fait consensus, de même que
l’image généralement ambiguë qui est donnée des classes préparatoires : une image d’attraction
– répulsion, ainsi que le souligne Albert Munoz, qui serait partagée aussi bien par les professeurs
que les élèves, en particulier dans les lycées « sans prépas » où elle est fortement liée au propre
cursus des enseignants – voire à leurs perspectives de carrière.
Comment changer cette image ? Des collègues souhaitent qu’en cherchant à dédramatiser l’image
des classes préparatoires on ne les banalise pas pour autant, ce qui ne semble pas forcément une
tâche simple, tant elles apparaissent comme une institution en décalage par rapport au discours
ambiant sur l’école : « il faut dire qu’elles réclament des efforts, du travail… » ajoute un collègue.
Des suggestions
Un large accord se fait autour de quelques suggestions le plus souvent déjà expérimentées par des
collègues, dans quelques établissements. Il est souhaité que ces initiatives puissent être plus
systématiquement recensées et diffusées.
Il semble qu’il faille, d’abord, travailler auprès de tous ces élèves qui n’ont pas d’image des
prépas, qui n’en entendent parler que lors de la procédure de dépôt des dossiers. D’un avis
général, ce travail est à mener :
- bien avant la terminale, dès la classe de première, ou mieux, dès la seconde proposent
plusieurs collègues ;
- par les enseignants de classes prépas, mais pas seuls, pour qu’ils ne puissent risquer
d’apparaître plaider pro domo;
- avec les élèves des prépas, retournant dans leur lycée ? mais il semblerait que l’image
qu’ils en donnent puisse être très différente de leurs convictions intimes, ainsi cet élève qui
décrivait sa vie prépa de manière à effrayer les élèves de son lycée d’origine : par « désir de
se mettre en valeur », propose un collègue - mais il ne semble pas que cela épuise le sujet…
L’intervention la plus efficace reste, semble-t-il, la sensibilisation des collègues de lycée :
- d’abord, au sein des lycées à prépas où elle passe entre autres par l’implication des
équipes pédagogiques dans la vie de leur établissement ;
- dans le développement des liens à l’intérieur du réseau constitué par les lycées dans
lesquels recrutent chaque prépa : ces liens permettraient en particulier des opérations de
sensibilisation des collègues des lycées « sans prépas ».
Mais, pour un grand nombre des participants, le plus important est de mener un travail interne au
milieu même des classes prépas, pour aller vers plus de lisibilité et de transparence :
- plus de lisibilité du ‘système prépa-grandes écoles’, pour qu’il ne soit plus vu au travers
du miroir déformant des quelques établissements, les plus prestigieux, mais intègre la diversité
du système ;
- plus de transparence, afin de ne pas travestir la réalité; la prépa, ça n’est ni le bagne, ni le
Club Méditerranée. Il faut dire la réalité sur le travail à fournir, sur la concurrence, à
93
l’intérieur des classes. Mais il faut aussi, plus positivement, dire davantage sur cette
communauté de travail, élèves et professeurs, sur son efficacité qui fait la grande spécificité
du système.
Ce travail interne concerne peut-être surtout le mode d’évaluation des élèves. C’est un sujet qui a
été débattu durant une bonne part de la durée de l’atelier. Une collègue a dit la difficulté du
genre, la prépa coincée entre la notation issue de la terminale, qui a le bac pour horizon et la
notation «concours», supposée beaucoup plus rigoureuse que la notation de prépa. Celle-ci serait
en quelque sorte une cote mal taillée entre les deux ; mais, d'un côté il s'agit d'un examen
(exigence de niveau), de l'autre d'un concours (exigence de classements discriminants). D’autres
collèges ont donc souligné combien ce système d’évaluation était totalement incompris des
catégories d’élèves, de parents qui n’y sont pas familiarisés.
Au delà de la réflexion sur l’évaluation des élèves, il semble enfin nécessaire d’imaginer
comment tous les efforts qui pourraient être déployés pour une plus grande attractivité des prépas
peuvent ne pas être annihilés en quelques semaines, après la rentrée scolaire. Car si les prépas
accueillent de nouveaux publics, encore faudra-t-il se donner les moyens de les conserver pour
qu’ils n’abandonnent pas au bout de deux semaines ou de trois mois : pour commenter le contreexemple de sa classe, «aucun élève n’abandonne, dit une collègue, car nous ne les humilions
pas ». Ce travail sur les pratiques, les styles pédagogiques des prépas pourrait constituer un beau
et vaste chantier à mettre en œuvre – comme une réponse partielle mais réelle à la question de
leur ouverture sociale.
***
Encadré 1 – L’implication des équipes pédagogiques - Le témoignage d’une collègue à Marie
Curie (Nogent sur Oise).
« Les occasions d’échanges avec les prépas sont plus nombreuses qu’on le croit. Les professeurs
de Physique de CPGE ont pu mettre au point plusieurs TP informatisés grâce à leurs collègues
de Physique Appliquée des sections de BTS. Les étudiants de CPGE ont été initiés à certains
procédés de fabrication sur l’invitation des collègues de Forge et de Fonderie. Le collègue de
Mathématiques de PT a animé une formation MAPLE pour les professeurs du secondaire, celle
de PTSI a participé à la préparation des Olympiades de Mathématiques avec des élèves de 1ère
S. Le collègue qui enseigne le Français en CPGE est coordonnateur de sa discipline et s’investit
dans les questions de communication au sein de l’établissement (… )». Ce sont autant
d’occasions qui permettent à toute une communauté scolaire, élèves, professeurs et étudiants de
mieux se connaître, de mutualiser des moyens, des savoirs et des compétences. On peut ainsi
donner une image positive et constructive des CPGE ».
94
Atelier n°5
Encadré 2 – Les rivalités de clocher
« Dans les classes prépas qualifiées par l'euphémisme navrant et poujadiste de "classes de
proximité"(que l'on sache que presque tous les élèves ont une heure de transport pour arriver et
présentent une mixité sociale intéressante!), on offre le même enseignement qu'ailleurs destiné à
préparer les concours dans toute leur rigueur. Cependant, le petit nombre d'élèves et l'état
d'esprit militant des enseignants font que l'on repère et met en valeur les qualités singulières de
ces élèves tout en les adaptant à l'académisme nécessaire. Le résultat est qu'aucun élève
n'abandonne, que tous les ans certains choisissent de cuber estimant avoir des chances aux
concours et qu'ils vivent leur scolarité de manière heureuse. Notre principal obstacle est la
mauvaise image diffusée a priori par les lycées voisins comportant des hypokhâgnes seulement,
qui dissuadent leurs élèves de préparer les concours avec nous et préfèrent les envoyer en Deug
à l'université les privant d'une année de formation pluridisciplinaire solide! Quant aux lycées du
secondaire, ils ont souvent une absence regrettable d'information sur les classes préparatoires en
général.
Ce problème -on le sait bien- se retrouve à des degrés divers sur tout le territoire et il faudrait
cesser de miner ce système démocratique de qualité auquel nous tenons tant, par des rivalités
stupides et sans objet entre établissements, voire entre villes, départements ou régions qui
relèvent de l'esprit de clocher, nuisent à l'unité républicaine et surtout à l'égalité de chances
offerte à tous nos élèves. Lorsque l'an dernier, l'une de nos élèves de Saint-Ouen, dès la première
année a obtenu des résultats convenables au concours, nous l'avons envoyée sans honte ni état
d'âme dans un lycée du quartier latin où elle a réussi à travailler de manière plus anonyme et
autonome après avoir été dirigée et soutenue dans un établissement modeste.
Il y a encore beaucoup à faire pour effacer l'image désastreuse qui s'attache à un département
que l'on n'ose désigner que par un chiffre pudique, le "9-3", mais il faut se souvenir que géographiquement ces étudiants ne se trouvent qu'à une demi-heure de la Bibliothèque Sainte Geneviève
et que l'on continue encore à exercer sa raison de l'autre côté du périphérique! »
Anne, professeur de Lettres modernes en khâgne au lycée Blanqui de Saint-Ouen (93)
***
95
Atelier 6
La diversité des recrutements dans les grandes écoles :
quels bilans ?
Nous avons commencé par quelques données factuelles issues du MEN et que je vais
rappeler.
Pour les écoles d'ingénieurs (annexe 1), sur 100 diplômés, 44 viennent des CPGE, 28 viennent
des classes préparatoires intégrées, 7 viennent de DEUG, 14 viennent de DUT, BTS ou d'une
prépa ATS et 7 viennent d'une maîtrise universitaire. 72 d'entre eux sont donc passés par une
classe préparatoire (et même un peu plus si on intègre les ATS) ce qui, de l'avis des
participants de l'atelier, semble être une garantie de la qualité du recrutement et donc de la
formation.
Pour les écoles de management (annexe 2), la situation est plus complexe puisque 19 viennent
d'une CPGE, 24 ont été recrutés après la baccalauréat (et sont donc l'équivalent des classes
préparatoires intégrées), 18 viennent d'un DUT ou d'un BTS, 4 viennent d'un DEUG, 9
viennent d'une maîtrise universitaire, 2 d'un troisième cycle, 3 d'une école d'ingénieurs, 2
d'une autre école de commerce, et près de 19 sont d'une autre origine.
Ces chiffres semblent cependant cacher une réalité assez diversifié selon les écoles puisque
pour HEC (annexe 3), toujours sur 100 diplômés, 75 proviennent des classes préparatoires, 11
viennent d'une licence, 13 ont intégrés après un deuxième cycle universitaire, le complément
intégrant après un troisième cycle universitaire.
La diversité des recrutements dans les grandes écoles est donc une réalité.
Nous avons ensuite entendu Éric Savatero, directeur de la formation de l'ENS Cachan, qui
nous a présenté le concours spécial BTS pour l'entrée en première année et les recrutements
sur titre en troisième année.
Depuis la session 97 du concours BTS, l'ENS Cachan a recruté 46 élèves par cette voie, dans
trois spécialités (18 en génie mécanique, 18 en EEA et 10 en génie civil). Ces 46 étudiants ont
des origines diverses (BTS, BTS + ATS, DUT), des qualités et des lacunes qui dépendent
assez fortement de leur passé, mais tous ont des déficits dans les disciplines scientifiques et
doivent fournir un effort particulier en première année.
Sur les 19 étudiants qui ont eu la possibilité de se présenter à l'agrégation, 15 l'ont réussi du
premier coup, 2 ont été admis la seconde fois, 2 la repassent cette année. Sur les 10 étudiants
recrutés en 97 et 98, 4 sont actuellement en doctorat et 6 se sont tournés vers l'enseignement
en secondaire dont la moitié après avoir passé un DEA.
Les problèmes rencontrés concernent une démission en cours de première année, une
exclusion pour double échec en fin de deuxième année et deux redoublements avec succès en
fin de première année.
96
Atelier n°6
Ce parcours particulier a été brillamment illustré par Didier Briand qui est l'exemple même
d'un parcours atypique réussi : CAP, formation qualifiante à la DGA, CPGE, DUT, ENS
Cachan, en attente des résultats de l’écrit de l’agrégation !
Cyril Delhay, de Sciences Po, nous a ensuite parlé des conventions d'éducation prioritaires qui
ont permis de sélectionner une cinquantaine d'étudiants issus d'une quinzaine de lycées
sensibles. Plus précisément :
17 étudiants provenant de 7 lycées partenaires ont été admis en 2001 et 33 étudiants
provenant de 13 lycées partenaires ont été admis en 2002.
Les étudiants admis par cette procédure viennent à 85% des Catégories SocioProfessionnelles "ouvriers", "employés" ou "professions intermédiaires" contre 11% de ceux
qui intègrent Sciences Po par les autres filières d'admission.
70% des admis par cette voie sont des femmes.
Ces étudiants représentaient 10% des effectifs de première année en 2002.
15 des 17 admis en 2001 sont passés en année supérieure et dans l'ensemble les résultats
académiques des étudiants admis par cette filière sont comparables à ceux des étudiants admis
par d'autres voies.
Ce recrutement a été illustré, tout aussi brillamment, par Aurélia Makos et Hakim Hallouch,
élèves de deuxième année de Sciences Po.
Alain Bernard de l’ESSEC nous a rapidement présenté un projet de cette école qui consiste
non pas à créer une nouvelle voie d’entrée mais à favoriser l’entrée des élèves des Zones
d’Éducation Prioritaires en les sensibilisant très tôt au fait que de penser intégrer une école de
management n’est pas un rêve absurde.
Christiane Tincelin, qui co-animait avec votre serviteur cet atelier, nous a cité le cas de JeanMichel Jaffrelot qui a intégré l'ESC Le Havre après un BTS de commerce international et suit
les cours de la filière HEC Entrepreneurs en ayant déjà une grande expérience professionnelle
et qui illustre la diversité des comportements.
Pour structurer la réflexion, nous avons scindé les discussions autour des questions suivantes :
La diversité des profils à l'entrée d’une grande école est-elle une richesse ou au handicap :
Pour l'école ? Pour les étudiants eux-mêmes ? Pour leurs camarades de promotion des voies
plus " classiques " ? Pour les entreprises qui recrutent nos diplômés ?
Quelles diversités peut-on identifier (filières amont, sociales, culturelles, comportementales)
et quels sont les points forts et leurs faiblesses par rapport à nos écoles ?
Quels types de profils d'étudiants voudrait-on privilégier ? Quelles compétences autres que
scolaires souhaiterait-on chez nos étudiants ? Comment bâtir des compléments d'épreuves ou
des modes de sélection pour évaluer ces compétences ?
97
De l’avis unanime des participants à l’atelier, la diversité des profils à l’entrée des grandes
écoles est effectivement une véritable richesse : richesse pour les étudiants eux-mêmes qui
n’auraient certainement pas pu intégrer les écoles par les voies classiques de sélection ;
richesse pour les autres membres de la promotion qui bénéficient d’un échange de
compétences et de connaissances et d’une plus grande ouverture culturelle grâce aux échanges
avec des personnes aux histoires personnelles différentes, aux origines (sociales et
géographiques) différentes, aux pratiques linguistiques différentes ; richesse pour l’école à
condition qu’elle sache exploiter cette diversité dans ses méthodes pédagogiques par exemple
; richesse pour les entreprises qui demandent d’ailleurs des diplômés aux profils divers et
variés et non des collections de clones sortis d’un même moule.
Il est d’ailleurs à noter que la recherche de la diversité des profils par les grandes écoles
résulte de cette analyse et non d’un problème d’appauvrissement des viviers habituels de
recrutement.
Les diversités à rechercher sont donc :
Diversités sociales, nous en avons déjà parlé et la plupart des interventions en séance plénière
d’hier tournaient autour de ce thème ;
Diversités de genre. J’emploie ici la traduction de l’anglais " gender " qui est beaucoup plus
précise que notre terme français de sexe. C’est aussi un thème qui a été abordé lors des
séances plénières ;
Diversités des formations amont, le plupart des écoles recrutant des universitaires, certaines
recrutent des titulaires de DUT et BTS et certaines écoles de management recrutant des
khagneux ;
Diversités comportementales comme le montre les profils entrepreneuriaux ;
Diversités des nationalités qui induisent des diversités de formation amont et en général des
diversités sociales et comportementales.
Au delà des aspects linguistiques pour les recrutements internationaux mais diverses
expériences montrent qu’ils ne sont pas insolubles, loin s’en faut, deux principaux problèmes
semblent se poser :
Il nous faut être capables d’adapter nos méthodes de formation pour éviter de passer à côté de
l’objectif et donc de fabriquer des clones à partir de profils différents.
Il nous faut surtout être capables de concevoir des modalités de recrutement adaptées aux
différents profils, les méthodes fondées sur une discrimination positive ne semblant pouvoir
être légitimées que sous forme expérimentale.
Les points suivants ne sont pas issus des travaux de l’atelier qui, faute de temps, s’est contenté
de signaler la difficulté du problème précédent, mais de réflexions personnelles ou induites
par les exposés en séance plénière. Je vous les livre donc comme tels sachant que le premier
concerne effectivement les modalités de sélection et que les deux autres ont rapport à
l’élargissement du vivier de recrutement :
98
Atelier n°6
Les réflexions autour de la loi de modernisation sociale et de la validation des acquis de
l’expérience devraient amener les écoles à réfléchir sur les compétences nécessaires à leurs
diplômés et il me semble qu’il sera plus facile de trouver des méthodes de recrutement
adaptées aux différents profils en raisonnant en termes de compétences qu’en raisonnant en
termes de connaissances.
Si nous voulons attirer plus de filles en taupe, il nous faudra certainement réfléchir à leur
hébergement et donc ouvrir des internats de jeunes filles directement dans les lycées : en tant
que parent d’élèves, comment voulez-vous que je conseille aussi facilement à ma fille qu’à
mon fils d’aller en CPGE alors que je sais que mon fils pourra être logé directement dans le
lycée et que ma fille devra, après une journée de cours éprouvante, se déplacer pour rejoindre
sa résidence ?
Enfin, l’exposé de Bernard Lahire nous a montré que finalement le système universitaire
semblait mieux adapté aux enfants des Catégories Socio-Professionnelles favorisés qu’à ceux
des CSP défavorisés qui ont plus de difficultés à mettre en place par eux-mêmes des méthodes
de travail et semblent donc avoir besoin de plus d’encadrement. Nous devrions donc attirer
plus d’enfants de CSP défavorisées dans les CPGE où l’encadrement est plus fort. Comme les
CSP défavorisées n’ont pas les moyens d’envoyer leurs enfants en CPGE loin du domicile
familial, ne faut-il pas réfléchir à augmenter le nombre de " prépas de proximité " ?
Je vous remercie de votre attention.
Christian Margaria, Directeur de l'I.N.T.
99
479
5 496
8 273
Ecoles en 4 ans
Ecoles en 5 ans
Total général
27,8
70,3
71,2
10,8
En %
13 107
357
135
12 615
44,0
4,5
20,1
59,2
En %
CPGE
Effectif
NB : y compris les écoles dépendant du ministère de l ’agriculture
2 298
CPI
Ecoles en 3 ans
Effectif
1 834
238
8
1 588
Effectif
6,2
3,2
1,2
7,5
En %
DEUG
4 597
1 363
32
3 202
Effectif
15,4
17,4
4,7
15,0
En %
En %
6,6
4,6
2,8
7,5
29 787
7 817
673
21 297
100,0
100,0
100,0
89,2
En %
Total
Effectif
Transparent Effectif.../Janvier/chrono 2003/courrier DIR/DIREI
1 976
363
19
1 594
Effectif
DUT / BTS / ATS Diplômés >= bac + 4
- Rentrée 2001 -
Effectifs recrutés par niveau dans les écoles et formations d ’ingénieurs
publiques et privées (hors étranger)
Total général
Baccalauréat
CPGE
BTS-DUT
DEUG-DEUST
2è cycle universitaire
3è cycle universitaire
Ecole d'ingénieur
Ecolede commerce
Autres origine
24,5
19,0
18,0
3,7
9,2
2,4
2,7
2,2
18,2
100,0
En %
Transparent Niveau de formation etudiant.../fevrier/chrono 2003/courrier DIR/DIREI
29 879
309
690
365
115
759
731
816
665
5 429
7
5
5
1
2
Effectif
Ensemble commerce, gestion
Effectifs recrutés par niveau dans les écoles de commerce et de gestion
(hors étranger) - Rentrée 2001 -
NIVEAU DE FORMATION D’ORIGINE
DES ÉTUDIANTS DE L’ECOLE HEC
ÈME
EN 3
ANNÉE AU COURS DE L’ANNÉE UNIVERSITAIRE 2002-2003
Nombre total d'étudiants .....................................................
478
100,0 %
recrutés en 1ère année après CPGE.....................................
360
75,3 %
70,5 %
21,4 %
7,8 %
0,3 %
53,1 %
16,1 %
5,9 %
0,2 %
118
24,7 %
44,9 %
11,1 %
54,2 %
13,4 %
0,9 %
0,2 %
•
•
•
•
concours scientifique ................................................
concours économique ...............................................
concours littéraire ......................................................
concours technologique ............................................
254
77
28
1
admis directs en 2ème année .............................................
• 1er cycle universitaire ...............................................
Licence ........................................................
Bachelor’s degree ......................................
35
18
• 2ème cycle universitaire ............................................
IEP ...............................................................
Maîtrise ........................................................
DEA ..............................................................
Diplôme d'
Ingénieur ...................................
Master'
s degree ..........................................
34
5
1
22
2
• 3ème cycle universitaire ............................................
Doctorat de médecine vétérinaire ...........
ème
Répartition des 118 admis directs en 2
1
53
66,0 %
34,0 %
64
53,1 %
7,8 %
1,6 %
34,4 %
3,1 %
1
100,0 %
année selon le mode de recrutement :
¾ titulaires d'un diplôme français .....................................
¾ titulaires d'un diplôme étranger (concours CIAM) ........
¾ recrutés dans le cadre des accords de DD ..................
60
45
13
Sources :
•
•
•
•
ème
Effectif total des étudiants de 3
année = Delphine Vilain le 15/04/03
Tableau des effectifs au 18/10/2002 MAJ le 11/03/03 fourni par M.-P. Leccia-Lamarre
ère
Répartition des étudiants admis en 1 année = M.-P. Leccia-Lamarre le 10/04/03
Fichier des AD/CIAM/DD en FQ avec diplôme d'
origine fourni par MPLL le 11/04/03
et contrôlé par FS le 15/04/03 pour CIAM et DD
• Calcul des pourcentages = CZem
CZem – 15 avril 2003
Atelier n°7
Atelier 7
Filière économique et commerciale
Le coût des études, frein à l’ouverture sociale ?
Philippe HEUDRON (APHEC) – Nicolas MOTTIS (ESSEC)
L’atelier s’ouvre sur un constat amer : la veille, la filière économique et commerciale s'est vue
décerner un « carton rouge » par Christian BAUDELOT. De toutes les filières de CPGE,
elle est celle où la proportion d'élèves issus du niveau social supérieur est la plus forte.
Philippe HEUDRON introduit le débat : ce carton rouge est-il vraiment mérité ?
Mais surtout à qui faut-il vraiment le décerner ? Aux acteurs de cette filière ou aux pouvoirs
publics qui participent de moins en moins au financement de la formation des managers ?
Le problème du financement des études ne peut être dissocié de celui du financement des
écoles. Et les écoles de commerce ont à cet égard une place très particulière dans le paysage
de l’enseignement supérieur français.
C'est ce qu'expose alors Nicolas MOTTIS, directeur de l'ESSEC, qui, en préambule, rappelle
la mission des Grandes Ecoles de Management :
Former des étudiants au meilleur niveau international pour assurer leur développement personnel mais aussi et surtout celui du pays, à la fin d'un processus et d'un
investissement étalés sur près de 20 ans (de la maternelle à la fin des classes préparatoires…). On notera que ce système, quasi unique au monde et essentiellement
public, conduit à un niveau de qualification exceptionnel qui n’est atteint dans la
plupart des pays développés qu’à un âge beaucoup plus élevé.
Il faut donc d'abord placer le débat sur le plan d'une concurrence internationale de plus en plus
vive et cerner les défis et les enjeux auxquels est confronté le pays.
Comment donc les grandes écoles de gestion peuvent-elles assumer ces défis alors que :
La France consacre globalement de faibles moyens à son enseignement supérieur et
à la recherche. A l'intérieur du système français, la gratuité de l'enseignement dans
les universités de gestion, les grandes écoles d'ingénieurs, les instituts d'études
politiques interdit des frais de scolarité très élevés.
Nicolas MOTTIS donne quelques chiffres significatifs sur les coûts annuels des études :
ESSEC
X, Mines
University of Richmond (peu connue…)
Harvard Business School
15 KE/étudiant
60 KE/étudiant
60 KE/étudiant
150 KE/étudiant
ou sur les ratios professeurs/étudiants :
ESSEC
CENTRALE
INSEAD
1/33
1/8
1/6
103
!!!!
Comment alors recruter des professeurs de classe internationale et ouvrir les portes des écoles
aux meilleurs étudiants. L'ESSEC, comme l'ensemble des écoles de gestion, a fait le choix de
continuer à servir notre pays, c’est-à-dire de continuer à offrir une formation de qualité dans
un marché non solvable et avec un très faible soutien public. Le défi est de continuer à
assumer cette mission de service public tout en étant un acteur de premier ordre au niveau
international. Le véritable enjeu est de promouvoir le modèle socio-économique européen,
constitué d’équilibres assez différents de ceux qui dominent le modèle anglo-saxon classique.
L’enjeu est aussi de défendre le système des Grandes Ecoles et de ne pas laisser la formation
supérieure européenne en management aux mains des MBA anglais ou néerlandais.
Ce débat ne peut donc pas esquiver la question politique : qui a vocation à financer l'enseignement supérieur ? Quelle est la part de Bien Public ? Celle du Bien Privé ?
Nicolas MOTTIS expose alors les évolutions sur les cinq dernières années de la structure de
financement de l'ESSEC. Il en ressort principalement :
Une diminution sensible de la part de financement public : 48% en 97, 35% en 2002
(dont les 2/3 correspondent à la taxe d’apprentissage que les écoles doivent générer)
Une augmentation parallèle et symétriques des ressources propres, formation
permanente, chaires, fund raising : 22% en 97, 35% en 2002
Une stabilité de la part provenant des frais de scolarité : 30% environ
Aujourd'hui donc un auto-financement d'environ 65%.
A propos des frais de scolarité Nicolas MOTTIS fait ensuite quelques remarques concernant
l'ESSEC mais qui, à quelques nuances près, sont sans doute généralisables :
30% des élèves ne paient pas de frais de scolarité. Grâce à l'apprentissage.
Ils perçoivent même en plus un salaire leur permettant d'être totalement autonomes.
220 étudiants de l'ESSEC perçoivent une bourse.
Il ajoute que toutes les aides possibles ne sont actuellement pas utilisées et que l’école fait en
sorte que la contrainte financière soit levée pour les étudiants qui le demandent. Paradoxalement pourtant, les écoles de management restent victimes en France d’un biais sociologique :
beaucoup considèrent qu’il s’agit encore exclusivement d’écoles de « gosses de riches »…
Il conclut son propos en mettant l'accent sur deux points :
A l'intérieur du système français, le handicap des écoles de management par
rapport aux écoles d'ingénieurs ou aux universités est évident :
ce sont les étudiants et leurs familles qui trinquent.
Si on regarde la position de ces écoles par rapport à la concurrence internationale,
US, Asie... une autre évidence s'impose :
c'est le pays qui trinque !!
Ceci dit, pour sortir de ces difficultés structurelles, il ne faut pas poser la question qu'en
termes financiers Les écoles doivent développer des mécanismes innovants (fund raising,
création de chaires, programmes de bourses internationales, etc.), travailler sur le fond
- recherche, recrutement, accompagnement pédagogique, partenariats internationaux - et
104
Atelier n°7
valoriser leurs spécificités. Le système des Grandes Ecoles de management reste d’une qualité
exceptionnelle, ce qu’atteste, par exemple, les performances de nos étudiants partant en
échange dans les meilleurs universités mondiales. Il n'empêche,
A terme, pour répondre aux défis énoncés plus haut,la collectivité nationale
devra investir plus et mieux si elle veut préserver sa compétitivité internationale.
Après cet exposé, Philippe HEUDRON reprend la parole. Tout au long de son intervention,
il s'appuiera sur les résultats d'une enquête menée, courant avril 2003, par l'APHEC auprès
d'un échantillon d'environ 1800 élèves de classe préparatoire EC. Il indique que les résultats
de cette enquête concordent parfaitement, sur les questions communes, avec les résultats
présentés la veille par Christian BAUDELOT. Ceci lui semble donc un gage de la robustesse
des autres résultats dont il sera question ici.
Il part d'un constat simple : les études dans les écoles de management sont chères. Bien sûr
pas si on les compare aux études dans les universités américaines, mais objectivement chères
dans le système français. Peut-on alors écarter l'idée qu'il existe un rapport entre ce fait et la
composition sociologique des étudiants de cette filière ?
Pourtant le choc démographique à venir et la tertiarisation constante de l'économie sont des
occasions rêvées pour démocratiser l'accès à ces études...
Encore faut-il reconnaître et mesurer les obstacles.
Le premier de ces obstacles est un problème d'image :
écoles de commerce = écoles de « riches » !
A preuve, ce courrier de lecteur dans ALTERNATIVES ÉCONOMIQUES
Contradictions
Fidèle lectrice de votre revue depuis une quinzaine d'années, abonnée depuis dix ans,
j'apprécie vos analyses de la situation économique et sociale de notre pays et du monde
sans doute en raison de la proximité entre mes convictions politiques et les vôtres,
mais aussi de la richesse intellectuelle de vos papiers. C'est pourquoi je me permets
de vous dire à travers ce courrier combien je trouve paradoxales et contradictoires
les idées que vous défendez et la présence dans tous vos numéros de publicités pour
des écoles de commerce privées et payantes. Chacun sait que ces écoles pratiquent
des frais de scolarité élevés (au minimum 4 000 euros l'année) tels qu'elles demeurent inaccessibles aux catégories socio-professionnelles du bas de l'échelle, celles que
vous défendez tant dans vos analyses. Nous savons aussi tous que la sélection par
l'argent opérée par ces écoles conduit à une auto-reproduction de la classe dirigeante tant décriée dans vos lignes.
Cette contradiction me dérange et je tiens à vous en faire part. Je la résume par
l'expression suivante : « l'argent n'a pas d'odeur... ».
Ce courrier pourrait passer pour une simple opinion individuelle. Mais il est en fait assez
représentatif d'une vision couramment répandue : confusion entre le caractère payant des
études et le caractère supposé privé des écoles (la plupart d'entre elles sont pourtant des
établissements consulaires, donc des établissements publics administratifs) ; volonté quasidélibérée de pratiquer une sélection par l'argent dans un strict souci d'auto-reproduction des
classes dirigeantes. Bien entendu, l'auteur ne se rend pas compte du germe d'hommage qu'il
105
rend au système : le passage par ces écoles conduit effectivement à des fonctions dirigeantes.
Il y a peut-être des explications à cela : la raison d'être des écoles est de former et de
renouveler les élites, non de les reproduire. Mais l'aspect le plus insidieux du discours est son
caractère auto-réalisateur : car dire aux pauvres que ces écoles sont des écoles de riches, c'est
dissuader les pauvres de tenter même d'y accéder. On peut enfin remarquer que les chiffres
donnés par l'auteur ... sous-estiment largement la réalité !!
Il convient donc d'abord d'analyser les chiffres véritables : ceux-ci proviennent d'un enquête
effectuée par le chapitre des grandes écoles de management en 2001.
Coût total des études en école sur 3 ans
- minimum : 14 445 €
- maximum : 21 000 €
- moyen
: 18 147 €
soit environ 6000 € par an pendant 3 ans (40 000 F)
Un autre constat s'impose : si les effectifs des classes préparatoires économiques et commerciales sont en constante progression (environ 3,2% par an sur les cinq dernières années),
il n'en demeure pas moins que le nombre de candidats aux concours est égal au nombres de
places offertes par les écoles et qu'en fin de compte 700 d'entre elles (soit environ 10%) ne
sont pas pourvues. L'attractivité des études en prépas ne semble pas en cause :
Plus de 80% des étudiants sont satisfaits ou très satisfaits de leurs études, quelle que
soit la voie. Les motifs de satisfaction les plus souvent cités sont :
• les contenus des enseignements, jugés très intéressants
• la diversité des disciplines.
Pas non plus de problème d'ambiance : seuls 6,5% la trouve détestable, ils sont dix fois plus
nombreux à la trouver excellente. La prépa n'est pas le bagne que certains se plaisent à décrire
ou plutôt à imaginer Du côté de l'origine sociale, les résultats sont moins encourageants :
Catégorie socio-professionnelle du père par voie.
70, 00%
60, 00%
economique
scientifique
technologique
50, 00%
40, 00%
30, 00%
20, 00%
10, 00%
0, 00%
exploitant
agricole
a r tisan,
cadre supérieur, Professeurs
commerçant,
profession
chef d'entreprise l ibérale
106
profession
intermédia i re
employé
ouvr ie r
sans profession
Atelier n°7
Même si les élèves ont eu tendance à exagérer le niveau social de leurs parents, les choses
semblent assez claires... Bien entendu ces chiffres sont à relativiser. Mais à l'évidence ils
amplifient les phénomènes observés dans les différentes séries des classes terminales.
On peut dès lors légitimement se demander s'il existe un vivier d'élèves qui renoncent à cette
filière pour des questions d'argent. Même si l'instrument de mesure est imparfait (l'enquête ne
porte pas sur les élèves de terminale), la réponse apportée par les élèves de prépas à la
question : "avez-vous des camarades de lycée qui ont renoncé a venir en prépa EC parce que
les études en écoles de commerce sont payantes ," est sans appel.
AUTOCENSURE
60,00%
50,00%
40,00%
E
30,00%
S
20,00%
T
10,00%
0,00%
OUI
NON
NSP
La réponse est oui pour environ 30% des élèves, 40% si on ne considère que les élèves ayant
répondu. L'examen de la filière technologique est évidemment le plus parlant !Il est alors
nécessaire d'affiner l'analyse : comment les élèves de prépa envisagent-ils de financer leur
scolarité et où leur semble être la principale difficulté. Les tableaux qui suivent montrent que
les élèves de prépas sont très concernés par le financement de leurs études.
Le financement de la première année d'école
vu de la première année de prépa
Le financement de la première année d'école
vu de la seconde année de prépa
80,00%
80,00%
70,00%
70,00%
60,00%
60,00%
Famille
Emprunt
Bourse
Petits boulots
Autres
50,00%
40,00%
30,00%
Famille
Emprunt
Bourse
Petits boulots
Autres
50,00%
40,00%
30,00%
20,00%
20,00%
10,00%
10,00%
0,00%
0,00%
E1
S1
T1
Ens 1
E2
S2
T2
Ens 2
Pour la première année d'école, ils envisagent, dans leur grande majorité, le recours à la
famille et à l'emprunt. Mais la conscience des difficultés semble se préciser entre la première
et la seconde année de prépa. La contribution des familles est moins citée et la nécessité de
l'emprunt s'impose plus (de 45% à 55% en E, de 40% à 45% en S, .... de 63% à 75% en T !).
On voit de même monter l'idée de compléter les ressources par des petits boulots.
107
Le financement des autres années
d'école
vu de la première année de prépa
Le financement des autres années
d'école
vu de la seconde année de prépa
70,00%
70,00%
60,00%
60,00%
Famille
50,00%
Famille
50,00%
Emprunt
Emprunt
40,00%
Bourse
40,00%
Bourse
30,00%
Petits boulot
30,00%
Petits boulots
20,00%
Alternance
20,00%
Alternance
Autres
10,00%
Autres
10,00%
0,00%
0,00%
E1
S1
T1
ENS1
E2
S2
T2
ENS2
Pour le financement des autres années d'école, la part dévolue à la famille ou escomptée de
l'emprunt diminue très sensiblement au bénéfice de l'alternance (au sens large, apprentissage,
stages en entreprise,...). On observe ici encore une conscience plus nette des difficultés
comme des solutions possibles chez les élèves de seconde année.
La relation, voie par voie, de ces chiffres avec ceux de leurs compositions sociologiques est
claire : la conscience des problèmes de financement est d'autant plus aiguë que l'origine
sociale est modeste.
Si on demande ensuite aux étudiants de situer le nœud des difficultés, c'est à dire de citer
l'année d'école la plus difficile à financer, la réponse est d'une extrême clarté.
Elèves de seconde année
70,00%
Année 1
Année 2
60,00%
50,00%
Elèves de première année
40,00%
35,00%
30,00%
Année 3
40,00%
Année 1
Année 2
30,00%
Année 3
25,00%
20,00%
20,00%
15,00%
10,00%
10,00%
5,00%
0,00%
0,00%
E1
S1
T1
E2
Ens 1
108
S2
T2
Ens 2
Atelier n°7
Tout ceci ne reflète bien entendu que l'idée que se font les élèves de prépa, c'est à dire d'élèves
les ayant par avance acceptés - à défaut de les avoir réellement mesurés, si on se réfère à
l'évolution de leur perception à l'approche de l'échéance - les problèmes de financement posés
dans cette filière. Une enquête en amont, dans les classes de première ou de terminale, serait
sans aucun doute utile pour apprécier plus sûrement les éventuels blocages à l'entrée dans une
filière qui semble par ailleurs séduisante tant au plan de son cursus qu'à celui de ses
débouchés.
Il est tout aussi nécessaire d'examiner la réalité des difficultés rencontrées par les étudiants
entrant en école. Lina IBRAHIM, élève de première année à l'Ecole Supérieure de Commerce
de Lille, prend alors la parole. Elle va, en utilisant son exemple et celui de deux de ses
camarades de prépa, illustrer quelques situations auxquelles peuvent être confrontés des
étudiants au début de la première année d'école.
Elle insiste d'abord sur sa propre détermination : oui, elle a réellement choisi cette filière. Par
goût, et de ce point de vue les deux années passées en prépa ont été tout à fait conformes à ses
espérance, et parce qu'elle nourrit depuis la classe de première un projet professionnel précis.
Elle a d'ailleurs choisi l'ESC Lille pour cette raison précise.
Un seul regret, qu'elle exprime avec force : on ne m'avait pas tout dit ... en particulier sur les
moyens de financer mes études. Car :
La première année d'étude, c'est un challenge financier !
o
o
o
o
Les frais de scolarité ( 6000 à 8000 € )
L’ordinateur portable ( environ 2000 €)
Les frais d’emménagement (meubles, déménagement, caution…)
Frais de vie : presque un SMIC par mois !!!
Loyer (≈ 400 € / mois)
Nourriture ( 250 € / mois)
Factures (EDF, téléphone, lavomatic, transports = ≈150€)
On pourrait penser que le stage de fin de première année permet de se « renflouer » un peu, ce
n’est malheureusement pas toujours le cas. Deux possibilités se présentent :
Vous restez en France
Dans ce cas, mis à part pour les stages de vente, la rémunération moyenne oscille
entre un tiers et un demi SMIC.
Vous partez à l'étranger
Une pratique qui se généralise de plus en plus
Le but dans ce cas là n'est pas de gagner de l'argent mais d'éviter d'en perdre !
Un exemple : un stage de marketing, à Londres, en fin de première année :
Recette
Dépenses
Salaire : £ 140
Impôts :
£ 5,61
Métro :
£ 23
Auberge de jeunesse : £ 118
Bilan pour une semaine : £ - 6,61 !!
109
En pratique, les stages de première année ne peuvent donc être considérés comme des moyens
de financement. Lina explique alors que dans son cas personnel, le financement des autres
années sera difficile : ce n'est qu'une fois inscrite à l'école qu'elle a appris que la section
internationale (celle qui correspond à son projet professionnel) était incompatible avec
l'apprentissage. Ce qu'elle déplore par dessus tout, c'est le manque d'information sur les
problèmes de financement, autant avant l'entrée en prépa qu'au moment de l'intégration en
école. Il en est ainsi des bourses : il n' y a quasiment pas de cadre national, chaque école a mis
au point son propre système, et le tout manque singulièrement de transparence.
Parfois tout va pour le mieux et les bourses peuvent s'ajouter :
Elle cite l'exemple de son amie Nathalie : son père est serveur, sa mère est au chômage. Elle
est boursière du CROUS (3000 € par an), mais aussi de l'ESC Lille (1000 € par an). Elle est
de même logée dans une résidence universitaire … Ses frères, déjà bien installés dans la vie,
paient sa scolarité. (et le CROUS n'a pas à le savoir !)
Son ami Clément a moins de chance : la situation de ses parents ne lui donne accès à aucune
bourse. Il ne vit plus chez eux. Il a contracté un emprunt. A la fin de ses études il devra
rembourser 650 € par mois, pendant trois ans.
Quant à elle, sa mère est cadre supérieur dans une banque, son père est chômeur depuis 1995
et ne perçoit plus aucune allocation. Elle n'a droit à aucune bourse. La banque ne lui a prêté
que le montant de la scolarité et de quoi acheter son ordinateur. La vie est dure... elle s'en sort
en faisant des « petits boulots », donne des cours particuliers, a dépouillé l'enquête de
l'APHEC. Elle pense qu'elle s'en sortira mieux les années suivantes, grâce aux stages.
Elle conclut son témoignage en disant qu'elle n'est pas un cas isolé : c'est en effet la catégorie
des cadres moyens et des professions intermédiaires qui a le plus de mal à supporter les frais
engendrés par les études en école de commerce car ces catégories sociales échappent
généralement aux aides. Pour ces familles l'emprunt s'impose, en particulier pour financer la
première année d'école.
La discussion s’engage alors avec l'assemblée. On peut en retenir les points suivants :
•
•
•
•
Le financement de la première année d'école est clairement un handicap pour la filière
GP–E - Grandes Ecoles de commerce.
Le système d'information est totalement insuffisant et bien trop tardif. Le système
actuel des bourses n'est pas lisible. Hormis pour les bourses de l'enseignement
supérieur, comment les lycéens et leurs parents peuvent-ils s'y retrouver dans les
systèmes d'aides existants. Que peuvent-ils connaître des Bourses sur la taxe
d'apprentissage, Bourses sur fonds de solidarité, Bourses de mobilité, mais encore de
celles des régions, des Bourses Eiffel, de la Fondation Francence, du Ministère des
Affaires Etrangères ...
Pourquoi les Bourses de mérite (décernées aux élèves ayant obtenus de brillants
résultats au baccalauréat) ne s’adressent-elles pas aux élèves de la filière économique
et commerciale ?
La conjonction du LMD et du problème spécifique de financement de la première
année d'école ne fait-elle pas courir un risque nouveau au système CPGE - GE ? Le
palier d'orientation structurellement prévu au niveau de la licence ne va-t-il pas
favoriser des stratégies de contournement ? Il peut en effet sembler judicieux de tenter,
après une licence gratuite, l'entrée en seconde année d'école, quand les problèmes de
110
Atelier n°7
financement sont rendus moins aigus grâce aux stages, à l'apprentissage, à l'alternance
ou encore à l'année césure.
• Une approche fiscale du problème semble nécessaire tant pour faciliter le financement
des écoles par les entreprises que celui de la scolarité par les familles. Il apparaît en
effet particulièrement injuste que les familles aux revenus moyens, qui, comme on l'a
vu, échappent généralement aux aides, participent par leur impôt au financement de
l'enseignement supérieur "gratuit" tout en supportant directement les frais de scolarité
de leurs propres enfants. En somme, elles paient deux fois ! Dans le même temps se
développent des officines privées de soutien scolaire dont la publicité repose
précisément sur la possibilité de dégrèvement fiscal !
• Des intervenants tentent d'imaginer des solutions :
o D'abord organiser une véritable information auprès des lycéens sur les aides
existantes.
o Diminuer les frais de scolarité en première année, en les reportant éventuellement sur
les deux autres.
o L’Etat ne pourrait-il pas prendre entièrement à sa charge la première année d'école
pour garantir la gratuité jusqu'au niveau « L » du LMD ?
Le sujet est vaste et Philippe Heudron doit conclure :
« La conjonction du choc démographique à venir et de la tertiarisation massive de l'économie
va se traduire à court terme par une forte demande sur le marché de l'emploi des cadres en
général, sur celui des cadres de gestion en particulier. C'est bien évidemment une opportunité
pour démocratiser notre filière. Cette démocratisation sera d'ailleurs d'autant plus facile
qu'elle sera rendue nécessaire. Encore convient-il d'agir sur les bons leviers. Nous avons
essayé de localiser quelques difficultés, de mettre en lumière quelques obstacles structurels.
Nous avons parlé d'argent, sujet généralement peu débattu dans le milieu de l'éducation. Nous
avons parlé d'argent parce ce sujet ne pourra pas être éternellement éludé dans notre filière.
Nous ne prétendons pas pour autant avoir fait le tour de la question. Nous ne prétendons pas
non plus posséder de solution toute faite.
De profondes mutations se dessinent dans l'enseignement supérieur. Puisse seulement notre
réflexion commune éclairer les choix à venir. »
***
111
Atelier n°8
les formations étrangères d'ingénieurs : quels modes de fonctionnement ?
Introduction
Les entreprises ont besoin de deux profils différents en terme de formations d'ingénieurs :
un profil appliqué pour conduire les installations et les processus de réalisation, un profil
conceptuel pour concevoir les nouveaux produits et services ainsi que pour organiser des
systèmes et des organisations complexes.
Pour répondre à ces besoins, deux organisations des études supérieures et trois modes de
fonctionnement de ces organisations se sont développés historiquement dans les divers pays.
Les deux profils nécessitent des durées d'études différentes : plus longues pour le profil
conceptuel, plus courtes pour le profil appliqué. L'organisation qui permet cela peut être
séquentielle ou parallèle. L'organisation séquentielle correspond à un premier diplôme de type
Bachelor (3 à 4 ans) et à une poursuite des études pour obtenir le diplôme de Master après
une à deux années. L'organisation parallèle consiste à séparer dès la fin de l'enseignement
secondaire les deux formations, l'une conduisant en trois à quatre ans à un diplôme de niveau
Bachelor utilisable pour aller sur le marché du travail, l'autre conduisant en cinq ans, sans
diplôme professionnel intermédiaire, à un diplôme de niveau Master. Cette organisation parallèle est celle de l'ensemble de l'Europe, Europe de l'Ouest, Europe de l'Est, Europe du Nord et
même celle du Royaume-Uni dans une large mesure. L'obtention d'un Master après celle d'un
Bachelor peut demander un recul de deux ans pour reprendre le cycle ingénieur conceptuel
dans un pays comme la Suède par exemple, soit au total huit ans d'études sans qu'il y ait eu un
redoublement.
Cette approche est complétée par deux modes de fonctionnement différents pour l'organisation
séquentielle. Aux Etats-Unis où les étudiants ayant le meilleur potentiel académique s'orientent vers les études juridiques ou de médecine, le potentiel académique plus limité des
étudiants américains conduit à des programmes très appliqués dès l'entrée en université.
La conséquence en est une entrée quasi systématique d'un diplômé Bachelor dans la vie
professionnelle. Apparaît alors un phénomène très particulier : les enseignements de Master
se remplissent avec des étudiants étrangers, généralement formés par des cycles conceptuels
en Europe ou en Asie ou ailleurs. Ces nouveaux arrivants relèvent brutalement le niveau théorique des enseignements et certains deviennent ensuite les enseignants de ces départements
d'engineering. Dans d'autres pays ayant apparemment cette organisation séquentielle, comme
la Chine par exemple, les diplômés Bachelor poursuivent en grande majorité leurs études
jusqu'à l'obtention du Master. La conséquence ici est que les responsables pédagogiques,
sachant qu'ils disposent de six années d'études, vont mettre en place des programmes qui
commencent par des bases scientifiques et techniques très solides. Le diplôme de Bachelor
n'étant pas un diplôme professionnellement utilisable directement.
La figure qui suit représente en résumé l'ensemble de ces deux organisations et trois modes de
fonctionnement.
112
Atelier n°8
Cette présentation vous permettra de situer les présentations par pays qui vont vous être
faites :
- le système allemand,
- le système norvégien,
- le système asiatique, avec un développement sur la Chine,
- le système britannique,
- le système européen des formations d'ingénieurs agronomes.
Des échanges nombreux montrent concrètement que les divers systèmes sont compatibles, le
seul cas pour lequel il y a des difficultés étant celui des étudiants américains, et que l'essentiel
est la cohérence des cursus avant et après l'échange plutôt que l'existence formelle d'un
diplôme intermédiaire.
Toutefois, avant de passer à ces présentations, il me paraît important de souligner que des
expressions traduites littéralement peuvent conduire à des malentendus significatifs. Prenons
un exemple, il est souvent fait état de la sélection ou de la non sélection à l'entrée dans
l'enseignement supérieur au cours de débats européens. Ce point prend un relief très différent
lorsque l'on réalise qu'en France, 61% d'une classe d'âge est reçue au baccalauréat (chiffres
2002) alors qu'en Suisse, à l'opposé, seulement 15% est dans ce cas et qu'en Allemagne et au
Royaume-Uni, la barre des 30% a été atteinte depuis peu de temps.
***
113
Paris, 16-17/05/2003
non US
US
“Ingénieur”
de production
(3 à 4 ans)
Organisation continentale européenne
“Ingénieur”
de conception
(5 à 6 ans)
Colloque UPS Démocratie, CPGE, GE
La différence entre “3 puis 5” et “3 ou 5”
Les diplômés
vont sur le
marché du
travail
Organisation Anglo-Saxonne
Bachelor of
Science
(3 à 4 ans)
Master of
Science
(1 à 2 ans)
Arrivée de
nouveaux
étudiants
conceptuels
2 types d’organisation
3 modes de fonctionnement
Atelier n°8
Le système allemand
Daniel Grimm
Fortement fondé sur la professionnalisation, il est caractérisé par des orientations très
précoces. Celles-ci se situent vers l'âge de douze treize ans. Un peu plus de 30% des jeunes
vont vers "l'Abitur", l'équivalent allemand du baccalauréat, qui est obtenu un an plus tard
qu'en France. Les autres s'engagent dans des voies plus ou moins longues
professionnalisantes. Certaines se prolongent dans l'enseignement supérieur, beaucoup sont
basées sur ce qui est appelé le système dual, c'est-à-dire un apprentissage avec alternance
entre les parties scolarisées et les activités en entreprise.
Les universités allemandes, dans la tradition von Humboldt, mettent la recherche en avant,
la formation n'en étant qu'une conséquence. Les études se font avec une grande différence
entre la durée nominale et la durée réelle, environ 50% d'allongement. Les professeurs
allemands ont une autonomie importante, ce qui les conduit à conserver en thèse des
doctorants très longtemps, les soutenances se faisant généralement après l'âge de trente ans.
Pour tenter de réduire cette dérive dont le coût pour la société allemande est lourd, il a été
envisagé de mettre des frais de scolarité progressifs pour les étudiants qui "s'attarderaient"
dans leur formation universitaire. Cette mesure est difficile à mettre en œuvre en raison de
l'opposition des étudiants. Autre sujet brûlant, celui-ci particulièrement tabou en Allemagne
pour des raisons historiques, la sélection : comment distinguer l'orientation qui permet de
s'engager dans des voies avec des chances raisonnables de réussite de la sélection par l'échec
où les examens finaux laissent sans diplôme un trop grand nombre de jeunes ?
Commentaires complémentaires
Le premier est un rappel du fait qu'en 1994, lors des discussions sur le commerce mondial, il a
été considéré que le premier diplôme universitaire était hors champ commercial, mais pas le
second. Que va t'il se passer lors de la mise en œuvre des ces accords ?
Le second est une observation : dans les pays où il y a des frais de scolarité significatifs et un
diplôme intermédiaire avant le niveau Master, on observe une tendance forte à sortir dès le
premier diplôme. Celui-ci est alors professionnel, et comme indiqué dans l'atelier n°8, il
manque de bases scientifiques solides. Il est souvent dit : "les diplômés savent comment faire
sans forcément savoir pourquoi alors que les diplômés de cursus longs sans diplôme
intermédiaire savent pourquoi ils font sans forcément savoir comment". Au-delà, la
conséquence peut être dramatique à terme pour l'industrie européenne. Celle-ci dépense de
sept à huit fois moins que l'industrie américaine pour développer des domaines industriels tout
en restant en avance. L'explication réside dans la capacité qu'ont nos ingénieurs conceptuels
d'anticiper plus tôt les conséquences de tel ou tel choix technique, économisant ainsi les coûts
d'exploration concrète des solutions correspondantes. La mise en place d'une organisation
avec diplôme intermédiaire professionnel du type de celle proposée par le processus de
Bologne rendra nos entreprises non compétitives sur la scène internationale à terme.
***
115
Paris, 16-17/05/2003
Toutes
Bakkalaureus
Bachelor
(3 à 4 ans)
Magister
Master
(2 à 1 an)
Colloque UPS Démocratie, CPGE, GE
« (Technical) University »
Technische Universität TU
Technische Hochschule TH
Vordiplom
(2 ans)
Diplom-Ingenieur
(5 ans nominal
7,2 en moyenne
jusqu’à 10+ ans)
« University of applied
Sciences »
Fachhochschule FH
DiplomIngenieur FH
(3 à 4 ans)
L’organisation des formations
d’ingénieurs en Allemagne
Atelier n°8
Le système britannique
Daniel Grimm (Ecole Centrale de Paris)
Le système britannique est complexe car différent selon les pays qui composent le RoyaumeUni : si l'Angleterre et le Pays de Galles sont relativement similaires, il n'en va pas de même
avec l'Écosse et l'Irlande du Nord.
En premier lieu et vu le thème du colloque, il faut noter que l'accès à l'enseignement supérieur
est très sélectif pour entrer dans certaines universités. Pour avoir les meilleures chances de
succès, des établissements privés secondaires se sont développés depuis fort longtemps, les
"Public Schools" devenus "Independant Schools", très chers et où les places dans les
meilleures sont très demandées. L'accès à l'université est ainsi réservé à des enfants de
familles aisées.
La sélection pour entrer dans une université se fait sur les résultats de ce qui est appelé "Alevels" pour "Advanced levels", littéralement "niveau avancé". Ces "A-levels" sont au niveau
de notre terminale, voire légèrement au-dessus mais pas au niveau de notre classe supérieure.
Ils ne caractérisent chacun qu'UNE discipline et sont évalués par une appréciation qui va de
A, meilleure note, à F note signifiant un échec. Les universités de Cambridge et d'Oxford
exigent au minimum trois "A-levels" avec une note A (d'où l'expression "triple A" pour
désigner un brillant élève), l'Imperial College prend avec deux A et un B, etc. Les études
universitaires sont payantes, ce qui incitent les étudiants à ne pas séjourner trop longtemps
dans le système. C'est une des raisons qui expliquent le peu d'étudiants britanniques allant
faire des études à l'étranger dans le cadre d'échanges.
La figure suivante illustre l'architecture générale des formations d'ingénieurs avec la situation
avant le changement de nom des "polytechnics" en université, changement de nom qui a eu
des effets catastrophiques. Auparavant, les universités et les "polytechnics" assuraient les
formations conduisant aux deux profils nécessaires et chacun avait ses spécificités et ses
excellences. Aujourd'hui, le financement des universités étant basé sur des critères
universitaires, les anciens "polytechnics" ont tenté de s'y adapter, ce qu'ils ont mal réussi car
ce n'était pas leur métier. Le résultat en est qu'ils sont devenus des universités de seconde
zone, à très peu d'exceptions près, que les étudiants sont mal formés et que les entreprises ne
trouvent plus le profil dont elles ont besoin.
Il est à noter :
- que le système britannique est loin d'être plus simple que le nôtre !
- qu'il n'est pas conforme aux standards de fait qui se mettent en place dans le cadre du
processus de Bologne. En effet, il existe des cursus qui vont directement au niveau du
Master, les MEng et les MSci, sans diplôme intermédiaire. En outre, les durées
d'études des cursus de Master, soit 4 ans direct, soit 1 an post-Bachelor, ne satisfont
pas a priori le critère de 120 crédits ECTS qui demande deux années d'études.
***
117
3 ans
BSc, BA
Paris, 16-17/05/2003
+ diplomas
certificates
etc
1 an
4 ans
MSci
MEng
3 ans
BEng
Avant
Maintenant
Polytechnics
Colloque UPS Démocratie, CPGE, GE
Universités
Universités
MSc, MA, Mphil
L’organisation des formations
au Royaume-Uni
Atelier n°8
NORVEGE
Jean-Pierre Soula
Directeur des Relations Internationales de l’INSA de Toulouse.
Ce pays de 4, 5 millions d’habitants comporte 4 Universités et une trentaine ‘d’école
supérieures’. C’est essentiellement à l’Université de Trondheim que sont formés les
‘Sivilengenior’, équivalents de nos formations d’ingénieur à bac + 5. Certaines écoles peuvent
également délivrer ce titre mais de façon générale, elles suivent le schéma des écoles en trois
ans, formant des techniciens. La distinction entre ‘ingenior’ et ‘sivil ingenior’ correspond à
celle qui existe en Grande-Bretagne par exemple, entre ‘engineer’ et ‘chartered engineer’ ;
d’autre part, la reconnaissance sociale de l’ingénieur en Norvège est proche de celle qu’il a
dans notre pays.
La formation délivrée à NTNU (l’Université de Trondheim) se déroule sur un bloc qui peut
s’effectuer en 5 ans mais il n’est pas rare que l’étudiant prenne un peu plus de temps.
La notion d’années d’études supérieures ne correspond pas tout à fait à celle de notre pays :
après les études secondaires, les lycéens interrompent souvent leurs études pendant un an,
comme dans les pays anglo-saxons, pour réaliser une expérience différente, souvent dans un
pays étranger. Le service militaire d’un an, occasionne également une pause dans les études.
Les résultats scolaires et de l’examen de fin d’études secondaires conditionnent l’admission
dans les filières ingénieurs. Le bac norvégien est davantage ‘à la carte’ que ceux que nous
connaissons en France et ce sont des ensembles où les mathématiques et la physique
domineront qui permettront l’accès de NTNU, par exemple. Le système de sélection est
relativement similaire à celui de nos écoles d’ingénieur qui recrutent après le baccalauréat.
Les Universités de Norvège travaillent depuis presque 2 ans à une modulérisation de leurs
cursus pour se mettre en phase avec le LMD. Cependant, le site internet de NTNU indiquait
encore récemment que la formation d’ingénieur consistait encore en un bloc de 5 ans.
Comme dans beaucoup d’autres pays, les études scientifiques attirent de moins en moins
d’étudiants : les Norvégiens lancent de temps en temps des campagnes de recrutement de
médecins et d’ingénieurs, à l’étranger. : www.nokut.no (Norwegian Agency for Quality Assurance in Education).
***
119
Les formations d’ingénieurs en Asie-Pacifique
Laurent BREYTON, ESIEE/CCIP
Animateur du Groupe Asie Pacifique de la CGE
Références
• Graduate Education Reform in Europe, Asia and the Americas and Mobility of Scientists
and Engineer
www.nsf.gov/sbe/srs/nsf00318/htmstart.htm
• Unesco www.unesco.org/iau/whed.html
• Fiches MAE www.diplomatie.fr/culture/curie
• Southeast Asian Ministers of Education Organization www.seameo.org
• INED www.ined.fr
• CEFI www.cefi.org
Généralités régionales
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Grosse moitié de l’humanité 3720 M/6137 M
Région en fort développement : urbanisation & émergence technologique
Priorité gouvernementale : Investissement dans la formation en particulier technologique
Récent (20 ans)Accroissement qualitatif et quantitatif des formations scientifiques
Forte sélectivité à l’entrée du supérieur (sauf Inde)
Hiérarchie à l’anglo-saxonne : droit, médecine, management, sciences…(sauf Japon &
Corée)
Liens industriels ténus (sauf recherche)
Computer science vs Engineering
Inde 1033 M 2,2 K$
•
•
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•
Modèle : spécifique (britanno-américano-sovieto-européen)
fort tropisme informatique
IISc & IIT : 7 grands établissements Comparable au GE française
BEng/BTech (4 à 4,5 ans) 59 K/an
MEng/MTech (+ 1,5 à 2 ans) 5K/an et non 15 K
Phd (+ 3 ans + ) 400/an (brain drain)
Singapour 4 M 23 K$
•
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•
Modèle : Britanno Américain planifié
NUS : « Oxbridge » NTU « MIT »
Bachelors 4 K/an
Masters 1,5 K/an
PHD 1K/an
« Bonds »
120
Atelier n°8
Indonésie 206 M 2,6 K$
•
•
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•
•
Modèle Hollandais américanisé
Instituts de Technologie et Facultés d’engineering publiques et privées
Bachelor (4 ans) 20 K/an
Master (+ 2 ans)
PhD (+ 3 ans)
Australie 19,4 M 23 K$
•
•
•
•
•
•
Britannique en voie d’américanisation
Activité d’exportation
Bachelor (3 ans +) 6 K/an
Master (+1 à 2 ans)
PhD (+3 ans)
Avance généralisée pour les nationaux
Japon 127 M 25K$
•
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•
•
•
•
•
•
•
Modèle : Américano-étatique, dérégulé depuis la crise en cours (1990) fortement affecté
par la dénatalité
Sélectivité à l’entrée à l’Université, relax ensuite
Dissociation undergraduate/graduate
Fort appétit pour l’engineering (40 % des étudiants)
48 % classe d’age ( 2 M en 92, 1,2 M en 07) vers le supérieur
Emergence des établissements privés (de 1 pour 1 en 1960 à 4 pour 1 actuellement)
BEng/BTech (4 ans) 136 K/an
MEng/MTech (+ 2 ans) 26 K/an
Phd (+ 1an) 4,7 K/an
Prêts & bourses incitatives graduate ++
Corée du Sud 49 M 15K$
•
•
Proche du système Japonais
Bachelor 41K/an
Chine 1 273 M 3,5K$
•
•
•
•
•
Modèle : soviétique, en voie d’américanisation
1000 Universités
Bachelor (4 ans)149 K/an
Master (+ 2 ans)
PhD
***
121
Conclusions de l'atelier n°8
Six points ont été mis en évidence :
Point n°1 : deux profils d'ingénieurs
Le besoin de deux profils d'ingénieurs, l'un appliqué, l'autre conceptuel, est satisfait soit par
une organisation parallèle de deux cursus séparés dès le baccalauréat, soit par une
organisation séquentielle des enseignements, mais avec deux modes de fonctionnement : pour
l'un, le diplôme intermédiaire n'est pas professionnel, pour l'autre, il y a changement
important de population étudiante après le premier diplôme.
Point n°2 : divers systèmes de formation
Voir les actes de l'atelier pour avoir les descriptions des systèmes de formation d'ingénieurs
en Allemagne, en Norvège, au Royaume-Uni, en Asie et les formations d'ingénieurs
agronomes en Europe. L'Asie représente les 2/3 de l'humanité et le dynamisme y est très fort,
ce qui induit un développement rapide que nous ne pouvons ignorer.
Point n°3 : et les CPGE ?
L'existence de cursus longs sans diplôme professionnel intermédiaire avant le diplôme de
niveau Master conduit à la mise en place de programmes commençant par l'acquisition de
bases scientifiques solides à l'image de celles données en CPGE. La seule exception est
constituée par les Etats-Unis qui compensent ce manque par un brain drain attirant des
étudiants et des ingénieurs ayant suivi un cursus long.
La différence entre les pays étrangers et les CPGE se situe dans la visibilité forte des CPGE
qui recrutent un auditoire homogène alors que les étudiants étrangers ayant un potentiel
comparable à nos taupins sont mélangés avec des étudiants moins performants sur le plan
académique, sauf dans quelques pays comme au Royaume-Uni et en Chine. Des échanges en
double diplôme, avec arrivée des étudiants étrangers en première année d'écoles françaises ont
montré qu'il était possible de trouver dans ces publics étudiants ceux qui s'adapteraient dans
un auditoire d'anciens taupins et avec une formation suffisamment proche de celle des CPGE
pour réussir, même parfois brillamment.
Point n°4 : la taille
Il est souvent reproché aux écoles françaises d'être d'une taille trop petite pour être visible à
l'étranger. Les enquêtes de la Conférence des Grandes Écoles montrent que le pourcentage
d'étudiants étrangers dans nos écoles est de l'ordre de 18%, soit le double de la moyenne
nationale. Dire que cette réussite est basée sur le prestige de nos établissements est
contradictoire avec l'idée du manque de visibilité!
Les structures de taille humaines que sont nos établissements peuvent faire preuve d'un
dynamisme très volontariste. Une étude du CEFI il y a quelques années a mis en évidence un
foisonnement d'initiatives des écoles sans équivalent en matière d'ouverture internationale.
122
Atelier n°8
Point n°5 : la complexité
Il nous est aussi reproché d'avoir un système compliqué et de nous attacher trop au diplôme en
France. Les expériences d'échanges d'étudiants avec les institutions étrangères montrent que la
complexité est la même partout mais qu'elle apparaît de façon différente. L'objectif de la
formation d'ingénieurs est de permettre à un diplômé de trouver un emploi pour lequel il ne
soit ni surqualifié ni sous qualifié : c'est l'intérêt du recruté et du recruteur. Or, prenons
l'exemple d'une université allemande. Sa taille, avec ses 35 000 étudiants, lui permet d'être
"visible". Mais, comme son recrutement est majoritairement local, son public étudiant est
forcément hétérogène en potentiel académique. Une entreprise ne pourra se contenter du
diplôme attribué pour distinguer les différences de potentiel, elle sera contrainte de mettre des
filtres complémentaires. Première question : quelle durée pour obtenir ce diplôme ? il faut
savoir que la durée nominale est de 5 ans, la durée effective moyenne de 7 à 7,5 ans et
certains étudiants mettent jusqu'à 10 ans. Deuxième question : quelles notes ont-elles conduit
à ce diplôme ? Selon que le diplômé a des notes entre 1.0 et 2.0 (notes excellentes) ou entre
3.0 et 4.0 (notes très moyennes), l'entreprise lui proposera telle ou telle activité. En France,
précisément en raison de la taille, les auditoires des écoles ont une homogénéité forte et
l'énoncé du diplôme suffit pour connaître le profil et le potentiel du diplômé. D'expérience, on
constate que ces filtres sont peu, voire pas connus des étudiants.
Si donc l'on ajoute à un système de formation, le besoin de compréhension de son mode de
notation et de sa durée réelle par rapport à sa durée nominale, il devient moins évident de dire
où est la complexité, avec un commentaire supplémentaire : le système français des concours
est public, connu et ouvert au mérite et fonctionne a priori alors que le mode de recrutement
post-diplôme à l'étranger est basé sur des processus a posteriori et dont les règles ne sont pas
connues.
Point n°6 : financement des études
Ce point a été peu abordé en raison de la brièveté de l'atelier. Un système mériterait d'être
étudié de plus près, le système australien. Les étudiants paient une partie significative du coût
de leur formation. Pour éviter aux étudiants qui ne pourraient prendre une telle dépense en
charge, le gouvernement australien a mis en place un dispositif de prêts automatiques, sans
intérêts, et dont le remboursement se fait au cours de la vie professionnelle à partir du
moment où les revenus dépassent un certain montant. La durée du remboursement n'est pas
limitée et son montant est très supportable.
***
123
124
Table ronde n°1, animée par Claude Thélot
Le recrutement des Grandes Ecoles :
faut-il diversifier les modes de sélection ?
Claude Thélot
ancien directeur de l’évaluation et de la prospective au MEN
Les organisateurs ont pensé que la matinée devait, après le compte-rendu des débats d’hier, se
concentrer sur l’aval. Je cite souvent ce mot d’Alfred Sauvy que je trouve très éclairant :
« lorsque je vois un ver de terre circuler, je ne sais jamais si c’est la tête qui tire ou bien la
queue qui pousse ». Pour un cycle éducatif, un morceau du système éducatif, ce sont soit les
procédures de sélection à l’entrée, les programmes, etc. qui poussent en amont, soit, et c’est
encore plus important, ce qui se passe en aval qui tire. Il est temps dans une réflexion sur les
CPGE de penser à l’aval. Les organisateurs nous ont proposé de non seulement réfléchir mais
aussi peut-être d’avoir un temps de débat sur cette question des critères de sélection des GE,
elles-mêmes comme étant la tête du ver de terre. Monsieur Belhoste nous a rappelé hier que
les CPGE n’existent que parce qu’elles préparent aux GE. Par conséquent si vous structurez la
sélection dans les GE, de telle ou telle façon, automatiquement, peut-être pas immédiatement,
mais au bon moment et dans des formes propres à notre système français, ça forme, ça
organise, ça structure les CPGE elles-mêmes. Mon expérience au sein du système éducatif
français me permet d’affirmer qu’en matière d’éducation c’est plus la tête qui tire que la
queue qui pousse. Par conséquent, il n’échappe à personne dans ce colloque qu’un des points
décisifs, et pas simplement complémentaires de ceux qu’on a évoqués jusqu’alors, vraiment
décisif pour les CPGE et leur avenir c’est le type de sélection auquel entendent procéder les
grandes Ecoles.
La Table ronde est en quelque sorte plus normative que descriptive puisqu’il s’agit d’essayer
de répondre à la question « faut-il diversifier les modes de sélection des grandes Ecoles ? ». À
la réflexion, le mot « élargir » aurait été plus ajusté, adapté, que « diversifier ». mais ça n’a
pas d’importance car on voit bien de quoi il s’agit. Nous allons tous les trois essayer de
l’illustrer à titre introductif. Moi-même de façon un peu générale et puis chacun des directeurs
d’école qui sont ici exprimeront, expliqueront, ce qu’ils entendent pour leur école, à la fois de
réflexion et d’expérimentation ou d’observation. Encore une fois, la réflexion est plus
normative que descriptive.
Si je commence à essayer d’illustrer la façon dont je perçois cette affaire, il me semble en
effet qu’il faut diversifier et élargir le recrutement et les modes de recrutement de nos GE. Il
le faut, je crois, pour deux raisons, qui sont connues je pense de chacun d’entre vous mais que
je me permets de rappeler.
- La première, c’est celle qui a été dite en particulier lors du compte rendu de l’atelier n°6 par
Christian Margaria : je crois qu’en ce moment et pour les x années à venir, les compétences à
attendre et les compétences requises dans nos économies et nos sociétés par les cadres et les
ingénieurs, par les grands et les moyens cadres et ingénieurs, auxquelles les GE préparent et
qu’ils forment, ces compétences ont un peu changé par rapport à autrefois et en particulier que
du coup il faut avoir, en effet plus en termes de compétences que de connaissances, une
réflexion sur le mode de sélection qui soit en phase avec ce qui est requis. Je suis personnellement extrêmement sensible à cette idée, et je pense que ce sont des choses que vous
connaissez, que ce qui a changé c’est un accent beaucoup plus fort qu’autrefois mis sur :
125
1. la capacité d’innover,
2. la capacité de s’adapter,
3. la capacité à travailler avec les autres, pas simplement en équipe mais aussi par exemple
avec des concurrents ;
4. ces trois capacités/compétences/comportements devant se produire au cours de la vie
professionnelle dans un univers où c'est désormais le règne de l’incertain, de l’incertitude.
Je crois que ceci, qui n’était pas absent il y a 30 ans, s’est accru depuis une quinzaine
d’années et que cela va aller en s’accroissant. Ces compétences ne sont pas antinomiques au
fait d’être un bon élève, d’avoir de grandes connaissances, mais ça ne s’y résume pas. Je
pense que si on veut vraiment favoriser ce qui par rapport à l’étranger est une caractéristique
française, c’est-à-dire les capacités d’innovation et de création en particulier, il faut
s’interroger sur le mode de sélection à l’entrée des GE.
- La deuxième raison pour laquelle je pense qu’il faut s’interroger c’est qu’il faut que la légitimité des GE soit bien assise dans notre pays. Je pense qu’avoir du coup une surface de
recrutement trop étroite offre un certain risque à cet égard.. Le constat d’hier matin a été
plutôt un constat de stabilité quantitative et qualitative du vivier du recrutement, de la masse
sociale de cette filière de formation. Une des caractéristiques du compte-rendu de Christian
Margaria c’est au contraire d’avoir mis en valeur une certaine diversité. Le constat lui-même
peut être discuté, il n’y a pas de doute, mais l’image des GE dans notre pays doit être d’autant
plus soignée, si je puis dire, qu’on tient aux GE et il faut donc que leur légitimité ne soit pas
remise en cause. De ce point de vue là, je pense qu’une certaine ouverture, sociale en particulier, du vivier et donc des recrutements est à la fois précieux pour éventuellement la qualité
et en tout cas prudent pour asseoir la légitimité de cette filière de formation d’excellence.
La deuxième observation c’est que cet élargissement du recrutement ou des structures de
sélection, des modes de sélection, ne doit pas se limiter à la création de filières de recrutement
parallèles au concours. Il ne faut pas prendre le risque que les sélections organisées par les GE
soient d’une part le concours qui est classique, qui est fondé sur telle ou telle connaissance, et
d’autre part d’autres modes de sélection qui ont leurs valeurs qui ont été rappelées ce matin
d’ailleurs, et qu’ainsi seuls ces autres modes de sélection concrétiseraient une forme d’élargissement, une forme de diversification. Je crois, et c’est très important du point de vue à la fois
intellectuel et politique, qu’il faut que ce soit sur le concours lui-même qu’on réfléchisse, pour
qu’il intègre plus profondément, plus intimement, un certain nombre de dimensions nouvelles
visant à élargir les choses. Il faut que cette tradition du concours, qui est extrêmement forte,
importante, extrêmement précieuse et familière et à laquelle nous tenons extrêmement pour
des raisons sur lesquelles il n’est pas nécessaire de revenir car nous les connaissons tous,
il faut que cette tradition du concours nous la réinterrogions à l’aune des deux exigences que
je viens de dire. Cette interrogation doit prendre deux directions :
1) La première direction doit être dans le sens d’un élargissement des compétences pour
favoriser, à travers les épreuves du concours, davantage qu’autrefois, les compétences
nécessaires dont je viens de parler. Comment favoriser les esprits créatifs dans le cadre du
concours ? Comment favoriser des esprits capables de s’adapter ? ...
2) Nos concours sont des épreuves qui organisent, anonymement et fondées sur le mérite,
l’excellence scolaire. En ce sens, nos concours sont justes en effet. Justes. Mais il faut
bien voir que l’excellence scolaire toute juste qu’elle soit, et ça vaut aussi pour le collège,
le lycée, la sélection à l’entrée des CPGE que pour la sélection à l’entrée des GE,
la sélection par le mérite scolaire, tout juste qu’elle soit, favorise de facto certaines
familles et certaines catégories sociales.
126
Table ronde n°1, animée par Claude Thélot
C’est un point décisif, l’inégalité sociale devant notre système scolaire. Elle n’est pas d’abord
une inégalité de connaissances, d’informations, je n’ai rien contre le fait d’informer davantage
il faut informer davantage, mais ce n’est pas le cœur de la question. Le cœur de la question,
c’est que l’inégalité sociale devant l’École est une inégalité devant la réussite scolaire. Les
contenus et les épreuves par quoi nous évaluons les élèves, par quoi la réussite scolaire se
dessine, surtout et en dépit du fait qu’elle soit absolument méritocratique, favorisent certaines
classes sociales et défavorisent d’autres. Donc si vous voulez élargir socialement le vivier, il
faut réfléchir sur les épreuves elles-mêmes, tout anonymes, équitables, justes qu’elles soient.
Il faut réfléchir, s’agissant du concours de recrutement des GE me semble-t-il sur trois points
si l’on veut s’élargir à des nouvelles compétences et élargir socialement le vivier.
1. Il faut réfléchir à la part et à l’importance respectives des différentes épreuves, matières,
parce que toutes les matières ne sont pas corrélées de façon équivalente avec les compétences qui sont requises pour les 30 ans qui viennent dans une société développée
comme la nôtre : certaines matières sont plus corrélées avec l’esprit d’innovation,
d’autres moins, etc. Donc il faut réfléchir plus qu’on ne le fait à l’importance donnée, à
travers les coefficients par exemple, aux différentes épreuves.
2. Je pense qu’on peut modifier le contenu d’une épreuve. Lorsque j’étais directeur au
ministère, j’avais promu une étude qui avait un intérêt considérable qui était d’évaluer
sur 40 ans l’évolution des compétences de nos meilleurs élèves.. J’avais à cette occasion
fait évaluer par un certain nombre de professeurs de CPGE sur 30-40 ans le contenu
même des épreuves de mathématiques à l’École polytechnique et au concours général
de mathématiques. Ceci depuis les années 1960. Naturellement les professeurs de
mathématiques ici le savent, mais cela a une vertu plus générale. Le contenu même des
problèmes de mathématiques fait appel chez les élèves à des compétences mathématiques très différentes aujourd’hui de celles qu’elles demandaient hier. Le doyen
Dominique Borne l’a bien dit hier, ce qui est décisif dans une épreuve c’est la forme et
le contenu que l’on donne à cette épreuve. Selon la forme et le contenu que l’on donne
ce ne sont pas des mêmes compétences qui sont sélectionnées. Il faut donc réfléchir à la
forme que l’on donne aux épreuves.
3. Le troisième point, naturellement, c’est qu’il faut, je pense, éventuellement concevoir
des épreuves nouvelles qui soient moins strictement scolaires. C'est une faiblesse de nos
statistiques, et je le dis en valeur d’autocritique puisque j’ai été l’un de ceux qui ont
contribué à les former, ces statistiques : lorsqu’on repère l’origine sociale des élèves,
on repère ça souvent, et cela a été très bien fait hier matin, suivant l’origine sociale soit
du père, soit de la mère de l’étudiant. Mais on ne repère jamais les choses en mariant
le père et la mère. Et si nous avions fait cela hier, on aurait vu que le ticket gagnant
aujourd’hui, c’est d’avoir un père cadre supérieur et une mère professeur. Au lieu de
le faire séparément, de sorte que les deux catégories cadre supérieur et professeur qui
apparaissent séparées sur les données sont en vérité intimement liées, alors qu’il y a 3540 ans, le ticket gagnant c’était déjà un père cadre supérieur, mais une mère au foyer.
Nous avons, je crois, privilégié beaucoup, et je crois personnellement trop, des épreuves
strictement scolaires, dans lesquelles par conséquent des familles où l’excellence
scolaire est portée au pinacle sont de facto avantagées.
Ça c’est le premier point, essayer de réfléchir et du coup de changer un peu nos concours pour
favoriser l’émergence, lors du recrutement des GE, de nouvelles compétences. Le deuxième
point, ce n’est plus de favoriser de nouvelles compétences, mais l’apparition de nouveaux
« profils d’élèves ». Je prends le terme exprès. Alors je pense du coup que, pour favoriser des
profils d’élèves que les directeurs d’écoles ou l’ensemble des GE, pour les différentes raisons
127
évoquées tout à l’heure ou d’autres, voudraient favoriser, il faut véritablement se poser la
question, qui est difficile dans le contexte français mais qu’on s’est déjà posée et qu’il faut
qu’on se repose, de compléter le concours par autre chose. Je veux dire de faire que les gens
soient reçus ou recalés non seulement à travers des épreuves de concours mais à travers une
forme de prise en compte d’autres critères que ceux qui résultent des épreuves à faire, y
compris dans la tradition de l’égalité à la française. Je rappelle, parce que c’est un point
décisif, pour ceux que ça intéresse, regardez le rapport du Conseil d’état d’il y a 5/6 ans,
je rappelle que la tradition de l’égalité à la française dans le droit français ne veut pas dire
l’uniformité. Elle se conjugue parfaitement avec l’idée que l’égalité consiste aussi à
compenser les handicaps, réels ou supposés. La tradition française de l’égalité issue, et à
laquelle nous tenons, de la Révolution française, dans le droit français, ce n’est pas simplement l’uniformité. Je pense par conséquent qu’il faut compléter les épreuves du concours par
la prise en considération de critères hors de ces épreuves, qu’on les codifie, qu’on les quantifie.
D’ailleurs, nous l’avons souvent fait à des degrés différents, et suivant les écoles, les périodes,
la jeunesse a été assez souvent primée. Par exemple, les gens qui passaient pour la première
fois un concours avaient un peu plus de points en dehors du concours lui-même mais qui
s’ajoutaient. Par conséquent c’était une façon de privilégier les candidats jeunes. Le fait-on
assez ? trop ? reprenons cela, le fait-on de façon diversifiée ? voilà un premier exemple.
Deuxième exemple, qui tient toujours compte des critères des personnes, c’est la question
garçon/fille. Si hier vous étiez choqués par les chiffres ou si par exemple vous voulez avoir
plus de filles dans la filière scientifique, donnons des points spécifiques aux filles lors des
concours scientifiques. Si vous voulez favoriser les garçons dans la filière littéraire, donnons
des points spécifiques aux garçons. Je rappelle un point décisif qui n’a jamais été contraire à
l’égalité dans nos esprits, jusqu’en 1975 il y avait des agrégations séparées garçon/fille. Nous
avons réuni ces agrégations en une seule. Pourquoi est-ce qu’en fonction de la politique qu’on
souhaite suivre pourquoi en ayant une seule agrégation on ne mettrait pas des points
complémentaires ici pour les garçons, là pour les filles, là pour les jeunes, là pour les vieux,
etc. En quoi ceci est-il contraire à l’égalité ? Ça ne l’est pas. Nous l’avons toujours jugé
comme ne l’étant pas.
Je termine pour dire que cela ne pourrait pas seulement être le profil dont on pourrait tenir
compte, on pourrait aussi tenir compte du cursus scolaire antérieur. Je vais vous citer ce qui
m’est arrivé lorsque j’ai présenté l’École polytechnique en 1965. J’ai eu en plus du concours
des points supplémentaires parce que j’était jeune d’une part, et c’est grâce à ces 40 points
que j’ai été reçu, et d’autre part parce que j’avais fait du latin au lycée, 15 points, et du grec,
15 points de plus. À l’époque il avait été décidé, que l’on trouve ça juste ou non, de tenir
compte dans le concours de l’École polytechnique que mon cursus scolaire pouvait donner 30
points de plus…
Je ne vous dis pas qu’il faut rétablir ce genre de critères, peut-être que oui, peut-être que non,
je dis simplement une chose : je pense que les GE pour élargir leur recrutement et faire apparaître des compétences différentes, doivent s’interroger sur ce type de compléments au
concours. Ceci ne remet pas en cause la question des concours dès lors que c’est à des doses
faibles bien entendu et que ça correspond à une politique explicite.
***
128
Table ronde n°1, animée par Claude Thélot
Le recrutement des Grandes Ecoles :
faut-il diversifier les modes de sélection ?
Michel Raimbault
Directeur de HEC
Lorsque j’ai lu le titre de la table ronde « faut-il diversifier les modes de sélection de nos
GE ? », je suis resté perplexe car la réponse a déjà été donnée depuis des années. Nos modes
de sélection sont en effet diversifiés. Peut-être faut-il le faire plus ? ou mieux ? ou en prenant
en compte de nouveaux critères ? Par ailleurs, est-ce qu’il ne se cacherait pas derrière la
question « faut-il diversifier les modes de sélection de nos GE ? » une critique implicite de
notre mode de sélection actuel et des filières qui conduisent au concours ? Les filières, les GE
et le recrutement par le concours sont en effet l’objet de critiques explicites et implicites.
Comme l’a annoncé Claude Thélot, nous ne sommes pas ici pour dresser des tableaux statistiques mais plutôt pour exprimer des points de vue et susciter un débat.
Il est en effet légitime de se demander s’il ne fallait pas diversifier plus radicalement le profil
des élèves que nous recrutons. Les modes de recrutement ne sont jamais qu’un moyen au
service d’une fin. Christian Margaria (atelier n°6) rappelait tout à l’heure qu’HEC recrute
toujours 75% de ses promotions dans les CPGE. Je voudrais exprimer ici fortement que ce
n’est pas par inertie conservatrice que nous le faisons mais par choix délibéré. Les écoles de
management sont, depuis de nombreuses années, très attentives à l’aval, aux demandes des
entreprises, et à l’environnement international. Nous savons que les profils des diplômés que
les entreprises attendent doivent comporter bien d’autres qualités que des qualités intellectuelles. Nous travaillons depuis plusieurs années à l’évolution de nos méthodes pédagogiques
internes pour forger ces qualités, en relation étroite avec les entreprises qui apportent, à
travers l’alternance, une contribution notoire à ce développement. Nous persistons cependant,
malgré tout, à dire que la filière CPGE, ainsi que le concours dans ses modalités actuelles,
continuent d’apporter les profils dont les entreprises auront besoin demain.
Revenons rapidement sur l’idée que nous nous faisons des objectifs d’une GE et plus particulièrement d’une GE de management. Nous assumons clairement le fait que notre filière existe
pour former de futurs cadres supérieurs et cadres dirigeants. Nous avons donc l’obligation
permanente de nous interroger sur les situations auxquelles seront confrontés nos diplômés
quand, dans 15-20 ans, ils auront réalisé une partie de leur parcours professionnel et, nous leur
souhaitons, qu’ils occuperont des fonctions de direction. Nous sommes persuadés que
l’instabilité de leur environnement sera plus grande encore que celle à laquelle sont confrontés
les dirigeants actuels, et que les managers auront de plus en plus à assumer une complexité
croissante. Ils auront à faire face à des bouleversements non prévisibles, prenant des formes
inouïes, inattendues. Il sera de la responsabilité des managers de savoir rendre lisibles ces
bouleversements avant de pouvoir agir. Ils devront ensuite inventer des solutions nouvelles
pour répondre à ces problèmes nouveaux. Il nous semble plus que jamais que la capacité à
théoriser, à donner du sens à une situation concrète, à rendre intelligibles les rapports entre
l’entreprise et son environnement, devra être une qualité majeure des managers de demain.
La formation que les écoles de management offrent à ces futurs managers, au moment où ils
ont le temps de se consacrer à l’activité intellectuelle, doit s’appuyer aussi sur une formation
par la recherche. Comme dans les écoles d’ingénieurs, même si cela pourrait sembler moins
évident à première vue, il faut former par la recherche. Il s’agit de la seule formation qui
apporte la liberté d’esprit, la capacité de savoir analyser une situation nouvelle sans plaquer
immédiatement de vieux schémas explicatifs ou des solutions traditionnelles, qui permet, en
129
un mot, de donner du sens. Toutes ces raisons font qu’il nous semble que le potentiel
intellectuel de nos élèves reste quelque chose de fondamental. Nous estimons que les filières
CPGE et le concours restent structurellement, car tout peut être amélioré comme nous le
verrons dans un instant, d’excellents viviers et modes de sélection pour nos écoles.
Une interrogation légitime nous est apportée par notre environnement international. Les
écoles de management discutent actuellement de la structuration de l’enseignement supérieur
en deux niveaux under-graduate et post-graduate, ce que nous appelons en France le LMD.
Les écoles de management vivent depuis longtemps dans un environnement international
concurrentiel où elles sont confrontées à des circulations d’étudiants et à la structuration de
l’enseignement supérieur au management en deux cycles undergraduate et postgraduate : nous
devons en tenir compte dans notre réflexion sur nos modes de recrutement et leur
diversification.
Nous sommes, par exemple, en contact étroit avec 16 partenaires européens leaders dans leur
pays. Certains sont déjà très avancés dans la voie du 3-5-8, d’autres le font avec précaution,
de façon expérimentale, mais avec une volonté d’aboutir qui est très claire. En Allemagne par
exemple, la conférence des recteurs a validé le passage au 3-5 et tous nos partenaires
enclenchent le mouvement. Les écoles de management en France ont un problème de
positionnement que je résumerais caricaturalement ainsi : « devons-nous devenir des graduate
business schools, c’est-à-dire ne proposer que des enseignements de type program master en
recrutant des étudiants, français ou non, munis d’un Bachelor’s Degree ou d’une Licence ; ou
bien devons-nous investir aussi le créneau undergraduate et développer le recrutement au
niveau baccalauréat ? Faut-il avoir les deux ? » Cette réflexion légitime, retranscrite dans le
référentiel français auquel nous tenons, pose immédiatement le problème de ce qu’est
actuellement la partie undergraduate de notre filière, à savoir les CPGE et la 1ère année
d’école. Faut-il avoir une réflexion radicale d’aménagement de la structure et du contenu de
ces trois ans ? Nous sommes à un niveau de réflexion qui dépasse les modes de sélection
puisque nous nous interrogeons sur la structuration des cursus d’enseignement.
D’ici une dizaine d’année ces débats vont probablement aboutir à des décisions stratégiques.
Pour le moment, la position d’HEC est de considérer que le fait de recruter 75% de nos
promotions en CPGE continue à répondre pleinement à nos attentes. Les profils que nous y
recrutons, nous permettent de proposer aux entreprises des diplômés qui, au-delà des
capacités et du potentiel intellectuel dont nous parlions, sont dotés de qualités humaines, de
courage, de ténacité, de la capacité à gérer des risques et à supporter le stress. La formation
intellectuelle initiale dispensée par les CPGE reste fondamentale, charge à l’école de
développer aussi l’ensemble des autres qualités requises.
La diversification des modes de recrutement existe pour les écoles de management. Nous
l’avons souhaitée d’abord au sein même du concours à la française, du schéma des classes
préparatoires. Plusieurs filières d’accès par des CP de natures différentes, avec plusieurs
épreuves communes au concours pour maintenir une certaine homogénéité, existent. Sur une
promotion de première année à HEC, 70% des élèves viennent de l’option S, 20% de l’option
économie et 8-10% de la filière littéraire. Il y a également chaque année quelques admis
venant de la filière technologique. La variété des profils, couplée à la variété des formations,
permet de répondre à la variété qui existe au sein des entreprises entres les différents métiers.
De plus, ces jeunes managers auront à gérer des systèmes de plus en plus complexes et des
personnes aux profils variés. La variété dans l’école est formatrice en soit. Il s’agit de
pédagogie implicite. Nous travaillons à faire en sorte d’offrir dans les cours, mais aussi en
dehors des salles de classes, un projet pédagogique fondé sur l’apprentissage des différences.
130
Table ronde n°1, animée par Claude Thélot
Il s’agit de développer la sensibilité de nos élèves à l’altérité, à la prise en compte de l’autre
en ce qu’il a de différent, avec toute la difficulté qu’il y a à tirer le meilleur de cette différence. Nous ne pouvons mettre en place cette pédagogie que si nous avons un corps étudiant
suffisamment varié et la diversification des voies du concours en est l’un des moyens.
L’international a fait une percée significative de ce point de vue avec actuellement plus de
20% d’élèves étrangers et plus de 30% si l’on ajoute les élèves en échange académique. Nous
recrutons à l’international les étudiants avec un Bachelor’s Degree pour les intégrer en
master. Nous allons essayer de structurer notre programme avec une partie undergraduate
bien identifiée puis deux années de master ayant progressivement une identité, une autonomie
et un recrutement spécifique, notamment à l’international. L’international nous oblige à
diversifier nos modes de recrutement car nous pouvons difficilement recruter avec un concours à la française des étudiants titulaires d’un Bachelor’s Degree. Nous avons donc recours
à des tests reconnus au niveau international et à des entretiens.
Nous sommes également satisfaits du fait que les élèves recrutés par les CPGE sont plus internationaux qu’il y a quelques années et nous sommes très favorables aux initiatives permettant
de rendre nos CPGE et nos GE plus internationales. L’année dernière HEC a recruté 54
profils internationaux parmi les 380 admis venant des CPGE.
Je souhaiterais aborder une dernière diversification qui est aussi le fil conducteur de ce
colloque et un problème auquel nous devons nous attaquer : l’ouverture sociale. La situation
actuelle, caractérisée par une ouverture sociale limitée pose implicitement des problèmes de
légitimité et de crédibilité, notamment lorsqu’on forme des gens qui auront demain à gérer
des entreprises qui seront, elles, représentatives de l’ensemble de la société. Nous menons une
réflexion sur les voies de recrutement par lesquelles les personnes issues de milieux moins
favorisés peuvent intégrer nos écoles. Il s’agit principalement de la voie technologique qui est
mise en place depuis plusieurs années. Elle fournit déjà de nombreux élèves à un certain
nombre d’écoles de management. Les écoles du haut du tableau ont, selon moi, une responsabilité au moins d’exemplarité. Nous essayons d’y répondre en évitant deux écueils principaux.
Le premier écueil est celui de l’opération cosmétique. Nous ne souhaitons pas garder un
conservatisme fondamental en réalisant un simple ravalement de façade qui donnerait le sentiment de faire quelque chose mais en sachant qu’au fond on se satisfait de la situation actuelle.
Le deuxième écueil est la tentation de la discrimination positive. Il ne faut pas, me semble-t-il,
mettre en place des dispositifs de discrimination positive sans prendre énormément de
précautions. Il y a d’une part un risque majeur d’ébranlement d’un des éléments fondamentaux qui font la crédibilité de notre système qui est l’égalité formelle de nos candidats
devant le concours. D’autre part, il ne faudrait pas prendre en otage une « sous-population »
avec un pré-ciblage fait en fonctions de ces critères. Quels critères prendre d’ailleurs ?
Le message que nous transmettrions à ces candidats pourrait être mal interprété. Nous prenons
de plus une énorme responsabilité vis-à-vis d’eux. À HEC, nous considérons qu’il faut
avancer avec beaucoup de prudence et nous préférons travailler par exemple avec les professeurs de CPGE technologiques qui sont déjà en contact avec ces élèves et qui connaissent
leurs attentes, leurs craintes et leurs blocages. Je crois que c’est en travaillant avec des gens
qui sont déjà à proximité, et qui ont cette caractéristique de rester inscrits dans le système
avec toutes ses vertus de sélectivité républicaine, que nous pourrons développer une voie
intéressante.
***
131
Le recrutement des Grandes Ecoles :
faut-il diversifier les modes de sélection ?
Marie Reynier
Directrice générale de l’ENSAM
Le problème de l’Europe se pose aujourd’hui très clairement à nos Grandes Ecoles. Comment
ce que l’on appelle en France les spécificités de l’enseignement français vont-elles se propager en Europe, vont-elles au contraire "faire les frais" d'un schéma international préétabli?
Le cadre du LMD peut, si une application plus rigoriste que ne le préconise l'Europe est
décrétée au plan national, devenir un rouleau compresseur au service d'une politique d’arbitrage plus national qu’international.
Chaque fois que nous rencontrons en Europe nos collègues professionnels de l’enseignement,
professeurs et administrateurs, nous constatons qu’en Allemagne, Italie ou Espagne, le
problème est du même type: le LMD décliné en Bac +3 +5 +8 ne correspond pas à ce qu’ils
pratiquent, il n’est pas reconnu par les conventions collectives ou la profession. Ce qui est
significatif, c'est le niveau de qualification. Ainsi le LMD serait à considérer en échelle de
grades et non pas de diplômes.
La question dite de « de l’exportation du modèle français », celui de l’élitisme républicain qui
nous concerne ici, se pose effectivement en Europe, où les cultures, le rapport des jeunes à
l’enseignement et à la formation, ne sont pas du tout ce que nous connaissons en France.
Cependant plus d'un pays d'Europe a d’ores et déjà développé des formes similaires du même
élitisme, ce comportement n’est pas si français que cela.
Le système élitiste est fondé sur l'idée qu’il est pertinent de détecter des jeunes à fort potentiel
afin de leur offrir un système ultrarapide de formation. Quelle que soit la professionnalisation
à bac+5, un jeune à bac+5 ingénieur de Grande Ecole français n’est pas le même qu’un jeune
à bac+5 universitaire Allemand, de même en Italie ou en Espagne.
Ce qui est communément reproché à « notre » système aujourd'hui est de considérer le
professionnel en pré-baccalauréat de façon mineure et paradoxalement d'exacerber trop le
professionnel post-baccalauréat ingénieur, préparer nos meilleurs "cerveaux" à faire du
"problem solving" c’est-à-dire finalement à savoir répondre à des problèmes connus, à
convoquer des connaissances et des moyens connus pour répondre à des problèmes du
moment. Il serait ainsi reproché aux GE de ne pas être capables de mettre sur le marché des
inventeurs, des entrepreneurs, des innovateurs. Il y a tout de même peu ou pas de Grandes
Ecoles qui méritent ce diagnostic.
En admettant que ce reproche corresponde à une perception sincère, elle pourrait être induite
dans une certaine mesure, par un pilotage de nos établissements résolument par la demande
aval. La demande socio-économique intervient effectivement fortement dans la définition du
contenu de nos formations et des stratégies pédagogiques. L’aval c’est la professionnalisation
idoine, c’est aussi combien nous allons placer d’étudiants. Conserver 90% d’embauches
immédiates, 98-99% pour certains, est très relié à la perception par les DRH de
l’opérationnalité immédiate de nos élèves.
D’un autre côté, la Commission européenne est très claire : les pays qui forment l’Union
européenne doivent prendre conscience qu’ils ne resteront dans la course économique dans un
quart de siècle que s’ils sont dans la très haute technologie et s’ils sont en fait les fers de lance
du progrès. Sinon, l’Europe ne sera qu’une vieille Europe. Nous avons très peu de temps pour
faire en sorte que les meilleurs éléments de ce pays innovent de façon exceptionnelle pour que
132
Table ronde n°1, animée par Claude Thélot
nos produits soient exportables et enviables par le reste de la planète. Cela veut dire une
mutation qui peut être profonde aussi bien dans nos secteurs tertiaires que dans nos secteurs
secondaires.
Nous voyons plus à l'Ecole Nationale Supérieure d'Arts et Métiers, combien l’industrie
française du procédé a "perdu" ses secteurs les plus conventionnels, délocalisés vers l’Est,
vers l'Asie, … , et combien finalement les ressorts français dans ce domaine-là se situent dans
l’innovation et dans les ruptures technologiques, de la très haute vitesse en usinage par
exemple. La recherche doit être consolidée. Cette recherche est à comprendre au sens de la
recherche technologique, apte à lever le verrou technologique qu’il soit tertiaire ou
secondaire. L'élite se déplacerait –elle en partie à Bac+8 ?
Le système français a l'immense avantage de savoir former vite. Un DUT qui reçoit 1800h est
à un bac+3, 3,5 , 4, 4,5 ? et un ingénieur avec 3000h sur trois ans chez nous, plus les CP
avant, est en fait quelqu’un qui est à bac plus je ne sais pas.
De toute façon le problème est ailleurs. : il s'agit de constituer l'Europe de la connaissance,
c'est à dire d'apprendre à travailler avec les Européens et donc de savoir repérer entre nous les
niveaux de qualification.
Il existe plus d'une solution, on a entendu que l’École polytechnique disait tout à l’heure
qu’elle avait 90 crédits ECTS. Difficile de proposer un système d’échange ! La connaissance
est-elle tronçonnable en crédits ECTS ? En tout cas, les buts de l'Europeen Credit Transfert
System, les textes de 1995 établissent uniquement que ce système est un code d'échange entre
établissements de formation qui reconnaissent des cursus partiels ou complets du pays
européen partenaire. Il ne peut s'agir d'un pays qui définit seul intra muros des tranches de
formation. Cette dérive, si elle se poursuit, saura être utilisée par des jeunes qui pourront à
loisir acquérir n'importe quel diplôme, de n'importe quel niveau, à condition qu'ils sachent
repérer le « bon » circuit européen, un guide du routard en quelque sorte !
Un outil, le supplément au diplôme mérite une attention particulière, ce document qui va
traduire comment nous transférons, comment nous formons nos jeunes.
Que faut-il faire pour faire en sorte que les élèves que nous recrutons – et comment faut-il les
préparer – pour que finalement nous réussissions ce pari de l’innovation ?
On se rend compte qu’au niveau des Classes Préparatoires il faut introduire également des
« ruptures », c’est-à-dire rechercher aussi d'autres critères que la capacité d'abstraction
classiquement repérée, que la capacité et sa dérive qui consiste à retraduire finalement le
mode de fonctionnement de l’enseignement lui-même. Tout à l’heure, Claude Thélot a mis en
avant le « délit d’initié », l'importance de la mère enseignante. L'administration elle même
l'Education Nationale conforte ce dispositif, avec les lycées cœur de ville et les interventions
multiples de placements dérogatoires, oui le jeu est faussé – mais notre dispositif s’avère
complice voire organisateur de cette dérive.
Nous observons parfois des phénomènes d’inversions au sein du cursus à l’ENSAM, qui sont
le résultat d’accompagnements pré-bac très et trop importants de jeunes par leurs parents,
alors qu’en réalité ils n'ont pas les aptitudes suffisantes. Nous allons essayer d’autres pistes en
introduisant des tests d’aptitudes. Ces tests d’aptitudes sont extrêmement liés aux objectifs de
formation de l’école. Chaque école aurait à définir les siens.
Par exemple, il est important à l'ENSAM de savoir repérer si l'élève ingénieur sait "voir" dans
l’espace, se représenter les mouvements dans l’espace et la position des volumes dans
l’espace. Nous avons fait passer des tests à nos élèves entrants en 2002. Ces tests anonymes
pour l'administration de l’Ecole peuvent constituer une aide appréciable à l'élève ingénieur lui
même dans son orientation personnelle.
133
D’autres aptitudes nous ont intéressés, comme par exemple celles qui consistent à repérer un
classement ou des analogies. Nous rejoignons ici le propos de Claude Thélot. Nous
identifions d’autres populations par ces tests, et nous allons poursuivre cette démarche
jusqu’au bout, parce que nous cherchons à former des entrepreneurs, des inventeurs, des
directeurs techniques, des cadres capables de maîtriser des chaînes de production, d’installer
en maîtrisant le risque industriel, d'innover en haute technologie.
Nous comptons sur les CPGE pour nous y aider, parce qu’il peut aussi y avoir une
préparation, qui ne soit pas exclusivement orientée par l’accès à haute fonction publique.
D'autres élites ont leur place, elles doivent se dégager. Les CPGE pourraient les détecter avec
nous et très bien les préparer à des concours spécifiques.
Je crois beaucoup en la vertu des concours parce qu’il s’agit de ruptures et parce qu’ils
préservent mieux l’égalité des chances. Tous les spécialistes du comportement nous disent
que la mise à l’épreuve est salutaire, et plus elle est présente, plus elle prépare à bien vivre les
ruptures qui ne manquent pas de se présenter dans la vie professionnelle et …privée. De
l’école maternelle à l’université on s’ingénie à gommer, à aplanir toutes les ruptures pour que
les élèves ne soient pas trop "désorientés". Un cadre supérieur va devoir gérer dans le stress
des décisions ultimes à effet irréversible et décisives pour l’avenir. Le concours c’est aussi
ça : garder son sang froid, être capable de raisonner dans des systèmes de stress, être capable
de préparer longtemps pour un objectif et un enjeu unique. Tout ceci fait partie de notre
formation. Nous avons le devoir de continuer à prodiguer cette culture.
Il nous faut également développer l’accueil des étudiants étrangers ne serait ce que pour
interpeller nos jeunes. La mobilité obligatoire à l’international les bouscule déjà. Nous
prônons également à l'ENSAM la mobilité nationale qui, au sein du réseau Arts et Métiers,
peut se pratiquer en interne, car elle sort les jeunes de leur quartier de naissance, de leur
région, bref de leur cocon.
Il ne faut pas oublier non plus que les jeunes sont à la recherche de cocooning, qui semble
répondre à une overdose de sollicitations en tous genres. L'attitude consumériste est de plus
en plus constatée. Ils se présentent en toute circonstance en demandant « qu’est-ce que vous
me donnez ? ». Le système CP-GE avec ses exigences de rapidité et de concentration durable,
sera perçu comme intéressant et non agressif s’il reste le garant de l’accès à une situation
sociale de qualité. Les jeunes ne sont pas effrayés par les « castings », ils sont simplement
méfiants et tentent d’éviter les « voies de garages », trop dures en rapport investissement
personnel/ revenus.
De plus, le manque de statut social de l'étudiant jeune adulte et sa mise systématique en
parasite des adultes le confortent dans un comportement passif et de nivellement.
***
134
Table ronde n°2, animée par Alain Trognon
La situation en Europe (Allemagne, Grande-Bretagne) :
quels enseignements retenir ?
Alain Trognon
Directeur du groupe des Écoles de statistiques
Cette Table ronde ne peut avoir pour ambition de traiter aussi précisément, comme ont pu le
faire Christian Baudelot et nos amis de la DEP (Direction de l’évaluation et de la prospective
du MENR), la mise en perspective de statistiques venant de divers pays. Les systèmes
éducatifs suivent clairement des traditions et des historiques nationaux qui rendent les
comparaisons extrêmement difficiles, même si, comme le souhaiterait Christian Baudelot, les
institutions statistiques étaient aussi performantes ailleurs qu’en France. L’exemple de
l’histoire des classes préparatoires si spécifiques à la France exposé par Bruno Belhoste suffit,
je pense, à soutenir mon propos. Néanmoins, dans l’ensemble européen de l’enseignement
supérieur, l’hétérogénéité des structures est en passe de coexister avec la normalisation des
LMD, sur laquelle Daniel Grimm reviendra. Les étapes des grades et des diplômes établissent
une échelle d’accès à l’enseignement supérieur dont on peut mesurer l’évolution au cours du
temps, et qu’il convient bien évidemment d’enrichir par les spécificités nationales. Les GE en
France face aux universités classiques ou aux IUT, les universités classiques en Allemagne
face aux universités de sciences appliquées (les Fachhochschule), les grandes universités
britanniques (le Russel Group) et les grandes universités américaines face aux autres. Il y a
aussi des spécialités d’excellence dont il faudrait tenir compte comme le droit, les
mathématiques, la médecine. Sans entrer dans une comparaison fine, on peut néanmoins, à
grands traits dire qu’au moins pour trois pays européens, l’Allemagne, la Grande-Bretagne et
la France, les tendances sont comparables en matière d’inégalités sociales.
En Allemagne par exemple, il y a eu sur le long terme une décroissance des inégalités sociales
pour l’obtention d’un diplôme de l’enseignement supérieur. Walter Mühler de l’université
de Mannheim constate une stabilisation au milieu des années 1970 qui, lorsqu’on tient compte
du système tripartite allemand – université classique y compris technologique, Fachhochschule et apprentissage ou formation professionnelle – peut s’interpréter alors une croissance
des inégalités sociales car les choix des filières sont très segmentés selon les origines sociales,
les classes les moins favorisées choisissant par prudence la sécurité de l’apprentissage.
Dans le document britannique que vous avez peut-être lu « Widening participation in higher
education » (http://www.dfes.gov.uk/highereducation/docs/wideningparticipation.pdf), sont
distingués trois groupes d’universités :
- le Russel group, dont j’ai parlé tout à l’heure, qui rassemble par exemple Oxford, Cambridge
ou Bristol, soit toutes les grandes ;
- un groupe des universités créées avant 1992 ;
- la coalition des universités modernes qui réunit les universités technologiques.
On trouve des résultats qualitativement comparables à ceux que nos collègues de la DEP nous
ont présenté hier. La part des classes sociales les moins favorisées augmente dans l’ordre dans
lequel j’ai cité les trois groupes. Le rapport constate également « un taux de candidature très
variable selon les origines sociales, même pour le groupe des étudiants qui ont réussi des
excellents A levels (correspondant à nos Bac mention bien). » Nos homologues ont, comme
on a pu le faire dans ces journées, conclu par exemple qu’il fallait informer les étudiants des
classes sociales les moins favorisées. À leur manière, en s’appuyant sur le financement de la
Banque royale d’Écosse, ils ont mis en place des tours promotionnels. À chaque pays
sa méthode, ou plutôt son mode de financement. On voit bien les réactions de la salle quand
on parle de changement du système de financement de l’enseignement supérieur français.
On y trouve également des méthodes de soutien locaux aux élèves capables. Je ne vais pas
aller plus loin, mais des expériences analogues à celle de l’IEP (Sciences Po) et à l’initiative
135
de l’ESSEC ont eu lieu ailleurs en Grande-Bretagne. Le but est aussi d’inciter (to raise
inspiration) et de comprendre – et c’est encore moins clair outre-manche que pour le cas de la
France abordé par la table ronde précédente – les méthodes de sélection pour qu’elles soient
fair en Grande-Bretagne. Ce décor étant rapidement planté, et ayant déjà je pense trop parlé,
je vais laisser la parole aux vrais acteurs de cette Table ronde qui est organisée autour de
l’analyse des solutions pour faire progresser, si ce n’est la démocratie, tout au moins la
démocratisation de l’enseignement supérieur.
Michael O'borne, directeur à l’OCDE, va présenter ce qu’il y a derrière l’affirmative action,
les mesures anti-discrimination mises en place il y a déjà de nombreuses années aux ÉtatsUnis, dans un contexte certes différent mais je pense riche d’enseignements. Il présentera
aussi ce que le gouvernement travailliste britannique instaure par les Matching terms et le Bill
of Fair Admission.
Éric Maurin, chercheur au CREST (centre de recherche en économie et statistique) et
impliqué dans un réseau européen de chercheurs sur l'éducation, présentera quelles sont, à son
avis, les conditions de réussite des systèmes favorisant la démocratisation de l’enseignement
supérieur.
Daniel Grimm, directeur adjoint de l’École centrale Paris, nous fera part de son expérience
internationale, et en particulier de ses réflexions sur le rapport entre la normalisation du LMD
et la démocratisation de l’enseignement supérieur.
***
136
Table ronde n°2, animée par Alain Trognon
La situation aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne :
quels enseignements retenir ?
Michael O’Borne (O.C.D.E.)
Je ne peux pas présenter toute l’histoire de la politique américaine de la discrimination
positive dans ce court exposé, mais je vais en donner les grands principes. Elle a commencé à
la fin des années 1950 et a pris forme dans les universités et les lycées dans les années 1960.
Nous avons donc tout de même 45 ans de recul et nous connaissons les classes sociales qui
ont pu en bénéficier. Il faut comprendre que c’était une politique sociale à l’origine et pas du
tout une politique scolaire. Il n’y a pas d’Éducation nationale aux États-Unis. Le système est
local ou régional, entre public et privé. La politique de discrimination positive a donc été
instaurée par le gouvernement pour toucher tous les niveaux dans les secteurs privé et public,
car il n’avait pas de mainmise sur le système d’éducation nationale. Il a été instauré pour la
sélection à l'entrée des universités, puis plus tard des lycées et des écoles primaires. Dans les
années 1970/1980, les universités privées utilisaient ce système pour recruter très agressivement dans les communautés ethniques qui n’étaient pas représentées dans l’Université.
Au départ c’était une politique qui visait un profil ethnique dans les universités, plutôt qu’un
profil socio-économique, parce qu’il avait été présumé que les deux étaient corrélés. Elle a
d'abord concerné la communauté noire, puis latino et enfin asiatique. Ensuite, la révolution
féministe de la fin des années 1960 – début des années 1970, a fait en sorte que les femmes
sont devenues une partie de la communauté défavorisée, et qu’il fallait donc compenser le
manque de femmes dans les grandes universités et les centres de recherches. D’ailleurs, c’est
à ce moment là que la plupart des écoles et universités qui étaient réservées aux femmes se
sont ouvertes et ont été absorbées par les grandes universités comme Harvard, Yale ou
l’université de Pennsylvanie. Les filières non-mixtes ont été plus ou moins supprimées en
même temps.
L’idée était d’utiliser davantage le système éducatif pour permettre l'intégration dans la
société. Il s’agissait donc d’une impulsion très forte du gouvernement d’imposer ce type de
sélection. Ils ont utilisé toute une série d’outils pour le faire, dont le financement est le plus
important. Les universités qui ouvraient des places à des personnes défavorisées obtenaient
des postes en plus. Les universités avaient donc la possibilité d’augmenter leurs effectifs.
Deuxièmement, ils ont créé dans les universités de nouveaux cursus. Au départ, c’était des
choses comme le multiculturalisme et les groupes ethniques ont créé leurs propres cursus.
Par la suite, il y a eu toute une série de disciplines qui ont été ouvertes, des études multidisciplinaires, et l’idée était fortement ancrée dans le principe que cela allait attirer des
groupes qui n’étaient pas représentés dans les disciplines traditionnelles. Les universités profitaient en même temps du fait qu’il y avait un nouveau financement et de nouvelles possibilités
de déstructurer l’université traditionnelle et de créer une autre structure transversale à
l’intérieur de l’institution.
Comme je vous l’ai dit, pour la plupart des universités, le but était quasiment statistique,
il fallait avoir un profil à l’intérieur de l’institution qui grosso modo reflétait le profil ethnique
et socio-économique. Pour établir ces profils ethniques, il fallait d'abord définir l'ethnie, créer
toute une série de critères, notamment raciaux, ce qui est très controversé ; il fallait aussi
régler le cas des personnes d'origine mixte ; une fois ces définitions établies, que fallait-il faire
pour les groupes qui ne se retrouvaient dans aucune de ces classifications? La catégorie
"autres races" a ainsi été ajoutée à la douzaine de classes ethniques… Deuxièmement, que
fait-on une fois qu’on a établi ce genre de principes quand vous vous retrouvez avec un profil
137
ethnique qui n’est pas le même que le profil national ? Par exemple, l’université de Californie,
Berkeley, a un profil avec 40% d’entrées d’origine asiatique, surtout des Chinois d’outre-mer
et pas des vietnamiens ou des laotiens, alors qu’au niveau national, les Chinois représentent
moins de 3%. Est-ce que l’université est allée trop loin ? Est-ce qu’il fallait faire des choses
pour diminuer le nombre de personnes ? C’est un grand débat qui continue aujourd’hui.
Évidemment, les grands perdants ce sont les hommes blancs. Ce sont eux qui ont porté plainte
contre ce système, et qui continuent à le faire dans les États. Pour en finir avec ce sujet, vous
avez probablement lu dans la presse qu’il y a actuellement le cas à l’université du Michigan
d’une femme qui porte plainte contre l’université pour avoir discriminé contre elle en faveur
de quelqu’un de race noire. Ce cas est typique de beaucoup d’actions qui ont été menées dans
les années 1990, et il ne serait pas exceptionnel si le gouvernement Bush n’avait pas décidé de
soutenir cette personne et de porter plainte devant la Cour suprême. La Cour suprême va donc
débattre de nouveau du principe de discrimination positive. Or, la composition de la Cour
laisse penser qu’il y a une forte chance pour que cela aboutisse à un changement dans la
politique ou du moins dans son interprétation. L’ironie est que c’est à l’origine le
gouvernement qui avait imposé à l’université ce pour quoi cette dernière se défend
maintenant.
Le succès de ce système, à mon avis personnel, et je ne suis pas spécialiste, mais j’ai une
bonne connaissance du milieu de l’enseignement et de la recherche dans les grandes
universités américaines, est important. Si vous mesurez la distance entre l’université des
années 1960 et celle d’aujourd’hui, il existe d’énormes différences par la composition des
étudiants mais aussi par l’ouverture d’esprit que cela a représenté. Il y a bien sûr des
problèmes de qualité d’enseignement par la suite, car il y a une pression à l’intérieur des
universités évidemment pour faire en sorte que chacun soit diplômé à la fin des études parce
que du résultat d’une université dépend son financement par le gouvernement. C’est d’ailleurs
un des arguments de cette femme qui attaque l’université du Michigan que de dire qu’il y a
deux voies à l’intérieur de l’université. Les règles diffèrent pour ceux qui sont entrés par
les voies normales et pour les autres.
Il reste encore beaucoup à dire sur les États-Unis. À mon avis, il va y avoir dans les deux
années à venir un changement dans l’interprétation de ce principe très important aux ÉtatsUnis qu’est la discrimination positive.
Je vais maintenant dire quelques mots sur la Grande-Bretagne. Le gouvernement travailliste a
pris des mesures importantes pour changer le système éducatif qui ont souvent fait la une des
journaux. Mais ils avaient d’autres problèmes, notamment un problème de participation par
cohortes d’âge. Il y avait beaucoup moins de gens qu’ailleurs qui entraient à l’Université et
cela a été considéré comme étant la faute du système de recrutement donc au niveau des examens du type A-levels et O-levels. Les premières réformes initiées par les travaillistes, ont
consisté à changer la composition du recrutement, en fait en baissant la qualité du niveau du
diplôme de départ. Le gouvernement ne présenterait bien évidemment pas les choses ainsi.
C’est cependant ce qui a eu lieu car les mesures ont été prises très rapidement et souvent pour
des raisons très ouvertement politiques.
Deuxièmement, le gouvernement a changé le système de financement des universités. Le
système est mixte de fait en Grande-Bretagne. Toutes les universités sont dans le domaine
public, financées par celui-ci ; elles ne sont cependant pas contrôlées par l’État mais par des
fondations, et elles ont des statuts donnant la possibilité de poursuivre une politique en dehors
des pressions du gouvernement si elles ont l’argent pour le faire. Le gouvernement a décidé
justement de faire en sorte que les universités ne disposent plus d’une autonomie financière.
Ils ont commencé à miner les différents types de financement privés, notamment à Cambridge
138
Table ronde n°2, animée par Alain Trognon
et Oxford. Ils ont ensuite décidé de financer de nouvelles disciplines dans les universités en
supprimant ou en réallouant les financements des disciplines existantes. Ainsi, si l’université
va dans le sens des programmes multidisciplinaires, par exemple scientifiques, il a fallu
décider oui ou non de supprimer un certain nombre de places dans les recrutements d’élite
d’autrefois que sont, par exemple, les lettres classiques, la théologie, la philosophie, la littérature anglaise. Il y a donc un rééquilibrage à l’intérieur d’une université pour faire en sorte que
les élites qui utilisaient ces voies de recrutement pour les services de l’État n’aient plus le
même nombre de places, et que les personnes entrant sans une formation de base dans ces
disciplines aient des places à l’université dans des disciplines nouvelles. C’est le système du
matching funds. L’université met 50% du financement et le gouvernement fait en sorte que le
reste vienne du secteur public pour les chaires, les départements et les infrastructures des
nouvelles disciplines. L’État finance de plus les bourses pour les étudiants, jusqu’à 90% dans
la plupart des cas, et il peut contrôler par le numerus clausus des disciplines le nombre d’étudiants qui entrent dans ces disciplines, c’est par exemple le cas pour les chaires en physique et
en lettres classiques. C’est une politique à la fois de financement et de choix des disciplines.
Je vais terminer par une remarque : on a créé beaucoup de souplesse dans le système tant en
Grande-Bretagne qu'aux États-Unis. Un des aspects remarquables du système américain est
l’existence de passerelles. Si vous avez raté l’examen d’entrée à Harvard, vous ne ratez pas
votre vie car il existe d’autres moyens de rattraper votre retard au niveau de la maîtrise ou du
doctorat. Nombre de chercheurs importants et professeurs des grandes universités ont souvent
débuté dans des établissements assez modestes. La situation est donc très différente de celle
qu’on trouve en France où il y a une sorte de CV absolument établi qu’il faut avoir.
Le système des passerelles est très important car il encourage les étudiants qui ont malgré tout
des niveaux différents de maturité intellectuelle selon les périodes de leur vie. La GrandeBretagne est en train de mettre en place une architecture qui est, d'une certaine façon, du
même type.
***
139
La situation en Europe (Allemagne, Grande-Bretagne) :
quels enseignements retenir ?
Éric Maurin
J’avais prévu de témoigner surtout de l’avancement du travail d’un groupe de spécialistes de
l’éducation qui se réunit au niveau européen, et d’évoquer une étude américaine qui est menée
en parallèle, sur l’évolution des inégalités d’accès dans l’enseignement supérieur en
Allemagne, aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Italie, ... dans une panoplie assez variée
de pays. Justement je n’ai pas l’ambition de ce groupe de chercheurs qui est de tester
l’hypothèse selon laquelle il y a un lien entre la grande diversité institutionnelle dans la façon
dont ces pays organisent l’enseignement supérieur, entre les différents types d’institutions, et
la variation des performances en termes de promotion de l’égalité des chances d’accès dans
les différentes institutions. Je crois que l’espoir, au début, était de dégager le type d’institution,
d’organisation de l’enseignement supérieur, le plus à même de promouvoir des formes
intéressantes d’égalité des chances sans nuire à l’efficacité.
Autant que je puisse juger des rapports intermédiaires qui ont été produits par ce groupe, les
premiers résultats ne sont pas très enthousiasmants, au sens où les diagnostics concernant
l’évolution des inégalités sont assez partagés. Il y a assez peu de variation, contrairement à ce
qui était espéré – peut-être que les conclusions finales seront plus optimistes ? – et du coup ce
n’est pas très facile de savoir quel type d’organisation est le plus intéressant. Qu’est-ce que ce
groupe entend pas organisation ? Je crois que la façon qu’ils ont de mesurer, d’appréhender,
la diversité des organisations se fait autour de l’enseignement supérieur, autour du rôle
respectif qu’ont joué les formations universitaires courtes, à orientation plutôt professionnelle,
et les formations universitaires plus académiques, prestigieuses. Ils étudient le rôle qu’ont
joué ces deux grandes formes d’institutions de l’enseignement supérieur pour absorber la
massification et l’arrivée d’étudiants supplémentaires au cours des décennies écoulées. Le
diagnostic assez partagé par ces chercheurs, c’est que l’on a assisté dans de nombreux pays à
des formes d’égalisation nominales d’accès au niveau baccalauréat, à l’enseignement
secondaire, mais que ça c’est « payé » par des formes d’accroissement d’inégalité nouvelles
dans l’accès aux institutions du supérieur plus prestigieuses, conditionnellement au fait
d’avoir le baccalauréat, c’est-à-dire une forme de compensation.
Le cas de l’Allemagne, dont Alain Trognon a un peu parlé précédemment, est assez
exemplaire : le système allemand est traditionnellement décrit par l’international comme l’un
des plus inégalitaires des systèmes occidentaux. La raison la plus souvent invoquée c’est qu’il
a maintenu une pré-orientation précoce qui se fait bien sûr sur les critères sociaux.
Néanmoins, au fil des décennies écoulées, même si institutionnellement il n’a pas été créé de
filière unique au collège, le verrou s’est démocratisé et parallèlement, conditionnellement à
avoir le baccalauréat allemand, l’accès aux filières les plus prestigieuses, aux universités les
plus prestigieuses, s’est réduit et est devenu plus sélectif selon les critères sociaux. On
constate même un accroissement – il s’agit de formes assez pathétiques d’évolution des
comportements – de la préférence, de la part des enfants des classes supérieures, à ne pas
avoir de diplômes supérieur plutôt que d’avoir un diplôme autre que national en Allemagne.
Les formations universitaires courtes, professionnelles, sont de plus en plus réservées aux
enfants des classes populaires.
En termes de politique publique, les chercheurs s’accordent plus ou moins – même si ce ne
sont pas des modèles causaux qui sont testés et qu’il faudrait regarder les choses de plus près
– sur le fait qu’on assiste à des inégalités de deuxième ordre, c’est-à-dire qui reposent sur les
effets d’auto-sélection. En fin de parcours, les enfants des milieux défavorisés ne prennent pas
140
Table ronde n°2, animée par Alain Trognon
le risque de formations pour lesquelles ils n’ont pas d’information très précises et s’engagent
dans les voies les moins prestigieuses qui permettent « d’assurer ». Ce phénomène d’autosélection d’inégalités serait aujourd’hui le phénomène croissant dans les systèmes éducatifs
occidentaux. En termes de politique publique, pratiquement tous les outils imaginables ont été
développés autour de l’idée d’assurer, des économistes diraient de favoriser, l’accès au
marché du crédit des étudiants qui n’ont pas vraiment des parents pouvant les aider, et donc
des mécanismes d’assurance de cet ordre.
Ceci dit, tout n’est sûrement pas aussi simple. Derrière la démocratisation nominale des stades
initiaux du système éducatif, il y a sans doute la persistance d’inégalités réelles. C’est un peu
le sens de tout ce qui se disait tout à l’heure, c’est-à-dire qu’en fin de parcours les élèves
nominalement ont le même niveau au baccalauréat, mais quand on regarde ce qui se passe en
termes de redoublement, au début des carrières scolaires, on voit que des formes d’inégalités
persistent et sans doute, si on était capable de mieux mesurer, on verrait qu’en dépit d’une
égalité nominale dans le secondaire, il subsiste des inégalités réelles. Il ne s’agit pas
uniquement de phénomènes de sélection, mais aussi du fait qu’au bout du compte, en dépit de
quelque chose qui paraît identique, tout le monde n’est pas également armé. Tout ça est à
prendre de manière posée, et d’autres formes de politiques plus « traditionnelles », tous les
leviers de redistribution en amont qui débordent à mon avis le cadre de l’École, c’est-à-dire de
lutte contre la pauvreté des enfants, gardent leur pertinence.
Au-delà des leviers habituels, il y a un intérêt croissant parce que le rapport coût/bénéfice est
potentiellement très intéressant. Je pense que c’est une des raisons fondamentales, même si
elle n’est pas très bien perçue, qui accroît l’intérêt, le renouvellement en tout cas, pour les
politiques de discriminations positives. La discrimination positive peut regrouper des choses
très différentes, des choses pour lesquelles on a spontanément une certaine aversion au sens
où elles semblent aller à l’encontre de l’égalité formelle à laquelle tout le monde est attaché,
et des politiques d’excellence doublées de volontarisme au niveau local, qui ne sont pas
nécessairement des politiques qui violent les principes de l’égalité formelle dans le concours.
En gros, toutes les politiques sociales, puisque c’est comme ça qu’il faut les décrire, dont la
pertinence repose sur le fait que la concentration sur le territoire des familles pauvres ou
désavantagées, ou la concentration d’élèves à problèmes, a en elle-même un effet.
Indépendamment des facteurs familiaux, de l’environnement immédiat, le fait d’être entouré,
le type de voisinage au sens large qui est celui de l’élève, compte en soit. Dès lors qu’on serait
capable de bien comprendre ces phénomènes, alors il y aurait de nouveaux outils de mixité
sociale qui deviendraient très pertinents et qui auraient potentiellement – c’est à regarder dans
le détail – l’avantage de pouvoir avoir des effets considérables à moindre coût. Une politique
d’excellence ciblée sur quelqu’un, au sens où ça va améliorer le voisinage de beaucoup, va
augmenter les performances de tout le monde et donc avec peu de choses on peut obtenir
beaucoup.
À la fin des années 1980, il y a eu un intérêt assez fort, qui était né autour d’un livre américain
qui a été traduit depuis, « Les vraiment défavorisés » de Gibson, pour ce genre de mécanismes
et pour ce genre de politique publique, sous forme de discrimination positive, sous forme de
volontarisme au niveau local que cela fondait en raison. Et puis, il y a eu des études très
théoriques menées par des statisticiens contemporains qui ont attiré l’attention sur les
difficultés méthodologiques considérables qu’il y avait à interpréter le fait qu’on réussissait
plutôt moins bien quand autour de soi les gens réussissent moins bien. Et maintenant il y a
une espèce de retour, on est en train de re-comprendre certaines des conditions sous lesquelles
on peut dire des choses à ce propos. Les premiers résultats qui se dégagent, tant aux ÉtatsUnis qu’en Europe, laissent penser qu’il semblerait que ce qui compte dans un voisinage, ce
n’est pas tant que ce soit un voisinage pauvre ou culturellement mal intégré, mais le fait que
141
les élèves soient entourés d’élèves qui eux-mêmes échouent. En France aujourd’hui, un enfant
de famille pauvre ou étrangère vit en moyenne dans un voisinage où le pourcentage
d’étrangers ou de familles pauvres est quatre fois plus élevé que la moyenne nationale. On a
tendance à dire que le problème de la ségrégation sociale est un problème plutôt américain,
mais en France il y a des formes de ségrégation assez aigues aussi. Peu importe en fait les
causes de l’échec, ce qui semble particulièrement crucial dans les effets de contexte, ce qui
résiste bien à l’analyse, c’est « si je suis dans un environnement où autour de moi on échoue,
alors ma probabilité d’échouer est plus forte ». Ça c’est particulièrement intéressant parce que
quand on réfléchit un tout petit au problème, c’est typiquement le genre d’effets qui fonde en
raison le volontarisme pour promouvoir l’excellence au niveau local, qui fonde en raison les
formes de politiques de mixité sociale avec des effets de long terme potentiellement
intéressants.
***
142
Table ronde n°2, animée par Alain Trognon
La situation en Europe (Allemagne, Grande-Bretagne) :
quels enseignements retenir ?
Daniel Grimm
Ecole Centrale de Paris
Mon intervention sera brève car de nombreux points ont été abordés par mes prédécesseurs.
Je ferai simplement quelques commentaires en vrac après ce qui a été exposé sur les
formations de l’enseignement supérieur.
Dans un premier temps, je souhaiterais, à partir d’une anecdote, souligner les problèmes de
mixité sociale liés au confinement et au cloisonnement géographique. La fille d’un collègue
qui s’occupe à Marseille de jeunes en milieu très défavorisés, a fait un jour une remarque qui
m’a fait froid dans le dos. Elle m’a dit que la plupart des jeunes au contact desquels elle est,
ne sortent pas d’un rayon de 500-600 m autour de leur lieu d’habitation. Cet isolement peut
avoir des conséquences importantes qu’il faut souligner.
Il faudrait se poser la question des objectifs de l’enseignement pré-baccalauréat, le primaire et
le secondaire. La comparaison entre différents pays nous permet d’observer que ces objectifs
sont très différents même s’ils ne sont pas nécessairement formalisés ou exprimés de cette
façon-là. J’ai pu en identifier trois jusqu’à présent :
1. La culture générale. Il s’agit de l’objectif principal en France. Claude Boichot a
d’ailleurs demandé hier à ce sujet : « est-ce qu’il faut dire bac S (pour scientifique) ou
bac G ( pour général) ? ». La primauté est donnée à la culture générale avec le souci
constant que les gens n’en n’ont pas assez.
2. La socialisation. Aux États-Unis, et ça rejoint aussi les parcours avec les passerelles et
les parcours progressifs qui ont été évoqués précédemment, l’enseignement primaire
et secondaire est plus axé sur une approche de socialisation, c’est-à-dire d’intégration
des jeunes dans la société dans laquelle ils sont. Il s’agit de leur apprendre à travailler
en groupe, ce qu’est une bibliothèque, une association. Ils apprennent ainsi à se servir
de leur environnement et à le décoder. Plus tard ils savent chercher les parcours qui
vont correspondre à ce qui leur convient le mieux.
3. La professionnalisation. L’Allemagne est le pays le plus représentatif de cet objectif.
Vers l’âge de 11-12 ans les élèves sont confrontés à une orientation qui ensuite est
quasiment définitive. Là où les français auraient tendance à faire un complexe, les
allemands sont en général très fiers de pouvoir dire qu’ils ont « des cols bleus dans un
certain nombre de directoires d’entreprises ».
En France, il faut nécessairement avoir fait ses études dans telle ou telle grande école et les
passerelles sont tellement nombreuses, que chaque élève ayant un potentiel doit normalement
pouvoir passer dans ces circuits. Si la ghettoïsation nous prive encore aujourd’hui d’un certain
nombre d’élèves de talent, je suis ravi – et j’en profite pour féliciter les organisateurs – de ce
colloque qui pose la question de comment ne pas perdre ces talents.
Pour aborder la question de la durée des études, je vais reprendre l’exemple de l’Allemagne.
La durée des études est très élastique en Allemagne puisque si par exemple un bac+5 doit
nominalement durer 5 ans, il peut parfois aller jusqu’à 7,5/10/12 ans. Le doctorat est
extrêmement allongé et il faut du temps pour être autorisé à soutenir une thèse. De plus, en
rapport avec ce qui vient d’être dit sur la forte inégalité sociale dans les universités à cursus
long en Allemagne, on observe que la gratuité des études couplée à la possibilité des parents
de financer la vie d’étudiant n’incitent pas les jeunes à entrer dans la vie active.
143
Le coût des études est un sujet sur lequel il faudra se pencher. En effet, en 1994, l'O.M.C. a
traité de l’éducation et a pris une orientation qui consiste à dire d’après le premier diplôme,
les formations vont entrer dans le champ commercial. En France, la formation continue est
déjà dans le champ. Le dispositif vers lequel nous nous dirigeons comprendra probablement
un premier diplôme (L, bachelor, bac+3) qui fera partie du service public, suivi d’un diplôme
au niveau master qui entrera dans le champ commercial comme cela est déjà le cas dans un
certain nombre de pays. Lors des séances d’atelier, il a été exposé, par le britannique
présentant l’Asie pacifique, que l’Australie s’enorgueillit aujourd’hui d’avoir un montant de
recettes en devises étrangères supérieur, grâce à l’enseignement supérieur via les étrangers qui
viennent, que ce qu’ils arrivent à obtenir en exportant de la laine. La question de la gratuité
des scolarités a été soulevée récemment de façon spectaculaire par notre collègue, le directeur
de l’IEP (Sciences Po). Nous ne pourrons pas éviter ce débat. Il y a une dizaine d’années,
Laurent Schwartz qui avait été à l’origine d’un mouvement pour la qualité de la science
française, avait fait un éditorial expliquant que la gratuite n’était pas forcément synonyme de
démocratisation, à condition bien sûr de mettre les mécanismes qu’il convient en face. Ceci
étant, si les études deviennent payantes, cela risque de diminuer la mobilité des étudiants à
l’international. Les étudiants britanniques, par exemple, ont une mobilité très faible par
rapport aux autres étudiants européens car ils payent leurs études, et en général relativement
cher. Les institutions qui sont brimées financièrement par le gouvernement (voir
l’intervention de Michael O’Borne) ont en effet tendance à se rattraper sur leurs étudiants.
Des situations d’endettement apparaissent et à partir de là, il y a un souhait d’aller sur le
marché du travail le plus rapidement possible pour pouvoir commencer à rembourser, d’où le
fait que le passage par une structure étrangère est considéré comme une perte de temps. Les
conséquences à terme de cette exclusivité des filières courtes peuvent être dramatiques d’un
point de vue économique et industriel.
D’un point de vue économique, les États-Unis qui ont des études payantes semblent bien s’en
sortir. Il faut tout de même savoir que pour développer un produit technologique sophistiqué,
en général, les américains dépensent en dollar ce que nous dépensions en franc. En effet, nos
formations longues de qualité permettent à nos ingénieurs d’être capables entre plusieurs
solutions d’anticiper celles qui vont marcher le mieux, en prévoyant les résultats des diverses
voies possibles, alors qu’aux États-Unis, leurs ingénieurs, plus pragmatiques et pratiques,
vont être amenés à développer les différentes solutions et constater après coup celles qui
marchent et celles qui ne marchent pas. Par exemple, le nucléaire civil français, qui est tout de
même très en pointe, a coûté en développement sept à huit fois moins que le nucléaire civil
américain.
D’un point de vue industriel, la Grande-Bretagne, où les études durent en moyenne un an de
moins, a déjà subi les premières conséquences de ce mécanisme. Les britanniques ont en effet
perdu pratiquement leurs grandes entreprises et tous leurs grands constructeurs automobiles
sont dans les mains de groupes étrangers.
Le problème de la démocratisation, le problème du financement des études, le problème de
l’organisation des cursus, restent des questions qui recouvrent des enjeux stratégiques pour
l’avenir de l’Europe et je remercie Marie Reynier d’avoir souligné ce point. Nous sommes en
train d’aborder l’avenir de l’Europe. L’Asie pacifique, par exemple, représente les deux tiers
de la population mondiale et cette région possède un dynamisme et un développement tout à
fait impressionnants. Il est donc vital que nous mobilisions effectivement toutes nos
intelligences sur ces questions.
***
144
Clôture du colloque
Intervention de clôture de Claude BOICHOT,
Inspecteur Général de l'Education Nationale
Chargé de mission C.P.G.E.
Monsieur le Président,
Il me revient la lourde tâche de conclure par délégation du ministre Xavier Darcos. Je vais
dire quelques mots qui resteront très modestes, peut-être pas très prudents mais très modestes.
Dans un premier temps je vais revenir sur quelques phrases ou formules entendues ce matin.
Je crois que c’est Michel Raimbault qui a parlé de l’aptitude à traiter de la complexité des
situations. Lorsqu’on est ministre, y compris ministre délégué en charge d’une partie du
système éducatif, et que cette partie, ce sont les CPGE, la tâche est complexe et à très fortes
responsabilités Politiques. En effet, le segment bac+2 est au fond un segment bi-charnière.
L’ancrage sur le secondaire, Gérard Debeaumarché l’a dit, est une des contraintes aux limites.
Sur cette frontière nous devons montrer une grande réactivité à ce qui se passe au lycée...
Nous avons ainsi modifié nos programmes de CPGE pour avoir une meilleure adéquation
avec ceux du secondaire qui viennent d’être mis en place. Nous avons la meilleure réactivité
parce qu’il y a une grande proximité. L’une des spécificités du " maillon CPGE " est sa très
grande proximité entre ce qui se passe dans le secondaire et bien évidem-ment ce qui se passe
dans le supérieur. Il nous appartient par exemple de faire en sorte que notre système s’ouvre
dès le niveau bac+0 aux élèves étrangers, à l’international. Il faut construire cet accueil qui
pour le moment, et même si Joël Vallat et d’autres font tout ce qu’ils peuvent, n’est pas
institutionnellement organisé. Nous devons réfléchir à l’organisation de classes de première
année susceptibles d’accueillir des élèves non francophones. Les CPGE débouchent
naturellement sur les concours aux grandes écoles dont nous voyons bien qu’ils n’éliminent
plus mais qu’ils trient, au moins pour les filières scientifiques et économiques-commerciales.
Depuis quatre années déjà, et chaque année hélas, nous constatons que 2000 places restent
vacantes dans les écoles scientifiques et 750 dans les écoles de management. Pour les lettres,
nous veillons à ce que les 2 000 places au Capes et à l’Agrégation soient mieux mises en
perspective avec le parcours hypokhâgne-khâgne, et qu’au fond on ne désespère par les élèves
d’hypokhâgne et de khâgne en ne les focalisant que sur les 240 places offertes chaque année,
bon an mal an, aux ENS. La place des concours entre les CPGE en deux ans et les études dans
les grandes écoles était claire et simple avant l’émergence du schéma de mobilité et de
construction de l’univers universitaire européen. Désormais, il faut s'inscrire dans cet univers
LMD/3-5-8, et le maillon CPGE ne correspond pas à une séquence du LMD … Bac +2 et pas
Bac+3….Vous avez compris ce matin la perplexité dans laquelle je me trouve et la
responsabilité qu’il peut y avoir à perturber les articulations entre les CPGE et notre
environnement universitaire singulier et dual (grandes Ecoles –Universités). Les CPGE
"installées" dans le LMD, c’est bien le cœur de ma feuille de route.
L’univers scientifique n’est pas rigoureusement le même que celui des classes de management
pour faire simple, et les classes littéraires relèvent encore d’une autre approche. Il faut au
moins tenter de comprendre avant d’agir. Je reprends une autre formule de Michel Raimbault,
" sinon on est des apprentis sorciers ". Je confirme, il me pardonnera cette audace, que Xavier
Darcos fait partie de ceux qui veulent comprendre avant d’agir. Il y aurait une autre solution
qui serait de dire qu’au fond la réflexion paralysant l’action, il n’y a qu’à agir et que l'on verra
145
bien. Il me semble qu’on a déjà vu ce que cela donnait… Il vaut mieux comprendre avant
d’agir et mettre en place d’abord un véritable diagnostic partagé sur lequel peut et doit ensuite
s’exercer la responsabilité des choix Politiques. Il faut donc une grande " capacité à rendre
intelligible " et je vous assure que ce n’est pas simple, mais c’est là qu’est la véritable rupture
au sens de Bachelard. Pour rendre intelligible, pour cristalliser une connaissance, il faut bien
effectivement passer par une situation de rupture, et les uns et les autres nous n’y sommes par
forcément toujours préparés. Il convient donc d’expliquer, d’expliquer encore, d’expliquer
toujours…..
Et puis, il y a le temps. Le rapport de l’IGAENR (Inspection générale de l’administration de
l’éducation nationale et de la recherche) de 2002, (consultable sur Internet
http://www.education.gouv.fr/syst/igaen/rapports.htm) traite très longuement du temps, qu’il
soit politique, pédagogique ou social. Lorsqu’on connaît la brièveté du temps politique, on est
quelquefois entraîné à ne pas prendre le temps de comprendre pour agir. Du coup peut-être
bien que certains sont rapidement amenés à nous taxer, nous qui sommes après tout aux côtés
des décideurs, de frileux, d’immobiles, d’immobilistes... La prudence, la vigilance, ce n’est
absolument pas de l’immobilisme.
Autre phrase choc que Daniel Grimm a reprise tout à l’heure, c’est que " nous n’avons pas le
droit de gaspiller une seule intelligence ". Hier nous avons dit la même chose dans l’atelier
consacré aux ouvertures sociales des CPGE : nous n’avons pas de le droit de gaspiller un seul
talent, une seule réussite potentielle car la situation de notre Pays exige que le potentiel de
formation d’excellence sous toutes les formes de celles ci soit utilisé.
Autre remarque brève : au fond, lorsqu’on est en CPGE on met beaucoup d’œufs et d’" E "
dans son panier. Il y a le " E " d' ExcellenceS. Il faut par exemple définir positivement
l’excellence de la voie technologique. Il ne s’agit pas d’une excellence au rabais par rapport à
la voie générale. Il ne faut plus présenter les choses ainsi, mais définir des critères
d’excellence spécifiques et regarder qui a l’aptitude justement pour s’adapter au mieux, et de
la façon la plus efficiente évidemment, à tel ou tel type d’excellence. Excellences, mais aussi
Exigence, exigence certes mais Encouragement et Ecoute aussi. Équité enfin. Elle peut se
décliner de façon géographique avec les classes de proximité ou classes de service public
comme l’a dit Xavier Darcos. Équité en termes de formation, équité presque éthique allais -je
dire, avec bien évidemment le respect de l’équité de traitement entre tous les candidats, aussi
bien au concours que pendant la formation. Comment imaginer un engagement inéquitable de
l’État alors que le concours, qui est l’instrument d’évaluation, est lui anonyme et unique ? " E "
comme Équirespectabilité. Là aussi notre engagement est intact : en 1994 il n’était pas gagné
qu’au fond l’équirespectabilité des filières que nous affichions, allait se produire dans les
faits. Pour qu’elle se traduise dans les faits, il fallait qu’il y ait dans toutes ces filières une
équiprobabilité de réussite. Nous n’y sommes pas totalement parvenus, mais nous n’en
sommes pas très loin. Ce matin nous avons parlé des ECT (classes économiques et
commerciales technologiques). Quand vous faites le ratio entre le nombre de candidats dans
ces classes et le nombre de places qui leurs sont offertes par toutes les Écoles de management
– l'ensemble des Ecoles, et pas seulement HEC où le ratio varie entre 0 et 1 puisque certaines
années il n’y a aucun recruté - vous trouverez grosso modo le même ratio que celui que vous
trouvez entre le nombre de places offertes en MP rapporté au nombre d’élèves dans cette
filière. Il y a cependant une filière qui souffre, c’est la filière TSI (technologie et sciences de
l’ingénieur).
146
Clôture du colloque
Au fond, ce colloque a montré que nous étions tous des passionnés de l’École. Vous
remarquerez que j’utilise passion et pas amour. Nous voulons tous, franchement tous, réussir
l’École, l’École comme creuset de la Nation. Dans cette démarche là, la démocratisation
scolaire est une exigence d’équité citoyenne ou civique. Parce que la citoyenneté est
singulièrement galvaudée, je pense que le Ministre délégué aurait préféré le terme civique. À
côté de nous qui sommes des passionnés de l’École, et il ne faut pas en avoir honte, il y a 60
millions de spécialistes de l’École. Eh oui ! J’emprunte à Claude Thélot la formule : " tous les
Français et les Françaises ont une institution en commun parce que c’est la seule par laquelle
ils sont tous passés, c’est l’École. " Ils ont donc tous leur mot à dire sur l’École. Le problème
c’est que leur qualité dite de spécialiste, ils la tirent d’observations micro-éducatives, perçues,
respectables, mais micro-éducatives. Or, le micro-éducatif fait appel à l’affectif. Il ne faut pas
nier l’affectif puisqu’il est au cœur de la construction du savoir personnel, qu'il est surtout au
cœur de la transmission des savoirs. L’effet Professeur est là. L’affectif est qualitatif, difficile
à modéliser, à objectiver, mais il est là. " Papa, maman, je rentre aujourd’hui et tiens, j’ai un
bon prof ! " Si le Ministre de l’éducation nationale pouvait être assuré que le lendemain de la
rentrée 90% des enfants rentrent chez eux en disant "Ah, cette année j’ai un bon prof !"
franchement je pense qu’alors la résolution des problèmes qui restent en serait complètement
simplifiée. En mettant en avant cet aspect affectif de la construction interactive du savoir avec
le professeur, je rends hommage, comme le fait quotidiennement Xavier Darcos, aux
professeurs.
Ensuite, il reste que la passion ne doit pas empêcher la raison de s’exercer. Le passage à la
raison a lieu en passant d’une situation micro-éducative - perçue, massivement perçue, peu
raisonnée, peu raisonnable - à une analyse plus globale, plus macro-éducative, mais qui peut
devenir très impersonnelle, ou apparaître comme telle. Dans le champ de l’éducation et dans
la relation de la construction du savoir, la notion de moyenne n’a pas beaucoup de sens. Et
pourtant il convient que les décideurs, que tout le monde d’ailleurs, s’accordent sur la réalité
des faits macro-éducatifs, voire méso-éducatifs - situation intermédiaire -afin d’éviter de
parler, parler, et éventuellement agir, sans autre référence qu’un cas isolé transposé à l’infini
et surtout mis en application comme définissant une politique. Cette démarche-là, c’est
Claude Thélot qui le dit, " elle est funeste ". Il n’est pas question d’éradiquer telle ou telle
partie du système éducatif, tel ou tel programme, parce que sa nièce, son neveu ou son fils,
momentanément, ne l'a pas complètement apprécié, ou parce que, vieille frustration, il y a 2530 ans, on avait eu des problèmes avec tel ou tel corps de discipline. On a parlé
d’autocensure, de censure, je vous assure que les frustrations dans notre milieu, sont énormes.
Du coup, si nous n’arrivons pas à les lever, à actualiser les informations, nous n’arriverons
pas à faire venir sur le chemin de la réussite ceux-là même qui sont les plus fragiles. Cette
démarche est bien une partie de la tentative de donner la parole aux élèves pour que,
spontanément d’abord, ils aillent sur Internet voir ce qui se passe dans l’univers des classes
préparatoires, et qu’ensuite ils s’inscrivent...
À ce point, je voudrais vous dire "merci", au nom du Ministre, mais vraiment "merci".
On n’est pas à la cérémonie de remise des Molière ou des César. On l’est d’autant moins que,
rappelez-vous dans les réunions auxquelles vous avez participé et auxquelles participait tel ou
tel ministre ou tel représentant du ministère, les remerciements, surtout quand ils ne sont pas
convenus, ne sont pas si fréquents que ça. On n’a pas l’habitude entre nous de dire merci,
peut-être par pudeur. Je dis, au nom de Xavier Darcos, " merci ! ". Je le dis d’autant plus
fortement à mon compte cette fois. Vous le savez bien, Messieurs les Présidents, et singulièrement Gérard Debeaumarché, que depuis un an quand on me parlait de ce colloque, surtout
compte tenu de la conjoncture, et du fait que malgré la force avec laquelle j’affirmais tous les
147
résultats qui ont émergé et que je pensais établis, je me disais " si jamais l’univers médiatique
n’est pas bien assuré, s’il y a des dérapages, si tel ou tel nous emmène sur un chemin de
traverse, nous aurons un mal fou à nouveau à redresser la barre ". Cet écueil a été totalement
évité.
Le travail de la DEP est également important. Le Ministre m’a chargé de vous dire qu’il
s’associait à l’hommage que vous avez de façon très forte rendu à Dominique Faure. Il m’a
également chargé de vous dire que la qualité de ce travail mérite que l’institution reprenne à
son compte, reprenne en pilotage évidemment, les sujets que nous avons traités ensemble. Ça
ne veut pas dire qu’ils sont trop sérieux pour être confiés à des associations. Ce n’est
absolument pas ce que j’ai dit. J’ai dit qu’il y a des endroits, des sujets, des niveaux
d’engagement où évidemment l’État et l’institution doivent prendre toute leur place.
Je vous invite à nous faire remonter toutes les suggestions, toutes les pistes, toutes les
informations, toutes les idées. Le Ministre sait qu’il peut compter sur vous. Il faut garder
intact notre engagement, notre passion pour le bien public et l’École, et construire son avenir
avec raison. Les chantiers sont extrêmement nombreux. Je vais vous citer des sigles sans
jamais les décliner. Je crois que sur les agendas des uns et des autres on va trouver
rapidement, dans le chantier qui nous intéresse : IEP, CPU, CDFI, CTI, CGE, IPES, UPS,
UPSTI, UPA, APPLS, APHEC... Ces rencontres prévues doivent nous permettre tous
ensemble, chacun à sa place selon ses responsabilités et ses prérogatives, de construire l’avenir.
Merci infiniment pour votre aide et votre engagement.
***
148
Clôture du colloque
Intervention de Alain CADIX,
président de la Conférence des Grandes Ecoles
J’ai retenu au moins un point de l’intervention de Christian BAUDELOT : 60% des élèves des
CPGE proviennent de classes sociales qui représentent 20% de la population. Ce sont des
ordres de grandeur. Ce décalage se retrouve dans les GE, même si leurs étudiants ne
proviennent pas tous des CPGE. C’est un problème majeur pour notre système d’enseignement supérieur. Les 3° cycles universitaires connaissent un problème de même nature,
avec un décalage moins marqué.
Notre système fondé sur l’élitisme républicain ne peut assurer sa pérennité sans conforter sa
légitimité.
Bien sûr la source de ces dysfonctionnements est en amont des CPGE et des GE. Une étude
de l’IREDU (mars 2003) montre qu’au début du Cours Préparatoire, l’avantage des enfants de
milieux favorisés est particulièrement net en pré-lecture, dans la reconnaissance des lettres, et
dans la maîtrise des concepts liés au temps. Elle montre qu’au Collège les écarts se creusent,
au point qu’on a pu estimer que le Collège produisait en deux ans plus d’inégalités sociales de
résultats que toute la scolarité antérieure. Quant à l’orientation, l’étude montre combien est
déterminant le niveau culturel et économique des familles dans la stratégie des choix des
établissements et des classes.
La Conférence des Grandes Ecoles (CGE) aurait pu dire « ce ne sont pas les GE qui créent
des inégalités, c’est l’amont ». Elle en a décidé autrement, en mettant la problématique sur la
table, en la faisant sienne, sachant qu’elle ne pourrait pas la traiter seule. La question de fond
étant : comment élargir la base des recrutements des GE sans mesure de discrimination
positive et sans remettre en cause la qualité de leurs diplômes ?
A la suite de son séminaire de Montpellier (septembre 2001), la CGE a décidé de créer son
observatoire social, en commençant par faire une enquête sur les CSP des familles des
étudiants. Les premiers éléments seront dévoilés lors de son AG du 11 juin.
Ensuite, la CGE a créé, au sein de sa Commission Amont présidée par Christian
MARGARIA, un groupe de travail sur l’apprentissage dans l’enseignement supérieur. Ce
groupe animé par Laurent HUA vient de rendre ses premières recommandations pour
favoriser son développement.
Par ailleurs, toujours au sein de la Commission Amont, un groupe de travail « Tremplin STISTT » a été animé par Jean-Michel DUMAS et Régine BERTRAND. Son objectif : connaître
ce qui se fait dans les GE pour accueillir des bacheliers technologiques, préconiser des
mesures tendant à accroître les flux tout en préservant l’exigence de qualité des diplômes des
GE. Il en ressort en particulier que, à certaines conditions, le développement des CPGE TSI
et ATS est à favoriser.
A cet égard, pour la suite des travaux, je crois qu’il faut explorer la voie des admissions (par
concours) de BTS venant des bacs technologiques. Pourquoi ? D’abord parce que 80% des
élèves de STS proviennent de milieux intermédiaires et populaires. Par ailleurs 70% des
élèves de STS proviennent de bacs technologiques. Parmi ces BTS, il y en a qui ont un
potentiel intéressant pour les GE. Bien entendu les concours doivent être fondés sur des
149
modes alternatifs de sélection. Les formes et les contenus des épreuves ne peuvent être
calqués sur ceux des concours traditionnels post CPGE. Par ailleurs les débuts de parcours au
sein des GE doivent être adaptés aux types de compétences de ces jeunes.
Enfin, la CGE a décidé de lancer une campagne de démythification des CPGE et GE. Il faut
vaincre les réserves de familles modestes dont les enfants ont des talents et qui, victimes de
déterminants culturels et de manque d’information, disent a priori : « les grandes écoles, c’est
pas pour nous ! ». Convaincue que les enseignants sont les prescripteurs les plus écoutés par
les familles modestes, la CGE a lancé cette année une campagne de communication vers les
enseignants des classes de 3ème et de 2ème. Cela a commencé par la journée « portes ouvertes »
nationale du 26 mars dernier. Un résultat mitigé pour cette première édition. Nous en avons
tiré des leçons pour les prochaines années. Il faut poursuivre ce travail de sape des préjugés.
Le thème de nos interventions de conclusion est : « quelles perspectives pour le système
CPGE – GE ? ». Les sujets à aborder seraient bien trop nombreux : évolution de la
démographie associée à la baisse tendancielle de la part des bacheliers S poursuivant des
études scientifiques, faible féminisation des CPGE et GE scientifiques (hors sciences du
vivant), place des CPGE lettres et sciences humaines, le financement de l’enseignement
supérieur, ... Et puis, il y a la question du positionnement des GE face à la concurrence
européenne et mondiale, leur aptitude à s’adapter aux demandes des entreprises, elles-même
plongées dans la mondialisation de l’économie et des réseaux.
Quitte à donner l’impression de pratiquer le paradoxe, je choisis dans un colloque traitant de
l’ouverture sociale, de parler de l’instauration de frais de scolarité dans l’enseignement
supérieur public. Je donne (cette fois-ci) raison au directeur de Sciences Po Paris qui vient de
(re)lancer le débat sur ce thème. A un moment où l’Etat rencontre les plus grandes difficultés
pour subvenir aux besoins des universités, et des écoles dont il a la tutelle directe, je crois
qu’il est normal de mettre ce sujet en débat.
Avec une idée force : une augmentation des droits de scolarité permet d’accroître les
possibilités de redistribution directe.
On peut en effet se demander si la gratuité a été un facteur d’ouverture sociale et
d’accroissement de l’égalité des chances… Pourquoi se retrancher derrière un sacro-saint
principe qui n’a pas les effets attendus ?
De plus on peut se demander si la gratuité dans les GE publiques est bien équitable, comptetenu des CSP des familles concernées…
On objectera qu’un accroissement des frais détournera encore plus les milieux intermédiaires
et modestes des GE. Oui, si tout reste par ailleurs en l’état. C’est tout le système de
financement et d’aides au financement qui est à réformer.
Je vous invite à vous reporter aux études récentes de l’OCDE sur ce thème. Elles sont riches
d’enseignements.
N’oublions pas que les avantages que retire un individu de l’enseignement supérieur sont
importants, au plan social (risque réduit de chômage, par exemple), au plan financier (même
avec des frais plus élevés le ROI serait bien meilleur que celui de tous les placements à
court/moyen terme existants). Il retire plus d’avantages personnels que n’en retire la société.
150
Clôture du colloque
Au cours des prochains mois, la CGE devra se pencher sur cette question. Ses propositions
devront concerner aussi le système d’aides : réduction de frais fondée sur des données
fiscales, abondement des bourses d’Etat par des bourses des collectivités territoriales, et par
des bourses attribuées par des fondations d’entreprises, création d’un PEE (plan d’épargne
études, qui pourrait être ouvert dès la fin de la 6ème, avec des taux bien supérieurs à ceux du
PEL), possibilité d’un paiement différé des études, tenant compte du niveau des ressources du
diplômé dans la vie active, ... Les idées manquent souvent moins que le courage politique en
ces matières…
La mise en œuvre de ces dispositions pourrait être progressive et adaptée aux niveaux de
grade des diplômes préparés : jusqu’à « L », dans un premier temps, la prudence s’impose. Le
passage de « L » à « M » justifierait à plus d’un titre des frais de scolarité élevés. Les chiffres
avancés par Richard DESCOINGS ne me choquent pas. Le passage de « M » à « D » pourrait
bénéficier d’un traitement inversé, afin d’attirer plus de jeunes, souvent en charge de famille,
vers la recherche (allocations de recherche, contrats CIFRE, largement accessibles).
Je voudrais maintenant conclure en disant que dans ce grand débat sur l’avenir de l’éducation
et, singulièrement, de l’enseignement supérieur, les CPGE et les GE ont partie liée. Il faut
ensemble nous adapter à un contexte social en profonde mutation. C’est pourquoi je rends
hommage à Gérard DEBEAUMARCHÉ et au Bureau de l’UPS d’avoir pris l’initiative de ce
colloque et de l’avoir organisé avec le concours en particulier de l’ENS. Je les en remercie.
La CGE a trouvé légitime et utile de s’y associer.
C’est ensemble, CPGE et GE, que nous devons conduire des expérimentations, faire des propositions pour assurer la pérennité d’un système auquel nous croyons, qui a fait ses preuves,
et qui a rendu de grands services à la République.
Merci de votre attention.
***
151
Conclusion de Gérard DEBEAUMARCHÉ,
président de l'Union des Professeurs de Spéciales
Avant de conclure ce Colloque "Démocratie, classes préparatoires et grandes écoles", je tiens
tout d'abord à remercier toutes celles et tous ceux qui nous ont apporté leurs connaissances,
leurs compétences, leur dynamisme : professeurs, proviseurs, responsables des Ecoles,
Inspecteurs Généraux, experts du système éducatif, et bien entendu Monsieur le Ministre,
Xavier Darcos, qui nous a fait l'honneur de s'exprimer ici même hier matin.
En décidant voici un an d'organiser ce Colloque, notre objectif était d'apporter des réponses à
quelques questions que chacun parmi nous se posait à propos des classes préparatoires, et que
je résumerai comme suit :
•
Où en est l'ouverture sociale du système des classes préparatoires et des grandes écoles,
qui est si nécessaire tant pour garantir l'exigence républicaine de l'égalité des chances que
pour assurer l'avenir de la Nation au moment où nous risquons à brève échéance de
manquer de scientifiques ?
•
Où en est l'ouverture sociale de nos classes par rapport aux autres formations analogues
qui conduisent aussi à des diplômes à Bac + 5, à l'instar des DESS, de la médecine ou
encore de la pharmacie ?
•
Que pouvons-nous faire collectivement pour poursuivre cette ouverture sociale et attirer
vers le système des classes préparatoires et des grandes écoles davantage de jeunes issus
d'autres milieux, qui traditionnellement n'y viennent que très peu ?
Pour répondre à ces questions, il nous a paru nécessaire de replacer l'évolution de nos classes
dans un contexte historique de longue durée, puis de disposer de données statistiques extrêmement fiables, et c'est pourquoi nous avons voulu que ces réponses soient apportées par
d'autres que nous-mêmes, autrement dit par des experts indépendants et indiscutables, afin
qu'elles aient une crédibilité maximale. Je crois que chacun ici s'accordera pour remercier
encore Christian Baudelot et les statisticiennes de la D.E.P., Brigitte Dethare, Sylvie Lemaire,
et Fabienne Rosenwald, pour le travail énorme qui a été accompli cette année et qui a permis
de donner les réponses que nous avons découvertes hier matin lors de leur très brillant exposé.
Désormais, ce dossier –même s'il conviendra évidemment de l'actualiser au fil des années–
donne des réponses claires et précises aux questions que j'indiquais à l'instant.
Si ces réponses montrent à l'évidence que l'ouverture sociale des classes préparatoires
s'accroît, elles montrent aussi que pour aller plus loin, il faudrait en amont améliorer
l'ouverture sociale des classes terminales générales, et en particulier de la classe terminale S
qui est bien loin d'être à l'image de la Nation –Christian Baudelot n'indiquait-il pas que parmi
les bacheliers généraux ayant le bac avec mention, on trouvait 32% de jeunes issus des
milieux supérieurs et 14% issus des milieux enseignants ? Sans doute aussi conviendrait-il
d'accroître le recrutement à partir des baccalauréats technologiques. Mais d'ores et déjà,
quelques pistes se sont dégagées hier au cours des ateliers pour améliorer à brève échéance
l'ouverture du système, et j'en cite quelques unes :
152
Clôture du colloque
•
la nécessité de mieux faire connaître à tous les débouchés des études longues –je tiens à
rappeler que selon les chiffres de l'A.P.E.C., il faudrait former dans les 5 années à venir
200.000 étudiants à Bac + 4 ou davantage afin de compenser tous les départs à la retraite
des classes d'âges nombreuses d'après-guerre, alors que nous continuerons à en former
tout au plus 160.000.
•
la nécessité d'une meilleure coopération avec les professeurs des lycées, de tous les lycées,
dont le rôle dans l'orientation des jeunes de milieu modeste apparaît capital, mais aussi
avec les organismes d'information et d'orientation qui doivent parfois adapter les conseils
qu'ils dispensent en fonction de la réalité des classes préparatoires actuelles, qui sont loin
d'être ces classes élitistes qu'on se plaît à décrire parfois encore.
•
la nécessité pour les professeurs des classes préparatoires de poursuivre l'adaptation de
leurs enseignements qui s'adressent à des jeunes qui ont changé, qui continuent à changer,
et qui ont reçu un enseignement secondaire différent de leurs prédécesseurs, la nécessité
pour eux aussi de toujours mieux coordonner leurs enseignements, à l'instar de ce que
nous avons tenté de faire dans les classes scientifiques à l'occasion de la réforme 20032004 des programmes des C.P.G.E. scientifiques.
•
la nécessité de poursuivre avec nos partenaires –Conférence des Grandes Ecoles et associations de professeurs de classes préparatoires– et le Ministère de l'Education Nationale
le suivi de l'information sur ces questions cruciales ainsi que la réflexion sur l'adaptation
de nos formations, tant aux jeunes qui nous arrivent du Lycée qu'aux impératifs de l'aval
et aux évolutions culturelles, économiques, scientifiques et techniques d'une société en
évolution rapide.
Chacun mesure la difficulté de la tâche à cette double charnière de l'enseignement secondaire
d'une part, des grandes écoles d'autre part : nous devons à la fois accueillir les élèves issus des
classes terminales –tels qu'ils nous arrivent, et non pas tels que nous voudrions qu'ils soient–
pour en faire en 2 ans des étudiants susceptibles de suivre les enseignements de haut niveau
des grandes écoles et des universités ; et parallèlement, nous devons proposer une pédagogie
et des enseignements attractifs, motivants, mais accessibles, pour attirer le plus grand nombre
d'étudiants dans nos classes, et à la suite dans les grandes écoles, afin que le système garde
toute sa légitimité démocratique. En résumé, il convient de conjuguer l'excellence reconnue
de nos classes avec une ouverture sociale à des publics auxquels nous devons nous adapter,
quitte à remettre en cause parfois certains aspects de notre pédagogie –je pense en particulier
au système de notation utilisé ici ou là–. La mission des professeurs des classes préparatoires
est donc loin d'être facile, et la réalisation de ces objectifs ambitieux, qui sont indispensables à
la pérennité du système CPGE/GE, nécessitera la mobilisation de tous les partenaires, la mise
en commun des expériences et des réussites, et la volonté d'avancer de tous.
Merci encore à vous tous d'être venus aussi nombreux à ce Colloque, merci aux intervenants,
merci à vous, messieurs les Inspecteurs Généraux, et à toi, cher Claude Boichot, merci à vous,
messieurs les Directeurs des Ecoles, en particulier à toi, cher Alain Cadix, qui nous a apporté
le soutien sans faille de la Conférence des Grandes Ecoles dans la préparation de ce colloque,
et enfin, merci à toi, cher François Louveaux, pour avoir largement contribué à ce colloque et
à sa réussite, en particulier du côté de nos amis littéraires.
***
153
Table des matières
3
Introduction, suivie du résumé du colloque
13
Une histoire des C.P.G.E., Bruno BELHOSTE
25
Les C.P.G.E. au fil du temps : étude statistique et sociologique, Christian BAUDELOT,
Brigitte DETHARE, Sylvie LEMAIRE et Fabienne ROSENWALD
55
Intervention du Ministre, Xavier DARCOS
61
Les difficultés scolaires des étudiants issus des milieux populaires, Bernard LAHIRE
71
Atelier 1 : Information et orientation, outils majeurs pour l’ouverture des C.P.G.E. ?
Marie-Claude GUSTOT (I.G.A.E.N.R.), Brigitte PERUCCA (Le Monde de l’Education)
76
Atelier 2 : La diversification des C.P.G.E., instrument d’ouverture sociale ?
Jean Louis PIEDNOIR (I.G.E.N.) avec des professeurs de C.P.G.E.
84
Atelier 3 : Les débouchés des classes préparatoires en lettres et sciences sociales :
quelle organisation en vue d'un meilleur affichage?
quelles évolutions en vue de leur élargissement?
Catherine PARADEISE (E.N.S. Cachan), Katherine WEINLAND (I.G.E.N.)
86
Atelier 4 : Prépas scientifiques : comment élargir le recrutement ?
Claude BOICHOT (I.G.E.N.), Claudine RUGET (I.G.E.N)
92
Atelier 5 : L’image des C.P.G.E. et des G.E., frein à leur ouverture sociale ?
Christine FONTANINI (I.U.F.M. Toulouse), Jean LAMOURE (ENS Cachan)
96
Atelier 6 : La diversité des recrutements dans les Grandes Ecoles : quels bilans ?
Christian MARGARIA (I.N.T.), Christiane TINCELIN (E.S.C. Le Havre)
103 Atelier 7 : Voie économique et commerciale :
le coût des études, frein à l’ouverture sociale ?
Philippe HEUDRON (A.P.H.E.C.), Nicolas MOTTIS (E.S.S.E.C.)
112 Atelier 8 : Les formations étrangères d'ingénieurs : quels modes de fonctionnement ?
Jean-Pierre BONVALLET (INA PG), Daniel GRIMM (Ecole Centrale de Paris),
125 Table ronde n°1, animée par Claude THELOT :
Le recrutement des Grandes Ecoles : faut-il diversifier les modes de sélection ?
Avec Michel RAIMBAULT, Directeur d’H.E.C., et Marie REYNIER, Directrice de l’E.N.S.A.M.
135 Table Ronde n°2, animée par Alain TROGNON :
La situation en Europe (Allemagne, Grande Bretagne) : quels enseignements retenir ?
Avec Michael O'BORNE (O.C.D.E.), Eric MAURIN (C.R.E.S.T.), et Daniel GRIMM (Centrale Paris)
145 Allocution de clôture de Claude BOICHOT, I.G.E.N.
149 Intervention d'Alain CADIX, président de la Conférence des Grandes Ecoles
152 Conclusion de Gérard DEBEAUMARCHE, président de l'U.P.S.
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