Démocratie, classes préparatoires et grandes écoles
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Démocratie, classes préparatoires et grandes écoles
DEMOCRATIE, CLASSES PREPARATOIRES ET GRANDES ECOLES Ce Colloque a été organisé par l'Union des Professeurs de Spéciales avec la participation de la Conférence des Grandes Ecoles (C.G.E.) et les Associations de Professeurs de Classes Préparatoires aux Grandes Ecoles (A.P.H.E.C., A.P.P.L.S., U.P.A., U.P.L.S., U.P.S.T.I.). Il a bénéficié du soutien des Ecoles Normales Supérieures, de l'Ecole Nationale Supérieure de la Statistique et de l'Administration Economique (E.N.S.A.E.), et enfin de la Direction de la Prospective et du Développement du Ministère de l'Education Nationale. Comité Scientifique Christian BAUDELOT, Bruno BELHOSTE, Bernard LAHIRE, Jean LAMOURE, Catherine PARADEISE, Fabienne ROSENWALD, Claude THELOT, Alain TROGNON Organisation Gérard DEBEAUMARCHE - 20 rue Thiers – 51100 – Reims 03 26 47 07 11 ou 06 81 27 68 99 - [email protected] François LOUVEAUX - 61 Boulevard Bessières – 75017 - Paris 01 44 85 99 30 ou 06 81 23 77 14 - [email protected] 2 Introduction Le colloque Démocratie, classes préparatoires et grandes écoles s'est tenu les 16 et 17 mai 03 à l'Ecole Normale Supérieure. Réalisé à l'initiative de l'Union des Professeurs de Spéciales avec la participation de la Conférence des Grandes Ecoles, soutenu par les autres associations de professeurs des classes préparatoires, par les Ecoles Normales Supérieures et la Direction de la Programmation et du Développement du Ministère, ce colloque, placé sous le haut patronage de Luc Ferry, Ministre de l'Education Nationale, a été introduit par Xavier Darcos, Ministre délégué à l'enseignement scolaire. Plus de trois cents personnes ont suivi les débats et la liste des participants montre que la plupart de ceux qui ont affaire aux classes préparatoires étaient présents : représentants du Ministère, Inspecteurs généraux, directeurs et responsables d'Ecoles, responsables de l'orientation, professeurs des CPGE - toutes disciplines et filières représentées, proviseurs, professeurs d'Université et chercheurs, anciens étudiants, journalistes spécialisés… L'idée de ce colloque est née de la volonté de savoir comment la multiplication des classes, l'évolution et la diversification des filières, des débouchés, des étudiants ont modifié la réalité des classes préparatoires. L'image qui est encore parfois donnée de celles-ci ne correspond plus à la réalité que vit chacun d'entre nous. Les objectifs de ce colloque étaient alors doubles. D'abord réunir une documentation solide - à la fois des chiffres croisés, des statistiques, des expériences, des interprétations - qui puisse servir de base à une analyse lucide d'un système de formation qui mérite davantage que des raccourcis souvent trompeurs. Ensuite lancer une réflexion que d'autres pourront poursuivre. Ainsi, il s'agissait d'imaginer des moyens et d'évoquer des pistes permettant de réaffirmer les liens entre démocratie, classes préparatoires et Grandes Ecoles. Pour une majorité d'entre nous, l'ouverture de nos classes à de nouveaux publics, socialement plus divers, est à la fois une condition de bonne santé de notre système et une façon pour lui d'être fidèle à un héritage précieux, celui de l'élitisme républicain qui ne se décrète pas, mais se construit volontairement en tenant compte souplement des évolutions de la société. C'est ainsi que Christian Baudelot a parlé "du casse-tête de l'élitisme républicain, entre mérite et héritage". Ce colloque n'avait évidemment pas pour objectif d'imposer une vision ou de fixer des évolutions, mais l'ambition d'être un lieu d'échanges, une incitation à poursuivre. C'est dans cet esprit qu'ont été réunies les pages qui suivent. On retrouvera sur le site de l'INT ces Actes, ainsi que de riches annexes qui n'ont pu être publiées ici. Qu'il nous soit permis de remercier la Conférence des Grandes Ecoles pour son soutien tout au long du colloque et de sa préparation. Nos remerciements vont aussi à l'E.N.S., son directeur, Gabriel Ruget, sa secrétaire générale, Marylène Meston de Ren, les différents services de l'Ecole, en particulier Juliette Roussel qui a assuré la délicate transcription des Tables rondes. Grâce à eux, la préparation, le déroulement, puis la rédaction du compte-rendu de ce colloque ont pu être menés dans les meilleures conditions. Gérard Debeaumarché et François Louveaux 3 Résumé du Colloque Vendredi 16 Mai 2003 Les interventions de la première matinée voulaient établir un état des lieux de l'objet original que constituent les classes préparatoires et les grandes écoles. Les tables rondes de l'après midi étaient consacrées à une analyse des pratiques, à des comptes rendus d'expériences originales, mais elles voulaient aussi permettre d'imaginer très librement des solutions pragmatiques pour une plus grande ouverture. Le Doyen de l'I.G.E.N., Dominique Borne, s'est interrogé en ouverture sur l'impossibilité de définir le système à partir des mots qui le désignent. L'analyse historique de Bruno Belhoste, Histoire et place des CPGE et GE dans le système éducatif a rappelé à tous l'originalité du système C.P.G.E./G.E. Tissé d'héritages multiples, ce système est né avec les concours, il s'est placé délibérément en face d'une Université qui semblait ne pas se préoccuper vraiment de former des "cadres performants" pour répondre aux besoins nés des progrès de l'Etat, des techniques, du développement de l'économie. On peut voir là une grande continuité historique et un défi : l'heure n'est certes plus à opposer Université, CPGE et GE, surtout dans un contexte de coopération-compétition internationale pour la formation et la recherche, mais à inventer de nouveaux liens, des synergies fondées sur une claire identification et reconnaissance réciproques. Le très riche travail mené par Christian Baudelot et les statisticiens de la DPD, Evolutions historique, géographique et sociologique des différentes classes préparatoires depuis 25 ans, a posé clairement les termes des débats à venir. En ouverture, ils notent que "la situation ne s'aggrave pas" : le triplement des effectifs des CPGE depuis les années 1960, l'ouverture de nouvelles classes, la réorganisation des filières et concours ont, pour l'essentiel, accompagné la croissance spectaculaire des effectifs d'élèves et d'étudiants. Seuls 5% des élèves de sixième seront concernés par les classes préparatoires. Le système CPGE ne touche donc qu'un faible pourcentage des élèves, et, à l'image du public des classes terminales S, il est socialement différentié. La composition des CPGE ne reflète pas la moyenne française : il y a concentration des enfants issus des milieux sociaux supérieurs et des enfants d'enseignants, sous-représentation des autres catégories et d'abord des milieux populaires et intermédiaires. Ce constat est clair - même si la consultation des chiffres incitera à le nuancer, voire à le contester sans doute sur certains points. En revanche les résultats globaux masquent de réelles diversités : des disparités géographiques - entre un fils d'ouvrier et un fils de cadre supérieur, la propension à entrer en CPGE varie de 1 à 5 à Paris, de 1 à 2 seulement en Province ; des nuances selon les filières - les classes littéraires - AL et BL - sont socialement plus ouvertes, plus provinciales, plus féminines et nettement liées au monde enseignant. Reste que ce constat, sous bénéfice d'inventaire et de recherches nouvelles, ne peut être éludé. Il est très loin pourtant de clore tout débat sur "Démocratie, classes préparatoires et grandes écoles". L'étude des trajectoires individuelles des étudiants montre en effet que l'entrée en CPGE est aujourd'hui le résultat d'une " distillation fractionnée" qui se fait au long du parcours scolaire. Citant une étude de l'IREDU, Alain Cadix, Président de la Conférence des Grandes Ecoles, en souligne les prémisses dès le primaire et insiste sur l'étape essentielle du collège. Il sera alors intéressant de comparer la composition sociale des étudiants des CPGE avec celles des formations universitaires à bac plus 5. Cette sélection par le mérite scolaire en CPGE se révèle socialement inégalitaire, ce qui renvoie, bien en amont des CPGE, au système éducatif dans son ensemble dans lequel réussite scolaire et origine sociale restent fortement corrélées. 4 L'exposé de Bernard Lahire sur Les difficultés scolaires des étudiants issus des milieux populaires apporte des éclairages particulièrement riches, précis et stimulants. Il montre l'ampleur et la profondeur des questions soulevées, économiques mais aussi culturelles, tenant à une méconnaissance de "la nature des exigences scolaires et des moyens matériels et intellectuels pour parvenir à les satisfaire". L'étude de Christian Baudelot et de son équipe a mis par ailleurs à jour un phénomène que nous étions nombreux à pressentir, l'importance de l'information sur les CPGE donnée par les enseignants. Ce critère est le plus discriminant, au delà de tous les autres, origine sociale incluse, pour déterminer à résultats scolaires comparables un lycéen à postuler pour une CPGE ; les 3/4 des bacheliers issus des milieux ouvriers qui s'inscrivent en CPGE le font après avoir été informés par un professeur. Il y a d'un côté de "nouveaux viviers" pour les CPGE -c'est à dire des élèves auxquels leur réussite scolaire pourrait donner accès aux CPGE et qui n'en font pas la demande- et de l'autre des professeurs qui peuvent inciter ces élèves à entrer dans des classes qui leur assureraient une réussite, mais qu'ils ne connaissent pas ou dont ils ont une image déformée, et vis à vis desquelles ils pratiquent donc une sorte "d'autocensure". Il est alors intéressant de considérer sous cet éclairage les "ateliers" de l'après midi. Les ateliers 2, La diversification des CPGE, instrument d'ouverture sociale? et 6, La diversité des recrutements des Grandes Ecoles, quels bilans? ont montré que ni les CPGE, ni les GE ne se contentaient d'un constat vaguement désolé sur l'inégalité sociale, mais que de nombreuses initiatives - individuelles ou institutionnelles - permettaient d'ouvrir CPGE et GE à des publics moins favorisés, voire défavorisés. Il reste que cet indispensable travail aux marges du système ne dispense pas d'une réflexion sur le coeur du dispositif et les Grandes Ecoles ont, en ce domaine, une marge de manoeuvre et d'initiative plus étendue que les CPGE, ce qui ramène, une fois encore, à la question des concours, largement et vivement abordée lors de la table ronde animée par Claude Thélot. Les ateliers 3, Les débouchés des CPGE en lettres et sciences sociales: quelle organisation en vue d'un meilleur affichage, quelles évolution en vue de leur élargissement, et 7, Filière économique et commerciale : le coût des études, frein à l'ouverture sociale?, ont mis en évidence des obstacles techniques, financiers et d'organisation, et ont montré que les collègues ne manquaient pas d'idées - pas toujours mises en œuvre, pas toujours parfaitement consensuelles - pour améliorer encore l'efficacité de ces filières, en illustrer les mérites, y attirer davantage. Ces ateliers ont aussi évoqué les questions de l'image, de l'information, de leurs distorsions parfois, qui étaient au coeur des travaux des ateliers 5, L'image des CPGE, frein à leur ouverture sociale? et 1, L'information et l'orientation, outils majeurs pour l'ouverture des CPGE?. Si le professeur de terminale apparaît comme un personnage majeur, tous les autres professeurs, proviseurs, conseillers d'orientation, organismes et médias chargés d'informer les étudiants - sont directement impliqués, tandis que reviennent aux professeurs de CPGE non seulement le travail habituel dans les "forums", "portes ouvertes"... mais aussi la tâche de diffuser en " amont", en particulier auprès des collègues, une information et une image justes des CPGE, "ni bagne, ni Club Med" pour reprendre la formule d'un intervenant. L'atelier 4, Les prépas scientifiques : comment élargir le recrutement, a mis en lumière toute l'efficacité de la réorganisation des différentes voies scientifiques, de leur diversification, en même temps qu'il a rappelé à tous l'enjeu essentiel pour la Nation que représente la formation en grand nombre de cadres et chercheurs scientifiques de haut niveau. Les CPGE et GE ont ici un rôle majeur mais non exclusif à jouer. L'élargissement du recrutement des CPGE et l'augmentation du nombre d'ingénieurs, cadres et professeurs sont des nécessités. 5 L'atelier 8, Les formations étrangères d'ingénieurs : quels modes de fonctionnement?, a montré à quel point l'étude comparative était instructive, à la fois parce que nous sommes dans un système de plus en plus ouvert et concurrentiel, dans lequel les étudiants seront de plus en plus amenés à circuler d'un pays à l'autre, mais aussi parce que la question de la sélection des élites est sociale et culturelle. La table ronde animée par Alain Trognon l'illustrera le lendemain. Dans le domaine de la formation, et surtout celle des élites, la définition de ce qui est indispensable, souhaitable, acceptable est affaire de perception par une société donnée. Le souci d'égalité, celui de corriger les déséquilibres, cette volonté de suivre et de traquer dans notre système éducatif et pas seulement les CPGE/GE, les inégalités et injustices sociales correspondent profondément à une certaine idée que les Français se font de l'égalité. Il n'y pas que les CPGE/GE qui soient une exception française, il y a aussi une certaine façon d'envisager le débat éducatif, le rôle de l'Ecole : sans doute est-il utile de le dire, sans que cela signifie qu'il faille ne pas regarder au delà de notre propre horizon. Les ateliers ont été ainsi l'occasion d'échanges très riches, ouverts, libres. Sont apparues de façon récurrente, des questions comme celle de l'argot, du "folklore" des CPGE comme un possible frein à leur ouverture, la marque d'une volonté de se distinguer et de ne s'ouvrir qu'à des "déjà initiés"; ou encore celle de la notation en CPGE, envisagée à la fois sous l'angle "technique" - l'écart croissant entre les exigences des concours et les savoir-faire de bons élèves des terminales - et sous l'angle de l'effet qu'elle produit sur les étudiants, d'autant plus difficile à vivre qu'ils ne sont pas familiers du monde des prépas. La multiplicité et la diversité des thèmes pourraient faire croire que les travaux se sont égarés loin de leur sujet de réflexion initial. On peut considérer au contraire qu'ils ont été fidèles à leur objectif et que les questions des CPGE, des GE et de la démocratie ne se réduisent pas à quelques formules rapides, à quelques recettes "faciles", mais supposent une ferme volonté qui soit le guide de toute une série de mesures très diverses, touchant tous les domaines, de l'organisation à la pédagogie, de la défense à la promotion, de la justification à une saine et constructive critique. *** Samedi 17 Mai 2003 Après une première journée consacrée à un état des lieux et des pratiques et à des mises en perspectives historiques, les tables rondes de la seconde matinée étaient consacrées à des points de vue et des débats, dans une optique volontairement internationale, à l'image du monde auquel seront confrontés les étudiants des CPGE et des GE. Il s'agissait donc de traiter de l'aval et de l'avenir. Faut-il diversifier - ou plutôt élargir - les modes de sélection des Grandes Ecoles ? Cette première table ronde est animée par Claude Thélot –ancien Directeur des Etudes et de la Prospective au Ministère de l'Education Nationale - avec la participation de deux Directeurs (HEC et ENSAM) qui font le point des réflexions menées dans leurs Ecoles. Pour Claude Thélot, deux raisons principales rendent indispensables "de diversifier et d'élargir le recrutement et les modes de recrutement des Grandes Ecoles". Les futurs cadres et ingénieurs devront avoir des connaissances, des compétences et des comportements qui leur permettent de réagir face à l'incertain, à l'inattendu : les connaissances n'y suffisent pas. 6 Les Grandes Ecoles doivent élargir leur recrutement, pour la richesse que représentent ouverture et diversification, et pour asseoir une légitimité qui serait contestée si les Grandes Ecoles ne recrutaient que sur une base socialement trop étroite. Cette double obligation entraîne nécessairement une modification des procédures de recrutement et donc des concours. Pour Claude Thélot, il n'est pas bon que la diversification soit assurée "par des filières parallèles de recrutement": il faut que les concours eux mêmes assument cette double exigence d'élargissement des compétences et d'ouverture sociale. Sélectionner de nouvelles compétences oblige à repenser l'organisation des concours, à mener une triple réflexion : sur l'importance à donner aux différentes matières, le jeu des coefficients ; sur les contenus des épreuves - "selon la forme et le contenu, ce ne sont pas les mêmes compétences qui sont sélectionnées"; sur la définition de nouvelles épreuves, "moins strictement scolaires" car "l'inégalité sociale devant l'Ecole est une inégalité devant la réussite scolaire". Faire apparaître "de nouveaux profils d'élèves" exige cette fois de "compléter le concours par autre chose ( ...) prendre en compte d'autres critères que les résultats obtenus aux épreuves". Plusieurs pistes s'ouvrent, par exemple tenir compte du cursus scolaire antérieur, accorder des bonifications en fonction de l'âge ou du sexe... Pour Claude Thélot cela ne remet pas en cause les concours "dès lors que c'est à des doses faibles et que cela correspond à une politique explicite". Il rappelle enfin que notre conception juridique de l'égalité à la française "ne veut pas dire uniformité" et "que l'égalité consiste aussi à compenser les handicaps, réels ou supposés". L'intervention s'achève sur le souhait d'aboutir à un système transparent qui permette de caractériser l'étudiant de façon plus globale. Michel Raimbaut, Directeur des HEC, insiste à la fois sur les qualités du système actuel et sur les redoutables défis auxquels il est confronté. L'Ecole des Hautes Etudes Commerciales est satisfaite de la formation intellectuelle initiale et des qualités humaines que suppose la réussite aux concours - "courage, ténacité, résistance au stress". Cette formation initiale doit se poursuivre ensuite par "une formation par la recherche", la plus à même de développer les qualités nécessaires aux futurs dirigeants, savoir gérer, l'instabilité, faire face à la complexité croissante, être capable de rendre intelligibles des bouleversements inattendus et donc d'apporter des solutions nouvelles à des situations nouvelles. On ne peut cependant s'arrêter à ce constat plutôt positif. Il faut souligner la diversification déjà largement à l'oeuvre dans les Ecoles de gestion, et se préparer à une triple ouverture : ouverture internationale, diversification des profils, ouverture sociale "question de légitimité et de crédibilité", notamment lorsque l'on forme ceux qui auront "à gérer des entreprises qui seront, elles, représentatives de l'ensemble de la société". L'ouverture internationale pose en outre un redoutable défi aux grandes Ecoles, aux concours et aux CPGE. Deux standards internationaux se dégagent, deux niveaux : under-graduate et post-graduate, c'est à dire avant ou après le niveau 3 - Licence, Bachelor's Degree. Les Ecoles de gestion doivent-elles devenir "des graduate business schools, c'est à dire proposer des enseignements de type program master en recrutant des étudiants, français ou non, munis d'un Bachelor's Degree ou d'une Licence?" Doivent-elles aussi investir le niveau undergraduate? Développer les deux niveaux? On imagine à quel point ces interrogations pèseront lourd sur le sort et la nature des CPGE et des Concours. Marie Reynier, Directrice de l'ENSAM, souligne l'importance du moment, des enjeux et des véritables ruptures à mettre en oeuvre. Il s'agit pour les pays de l'Union Européenne de rester "dans la très haute technologie, d'être des "fers de lance du progrès" faute de quoi l'Europe deviendrait "une vieille Europe". Il importe pour cela d'aboutir à une claire connaissance et reconnaissance des systèmes de formation propres à chaque pays européen, à favoriser les échanges alors même que "les cultures, le rapport à l'enseignement et à la formation" diffèrent. Pour Marie Reynier, la question est loin de se résumer à une mise en oeuvre des 7 ECTS, code d'échange et non cadre que chaque pays pourrait définir seul. Le défi majeur est de déterminer comment et à quoi il faut former les étudiants. En ce domaine, des ruptures lui semblent nécessaires. Le système actuel est orienté vers l'aval, axé vers "l'opérationnalité immédiate des ingénieurs". Il privilégie ainsi le "problem solving", la capacité "à résoudre des problèmes existants", plus qu'il ne favorise "les inventeurs, les entrepreneurs, les innovateurs". Notre système, les concours ont aussi leurs atouts. La formation a, entre autres avantages, celui de "savoir former vite". Le principe du concours a ses vertus : la mise à l'épreuve, l'aptitude à résister au stress, la capacité à préparer longtemps un objectif, sont formateurs. Ils ont aussi des effets pervers : certains étudiants sont capables de réussir le concours car ils ont été assistés, portés à bout de bras par leurs parents, puis par les enseignants, mais arrivent dans les Ecoles épuisés et n'ayant pas toujours les aptitudes pour être un bon ingénieur. Surtout, les épreuves actuelles sont trop exclusivement organisées autour des critères qui permettent de sélectionner des enseignants ou la haute fonction publique et non des "entrepreneurs, des inventeurs, des directeurs techniques, des ingénieurs capables de maîtriser des chaînes de production, capables de conduire sans risques industriels un certain nombre d'installations difficiles". Marie Reynier plaide ainsi pour l'introduction de nouvelles épreuves, destinées à tester d'autres qualités : chaque Ecole pourrait ainsi définir des tests d'aptitudes adaptés à sa spécificité. Elle conclut sur de nécessaires mobilités, sur l'effort d'information qui s'impose, sur la nécessité de proposer effectivement l'accès "à une situation sociale de qualité", faute de quoi, les étudiants ayant de plus en plus une attitude consumériste, les CPGE pourraient être concurrencées par des formations moins exigeantes. La situation en Europe, quels enseignements retenir? Cette seconde table ronde est animée par Alain Trognon, Directeur du groupe des Ecoles de Statistiques. Elle permet d'évoquer d'autres systèmes d'éducation européens et extra européens sous l'angle à la fois des objectifs, des types de cursus et de la question, qui se révèle centrale, du coût et du financement des études. Alain Trognon souligne l'importance du moment présent : "dans toute l'Europe, l'hétérogénéité des structures est en passe de coexister avec la normalisation des LMD". Il indique que se posent donc en Europe des questions comparables - celle des inégalités sociales, du fait que les étudiants les moins favorisés se tournent principalement vers les filières courtes et techniques, celle de l'auto-censure de ces étudiants et partout s'affirme la volonté d'informer sur la question du financement des études, entre autres celles des étudiants d'origine modeste. Enfin, chacun réfléchit à des modes de sélection des élites clairs et "loyaux". A ces questions communes sont apportées des réponses diverses selon les sociétés. Michael O'borne, Directeur à l'OCDE, présente ensuite l'exemple américain de discrimination positive "affirmative action". Les Etats-Unis ont désormais 45 ans de recul pour évaluer les effets de cette décision politique mise en oeuvre concrètement en jouant sur les financements - les Universités qui ouvrent de nouveaux enseignements et accueillent de nouveaux publics disposent de financements supplémentaires. Pour l'intervenant, "le succès de ce système est important". Il a profondément modifié le profil des étudiants et a été l'occasion d'une grande ouverture d'esprit, entre autres grâce à ces nouveaux enseignements mis en place pour attirer les nouveaux publics. M.Oborne montre bien les difficultés du système -de la délicate définition des minorités à la qualité des diplômes et à une possible modification de l'interprétation de cette disposition à la suite d'une plainte portée devant la Cour Suprême. Il évoque ensuite le cas britannique, la politique nouvelle "de financement et de choix des disciplines" : il s'agit de favoriser des enseignements nouveaux, de réduire au 8 contraire les crédits alloués à certains enseignements classiquement choisis par les élites traditionnelles. L'intervention se termine par un plaidoyer en faveur de la souplesse, de l'établissement de passerelles pour faire en sorte qu'il n'y ait plus, comme en France aujourd'hui, une sorte de "CV absolument établi", mais que l'on tienne compte des évolutions des étudiants au cours de leur vie, bref que l'on diversifie les voies de réussite. Eric Maurin est chercheur au CREST (Centre de recherche en économie et statistique) et fait partie d'un réseau européen de chercheurs sur l'éducation. Les premiers résultats des études comparatives menées en Europe "ne sont pas enthousiasmants". Il ne semble pas en effet que la variété institutionnelle des systèmes d'enseignement permette de dégager un type d'organisation qui serait à même de promouvoir "des formes intéressantes d'égalité des chances sans nuire à l'efficacité". Il semble par contre que les pays européens soient tous plus ou moins confrontés au même phénomène : une progression de l'accès à l'enseignement supérieur, mais une inégalité croissante dans l'accès aux filières les plus prestigieuses. Eric Maurin parle "d'inégalités de deuxième ordre, qui reposent sur les effets d'auto-sélection : en fin de parcours, les enfants des milieux défavorisés ne prennent pas le risque de formations pour lesquelles ils n'ont pas d'informations très précises et s'engagent dans les voies les moins prestigieuses qui permettent "d'assurer (...)". L'une des questions centrales est donc alors de savoir comment lutter contre ces effets d'autocensure. Il semble que des "politiques d'excellence doublées de volontarisme au niveau local " soient prometteuses. En effet "il semblerait que ce qui compte dans un voisinage, ce n'est pas tant qu'il soit pauvre ou culturellement mal intégré, mais le fait que les enfants soient entourés d'élèves qui eux-mêmes échouent". Politique volontariste de mixité sociale et de promotion locale de l'excellence peuvent selon l'auteur "avoir des effets de long terme potentiellement intéressants". Daniel Grimm, Directeur adjoint de l'Ecole Centrale de Paris, rassemble les différents points évoqués par cette table ronde. Il souligne les différences de cursus. Cela vaut d'abord pour le pré-baccalauréat, qui peut avoir trois grands objectifs : en France l'acquisition d'une culture générale, aux Etats-Unis la socialisation, en Allemagne la professionnalisation précoce. Cela porte ensuite sur la durée des études. Cela joue donc logiquement sur le type de formation. Daniel Grimm estime par exemple que "nos formations longues de qualité permettent à nos ingénieurs d'être capables, entre plusieurs solutions, d'anticiper celles qui marcheront le mieux", tandis qu'aux Etats-Unis, "les ingénieurs plus pragmatiques et pratiques vont être amenés à développer toutes les solutions et constater, après coups, celles qui marchent et celles qui ne marchent pas". La table ronde s'achève sur la question du financement des études, question centrale à l'évidence, domaine dans lequel des évolutions sensibles sont très prévisibles, enjeu technique et symbolique fort. Daniel Grimm rappelle qu'en 1994, l'OMC a esquissé une distinction entre un premier niveau - "L", Bachelor, bac + 3 - qui ferait partie du service public tandis que la suite de la formation entrerait dans "le champ commercial". Se posent alors au moins deux question : celle du coût des études - et donc de leur durée, de l'éventualité aussi qu'un coût élevé soit un frein à la mobilité internationale - et, en arrière plan, celle du lien entre démocratisation de l'enseignement et financement des études. En France, le débat porte aussi sur la notion de gratuité des études, question soulevée il y a une dizaine d'année par Laurent Schwartz et spectaculairement posée aujourd'hui par le Directeur de l'IEP de Paris. Si l'on considère que la formation supérieure est un investissement non seulement pour l'Etat, mais aussi pour l'étudiant qui en bénéficie, on peut imaginer que cet investissement soit progressivement remboursé au cours de la vie professionnelle (remboursé au cours de sa vie professionnelle par celui qui en a bénéficié). Daniel Grimm souligne que l'Australie a mis en place 9 un tel système. Alain Trognon indique que les projets du gouvernement britannique vont dans ce sens. Michael O'borne quand à lui s'interroge sur le sens même de "gratuité": rien n'est gratuit, la question est de savoir qui paie pour la formation, la collectivité ou celui qui en bénéficie. Cette table ronde, comme la précédente d'ailleurs, s'achève sur l'affirmation que ces questions constituent des enjeux stratégiques majeurs pour l'Europe. *** Claude Boichot, Doyen du groupe "physique-chimie" de l'IGEN et chargé de mission sur les CPGE et le post-bac auprès du Ministre et du Ministre délégué, Alain Cadix, président de la Conférence des Grandes Ecoles et Gérard Debeaumarché, président de l'U.P.S. et organisateur du colloque, pouvaient en conclusion remercier partenaires et participants pour la densité et la qualité des travaux, pour la très grande qualité d'écoute manifestée par tous, et insister sur la nécessité de fournir à la Nation plus de cadres en recrutant plus largement. *** 10 L'ouverture du colloque par Dominique BORNE, Doyen de l'I.G.E.N. A sa droite, Gabriel RUGET, Directeur de l'E.N.S. A sa gauche, Gérard DEBEAUMARCHÉ, président de l'U.P.S. L'assistance pendant le colloque. Au premier rang, Claude BOICHOT, assis devant Claude THELOT, Claudine RUGET, Laurent WIRTH, Jean-Pierre SARMANT, I.G.E.N. et Christian MARGARIA, Conférence des Grandes Ecoles. 11 Christian BAUDELOT pendant son exposé, entouré de Sylvie LEMAIRE et Brigitte DETHARE, et retourné vers Fabienne ROSENWALD Gérard DEBEAUMARCHÉ, président de l'U.P.S., remercie le Ministre, Xavier DARCOS 12 Une histoire des C.P.G.E. Une histoire des C.P.G.E. Bruno Belhoste, I.N.R.P. Dans cet exposé, je présenterai un panoramique sur l’histoire de ce qui constitue certainement l’une des institutions les plus originales du système éducatif : les classes préparatoires aux grandes écoles. Ces classes, on le sait, se caractérisent par plusieurs traits spécifiques : D’abord, elles sont des classes d’enseignement supérieur, mais situées dans des établissements secondaires. Remarquons qu’autrefois, il existait également des classes élémentaires dans les lycées, mais celles-ci ont disparues depuis 40 ans. Ensuite, ces classes sont étroitement liées, par leur mission et leur enseignement, aux établissements particuliers appelés « grandes écoles », qui recrutent sur concours. C’est même là, bien sûr, leur raison d’être. C’est pourquoi on ne peut faire l’histoire des classes préparatoires sans évoquer les concours auxquels elles préparent. Enfin, elles disposent d’un personnel enseignant à part, ayant ses traditions, ses intérêts et ses méthodes de travail spécifiques, qui les distinguent aussi bien des professeurs de l’enseignement secondaire que des enseignants-chercheurs des universités. L’histoire des CPGE est une histoire de longue durée, puisque le système se met en place dès le XVIIIe siècle, en même temps que celui des concours, et qu’il est toujours bien vivant aujourd’hui. Il faut noter cependant que les classes préparatoires ont été pendant longtemps exclusivement des classes scientifiques et que ce n’est qu’au XXe siècle que l’on voit apparaître des classes préparatoires littéraires, puis commerciales. Curieusement, si le rôle considérable des CPGE est bien connu, leur histoire n’a pour ainsi dire jamais été étudiée. Je me limiterai ici à un cadre : l’objectif est de fournir quelques points de repère historiques susceptible d’alimenter notre réflexion sur la situation présente et aussi sur l’avenir de ces classes. 13 La naissance des classes préparatoires C’est au XVIIIe siècle que sont nées les classes préparatoires. Comme il n’y a pas de prépas sans examen à préparer, c’est la création d’un recrutement sur concours qui constitue le point de départ. Les premiers concours sont des concours de recrutement pour les armes savantes, c’est à dire le Génie, l’Artillerie et la Marine. Dès 1692, Vauban institue un examen pour l’admission au Génie. « Personne, écrit-il, ne doit être reçu dans les fortifications par faveur ou par recommandation. Il faut que le mérite seul et la capacité des gens leur attirent les emplois. » Les aspirants du Génie doivent subir un examen oral portant sur les mathématiques devant un examinateur membre de l’Académie des sciences. A partir de 1756, l’Artillerie, à son tour, se dote d’un examinateur sur le modèle du Génie, puis la Marine à partir de 1764. A la veille de la Révolution, les examinateurs des armes savantes sont des savants de premier ordre : Bossut pour le Génie, et surtout Laplace pour l’Artillerie et Monge pour la Marine. Dès la fin du XVIIIe siècle, par conséquent, il existe un système de recrutement sur concours lié à l’institution militaire. Les candidats admis sont reçus dans des écoles dépendant des armes savantes. La plus connue est l’École du Génie de Mézières, fondée en 1749, où le mathématicien Monge a longtemps été professeur. Tout naturellement, l’examen d’admission suscite, en amont, sa préparation. L’examen consiste alors en une interrogation orale qui porte sur le manuel rédigé par l’examinateur. Les plus connus de ces manuels sont ceux de l’ancien examinateur de l’Artillerie et la Marine, sur lesquels Laplace et Monge continuent d’interroger à la veille de la Révolution. Préparer l’examen revient donc à connaître le manuel. En fait, à la fin de l’Ancien régime, il est exceptionnel qu’un candidat reçu se soit préparé seul à l’épreuve. Certains candidats font appel à des maîtres de mathématiques qui donnent, moyennant finance, des leçons privées sur les matières du concours. Mais, dès cette époque, la plupart se préparent dans des établissements spécialisés. 14 Une histoire des C.P.G.E. On peut distinguer, en fait, deux types d’établissement préparatoire. Les premiers sont des institutions privées, souvent protégées par l’examinateur. C’est le type le plus ancien, et aussi le plus florissant. On en trouve quelques-uns en province, principalement à Metz où a lieu l’examen d’artillerie, mais la plupart sont à Paris. Les plus connues sont la pension Longpré et la pension Berthaud. Lazare Carnot, par exemple, se prépare d’abord seul à l’examen du génie, mais il échoue en 1769. L’année suivante, son père décide de le placer à Paris dans une institution spécialisée. Sur les conseils de l’intendant du protecteur de la famille Carnot, le duc d’Aumont, Lazare entre ainsi chez Longpré et il est admis à l’École de Mézières après quelques mois de préparation, en 1770. Le succès des pensions privées s’explique parce que, dans les établissements publics que constituent les « collèges », que ceux-ci soient dépendants d’une Université ou d’une congrégation enseignante, les mathématiques sur lesquelles on interroge les candidats aux examens, n’occupent qu’une position marginale. C’est pour former les officiers des armées, et en particulier ceux des armes savantes, que l’École militaire est fondée à Paris en 1751, à l’instigation de la marquise de Pompadour. La nouvelle école accueille des boursiers du roi. On y enseigne les sciences et en particuliers les mathématiques. Les résultats s’avèrent malheureusement décevants. C’est pourquoi, en 1776, le ministre de la guerre décide de fermer l’École militaire et de la remplacer par douze écoles militaires, installées en province pour préparer les boursiers du roi au métier militaire. C’est ainsi que le jeune Napoléon Bonaparte prépare au collège de Brienne, érigée en école militaire, l’examen d’artillerie qu’il passe devant Laplace en 1785. C’est la Révolution française qui va étendre le système de recrutement des armes savantes à l’ensemble des administrations techniques, en créant l’École polytechnique. Cette transformation répond au souci de perfectionner la formation des experts civils et militaires mais aussi à celui de démocratiser leur recrutement. Avant 1789, en effet, l’autorisation de passer les examens n’était accordée qu’à ceux qui pouvait prouver la qualité de leur naissance ou une parenté avec un officier. Carnot lui-même reçoit sa lettre d’examen en se réclamant d’un cousin très éloigné, l’ancêtre commun remonterait à cinq générations, qui est capitaine. Après 1786, tout candidat doit prouver quatre degrés de noblesse. La sélection par concours 15 ne fait ainsi que s’ajouter à une sélection préalable beaucoup plus sévère, fondées entièrement sur des critères de naissance. Cet exclusivisme social explique les caractères de la filière de formation. La préparation aux examens des armes savantes relève de l’éducation nobiliaire. Les pensions préparatoires privées sont très chères et les écoles militaires sont créées pour accueillir les rejetons de la noblesse militaire auxquels le roi accorde des bourses. C’est le cas, je le rappelle, de Bonaparte lui-même, qui appartient à la petite noblesse corse. La Révolution balaie tout cela. Dorénavant, les emplois publics sont ouverts à tous les citoyens, sur le seul critère du mérite. L’admission à l’École polytechnique, fondée en 1794, se fait sur un concours auquel tout jeune homme entre 16 et 20 ans peut se présenter. Si l’on compare le concours de l’École polytechnique avec les anciens examens des armes savantes, les différences apparaissent donc évidentes : désormais, le concours, organisé dans une vingtaine de villes, est public et ouvert à tous. Le nombre de places offertes est beaucoup plus élevé, car les débouchés ont été considérablement élargies : aux armes savantes, s’ajoutent principalement le génie maritime et les grands corps civils, ponts et chaussées et mines. C’est la technocratie française dans son ensemble qui s’alimente à l’École polytechnique. Quant aux pensions préparatoires privées et aux écoles militaires d’Ancien régime, elles disparaissent dans la tourmente, et les candidats au concours de la nouvelle école ne disposent d’aucun lieu de préparation. Très vite, les professeurs de mathématiques des écoles centrales, ouvertes dans chaque département en 1795, s’efforcent de pallier ce manque. C’est ainsi qu’Henri Beyle, notre Stendhal, se prépare à l’École polytechnique en suivant les cours du professeur de mathématiques de l’école centrale de Grenoble. Il ne passera d’ailleurs jamais le concours. En 1802, sont créés les lycées, où la loi prévoit que l’on enseigne le latin et les mathématiques. Dans chaque lycée, il existe une classe dite de mathématiques transcendantes, rebaptisée en 1809, classe de mathématiques spéciales. La vocation de ces classes, dites parfois aussi classes de deuxième année de philosophie, par référence à l’organisation de l’enseignement dans les collèges d’Ancien régime, devient aussitôt la préparation au concours de l’École polytechnique. On peut dire alors que les classes préparatoires sont nées. 16 Une histoire des C.P.G.E. Les classes préparatoires au XIXe siècle L’imposition du monopole universitaire donne aux lycées la main mise sur la préparation à l’École polytechnique. Je rappelle que l’Université (avec U majuscule) a été fondée par Napoléon. Elle correspond grosso modo à ce qu’on appelle aujourd’hui l’Éducation nationale et elle dispose jusqu’à la loi Falloux, votée en 1850, du monopole de l’enseignement. Celui s’exerce en fait principalement sur l’enseignement secondaire. Certes, il existe des pensions et des institutions privées, mais leurs chefs doivent être membre de l’Université, dont ils ont les grades, et ils ont obligation d’envoyer leurs élèves dans les établissements publics, lycées ou collège communaux. Leur rôle se limite, en principe, à l’hébergement des élèves et aux travaux d’études et de révision des cours. Évidemment, ce monopole s’étend aux classes préparatoires. Si certains candidats se préparent au concours en suivant les leçons privées de maître de mathématiques, ce qui reste possible, la très grande majorité suit les cours de mathématiques spéciales des lycées. Comme je l’ai dit, dans la première moitié du XIXe siècle, on trouve des classes de mathématiques spéciales dans tous les lycées, c’est à dire en 1848 dans une cinquantaine d’établissement. Cette omniprésence des mathématiques spéciales permet d’offrir partout une préparation à l’École polytechnique. L’organisation même du concours répond au même souci égalitaire : les examinateurs sillonnent la France, allant de ville d’examen en ville d’examen, interroger les candidats. Jusqu’au milieu des années 1830, ils s’arrêtent ainsi dans tous les lycées. Cette organisation n’a été rendue possible que par la création d’un véritable corps enseignant de professeurs de mathématiques. La création d’une agrégation de sciences en 1808, pour laquelle est organisé un véritable concours dès 1821 et sa spécialisation en mathématiques et en sciences physiques en 1840, ainsi que l’ouverture de l’École normale en 1809 assure la formation et le recrutement de ces professeurs. Dans chaque lycée, existent deux chaires de mathématiques, l’une dite de mathématiques élémentaires et l’autre de mathématiques spéciales. Les professeurs de mathématiques spéciales sont les mieux payés, mais ils n’ont pas le monopole de l’enseignement dans les classes de mathématiques spéciales, les règlements universitaires prévoyant longtemps l’alternat avec les professeurs de mathématiques élémentaires. 17 La présence dans tous les lycées d’une classe de mathématiques spéciales ne doit cependant pas faire illusion. En réalité, la préparation à l’École polytechnique se trouve concentrée dans quelques grandes villes, comme Metz, Lyon, Toulouse, Rennes, Dijon et Strasbourg et surtout, bien entendu, Paris, qui domine outrageusement. On remarquera en outre que le nord l’emporte très largement sur le midi. Dans beaucoup de lycées, la classe de mathématiques spéciales existe sur le papier, mais elle n’accueille en fait que quelques élèves, qui ne se destinent pas à Polytechnique. Un autre phénomène, en revanche, doit être pris en compte : celui de la préparation aux autres écoles recrutant sur concours qui apparaissent au XIXe siècle : l’École spéciale militaire de Saint-Cyr, l’École navale et l’École forestière. Pour ces concours, beaucoup moins relevés que celui de Polytechnique, on voit apparaître dans un certain nombre de villes des enseignements préparatoires accueillis dans des classes de mathématiques élémentaires ou spéciales. Qu’il s’agisse de ces concours ou de celui de l’École polytechnique, l’épreuve, jusqu’au milieu du XIXe siècle, reste comparable à celle des examens d’Ancien régime. Les candidats sont interrogés oralement par l’examinateur en tournée, à peu près exclusivement sur les mathématiques. On ne voit apparaître des épreuves écrites que très timidement à partir des années 1840. Une bonne préparation doit donc être un entraînement à l’oral. Or, il faut bien reconnaître que l’enseignement magistral des classes préparatoires de lycée est peu adapté à cet objectif. A Paris, où près des deux tiers des candidats admis à Polytechnique se sont préparés, un système original de préparation se met en place, associant étroitement classes de mathématiques spéciales publiques et institutions préparatoires privées. C’est au lycée, à cause du monopole universitaire, que tous les préparationnaires étudient le cours, sous la direction d’enseignants chevronnés, qui constituent l’élite des professeurs de sciences de l’enseignement secondaire. Pour ne citer qu’un exemple, Louis Richard enseigne à Louis-leGrand où il forme, entre autres, Galois et Hermite. Dans la première moitié du XIXe siècle, les trois principaux établissements de Paris, pour les classes de mathématiques spéciales, sont Louis-le-Grand, Saint-Louis et Charlemagne. Mais, si certains élèves sont externes libres ou pensionnaires au lycée – c’est le cas de Galois-, la plupart, venus de province, sont en pension dans des établissements privés. Les principaux de ces établissements privés sont l’institution Mayer, où ont étudiés entre autres Liouville et Le Verrier, et le collège Sainte-Barbe, qui ouvre en 1832 une école préparatoire spécialisée placées sous la direction du mathématicien Duhamel. C’est dans ces établissements privées que les élèves de mathématiques spéciales, les taupins comme on les appelle déjà, s’entraînent véritablement à l’examen, par un système 18 Une histoire des C.P.G.E. d’études encadrées, de conférences et surtout de colles. Les enseignants qui font ce travail sont des professeurs de lycée, des répétiteurs de l’École polytechnique et des maîtres de mathématiques spécialisés, généralement d’anciens polytechniciens qui n’ont pas intégrés l’institution universitaire. Le plus illustre exemple, sans doute, est le philosophe Auguste Comte, ancien polytechnicien qui donne des cours à l’institution Laville tout en étant répétiteur d’analyse à l’École polytechnique et, pendant un temps, examinateur d’admission. Le milieu du XIXe siècle voit des changements importants dans l’organisation générale de l’enseignement en France : la loi Falloux abolit l’enseignement libre et autorise la création d’écoles libres, en particulier au niveau de l’enseignement secondaire. Le ministre Fortoul réforme peu après l’enseignement secondaire public pour mieux l’adapter à la concurrence. Dorénavant, l’obtention du baccalauréat ès sciences est exigée pour l’admission à l’École polytechnique. Le nombre des classes de mathématiques spéciales est considérablement réduit et leur moyen renforcé : à l’exemple de ce qui se faisait déjà dans les institutions privées, un système de conférences et d’interrogations est organisé pour les élèves pensionnaires des lycées. Ces changements entraînent à Paris l’effondrement de l’ancien système préparatoire qui associait aux cours des mathématiques spéciales les répétitions et les colles des institutions privées. Sainte-Barbe renonce à envoyer ses élèves à Louis-le-Grand comme autrefois et organise un enseignement dans ses propres murs, les autres institutions préparatoires disparaissent, et, en revanche, on voit apparaître un nouvel établissement privée dans le Quartier latin : l’École Sainte-Geneviève, dirigée par les jésuites, qui organise un enseignement préparatoire sur le modèle de Sainte-Barbe et remporte de grands succès aux concours de Polytechnique et Saint-Cyr. Pour contrer la concurrence de ces préparatoires privées, le ministère de l’Instruction publique décide à la fin des années 1860 de créer sur le même modèle dans un certain nombre de lycées de Paris, comme à Saint-Louis, et de province, comme au lycée de Nancy, des écoles préparatoires, dont les élèves sont entièrement séparées de leurs camarades de l’enseignement secondaire. Les classes préparatoires au XXe siècle C’est sous la IIIe République, entre 1880 et 1914 que le système des classes préparatoires scientifiques prend le visage qu’il va conserver presque sans changements jusqu’aux années 1970. On peut estimer qu’à la fin du XIXe siècle, ce système accueille et forme environ 19 10000 élèves. Ce chiffre ne sera pas dépassé avant les années 1960. On trouve des classes préparatoires dans les grands lycées, en province et surtout à Paris. Saint-Louis et Louis-leGrand dominent, comme dans la période précédente. Viennent ensuite les lycées de l’Ouest parisien, Janson-de-Sailly, Condorcet et Carnot, ce dernier ancienne école Monge nationalisée en 1894. L’école préparatoire de Saint-Louis, qui est la plus importante, comprend ainsi vers 1890 plusieurs filières préparatoires : une préparation à Saint-Cyr en deux ans, au sortir de la classe de 3e ou de 2e, une préparation à l’École navale en un an, au sortir de la classe de 3e, une préparation à Centrale et aux Mines en un an, sous forme d’une classe de mathématiques spéciales, après le baccalauréat ès sciences, et, également après le baccalauréat ès sciences, une préparation à l’École polytechnique en deux ans, sous forme d’une spé de nouveaux et d’une spé de vétérans. Louis-le-Grand obtient régulièrement les meilleurs résultats aux concours de l’ENS et de Polytechnique. Janson de Sailly est renommé, entre autres, pour sa prépa Agro. En province, les meilleures préparatoires sont celles du lycée du Parc, à Lyon, et du lycée de Nancy. Face à ces préparatoires publiques, seule l’École Sainte-Geneviève, qui déménage à Versailles en 1905, est en mesure de faire concurrence, en restant jusqu’à aujourd’hui l’un des meilleurs établissements préparatoires aux grandes écoles. Selon une tendance déjà sensible dans la période précédente, les professeurs de spé forment une sorte d’aristocratie enseignante au sein des lycées, se séparant nettement de leurs collègues des classes inférieures. En même temps, il faut distinguer les professeurs de province des professeurs de Paris. Les professeurs de spé des grands lycées parisiens dominent leur discipline, sont en contact étroit avec les examinateurs, participent aux commissions ministérielles, et alimentent le corps des inspecteurs généraux. Les professeurs de province se sentent en position d’infériorité. C’est pour mieux défendre leurs intérêts qu’ils décident finalement en 1927, contre la volonté de la majorité de leurs collègues de la capitale, de s’organiser en une Union des professeurs de spéciales. Si, à l’origine, la création de cette association est le fruit des tensions internes au milieu des professeurs de spé, son existence ultérieure, jusqu’à aujourd’hui traduit plutôt la spécificité de ce milieu au sein du corps des professeurs de lycée. Cette tendance va d’ailleurs se renforcer au cours du siècle, avec la croissance des effectifs du corps enseignant secondaire, qui réduit de plus en plus la part des anciens normaliens où se recrutent exclusivement les professeurs de spé. Un autre phénomène majeur affecte les classes préparatoires de la Belle époque : c’est l’essor rapide de l’enseignement supérieur, en particulier de l’enseignement supérieur scientifique, 20 Une histoire des C.P.G.E. dont l’existence était à peu près nulle avant 1880. Cet enseignement supérieur s’intéresse en particulier à la formation des cadres techniques. Plusieurs universités créent ainsi autour de 1900 des instituts universitaires délivrant des diplômes d’ingénieurs. Tout naturellement, vers 1900 les enseignants du supérieur commencent à revendiquer pour eux la préparation aux grandes écoles. Cette revendication, qui reviendra souvent au cours du Xxe siècle, n’aboutit pas, car elle se heurte à l’opposition conjuguée des grandes écoles et des professeurs des classes préparatoires. L’offensive permet seulement d’imposer une réforme de l’organisation des épreuves de concours et de leurs programmes, qui sont revus et mis à jour en 1905. La place des sciences physiques est augmentée par rapport aux mathématiques, qui continuent cependant à avoir la part du lion. La préparation est étendue officiellement à deux ans et les classes préparatoires de première année qui existaient déjà dans certains lycées sous le nom de classe de mathématiques élémentaires supérieures, sont généralisées sous le nom de classes de mathématiques spéciales préparatoires. Ces classes seront rebaptisées sous l’Occupation classes de mathématiques supérieures. Toujours en 1905, l’inspection générale obtient un droit de regard sur la nomination des examinateurs et le choix des sujets. A l’École polytechnique le jury d’admission doit rédiger un rapport auquel les professeurs de spé ont accès après 1920 et qui deviendra public après 1945. Alors que l’histoire des classes préparatoires scientifiques remonte au début du XIXe siècle et même, comme on l’a vu, au-delà, les classes préparatoires littéraires et commerciales sont beaucoup plus récentes. La création des Khâgnes est liée au concours de l’École normale supérieure de la même manière que celle des taupes est liée au concours de l’École polytechnique. Pendant longtemps, cependant, les candidats au concours littéraire de l’École normale se préparent dans les classes de rhétorique des lycées, où ils reviennent après avoir passé leur baccalauréat de philosophie. C’est en 1880 que sont créées dans quelques lycées des classes de rhétorique supérieure, spécialement réservées à cette préparation. La plupart, cependant, ne sont que de simples subdivisions des classes de rhétorique. Seuls quelques-unes sont autonomes. Les plus importantes de ces Khâgnes, et de très loin, sont celles de Louis-leGrand et d’Henri IV, qui sont subdivisées en deux années, hypokhâgnes et khâgnes, dès le début du Xxe siècle. Si ces classes ont un rayonnement notable – on songe à l’influence d’Alain, qui enseigne longtemps la philosophie dans la khâgne d’Henri IV- en formant l’élite littéraire, elles pèsent peu au point de vue numérique avant les années 1960. Quand aux classes préparatoires économiques et commerciales, leur origine est beaucoup plus récente. Si les premières grandes écoles de commerce sont créées à la fin du XIXe siècle, le système de 21 recrutement par concours ne se met en place qu’au siècle suivant et la préparation est assurée pour l’essentiel par l’enseignement privé. C’est seulement après 1970 que se multiplient les prépas HEC dans les lycées. La croissance a été fulgurante à partir de 1980. Le système des classes préparatoires est lié à celui des grandes écoles recrutant sur concours, qui prend véritablement naissance à la fin du XIXe siècle avant de se développer au siècle suivant. La réorganisation d’ensemble des écoles d’ingénieurs autour de la question du diplôme, dans les années 1930, favorise son expansion progressive. Au terme d’un long travail d’homogénéisation et de différentiation, qui dure une trentaine d’années, ces écoles s’intègrent dans une pyramide dont les différents niveaux sont déterminés par le concours. L’extension après 1945 du principe méritocratique à l’ensemble des carrières administratives et économiques supérieures, avec la création de l’ENA et le développement des grandes écoles de commerce aboutit à la mise en place dans les années 1960 du système des grandes écoles tel qu’il existe encore aujourd’hui, et à celui des classes préparatoires qui en est l’appendice. On notera cependant qu’en dépit de tout, le nombre des préparationnaires à la fin des années 50 n’est pas supérieur à celui de la fin du XIXe siècle. Cette stagnation met en évidence un profond malthusianisme, qui n’est pas l’apanage d’ailleurs des grandes écoles et de leurs préparations mais qui caractérise, en fait, également l’enseignement secondaire, ou du moins celui des lycées, pendant les deux premiers tiers du XXe siècle. Je laisse à Christian Baudelot et ses complices le soin de nous éclairer sur l’évolution des classes préparatoires au cours du dernier tiers du XXe siècle. Ils sont beaucoup plus compétents que moi pour le faire. Je voudrais cependant pour terminer et avant de leur laisser la parole soulever quelques questions en me plaçant au point de vue de la longue durée. Les classes préparatoires constituent un élément d’un dispositif plus vaste, celui des grandes écoles, dont la pièce essentielle est le recrutement par concours. On a vu que ce mode de recrutement remonte à la fin du XVIIe siècle, quand est créé par Vauban un examen d’admission dans le corps des ingénieurs des fortifications. Depuis l’origine, on n’a cessé d’insister, avec plus ou moins de raisons, sur deux avantages de ce mode de sélection méritocratique : en écartant la recommandation, il est ouvert à tous, selon leurs talents et leur travail ; en obligeant tous les candidats à se préparer intensément, il assure une grande homogénéité de la formation. Au début du XIXe siècle, ce système a suscité l’admiration 22 Une histoire des C.P.G.E. partout en Europe. Des écoles comme l’École polytechnique ou l’École centrale ont servi de modèles, imités dans de nombreux pays, y compris aux Etats-Unis. Mais, il y a eu depuis un développement extraordinaire des universités. Aux Etats-Unis par exemple, les engineering schools et les business schools ont un statut universitaire. De même en Allemagne ou en Angleterre. Il n’existe pas de système de concours homogène. Les établissements sont beaucoup plus grands et profitent des synergies qu’offre l’intégration dans de vastes structures universitaires. Le MIT compte 20000 étudiants, contre 500 à peine pour l’École polytechnique qui voudrait se comparer à lui. En France, où l’enseignement universitaire s’est développé plus tard et plus faiblement, l’histoire a été différente. On est resté sur le modèle mis en place au début du XIXe siècle, pour la formation des élites scientifiques et techniques. On insiste souvent sur son degré d’excellence, qui est réel. On veut moins souvent voir ses défauts, qui sont évidents : étroitesse, auquel ne peuvent remédier ni l’explosion du nombre des classes prépas, ni l’harmonisation entre les écoles ; malthusianisme, qui reste celui d’une filière fortement hiérarchisée et isolée du système global de formation supérieure, élitisme, d’une formation financièrement avantagée, pour une population scolaire le plus souvent déjà favorisée socialement. Notre système des grandes écoles est typique d’un mal français : on s’illusionne pour ne rien changer. Si on veut remédier un jour aux faiblesses criantes de notre enseignement supérieur, que tout le monde reconnaît, il faudra bien aussi réformer en profondeur notre système des grandes écoles et, avec lui, un système des classes préparatoires qui a aujourd’hui plus de deux siècles. *** 23 24 Les C.P.G.E. au fil du temps : une étude statistique et sociologique (Acte I) Les CPGE au fil du temps Christian Baudelot (Département de sciences sociales, Ecole normale supérieure) Brigitte Dethare, Sylvie Lemaire et Fabienne Rosenwald (Direction de l’Evaluation et de la Prospective, Ministère de la Jeunesse, de l’Education Nationale et de la Recherche) Nous connaissons, désormais, grâce à l’exposé de Bruno Belhoste, les origines historiques des classes préparatoires et des grandes écoles ainsi que la place très originale, qu’elles occupent dans le système français. Le caractère duel de notre enseignement supérieur et les classes préparatoires participent de cette exception française qu’il est si difficile d’expliquer simplement à l’étranger...Et pour cause, puisque ce fer de lance de l’école laïque et républicaine est le fruit de l’église et de l’armée ! Héritage composite qui réunit des aspects empruntés aux Collèges des Jésuites, à la formation des officiers des corps techniques des armées de l’Ancien régime et de l’Empire, à la recherche démocratique des talents inspirée par la Convention, à la volonté des entreprises et de l’Etat de sélectionner et de former les cadres dont ils ont besoin. Sources diverses qui partagent pourtant un point commun : une méfiance séculaire à l’égard de l’Université, jugée a priori incapable de former efficacement les cadres scientifiques et techniques dont l’Etat puis les entreprises avaient besoin. La division du travail est la suivante : à l’Université de former les « clercs », les intellectuels, savants et autres hommes de culture. Aux grandes écoles et aux classes préparatoires la mission de choisir et de former des professionnels chargés d’encadrer les diverses fonctions scientifiques, techniques de l’Etat et des entreprises. Après la fresque historique de long terme, voici venu le temps d’une autre fresque, de moyen et de plus court terme, telle que peut la brosser la statistique. Les données statistiques que nous allons vous présenter permettent de se faire une idée précise de la place qu’occupe aujourd’hui les classes préparatoires dans l’enseignement supérieur ainsi que des évolutions récentes et même de moyen terme. La très grande qualité des statistiques scolaires établies depuis plus de cinquante ans par les services du Ministère – autre exception française, l’excellente qualité des services statistiques – permet de remonter assez loin (années 60) mais surtout de combiner deux approches : une approche institutionnelle et une approche individuelle. La première est synchronique ou plutôt synchro-diachronique ; elle dresse le tableau de la situation une année donnée ou une série d’années données par des courbes ou des graphique. La seconde, beaucoup plus individuelle est longitudinale ; elle retrace l’itinéraire scolaire d’une génération. Elle est ainsi capable de reconstituer le processus de sélection continu qui isole progressivement dès la classe de sixième les cinq petits pour cent de leur génération qui entreront dans une classe préparatoire. Cinq petits pour cent d’une génération, telle est la dimension exacte de la population qui nous réunit tous dans le cadre de ce colloque. L’articulation de ces deux approches est absolument nécessaire. Complémentaire de la vision historique qui vient de nous être présentée, elle montre combien le système des classes préparatoires ne constitue pas seulement un petit morceau de notre enseignement supérieur mais comment, au contraire, il fait corps avec la conception de l’excellence scolaire à la française, telle que la République l’a empruntée aux Jésuites, aux Armées de l’Ancien régime et à l’administration de l’Empire, in saecula saeculorum. 25 L’articulation de ces deux approches permet aussi d’identifier des marges d’action. Elle permet en particulier de repérer de nouveaux viviers susceptibles de renouveler et d’élargir la base sociale, scolaire et géographique des publics des CPGE. Elle appelle ainsi à modifier le profil des élites de demain de manière à ce qu’ils soient plus en phase avec les transformations des emplois et des métiers de la France de demain. *** Acte I Les graphiques permettant de suivre l'exposé sont à la fin de celui-ci. Attention : pendant la première partie de l’étude, le champ considéré est celui des classes préparatoires publiques relevant du Ministère de l’Education Nationale. Les autres CPGE (celles du ministère de l’agriculture, de la défense ainsi que les écoles privées) représentent en 2002, 17 % des effectifs, soit 12600 étudiants. Mais pour des raisons de suivi sur longue période et de meilleures statistiques sur différentes variables nous ne les avons pas incluses dans notre étude. Commençons par le début et observons l’évolution des effectifs des classes préparatoires depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, soit plus d’un demi-siècle. Le profil d’ensemble est à la hausse, avec trois périodes bien distinctes : une montée en charge de la fin des années 40 à 1985, un fort et vif accroissement, pendant dix ans, de 1985 à 1995, suivi d’un plateau où l’effectif demeure à peu près constant frôlant sans jamais l’atteindre les 60 000 élèves. Plus précisément si en 1947 seulement 8 600 élèves étaient en classes préparatoires, ils sont actuellement 58 600 soit près de 7 fois plus. De 1975 à 2000, en 25 ans, les effectifs ont doublé en CPGE. La hausse a été particulièrement forte de 85 à 95 (+ 55%) (avec +40% de 85 à 90) puis on a assisté à une légère baisse de 95 à 2 000 suivie d’une légère remontée de 2 000 à 2 002. Cette progression des effectifs des CPGE ne s’est pas effectuée au détriment de la capacité de l’Education Nationale à former une élite scolaire. En effet la Direction de l’Evaluation et de la Prospective a évalué en 1993 les connaissances et compétences scolaires des " meilleurs élèves " et les a comparées à celles de leurs aînés des années 50, 60, 70 et 80. Les conclusions de l'étude sont claires : ces compétences scolaires prises globalement étaient stables et même en légère croissance. Croissance des effectifs de l'élite scolaire et maintien de son niveau d'excellence sont donc allés de pair. Lorsqu’on fragmente cet ensemble « classes préparatoires, toutes filières confondues », en ses trois composantes – classes préparatoires scientifiques, économiques et commerciales, littéraires, les khagnes BL étant regroupées avec les prépas littéraires -, on s’aperçoit que : Les 3 filières de CPGE qui se distinguent à la fois par leurs évolutions mais également par leur contribution à l’évolution totale ont connu chacune leur propre rythme de développement 26 Les C.P.G.E. au fil du temps : une étude statistique et sociologique (Acte I) Ainsi, de 1975 à 2002, l’ensemble des effectifs des CPGE a augmenté de 95%. - les effectifs des classes scientifiques ont augmenté de 82% - les effectifs des classes économiques ont augmenté de 214% - et les effectifs des classes littéraires ont augmenté de 63% Lors de la période 85 à 95, ce sont les prépas scientifiques qui tirent l’évolution vers le haut ; elles sont relayées de 95 à 2000 par un boom des classes économiques et commerciales qui sont les seules à augmenter à ce moment. De 2000 à 2002, toutes les filières augmentent, mais les classes littéraires relativement plus que les autres. Finalement - les prépas scientifiques se taillent la part du lion puisqu’à elles seules elles constituent, tout au long de la période, près des deux tiers des effectifs. C’est à elles qu’on doit la forte croissance observée entre 1985 et 1995, les deux autres composantes ne se caractérisant par aucune inflexion forte à la hausse. La forte progression de 85 à 95 se retrouve quelles que soient les filières mais elle est surtout expliquée par la forte augmentation des filières scientifiques. - ne représentant à elles deux qu’un tiers des effectifs, les prépas commerciales et littéraires ont une influence moins accentuée. Cependant elles contribuent fortement aux évolutions récentes. Ainsi, de 1995 à 2000, les effectifs des CPGE ont baissé de 1,6% mais la filière économiecommerce a connu, et c’est la seule filière, une hausse de 31%. Cette augmentation s’explique en partie par la réforme de 95, c’est-à-dire, le passage de un à deux ans de la scolarité des prépas économiques et commerciales option scientifique et économique. Conséquence de tout cela : les prépas commerciales et économiques dont les effectifs étaient en début de période inférieurs à ceux des prépas littéraires, les dépassent en 1995 et comptent désormais 2 000 élèves de plus. Une comptabilité plus précise de l’évolution des volumes respectifs de ces trois composantes met en évidence un net accroissement de la part des prépas économiques qui, en 25 ans, passent de 13 à 20%. Cette percée réduit donc mécaniquement les parts relatives des deux autres composantes – scientifiques et littéraires – sans que ces dernières voient baisser leurs effectifs. Avant 1995, sur 10 élèves de CPGE, 7 étaient des scientifiques, 2 des littéraires et 1 un économiste. En 2002, sur 10 élèves, 6 sont des scientifiques, 2 des littéraires et 2 des économistes. On assiste donc à une redistribution des scientifiques vers les économistes-commerciaux. Tout cela est bel et bon, dira-t-on, mais une croissance des effectifs n’a de sens que si on la rapporte à la croissance des effectifs des autres composantes de l’enseignement supérieur, les universités, bien sûr mais aussi les autres secteurs sélectifs, Iut, Sts… Chacun sait en effet que depuis les années 60, les effectifs de l’enseignement supérieur ont explosé, le nombre d’étudiants passant de 310 000…. en 1960 à 2 millions 2…. en 2002. Soit un facteur 7. 27 La seule vraie question est donc de savoir si les effectifs des prépas ont cru plus, autant ou moins que les autres secteurs de l’enseignement supérieur, ceux du premier cycle universitaire en particulier. Et là, surprise : miracle de la statistique et de ses fonctions d’objectivation. En dépit des fortes variations des effectifs enregistrées dans la première courbe, en dépit des transformations de la composition organique des prépas (plus de prépas commerciales et économiques), en dépit de toutes ces créations de classes ici et là, au prix d’un travail acharné de chefs d’établissements et des associations professionnelles qui devaient développer des trésors d’ingéniosité et d’obstination pour faire ouvrir dans leur établissement qui une khagne BL, qui une taupe M, ou une prépa Hec, c’est un tableau de la constance et des permanences que la statistique nous invite à contempler. Il en va des statistiques des prépas comme de celles que Durkheim a établies pour le suicide : elles sont animées d’une grande force d’inertie, elles varient très peu. L’information la plus intéressante du graphique réside en effet dans l’alignement des petits bâtonnets bleu roi qui représentent la part occupée par les classes préparatoires par rapport à la part des étudiants de premier cycle des universités. Elle ne varie quasiment pas oscillant légèrement au cours du dernier quart de siècle autour de 7%, tantôt un peu plus, tantôt un peu moins. Dans le cadre d’une tendance générale à la hausse des effectifs de l’enseignement supérieur, les classes préparatoires ont maintenu, à la décimale près, leur place. Ni plus, ni moins. Le phénomène est particulièrement remarquable lorsqu’on sait qu’une partie de la régulation des effectifs est spontanée. Ce quota de 7 % n’a jamais fait l’objet d’une décision politique ou administrative. Nombreux ont également été les bouleversements de l’enseignement supérieur au cours de la période. Or, dans cet ensemble, la proportion des prépas reste constante. Deuxième enseignement de ce graphique, celui qui joue le rôle de trompe l’œil, tant il est spectaculaire :la forte croissance d’autres filières sélectives de premier cycle : IUT et STS. La seule croissance de ces filières réduit considérablement la part des classes prépas proprement dite dans le secteur ouvertement sélectif : elle tombe de 10 points (de 29 à 18). Le secteur ouvertement sélectif se rééquilibre donc au détriment des CPGE et au profit des IUT et STS. Autre évolution importante : la montée des classes BL (sciences économiques et sociales), nouvelles venues dans le paysage qui ont créé un pôle nouveau, un pôle d’avenir au sein des formations littéraires, en recrutant des bacheliers scientifiques et en diversifiant considérablement leurs débouchés : ens, ensae, écoles de commerce, etc…Elles ne représentaient que 4 % des effectifs des khagnes littéraires, elles sont passées à 10 % et ne demandent qu’à croître et embellir. Au terme de ce premier aperçu, il ressort que les Cpge ont évolué, mais qu’elles ont évolué au même rythme que l’enseignement supérieur en général, d’autres structures ouvertement1 sélectives voyant le jour et se développant à leurs côtés. Cependant – spéciale dernière ! ! !- à la rentrée 2002 on observe une forte hausse des nouveaux entrants en CPGE (+3,6%) alors que les nouveaux entrants baissent en IUT (-1,5%) et en STS (-2,5%). *** 1 Nous utilisons à dessein « ouvertement » car d’autres instances de premier cycle sont « fermement sélectives » dans la mesure où elles exigent une certaine section de bac pour inscrire les étudiants : fac de sciences et d’économie ne recrutent que des bacs C ou S. 28 Les C.P.G.E. au fil du temps : une étude statistique et sociologique (Acte I) Il importe maintenant de compléter cette première vue d’ensemble par une analyse plus détaillée des évolutions internes. De mieux caractériser les différentes populations qui composent cet ensemble et ses sous-ensembles. Chercher à savoir comment au fil du temps, les classes préparatoires se distribuent sur l’ensemble du territoire, entre Paris et la Province, distinction stratégique en France. Se demander si le procès qu’on leur fait souvent de n’attirer que des garçons et de repousser les filles est fondé ou si les filles au contraire ne commencent pas à conquérir à leur manière ce nouveau territoire. S’interroger également sur leur recrutement scolaire. Et puis aussi d’avoir des idées plus claires sur l’évolution de son recrutement social. Chacun se souvenant de l’article de Michel Euriat et Claude Thélot qui montrait qu’en trente ans les chances d’un enfant d’origine populaire d’entrer dans l’une des quatre très grandes écoles (Ens, X, Hec, Ena) sont demeurées constantes : 24 fois moins de chances qu’un élève originaire d’un autre milieu. Longtemps, le centralisme jacobin (qui existait déjà sous l’Ancien Régime ! ! !) a fait de Paris le foyer unique des lumières, la capitale concentrant les meilleures formations. De fait, Paris et la région parisienne abritaient en 1970, 40 % des élèves scolarisés en classes préparatoires. Les trente dernières années du siècle passé ont sensiblement corrigé cette disparité majeure. Soixante dix pour cent des effectifs étudient désormais dans des classes préparatoires situées en dehors de la Région Parisienne, sur l’ensemble du territoire, les parts de la Région parisienne et de Paris intra muros étant respectivement tombées en trente ans de 40 à 33 et de 30 à 19. Aujourd’hui, seul un élève de prépa sur cinq est scolarisé à Paris. On a donc une redistribution vers la province et à l’intérieur de l’Ile de France hors de Paris. Progrès certes mais qui semble avoir atteint un palier. La situation ne progresse plus depuis 1995.… Et le poids de Paris reste encore très élevé : il existe une forte redistribution des élèves entrant en classes prépas avant et après l’obtention de leur baccalauréat. Les bacheliers parisiens inscrits en CPGE ne représentent que 8% du total des bacheliers qui continuent en CPGE. Or, 17% - un peu plus du double - des bacheliers entrant en CPGE font leur scolarité à Paris. De plus, si toutes les académies de France possèdent des classes préparatoires, les capacités d’accueil sont très variables : en France métropolitaine et sans l’académie de Corse, .le rapport est de 1 à 24 entre l’académie dotée de la capacité d’accueil la plus faible (Limoges avec 470 élèves) et l’académie dotée de la capacité d’accueil la plus large (Paris avec 11 130 élèves). Six académies (Paris, Versailles, Lyon, Lille, Rennes et Toulouse) sur 26 concentrent à elles seules près de la moitié des effectifs. Rien d’étonnant, dans ces conditions, si les élèves de CPGE sont plus mobiles que les autres étudiants du supérieur. De fait, les CPGE suscitent d’importants flux migratoires. Alors qu’un étudiant sur dix change d’académie après son bac, c’est le cas d’un préparationnaire sur quatre. Plus précisément, sur l’ensemble des élèves qui continuent après leur baccalauréat en CPGE : 10% quittent une académie de province pour aller à Paris, 14% changent d’académie dans le sens province … province, 1% vont de Paris vers la Province et les trois autres quarts ne changeant pas d’académie. 29 Il existe par contre une bonne raison de se réjouir, sans devoir le moins du monde bouder son plaisir. Il s’agit à coup sûr de la transformation la plus importante intervenue au cours des cinquante dernières années dans l’univers des clases préparatoires. La percée scolaire des filles. Certes, on est encore loin de la parité. Surtout, les classes préparatoires accusent un retard considérable sur l’évolution en cours dans toutes les autres instances de l’enseignement, médecine comprise. La percée des filles s’est effectuée là avec retard et sur un rythme moins soutenu qu’ailleurs. Mais il faut pour mesurer à sa juste valeur ces évolutions récentes se souvenir d’où l’on part, c’est-à-dire d’un état voisin du degré zéro. Ces classes, héritées, rappelons-le des collèges des Jésuites, avaient gardé de l’Eglise cette défiance dont toutes les religions ont toujours fait preuve à l’égard des femmes. S’agissant de former l’élite intellectuelle du pays, ces classes ne pouvaient recruter que des hommes. Les grandes écoles étaient des écoles de garçons. Ce n’est plus le cas. Si le rythme de croissance des années récentes de 1 % par an se maintient, la parité sera enfin réalisée vers 2009 ou 2010, ce qui a longtemps été exclu des imaginations les plus hardies. Petite ombre au tableau, toutes les filières ne sont pas également féminisées. Et une analyse plus fine des prépas scientifiques montre que la poussée des filles est forte dans les classes bio et plus faible, beaucoup plus faible dans les prépas Maths et Physique. Par contre, les filières « modernes », économiques, commerciales et sciences sociales se caractérisent par des poussées significatives. La « femme étant l’avenir de l’homme », ne sont-ce pas ces filières qui sont aujourd’hui, le plus porteuses d’avenir ? ? ? ? Si certaines filières ne sont pas encore assez féminisées (le noyau dur des prépas scientifiques), certaines par contre, le sont trop (les prépas littéraires, avec près de 80 % des filles). L’équilibre étant presque atteint par les préparations commerciales. Phénomène là encore très récent : l’art de la vente et des échanges a longtemps été un apanage masculin, associé à la faconde (voir le personnage de Gaudissart chez Balzac). Depuis que ces professions commerciales et économiques sont devenues plus scientifiques et rationnelles (marketing, études de marché, prévisions, modèles économétriques, direction de grandes surfaces…), elles se sont ouvertes aux femmes qui y font merveille. Idem pour la filière B/L, sciences économiques et sociales. A chacun de se demander où est la cause, où est l’effet ? Mais, en dépit de ces fortes disparités sectorielles, les pentes sont à la hausse dans les trois secteurs. Le retard accumulé dans le domaine des prépas scientifiques et surtout dans son noyau dur (maths-physique) constitue à lui seul un grave problème. Ne nous laissons pas berner par les représentations graphiques. N’oublions pas que la micro flûte de Pan à gauche (celle des prépas scientifiques), qui se font toutes petites, lorsqu’il s’agit d’enregistrer la progression des filles, dissimule sous sa taille modeste les gros bataillons des prépas. Souvenons-nous des premiers schémas. La courbe des évolutions des effectifs par sexe montre avec clarté un phénomène décisif, confirmé par beaucoup d’autres analyses. Les effectifs masculins stagnent ou régressent, ceux des filles ne cessent de progresser. Autre phénomène non négligeable : les filles contribuent plus que les garçons proportionnellement à leur poids à la croissance des effectifs en CPGE. Ainsi de 1975 à 2002 les effectifs de filles en CPGE ont augmenté de 172% alors que ceux des garçons n’augmentaient que de 60%. Ce sont les filles qui ont le plus contribué à la croissance totale des effectifs de CPGE et leur poids augmente donc de 1975 à 2002 comme nous l’avons vu précédemment. Ce phénomène se retrouve quelle que soit la filière de CPGE. 30 Les C.P.G.E. au fil du temps : une étude statistique et sociologique (Acte I) Récemment, de 2000 à 2002, les effectifs de garçons baissent de 1% alors que les effectifs de filles augmentent de 7%. Ces évolutions inverses se retrouvent également quelle que soit la filière. C’est donc aux filles qu’on doit dans les dernières années le maintien et la progression du poids des classes préparatoires dans le système d’enseignement supérieur français. Ce mouvement est particulièrement net dans le secteur des prépas commerciales. Par contre, la décroissance sensible de la participation masculine aux formations littéraires pose un problème du même ordre que la sous représentation des filles dans les prépas scientifiques. Le moment est venu d’aborder un sujet délicat. Celui du recrutement social des classes préparatoires et de son évolution. Afin de ne pas froisser des oreilles sensibles par un discours trop appuyé sur la reproduction, nous avons opté pour une présentation muette en laissant cette fois les faits parler d’eux-mêmes. Car ils sont éloquents….. Mais ces disparités sociales se construisent tout au long de la scolarité. En matière sociale, une situation n’est jamais désespérée. La connaître de façon objective constitue un premier pas pour la transformer. Une analyse des évolutions récentes des baccalauréats indique l’existence de nouveaux viviers. De nouveaux viviers Les analyses précédentes des évolutions des CPGE permettent déjà d’identifier deux viviers d’élèves pour les CPGE mais également de mettre en évidence une certaine démocratisation des recrutements en CPGE sur 25 ans. Un troisième vivier apparaîtra à la fin de l’ Acte II.. a) les bacheliers technologiques. Globalement, la courbe des bacheliers a la même allure que celle des effectifs de CPGE avec des différences qui sont liées au comportement des différents bacs, des différentes séries composant le bac général, mais surtout aux taux de poursuite des bacheliers en CPGE. Ces deux facteurs ont joué de grands rôles sur la période et la hausse des effectifs de CPGE est due à la fois à une augmentation du nombre de bacheliers mais également à une croissance de leurs taux de poursuite en CPGE. Ainsi, de 1975 à 2002, le nombre de bacheliers généraux a augmenté de 63% et celui des bacheliers technologiques de 170%. Parallèlement de 1975 à 2002 les effectifs des entrants en CPGE venant d’un bac techno de 2288% et ceux d’un bac général de 79%, donc beaucoup plus que leur effectifs au bac. On assiste donc à une hausse des taux de poursuite des bacheliers en CPGE à la fois pour les bacheliers généraux et pour les technologiques. On a le même phénomène quelle que soit la série au bac général : 5% des bacheliers L continuaient en CPGE en 75, ils sont 7,1% en 2002, 2% des bacheliers ES continuaient en CPGE en 75, ils sont 4,5% en 2002, 15,6% des bacheliers S continuaient en CPGE en 75, ils sont 17,3% en 2002. 31 Les taux de poursuite jouent un rôle essentiel mis un peu compliqué à analyser puisqu’ils mesurent à la fois un attrait pour les CPGE, un nombre de places disponibles mais également un degré de sélectivité, ces trois facteurs n’étant pas totalement indépendants entre eux : De 1985 à 1995 le nombre de bacheliers généraux a plus augmenté que celui des entrants en CPGE : ce sont en effet les taux de poursuite des bacheliers généraux, les S et dans une moindre mesure les L, et ceux des bacheliers technologiques qui ont baissé entraînant une moindre hausse des CPGE. De 1995 à 2000 le nombre de bacheliers généraux a baissé de 6% mais celui des bacheliers technologiques a augmenté de 10%, or les effectifs des entrants en CPGE connaissent sur la même période une baisse de 6% : cette fois les taux de poursuite des bacheliers généraux ont légèrement baissé, en raison d’une forte baisse des taux de poursuite des bacheliers S contenue par une hausse des celles des bacheliers L et ES. Par contre les taux de poursuite des bacheliers technologiques ont augmenté. Par contre, de 2000 à 2002 le nombre de bacheliers généraux a baissé de 5%, celui des bacheliers technologiques de 7% alors que les effectifs des entrants en CPGE augmentaient quel que soit le bac et la série. Donc les taux de poursuite ont augmenté et permis d’enrayer la baisse des effectifs de bacheliers. Cette hausse des taux de poursuite des bacheliers généraux en CPGE a permis de compenser la baisse des bacheliers généraux et plus particulièrement celle des bacheliers S si bien qu’on assiste en 2002 à une hausse des entrants en 1ère année de CPGE alors qu’on on une baisse des effectifs en IUT et STS. Dans la conjoncture démographiquement déprimée que nous connaissons, les CPGE demeurent toujours attractives. Si on examine plus finement le profil des bacheliers on constate une redistribution des profils des élèves en terminales et en CPGE en terme de bac, de séries mais également d’options. Cependant cette redistribution a évolué dans le temps. En 1975, au baccalauréat général ou technologique on avait 75% de bacheliers généraux et 25% de bacheliers technologiques. Plus précisément parmi les bacheliers généraux 33% avaient un bac A, 14% un bac B et 53% un bac C, D , D’ ou E (et 37% d’entre eux un bac C). Toujours en 1975, les bacheliers qui se retrouvent en CPGE étaient pour 99,6% des bacheliers généraux et pour 0,4% des bacheliers technologiques. Plus précisément parmi les bacheliers généraux qui entrent en CPGE 17% avaient un bac A, 3% un bac B et 80% un bac C, D , D’ ou E ( avec 80% d’entre eux un bac C). En 2002, au baccalauréat général ou technologique le poids des bacheliers technologiques a été multiplié par 1,4 et leurs effectifs par 3 : on a 65% de bacheliers généraux et 35% de bacheliers technologiques. Plus précisément parmi les bacheliers généraux 19% ont un bac L, 31% un bac ES et 50% un bac S. Et en 2002, soit 27 ans plus tard, le poids des bacheliers technologiques en CPGE a été multiplié par 12 et leurs effectifs par 24: les bacheliers qui se retrouvent en CPGE sont pour 5% des bacheliers technologiques. Plus précisément parmi les bacheliers généraux qui entrent en CPGE 12% avaient un bac L, 12% un bac ES et 76% un bac S. 32 Les C.P.G.E. au fil du temps : une étude statistique et sociologique (Acte I) Aussi, les bacheliers technologiques rendent compte, à eux seuls, entre 1975 et 2002 de 10% de l’évolution des effectifs d’ensemble. Alors qu’ils ne représentaient que 0,4 % des effectifs de CPGE en 1975, ils en représentent 5 % aujourd’hui. Leurs taux de poursuite en CPGE a été multiplié par 10. Mais cela reste faible : si seulement 0,1% d’entre eux entraient en CPGE en 1975, ils sont 1% actuellement. Autre mesure qui confirme la première. Les rapports de chances relatives d’entrée en CPGE, entre un bachelier général et un bachelier techno, un bachelier S et un autre bachelier ont diminué depuis 75. On enregistre ainsi une diminution des disparités scolaires face à l’entrée en CPGE. b) Les filles De 1975 à 2002, le nombre de bachelières générales a augmenté de 70% alors que celui des bacheliers généraux n’augmentait que de 54%. Le nombre de bachelières générales série S a augmenté de 59% alors que celui des bacheliers généraux n’augmentait que de 47%. Le poids des filles a donc augmenté au bac général et au bac S mais également en ES et L. Sur la même période leur présence en CPGE a été multipliée par trois, donc plus que leurs effectifs au baccalauréat. Leur taux de poursuite en CPGE a donc cru fortement. De plus, quelle que soit la filière les effectifs de filles ont plus augmenté que ceux des garçons si bien qu’elles expliquent, à elles seules, plus de la moitié de la croissance des effectifs en CPGE de 1975 à 2002 alors qu’elles représentent bien moins que la moitié des effectifs. Cette forte contribution des filles aux évolutions des CPGE est due à la fois à une augmentation des effectifs de bachelières, à une hausse de leur poids au bac mais également à une progression de leur taux de poursuite en CPGE. Allons plus loin : depuis 1995, c’est la poussée des filles qui soutient les Cpge puisque les effectifs masculins diminuent. Alors qu’elles ne représentaient que 30 % des effectifs, elles passent à 40 aujourd’hui. Il y a là un fort potentiel : d’autant qu’elles sont plus souvent bachelières, qu’elles obtiennent plus souvent avec une mention. Or, ces poids des filles dans les différentes séries au bac et cette meilleure réussite des filles ne se retrouve pas en CPGE lorsqu’on examine le poids des filles. Les réserves sont grandes et forte est la marge d’accroissement. Les filles ont toujours moins de chances d’entrer en classes prépa que les garçons mais l’écart se resserre. Les rapports de chances relatives d’entrée en CPGE, entre un bachelier et un bachelière ont diminué depuis 75. On enregistre ainsi une diminution des disparités filles/garçons face à l’entrée en CPGE. Nous tirerons de ce premier acte, 5 conclusions : 33 a) forte résistance de l’institution qui évolue en s’adaptant à la montée des effectifs dans l’enseignement supérieur, sans la moindre baisse de qualité b) montée en puissance d’autres filières « ouvertement sélectives » c ) poussée forte des filles et significatives des bacs technologiques, qui constituent de nouveaux viviers à la fois par une progression de leur effectifs en amont (au bac) en absolu et en relatif et par de meilleurs taux de poursuite en CPGE. Mais il reste de la marge. d) maintien d’une forte sélection sociale qui doit être tempérée par le fort accroissement dans la population active des catégories de cadres intellectuels moyens et supérieurs. e) Mais baisse de la disparité par sexe et par origine scolaire. *** 34 Les C.P.G.E. au fil du temps : une étude statistique et sociologique (Acte I) Les grandes évolutions Evolution des effectifs des classes préparatoires - publiques MEN 70000 58157 60000 58572 57251 57460 2000 2001 52547 50000 37519 40000 30078 22716 30000 33531 27387 14925 20000 8619 10000 0 1947 1958 1964 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2002 Rentrées LES DIFFERENTES PARTS AU COURS DU TEMPS DES FILIERES SCIENTIFIQUES, LITTERAIRES ET ECONOMIQUES 45 000 39 728 40 000 36 703 35 256 36 827 37 152 35 000 30 000 25 000 18 382 20 450 22 347 24 466 20 000 15 000 10 000 6 300 5 849 6 496 5 000 2 705 0 1970 3 779 1975 4 688 1980 7 071 5 982 1985 Classes scientifiques 9 179 8 112 1990 9 671 8 758 1995 Rentrées Classes économiques 35 11 882 11 481 11 383 9 067 9 250 9 538 2000 2001 2002 Classes littéraires Le poids des cpge dans le premier cycle 30,0 29,3 26,4 23,8 25,0 22,4 19,5 18,1 20,0 18,6 18,2 15,0 10,0 7,5 5,0 7,0 6,0 6,8 6,4 5,5 5,2 5,0 6,8 6,8 5,0 7,2 7,1 5,1 5,0 5,2 0,0 1975 1980 1985 1990 1995 CPGE/filières sélectives (STS + IUT + CPGE) 2000 2001 cpge/1er cycle universitaire 2002 CPGE/ensemble Evolution du poids Paris/province 61,0 69,1 69,4 68,2 67,0 70,0 % Paris 68,9 61,9 60,0 50,0 40,0 30,3 28,5 30,0 20,9 19,7 18,4 20,0 19,0 18,7 10,0 0,0 2002 2001 2000 1995 1990 1980 1970 -200 -200 -200 6 1 2 3 1 -199 -199 -81 -71 36 % Ile de France % Province Les C.P.G.E. au fil du temps : une étude statistique et sociologique (Acte I) Evolution de la part des filles dans les classes préparatoires (Education nationale) 100 90 80 Elèves 70 60 50 40 31 33 1975-76 1980-81 37 38 1990-91 1995-96 41 42 43 2000-2001 2001-2002 2002-2003 30 20 10 0 Garçons Filles et garçons dans les classes scientifiques Filles 30 000 29 394 25 000 27 205 20 000 26 426 26 629 26 446 18 177 16 788 27205 15 000 10 334 10 000 10 401 10 074 10 706 8 051 3 662 5 000 4952 4 170 0 3 00 -2 02 20 Garçons dans les classes littéraires Filles 8000 2 00 -2 01 20 1 00 -2 00 20 6 -9 95 19 1 -9 90 19 5 -8 84 19 0 -9 80 19 6 -7 75 19 Garçons Dans les classes économiques et commerciales Filles 8000 7085 6529 7000 7165 7165 6611 7000 7412 5842 6000 6000 5346 4785 5000 5000 4952 4000 3000 4772 4797 4000 3084 3833 2275 2484 5071 4586 4102 3973 3000 1910 2826 2000 2000 2270 2506 2120 2085 2126 2000 2204 1000 1000 1504 1747 0 0 03 -20 02 20 02 -20 01 20 01 -20 00 20 -96 95 19 -91 90 19 -86 85 19 -90 80 19 -76 75 19 03 -20 02 20 02 -20 01 20 01 -20 00 20 6 5-9 199 1 0-9 199 5 4-8 198 1 0-8 198 6 5-7 197 37 L’origine sociale des étudiants dans les classes scientifiques 50,0 44,7 43,7 43,5 43,9 44,2 44,2 28,8 28,9 28,9 44,8 40,0 28,9 30,0 20,0 28,3 27,9 14,7 14,9 14,7 13,7 10,0 13,3 11,7 15 14,9 14,9 12,4 12 12 28,2 15,2 11,8 0,0 02 20 01 20 00 20 99 19 98 19 97 19 96 19 Milieu supérieur Milieu enseignant Milieu intermédiaire Milieu populaire dans les classes économiques et commerciales 60,0 50,0 52,8 52,0 25,8 26,2 13,2 12,7 9,1 51,3 51,2 51,5 51,5 51,1 26,1 25,7 26,1 26,1 25,5 13,2 9,4 14 13,9 13,9 14,8 9 8,4 8,4 8,6 40,0 30,0 20,0 10,0 8,2 0,0 1996 1997 Milieu supérieur 1998 1999 Milieu enseignant 38 2000 Milieu intermédiaire 2001 Milieu populaire 2002 Les C.P.G.E. au fil du temps : une étude statistique et sociologique (Acte I) dans les classes littéraires 50,0 40,0 44,3 42,7 30,0 26,2 20,0 17,2 10,0 12,2 44,9 43,5 41,8 44,9 45 27,8 26,8 25,8 25,8 25,9 19,5 18,6 18,5 17,4 17,4 11,9 11,8 11,2 12 12 16,6 12,4 25,9 0,0 1996 1997 1998 Milieu supérieur 1999 Milieu enseignant 2000 Milieu intermédiaire 2001 2002 Milieu populaire Les origines sociales des étudiants : 57 % des garçons et 59 % des filles élèves de classes préparatoires sont issus de milieux sociaux supérieurs ou de familles d’enseignants. Lesquels ne représentent que 18% de la population active. La contribution de la Province : - plus d’enfants d’enseignants. - plus d’enfants de classes moyennes. 39 Les origines sociales des élèves selon leurs origines géographiques (1996-1997) 60 Ile de France Province 56,5 50 42,1 40 31,2 30 19,8 20 14,4 13,9 9,3 12,8 10 0 Milieu supérieur Milieu intermédiaire Milieu populaire Milieu enseignant Ile de France Province (2002-2003) 60 56,4 50 41,4 40 31,1 30 19 20 15,3 14,4 13,1 9,3 10 0 Milieu sup?rieur Milieu interm?diaire Milieu populaire Milieu enseignant l'origine sociale des filles selon la classe suivie en 2002-2003 60,0 50,0 50,0 45,1 44,9 40,0 27,9 25,9 26,1 30,0 14,0 13,3 20,0 15,9 13,1 15,6 8,3 10,0 0,0 Sciences Economie Milieu supérieur Milieu intermédiaire Lettres Milieu populaire Milieu enseignant et des garçons selon la classe suivie en 2002-2003 52,8 60 50 40 44,6 44,6 28,7 25,4 25 30 15,3 20 11,4 20,1 13,2 10 9 10 0 Sciences Milieu supérieur Economie Milieu intermédiaire 40 Lettres Milieu populaire Milieu enseignant Les C.P.G.E. au fil du temps : une étude statistique et sociologique (Acte I) MP* Les CSP en MP et MP* PSI* Les CSP en PSI et PSI* PSI MP 60 60 51,3 43,8 50 51,9 43,5 50 40 40 27,7 30 16,8 13,2 20 29,9 23 30 21,4 10,5 15,3 20 10 13,2 15,2 11,9 11,5 10 0 0 Milieu supérieur Milieu enseignant Milieu Milieu populaire intermédiaire Milieu supérieurMilieu enseignant PC* Les CSP en PC et PC* Milieu Milieu populaire intermédiaire PT* Les CSP en PT et PT* PC PT 52,6 60 60 42,4 50 55,4 50 40 30 22,5 33,2 26,6 30 12,7 15,6 12,3 11,6 20 39,2 40 30,4 20 10 10,8 7,2 9,8 17,8 10 0 0 Milieu supérieurMilieu enseignant Milieu Milieu populaire intermédiaire Milieu supérieurMilieu enseignant Milieu Milieu populaire intermédiaire Evolution des bacheliers 600000 501941 500000 478519 400000 281004 300000 250316 200000 148476 137425 100000 90778 59287 0 1960 28000 1970 1975 Bac général 1980 1985 Bac technologique 41 1990 1995 2000 Bac professionnel 2001 2002 Tous bacs Poids des différents types de baccalauréat Bac professionnel 100% Bac technologique 80% 60% 40% Bac général 20% 0% 1960 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2001 2002 Où se sont inscrits les bacheliers technologiques ? 750 687 650 528 550 Elèves 450 Ter STI 350 Ter STL 250 Ter STT 150 50 84 17 14 51 32 25 6 4 6 -50 ENS cachan C PTSI TPC TB TSI 42 Eco opt techno ENS Cachan Autres cpge D2 Les C.P.G.E. au fil du temps : une étude statistique et sociologique (Acte II) Acte II Les données qui vont être présentées dans ce deuxième moment de l’exposé apportent sur la question un autre éclairage, complémentaire au premier. Les premières étaient une succession de photographies instantanées prises, année après année, de la structure : évolution des effectifs, évolution de la part des trois principales composantes (sciences , commerce, lettres), des garçons et des filles, etc…. Les secondes relèvent plus du cinéma que de la photo. Elles retracent des trajectoires individuelles. Issues d’un panel longitudinal, elles situent les élèves de prépas de la fin des années 90 au sein de leur propre génération, celle qui entrait en classe de sixième en 1989. Ces données permettent de saisir directement, depuis la fin de l’école primaire, les facteurs favorables et défavorables à une entrée en classes préparatoire, huit ans plus tard. Elles retracent les étapes d’un processus de sélection continu. Le point de référence auquel sont rapportées toutes les grandeurs est la génération, c’est à dire l’ensemble des filles et des garçons qui se entraient en sixième en 1989. Parmi cet ensemble d’environ 770 000 individus, seuls 38 500 soit 5 % de la génération se retrouvent huit ou neuf ans plus tard élèves d’une classe préparatoire. Cinq % d’une génération, voilà le poids statistique à peu près constant chaque année, de cette élite scolaire. Car à n’en pas douter il s’agit d’une élite scolaire sévèrement sélectionnée qui a su très tôt manifester ses talents. Elite scolaire, certes, mais très inégalement issue des différents milieux sociaux. Il y a, dans ce processus de sélection, deux forces à l’œuvre que l’élitisme républicain aimerait bien dissocier, découpler l’une de l’autre : l’origine sociale et l’excellence scolaire, l’héritage et le mérite.. Depuis la déclaration des droits de l’homme et l’établissement de la République, les seules distinctions légitimes entre les citoyens sont celles qui séparent les talents. Là sont le principe et l’esprit de l’élitisme républicain. La sélection par l’excellence scolaire devrait rebattre à chaque génération les cartes de l’origine sociale. Il n’en va malheureusement pas ainsi : le recrutement des classes préparatoires, antichambre des grandes écoles, offre une image grossie d’un phénomène qu’on retrouve à tous les points du système. Ce sont à coup sûr, les meilleurs élèves qui entrent en classes préparatoires. Il n’est pas question ici de passe droit ; ils en payent le prix en termes d’efforts et de travail, mais l’expérience prouve qu’ils se recrutent beaucoup plus souvent en haut qu’en bas, à excellence scolaire égale. Les futurs élèves de CPGE se recrutent en effet d'abord parmi les meilleurs élèves de leur génération : trois sur quatre avaient ainsi obtenu aux tests d'évaluation organisés au début de la 6ème des résultats qui les plaçaient parmi les 25 % d'élèves les plus brillants. Mais tous les élèves du quartile supérieur n'ont pas la même probabilité d'accéder en classe préparatoire : parmi eux, ceux dont les parents sont enseignants ou cadres supérieurs iront quatre fois plus souvent en classe préparatoire que ceux de milieu populaire. Si on prend l'ensemble des élèves de 6ème, la proportion est de 1 à 10, la probabilité d'accès en CPGE d'un élève du milieu intermédiaire étant à peine plus élevée que celle d'un enfant de milieu populaire. Les vues suivantes illustrent de façon très suggestive, sous la forme de flûtes de pan, la distillation continue qui s'opère à partir de l'entrée en 6ème : les élèves appartenant aux milieux supérieurs sont trois fois plus nombreux parmi les entrants en CPGE que dans l'ensemble de la cohorte des élèves de 6ème. La généralisation de l’accès au bac – qui a constitué un saut quantitatif – modifie peu la distribution des catégories sociales telle qu'on l'observe en 6ème.. 43 Par contre le clivage important - saut qualitatif, celui-là – c'est celui qui sépare l'accès au bac de l'accès à un baccalauréat général avec mention, cela pour les filles comme pour les garçons, à cette nuance près que les filles d'origine populaire résistent un peu mieux... On retrouve ce même saut qualitatif lorsqu'on compare le niveau de diplôme des parents : plus de six bacheliers sur dix sont des bacheliers de la première génération, c'est à dire qu'ils sont les premiers de leur famille à accéder au bac. A l'inverse six sur dix de ceux qui ont eu un baccalauréat général avec mention ont un père bachelier, plus d'un sur trois a au moins une licence, une maîtrise ou le diplôme d'une grande école, et c'est le cas de pas très loin d'un élève de prépa sur deux. On retrouve le même phénomène, un peu atténué, pour les mères. Sur les revenus familiaux, on ne dispose que d'un indicateur, avec ses limites qui sont celles des critères d'attribution des bourses, mais qui montre quand même que les boursiers sont presque trois fois moins nombreux parmi les élèves de terminale inscrits en classe prépa que dans l'ensemble des bacheliers du panel. Il s'agit là d'un phénomène fort connu, et qui n’est pas propre à la France, - notre pays ayant l’avantage sur beaucoup d’autres de le reconnaître et de le regarder en face par des mesures précises et régulières -, l’embourgeoisement croissant de la population scolaire à mesure qu’on s’élève dans les degrés de l’excellence, ou, autre façon de le décrire, l’élimination progressive des enfants d’origine populaire à mesure qu’on gravit les degrés de l’excellence scolaire. La hausse et la baisse semblent animés d’une force implacable : les filles ne se taillent progressivement leur place que dans le strict respect des inégalités existantes. Ce nouvel angle de vision permet de relativiser les grandes tendances mises au jour au cours de l’Acte 1. Les classes préparatoires ne constituent pas une exception, un monde qui serait régi par des lois à part. Elles s’inscrivent au contraire dans le droit fil de la logique de fonctionnement du système scolaire français. Elles concentrent seulement, en les grossissant, des constantes du système. Mérite et héritage, excellence scolaire et sélection sociale ont parties liées. Cela dit, on aurait tort de croire que tout processus de sélection explicite ne corresponde qu’aux aptitudes et aux aspirations des milieux sociaux les plus riches en capitaux économiques et culturels. La structure sélective en soi ne rebute les aspirations ni des parents, ni des élèves de classes populaires. L’atteste avec clarté le fait que leurs enfants s’engagent plus que les autres dans les IUT et STS : formation sélective, courte, qualifiante à finalité professionnelle claire. Le tableau suivant contient à ce sujet des informations très instructives. La population prise en compte dans le tableau est celle de l’élite scolaire nationale saisie immédiatement après le bac. Ils sont tous titulaires d’un bac général obtenu avec mention et ne constituent à eux tous qu'à peine 12 % de leur génération entrée la même année en classe de sixième. Dans la mesure où ils disposent les uns et les autres des mêmes atouts scolaires, on pourrait supposer que s’agissant de choisir une orientation dans l’enseignement supérieur et dans la vie professionnelle, ce soient leurs goûts ou leurs projets personnels qui déterminent leur choix. En tous cas, la marge scolaire de décision étant la même pour tous, l’origine sociale ne devrait pas jouer un rôle important. Or que voit-on ? Dans la première colonne, en rouge, celle de l’orientation en CPGE, les proportions diminuent à mesure qu’on descend des catégories les mieux dotées aux plus démunies. 44 Les C.P.G.E. au fil du temps : une étude statistique et sociologique (Acte II) Les deux suivantes offrent un spectacle inverse. Les proportions augmentent à mesure qu’on descend les degrés de la hiérarchie sociale. Les élèves s’orientant d'autant plus en IUT et STS que leurs parents sont d’origine plus populaire. Et cela, rappelons-le, à réussite scolaire égale. La disparité des choix faits par les garçons et les filles accentue ces inégalités : la probabilité qu'un élève qui obtient un bac général avec mention entre en CPGE est trois fois et demi plus forte s'il s'agit d'un garçon de milieu supérieur que s'il s'agit d'une fille de milieu populaire. On constate que le clivage majeur s’opère entre les milieux supérieurs et enseignants d’une part, et les classes moyennes et populaires de l’autre. Les IUT semblent ainsi jouer pour les classes moyennes et populaires un rôle analogue à celui des prépas pour les milieux supérieurs : accueillir leurs meilleurs élèves. Ce n’est donc pas leur caractère ouvertement sélectif qui décourage les meilleurs élèves des classes populaires de s’y engager en force, bien au contraire. C’est peut-être davantage le risque d’un saut dans l’inconnu et le sacrifice d’un investissement long sans retour immédiat. L’effet du diplôme des parents joue dans le même sens que leur profession. Le clivage majeur s'opère ici entre le fait que le père ait accédé ou non à l’enseignement supérieur : le bac ne suffit pas pour modifier les comportements. Le bilan social que l'on peut en tirer ? Il montre bien sûr de fortes disparités : les catégories sociales sont très inégalement représentées au sein des grandes filières empruntées par les bacheliers après leur bac, le premier cycle d'études médicales n'étant pas très éloigné des classes préparatoires, le DEUG et l'IUT présentant de leur côté une structure sociale assez proche. Les bacheliers "de première génération" sont particulièrement sous-représentés parmi les élèves qui s'inscrivent en classes préparatoires, et deux fois plus nombreux en DEUG ou en IUT. La seconde mesure confirme ainsi celle du premier acte. Si on estime maintenant l'effet toutes choses égales par ailleurs des différentes caractéristiques des bacheliers sur leur probabilité d’entrer en CPGE, on constate que c'est le niveau scolaire qui creuse l'écart le plus important. Mais entre deux élèves qui ont décroché un baccalauréat général à 18 ans avec une mention AB, celui dont le père appartient aux catégories supérieures ou détient un diplôme de niveau bac+3 intégrera bien plus souvent une classe préparatoire que celui dont le père appartient aux milieux intermédiaires ou a juste le bac. Que peut-on faire ? L’enquête longitudinale suggère ici quelques pistes. Le bac en soit n’induit pas une modification des comportements. Lesquels dépendent en grande partie du niveau d’information et de connaissance du système. Lequel est loin d’être également partagé. Beaucoup n’entrent pas en prépas tout simplement parce qu’ils en ignorent l’existence. Alors qu’ils disposent d’un capital scolaire tout à fait comparable à ceux qui entrent. Ce facteur de sélection négative est loin d’être négligeable. Il s’ajoute à cette inhibition psychologique, bien connue des sociologues, qui persuade à tort élèves et parents de certains milieux que « les prépas, ce n’est pas pour nous ». Le rôle des enseignants dans l’information et les conseils aux bons élèves d’origine populaire est ici capital. Puisque trois sur quatre d'entre eux, lorsqu'ils s'inscrivent en prépa, déclarent avoir été informés par leurs enseignants, ce qui n’est le cas que d’un enfant de cadre sur deux, l’information circulant pour eux dans le cadre de la famille. Tandis que les élèves d'origine ouvrière n'ont disposé d'aucune autre information, ni bien sûr de leurs familles qui le plus souvent ne connaissent pas cette filière, ni non plus des conseillers d'orientation. On peut penser que la nouvelle procédure d’inscription en CPGE agira dans le sens d’une meilleure lisibilité des classes préparatoires. 45 Si on revient aux orientations prises par les bacheliers généraux avec mention, on voit que ceux-ci prennent toujours plus souvent la voie d'une classe préparatoire lorsqu'ils ont bénéficié d'informations de la part de leurs enseignants. Mais ce rôle des enseignants n'a pas du tout le même impact selon le contexte familial : l’absence d’information par les enseignants au lycée réduisant à néant chez les enfants d’ouvriers toute chance d'orientation en prépa, ce qui n’est pas le cas pour les enfants de cadre. Cette importance de l’information est confirmée par la régression logistique : on voit que le fait d'avoir été conseillé par ses enseignants pour son orientation exerce toutes choses égales par ailleurs une influence presqu'aussi forte que les variables scolaires, et plus sensible que l'appartenance sociale. Le fait qu’une part aussi importante d’élèves de prépas déclare avoir dans son environnement familial proche au moins une, voire plusieurs personnes passées par cette filière indique a contrario une certaine absence de visibilité nationale de ces classes, et en même temps la pesanteur qui s'exerce en faveur d'une orientation en prépa pour les bons élèves de certaines familles. Dans cette perspective l'analyse des motivations d'une inscription en classe préparatoire est éclairante. L’inertie des résultats scolaires antérieurs est ainsi très souvent invoquée pour l'entrée dans les prépas scientifiques, ce qui laisse planer certains doutes sur l’intérêt suscité par les matières et carrières scientifiques, tandis que la qualité des débouchés joue le rôle le plus important pour ceux qui s'inscrivent dans les classes économiques. Pour le choix d'une classe littéraire, l'intérêt pour le contenu des études est très fort, mais le souci de l'encadrement et du suivi comme celui de se garder le plus de portes ouvertes ont beaucoup pesé aussi. La comparaison avec les motivations des bacheliers généraux avec mention qui ont fait eux le choix de l'université est intéressante : on voit en particulier que c’est là où les débouchés sont les plus aléatoires que « le projet professionnel » est le plus souvent invoqué. Quoiqu’il en soit et c’est la leçon du dernier graphique, le choix d'une classe prépa n’était pas un mauvais choix… y compris pour l’immense majorité des littéraires qui pourtant, contrairement aux élèves de prépa scientifique et économiques, pour beaucoup - quasiment un sur deux - n’y passent qu’un an. Cette présence fugitive les dote néanmoins d’atouts substantiels pour la suite de leur parcours. Ils trouvent de meilleurs débouchés, plus variés et plus rapidement que ceux qui ne sont pas passés par cette filière. Le troisième vivier final, lui aussi très fourni, est constitué de tous les bacheliers avec mention issus de milieux populaires et moyens qui faute d’informations ou de confiance en soi se détournent du chemin des prépas. Il ressort clairement de cette fresque statistique que les CPGE doivent trouver des moyens de compenser les effets sociaux pervers des processus de sélection qui se construisent tout au long de la scolarité. En élargissant la base sociale, il s’agit aussi d’ouvrir davantage l'éventail des compétences des étudiants recrutés en CPGE. Les réservoirs potentiels existent et ne sont pas très loin : plus de femmes, plus de bacheliers technologiques, plus de bons et très bons élèves issus des classes moyennes et populaires. Les contraintes sociales sont fortes, certes, mais les marges de jeu aussi. L’école a du poids, elle peut convaincre et briser des résistances. Il suffit, pour s’en convaincre et se rassurer, de se rappeler le rôle que jouent les enseignants dans les orientations des bons et très bons élèves des catégories culturellement les plus éloignées du monde des prépas. *** 46 Les C.P.G.E. au fil du temps : une étude statistique et sociologique (Acte II) Le mérite et l’héritage, comment les dissocier ? Le casse-tête de l’élitisme républicain Parmi les élèves du quartile supérieur à l’évaluation en classe de 6ème... 30 % sont issus du milieu enseignant, 27 % sont issus du milieu supérieur, mais 10 % sont issus du milieu intermédiaire et... 7 % sont issus du milieu populaire 47 5 % des élèves entrés en 6ème en 1989 intègreront une classe préparatoire après leur bac 20 % des élèves de 6ème issus du milieu enseignant 16 % des élèves issus du milieu supérieur 4 % des élèves issus du milieu intermédiaire ..et 1,5 % des élèves du milieu populaire, (qui représentent par ailleurs 45 % des élèves de 6ème) entreront en classe préparatoire De la 6ème aux classes préparatoires… les origines sociales 100% 14% 90% 19% 32% 5% 42% 7% 80% milieu supérieur enseignants mil.intermédiaire mil.populaires 70% 36% 60% 14% 38% 18% 50% 34% 40% 30% 27% 45% 36% 20% 20% 10% 13% 0% élèves entrés en 6ème bacheliers bach.généraux avec mention 48 entrants en CPGE Les C.P.G.E. au fil du temps : une étude statistique et sociologique (Acte II) celles des garçons... 100% 14% 90% 20% 5% 80% 34% 42% 8% 70% 36% 17% 60% 38% 19% 50% 40% milieu supérieur enseignants mil.intermédiaire mil.populaires 30% 30% 26% 45% 34% 20% 19% 10% 13% 0% élèves 6ème ensemble bacheliers bacheliers généraux avec mention entrants en CPGE et celles des filles... 100% 14% 90% 17% 31% 4% 42% 5% 80% 70% 37% 12% 39% 60% 15% 50% milieu supérieur enseignants 36% 40% mil.intermédiaire mil.populaires 29% 30% 45% 20% 38% 21% 10% 14% 0% élèves 6ème ensemble bacheliers bacheliers généraux avec mention 49 entrants en CPGE le niveau de diplôme du père... 100% 12% 90% 16% 6% 80% 8% 12% 34% 44% 14% 70% 10% 60% dipl.de niveau bac+3 et + 17% 50% 12% dipl.de niveau bac+2 baccalauréat 40% 70% 14% pas de bacc. 62% 30% 39% 20% 30% 10% 0% ensemble des élèves de 6ème ensemble des bacheliers bach. généraux avec mention entrants en CPGE … et celui de la mère 100 7% 90 9% 80 13% 9% 11% 16% 70 22% 27% 16% 17% 60 dipl.de niveau bac+3 et + 23% 50 dipl.de niveau bac+2 23% 40 baccalauréat pas de bac 71% 64% 30 39% 20 33% 10 0 ensemble des élèves de 6ème ensemble des bacheliers bach. généraux avec mention 50 entrants en CPGE Les C.P.G.E. au fil du temps : une étude statistique et sociologique (Acte II) Une indication sur les revenus familiaux : la part de boursiers en terminale Les disparités dans les grandes orientations prises par les bacheliers généraux avec mention CPGE milieu supérieur 45 47 garçons filles 6 29 48 41 27 5 49 23 51 7 3 15 35 58 52 33 17 9 4 34 50 37 21 garçons filles milieu populaire 39 53 38 garçons filles milieu intermédiaire IUT/STS 57 36 garçons filles enseignants DEUG/PCEM 19 13 19 41 60 20 18 L’influence du niveau de diplôme du père... CPGE PCEM DEUG IUT/STS 2ème-3ème cycle sup. 49% 12% 28% 3% 1er cycle sup. 42% 5% 32% 10% baccalauréat 29% 8% 38% 16% pas de baccalauréat 26% 7% 44% 16% et du niveau de diplôme de la mère... CPGE PCEM DEUG IUT/STS 2ème-3ème cycle sup. 47 12 29 3 1er cycle sup. 39 11 36 5 baccalauréat 35 7 37 12 pas de baccalauréat 27 6 41 18 Un bachelier inscrit en CPGE sur 4 a une mère enseignante 52 Les C.P.G.E. au fil du temps : une étude statistique et sociologique (Acte II) Une représentation inégale des catégories sociales selon les filières 100% 19% 90% 13% 4% 80% 42% 38% 8% 70% 41% 60% 50% 12% 41% 18% milieu supérieur milieu enseignant milieu intermédiaire milieu populaire 40% 30% 28% 27% 42% 20% 32% 22% 10% 13% 0% CPGE PCEM DEUG IUT/STS mais aussi des niveaux de diplôme des parents 100% 7% 17% 90% 36% 80% 44% 70% 15% 16% 10% 60% 50% 9% 7% 12% 2ème-3ème cycle sup. 1er cycle sup. baccalauréat 14% pas de baccalauréat 1 40% 14% 71% 58% 30% 20% 40% 30% 10% 0% CPGE PCEM DEUG 53 IUT/STS Le rôle décisif des enseignants au lycée auprès des élèves les moins informés par leurs familles MOYENS D’INFORMATION UTILISES PAR LES BACHELIERS INSCRITS EN CPGE enfants de cadres enfants d'ouvriers Forums ou salons 32 31 Conseillersd'orientation 13 15 Enseignants 48 76 Famille 45 17 Relations 22 28 L’importance aussi des motivations dans le choix d’une filière... classes classes scientifiques économiques classes littéraires bacheliers avec mention inscrits à l'université Intérêt pour le contenu études 57 57 79 76 Débouchés de la filière 52 64 20 36 Projet professionnel 34 30 28 53 Souci de se garder le plus possible de portes ouvertes 33 35 39 21 Résultats scolaires précédents 33 20 23 24 Encadrement et suivi 25 33 45 2 54 Intervention du Ministre Intervention de Xavier DARCOS Ministre délégué à l’Enseignement scolaire Lors du colloque « Démocratie, classes préparatoires et grandes écoles» le Vendredi 16 mai 2003 55 Messieurs les Présidents, Monsieur le Directeur de l’Ecole normale supérieure, Monsieur le Doyen de l’Inspection générale, Mesdames et Messieurs les Inspecteurs généraux, Mesdames et Messieurs les Professeurs, Mesdames, Messieurs, Je suis très heureux d’être parmi vous ce matin. Comme vous le savez, je porte depuis longtemps un intérêt et même une affection particuliers aux classes préparatoires aux grandes écoles. J’y ai enseigné pendant dix ans. J’y ai introduit, aux côtés de François Bayrou, un certain nombre de réformes dont celle, notamment, des classes économiques et commerciales. Enfin, en tant que doyen de l’Inspection générale, j’ai eu à en suivre de très près le fonctionnement et les évolutions. Je me réjouis, donc, cette fois-ci en qualité de ministre délégué à l’enseignement scolaire, d’avoir la charge d’un dossier qui me tient à cœur. Je voudrais tout d’abord remercier les organisateurs de ce colloque qui va permettre, durant deux jours, de favoriser les échanges, de croiser les points de vue et surtout d’aboutir à des propositions concrètes, susceptibles de renforcer l’ouverture, le diversité et l’efficacité du système des classes préparatoires et des grandes écoles. Ces remerciements s’adressent en premier lieu à l’Union des Professeurs de Spéciales, en la personne de son président M. Gérard Debeaumarché. Ils vont aussi aux associations de professeurs de classes préparatoires ainsi qu’à la Conférence des Grandes Ecoles, dont je salue également le Président, M. Alain Cadix. Je n’oublie évidemment pas l’ensemble des intervenants qui ont bien voulu faire bénéficier ces journées de leur expérience et de leur expertise. Je suis convaincu, Mesdames et Messieurs, que le colloque d’aujourd’hui était nécessaire et qu’il vient à point nommé. Nous le savons tous : d’ici peu de temps et dans tous les domaines d’activité, notre pays va devoir assurer la relève de ses très nombreux cadres parvenus au terme de leur carrière. Dans cette formidable entreprise, les classes préparatoires et les grandes écoles vont être naturellement placées en première ligne. Plus que jamais, elles vont avoir à remplir la mission qui leur a été assignée dès leur origine : celle de sélectionner et de former les responsables de haut niveau dont les entreprises et l’Etat ont besoin. Il est donc important de se demander si cette mission s’exerce aujourd’hui de manière optimale. Et d’ailleurs un certain nombre de données nous forcent à nous interroger. 56 Intervention du Ministre En effet, après avoir doublé en l’espace d’une génération, les effectifs des classes préparatoires ont tendance à stagner. Plusieurs centaines de places y demeurent vacantes. Depuis trois ans, sur les 14 000 places offertes par les écoles d’ingénieurs, 2 000 n’ont pas été pourvues et près d’un millier, sur les 7000 offertes par les écoles commerciales, ne l’ont pas été davantage. Ces chiffres appellent deux explications, sur lesquelles nous sommes nombreux, je crois, à nous accorder. La première est que la base de recrutement des classes préparatoires est trop étroite. Il importe donc de réfléchir aux moyens de l’élargir rapidement, dans un souci à la fois d’efficacité et de justice sociale, ce qui est au fond un des objectifs majeurs de ce colloque. Je voudrais dire à cet égard qu’il ne me paraît pas souhaitable que se multiplient les formules fondées sur la discrimination positive, peu conformes au fond avec les principes d’égalité de notre école républicaine. Je considère que les expériences menées jusqu’à présent ont certes un effet d’affichage extrêmement positif – et c’est évidemment le cas de celle mise en œuvre par Sciences Po – mais qu’elles doivent demeurer ponctuelles et transitoires. Il me semble préférable de parvenir à un élargissement du recrutement en maintenant de vrais critères de sélection, qui demeurent rigoureux et exigeants tout en prenant mieux en compte les compétences et les aptitudes des publics scolaires qui ont été jusqu’à présent insuffisamment concernés par le système des classes préparatoires. La deuxième explication est que les classes préparatoires ont perdu ces dernières années un peu de leur attractivité, parce que la représentation qui en est donnée auprès du public et en particulier du public « non initié » est souvent ou inexacte ou dépassée. Nous sommes nombreux, je crois, à estimer que la réalité des classes préparatoires d’aujourd’hui s’avère assez éloignée de l’image que beaucoup de familles, de lycéens et même d’enseignants en ont encore. Dans la remarquable analyse qu’ils vous ont présentée ce matin, Brigitte Dethare, Sylvie Lemaire, Fabienne Rosenwald et Christian Baudelot ont montré de manière lumineuse les grandes évolutions qu’avaient enregistrées les classes préparatoires en l’espace d’une génération. En particulier, le rééquilibrage entre les prépas de province et celles d’Ile de France, la meilleure répartition entre les filles et les garçons ou encore la montée en puissance des classes économiques et commerciales. Je n’y reviendrai donc pas. Je ne m’attarderai pas non plus sur les profondes transformations qu’elles ont connues dans leurs structures ou dans le contenu de leurs enseignements : la diversification des filières, 57 surtout scientifiques, la mise en place d’une pédagogie de projet, prenant mieux en compte la spécificité des élèves et assurant une meilleure transition avec le second degré. Tout ceci montre à l’évidence la profonde capacité d’adaptation d’un système pouvant, sans aucun doute, se montrer beaucoup plus souple et beaucoup plus réactif que les premiers cycles universitaires et qui n’a pas vocation, en lui-même, à assurer la reproduction d’une élite sociale. Tout ceci témoigne surtout de la qualité de l’engagement des professeurs à faire constamment évoluer le système en fonction des besoins et des exigences du monde d’aujourd’hui. Et je n’oublie pas, évidemment, le rôle majeur que jouent les chefs d’établissement non seulement dans la gestion des classes préparatoires, mais dans la réflexion sur leur devenir. Par ailleurs, nous savons tous qu’en à peine vingt ans, c’est un véritable réseau qui s’est développé, permettant aux classes préparatoires d’être à la proximité immédiate des élèves et non plus reléguées dans les établissements chics des grandes capitales régionales. En 1980, 171 lycées d’enseignement général et technique du public possédaient des prépas. Ils sont aujourd’hui 336, soit près d’un lycée sur cinq. A travers ces établissements, c’est une véritable irrigation intellectuelle de notre pays qui s’est constituée, au-delà même des villes universitaires, et il importe bien évidemment de continuer à faire vivre ce vaste réseau qui contribue à implanter des pôles d’excellence dans les zones parfois les plus défavorisées. C’est là un des enjeux du système informatisé de recrutement dont je reparlerai tout-à-l’heure. Pour que l’image qui est donnée des classes préparatoires reflète plus exactement ces réalités, il nous faut donc mieux informer et notamment mieux informer les enseignants. Ceux-ci, en effet, devraient pouvoir jouer un rôle analogue à celui que remplissaient jadis les Hussards noirs de la République, à savoir repérer les jeunes faisant montre d’évidentes potentialités et accompagner leur promotion scolaire. Mais pour cela il convient de cesser de présenter les classes préparatoires comme des bagnes ou des abbayes de Trappistes, comme le font encore certaines brochures de l’éducation nationale elle-même ! Certes, nous savons tous qu’il ne s’agit pas là de lieux de tout repos. Mais il faut souligner aussi et avant tout les formidables atouts qu’elles sont à même d’offrir. Permettant d’effectuer des études pluridisciplinaires et fortement encadrées, elles ont tout pour séduire beaucoup de jeunes qui ne désirent pas opter pour une spécialisation trop précoce ou qui ne se sentent pas suffisamment autonomes pour affronter la vie universitaire. Mais surtout elles ouvrent des voies qui conduisent de manière presque assurée à la réussite. Que celle-ci soit immédiate, comme dans le cas des classes économiques et 58 Intervention du Ministre commerciales, où chaque élève a quasiment la garantie de pouvoir intégrer une grande école. Ou qu’elle soit différée, comme dans le cas des anciens khâgneux qui triomphent sans doute plus aisément que les autres étudiants du CAPES ou de l’agrégation. A cet égard, l’Inspection générale des lettres propose d’évaluer de façon précise le nombre d’anciens élèves des classes préparatoires reçus à ces concours. Je pense que c’est là une excellente initiative qui permettrait d’ajouter un argument supplémentaire en faveur de ces classes. Mieux informer, mais aussi mieux recruter. C’est là notamment l’objectif de la procédure informatisée et globale de recrutement des étudiants de classes préparatoires qui a été mise en place cette année et qui répond à un souhait unanime de tous les acteurs concernés. Comme vous le savez, cette procédure a pour ambition de déboucher sur une amélioration de l’offre et des conditions d’accueil et de permettre une utilisation optimale des ressources du dispositif, répondant ainsi davantage aux vœux des candidats et aux besoins des établissements. Elle introduit une complète transparence dans un système jugé jusqu’alors opaque et favorisant les initiés et concourt ainsi à lever les blocages, les inhibitions que pouvaient éprouver certains jeunes au moment d’effectuer leur choix d’établissements. Parmi les douze vœux possibles, chacun est désormais libre d’indiquer Louis-le-Grand aussi bien que Mantes-la-Jolie ! Mais évidemment, cette procédure ne suffit pas à elle seule à ouvrir les classes préparatoires à de nouveaux élèves et à utiliser de manière optimale les ressources existantes. C’est pourquoi il nous faut trouver les moyens d’assurer un repérage plus systématique des meilleurs élèves de condition modeste, afin que leur soient proposées des poursuites d'études auxquelles il n’avaient jusqu’à présent guère l’accès, qu’il s’agisse des prépas, mais aussi des facultés de médecine ou de droit. C’est en ce sens qu’ont été créées les « bourses au mérite » qui ont apporté un début de réponse à ce problème. Nous devons poursuivre dans cette voie, notamment en nous intéressant, comme l’a suggéré le Président de la Conférence des Grandes Ecoles, aux meilleurs des bacheliers technologiques, dont les compétences et la créativité pourraient être très certainement mises à profit au sein des prépas et des grandes écoles. Sur toutes ces questions, j’attends naturellement beaucoup de la réflexion que vous allez conduire au cours de ces deux journées et des propositions que vous serez amenés à formuler. Toutes vos idées, toutes vos suggestions seront les bienvenues. Mais faisons attention toutefois à ne pas fragiliser un dispositif qui, malgré des défauts dont nous avons 59 tous conscience et notamment son insuffisante mixité sociale, n’en constitue pas moins un des maillons les plus solides de notre système d’enseignement supérieur. Et un des éléments essentiels de cette vaste entreprise de renouvellement des cadres de la Nation que j’évoquais en commençant. Nous avons tous la volonté de ne pas laisser au bord du chemin des jeunes pleins de promesses, mais entravés par leur condition sociale. Ne jouons pas pour autant aux apprentis-sorciers. Pour reprendre une pertinente formule d’Alain Cadix, ce n’est pas parce que nous ne savons pas ou que nous ne savons plus faire fonctionner l’ascenseur social que nous devons détruire les étages les plus élevés de l’édifice éducatif. Enfin, la promotion des classes préparatoires ne doit pas se faire contre les premiers cycles universitaires. Bien au contraire, je crois qu’il nous faut rechercher entre toutes les formations post-baccalauréat les meilleures synergies possibles pour former et promouvoir les jeunes qui, demain, auront à prendre la relève des centaines de milliers d’ingénieurs, d’entrepreneurs, d’enseignants, de commerciaux ou d’administratifs qui cesseront leur activité. *** 60 Les difficultés des étudiants issus des milieux populaires Les difficultés scolaires des étudiants issus des milieux populaires Bernard Lahire Professeur de sociologie à l'École Normale Supérieure LSH Directeur du GRS (UMR 5040 CNRS) Pour pouvoir parler des difficultés scolaires des étudiants issus des milieux populaires, il est indispensable de faire un détour par l'analyse des cadres scolaires au sein desquels ils sont insérés car chaque cadre engendre des difficultés spécifiques. Et l'on ne comprend bien le cadre spécifique des classes préparatoires aux grandes écoles que si on les saisit dans la comparaison avec les autres formes d'enseignement supérieur. Tout d'abord, il est important de rappeler que pour des raisons évidentes d'effectifs, la première voie d'accès à l'enseignement supérieur en France reste aujourd'hui, et ce, quelle que soit l'origine sociale des étudiants, l'université (près des trois-quarts des effectifs de l'enseignement supérieur). Si un étudiant de classe préparatoire sur deux est enfant de cadre supérieur (ce qui constitue une sur-représentation massive), moins d'un étudiant dont le père est cadre supérieur sur dix sont scolarisés dans les classes préparatoires. Les classes préparatoires sont donc des études socialement improbables pour tout le monde, y compris pour les fractions de la population les plus dotées en capitaux économiques et scolaires. Enquête OVE 1994: Composition sociale des différents établissements* (%) Agriculteurs Artisans, commerçants Cadres et prof. intell. sup. Prof. intermédiaires Employés Ouvriers Total UFR 3,5 8,7 36,1 STS 6,6 7,6 12,4 IUT 4,5 9,5 25,6 PRÉPAS 2,8 6,3 51,3 18,9 15,1 17,2 100 18,3 22,4 32,7 100 20,8 17,2 21,6 100 18,4 9,7 11,4 100 * Profession du père. On lira : sur 100 étudiants en classes préparatoires, 3 ont un père agriculteur, 6 un père artisan, commerçant, 51 un père cadre... Des styles d'études différenciés Pour comprendre complètement la forme que prennent les études dans les classes préparatoires aux grandes écoles et saisir la difficulté pour les enfants de milieux populaires d'y accéder, il est important de situer ce type particulier d'études dans l'univers des types d'études possibles (STS, IUT, études universitaires plus ou moins sélectives). Les grandes enquêtes (1994 et 1997) sur les conditions de vie des étudiants menées dans le cadre de l'Observatoire nationale de la Vie Étudiante (OVE) et reposant sur environ 28 000 réponses à des questionnaires permettent d'opérer des comparaisons : elles s'adressent à des étudiants et 61 élèves d'Universités, d'Instituts Universitaires de Technologie (IUT), de Sections de Techniciens Supérieurs (STS) et de Classes Préparatoires aux Grandes Écoles1. En ne retenant qu'un seul critère, le temps de travail scolaire ("personnel" ou "encadré par l'institution"), distribué entre semaine et week-end, on fait déjà apparaître des différences essentielles. On a, en effet, très largement esquissé les grands traits du profil (ou du style) des étudiants de premier cycle lorsqu'on a précisé les parts qui reviennent, dans leur emploi du temps hebdomadaire, aux heures de cours, de TD ou de TP, ainsi qu'aux heures de travail personnel en semaine et en week-end. On peut ainsi établir une distinction entre quatre grands groupes d'étudiants : 1) Ceux qui ont peu d'heures de cours et de TD-TP hebdomadaires et relativement peu d'heures de travail personnel en semaine comme durant le week-end : l'ensemble des étudiants de premier cycle des facultés, Médecine excepté. Par exemple, les étudiants de Lettres et sciences humaines n'ont en moyenne que 16-18 heures de présence encadrée à l'université et ne sont guère nombreux à étudier longuement hors de ces temps scolairement encadrés (44% travaillent moins de 10 heures en semaine et seulement 13% consacrent 10 heures et plus à l'étude durant le week-end). Même si les étudiants de faculté dans leur ensemble consacrent davantage d'heures par semaine à leur travail scolaire personnel que ceux de STS et d'IUT, ils restent encore loin derrière eux du point de vue du volume global d'heures consacrées au travail scolaire (encadré et personnel) durant la semaine. 2) Ceux qui ont relativement peu d'heures de cours et de TD-TP hebdomadaires, mais beaucoup d'heures de travail personnel en semaine comme durant le week-end : les étudiants de Médecine, et tout particulièrement ceux de premier cycle (la première année de Médecine étant une année de préparation intensive au concours de fin d'année, elle exige des étudiants un grand investissement scolaire qui, une fois le concours réussi, a tendance à faiblir). Les étudiants de Médecine de premier cycle n'ont que 23-24 heures d'enseignement par semaine, mais ils sont 73% à travailler plus de 15 heures en semaine et 55% à travailler 10 heures et plus durant le week-end. 3) Ceux qui ont beaucoup d'heures de cours et de TD-TP hebdomadaires et relativement peu d'heures de travail personnel en semaine comme durant le week-end : l'ensemble des étudiants de STS et d'IUT. Les étudiants d'IUT production ont en moyenne 33 heures d'enseignement et ceux d'IUT tertiaire, environ 30-31 heures. 36-37 heures en STS production ; 34 heures en STS tertiaire. Leur charge de travail personnel est incomparablement moins lourde que celle des étudiants des classes préparatoires : seulement 16,1% des étudiants d'IUT production et 17,7% des étudiants d'IUT tertiaire travaillent 15 1. Cf. C. Grignon et L. Gruel, La Vie étudiante, Paris, PUF, 1999 ; B. Lahire, Les Manières d'étudier, Paris, La Documentation française (avec la collaboration de Millet M. et Pardell E.), 1997 et « Conditions d'études, manières d'étudier et pratiques culturelles », in C. Grignon, Les Conditions de vie des étudiants. Paris, PUF, 2000, p. 241-381. 62 Les difficultés des étudiants issus des milieux populaires heures et plus par semaine ; c'est le cas de 9,6% de ceux de STS production et de 18,8% de ceux de STS tertiaire. 4) Enfin, ceux qui ont beaucoup d'heures de cours et de TD-TP hebdomadaires et de nombreuses heures de travail personnel en semaine comme durant le week-end : l'ensemble des étudiants des classes préparatoires. Par exemple, les étudiants des classes préparatoires scientifiques ont en moyenne environ 35-36 heures hebdomadaires d'enseignement auxquelles se rajoutent de nombreuses heures de travail personnel durant la semaine (environ deux tiers des étudiants travaillent plus de 15 heures en semaine) et durant le week-end (un tiers des étudiants travaillent plus de 10 heures les samedi-dimanche). De même, les étudiants des classes préparatoires littéraires ont en moyenne environ 33-34 heures hebdomadaires d'enseignement par semaine et généralement davantage d'heures de travail personnel que leur camarades scientifiques (72% des étudiants travaillent plus de 15 heures en semaine et 55% travaillent plus de 10 heures en week-end). Les étudiants des classes préparatoires s'avèrent ainsi les champions de l'investissement scolaire. Ce type d'étude interdisant quasiment par nature tout travail salarié, même à temps partiel, il va de soi qu'en plus des compétences scolaires, il suppose une possibilité pour les parents de supporter le coût économique de telles études. Trois lignes de clivage se laissent donc percevoir à travers ces différences de rythme de travail : * la première sépare les établissements à forts encadrements pédagogiques, c'est-à-dire à forts temps de présence obligatoire à des cours et à des travaux dirigés ou pratiques (classes préparatoires, IUT, STS), des établissements moins exigeants en la matière et pour lesquels l'assiduité n'est que rarement contrôlée ou même contrôlable (facultés). Les étudiants d'IUT, de STS et de classes préparatoires continuent à être soumis au régime lycéen et les élèves sont obligés de fournir des justificatifs d'absence ; * une seconde ligne marque une différence à l'intérieur de l'espace des établissements à forts encadrements pédagogiques, entre ceux où les étudiants travaillent essentiellement dans les limites du temps scolairement contraint (IUT et STS) et ceux où ils travaillent sans discontinuité en cours comme chez eux (les classes préparatoires) ; * la troisième et dernière ligne partage, d'une part, les étudiants de Médecine, qui suivent une formation prestigieuse, très sélective et doivent, à l'instar des étudiants de classes préparatoires, travailler de nombreuses heures hors des temps officiels de présence dans l'établissement, et d'autre part, les étudiants des autres facultés (avec, bien sûr, des formations qui s'éloignent plus ou moins de ce modèle prestigieux, les Lettres et sciences humaines constituant le pôle le plus éloigné). Concernant la première opposition, on peut dire qu'elle est celle qui distingue le plus les étudiants entre eux. Le passage du lycée à l'enseignement supérieur peut être vécu comme un moment de crise plus ou moins important, selon à la fois le degré de rupture pédagogique et les dispositions scolaires des étudiants. Or, pour ce qui est du premier point, on peut remarquer que la rupture pédagogique est radicale lors du passage en faculté et minimale lors du passage vers les IUT, les STS ou les classes préparatoires. Les étudiants sortent concrètement plus ou moins du modèle du lycée dans lequel ils ont été socialisés jusque-là (avec relativement de bonheur, étant donné leur réussite au baccalauréat) : une semaine 63 relativement chargée en cours, une assiduité obligatoire et contrôlée, des unités pédagogiques fixes sous forme de classes d'élèves, des enseignants fixes que l'on voit tout au long de l'année scolaire, un contrôle des connaissances régulier et fréquent, un programme de connaissances relativement balisé par les manuels scolaires (qui permettent de savoir ce que l'on doit apprendre et de s'y préparer), etc. "Devenir étudiant, écrivait Michel Verret à propos des étudiants des facultés de lettres, c'est entrer en liberté. La vie antécédente, c'était lycée et collège, l'emploi du temps réglé, voire même l'internat, «le temps dirigé», ponctué du lever au coucher par la sonnerie, arrière petite fille du tambour napoléonien. L'entrée en Faculté marque une rupture brutale, vécue tout à la fois dans la surprise et le désarroi. (...) Un emploi du temps demeure bien, mais il n'intéresse que les cours : au maximum 15 heures par semaines — non sans déplacements, ni irrégularités. Et la prescription n'est plus soutenue ni par un appareil de surveillance extérieure ni par un système de sanctions immédiates. (...) Pour peu que l'étudiant n'ait pas intériorisé, en un ethos de la discipline et du travail, la longue régularisation scolaire antécédente, l'auto-surveillance ne signifie plus pour lui que le droit à l'auto-permissivité indéfinie. La règle devient invisible, tout étudiant un peu myope peut croire qu'il devient invisible à la règle […]2". On pourrait dire que les facultés posent un problème aux étudiants qui est d'emblée résolu par les établissements à forts encadrements pédagogiques : "Comment occuper et organiser son temps journalier et hebdomadaire ?". Laissant les étudiants libres de s'organiser et d'occuper une grande partie de leurs journées, de leurs semaines et de leur année, les facultés les laissent objectivement libres d'échouer dans la résolution pratique de ce problème. Si les étudiants les plus fortement encadrés pédagogiquement vivent de longues séquences d'activités univoques, contraints qu'ils sont à la mono-activité — scolaire — durant un temps relativement long, en revanche ceux des facultés affrontent une difficulté (nouvelle dans leur parcours scolaire), à savoir celle de la mise en place le plus souvent dans un univers nonacadémique — domestique — d'un contexte d'études scolaire. Ils doivent eux-mêmes trouver des lieux et surtout des temps spécifiques d'étude à l'intérieur d'espaces-temps le plus souvent pluri-fonctionnels, où plusieurs activités peuvent entrer en concurrence au sein d'une même séquence temporelle. Pourquoi se lever à 7 ou 8 heures du matin, si les cours ne débutent pas avant 14 heures ? Pourquoi ne pas regarder la télévision, discuter avec ses parents, ses frères et sœurs ou ses amis, alors que la rédaction des notes de lecture ou la préparation des examens de fin d'année peuvent (semblent pouvoir) encore attendre ? Dans une étude sur les carrières étudiantes3, Bernard Convert et Michel Pinet, parlent d'une "immixtion du domestique dans le scolaire" que font apparaître les budgets-temps : le travail universitaire personnel peut être fréquemment interrompu par des temps familiaux, les étudiants peuvent continuer à travailler en parlant avec leurs parents ou en regardant la télévision avec des membres de leur famille, etc. 2. M. Verret, Le Temps des études, Lille, Université Lille III, 1975, Thèse présentée devant l'Université de Paris V le 29 mai 1974, 2 tomes, p. 686-687. 3. B. Convert, M. Pinet, La Carrière étudiante, Laboratoire d'aménagement régional et urbain, École Centrale de Lille, Programme interministériel de recherche-expérimentation "L'Université et la Ville", novembre 1993, p. 251. 64 Les difficultés des étudiants issus des milieux populaires Lorsque la séparation ainsi que les basculements du contexte scolaire au contexte nonscolaire (et inversement) ne sont plus objectivés, institutionnalisés (comme cela était le cas dans le cadre du lycée), ils deviennent désormais des problèmes "personnels" (produit pourtant par l'institution) que doit s'efforcer de résoudre chaque étudiant. La nature même du travail "personnel" au sein des différents établissements varie : les objectifs du travail personnel sont plus ou moins explicités par les différents établissements d'enseignement supérieur, les différents actes de travail personnel sont plus ou moins prescrits par l'institution, les différentes injonctions au rendu du travail personnel sont plus ou moins fréquentes. Ainsi, tout oppose l'objectif lointain de la dissertation finale dans les facultés de Lettres et sciences humaines, qui laisse les étudiants "libres" de déterminer les moyens les plus adéquats de l'atteindre, aux micro-injonctions plus denses que constituent "devoirs", exercices ou révisions prescrits quasi quotidiennement au sein, notamment, des classes préparatoires. Là où les étudiants d'UFR sont amenés à conduire eux-mêmes leur travail personnel pour atteindre des objectifs plus ou moins clairement établis par leurs enseignants, les étudiants de STS, d'IUT ou de classes préparatoires sont véritablement conduits par l'institution et leur travail "personnel" est donc très largement un travail dirigé. Cependant, si cette première coupure, de même que la troisième (entre des filières plus ou moins sélectives et plus ou moins animées par l'esprit de concurrence), sont assez bien connues, la seconde – entre STS/IUT et CPGE – est moins immédiatement perceptible et, par conséquent, intéressante à souligner. En effet, si la différence de prestige social des établissements paraît évidente (la composition sociale des différents publics le montre bien), si l'on peut saisir sans difficulté la différence de prestige spécifiquement scolaire (opposition entre culture générale et théorique — ou formelle — d'une part, culture technique et pratique d'autre part), la différence dans le type d'investissement dans le travail est le signe d'une différence fondamentale dans le rapport des étudiants à leurs études. Si les étudiants de STS ou d'IUT sont particulièrement encadrés scolairement, ils ont davantage tendance à cesser le travail hors cadre, alors que les étudiants des classes préparatoires se doivent de continuer le travail scolaire hors du temps spécifiquement scolaire. D'un côté, on a affaire à une mise au travail scolaire d'étudiants qui ressentent parfois le besoin d'être contraints, peu sûrs qu'ils sont de leur volonté scolaire ; de l'autre, les enjeux scolaires sont tels que les étudiants ont intériorisé la nécessité du travail scolaire au-delà du travail surveillé et doivent s'être constitué une capacité d'auto-contrainte au travail scolaire. Ce sont les STS qui comptent proportionnellement le plus d'étudiants désirant stopper leurs études à Bac + 2 (54,9%). Puis viennent les IUT (28,1%), les facultés (2,9%) et les classes préparatoires (0,5%). Pour une grande partie des élèves de STS (et pour une part non négligeable des étudiants d'IUT), le choix d'un tel type d'établissement est une manière d'éviter l'université qui sera alors critiquée (et crainte) pour son faible degré d'ancrage dans des réalités économiques (manière négative de désigner la nécessaire autonomie culturelle, symbolique des univers de production et de diffusion de la connaissance savante) et son faible degré d'encadrement pédagogique. Le choix d'études supérieures courtes dans un établissement qui fonctionne sur le modèle, déjà expérimenté, du lycée permet d'éviter les paris universitaires par trop risqués tout en donnant l'espoir d'accéder à un diplôme d'enseignement supérieur pour se distinguer sur le marché du travail de ceux qui n'y ont pas eu accès. 65 La forte croyance en l'univers scolaire est déterminante pour comprendre cette énergie dépensée quasi exclusivement dans le domaine scolaire. Ainsi, la part de ceux qui consacrent plus de 20 heures en semaine à un travail personnel augmente au fur et à mesure que l'on grimpe l'échelle de l'excellence scolaire : c'est le cas de 10% des étudiants ayant obtenu une mention Passable au baccalauréat, de 13% de ceux qui ont une mention Assez bien, de 17,2% de ceux qui ont une mention Bien et de 25,9% de ceux qui ont atteint la reconnaissance scolaire maximale (Très bien). De même pour le travail durant le week-end : la part de ceux qui travaillent plus de 10 heures diminue quand on va de la mention Très bien (21,3%) à la mention Passable (7,4%) en passant par la mention Bien (15,2%) et Assez bien (10,8%). Ce sont quasiment des styles de vie et de travail qui se dessinent dans ces différences : les étudiants d'IUT et de STS (ceux parmi lesquels on compte le plus d'enfants d'ouvriers et d'employés) anticipent une vie sociale fondée sur la nette distinction entre "travail professionnel" et "loisir" (on sort de l'école, chaque soir ou chaque week-end, comme on sort du "boulot"), alors que les étudiants des classes préparatoires, destinés à des fonctions plus intellectuelles et/ou de pouvoir, vivent l'apprentissage de rythmes temporels qui préfigurent des lignes de partage plus floues entre ce qui relève du "travail" et ce qui est de l'ordre de la "vie privée", du "loisir"... De ce point de vue aussi, les étudiants d'origine populaire sont moins préparés à trouver « normal » ce style de travail et de vie : nombre de témoignages de transfuges de classe par la voie scolaire montrent qu'ils sont obligés de résister à des visions pathologisantes de ce type d'investissement scolaire (« Tu travailles trop », « À force de lire, tu vas attraper une méningite », « Tu gâches ta jeunesse », etc.). Les origines économiques et culturelles des difficultés scolaires des étudiants de milieux populaires Les difficultés scolaires des étudiants issus des milieux populaires ont des origines diverses. Et l'on peut établir grossièrement, mais utilement, une différence entre : * d'une part ce qu'on pourrait appeler, d'une part, des "échecs scolaires" (pour des raisons liées à la nature des savoirs scolaires ou aux dispositions sociales-culturelles nécessaires à leur appropriation systématique : habitudes ascétiques, maîtrise de méthodes de travail intellectuel et d'habitudes de planification de son travail) ; * et d'autre part ce qu'il est sans doute plus juste d'appeler des "abandons scolaires" pour des raisons économiques et sociales indépendantes de la bonne ou mauvaise compréhension des objectifs scolaires, ou des faibles ou fortes dispositions à l'ascétisme scolaire. Ne pas se présenter aux épreuves ou ne pas achever sa formation pour des raisons de manque (économiquement déterminé) de concentration sur des enjeux scolaires (aide financière parentale réduite et nécessité de travailler parallèlement à ses études), ce n'est pas la même chose qu'éprouver des difficultés à se mettre au travail dans un cadre pédagogique faiblement contraignant, qui privilégie l'autonomie et repose sur l'auto-discipline des étudiants. Et ce n'est pas non plus la même chose qu'obtenir de "mauvaises notes" par manque de maîtrise intellectuelle des savoirs universitaires-savants. Qu'est-ce qui tient à des raisons économiques ou matérielles (la nécessité pour certains étudiants de travailler parallèlement à leurs études ou de prendre en charge l'organisation domestique quotidienne, qui rend difficile la concentration sur des objectifs scolaires) ? Qu'estce qui tient à des difficultés culturelles (au sens de cognitives) liées à la nature des savoirs savants enseignés ? Qu'est-ce qui tient enfin à des raisons de non maîtrise des nouvelles 66 Les difficultés des étudiants issus des milieux populaires conditions de travail (manque d'auto-contrainte, d'auto-discipline…) ? Situer les problèmes, c'est évidemment envisager une politique raisonnée de solutions articulées (pédagogie rationnelle ? soutien scolaire/tutorat ? conditions scolaires de travail améliorées ? système élargi de bourses ? conditions de logement améliorées ?, etc.). Étudier est une activité qui demande du temps et ce temps spécifiquement consacré aux études suppose que soit réglé le problème du temps passé à faire autre chose : s'occuper des courses, de la lessive, du repassage, du ménage, de la cuisine, des tracas administratifs liés à la responsabilité d'un logement et d'un budget et, bien sûr, travailler pour gagner l'argent nécessaire à son autonomie financière. La vie hors de la protection morale, financière, domestique, etc., des parents est une vie moins favorable à un haut degré d'investissement mental (et temporel) spécifiquement scolaire. La concentration sur des enjeux purement académiques suppose une forme d'irresponsabilité sociale et, par conséquent, de remise de soi temporaire vis-à-vis d'institutions publiques (l'internat) et/ou privées (famille). On voit donc bien qu'une des tensions qui travaillent, à un degré ou à un autre, tout étudiant oppose les injonctions sociales plus ou moins tacites à gagner son autonomie, son indépendance morale et financière vis-à-vis des parents et la nécessaire dépendance et remise de soi que suppose l'appropriation des connaissances scolaires-universitaires. À la différence du statut de lycéen, être étudiant c'est aussi vivre le passage progressif (et la plus ou moins grande rapidité de ce processus fait évidemment la différence entre les différentes manières d'être étudiant) vers une vie d'adulte "autonome", le moment des études supérieures correspondant, étant donné l'âge des étudiants, à un moment particulier du cycle de vie. Par ailleurs, une coupure sépare assez nettement les étudiants des facultés peu prestigieuses socialement, non professionnalisantes, et dont les chances de trouver un emploi par une stratégie mono-centrée d'investissement strictement scolaire sont les plus faibles, de l'ensemble des autres étudiants. Vivant un faible encadrement universitaire qui leur laisse objectivement le temps d'avoir des activités extra-académiques et connaissant la faible rentabilité de leur diplôme sur le marché de l'emploi, les étudiants de Lettres et sciences humaines ne perçoivent sans doute pas comme une dispersion fatale à leur avenir professionnel l'exercice d'une activité salariée. Cette dernière est même le moyen de prendre ses marques sur le marché de l'emploi et d'éventuellement s'y faire une place si l'occasion s'en présente. Ils ont quelques bonnes raisons sociales d'"avoir la tête ailleurs" et en tout cas de ne pas "avoir la tête" qu'aux études. On pourrait donc dire que, dans une logique méritocratique, l'injustice la plus grande est celle que vivent des étudiants d'origine populaire freinés non pour des raisons spécifiquement scolaires, mais pour des raisons de difficultés objectives à se consacrer à leurs études. Ces étudiants ressemblent à nombre de ces femmes de milieux populaires qui, à une autre époque, ont payé cher le fait d'être les aînées de leur famille et qui ont du arrêter leurs études pour des raisons économiques (pauvreté économique) et sociales (organisation interne de la famille) alors que celles-ci se passaient plutôt bien. On ne saura jamais combien de milliers d'étudiants de milieux populaires, stoppés pour des raisons économiques, auraient pu faire des études longues et brillantes. Mais l'injustice n'est au fond pas moins grande si l'on se tourne du côté des degrés d'encadrement pédagogique, de densité des injonctions, conseils, évaluations et d'explicitation des exigences, méthodes et jugements scolaires. 67 Une thèse récemment soutenue sous la direction de Jean-Michel Chapoulie, celle de Valérie Monfort4, qui portait sur le rapport au travail scolaire, les conditions de travail universitaire et les relations de travail d'étudiants de première année d'AES (public hétérogène et plutôt mal doté scolairement) et de Sciences (public plus homogène, socialement et scolairement bien doté) réactualise les conclusions des Héritiers de Pierre Bourdieu et JeanClaude Passeron : attentes non explicitées, méthodes de travail non transmises, rareté des évaluations, absence d'émulation (cf. la remise des notes qui ne prend pas du tout la même forme au lycée et à l'université), absence de relations d'entraides, représentations dévalorisantes du niveau d'exigence et du type d'investissement demandé, quasi-absence de contrôle des absences et des retards, absence de révisions planifiées et d'examens "blancs", de "devoirs" à faire chez soi, relatif désinvestissement pédagogique des enseignants-chercheurs et attitudes peu normatives, absences de consensus enseignant sur les exigences, etc. L'appel à une pédagogie plus rationnelle semble pouvoir être relancé près de quarante ans après la publication des Héritiers. Les universitaires sont d'ailleurs les plus mal placés, historiquement, pour réfléchir sur les manières de transmettre leurs savoirs et leurs techniques intellectuelles, sur les façons dont les étudiants perçoivent leurs messages, leurs enseignements, les ouvrages conseillés ou imposés, etc. Ils sont les plus mal placés parce qu'historiquement, la pédagogie a été constituée comme une affaire "primaire" dans les deux sens du terme : 1) la pédagogie est une question qui se pose à l'école primaire et 2) c'est une question qui est peu digne d'intérêt pour ceux qui sont censés maîtriser des savoirs. La ligne de séparation existe déjà fondamentalement dans l'histoire entre l'école primaire et le lycée. Pour les enseignants de lycée en France au début du XXème siècle, il est inconcevable de suivre des cours de pédagogie, de suivre des stages, etc., et la pédagogie n'a aucune place dans une véritable formation intellectuelle. Or, la question de la "pédagogie" se pose d'autant plus que l'enseignement se démocratise ou se massifie. Comment faire entrer dans des savoirs savants des populations qui en sont très éloignées ? Or c'est bien la situation que connaissent les Universités aujourd'hui. Dès lors qu'on quitte "l'Université chargée de former des élites" pour "l'Université qui forme des cadres supérieurs et, de plus en plus, des cadres moyens", on est amené à se poser des questions nouvelles sur les manières de transmettre les connaissances ou d'aider les étudiants à construire leur savoir. Plus les enseignants (des instituteurs aux professeurs d'Universités) explicitent leurs exigences ainsi que les moyens concrets pour y arriver et plus ils donnent la possibilité à ceux qui ne partagent pas les implicites culturels par leur milieu familial de s'approprier les savoirs scolaires. L'enseignant doit alors avoir pour objectif de transmettre explicitement, mais aussi pratiquement, les techniques matérielles et intellectuelles les plus ordinaires qui permettent aux élèves de construire leurs savoirs. Les élèves ou les étudiants sont inégalement dotés des capacités de mettre en œuvre une organisation du travail scolairement efficace parce qu'ils ne saisissent pas tous 1) la nature des exigences scolaires et 2) les moyens matériels et intellectuels à employer pour parvenir à les satisfaire. Une pédagogie à la fois explicite et pratique devrait viser à transmettre les techniques matérielles et intellectuelles du travail scolaire qui font souvent partie de la "cuisine" de la réflexion. De même que dans certaines maisons la cuisine est un lieu qui ne se montre pas, les 4. V. Monfort, Les étudiants de première année à l'Université et le travail scolaire. L'exemple de deux filières : sciences et AES, Université de Paris I, le 15 février 2002. 68 Les difficultés des étudiants issus des milieux populaires enseignants rechignent à faire entrer les élèves ou les étudiants dans les "cuisines" où se fabrique le travail intellectuel. De même que le tour réussi du magicien ou l'exécution d'une œuvre musicale donnent l'impression du "naturel" parce que les "ratés" ont été peu à peu éliminés au cours des multiples répétitions, les performances orales des enseignants, les textes littéraires ou les ouvrages scientifiques peuvent désarmer ceux qui sont dépourvus des moyens les plus ordinaires pour se les approprier ou les imiter. En définitive, l'explicitation de ces actes les plus anodins du travail intellectuel est nécessaire si l'on veut dissiper le mystère de la production intellectuelle (mystère qui apparaît davantage aux yeux de ceux qui sont les plus étrangers au monde scolaire, qui ont plus rarement que d'autres assisté dans leur famille à des échanges argumentatifs, qui n'ont parfois jamais vu leurs parents ou leurs frères et sœurs prendre des notes sur leurs livres, se constituer des fiches de lecture personnelle ou des cahiers de citations, et ainsi de suite). Que peut-on donc tirer ici, en matière de saisie des difficultés scolaires des étudiants d'origine populaire, du tableau que j'ai dressé en commençant cet exposé concernant les investissements dans les différents types d'études ? Le fait que c'est souvent à ceux qui en auraient le plus besoin que l'on accorde ou donne finalement le moins (et notamment de temps, d'attentions, de conseils, d'encouragements, d'explicitations, d'orientations, de consignes, de techniques, de recettes...). Le fait que c'est dans les parties les moins sélectives de l'université que les étudiants les plus éloignés de la culture savante sont les moins encadrés pédagogiquement, contrairement aux élèves des classes préparatoires ou des grandes écoles. ***** Dans tous les cas, que l'on soit dans des cas d'"abandons scolaires" ou dans des cas d'"échecs scolaires", que l'origine des difficultés scolaires des étudiants de milieux populaires soit plutôt de nature économique (et appelle des aides économiques) ou plutôt de nature culturelle (et appelle des moyens d'encadrement supplémentaires), on voit bien qu'une politique rationnelle qui viserait l'amélioration significative des parcours scolaires aurait un coût économique important. ***** 69 70 Atelier n°1 Atelier 1 Information et orientation, outils majeurs pour l’ouverture des CPGE ? Après avoir introduit l’atelier, Brigitte PERUCCA donne la parole aux quatre intervenants. Jean Lamoure rappelle l’esprit qui a toujours animé la réalisation des Palmarès des classes prépas, aussi bien dans Le Monde de l’éducation que dans leur mise en ligne sur le site www.lemonde.fr. C’est, dit-il, satisfaire la demande légitime des familles et des élèves en leur fournissant le maximum d’éléments d’information pour les aider à choisir « nous mobilisons alors le vaste réseau d’enseignants, de responsables d’établissements, constitué au cours des années et qui nous font confiance ». Trois principes guident ces palmarès. C’est, d’abord, « faire avec », et non « faire contre » : définir avec les enseignants, les partenaires, les informations les plus pertinentes ; c’est également « faire pédagogique » et non « démagogique » : le souci est de rendre un service aux familles, aux élèves, « loin de toute recherche de sensationnel » ; c’est enfin « jouer la complémentarité plutôt que l’opposition » : complémentarité avec les conseils des enseignants, des COP dans les établissements, avec les sources officielles, documents statistiques et revues d’orientation. Ces trois principes sont, pour Jean Lamoure, à la base de la « qualité d’expertise » largement reconnue à ces publications. Renaud Palisse pense que les élèves du secondaire sont insuffisamment informés, et que de manière générale l’information qui leur est donnée par les canaux officiels est très lacunaire en particulier pour les jeunes dont les familles n’ont pas la connaissance des prépas. Pour attirer un public plus large, il lui semble par ailleurs nécessaire de « passer d’une logique de sélection à une logique d’orientation » et suggère que les principes de sélection pour l’entrée en prépa soient revus dans un souci de plus grande ouverture sociale. Jean-François Guipont revient sur le rôle essentiel des professeurs de terminale dans le processus d’information et d’orientation des élèves vers les prépas « même si la prise de conscience des élèves doit s’effectuer bien avant la terminale ». Il regrette également que, bien souvent, ils soient la seule source d’information de nombreux élèves. A cet égard, JeanFrançois Guipont pense que la nouvelle procédure d’admission en CPGE « donne une opportunité aux professeurs de terminale d’avoir désormais un véritable rôle de conseil, puisqu’ils se trouvent dégagés de la procédure des conseils personnalisés, même s’ils portent une évaluation verbale et chiffrée sur le dossier de l’élève. Les professeurs de terminale devront évidemment se persuader de ce nouveau rôle et il appartiendra évidemment aux chefs d’établissement de favoriser cette prise de conscience chez les professeurs ». Marie-Claude Gustot reconnaît que les changements qui se sont opérés dans les classes prépas ces vingt dernières années sont d’importance et réclament une nouvelle lecture, une présentation différente. Pour Marie-Claude Gustot, les publications de l’Onisep, continuellement actualisées, sont un excellent support pour véhiculer l’information sur les classes prépas. Brigitte Perucca lance alors les débats en donnant la parole aux inspecteurs généraux, proviseurs et professeurs participant à l’atelier. De nombreuses questions sont posées par certains, de nombreux témoignages sont donnés par d’autres. L’essentiel est regroupé ici en quatre thèmes. 71 Thème 1 : le rôle des professeurs de terminale dans l’information et l’orientation de leurs élèves en prépas. Ce rôle est jugé essentiel. Deux points sont soulignés : - l’action importante que peuvent mener les proviseurs envers ces professeurs en stimulant, organisant, leur rôle de conseil auprès des élèves, le rôle des professeurs de terminale envers ceux de leurs élèves qui s’autocensurent ; les professeurs de terminale peuvent « rassurer en informant davantage ». Thème 2 : les actions d’information menées par les professeurs de prépas. De nombreuses actions sont déjà menées par les professeurs de prépas pour recruter les élèves de terminales : forums, journées portes ouvertes, déplacement des collègues dans les lycées. On remarque dans tous les cas que l’élève de prépa qui accompagne son professeur est un excellent vecteur d’information. Un véritable partenariat s’instaure parfois entre les prépas de proximité et les lycées qui les entourent ; un collègue de Marseille témoigne combien ce partenariat s’avère alors très efficace pour l’élargissement du public des candidats aux classes préparatoires. On peut par contre regretter qu’il n’y ait pas davantage de forums sur les métiers organisés par les lycées pour leurs élèves du secondaire qui semblent largement méconnaître la réalité des métiers d’ingénieur, de chercheur, etc. généralement destinés aux élèves qui, après une prépa, ont intégré une grande école. Thème 3 : l’ouverture des CPGE aux élèves des mileux plus modestes. Deux remarques sont faites à ce sujet : - le frein que peut constituer, dans les milieux modestes, la perspective d’avoir à s’engager dans un processus de cinq années d’études : certains de ces élèves sont tentés de commencer par une orientation vers une voie plus courte - en IUT ou BTS – quitte à rejoindre les grandes écoles , après ce premier niveau « assuré ». - l’information sur le coût des études devrait être plus systématique, et mieux signaler que l’enseignement en classe prépa est gratuit, que les frais de scolarité – en particulier dans les écoles de commerce peuvent être pris en charge de diverses manières, par exemple, par le biais de l’apprentissage ou de l’alternance : un étudiant d’école de commerce peut commencer à gagner sa vie en école. Thème 4 : un outil d’information d’actualité pour l’ouverture des prépas : l’Internet. L’étude de faisabilité réalisée par la Commission TICE inter-unions a mis en valeur une demande croissante d’information par l’Internet émanant des élèves du secondaire. A l’objection d’utiliser pour une meilleure ouverture de nos classes un outil pas encore assez démocratique on peut opposer les efforts réels faits par les collectivités locales pour mettre en 72 Atelier n°1 place l’Internet pour tous. Ce thème, présenté par Nathalie Van de Wiele, secrétaire de la Commission TICE, est repris par Jean-François Guipont pour qui il semble en effet que «l’usage de la ‘toile’ est pleinement intégré au mode de vie des jeunes, qui se procurent facilement des accès internet hors de chez eux : cyber-cafés, établissement scolaire, camarades,… » et que l’on ne doit pas garder le sentiment qu’internet ne se répand pas aisément dans les classes sociales moins favorisées : «la ‘publicité’ [sur les prépas] sous toutes ses formes est essentielle (…) et le vaste usage d’internet va s’avérer des plus précieux. Presque tous les lycées se présentent maintenant sur internet - la nouvelle procédure y incitaient fortement les lycées à CPGE - mais une information plus générale (ONISEP, Ministère) qui existe déjà sur internet doit s’amplifier, et sans démagogie mais avec réalisme (la CPGE n’est ni le « bagne », ni le « club méditerranée »), encourager véritablement le futur étudiant à ne pas éliminer la possibilité d’une CPGE. » Brigitte PERUCCA conclut alors en saluant la qualité des interventions des intervenants et des participants ; elle est heureuse de constater que la réflexion est en route, grâce en particulier à ce « croisement des regards » des divers partenaires engagés dans ce rôle d’information, et que l’atelier a su dégager des propositions concrètes concernant l’information et l’orientation pour une meilleure ouverture de nos classes. *** Encadré 1 La question de la démocratisation de nos CPGE est à mon sens complexe en raison essentiellement des barrages psychologiques de type socio-culturel, les élèves des milieux modestes ne possédant pas les « codes » et percevant mal les enjeux des CPGE. A cet égard, la notation traditionnellement basse des professeurs de CPGE est plus déroutante pour eux que pour les élèves mieux avertis. Il faut ajouter à cela la relative incertitude de ces élèves sur leur engagement dans des études longues, dont ils perçoivent assez mal la finalité. Les premiers éléments chiffrés du déroulement de la procédure informatique semblent indiquer un très bon remplissage des établissements, et pas seulement des plus prestigieux. Il faut évidemment attendre les confirmations et acceptations des élèves (il ne manquera pas d’y avoir des abandons), mais d’ores et déjà les indicateurs de « remplissage » sont bons. Ce nouveau dispositif semble aller dans le sens que nous souhaitons tous d’une meilleure ouverture des CPGE. J-F Guipont, Lycée Saint-Louis Encadré 2 C'est en qualité de Conseillère d'orientation-psychologue que je voudrais apporter mon témoignage qui ne vise qu'un objectif: une meilleure collaboration entre nous tous. J'ai essayé au cours de cet atelier de faire passer deux messages qui nous tiennent vraiment à cœur mais qui vont manifestement à l'encontre d'idées véhiculées tout au long de ce colloque. Quelles sont-elles? 73 - « Les élèves du secondaire ne sont pas informés de l'existence des CPGE ». Je ne peux que m'inscrire en faux contre cette assertion. Les élèves reçoivent des informations, et ceci bien avant le second trimestre de l'année de terminale. Certes, le fait que chaque COP ait en charge deux ou trois établissements scolaires limite la portée de notre action mais nous passons dans les classes, des documents de l'Onisep sont distribués ( dont je conseille aux participants du colloque une lecture attentive), des conférences ou des rencontres avec des anciens élèves sont organisées. Les élèves sont en outre invités à se rendre aux Journées Portes Ouvertes et bien sûr à faire des recherches sur différents sites. Nous passons notre temps à inciter les élèves à multiplier les occasions de s'informer, à confronter les différentes sources d'information... Ceci en collaboration avec les professeurs du secondaire. - « L'information n'étant pas faite ou mal faite, il faut l'organiser car l'information, c'est la solution ». Nous considérons pour notre part que si l'information est nécessaire, elle n'est pas suffisante, en particulier dans le cas des jeunes d'origine modeste. C'est un tout autre travail qu'il faut mener avec ces jeunes. Notre expérience montre qu'il est illusoire de penser qu'une information, en particulier si elle est délivrée de façon collective, suffira à ébranler le sentiment très intériorisé que peut avoir un jeune que le monde des prépas et des grandes écoles n'est pas pour lui. [Joëlle Moynier développe alors l’exemple d’un jeune d’origine populaire et étrangère, « P.3, qui est un brillant élève de terminale ES et qui choisit de s’inscrire en BTS alors que, d’après son professeur principal, « il aurait le profil CPGE »] La décision de préparer un BTS, «P.» l'a prise, semble-t-il, en fin de 1ère. Dès lors, il va filtrer les informations pour ne retenir que ce qui va dans le sens de son projet. Ce mécanisme est fondamental pour comprendre son cas mais pas uniquement car nous fonctionnons tous de cette manière. Personne n'y échappe. «P.» écoutera d'une oreille distraite le témoignage de Caroline, ancienne élève du lycée, étudiante en CPGE économique et commerciale. Il ne se rendra pas aux Journées Portes Ouvertes des lycées qui proposent ce type de classe ... Si «P.» vise un BTS plutôt qu'une classe préparatoire, sa demande comporte néanmoins quelque chose de hardi! En effet, c'est au lycée Y que «P.» demande à poursuivre ses études, le prestigieux lycée Y, qui l'aurait peut-être également admis en CPGE. Ce n'est pas rien! C'est accéder au lycée qu'il ne s'est pas autorisé à demander à l'entrée en classe de seconde. Il a préféré alors le lycée X, jugé plus « convivial », dont « les profs sont proches des élèves » au lycée Y qui a la réputation de « casser les élèves » et qui semble, au fil des ans, se spécialiser dans l'accueil des héritiers de l'incontournable Pierre Bourdieu. Il y a là encore un problème d'image. Il y a aussi des éléments de réalité, des statistiques qui montrent que les lycées X et Y, situés dans le même district, n'accueillent pas les mêmes publics. «P.» va donc préparer un BTS. Dans deux ans se posera la question d'une poursuite d'études, de la possibilité de postuler pour les Grandes Ecoles par le biais des admissions parallèles. Vous vous en doutez, le lycée Y obtient d'excellents résultats à ces concours... Il lui faudra aborder la question du financement avec ses parents (son père est employé au service des jardins de la ville, sa mère est employée de maison) . Il sera alors peut-être en mesure d'entendre ce que ses enseignants de terminale n'ont pas manqué de lui indiquer: les étudiants de deuxième année des écoles de commerce (la quatrième année d'enseignement supérieur!) peuvent, grâce à l'alternance, devenir salariés. «P.» n'est donc peut-être pas perdu pour les 74 Atelier n°1 Grandes Ecoles. Ou il entrera à l'Université en IUP, en MST ou autre. Il aura la possibilité de faire des études longues... N'est-ce pas l'essentiel? (…) J'ai choisi un cas extrême pour illustrer mon propos. La plupart des élèves de terminale franchissent la porte de nos bureaux. Nous conseillons les CPGE car nous n'avons aucun préjugé concernant cette filière mais pour certains, c'est un choix qui ne coule pas de source, qui se fait après une valse-hésitation. Nous essayons, dans le temps qui nous est imparti, de les accompagner tout au long de leurs questionnements, de lever leurs inquiétudes mais certainement pas de les nier! J'ajouterai que ces inquiétudes ne sont pas l'apanage des élèves qui postulent pour une CPGE, tous les élèves de terminale sont inquiets à la veille de l'entrée dans l'enseignement supérieur, au moment de faire des choix qui les engagent. (…) Il nous faut continuer à échanger, dans l'intérêt des élèves, plutôt que de donner des réponses rapides à un problème qui est complexe. Joëlle Moynier, Conseillère d'orientation-psychologue *** 75 Atelier 2 "La diversification des C.P.G.E., instrument d'ouverture sociale ?" L'atelier n°2 s'est déroulé selon le planning suivant : o Introduction par J.L. PIEDNOIR, Inspecteur Général de Mathématiques o Intervention de M. TEMMERMAN, enseignant en PT au lycée Langevin Wallon de Champigny sur Marne et précédemment en TSI au lycée Voillaume d’Aulnay sous Bois. o Intervention de M. MESTRE, professeur de Génie Mécanique en TSI au Lycée Raspail Paris 14e. o Intervention de R. BERTRAND, présidente de l'A.D.E.P.P.T (Association des Professeurs de Classes Préparatoires H.E.C. voie technologique) o Intervention de S. TARDIF, vice-présidente de l'A.P.H.E.C. (Association des Professeurs de Classes Préparatoires H.E.C.) o Débat avec la salle. En introduction, J.L. PIEDNOIR indique que, depuis leur création, en 1977, les classes préparatoires réservées aux élèves des séries technologiques STI et STT accueillent des élèves qui n'auraient pas pu choisir cette voie si elles n'existaient pas. Il mentionne que pour l'année scolaire 2001 2002 : o les effectifs des classes TSI-ATS ne représentent que 3,8 % des bacheliers STI, soit environ 1300 étudiants, contre 20% d'inscriptions en CPGE pour les bacheliers S. o les effectifs des classes ECT ne représentent que 0,6 % des bacheliers STT, soit environ 500 étudiants. o 40 % des étudiants des classes TSI-ATS-ECT sont boursiers contre 14 % pour l'ensemble des C.P.G.E. o 25% des élèves de TSI sont titulaires d’un BEP et proviennent donc d’une première d’adaptation. Les classes préparatoires technologiques jouent donc un rôle d’ascenseur social réel mais méconnu. S’il est difficile de le quantifier au niveau national de nombreux témoignages montrent qu’il en est de même pour les classes de proximité quoique dans une moindre mesure. Les statistiques complètes sont données ci-dessous : Année TSI 1 TPC +TB 1 2001-2002 2000-2001 1999-2000 1998-1999 1997-1998 779 759 695 757 705 137 127 126 129 114 HEC techno 1 491 529 537 430 416 TSI 2 TPC +TB 2 660 611 648 663 734 95 91 70 75 89 76 HEC techno 2 439 436 361 354 292 ATS Bac STI Bac STL Bac STT 540 526 509 474 407 32900 35700 36900 36200 34600 5800 6100 6300 6300 6200 72700 78400 82200 79400 77000 Atelier n°2 M. TEMMERMAN décline la question posée selon les deux points suivants : • • La diversification permet-elle d’augmenter le flux d’élèves d’origine sociale moins favorisée ? Quelles sont les moyens pédagogiques à mettre en œuvre pour la réussite des élèves ? Avant de développer le premier point, M. TEMMERMAN présente brièvement la classe préparatoire PTSI /PT du lycée Langevin Wallon (LW) de Champigny sur Marne. Elle a été créée en septembre 1993 et totalise toutes promotions confondues depuis cette date, selon l’indicateur "mentions au baccalauréat S "les résultats suivants : 2,7% Bien, 26% Assez Bien et 71,3% Passable M. TEMMERMAN revenant au premier point, apporte son témoignage d’une diversification avec la voie PTSI de la filière scientifique, de son implantation dans un lycée de proximité associée à un partenariat régional avec d’autres lycées possédant des CPGE. Si on donne la parole aux élèves, ils sont nombreux à affirmer que « Si la prépa du LLW n’avait pas existé, ils n’auraient jamais fait ce type d’étude… » Pourquoi ? Pour certains, ils sont élèves du lycée depuis la 2nd et ont bénéficié d’une information privilégiée avec de nombreux contacts et ont leur a proposé une poursuite d’étude dans le même établissement, à coté de chez eux avec des professeurs qu’ils connaissent… Pour d’autres, ils ont fait une terminale S avec des notes simplement moyennes en mathématiques et ne pensaient pas avoir la compétence requise pour suivre cette formation. On leur a présenté la spécificité de cette voie avec son approche expérimentale importante. Ou encore, on leur a expliqué l’esprit et les contenus des sciences de l’ingénieur, discipline nouvelle pour eux et fortement valorisée en PTSI-PT. Un des moyens du développement du recrutement vers une population moins captive serait la diversification des voies et l’implantation de CPGE notamment dans des lycées de proximité, et plus particulièrement dans des lycées polyvalents avec filière scientifique et technologique, vecteurs de démocratisation ! Or on constate sur l’Académie de Créteil à forte population ouvrière possédant cinq PTSI-PT (Aubervilliers, Cachan, Champagne, Champigny et Meaux), que hormis la section de Cachan qui bénéficie de l’intégration dans le campus de l’ENS, les autres sections ont des difficultés de recrutement ! Comment dès lors, concilier une implantation de CPGE dans un lycée de proximité et assurer un recrutement optimal ? M. TEMMERMAN présente alors une expérience intéressante ; le partenariat régional associant trois lycées du Val de Marne dont l’un des objectifs est d’augmenter les flux 77 d’élèves dans les sections scientifiques PTSI et PCSI. Ces trois lycées du Val de Marne géographiquement proches possédant des CPGE scientifiques sont : Marcellin Berthelot à St Maur D’Arsonval à St Maur Langevin Wallon à Champigny (2MPSI,3PCSI,2MP,1MP*,1PC,1PC*,1PSI*) (1PCSI/PSI,1PSI*) (1PTSI, 1PT), En ce qui concerne plus particulièrement la PTSI-PT, les premières conséquences de l’existence de ce pôle sont les suivantes : o le déficit d’image du lycée technique LW , frein important au recrutement est en grande partie gommé par le partenariat avec les lycées prestigieux voisins. o l’information confidentielle de la Journée Portes Ouverte-LW sort de ses limites étroites vers un auditoire beaucoup plus large à l’occasion des JPO des deux autres lycées. Plus généralement l’information en direction des candidats potentiels et de leurs familles est nettement améliorée avec le souci de la faire la plus en amont possible. o la connaissance et la valorisation des sciences de l’ingénieur s’expriment par des actions spécifiques au sein du pôle. o L’attractivité est renforcée par l’existence d’une structure sécurisante très réactive avec de nombreuses passerelles entre les voies scientifiques pour optimiser les parcours et améliorer l’adéquation filière / profil d’élève. o La mise en commun d’un certain nombre de moyens, ressources du pôle, comme l’internat du lycée MB favorisent le recrutement en PTSI du LW. o Une image d’ouverture et d’innovation est attachée à l’existence de ce pôle régional décidant les élèves les plus indécis.(exemple : complémentarité d’équipement entre les différents établissements enrichit les ressources matérielles du pôle accessibles à l’ensemble des élèves). Ainsi le maintien d’une CPGE-PTSI/PT dans un lycée polyvalent de proximité et dans une cité ouvrière facilite l’accès à ce type de formation d’une population de condition modeste et l’isolement de cette implantation nuisible notamment en terme d’effectif est rompu par l’appartenance à un pôle régional. M. MESTRE, dans son intervention propose une réflexion issue d’une expérience de 22 ans d’enseignement en CPGE dont 5 en TSI. « La démocratisation des armes de guerre est en marche ». C’est ainsi que débute un article du Monde sur le grand banditisme. « Démocratiser » signifie maintenant non plus « instaurer un gouvernement où le peuple exerce la souveraineté », mais « rendre accessible au plus grand nombre » et, partant, « faire œuvre de promotion sociale ». Et le glissement sémantique du terme « démocratie » est semble-t-il en marche, lui aussi, en direction de : « ouverture sociale ». 78 Atelier n°2 Il pose ensuite en termes concrets les questions suivantes : • • « Les classes prépa technologiques sont-elles seulement des entreprises caritatives destinées à assurer la promotion sociale d’élèves marginalisés par le système scolaire ? ». « Quels sont les ingrédients d’un enseignement réussi dans ces classes ? » M. MESTRE présente alors trois exemples d’élèves (un échec, un espoir, un succès) qui illustrent les spécificités pédagogiques de la filière TSI. L’échec était celui d’un élève d’origine marocaine et ouvrière. Particulièrement respectueux, sérieux, travailleur, bref : méritant, il avait gravi tous les échelons des études techniques : CAP, BEP, BP, Bac technologique, et enfin CPGE TSI. Il était assis au premier rang, voulait TOUT comprendre, posait des questions jusqu’à épuisement. Hélas ses capacités d’abstraction et de rapidité n’ont pas permis le moindre passage en deuxième année, et nous avons dû le réorienter en IUT. Échec apparent du point de vue étroit de la seule classe prépa, en réalité une réussite du point de vue des études supérieures car son expérience en CPGE l’avait bien armé pour l’IUT où il s’est épanoui. L’espoir est le cas d’un autre élève d’origine marocaine encore en activité dans ma classe : il est issu d’un lycée de la banlieue nord de Paris. Or cet élève est fort en math – très fort même, pas seulement à l’aune du niveau moyen de TSI. Il aurait sa place en prépa classique. Mieux, à l’occasion de Noël, je racontais à la classe un conte dans lequel j’avais intégré, sans crier gare, un ciel bas et lourd pesant comme un couvercle sur l’esprit gémissant en proie aux longs ennuis. Le gaillard réjoui s’écria « Baudelaire ! » La réussite est incarnée par une jeune fille issue d’un collège violent de banlieue sud, auquel elle put échapper par l’inscription en cycle technologique à Paris. Première de sa classe en sup et en spé, stage dans un labo d’astrophysique suivi d’un TIPE brillant, et enfin admission en 3/2 aux Mines de Paris. Certes, ses performances dans les matières scientifiques ne la placent pas en tête de promotion, mais elle vient « d’avoir » son semestre. De plus, il semble qu’elle confirme ses talents d’initiative, de communication, d’interdisciplinarité, d’organisation et de leadership, tant appréciés dans cette institution – sans parler de ses capacités, spécifiques à sa formation, à garder les pieds sur terre même dans les situations où prévaut la réflexion théorique. Enfin, M. MESTRE pose la question suivante : "Considérant que certains, y compris dans les Grandes Écoles, affichent une hostilité ouverte à la présence de TSI, la filière TSI n’est-elle qu’un filet servant à repêcher des élèves méritants, et qui bénéficient d’une discrimination positive du fait de l’étanchéité entre leur concours et ceux des autres filières ? Ou à l’inverse, est-ce une pépinière de talents que d’autres filières seraient moins à même de développer ?" En conclusion, pour M. MESTRE, une réflexion plus large conduit à considérer les spécificités des étudiants de TSI non comme celle d’élèves marginalisés en voie de réinsertion, mais comme celles de toute la classe d’âge, à peine caricaturées en TSI. M. MESTRE est amené à proposer quelques pistes à une réflexion et une action future : Pour 79 « démocratiser », il faut sélectionner. - Il ne suffit pas de démocratiser, il faut former. - Pour former, il faut du temps. En conclusion, on observe banalement que l’enseignement ne peut faire fi de règles anciennes et éprouvées : la sélection des meilleurs, l’effort et la mémorisation, la répétition, ainsi que le respect de la durée et des rythmes d’apprentissage – conditions pour que la diversification des CPGE puisse constituer un instrument d’ouverture sociale, et que l’ensemble des CPGE et du système éducatif français continue à former une élite de niveau européen. R. BERTRAND indique que les classes préparatoires Economiques et Commerciales option technologique (ECT) ont été créées en 1976 et qu'il y a désormais 24 classes préparatoires ECT. Les séries technologiques tertiaires STT desquelles sont issus les étudiants des CPGE ECT forment chaque année 100 000 futurs bacheliers. Parmi eux 600 entrent en classe préparatoire ECT. Leurs profils sont très différents du vivier classique des classes préparatoires commerciales car 70% d'entre eux sont enfants d’employés, d’ouvriers, ou de personnes sans emploi (chômage ou retraite). Ils ont un baccalauréat technologique qui développe des qualités de pragmatisme, de sens de l’initiative, d’ouverture d’esprit appréciées par des responsables d’écoles. Les classes préparatoires ECT permettent de : o Donner à ces étudiants un bon niveau d’enseignement général leur conférant les qualités indispensables à de futurs cadres, leur permettant de suivre avec profit les trois années d’Ecole. o Conserver leurs aptitudes dans les disciplines de l’entreprise qu’ils retrouveront en Ecoles mais en les utilisant comme vecteurs de développement de capacités de réflexion, d’analyse, de logique. On constate enfin qu'en dépit de ce qui précède, les candidats option technologique restent trop peu nombreux. En effet, faute d’un recrutement suffisant, les classes préparatoires ECT ne jouent pas pleinement leur rôle. L’action des prescripteurs naturels peut être améliorée. Professeurs mais aussi proviseurs et conseillers d’orientation psychologues devraient être mieux informés de la nature des études en classe préparatoire et de la réussite aux concours. On pourrait sur la toile développer les entrées par mots-clefs dédiés aux divers métiers accessibles après une Grande Ecole : le hasard de la recherche pourrait ouvrir, alors de nouveaux horizons ! Il en est de même pour les sites de chacune des Ecoles de Management Les bacheliers STT ont des idées fausses sur leur CPGE. Nombreux sont ceux qui sont persuadés qu’une moyenne générale de 15 est tout à fait indispensable pour être admis en prépa. Ils pensent qu’une prépa est le royaume du « chacun pour soi », du bachotage, de la rivalité. Ils ignorent que des conventions existent entre prépas technologiques et Université et que toute admissibilité à une Ecole permet d’entrer en licence avec dispense de DEUG ; du coup ils privilégient les études supérieures courtes. Ils ont une mauvaise connaissance des débouchés concrets des Grandes Ecoles ce qui les amène à s'autocensurer. Ils ont des atouts, des capacités intellectuelles mises en lumière par la prépa, qui leur permettraient de suivre avec profit l’enseignement des Ecoles du plus haut niveau. Encore faudrait-il que les critères de sélection tiennent compte de leurs spécificités. 80 Atelier n°2 Mais le jeu de « course-poursuite » pour les grands concours est rendu impossible par le passage à deux ans de la réforme de 1995 et l’impossibilité de passer à trois ans pour les voies technologiques. D’autant que le niveau d’exigence des très Grandes Ecoles s’est accru. Il est possible de se résigner à cet état de chose, c’est dommage pour la mixité sociale et pour les écoles qui se privent d’une source de renouvellement. Sophie TARDIF note que les étudiants issus des prépas commerciales, voie technologique réussissent bien aux concours et accèdent à des carrières globalement plus intéressantes que celles offertes par les filières courtes (BTS/IUT) plébiscitées par les bacheliers STT. La population des Ecoles se trouvent enrichie d’étudiants caractérisés par des profils intellectuels et sociaux particuliers mais ils continuent à devoir faire face à des obstacles qui leur sont propres : structure de concours relativement défavorable, financement du concours et des études. Trop souvent les élèves de seconde s’orientent ou sont orientés vers la filière STT par défaut : profil scolaire jugé mal adapté à des études générales, travail insuffisant, manque d’ambition des familles, etc…Arrivés en terminale ils hésitent à s’orienter en CPGE. En effet, ils pensent ne pas être capables de réussir, d’avoir trop de travail, ils ont peur de l’échec, les études coûtent cher. En résumé, ils sont insuffisamment informés et surtout insuffisamment encouragés. Aussi l’orientation en BTS les rassure et souvent attire les meilleurs élèves. En classe préparatoire ils ont besoin d’un encadrement plus grand que leurs camarades des voies scientifique ou économique mais ils sont volontaires et s’accrochent malgré des lacunes en culture générale, surtout en langue étrangère. Leur réussite est réelle car 85% d’entre-eux intègrent une grande école de commerce. Il y a bien une ouverture sociale mais elle reste modeste. *** 81 Le débat avec la salle Les intervenants présents à l'atelier n°2 étaient des collègues professeurs de CPGE, des proviseurs de lycée, des inspecteurs généraux de l'Education nationale. Le débat s'est orienté autour des deux questions suivantes : 1. Comment mieux recruter pour ces CPGE ? 2. Quelle est la réussite de ces étudiants ? Les responsables de l'Atelier n°2 proposent la synthèse suivante : Pour la première question, il s'agit de mieux informer et convaincre que la réussite est réelle En effet, les élèves de première et de terminale se sentent, à priori, peu concernés par ces classes et n'utilisent pas les vecteurs traditionnels d'information sur les prépas (stands spécifiques des salons étudiants, presse spécialisée...). D'autre part, les prescripteurs d’orientation (proviseurs de lycée, professeurs principaux des classes terminale, conseillers d'orientation-psychologues) sont trop souvent mal informés de la réussite réelle des classes préparatoires technologiques. Comment faire ? Il est nécessaire de fournir, aux futurs bacheliers technologiques, à leurs professeurs, des témoignages ; • d'élèves en classes préparatoires pour prouver, par exemple, que l'accès des bacheliers technologiques est possible, • d'élèves en écoles d'ingénieur ou de management, issus des classes préparatoires technologiques • d'ingénieur, de professeur ou cadre manager diplômés issus des mêmes classes. D'autre part, il faut aussi ; • rencontrer les élèves de terminale concernés dans leur classe et, plus particulièrement pour les bacheliers technologiques, leur proposer d'assister aux cours et colles de C.P.G.E.). Le climat particulier des classes préparatoires technologiques peut rassurer les élèves. • développer le nombre des classes de proximité et des classes préparatoires technologiques afin de rendre ces classes plus accessibles à des jeunes de milieu modeste. • développer les internats pour ces classes compte tenu du contexte sociologique de ces élèves. • accepter des effectifs plus réduits pour ces classes car plus la classe est hétérogène plus elle nécessite des moyens adaptés. Pour la seconde question, les points suivants ont été relevés : 82 Atelier n°2 • Le bon niveau de réussite (80 % au moins) à l'entrée en grande école (reconnue par la commission des titres ou visées ou homologuées par le ministère de l'éducation nationale) atteste de la qualité de la formation de prépas. • Certaines écoles d'ingénieurs signalent, pour ces élèves, quelques difficultés en première année d'étude qui s'estompent ensuite, éventuellement au prix d'un redoublement. Les élèves de prépas option technologique tertiaire n'éprouvent pas de difficultés particulière en école de management. • • Une enquête réalisée par la C.G.E. auprès des Ecoles montre que la grande majorité des Ecoles se déclare satisfaite de ces élèves à capacités et à profils différents. Un exemple original Le pôle " CPGE des boucles de la Marne " regroupe les lycées Marcellin Berthelot et d'Arsonval de Saint Maur et le lycée Langevin Wallon de Champigny. Cette structure permet : • d'élargir l'information à un public plus vaste, • de réguler les flux d'étudiants (à l'entrée et à l'intérieur du parcours) au mieux de l'intérêt des étudiants, • d'optimiser l'utilisation des équipements des trois sites (laboratoires de sciences de l'ingénieur conçus en concertation). Un exemple à suivre ? J.L. PIEDNOIR remercie tous les participants. 83 Atelier 3 Les débouchés des C.P.G.E. en lettres et sciences sociales : Quelle organisation en vue d’un meilleur affichage ? Quelles évolutions en vue de leur élargissement ? Rapporteur : Jean Duchesne (UPLS et APPLS) Intervenants : Mme Catherine Paradeise, E.N.S. Cachan. Mme Katherine Weinland, Doyen I.G.E.N. Lettres. M. Zanotti, I.G.E.N. Arts. M. Charles Thomas, Proviseur, Écoles de management. M. Sadran, ancien Directeur, I.E.P. Bordeaux M. Hervouet, Directeur, École de Journalisme, Lille. I. Possibilités d’évolution et d’élargissement des débouchés. 1. Nouveautés en C.P.G.E. : options cinéma (5), théâtre (11), histoire des arts (3). Débouchés dans des domaines sous contrôle du Ministère de la Culture (en plus des options arts plastiques et musique, qui ne permettent jusqu’à présent que relativement peu d’intégrations dans les E.N.S.). Ces nouvelles options ne devraient pas nuire à celles qui existent déjà. 2. Écoles de management : depuis 1995, recrutement par concours sur les programmes des khâgnes. En moyenne 20% des candidatures aux écoles de management. Également possibilité d’intégration après licence ou maîtrise (concours sur titre), ce qui peut intéresser d’anciens khâgneux. Pas de quotas. 181 intégrations de littéraires (soit 30% des candidats) intégrés en 2002 (2% du total - beaucoup d’admis vont ailleurs...). Tendance à l’élargissement des écoles demandées (y compris en province). 3. I.E.P. : 9 (1 à Paris, 8 en province). Objectif : diplôme (de l’établissement, et non national) à bac + 5 (soit licence, puis maîtrise). Bordeaux : plus de 2000 candidats en 2002 (dont de nombreux khâgneux) pour 120 places. Objectif : organiser la complémentarité avec les khâgnes. Bordeaux : 20 conventions entre I.E.P. et lycées à prépas littéraires avec option I.E.P. en vue d’entrée en second cycle. Concours en fin d’hypokhâgne. Les reçus restent en khâgne. Cette complémentarité a bien fonctionné quand il y avait des échanges pédagogiques entre enseignants. Procédure à consolider dans le cadre du système L.M.D. 4 . Écoles de journalisme : 5 en France. En moyenne 2000 nouvelles cartes de journaliste en France chaque année, pour un total d’environ 36000. Lille : 833 candidats à bac + 3 (soit 180 ECTS) pour 50 places en 2002. Parmi les reçus : 40% d’I.E.P. et 20% de khâgneux. Les écoles souhaitent diversifier les origines des étudiants. Perspective de banque d’épreuves pour la culture générale et la maîtrise du français. Les écoles souhaitent garder des épreuves propres (testant empathie, autonomie, créativité, etc.). 84 Atelier n°3 II. Quinze propositions et suggestions entendues en vue d’un meilleur affichage. A. Améliorer l’information. 1. Retourner les chiffres. On dit trop 400 places pour 4000 candidats. Il faudrait faire entrer dans les têtes : 8000 places pour 4000 candidats (il y a plus de 8000 places aux Capes et agrégations dans l’ensemble des disciplines littéraires, en comptant tout). Il va falloir compenser quantité de départs à la retraite dans les années qui viennent ! 2. Recenser systématiquement les anciens hypokhâgneux et khâgneux parmi les lauréats du Capes et de l’agrégation et publier les chiffres. 3. Alerter les lycées : a) en insistant sur le caractère pluridisciplinaire des prépas littéraires, qui évite les spécialisations prématurées et s’ouvre sur la culture artistique (cf. épreuve de culture littéraire et artistique à l’ENSLSH de Lyon) ; b) en attirant l’attention de professeurs sur la nécessité vitale de la maîtrise de la langue française et de la dissertation pour remplir les dossiers de candidature selon la nouvelle procédure : c) en faisant inscrire la spécificité des prépas littéraires dans les « projets » des établissements qui en ont. 4. Informer élèves et familles dès la fin de la seconde sur les débouchés des études littéraires, afin de relancer sur une filière qui souffre actuellement de désaffection. 5 . Organiser des « tournées des popotes » pour expliquer les débouchés des C.P.G.E. littéraires et les possibilités de financement des études en écoles de management. B. Augmenter la lisibilité. 6. Ne pas trop distinguer et surtout ne pas opposer le littéraire « pur » et les « sciences humaines » et souligner au contraire leur complémentarité. 7 . Bien insister sur le système des équivalences, et donc resserrer les liens avec les universités, qui demeurent le principal débouché des khâgnes (préparation aux Capes et agrégations), notamment avec le renouvellement prévisible du corps enseignants. 8. Clairement inscrire ce système d’équivalences dans le cadre 3-5-8 ou L.M.D. des ECTS. 9. Fédérer autant que possible (p. ex. avec une convention-cadre) les concours d’entrée pour khâgneux dans les écoles de management, les I.E.P. et écoles de journalisme. 10. Envisager une rationalisation du dispositif des concours d’admission dans les ENS, soit sur le modèle de la banque d’épreuves B/L, soit au moyen d’une banque de notes, l’une et l’autre accessibles à d’autres écoles. C. Accroître l’attractivité. 10. Bien insister sur l’intérêt du rétablissement l’option maths en 1ère et terminale L : c’est une condition pour la revalorisation de cette filière ; la répugnance pour les chiffres est aussi une raison d’échec dans les intégrations de khâgneux dans les écoles de management (de même que la réticence devant les stages en entreprise dans le cours des études et l’absence de projet professionnel). 11. Augmenter (pourquoi pas ? fût-ce de façon symbolique) le nombre de places aux E.N.S. 12. Valider au niveau des équivalences la pluridisciplinarité des CPGE littéraires : pourquoi, en règle générale, limiter les équivalences à une seule discipline ? 13. Envisager de donner une équivalence complète de licence (180 ECTS) aux bons étudiants qui font une seconde khâgne. 14. Proposer un système de bourses comme celui des IPES d’autrefois, qu’il faudrait « réinventer » (valable également pour les filières scientifiques, voire management ?). Conclusion : La filière « lettres et sciences humaines » est décisive pour la démocratisation des C.P.G.E. : c’est la littérature (entendue au sens le plus large) qui a constitué la démocratie ! 85 Atelier 4 Classes préparatoires scientifiques : comment élargir le recrutement ? La question de l'élargissement du recrutement se pose d'une manière cruciale aujourd'hui. En effet, d'une part, une certaine désaffection pour les études scientifiques se fait sentir alors que les classes préparatoires scientifiques peuvent accueillir davantage d'élèves en leur offrant les débouchés correspondants, d'autre part, la composition du recrutement apparaît parfois trop homogène et n'inclut pas suffisamment toutes les catégories de la population. L'atelier 4 a été suivi par un grand nombre de participants, principalement des professeurs, mais aussi des chefs d'établissement et des responsables d'associations de professeurs. Le débat fut introduit par quatre interventions de personnes de terrain qui se voulaient des témoignages : celle de Jean-Marc Fournier, fondateur de l'association TREMPLIN, celles d'Olivier Sidokpohou, professeur à la Courneuve, de Daniel Gasecki et Jean-Marc Truffaut, professeurs à Mantes la Jolie, et celle de Jean-Hervé Cohen, professeur à Saint Denis. Monsieur Maurice Porchet, professeur de biologie à l'université de Lille-I, termina les interventions en élargissant la réflexion plus généralement aux formations scientifiques. On trouvera en annexe trois textes [1] texte de présentation de Jean-Marc Fournier [2] texte de Olivier Sidokpohou [3] texte de Daniel Gasecki Principaux constats et recommandations issus de l'atelier 1- Les causes de la sous représentation des élèves issus de milieu modeste II est apparu au fil des interventions, puis au cours du débat avec la salle, que quatre causes principales se dégageaient à partir de tous les cas étudiés. Il s'agit de l'autocensure, du besoin supplémentaire d'encadrement, de l'inégalité d'information, et de la difficulté de financement. Certaines de ces causes sont liées, par exemple l'inégalité d'information et l'autocensure. Le rôle des professeurs du secondaire est déclaré prépondérant aussi bien dans sa pratique quotidienne que dans l'information qu'il peut transmettre (voir les chiffres donnés dans les interventions du matin). 2- Quelques propositions Du côté des professeurs qui enseignent dans des classes préparatoires qui recrutent déjà dans des milieux moins homogènes, et qui désirent attirer plus d'élèves, il s'agit d'abord de gérer le cours d'une manière adaptée, mais en évitant l'image de "prépas au rabais", pour donner au contraire l'image de prépas comme les autres, dont les élèves bénéficient d'une proximité géographique et d'un accompagnement personnalisé. Il s'agit aussi de concevoir une évaluation structurante et non cassante, afin d'éviter tout découragement, et toute "mauvaise presse" véhiculée par le bouche à oreille. 86 Atelier n°4 Du côté des professeurs des classes de lycée, et tout particulièrement des classes de seconde, il leur est recommandé de jouer leur rôle, prépondérant, dans l'information et l'orientation, en repérant les potentiels (même dans le cas de résultats scolaires inégaux selon les matières) et en apportant l'information et le soutien aux élèves concernés ( parfois en essayant de convaincre leurs collègues réticents lors des conseils de classe). Ce suivi et ce soutien devront se poursuivre en première et terminale. Il en résulte une nouvelle recommandation, celle d'informer en premier lieu ces professeurs (et aussi bien entendu les CIO). Pour modifier l'image qui peut être négative des "prépas" et les tabous qui persistent malgré l'information (ou par manque d'information) chez les élèves des classes secondaires, il est recommandé de faire intervenir le témoignage de jeunes eux-mêmes en prépas auprès de ces derniers, ainsi que celui d'anciens élèves des lycées d'accueil qui ont réussi. Ce genre d'intervention est plus efficace que beaucoup de discours. Enfin, il faut repérer des élèves à haut potentiel mais avec des talents différents. Ceci constitue un autre volet de l'ouverture et concerne plus directement les grandes écoles et leur recrutement. L'ouverture sociale ne passe pas uniquement par l'attention, la confiance à donner, le tutorat, mais aussi sans doute par la reconnaissance de talents moins académiques. Par exemple, l'augmentation de la part des démarches d'invention par rapport aux démarches de restitution dans les évaluations, ou la mise en place d'entretiens sont des évolutions à prendre en compte. ___________________________________________________________________________ Annexe [1] L’expérience de l’Association Tremplin : une action de proximité Un double constat : - Les jeunes issus de milieux modestes sont sous-représentés dans l’enseignement supérieur français, et notamment en classes préparatoires scientifiques. - En théorie, ces élèves n’ont pas d’obstacles particuliers pour intégrer ces filières. Notamment, l’anonymat du concours est censé garantir l’équité et donner les mêmes chances à tous. Pourquoi cette sous représentation ? - Autocensure : ‘Ce n’est pas pour moi’ - Difficultés de financement : Les études longues obligent à reporter les premiers salaires. - Besoin d’encadrement au travail : faire face aux méthodes de travail exigées en prépas. - Inégalités devant l’information : en terminale, on ne sait pas ce qu’est une école d’ingénieur. - Importance des proches : des parents ou amis ayant suivi des parcours analogues à celui de l’élève jouent un rôle important pour conseiller et mettre en confiance. Que propose l’Association Tremplin ? - L’Association Tremplin intervient dans des lycées en Z.E.P. ou des lycées dont les taux de réussite au baccalauréat sont sensiblement inférieurs à la moyenne nationale (8 lycées sont concernés). - Sur place, Tremplin offre des séances régulières d’exercices scientifiques pour des lycéens volontaires, par des étudiants (de l’X, de l’E.N.S. ou de l’E.N.S.A.E pour l’année 2003). 87 - Les exercices sont destinés à des élèves intéressés par des études longues (prépas, université…). - Les exercices proposés sont des exercices d’approfondissement traités en petits groupes. - Les étudiants engagent un dialogue afin de donner des conseils d’orientation. Un exemple de petit groupe : - Dans un lycée classé en Z.E.P. en Seine-Saint-Denis. - 4 élèves motivés en terminale S : 3 élèves en ‘tête de classe’ et un redoublant. - Aujourd’hui, deux élèves sont en MP* à Condorcet, une élève est en deuxième année de BCPST à Sainte-Geneviève et un élève est en DEUG MIAS à PARIS VI. Quelles leçons tirer de ce type d’expérience ? - Oser dire ‘toi aussi tu peux’, démystifier les classes préparatoires. - La proximité de l’âge est un atout auprès des élèves : les étudiants ont un rôle important à jouer, complémentaire de celui des professeurs. - Un ciblage sur l’année charnière de Terminale est efficace. Cependant, intervenir plus tôt dans le cursus aide à toucher davantage d’élèves. - Ne pas hésiter à donner leurs chances à des jeunes issus de ‘lycées de banlieue’, ils en sont capables et cela crée une dynamique positive pour l’image de ces lycées. Pour en savoir plus sur Tremplin : - [email protected] - http://tremplin.polytechnique.org Annexe [2] Contribution d'Olivier Sidokpohou Par mon intervention, je voudrais essayer de présenter quelques pistes de réflexions concernant les moyens de favoriser l'ambition des jeunes de milieu défavorisés, et ce à partir de ma double expérience d'ancien préparationnaire et d'enseignant dans le secondaire. Je voudrais tout d'abord présenter le cadre dans lequel s'inscrit mon action. Un lycée public situé et recrutant majoritairement à La Courneuve, avec une forte proportion de population défavorisée, pour des taux de réussite au baccalauréat un peu au-dessus de 50%. Précisons tout de suite que ma conviction profonde est que les problèmes et les difficultés que l'on peut rencontrer dans ce type de lycée ne sont pas de nature particulière. Il n'y pas d'élèves de banlieue, mais des élèves rencontrant des difficultés auxquelles l'école se heurte de tout temps et de tout lieu. Simplement, elles se rencontrent ici sous une forme plus concentrée, et concernent un nombre d'élèves tel qu'il n'est pas possible d'éviter de s'y confronter. Une première remarque s'impose concernant les élèves de lycée : par rapport à leur milieu, au passé scolaire de leurs parents, se retrouver au lycée général est pour eux déjà une réussite, souvent obtenue grâce à un investissement personnel et familial réel. Dès leur entrée, ils ont par rapport à la réussite un comportement double : une fierté d'être arrivés jusque là et en même temps une facilité déconcertante à perdre confiance en eux. C'est ainsi qu'en début d'année, on pourra compter une vingtaine d'élèves déclarant vouloir exercer une profession scientifique ou médicale, mais seulement cinq osant timidement déclarer vouloir faire une première S. Deux options se présentent alors : faire son métier comme si de rien n'était, déclarer qu'enfin cette année ils vont commencer à faire des mathématiques, car on n'apprend maintenant plus grand chose au collège, débuter par des révisions d'algèbre, constater que les 88 Atelier n°4 élèves n'ont pas du tout le niveau, rédiger des devoirs où les questions faciles valent un point et les belles questions difficiles 4, mettre 5 de moyenne à la classe pour ne pas lui mentir sur son vrai niveau et constater avec tristesse que dès le deuxième trimestre, il n'y a plus que deux élèves qui travaillent. Ou au contraire, entrer dès le premier jour dans le vif des mathématiques, valoriser le savoir accumulé par les élèves au cours du primaire et du collège, faire des devoirs un moment de contrôle et non un petit concours, valoriser les progrès plutôt que stigmatiser les manques, fixer à chacun un objectif qu'il puisse réaliser et donc qu'on puisse exiger de lui, en un mot mettre en place un véritable élitisme républicain, et non une sélection par le découragement. Ce débat n'est d'ailleurs sans doute pas spécifique à la classe de seconde…On ne peut pas mettre 5 de moyenne à une classe, expliquer que l'on ne fait qu'exiger des notions de base que tout élève de terminale devrait savoir ,et se plaindre que les élèves ne se sentent pas capables de préparer Normale Sup. Bien sûr certains élèves, parce qu'ils connaissent la musique, ou qu'ils ont un caractère exceptionnel, continueront à travailler, mais combien se décourageront, et décourageront leurs camarades de suivre leur voie : la S c'est trop dur, la prépa c'est l'enfer. On sous estime à ce propos l'effet très puissant du système de notation utilisé autrefois en lycée et aujourd'hui encore dans certaines classes préparatoires, qui décourage chaque année une bonne partie de ceux qui auraient pu être intéressés par cette filière. L'idée qu'on peut avoir 5 et ne pas être nul, et le prendre comme un encouragement à progresser est une idée totalement incompréhensible pour beaucoup d'élèves. Méfions-nous à ce propos de ces injonctions paradoxales, qui peuvent se nicher dans les discours les mieux intentionnés, et consistent à présenter les élèves venus de lycée du 93 uniquement par leurs défauts : ils ne savent pas… ils devraient connaître… ils auraient dû apprendre… ils ne savent pas calculer, factoriser, lire (!), même si ce catalogue de déficiences est suivi d'un…mais nous allons les aider. Une politique d'accompagnement et d'encouragement permet au contraire à quasiment tous les élèves de quitter la seconde avec des connaissances de base et l'idée que les mathématiques peuvent être aussi un monde accessible et un atout dans leur cursus. Pour ce qui est plus directement des séries scientifiques, elle permet d' y amener une douzaine d'élèves ce qui a pour effet d'offrir de réelles perspectives de promotion sociale à ces jeunes, et d'avoir un vivier suffisant pour que se dégage cette élite qui nous intéresse ici particulièrement. En terminale, s'effectue un travail plus directement lié au propos de ce colloque, puisqu'il s'agit d'amener les élèves à élargir leur choix d'orientation, et à se mettre dans la peau de futurs étudiants au long cours. On utilise tout ce qui peut rendre les études longues familières, proches, visibles. Il s'agit d'un travail de longue haleine car entre le moment où on commence à expliquer le système des classes préparatoires et celui où des élèves commencent à spontanément poser des questions sur le sujet, il s'écoule souvent plusieurs mois. Tout ce qui peut inscrire le monde des études dans la réalité et les projets concrets des élèves est bienvenu. Carrefours des métiers, sélections pour la bourse scientifique des jeunes filles, ateliers Tremplin. Le cours de mathématique est encore une fois un lieu essentiel d'information, où l'on indique les prolongements, les applications que la notion peut avoir, en mettant en valeur la diversité des points de vue mathématiques sur un même objet : le point de vue du biologiste, celui du mathématicien, celui de l'ingénieur ou celui de l'économiste. Cela permet aux élèves d'avoir une idée du type de mathématiques qu'ils aiment, et de faire leurs choix en conséquence. Le fait que j'aie moi-même suivi la filière des classes préparatoires et que j'aie réussi le concours de l'Ecole Polytechnique et de L'Ecole Normale Supérieure de Cachan donne une légitimité à mon discours et aux avis que je peux donner sur les possibilités de réussite des élèves. Il ne s'agit pas d'impressionner les élèves, mais encore une fois de leur 89 rendre proches et accessibles un code, un vocabulaire, à la façon peut-être d'un artisan transmettant son métier. Il me semble, et c'est là encore une conviction profonde, que l'on favorise d'autant mieux la réussite des meilleurs que l'on s'attache à la réussite de tous. Je ne peux que mettre en garde contre la tentation de "sauver les petits Mozart qu'on assassine" en sacrifiant ceux qui décidément "ne comprendront jamais rien à rien". Voir une élève réussir brillamment une classe préparatoire à Saint-Louis est évidemment tout à fait gratifiant, mais savoir qu'un élève de section littéraire deviendra un instituteur ayant gardé un bon souvenir de son cours de math l'est aussi. Pour conclure, il me semble que plutôt que de regarder ce qui manque aux élèves, il faut avoir aussi le courage de regarder ce qui nous manque pour les faire réussir, voire les obstacles que nous pouvons plus ou moins consciemment mettre en travers de leur route. Choix pédagogiques, notations, les enseignants ont beaucoup plus de latitude qu'on ne le dit pour améliorer la réussite des élèves de banlieue. Il ne faut cependant pas cacher la difficulté de la tâche, qui nécessite un travail profond de remise en question de la part de chaque enseignant. Annexe [3] Contribution de Daniel Gasecki A la suite des émeutes de 1991, le lycée Saint-Exupéry a connu une longue grève pour obtenir les moyens de sortir d’une logique de ghetto. Refusant le classement en ZEP, les collègues ont notamment demandé une redéfinition de la sectorisation, et la création de classes préparatoires. (Cette dernière revendication n'étant pas absurde puisque le Mantois constitue un bassin de recrutement suffisamment grand et sans concurrence immédiate d'autres lycées.) Une classe préparatoire scientifique a été ouverte en 1993 (ainsi qu’une classe commerciale voie économique puis, en 98, une classe littéraire). Pour assurer le recrutement et le bon fonctionnement de ces classes, on doit surmonter deux obstacles majeurs : 1) l'image du lycée (c'est le lycée du Val Fourré, le lycée des foulards islamiques,… ) 2) l'absence de culture de travail chez la plupart des élèves. Sont ainsi admis des élèves qui n'ont pas de vocation particulière pour les CPGE mais pour qui le lycée est plus proche que la faculté (concept de classes de proximité) et des gens au profil plus traditionnel. On est donc amené à pratiquer le grand écart pédagogique c'est-à-dire : 1) veiller à ce que les plus motivés puissent intégrer l'école de leur choix (deux élèves ont préféré rester en Spé au lycée plutôt que d'aller dans une classe étoilée et ont obtenu en 3/2 Ponts et Chaussées et Centrale Paris) et donner ainsi une bonne image de la classe (cercle vertueux) 2) s'efforcer que les autres ne décrochent pas. L'expérience montre que ces derniers obtiennent presque tous une école dès la première année et que les rares contre-exemples concernent des élèves ayant un projet personnel (futurs enseignants, poursuite d'une filière universitaire.. ) ou des gens qui n'auraient pas pu suivre à la faculté. Les classes préparatoires de proximité ne sont donc pas exotiques : on y suit les mêmes cours (TP de physique, TP de MAPLE), on y prépare les mêmes concours (le filtre s'effectue entre le collège et le lycée), seules les proportions changent : 1) Davantage d'élèves intègrent des écoles du concours E3A et quand on les retrouve à l'occasion des forums, ils semblent métamorphosés (l'enseignement devient concret et 90 Atelier n°4 est adapté à leur niveau, ils se découvrent un projet professionnel, et ils me semblent personnellement plus épanouis que certains ayant des écoles plus prestigieuses). En consultant le palmarès des classes préparatoires du Monde au concours E3A, je m'étonne de voir ce concours rester marginal dans certains lycées (si les écoles n'arrivent pas à recruter des effectifs suffisants, elles se tourneront vers les formations intégrées comme à Poitiers et ce, nécessairement au détriment des CPGE ) 2) Le recrutement étant plus large, le profil sociologique des étudiants est plus diversifié (entre 1/4 et 1/3 d'élèves boursiers, ou d'origine maghrébine, ou de filles, même si ces critères sont discutables) 3) De nouvelles tendances se dessinent : absence de travail de la part de ceux qui se destinent au concours E3A "puisque tout le monde l'a " et refus de s'investir dans un TIPE (non évalué à ce concours) Le regroupement des concours ESTP, ECRIN, ARCHIMEDE et ICARE ne permet plus d'avoir des épreuves classantes pour les écoles de bas de tableau ni même d'établir une hiérarchie entre les écoles. Les élèves, sans repères clairement définis, identifient les concours à une loterie et font 5/2 en dépit du bon sens. En conclusion, les classes préparatoires de proximité participent de façon efficace à l'ascenseur social tant qu'elles ne sont pas ressenties par les élèves, les collègues, … comme des classes au rabais. Cela nécessite un matériel performant en physique ou en informatique, des résultats honorables aux concours et surtout une information permanente auprès des intéressés (jamais acquise). Elles ont alors un rayonnement bien plus important pour le lycée que certaines mesures de discrimination positive (comme les conventions avec Sciences Po) puisque concernant des élèves qui n'auraient pas pu réussir par des voies universitaires. *** 91 Atelier 5 L’image des CPGE et des GE, un frein à leur ouverture sociale ? Le constat Les échanges au cours de l’atelier ont essentiellement porté sur les CPGE à propos desquelles un constat a été assez aisé à établir et unanime: les CPGE présentent l’image d’un « monde à part ». On peut en préciser les contours : c’est d’abord une image patrimoniale ; elle participe à la reproduction des héritiers et à la dissuasion des autres. C’est également une image sexiste qui contribue à renforcer l’exclusion précédente. La transmission de ces images participe à la fois de l’autorité parentale, mais aussi professorale, et professionnelle – des spécialistes de l’éducation et de l’orientation. Dans tous les cas, c’est généralement une image retardée – ou rémanente, véhiculée sur la base d’une expérience - ou d’une expertise datée, ou décalée. Les échanges ont essentiellement porté sur les usages, les pratiques, au sein même de l’institution scolaire – les lycées mais aussi les classes préparatoires - qui contribuaient à transmettre cette image. Si cette image n’explique pas l’essentiel d’une sélectivité sociale qui, comme le montrent bien les travaux de la DEP se détermine tout au long de la scolarité secondaire, il ne semble faire de doute pour aucun de participants à l’atelier qu’elle contribue à repousser une part des bacheliers qui auraient toute leur place en CPGE. A cet égard, nombre de participants se sont émus des références au « bagne », à « la vie monacale », aux « sacrifices » à consentir… qui émaillent fréquemment les articles de presse sur les classes prépas mais que l’on retrouve également dans des documents officiellement destinés à l’information des enseignants…. Cette image strictement négative ne peut être que dissuasive, bien au-delà même des seules catégories populaires ou féminines qui semblent désormais communément considérées comme les nouvelles cibles stratégiques de recrutement des classes préparatoires. A l’inverse, plusieurs intervenants ont souligné combien l’image des prépas pouvait être présentée par les mêmes enseignants ou élèves sous un jour totalement différent selon leurs interlocuteurs. Ces remarques venaient en écho à l’intervention de Jean-Claude Lafay sur l'ambivalence de la perception du « monde prépas » par lui-même, sur cette image retardée « maintenue vivante par des processus complexes où les traditions familiales, professorales, étudiantes - les BDE, les associations d'anciens élèves - ont un rôle important. C'est pourquoi les enquêtes (en particulier auprès des élèves de prépas) obtiennent des réponses souvent contradictoires ou en décalage avec la réalité : on ‘défend’ sa prépa - ou on s'en dissocie - tantôt en exagérant les contraintes, tantôt en les niant contre toute évidence, selon les intentions que l'on suppose à l'enquêteur ». Encore semble-t-il nécessaire de distinguer les « lycées à prépas » des lycées sans prépas ; pour Albert Munoz, par exemple, l’absence d’image des prépas est peut-être aussi fréquente, pour certaines catégories de lycéens – de familles immigrées ou populaires – que la « mauvaise » ou la « bonne » image : nombreux sont ceux qui ne connaissent tout bonnement pas ces classes et encore moins les différentes filières : aussi, la première information qui leur en est donnée – le plus fréquemment par des enseignants – jouera-t-elle un rôle déterminant. 92 Atelier n°5 L’importance de l’information apportée par les enseignants de lycée fait consensus, de même que l’image généralement ambiguë qui est donnée des classes préparatoires : une image d’attraction – répulsion, ainsi que le souligne Albert Munoz, qui serait partagée aussi bien par les professeurs que les élèves, en particulier dans les lycées « sans prépas » où elle est fortement liée au propre cursus des enseignants – voire à leurs perspectives de carrière. Comment changer cette image ? Des collègues souhaitent qu’en cherchant à dédramatiser l’image des classes préparatoires on ne les banalise pas pour autant, ce qui ne semble pas forcément une tâche simple, tant elles apparaissent comme une institution en décalage par rapport au discours ambiant sur l’école : « il faut dire qu’elles réclament des efforts, du travail… » ajoute un collègue. Des suggestions Un large accord se fait autour de quelques suggestions le plus souvent déjà expérimentées par des collègues, dans quelques établissements. Il est souhaité que ces initiatives puissent être plus systématiquement recensées et diffusées. Il semble qu’il faille, d’abord, travailler auprès de tous ces élèves qui n’ont pas d’image des prépas, qui n’en entendent parler que lors de la procédure de dépôt des dossiers. D’un avis général, ce travail est à mener : - bien avant la terminale, dès la classe de première, ou mieux, dès la seconde proposent plusieurs collègues ; - par les enseignants de classes prépas, mais pas seuls, pour qu’ils ne puissent risquer d’apparaître plaider pro domo; - avec les élèves des prépas, retournant dans leur lycée ? mais il semblerait que l’image qu’ils en donnent puisse être très différente de leurs convictions intimes, ainsi cet élève qui décrivait sa vie prépa de manière à effrayer les élèves de son lycée d’origine : par « désir de se mettre en valeur », propose un collègue - mais il ne semble pas que cela épuise le sujet… L’intervention la plus efficace reste, semble-t-il, la sensibilisation des collègues de lycée : - d’abord, au sein des lycées à prépas où elle passe entre autres par l’implication des équipes pédagogiques dans la vie de leur établissement ; - dans le développement des liens à l’intérieur du réseau constitué par les lycées dans lesquels recrutent chaque prépa : ces liens permettraient en particulier des opérations de sensibilisation des collègues des lycées « sans prépas ». Mais, pour un grand nombre des participants, le plus important est de mener un travail interne au milieu même des classes prépas, pour aller vers plus de lisibilité et de transparence : - plus de lisibilité du ‘système prépa-grandes écoles’, pour qu’il ne soit plus vu au travers du miroir déformant des quelques établissements, les plus prestigieux, mais intègre la diversité du système ; - plus de transparence, afin de ne pas travestir la réalité; la prépa, ça n’est ni le bagne, ni le Club Méditerranée. Il faut dire la réalité sur le travail à fournir, sur la concurrence, à 93 l’intérieur des classes. Mais il faut aussi, plus positivement, dire davantage sur cette communauté de travail, élèves et professeurs, sur son efficacité qui fait la grande spécificité du système. Ce travail interne concerne peut-être surtout le mode d’évaluation des élèves. C’est un sujet qui a été débattu durant une bonne part de la durée de l’atelier. Une collègue a dit la difficulté du genre, la prépa coincée entre la notation issue de la terminale, qui a le bac pour horizon et la notation «concours», supposée beaucoup plus rigoureuse que la notation de prépa. Celle-ci serait en quelque sorte une cote mal taillée entre les deux ; mais, d'un côté il s'agit d'un examen (exigence de niveau), de l'autre d'un concours (exigence de classements discriminants). D’autres collèges ont donc souligné combien ce système d’évaluation était totalement incompris des catégories d’élèves, de parents qui n’y sont pas familiarisés. Au delà de la réflexion sur l’évaluation des élèves, il semble enfin nécessaire d’imaginer comment tous les efforts qui pourraient être déployés pour une plus grande attractivité des prépas peuvent ne pas être annihilés en quelques semaines, après la rentrée scolaire. Car si les prépas accueillent de nouveaux publics, encore faudra-t-il se donner les moyens de les conserver pour qu’ils n’abandonnent pas au bout de deux semaines ou de trois mois : pour commenter le contreexemple de sa classe, «aucun élève n’abandonne, dit une collègue, car nous ne les humilions pas ». Ce travail sur les pratiques, les styles pédagogiques des prépas pourrait constituer un beau et vaste chantier à mettre en œuvre – comme une réponse partielle mais réelle à la question de leur ouverture sociale. *** Encadré 1 – L’implication des équipes pédagogiques - Le témoignage d’une collègue à Marie Curie (Nogent sur Oise). « Les occasions d’échanges avec les prépas sont plus nombreuses qu’on le croit. Les professeurs de Physique de CPGE ont pu mettre au point plusieurs TP informatisés grâce à leurs collègues de Physique Appliquée des sections de BTS. Les étudiants de CPGE ont été initiés à certains procédés de fabrication sur l’invitation des collègues de Forge et de Fonderie. Le collègue de Mathématiques de PT a animé une formation MAPLE pour les professeurs du secondaire, celle de PTSI a participé à la préparation des Olympiades de Mathématiques avec des élèves de 1ère S. Le collègue qui enseigne le Français en CPGE est coordonnateur de sa discipline et s’investit dans les questions de communication au sein de l’établissement (… )». Ce sont autant d’occasions qui permettent à toute une communauté scolaire, élèves, professeurs et étudiants de mieux se connaître, de mutualiser des moyens, des savoirs et des compétences. On peut ainsi donner une image positive et constructive des CPGE ». 94 Atelier n°5 Encadré 2 – Les rivalités de clocher « Dans les classes prépas qualifiées par l'euphémisme navrant et poujadiste de "classes de proximité"(que l'on sache que presque tous les élèves ont une heure de transport pour arriver et présentent une mixité sociale intéressante!), on offre le même enseignement qu'ailleurs destiné à préparer les concours dans toute leur rigueur. Cependant, le petit nombre d'élèves et l'état d'esprit militant des enseignants font que l'on repère et met en valeur les qualités singulières de ces élèves tout en les adaptant à l'académisme nécessaire. Le résultat est qu'aucun élève n'abandonne, que tous les ans certains choisissent de cuber estimant avoir des chances aux concours et qu'ils vivent leur scolarité de manière heureuse. Notre principal obstacle est la mauvaise image diffusée a priori par les lycées voisins comportant des hypokhâgnes seulement, qui dissuadent leurs élèves de préparer les concours avec nous et préfèrent les envoyer en Deug à l'université les privant d'une année de formation pluridisciplinaire solide! Quant aux lycées du secondaire, ils ont souvent une absence regrettable d'information sur les classes préparatoires en général. Ce problème -on le sait bien- se retrouve à des degrés divers sur tout le territoire et il faudrait cesser de miner ce système démocratique de qualité auquel nous tenons tant, par des rivalités stupides et sans objet entre établissements, voire entre villes, départements ou régions qui relèvent de l'esprit de clocher, nuisent à l'unité républicaine et surtout à l'égalité de chances offerte à tous nos élèves. Lorsque l'an dernier, l'une de nos élèves de Saint-Ouen, dès la première année a obtenu des résultats convenables au concours, nous l'avons envoyée sans honte ni état d'âme dans un lycée du quartier latin où elle a réussi à travailler de manière plus anonyme et autonome après avoir été dirigée et soutenue dans un établissement modeste. Il y a encore beaucoup à faire pour effacer l'image désastreuse qui s'attache à un département que l'on n'ose désigner que par un chiffre pudique, le "9-3", mais il faut se souvenir que géographiquement ces étudiants ne se trouvent qu'à une demi-heure de la Bibliothèque Sainte Geneviève et que l'on continue encore à exercer sa raison de l'autre côté du périphérique! » Anne, professeur de Lettres modernes en khâgne au lycée Blanqui de Saint-Ouen (93) *** 95 Atelier 6 La diversité des recrutements dans les grandes écoles : quels bilans ? Nous avons commencé par quelques données factuelles issues du MEN et que je vais rappeler. Pour les écoles d'ingénieurs (annexe 1), sur 100 diplômés, 44 viennent des CPGE, 28 viennent des classes préparatoires intégrées, 7 viennent de DEUG, 14 viennent de DUT, BTS ou d'une prépa ATS et 7 viennent d'une maîtrise universitaire. 72 d'entre eux sont donc passés par une classe préparatoire (et même un peu plus si on intègre les ATS) ce qui, de l'avis des participants de l'atelier, semble être une garantie de la qualité du recrutement et donc de la formation. Pour les écoles de management (annexe 2), la situation est plus complexe puisque 19 viennent d'une CPGE, 24 ont été recrutés après la baccalauréat (et sont donc l'équivalent des classes préparatoires intégrées), 18 viennent d'un DUT ou d'un BTS, 4 viennent d'un DEUG, 9 viennent d'une maîtrise universitaire, 2 d'un troisième cycle, 3 d'une école d'ingénieurs, 2 d'une autre école de commerce, et près de 19 sont d'une autre origine. Ces chiffres semblent cependant cacher une réalité assez diversifié selon les écoles puisque pour HEC (annexe 3), toujours sur 100 diplômés, 75 proviennent des classes préparatoires, 11 viennent d'une licence, 13 ont intégrés après un deuxième cycle universitaire, le complément intégrant après un troisième cycle universitaire. La diversité des recrutements dans les grandes écoles est donc une réalité. Nous avons ensuite entendu Éric Savatero, directeur de la formation de l'ENS Cachan, qui nous a présenté le concours spécial BTS pour l'entrée en première année et les recrutements sur titre en troisième année. Depuis la session 97 du concours BTS, l'ENS Cachan a recruté 46 élèves par cette voie, dans trois spécialités (18 en génie mécanique, 18 en EEA et 10 en génie civil). Ces 46 étudiants ont des origines diverses (BTS, BTS + ATS, DUT), des qualités et des lacunes qui dépendent assez fortement de leur passé, mais tous ont des déficits dans les disciplines scientifiques et doivent fournir un effort particulier en première année. Sur les 19 étudiants qui ont eu la possibilité de se présenter à l'agrégation, 15 l'ont réussi du premier coup, 2 ont été admis la seconde fois, 2 la repassent cette année. Sur les 10 étudiants recrutés en 97 et 98, 4 sont actuellement en doctorat et 6 se sont tournés vers l'enseignement en secondaire dont la moitié après avoir passé un DEA. Les problèmes rencontrés concernent une démission en cours de première année, une exclusion pour double échec en fin de deuxième année et deux redoublements avec succès en fin de première année. 96 Atelier n°6 Ce parcours particulier a été brillamment illustré par Didier Briand qui est l'exemple même d'un parcours atypique réussi : CAP, formation qualifiante à la DGA, CPGE, DUT, ENS Cachan, en attente des résultats de l’écrit de l’agrégation ! Cyril Delhay, de Sciences Po, nous a ensuite parlé des conventions d'éducation prioritaires qui ont permis de sélectionner une cinquantaine d'étudiants issus d'une quinzaine de lycées sensibles. Plus précisément : 17 étudiants provenant de 7 lycées partenaires ont été admis en 2001 et 33 étudiants provenant de 13 lycées partenaires ont été admis en 2002. Les étudiants admis par cette procédure viennent à 85% des Catégories SocioProfessionnelles "ouvriers", "employés" ou "professions intermédiaires" contre 11% de ceux qui intègrent Sciences Po par les autres filières d'admission. 70% des admis par cette voie sont des femmes. Ces étudiants représentaient 10% des effectifs de première année en 2002. 15 des 17 admis en 2001 sont passés en année supérieure et dans l'ensemble les résultats académiques des étudiants admis par cette filière sont comparables à ceux des étudiants admis par d'autres voies. Ce recrutement a été illustré, tout aussi brillamment, par Aurélia Makos et Hakim Hallouch, élèves de deuxième année de Sciences Po. Alain Bernard de l’ESSEC nous a rapidement présenté un projet de cette école qui consiste non pas à créer une nouvelle voie d’entrée mais à favoriser l’entrée des élèves des Zones d’Éducation Prioritaires en les sensibilisant très tôt au fait que de penser intégrer une école de management n’est pas un rêve absurde. Christiane Tincelin, qui co-animait avec votre serviteur cet atelier, nous a cité le cas de JeanMichel Jaffrelot qui a intégré l'ESC Le Havre après un BTS de commerce international et suit les cours de la filière HEC Entrepreneurs en ayant déjà une grande expérience professionnelle et qui illustre la diversité des comportements. Pour structurer la réflexion, nous avons scindé les discussions autour des questions suivantes : La diversité des profils à l'entrée d’une grande école est-elle une richesse ou au handicap : Pour l'école ? Pour les étudiants eux-mêmes ? Pour leurs camarades de promotion des voies plus " classiques " ? Pour les entreprises qui recrutent nos diplômés ? Quelles diversités peut-on identifier (filières amont, sociales, culturelles, comportementales) et quels sont les points forts et leurs faiblesses par rapport à nos écoles ? Quels types de profils d'étudiants voudrait-on privilégier ? Quelles compétences autres que scolaires souhaiterait-on chez nos étudiants ? Comment bâtir des compléments d'épreuves ou des modes de sélection pour évaluer ces compétences ? 97 De l’avis unanime des participants à l’atelier, la diversité des profils à l’entrée des grandes écoles est effectivement une véritable richesse : richesse pour les étudiants eux-mêmes qui n’auraient certainement pas pu intégrer les écoles par les voies classiques de sélection ; richesse pour les autres membres de la promotion qui bénéficient d’un échange de compétences et de connaissances et d’une plus grande ouverture culturelle grâce aux échanges avec des personnes aux histoires personnelles différentes, aux origines (sociales et géographiques) différentes, aux pratiques linguistiques différentes ; richesse pour l’école à condition qu’elle sache exploiter cette diversité dans ses méthodes pédagogiques par exemple ; richesse pour les entreprises qui demandent d’ailleurs des diplômés aux profils divers et variés et non des collections de clones sortis d’un même moule. Il est d’ailleurs à noter que la recherche de la diversité des profils par les grandes écoles résulte de cette analyse et non d’un problème d’appauvrissement des viviers habituels de recrutement. Les diversités à rechercher sont donc : Diversités sociales, nous en avons déjà parlé et la plupart des interventions en séance plénière d’hier tournaient autour de ce thème ; Diversités de genre. J’emploie ici la traduction de l’anglais " gender " qui est beaucoup plus précise que notre terme français de sexe. C’est aussi un thème qui a été abordé lors des séances plénières ; Diversités des formations amont, le plupart des écoles recrutant des universitaires, certaines recrutent des titulaires de DUT et BTS et certaines écoles de management recrutant des khagneux ; Diversités comportementales comme le montre les profils entrepreneuriaux ; Diversités des nationalités qui induisent des diversités de formation amont et en général des diversités sociales et comportementales. Au delà des aspects linguistiques pour les recrutements internationaux mais diverses expériences montrent qu’ils ne sont pas insolubles, loin s’en faut, deux principaux problèmes semblent se poser : Il nous faut être capables d’adapter nos méthodes de formation pour éviter de passer à côté de l’objectif et donc de fabriquer des clones à partir de profils différents. Il nous faut surtout être capables de concevoir des modalités de recrutement adaptées aux différents profils, les méthodes fondées sur une discrimination positive ne semblant pouvoir être légitimées que sous forme expérimentale. Les points suivants ne sont pas issus des travaux de l’atelier qui, faute de temps, s’est contenté de signaler la difficulté du problème précédent, mais de réflexions personnelles ou induites par les exposés en séance plénière. Je vous les livre donc comme tels sachant que le premier concerne effectivement les modalités de sélection et que les deux autres ont rapport à l’élargissement du vivier de recrutement : 98 Atelier n°6 Les réflexions autour de la loi de modernisation sociale et de la validation des acquis de l’expérience devraient amener les écoles à réfléchir sur les compétences nécessaires à leurs diplômés et il me semble qu’il sera plus facile de trouver des méthodes de recrutement adaptées aux différents profils en raisonnant en termes de compétences qu’en raisonnant en termes de connaissances. Si nous voulons attirer plus de filles en taupe, il nous faudra certainement réfléchir à leur hébergement et donc ouvrir des internats de jeunes filles directement dans les lycées : en tant que parent d’élèves, comment voulez-vous que je conseille aussi facilement à ma fille qu’à mon fils d’aller en CPGE alors que je sais que mon fils pourra être logé directement dans le lycée et que ma fille devra, après une journée de cours éprouvante, se déplacer pour rejoindre sa résidence ? Enfin, l’exposé de Bernard Lahire nous a montré que finalement le système universitaire semblait mieux adapté aux enfants des Catégories Socio-Professionnelles favorisés qu’à ceux des CSP défavorisés qui ont plus de difficultés à mettre en place par eux-mêmes des méthodes de travail et semblent donc avoir besoin de plus d’encadrement. Nous devrions donc attirer plus d’enfants de CSP défavorisées dans les CPGE où l’encadrement est plus fort. Comme les CSP défavorisées n’ont pas les moyens d’envoyer leurs enfants en CPGE loin du domicile familial, ne faut-il pas réfléchir à augmenter le nombre de " prépas de proximité " ? Je vous remercie de votre attention. Christian Margaria, Directeur de l'I.N.T. 99 479 5 496 8 273 Ecoles en 4 ans Ecoles en 5 ans Total général 27,8 70,3 71,2 10,8 En % 13 107 357 135 12 615 44,0 4,5 20,1 59,2 En % CPGE Effectif NB : y compris les écoles dépendant du ministère de l ’agriculture 2 298 CPI Ecoles en 3 ans Effectif 1 834 238 8 1 588 Effectif 6,2 3,2 1,2 7,5 En % DEUG 4 597 1 363 32 3 202 Effectif 15,4 17,4 4,7 15,0 En % En % 6,6 4,6 2,8 7,5 29 787 7 817 673 21 297 100,0 100,0 100,0 89,2 En % Total Effectif Transparent Effectif.../Janvier/chrono 2003/courrier DIR/DIREI 1 976 363 19 1 594 Effectif DUT / BTS / ATS Diplômés >= bac + 4 - Rentrée 2001 - Effectifs recrutés par niveau dans les écoles et formations d ’ingénieurs publiques et privées (hors étranger) Total général Baccalauréat CPGE BTS-DUT DEUG-DEUST 2è cycle universitaire 3è cycle universitaire Ecole d'ingénieur Ecolede commerce Autres origine 24,5 19,0 18,0 3,7 9,2 2,4 2,7 2,2 18,2 100,0 En % Transparent Niveau de formation etudiant.../fevrier/chrono 2003/courrier DIR/DIREI 29 879 309 690 365 115 759 731 816 665 5 429 7 5 5 1 2 Effectif Ensemble commerce, gestion Effectifs recrutés par niveau dans les écoles de commerce et de gestion (hors étranger) - Rentrée 2001 - NIVEAU DE FORMATION D’ORIGINE DES ÉTUDIANTS DE L’ECOLE HEC ÈME EN 3 ANNÉE AU COURS DE L’ANNÉE UNIVERSITAIRE 2002-2003 Nombre total d'étudiants ..................................................... 478 100,0 % recrutés en 1ère année après CPGE..................................... 360 75,3 % 70,5 % 21,4 % 7,8 % 0,3 % 53,1 % 16,1 % 5,9 % 0,2 % 118 24,7 % 44,9 % 11,1 % 54,2 % 13,4 % 0,9 % 0,2 % • • • • concours scientifique ................................................ concours économique ............................................... concours littéraire ...................................................... concours technologique ............................................ 254 77 28 1 admis directs en 2ème année ............................................. • 1er cycle universitaire ............................................... Licence ........................................................ Bachelor’s degree ...................................... 35 18 • 2ème cycle universitaire ............................................ IEP ............................................................... Maîtrise ........................................................ DEA .............................................................. Diplôme d' Ingénieur ................................... Master' s degree .......................................... 34 5 1 22 2 • 3ème cycle universitaire ............................................ Doctorat de médecine vétérinaire ........... ème Répartition des 118 admis directs en 2 1 53 66,0 % 34,0 % 64 53,1 % 7,8 % 1,6 % 34,4 % 3,1 % 1 100,0 % année selon le mode de recrutement : ¾ titulaires d'un diplôme français ..................................... ¾ titulaires d'un diplôme étranger (concours CIAM) ........ ¾ recrutés dans le cadre des accords de DD .................. 60 45 13 Sources : • • • • ème Effectif total des étudiants de 3 année = Delphine Vilain le 15/04/03 Tableau des effectifs au 18/10/2002 MAJ le 11/03/03 fourni par M.-P. Leccia-Lamarre ère Répartition des étudiants admis en 1 année = M.-P. Leccia-Lamarre le 10/04/03 Fichier des AD/CIAM/DD en FQ avec diplôme d' origine fourni par MPLL le 11/04/03 et contrôlé par FS le 15/04/03 pour CIAM et DD • Calcul des pourcentages = CZem CZem – 15 avril 2003 Atelier n°7 Atelier 7 Filière économique et commerciale Le coût des études, frein à l’ouverture sociale ? Philippe HEUDRON (APHEC) – Nicolas MOTTIS (ESSEC) L’atelier s’ouvre sur un constat amer : la veille, la filière économique et commerciale s'est vue décerner un « carton rouge » par Christian BAUDELOT. De toutes les filières de CPGE, elle est celle où la proportion d'élèves issus du niveau social supérieur est la plus forte. Philippe HEUDRON introduit le débat : ce carton rouge est-il vraiment mérité ? Mais surtout à qui faut-il vraiment le décerner ? Aux acteurs de cette filière ou aux pouvoirs publics qui participent de moins en moins au financement de la formation des managers ? Le problème du financement des études ne peut être dissocié de celui du financement des écoles. Et les écoles de commerce ont à cet égard une place très particulière dans le paysage de l’enseignement supérieur français. C'est ce qu'expose alors Nicolas MOTTIS, directeur de l'ESSEC, qui, en préambule, rappelle la mission des Grandes Ecoles de Management : Former des étudiants au meilleur niveau international pour assurer leur développement personnel mais aussi et surtout celui du pays, à la fin d'un processus et d'un investissement étalés sur près de 20 ans (de la maternelle à la fin des classes préparatoires…). On notera que ce système, quasi unique au monde et essentiellement public, conduit à un niveau de qualification exceptionnel qui n’est atteint dans la plupart des pays développés qu’à un âge beaucoup plus élevé. Il faut donc d'abord placer le débat sur le plan d'une concurrence internationale de plus en plus vive et cerner les défis et les enjeux auxquels est confronté le pays. Comment donc les grandes écoles de gestion peuvent-elles assumer ces défis alors que : La France consacre globalement de faibles moyens à son enseignement supérieur et à la recherche. A l'intérieur du système français, la gratuité de l'enseignement dans les universités de gestion, les grandes écoles d'ingénieurs, les instituts d'études politiques interdit des frais de scolarité très élevés. Nicolas MOTTIS donne quelques chiffres significatifs sur les coûts annuels des études : ESSEC X, Mines University of Richmond (peu connue…) Harvard Business School 15 KE/étudiant 60 KE/étudiant 60 KE/étudiant 150 KE/étudiant ou sur les ratios professeurs/étudiants : ESSEC CENTRALE INSEAD 1/33 1/8 1/6 103 !!!! Comment alors recruter des professeurs de classe internationale et ouvrir les portes des écoles aux meilleurs étudiants. L'ESSEC, comme l'ensemble des écoles de gestion, a fait le choix de continuer à servir notre pays, c’est-à-dire de continuer à offrir une formation de qualité dans un marché non solvable et avec un très faible soutien public. Le défi est de continuer à assumer cette mission de service public tout en étant un acteur de premier ordre au niveau international. Le véritable enjeu est de promouvoir le modèle socio-économique européen, constitué d’équilibres assez différents de ceux qui dominent le modèle anglo-saxon classique. L’enjeu est aussi de défendre le système des Grandes Ecoles et de ne pas laisser la formation supérieure européenne en management aux mains des MBA anglais ou néerlandais. Ce débat ne peut donc pas esquiver la question politique : qui a vocation à financer l'enseignement supérieur ? Quelle est la part de Bien Public ? Celle du Bien Privé ? Nicolas MOTTIS expose alors les évolutions sur les cinq dernières années de la structure de financement de l'ESSEC. Il en ressort principalement : Une diminution sensible de la part de financement public : 48% en 97, 35% en 2002 (dont les 2/3 correspondent à la taxe d’apprentissage que les écoles doivent générer) Une augmentation parallèle et symétriques des ressources propres, formation permanente, chaires, fund raising : 22% en 97, 35% en 2002 Une stabilité de la part provenant des frais de scolarité : 30% environ Aujourd'hui donc un auto-financement d'environ 65%. A propos des frais de scolarité Nicolas MOTTIS fait ensuite quelques remarques concernant l'ESSEC mais qui, à quelques nuances près, sont sans doute généralisables : 30% des élèves ne paient pas de frais de scolarité. Grâce à l'apprentissage. Ils perçoivent même en plus un salaire leur permettant d'être totalement autonomes. 220 étudiants de l'ESSEC perçoivent une bourse. Il ajoute que toutes les aides possibles ne sont actuellement pas utilisées et que l’école fait en sorte que la contrainte financière soit levée pour les étudiants qui le demandent. Paradoxalement pourtant, les écoles de management restent victimes en France d’un biais sociologique : beaucoup considèrent qu’il s’agit encore exclusivement d’écoles de « gosses de riches »… Il conclut son propos en mettant l'accent sur deux points : A l'intérieur du système français, le handicap des écoles de management par rapport aux écoles d'ingénieurs ou aux universités est évident : ce sont les étudiants et leurs familles qui trinquent. Si on regarde la position de ces écoles par rapport à la concurrence internationale, US, Asie... une autre évidence s'impose : c'est le pays qui trinque !! Ceci dit, pour sortir de ces difficultés structurelles, il ne faut pas poser la question qu'en termes financiers Les écoles doivent développer des mécanismes innovants (fund raising, création de chaires, programmes de bourses internationales, etc.), travailler sur le fond - recherche, recrutement, accompagnement pédagogique, partenariats internationaux - et 104 Atelier n°7 valoriser leurs spécificités. Le système des Grandes Ecoles de management reste d’une qualité exceptionnelle, ce qu’atteste, par exemple, les performances de nos étudiants partant en échange dans les meilleurs universités mondiales. Il n'empêche, A terme, pour répondre aux défis énoncés plus haut,la collectivité nationale devra investir plus et mieux si elle veut préserver sa compétitivité internationale. Après cet exposé, Philippe HEUDRON reprend la parole. Tout au long de son intervention, il s'appuiera sur les résultats d'une enquête menée, courant avril 2003, par l'APHEC auprès d'un échantillon d'environ 1800 élèves de classe préparatoire EC. Il indique que les résultats de cette enquête concordent parfaitement, sur les questions communes, avec les résultats présentés la veille par Christian BAUDELOT. Ceci lui semble donc un gage de la robustesse des autres résultats dont il sera question ici. Il part d'un constat simple : les études dans les écoles de management sont chères. Bien sûr pas si on les compare aux études dans les universités américaines, mais objectivement chères dans le système français. Peut-on alors écarter l'idée qu'il existe un rapport entre ce fait et la composition sociologique des étudiants de cette filière ? Pourtant le choc démographique à venir et la tertiarisation constante de l'économie sont des occasions rêvées pour démocratiser l'accès à ces études... Encore faut-il reconnaître et mesurer les obstacles. Le premier de ces obstacles est un problème d'image : écoles de commerce = écoles de « riches » ! A preuve, ce courrier de lecteur dans ALTERNATIVES ÉCONOMIQUES Contradictions Fidèle lectrice de votre revue depuis une quinzaine d'années, abonnée depuis dix ans, j'apprécie vos analyses de la situation économique et sociale de notre pays et du monde sans doute en raison de la proximité entre mes convictions politiques et les vôtres, mais aussi de la richesse intellectuelle de vos papiers. C'est pourquoi je me permets de vous dire à travers ce courrier combien je trouve paradoxales et contradictoires les idées que vous défendez et la présence dans tous vos numéros de publicités pour des écoles de commerce privées et payantes. Chacun sait que ces écoles pratiquent des frais de scolarité élevés (au minimum 4 000 euros l'année) tels qu'elles demeurent inaccessibles aux catégories socio-professionnelles du bas de l'échelle, celles que vous défendez tant dans vos analyses. Nous savons aussi tous que la sélection par l'argent opérée par ces écoles conduit à une auto-reproduction de la classe dirigeante tant décriée dans vos lignes. Cette contradiction me dérange et je tiens à vous en faire part. Je la résume par l'expression suivante : « l'argent n'a pas d'odeur... ». Ce courrier pourrait passer pour une simple opinion individuelle. Mais il est en fait assez représentatif d'une vision couramment répandue : confusion entre le caractère payant des études et le caractère supposé privé des écoles (la plupart d'entre elles sont pourtant des établissements consulaires, donc des établissements publics administratifs) ; volonté quasidélibérée de pratiquer une sélection par l'argent dans un strict souci d'auto-reproduction des classes dirigeantes. Bien entendu, l'auteur ne se rend pas compte du germe d'hommage qu'il 105 rend au système : le passage par ces écoles conduit effectivement à des fonctions dirigeantes. Il y a peut-être des explications à cela : la raison d'être des écoles est de former et de renouveler les élites, non de les reproduire. Mais l'aspect le plus insidieux du discours est son caractère auto-réalisateur : car dire aux pauvres que ces écoles sont des écoles de riches, c'est dissuader les pauvres de tenter même d'y accéder. On peut enfin remarquer que les chiffres donnés par l'auteur ... sous-estiment largement la réalité !! Il convient donc d'abord d'analyser les chiffres véritables : ceux-ci proviennent d'un enquête effectuée par le chapitre des grandes écoles de management en 2001. Coût total des études en école sur 3 ans - minimum : 14 445 € - maximum : 21 000 € - moyen : 18 147 € soit environ 6000 € par an pendant 3 ans (40 000 F) Un autre constat s'impose : si les effectifs des classes préparatoires économiques et commerciales sont en constante progression (environ 3,2% par an sur les cinq dernières années), il n'en demeure pas moins que le nombre de candidats aux concours est égal au nombres de places offertes par les écoles et qu'en fin de compte 700 d'entre elles (soit environ 10%) ne sont pas pourvues. L'attractivité des études en prépas ne semble pas en cause : Plus de 80% des étudiants sont satisfaits ou très satisfaits de leurs études, quelle que soit la voie. Les motifs de satisfaction les plus souvent cités sont : • les contenus des enseignements, jugés très intéressants • la diversité des disciplines. Pas non plus de problème d'ambiance : seuls 6,5% la trouve détestable, ils sont dix fois plus nombreux à la trouver excellente. La prépa n'est pas le bagne que certains se plaisent à décrire ou plutôt à imaginer Du côté de l'origine sociale, les résultats sont moins encourageants : Catégorie socio-professionnelle du père par voie. 70, 00% 60, 00% economique scientifique technologique 50, 00% 40, 00% 30, 00% 20, 00% 10, 00% 0, 00% exploitant agricole a r tisan, cadre supérieur, Professeurs commerçant, profession chef d'entreprise l ibérale 106 profession intermédia i re employé ouvr ie r sans profession Atelier n°7 Même si les élèves ont eu tendance à exagérer le niveau social de leurs parents, les choses semblent assez claires... Bien entendu ces chiffres sont à relativiser. Mais à l'évidence ils amplifient les phénomènes observés dans les différentes séries des classes terminales. On peut dès lors légitimement se demander s'il existe un vivier d'élèves qui renoncent à cette filière pour des questions d'argent. Même si l'instrument de mesure est imparfait (l'enquête ne porte pas sur les élèves de terminale), la réponse apportée par les élèves de prépas à la question : "avez-vous des camarades de lycée qui ont renoncé a venir en prépa EC parce que les études en écoles de commerce sont payantes ," est sans appel. AUTOCENSURE 60,00% 50,00% 40,00% E 30,00% S 20,00% T 10,00% 0,00% OUI NON NSP La réponse est oui pour environ 30% des élèves, 40% si on ne considère que les élèves ayant répondu. L'examen de la filière technologique est évidemment le plus parlant !Il est alors nécessaire d'affiner l'analyse : comment les élèves de prépa envisagent-ils de financer leur scolarité et où leur semble être la principale difficulté. Les tableaux qui suivent montrent que les élèves de prépas sont très concernés par le financement de leurs études. Le financement de la première année d'école vu de la première année de prépa Le financement de la première année d'école vu de la seconde année de prépa 80,00% 80,00% 70,00% 70,00% 60,00% 60,00% Famille Emprunt Bourse Petits boulots Autres 50,00% 40,00% 30,00% Famille Emprunt Bourse Petits boulots Autres 50,00% 40,00% 30,00% 20,00% 20,00% 10,00% 10,00% 0,00% 0,00% E1 S1 T1 Ens 1 E2 S2 T2 Ens 2 Pour la première année d'école, ils envisagent, dans leur grande majorité, le recours à la famille et à l'emprunt. Mais la conscience des difficultés semble se préciser entre la première et la seconde année de prépa. La contribution des familles est moins citée et la nécessité de l'emprunt s'impose plus (de 45% à 55% en E, de 40% à 45% en S, .... de 63% à 75% en T !). On voit de même monter l'idée de compléter les ressources par des petits boulots. 107 Le financement des autres années d'école vu de la première année de prépa Le financement des autres années d'école vu de la seconde année de prépa 70,00% 70,00% 60,00% 60,00% Famille 50,00% Famille 50,00% Emprunt Emprunt 40,00% Bourse 40,00% Bourse 30,00% Petits boulot 30,00% Petits boulots 20,00% Alternance 20,00% Alternance Autres 10,00% Autres 10,00% 0,00% 0,00% E1 S1 T1 ENS1 E2 S2 T2 ENS2 Pour le financement des autres années d'école, la part dévolue à la famille ou escomptée de l'emprunt diminue très sensiblement au bénéfice de l'alternance (au sens large, apprentissage, stages en entreprise,...). On observe ici encore une conscience plus nette des difficultés comme des solutions possibles chez les élèves de seconde année. La relation, voie par voie, de ces chiffres avec ceux de leurs compositions sociologiques est claire : la conscience des problèmes de financement est d'autant plus aiguë que l'origine sociale est modeste. Si on demande ensuite aux étudiants de situer le nœud des difficultés, c'est à dire de citer l'année d'école la plus difficile à financer, la réponse est d'une extrême clarté. Elèves de seconde année 70,00% Année 1 Année 2 60,00% 50,00% Elèves de première année 40,00% 35,00% 30,00% Année 3 40,00% Année 1 Année 2 30,00% Année 3 25,00% 20,00% 20,00% 15,00% 10,00% 10,00% 5,00% 0,00% 0,00% E1 S1 T1 E2 Ens 1 108 S2 T2 Ens 2 Atelier n°7 Tout ceci ne reflète bien entendu que l'idée que se font les élèves de prépa, c'est à dire d'élèves les ayant par avance acceptés - à défaut de les avoir réellement mesurés, si on se réfère à l'évolution de leur perception à l'approche de l'échéance - les problèmes de financement posés dans cette filière. Une enquête en amont, dans les classes de première ou de terminale, serait sans aucun doute utile pour apprécier plus sûrement les éventuels blocages à l'entrée dans une filière qui semble par ailleurs séduisante tant au plan de son cursus qu'à celui de ses débouchés. Il est tout aussi nécessaire d'examiner la réalité des difficultés rencontrées par les étudiants entrant en école. Lina IBRAHIM, élève de première année à l'Ecole Supérieure de Commerce de Lille, prend alors la parole. Elle va, en utilisant son exemple et celui de deux de ses camarades de prépa, illustrer quelques situations auxquelles peuvent être confrontés des étudiants au début de la première année d'école. Elle insiste d'abord sur sa propre détermination : oui, elle a réellement choisi cette filière. Par goût, et de ce point de vue les deux années passées en prépa ont été tout à fait conformes à ses espérance, et parce qu'elle nourrit depuis la classe de première un projet professionnel précis. Elle a d'ailleurs choisi l'ESC Lille pour cette raison précise. Un seul regret, qu'elle exprime avec force : on ne m'avait pas tout dit ... en particulier sur les moyens de financer mes études. Car : La première année d'étude, c'est un challenge financier ! o o o o Les frais de scolarité ( 6000 à 8000 € ) L’ordinateur portable ( environ 2000 €) Les frais d’emménagement (meubles, déménagement, caution…) Frais de vie : presque un SMIC par mois !!! Loyer (≈ 400 € / mois) Nourriture ( 250 € / mois) Factures (EDF, téléphone, lavomatic, transports = ≈150€) On pourrait penser que le stage de fin de première année permet de se « renflouer » un peu, ce n’est malheureusement pas toujours le cas. Deux possibilités se présentent : Vous restez en France Dans ce cas, mis à part pour les stages de vente, la rémunération moyenne oscille entre un tiers et un demi SMIC. Vous partez à l'étranger Une pratique qui se généralise de plus en plus Le but dans ce cas là n'est pas de gagner de l'argent mais d'éviter d'en perdre ! Un exemple : un stage de marketing, à Londres, en fin de première année : Recette Dépenses Salaire : £ 140 Impôts : £ 5,61 Métro : £ 23 Auberge de jeunesse : £ 118 Bilan pour une semaine : £ - 6,61 !! 109 En pratique, les stages de première année ne peuvent donc être considérés comme des moyens de financement. Lina explique alors que dans son cas personnel, le financement des autres années sera difficile : ce n'est qu'une fois inscrite à l'école qu'elle a appris que la section internationale (celle qui correspond à son projet professionnel) était incompatible avec l'apprentissage. Ce qu'elle déplore par dessus tout, c'est le manque d'information sur les problèmes de financement, autant avant l'entrée en prépa qu'au moment de l'intégration en école. Il en est ainsi des bourses : il n' y a quasiment pas de cadre national, chaque école a mis au point son propre système, et le tout manque singulièrement de transparence. Parfois tout va pour le mieux et les bourses peuvent s'ajouter : Elle cite l'exemple de son amie Nathalie : son père est serveur, sa mère est au chômage. Elle est boursière du CROUS (3000 € par an), mais aussi de l'ESC Lille (1000 € par an). Elle est de même logée dans une résidence universitaire … Ses frères, déjà bien installés dans la vie, paient sa scolarité. (et le CROUS n'a pas à le savoir !) Son ami Clément a moins de chance : la situation de ses parents ne lui donne accès à aucune bourse. Il ne vit plus chez eux. Il a contracté un emprunt. A la fin de ses études il devra rembourser 650 € par mois, pendant trois ans. Quant à elle, sa mère est cadre supérieur dans une banque, son père est chômeur depuis 1995 et ne perçoit plus aucune allocation. Elle n'a droit à aucune bourse. La banque ne lui a prêté que le montant de la scolarité et de quoi acheter son ordinateur. La vie est dure... elle s'en sort en faisant des « petits boulots », donne des cours particuliers, a dépouillé l'enquête de l'APHEC. Elle pense qu'elle s'en sortira mieux les années suivantes, grâce aux stages. Elle conclut son témoignage en disant qu'elle n'est pas un cas isolé : c'est en effet la catégorie des cadres moyens et des professions intermédiaires qui a le plus de mal à supporter les frais engendrés par les études en école de commerce car ces catégories sociales échappent généralement aux aides. Pour ces familles l'emprunt s'impose, en particulier pour financer la première année d'école. La discussion s’engage alors avec l'assemblée. On peut en retenir les points suivants : • • • • Le financement de la première année d'école est clairement un handicap pour la filière GP–E - Grandes Ecoles de commerce. Le système d'information est totalement insuffisant et bien trop tardif. Le système actuel des bourses n'est pas lisible. Hormis pour les bourses de l'enseignement supérieur, comment les lycéens et leurs parents peuvent-ils s'y retrouver dans les systèmes d'aides existants. Que peuvent-ils connaître des Bourses sur la taxe d'apprentissage, Bourses sur fonds de solidarité, Bourses de mobilité, mais encore de celles des régions, des Bourses Eiffel, de la Fondation Francence, du Ministère des Affaires Etrangères ... Pourquoi les Bourses de mérite (décernées aux élèves ayant obtenus de brillants résultats au baccalauréat) ne s’adressent-elles pas aux élèves de la filière économique et commerciale ? La conjonction du LMD et du problème spécifique de financement de la première année d'école ne fait-elle pas courir un risque nouveau au système CPGE - GE ? Le palier d'orientation structurellement prévu au niveau de la licence ne va-t-il pas favoriser des stratégies de contournement ? Il peut en effet sembler judicieux de tenter, après une licence gratuite, l'entrée en seconde année d'école, quand les problèmes de 110 Atelier n°7 financement sont rendus moins aigus grâce aux stages, à l'apprentissage, à l'alternance ou encore à l'année césure. • Une approche fiscale du problème semble nécessaire tant pour faciliter le financement des écoles par les entreprises que celui de la scolarité par les familles. Il apparaît en effet particulièrement injuste que les familles aux revenus moyens, qui, comme on l'a vu, échappent généralement aux aides, participent par leur impôt au financement de l'enseignement supérieur "gratuit" tout en supportant directement les frais de scolarité de leurs propres enfants. En somme, elles paient deux fois ! Dans le même temps se développent des officines privées de soutien scolaire dont la publicité repose précisément sur la possibilité de dégrèvement fiscal ! • Des intervenants tentent d'imaginer des solutions : o D'abord organiser une véritable information auprès des lycéens sur les aides existantes. o Diminuer les frais de scolarité en première année, en les reportant éventuellement sur les deux autres. o L’Etat ne pourrait-il pas prendre entièrement à sa charge la première année d'école pour garantir la gratuité jusqu'au niveau « L » du LMD ? Le sujet est vaste et Philippe Heudron doit conclure : « La conjonction du choc démographique à venir et de la tertiarisation massive de l'économie va se traduire à court terme par une forte demande sur le marché de l'emploi des cadres en général, sur celui des cadres de gestion en particulier. C'est bien évidemment une opportunité pour démocratiser notre filière. Cette démocratisation sera d'ailleurs d'autant plus facile qu'elle sera rendue nécessaire. Encore convient-il d'agir sur les bons leviers. Nous avons essayé de localiser quelques difficultés, de mettre en lumière quelques obstacles structurels. Nous avons parlé d'argent, sujet généralement peu débattu dans le milieu de l'éducation. Nous avons parlé d'argent parce ce sujet ne pourra pas être éternellement éludé dans notre filière. Nous ne prétendons pas pour autant avoir fait le tour de la question. Nous ne prétendons pas non plus posséder de solution toute faite. De profondes mutations se dessinent dans l'enseignement supérieur. Puisse seulement notre réflexion commune éclairer les choix à venir. » *** 111 Atelier n°8 les formations étrangères d'ingénieurs : quels modes de fonctionnement ? Introduction Les entreprises ont besoin de deux profils différents en terme de formations d'ingénieurs : un profil appliqué pour conduire les installations et les processus de réalisation, un profil conceptuel pour concevoir les nouveaux produits et services ainsi que pour organiser des systèmes et des organisations complexes. Pour répondre à ces besoins, deux organisations des études supérieures et trois modes de fonctionnement de ces organisations se sont développés historiquement dans les divers pays. Les deux profils nécessitent des durées d'études différentes : plus longues pour le profil conceptuel, plus courtes pour le profil appliqué. L'organisation qui permet cela peut être séquentielle ou parallèle. L'organisation séquentielle correspond à un premier diplôme de type Bachelor (3 à 4 ans) et à une poursuite des études pour obtenir le diplôme de Master après une à deux années. L'organisation parallèle consiste à séparer dès la fin de l'enseignement secondaire les deux formations, l'une conduisant en trois à quatre ans à un diplôme de niveau Bachelor utilisable pour aller sur le marché du travail, l'autre conduisant en cinq ans, sans diplôme professionnel intermédiaire, à un diplôme de niveau Master. Cette organisation parallèle est celle de l'ensemble de l'Europe, Europe de l'Ouest, Europe de l'Est, Europe du Nord et même celle du Royaume-Uni dans une large mesure. L'obtention d'un Master après celle d'un Bachelor peut demander un recul de deux ans pour reprendre le cycle ingénieur conceptuel dans un pays comme la Suède par exemple, soit au total huit ans d'études sans qu'il y ait eu un redoublement. Cette approche est complétée par deux modes de fonctionnement différents pour l'organisation séquentielle. Aux Etats-Unis où les étudiants ayant le meilleur potentiel académique s'orientent vers les études juridiques ou de médecine, le potentiel académique plus limité des étudiants américains conduit à des programmes très appliqués dès l'entrée en université. La conséquence en est une entrée quasi systématique d'un diplômé Bachelor dans la vie professionnelle. Apparaît alors un phénomène très particulier : les enseignements de Master se remplissent avec des étudiants étrangers, généralement formés par des cycles conceptuels en Europe ou en Asie ou ailleurs. Ces nouveaux arrivants relèvent brutalement le niveau théorique des enseignements et certains deviennent ensuite les enseignants de ces départements d'engineering. Dans d'autres pays ayant apparemment cette organisation séquentielle, comme la Chine par exemple, les diplômés Bachelor poursuivent en grande majorité leurs études jusqu'à l'obtention du Master. La conséquence ici est que les responsables pédagogiques, sachant qu'ils disposent de six années d'études, vont mettre en place des programmes qui commencent par des bases scientifiques et techniques très solides. Le diplôme de Bachelor n'étant pas un diplôme professionnellement utilisable directement. La figure qui suit représente en résumé l'ensemble de ces deux organisations et trois modes de fonctionnement. 112 Atelier n°8 Cette présentation vous permettra de situer les présentations par pays qui vont vous être faites : - le système allemand, - le système norvégien, - le système asiatique, avec un développement sur la Chine, - le système britannique, - le système européen des formations d'ingénieurs agronomes. Des échanges nombreux montrent concrètement que les divers systèmes sont compatibles, le seul cas pour lequel il y a des difficultés étant celui des étudiants américains, et que l'essentiel est la cohérence des cursus avant et après l'échange plutôt que l'existence formelle d'un diplôme intermédiaire. Toutefois, avant de passer à ces présentations, il me paraît important de souligner que des expressions traduites littéralement peuvent conduire à des malentendus significatifs. Prenons un exemple, il est souvent fait état de la sélection ou de la non sélection à l'entrée dans l'enseignement supérieur au cours de débats européens. Ce point prend un relief très différent lorsque l'on réalise qu'en France, 61% d'une classe d'âge est reçue au baccalauréat (chiffres 2002) alors qu'en Suisse, à l'opposé, seulement 15% est dans ce cas et qu'en Allemagne et au Royaume-Uni, la barre des 30% a été atteinte depuis peu de temps. *** 113 Paris, 16-17/05/2003 non US US “Ingénieur” de production (3 à 4 ans) Organisation continentale européenne “Ingénieur” de conception (5 à 6 ans) Colloque UPS Démocratie, CPGE, GE La différence entre “3 puis 5” et “3 ou 5” Les diplômés vont sur le marché du travail Organisation Anglo-Saxonne Bachelor of Science (3 à 4 ans) Master of Science (1 à 2 ans) Arrivée de nouveaux étudiants conceptuels 2 types d’organisation 3 modes de fonctionnement Atelier n°8 Le système allemand Daniel Grimm Fortement fondé sur la professionnalisation, il est caractérisé par des orientations très précoces. Celles-ci se situent vers l'âge de douze treize ans. Un peu plus de 30% des jeunes vont vers "l'Abitur", l'équivalent allemand du baccalauréat, qui est obtenu un an plus tard qu'en France. Les autres s'engagent dans des voies plus ou moins longues professionnalisantes. Certaines se prolongent dans l'enseignement supérieur, beaucoup sont basées sur ce qui est appelé le système dual, c'est-à-dire un apprentissage avec alternance entre les parties scolarisées et les activités en entreprise. Les universités allemandes, dans la tradition von Humboldt, mettent la recherche en avant, la formation n'en étant qu'une conséquence. Les études se font avec une grande différence entre la durée nominale et la durée réelle, environ 50% d'allongement. Les professeurs allemands ont une autonomie importante, ce qui les conduit à conserver en thèse des doctorants très longtemps, les soutenances se faisant généralement après l'âge de trente ans. Pour tenter de réduire cette dérive dont le coût pour la société allemande est lourd, il a été envisagé de mettre des frais de scolarité progressifs pour les étudiants qui "s'attarderaient" dans leur formation universitaire. Cette mesure est difficile à mettre en œuvre en raison de l'opposition des étudiants. Autre sujet brûlant, celui-ci particulièrement tabou en Allemagne pour des raisons historiques, la sélection : comment distinguer l'orientation qui permet de s'engager dans des voies avec des chances raisonnables de réussite de la sélection par l'échec où les examens finaux laissent sans diplôme un trop grand nombre de jeunes ? Commentaires complémentaires Le premier est un rappel du fait qu'en 1994, lors des discussions sur le commerce mondial, il a été considéré que le premier diplôme universitaire était hors champ commercial, mais pas le second. Que va t'il se passer lors de la mise en œuvre des ces accords ? Le second est une observation : dans les pays où il y a des frais de scolarité significatifs et un diplôme intermédiaire avant le niveau Master, on observe une tendance forte à sortir dès le premier diplôme. Celui-ci est alors professionnel, et comme indiqué dans l'atelier n°8, il manque de bases scientifiques solides. Il est souvent dit : "les diplômés savent comment faire sans forcément savoir pourquoi alors que les diplômés de cursus longs sans diplôme intermédiaire savent pourquoi ils font sans forcément savoir comment". Au-delà, la conséquence peut être dramatique à terme pour l'industrie européenne. Celle-ci dépense de sept à huit fois moins que l'industrie américaine pour développer des domaines industriels tout en restant en avance. L'explication réside dans la capacité qu'ont nos ingénieurs conceptuels d'anticiper plus tôt les conséquences de tel ou tel choix technique, économisant ainsi les coûts d'exploration concrète des solutions correspondantes. La mise en place d'une organisation avec diplôme intermédiaire professionnel du type de celle proposée par le processus de Bologne rendra nos entreprises non compétitives sur la scène internationale à terme. *** 115 Paris, 16-17/05/2003 Toutes Bakkalaureus Bachelor (3 à 4 ans) Magister Master (2 à 1 an) Colloque UPS Démocratie, CPGE, GE « (Technical) University » Technische Universität TU Technische Hochschule TH Vordiplom (2 ans) Diplom-Ingenieur (5 ans nominal 7,2 en moyenne jusqu’à 10+ ans) « University of applied Sciences » Fachhochschule FH DiplomIngenieur FH (3 à 4 ans) L’organisation des formations d’ingénieurs en Allemagne Atelier n°8 Le système britannique Daniel Grimm (Ecole Centrale de Paris) Le système britannique est complexe car différent selon les pays qui composent le RoyaumeUni : si l'Angleterre et le Pays de Galles sont relativement similaires, il n'en va pas de même avec l'Écosse et l'Irlande du Nord. En premier lieu et vu le thème du colloque, il faut noter que l'accès à l'enseignement supérieur est très sélectif pour entrer dans certaines universités. Pour avoir les meilleures chances de succès, des établissements privés secondaires se sont développés depuis fort longtemps, les "Public Schools" devenus "Independant Schools", très chers et où les places dans les meilleures sont très demandées. L'accès à l'université est ainsi réservé à des enfants de familles aisées. La sélection pour entrer dans une université se fait sur les résultats de ce qui est appelé "Alevels" pour "Advanced levels", littéralement "niveau avancé". Ces "A-levels" sont au niveau de notre terminale, voire légèrement au-dessus mais pas au niveau de notre classe supérieure. Ils ne caractérisent chacun qu'UNE discipline et sont évalués par une appréciation qui va de A, meilleure note, à F note signifiant un échec. Les universités de Cambridge et d'Oxford exigent au minimum trois "A-levels" avec une note A (d'où l'expression "triple A" pour désigner un brillant élève), l'Imperial College prend avec deux A et un B, etc. Les études universitaires sont payantes, ce qui incitent les étudiants à ne pas séjourner trop longtemps dans le système. C'est une des raisons qui expliquent le peu d'étudiants britanniques allant faire des études à l'étranger dans le cadre d'échanges. La figure suivante illustre l'architecture générale des formations d'ingénieurs avec la situation avant le changement de nom des "polytechnics" en université, changement de nom qui a eu des effets catastrophiques. Auparavant, les universités et les "polytechnics" assuraient les formations conduisant aux deux profils nécessaires et chacun avait ses spécificités et ses excellences. Aujourd'hui, le financement des universités étant basé sur des critères universitaires, les anciens "polytechnics" ont tenté de s'y adapter, ce qu'ils ont mal réussi car ce n'était pas leur métier. Le résultat en est qu'ils sont devenus des universités de seconde zone, à très peu d'exceptions près, que les étudiants sont mal formés et que les entreprises ne trouvent plus le profil dont elles ont besoin. Il est à noter : - que le système britannique est loin d'être plus simple que le nôtre ! - qu'il n'est pas conforme aux standards de fait qui se mettent en place dans le cadre du processus de Bologne. En effet, il existe des cursus qui vont directement au niveau du Master, les MEng et les MSci, sans diplôme intermédiaire. En outre, les durées d'études des cursus de Master, soit 4 ans direct, soit 1 an post-Bachelor, ne satisfont pas a priori le critère de 120 crédits ECTS qui demande deux années d'études. *** 117 3 ans BSc, BA Paris, 16-17/05/2003 + diplomas certificates etc 1 an 4 ans MSci MEng 3 ans BEng Avant Maintenant Polytechnics Colloque UPS Démocratie, CPGE, GE Universités Universités MSc, MA, Mphil L’organisation des formations au Royaume-Uni Atelier n°8 NORVEGE Jean-Pierre Soula Directeur des Relations Internationales de l’INSA de Toulouse. Ce pays de 4, 5 millions d’habitants comporte 4 Universités et une trentaine ‘d’école supérieures’. C’est essentiellement à l’Université de Trondheim que sont formés les ‘Sivilengenior’, équivalents de nos formations d’ingénieur à bac + 5. Certaines écoles peuvent également délivrer ce titre mais de façon générale, elles suivent le schéma des écoles en trois ans, formant des techniciens. La distinction entre ‘ingenior’ et ‘sivil ingenior’ correspond à celle qui existe en Grande-Bretagne par exemple, entre ‘engineer’ et ‘chartered engineer’ ; d’autre part, la reconnaissance sociale de l’ingénieur en Norvège est proche de celle qu’il a dans notre pays. La formation délivrée à NTNU (l’Université de Trondheim) se déroule sur un bloc qui peut s’effectuer en 5 ans mais il n’est pas rare que l’étudiant prenne un peu plus de temps. La notion d’années d’études supérieures ne correspond pas tout à fait à celle de notre pays : après les études secondaires, les lycéens interrompent souvent leurs études pendant un an, comme dans les pays anglo-saxons, pour réaliser une expérience différente, souvent dans un pays étranger. Le service militaire d’un an, occasionne également une pause dans les études. Les résultats scolaires et de l’examen de fin d’études secondaires conditionnent l’admission dans les filières ingénieurs. Le bac norvégien est davantage ‘à la carte’ que ceux que nous connaissons en France et ce sont des ensembles où les mathématiques et la physique domineront qui permettront l’accès de NTNU, par exemple. Le système de sélection est relativement similaire à celui de nos écoles d’ingénieur qui recrutent après le baccalauréat. Les Universités de Norvège travaillent depuis presque 2 ans à une modulérisation de leurs cursus pour se mettre en phase avec le LMD. Cependant, le site internet de NTNU indiquait encore récemment que la formation d’ingénieur consistait encore en un bloc de 5 ans. Comme dans beaucoup d’autres pays, les études scientifiques attirent de moins en moins d’étudiants : les Norvégiens lancent de temps en temps des campagnes de recrutement de médecins et d’ingénieurs, à l’étranger. : www.nokut.no (Norwegian Agency for Quality Assurance in Education). *** 119 Les formations d’ingénieurs en Asie-Pacifique Laurent BREYTON, ESIEE/CCIP Animateur du Groupe Asie Pacifique de la CGE Références • Graduate Education Reform in Europe, Asia and the Americas and Mobility of Scientists and Engineer www.nsf.gov/sbe/srs/nsf00318/htmstart.htm • Unesco www.unesco.org/iau/whed.html • Fiches MAE www.diplomatie.fr/culture/curie • Southeast Asian Ministers of Education Organization www.seameo.org • INED www.ined.fr • CEFI www.cefi.org Généralités régionales • • • • • • • • Grosse moitié de l’humanité 3720 M/6137 M Région en fort développement : urbanisation & émergence technologique Priorité gouvernementale : Investissement dans la formation en particulier technologique Récent (20 ans)Accroissement qualitatif et quantitatif des formations scientifiques Forte sélectivité à l’entrée du supérieur (sauf Inde) Hiérarchie à l’anglo-saxonne : droit, médecine, management, sciences…(sauf Japon & Corée) Liens industriels ténus (sauf recherche) Computer science vs Engineering Inde 1033 M 2,2 K$ • • • • • • Modèle : spécifique (britanno-américano-sovieto-européen) fort tropisme informatique IISc & IIT : 7 grands établissements Comparable au GE française BEng/BTech (4 à 4,5 ans) 59 K/an MEng/MTech (+ 1,5 à 2 ans) 5K/an et non 15 K Phd (+ 3 ans + ) 400/an (brain drain) Singapour 4 M 23 K$ • • • • • • Modèle : Britanno Américain planifié NUS : « Oxbridge » NTU « MIT » Bachelors 4 K/an Masters 1,5 K/an PHD 1K/an « Bonds » 120 Atelier n°8 Indonésie 206 M 2,6 K$ • • • • • Modèle Hollandais américanisé Instituts de Technologie et Facultés d’engineering publiques et privées Bachelor (4 ans) 20 K/an Master (+ 2 ans) PhD (+ 3 ans) Australie 19,4 M 23 K$ • • • • • • Britannique en voie d’américanisation Activité d’exportation Bachelor (3 ans +) 6 K/an Master (+1 à 2 ans) PhD (+3 ans) Avance généralisée pour les nationaux Japon 127 M 25K$ • • • • • • • • • • Modèle : Américano-étatique, dérégulé depuis la crise en cours (1990) fortement affecté par la dénatalité Sélectivité à l’entrée à l’Université, relax ensuite Dissociation undergraduate/graduate Fort appétit pour l’engineering (40 % des étudiants) 48 % classe d’age ( 2 M en 92, 1,2 M en 07) vers le supérieur Emergence des établissements privés (de 1 pour 1 en 1960 à 4 pour 1 actuellement) BEng/BTech (4 ans) 136 K/an MEng/MTech (+ 2 ans) 26 K/an Phd (+ 1an) 4,7 K/an Prêts & bourses incitatives graduate ++ Corée du Sud 49 M 15K$ • • Proche du système Japonais Bachelor 41K/an Chine 1 273 M 3,5K$ • • • • • Modèle : soviétique, en voie d’américanisation 1000 Universités Bachelor (4 ans)149 K/an Master (+ 2 ans) PhD *** 121 Conclusions de l'atelier n°8 Six points ont été mis en évidence : Point n°1 : deux profils d'ingénieurs Le besoin de deux profils d'ingénieurs, l'un appliqué, l'autre conceptuel, est satisfait soit par une organisation parallèle de deux cursus séparés dès le baccalauréat, soit par une organisation séquentielle des enseignements, mais avec deux modes de fonctionnement : pour l'un, le diplôme intermédiaire n'est pas professionnel, pour l'autre, il y a changement important de population étudiante après le premier diplôme. Point n°2 : divers systèmes de formation Voir les actes de l'atelier pour avoir les descriptions des systèmes de formation d'ingénieurs en Allemagne, en Norvège, au Royaume-Uni, en Asie et les formations d'ingénieurs agronomes en Europe. L'Asie représente les 2/3 de l'humanité et le dynamisme y est très fort, ce qui induit un développement rapide que nous ne pouvons ignorer. Point n°3 : et les CPGE ? L'existence de cursus longs sans diplôme professionnel intermédiaire avant le diplôme de niveau Master conduit à la mise en place de programmes commençant par l'acquisition de bases scientifiques solides à l'image de celles données en CPGE. La seule exception est constituée par les Etats-Unis qui compensent ce manque par un brain drain attirant des étudiants et des ingénieurs ayant suivi un cursus long. La différence entre les pays étrangers et les CPGE se situe dans la visibilité forte des CPGE qui recrutent un auditoire homogène alors que les étudiants étrangers ayant un potentiel comparable à nos taupins sont mélangés avec des étudiants moins performants sur le plan académique, sauf dans quelques pays comme au Royaume-Uni et en Chine. Des échanges en double diplôme, avec arrivée des étudiants étrangers en première année d'écoles françaises ont montré qu'il était possible de trouver dans ces publics étudiants ceux qui s'adapteraient dans un auditoire d'anciens taupins et avec une formation suffisamment proche de celle des CPGE pour réussir, même parfois brillamment. Point n°4 : la taille Il est souvent reproché aux écoles françaises d'être d'une taille trop petite pour être visible à l'étranger. Les enquêtes de la Conférence des Grandes Écoles montrent que le pourcentage d'étudiants étrangers dans nos écoles est de l'ordre de 18%, soit le double de la moyenne nationale. Dire que cette réussite est basée sur le prestige de nos établissements est contradictoire avec l'idée du manque de visibilité! Les structures de taille humaines que sont nos établissements peuvent faire preuve d'un dynamisme très volontariste. Une étude du CEFI il y a quelques années a mis en évidence un foisonnement d'initiatives des écoles sans équivalent en matière d'ouverture internationale. 122 Atelier n°8 Point n°5 : la complexité Il nous est aussi reproché d'avoir un système compliqué et de nous attacher trop au diplôme en France. Les expériences d'échanges d'étudiants avec les institutions étrangères montrent que la complexité est la même partout mais qu'elle apparaît de façon différente. L'objectif de la formation d'ingénieurs est de permettre à un diplômé de trouver un emploi pour lequel il ne soit ni surqualifié ni sous qualifié : c'est l'intérêt du recruté et du recruteur. Or, prenons l'exemple d'une université allemande. Sa taille, avec ses 35 000 étudiants, lui permet d'être "visible". Mais, comme son recrutement est majoritairement local, son public étudiant est forcément hétérogène en potentiel académique. Une entreprise ne pourra se contenter du diplôme attribué pour distinguer les différences de potentiel, elle sera contrainte de mettre des filtres complémentaires. Première question : quelle durée pour obtenir ce diplôme ? il faut savoir que la durée nominale est de 5 ans, la durée effective moyenne de 7 à 7,5 ans et certains étudiants mettent jusqu'à 10 ans. Deuxième question : quelles notes ont-elles conduit à ce diplôme ? Selon que le diplômé a des notes entre 1.0 et 2.0 (notes excellentes) ou entre 3.0 et 4.0 (notes très moyennes), l'entreprise lui proposera telle ou telle activité. En France, précisément en raison de la taille, les auditoires des écoles ont une homogénéité forte et l'énoncé du diplôme suffit pour connaître le profil et le potentiel du diplômé. D'expérience, on constate que ces filtres sont peu, voire pas connus des étudiants. Si donc l'on ajoute à un système de formation, le besoin de compréhension de son mode de notation et de sa durée réelle par rapport à sa durée nominale, il devient moins évident de dire où est la complexité, avec un commentaire supplémentaire : le système français des concours est public, connu et ouvert au mérite et fonctionne a priori alors que le mode de recrutement post-diplôme à l'étranger est basé sur des processus a posteriori et dont les règles ne sont pas connues. Point n°6 : financement des études Ce point a été peu abordé en raison de la brièveté de l'atelier. Un système mériterait d'être étudié de plus près, le système australien. Les étudiants paient une partie significative du coût de leur formation. Pour éviter aux étudiants qui ne pourraient prendre une telle dépense en charge, le gouvernement australien a mis en place un dispositif de prêts automatiques, sans intérêts, et dont le remboursement se fait au cours de la vie professionnelle à partir du moment où les revenus dépassent un certain montant. La durée du remboursement n'est pas limitée et son montant est très supportable. *** 123 124 Table ronde n°1, animée par Claude Thélot Le recrutement des Grandes Ecoles : faut-il diversifier les modes de sélection ? Claude Thélot ancien directeur de l’évaluation et de la prospective au MEN Les organisateurs ont pensé que la matinée devait, après le compte-rendu des débats d’hier, se concentrer sur l’aval. Je cite souvent ce mot d’Alfred Sauvy que je trouve très éclairant : « lorsque je vois un ver de terre circuler, je ne sais jamais si c’est la tête qui tire ou bien la queue qui pousse ». Pour un cycle éducatif, un morceau du système éducatif, ce sont soit les procédures de sélection à l’entrée, les programmes, etc. qui poussent en amont, soit, et c’est encore plus important, ce qui se passe en aval qui tire. Il est temps dans une réflexion sur les CPGE de penser à l’aval. Les organisateurs nous ont proposé de non seulement réfléchir mais aussi peut-être d’avoir un temps de débat sur cette question des critères de sélection des GE, elles-mêmes comme étant la tête du ver de terre. Monsieur Belhoste nous a rappelé hier que les CPGE n’existent que parce qu’elles préparent aux GE. Par conséquent si vous structurez la sélection dans les GE, de telle ou telle façon, automatiquement, peut-être pas immédiatement, mais au bon moment et dans des formes propres à notre système français, ça forme, ça organise, ça structure les CPGE elles-mêmes. Mon expérience au sein du système éducatif français me permet d’affirmer qu’en matière d’éducation c’est plus la tête qui tire que la queue qui pousse. Par conséquent, il n’échappe à personne dans ce colloque qu’un des points décisifs, et pas simplement complémentaires de ceux qu’on a évoqués jusqu’alors, vraiment décisif pour les CPGE et leur avenir c’est le type de sélection auquel entendent procéder les grandes Ecoles. La Table ronde est en quelque sorte plus normative que descriptive puisqu’il s’agit d’essayer de répondre à la question « faut-il diversifier les modes de sélection des grandes Ecoles ? ». À la réflexion, le mot « élargir » aurait été plus ajusté, adapté, que « diversifier ». mais ça n’a pas d’importance car on voit bien de quoi il s’agit. Nous allons tous les trois essayer de l’illustrer à titre introductif. Moi-même de façon un peu générale et puis chacun des directeurs d’école qui sont ici exprimeront, expliqueront, ce qu’ils entendent pour leur école, à la fois de réflexion et d’expérimentation ou d’observation. Encore une fois, la réflexion est plus normative que descriptive. Si je commence à essayer d’illustrer la façon dont je perçois cette affaire, il me semble en effet qu’il faut diversifier et élargir le recrutement et les modes de recrutement de nos GE. Il le faut, je crois, pour deux raisons, qui sont connues je pense de chacun d’entre vous mais que je me permets de rappeler. - La première, c’est celle qui a été dite en particulier lors du compte rendu de l’atelier n°6 par Christian Margaria : je crois qu’en ce moment et pour les x années à venir, les compétences à attendre et les compétences requises dans nos économies et nos sociétés par les cadres et les ingénieurs, par les grands et les moyens cadres et ingénieurs, auxquelles les GE préparent et qu’ils forment, ces compétences ont un peu changé par rapport à autrefois et en particulier que du coup il faut avoir, en effet plus en termes de compétences que de connaissances, une réflexion sur le mode de sélection qui soit en phase avec ce qui est requis. Je suis personnellement extrêmement sensible à cette idée, et je pense que ce sont des choses que vous connaissez, que ce qui a changé c’est un accent beaucoup plus fort qu’autrefois mis sur : 125 1. la capacité d’innover, 2. la capacité de s’adapter, 3. la capacité à travailler avec les autres, pas simplement en équipe mais aussi par exemple avec des concurrents ; 4. ces trois capacités/compétences/comportements devant se produire au cours de la vie professionnelle dans un univers où c'est désormais le règne de l’incertain, de l’incertitude. Je crois que ceci, qui n’était pas absent il y a 30 ans, s’est accru depuis une quinzaine d’années et que cela va aller en s’accroissant. Ces compétences ne sont pas antinomiques au fait d’être un bon élève, d’avoir de grandes connaissances, mais ça ne s’y résume pas. Je pense que si on veut vraiment favoriser ce qui par rapport à l’étranger est une caractéristique française, c’est-à-dire les capacités d’innovation et de création en particulier, il faut s’interroger sur le mode de sélection à l’entrée des GE. - La deuxième raison pour laquelle je pense qu’il faut s’interroger c’est qu’il faut que la légitimité des GE soit bien assise dans notre pays. Je pense qu’avoir du coup une surface de recrutement trop étroite offre un certain risque à cet égard.. Le constat d’hier matin a été plutôt un constat de stabilité quantitative et qualitative du vivier du recrutement, de la masse sociale de cette filière de formation. Une des caractéristiques du compte-rendu de Christian Margaria c’est au contraire d’avoir mis en valeur une certaine diversité. Le constat lui-même peut être discuté, il n’y a pas de doute, mais l’image des GE dans notre pays doit être d’autant plus soignée, si je puis dire, qu’on tient aux GE et il faut donc que leur légitimité ne soit pas remise en cause. De ce point de vue là, je pense qu’une certaine ouverture, sociale en particulier, du vivier et donc des recrutements est à la fois précieux pour éventuellement la qualité et en tout cas prudent pour asseoir la légitimité de cette filière de formation d’excellence. La deuxième observation c’est que cet élargissement du recrutement ou des structures de sélection, des modes de sélection, ne doit pas se limiter à la création de filières de recrutement parallèles au concours. Il ne faut pas prendre le risque que les sélections organisées par les GE soient d’une part le concours qui est classique, qui est fondé sur telle ou telle connaissance, et d’autre part d’autres modes de sélection qui ont leurs valeurs qui ont été rappelées ce matin d’ailleurs, et qu’ainsi seuls ces autres modes de sélection concrétiseraient une forme d’élargissement, une forme de diversification. Je crois, et c’est très important du point de vue à la fois intellectuel et politique, qu’il faut que ce soit sur le concours lui-même qu’on réfléchisse, pour qu’il intègre plus profondément, plus intimement, un certain nombre de dimensions nouvelles visant à élargir les choses. Il faut que cette tradition du concours, qui est extrêmement forte, importante, extrêmement précieuse et familière et à laquelle nous tenons extrêmement pour des raisons sur lesquelles il n’est pas nécessaire de revenir car nous les connaissons tous, il faut que cette tradition du concours nous la réinterrogions à l’aune des deux exigences que je viens de dire. Cette interrogation doit prendre deux directions : 1) La première direction doit être dans le sens d’un élargissement des compétences pour favoriser, à travers les épreuves du concours, davantage qu’autrefois, les compétences nécessaires dont je viens de parler. Comment favoriser les esprits créatifs dans le cadre du concours ? Comment favoriser des esprits capables de s’adapter ? ... 2) Nos concours sont des épreuves qui organisent, anonymement et fondées sur le mérite, l’excellence scolaire. En ce sens, nos concours sont justes en effet. Justes. Mais il faut bien voir que l’excellence scolaire toute juste qu’elle soit, et ça vaut aussi pour le collège, le lycée, la sélection à l’entrée des CPGE que pour la sélection à l’entrée des GE, la sélection par le mérite scolaire, tout juste qu’elle soit, favorise de facto certaines familles et certaines catégories sociales. 126 Table ronde n°1, animée par Claude Thélot C’est un point décisif, l’inégalité sociale devant notre système scolaire. Elle n’est pas d’abord une inégalité de connaissances, d’informations, je n’ai rien contre le fait d’informer davantage il faut informer davantage, mais ce n’est pas le cœur de la question. Le cœur de la question, c’est que l’inégalité sociale devant l’École est une inégalité devant la réussite scolaire. Les contenus et les épreuves par quoi nous évaluons les élèves, par quoi la réussite scolaire se dessine, surtout et en dépit du fait qu’elle soit absolument méritocratique, favorisent certaines classes sociales et défavorisent d’autres. Donc si vous voulez élargir socialement le vivier, il faut réfléchir sur les épreuves elles-mêmes, tout anonymes, équitables, justes qu’elles soient. Il faut réfléchir, s’agissant du concours de recrutement des GE me semble-t-il sur trois points si l’on veut s’élargir à des nouvelles compétences et élargir socialement le vivier. 1. Il faut réfléchir à la part et à l’importance respectives des différentes épreuves, matières, parce que toutes les matières ne sont pas corrélées de façon équivalente avec les compétences qui sont requises pour les 30 ans qui viennent dans une société développée comme la nôtre : certaines matières sont plus corrélées avec l’esprit d’innovation, d’autres moins, etc. Donc il faut réfléchir plus qu’on ne le fait à l’importance donnée, à travers les coefficients par exemple, aux différentes épreuves. 2. Je pense qu’on peut modifier le contenu d’une épreuve. Lorsque j’étais directeur au ministère, j’avais promu une étude qui avait un intérêt considérable qui était d’évaluer sur 40 ans l’évolution des compétences de nos meilleurs élèves.. J’avais à cette occasion fait évaluer par un certain nombre de professeurs de CPGE sur 30-40 ans le contenu même des épreuves de mathématiques à l’École polytechnique et au concours général de mathématiques. Ceci depuis les années 1960. Naturellement les professeurs de mathématiques ici le savent, mais cela a une vertu plus générale. Le contenu même des problèmes de mathématiques fait appel chez les élèves à des compétences mathématiques très différentes aujourd’hui de celles qu’elles demandaient hier. Le doyen Dominique Borne l’a bien dit hier, ce qui est décisif dans une épreuve c’est la forme et le contenu que l’on donne à cette épreuve. Selon la forme et le contenu que l’on donne ce ne sont pas des mêmes compétences qui sont sélectionnées. Il faut donc réfléchir à la forme que l’on donne aux épreuves. 3. Le troisième point, naturellement, c’est qu’il faut, je pense, éventuellement concevoir des épreuves nouvelles qui soient moins strictement scolaires. C'est une faiblesse de nos statistiques, et je le dis en valeur d’autocritique puisque j’ai été l’un de ceux qui ont contribué à les former, ces statistiques : lorsqu’on repère l’origine sociale des élèves, on repère ça souvent, et cela a été très bien fait hier matin, suivant l’origine sociale soit du père, soit de la mère de l’étudiant. Mais on ne repère jamais les choses en mariant le père et la mère. Et si nous avions fait cela hier, on aurait vu que le ticket gagnant aujourd’hui, c’est d’avoir un père cadre supérieur et une mère professeur. Au lieu de le faire séparément, de sorte que les deux catégories cadre supérieur et professeur qui apparaissent séparées sur les données sont en vérité intimement liées, alors qu’il y a 3540 ans, le ticket gagnant c’était déjà un père cadre supérieur, mais une mère au foyer. Nous avons, je crois, privilégié beaucoup, et je crois personnellement trop, des épreuves strictement scolaires, dans lesquelles par conséquent des familles où l’excellence scolaire est portée au pinacle sont de facto avantagées. Ça c’est le premier point, essayer de réfléchir et du coup de changer un peu nos concours pour favoriser l’émergence, lors du recrutement des GE, de nouvelles compétences. Le deuxième point, ce n’est plus de favoriser de nouvelles compétences, mais l’apparition de nouveaux « profils d’élèves ». Je prends le terme exprès. Alors je pense du coup que, pour favoriser des profils d’élèves que les directeurs d’écoles ou l’ensemble des GE, pour les différentes raisons 127 évoquées tout à l’heure ou d’autres, voudraient favoriser, il faut véritablement se poser la question, qui est difficile dans le contexte français mais qu’on s’est déjà posée et qu’il faut qu’on se repose, de compléter le concours par autre chose. Je veux dire de faire que les gens soient reçus ou recalés non seulement à travers des épreuves de concours mais à travers une forme de prise en compte d’autres critères que ceux qui résultent des épreuves à faire, y compris dans la tradition de l’égalité à la française. Je rappelle, parce que c’est un point décisif, pour ceux que ça intéresse, regardez le rapport du Conseil d’état d’il y a 5/6 ans, je rappelle que la tradition de l’égalité à la française dans le droit français ne veut pas dire l’uniformité. Elle se conjugue parfaitement avec l’idée que l’égalité consiste aussi à compenser les handicaps, réels ou supposés. La tradition française de l’égalité issue, et à laquelle nous tenons, de la Révolution française, dans le droit français, ce n’est pas simplement l’uniformité. Je pense par conséquent qu’il faut compléter les épreuves du concours par la prise en considération de critères hors de ces épreuves, qu’on les codifie, qu’on les quantifie. D’ailleurs, nous l’avons souvent fait à des degrés différents, et suivant les écoles, les périodes, la jeunesse a été assez souvent primée. Par exemple, les gens qui passaient pour la première fois un concours avaient un peu plus de points en dehors du concours lui-même mais qui s’ajoutaient. Par conséquent c’était une façon de privilégier les candidats jeunes. Le fait-on assez ? trop ? reprenons cela, le fait-on de façon diversifiée ? voilà un premier exemple. Deuxième exemple, qui tient toujours compte des critères des personnes, c’est la question garçon/fille. Si hier vous étiez choqués par les chiffres ou si par exemple vous voulez avoir plus de filles dans la filière scientifique, donnons des points spécifiques aux filles lors des concours scientifiques. Si vous voulez favoriser les garçons dans la filière littéraire, donnons des points spécifiques aux garçons. Je rappelle un point décisif qui n’a jamais été contraire à l’égalité dans nos esprits, jusqu’en 1975 il y avait des agrégations séparées garçon/fille. Nous avons réuni ces agrégations en une seule. Pourquoi est-ce qu’en fonction de la politique qu’on souhaite suivre pourquoi en ayant une seule agrégation on ne mettrait pas des points complémentaires ici pour les garçons, là pour les filles, là pour les jeunes, là pour les vieux, etc. En quoi ceci est-il contraire à l’égalité ? Ça ne l’est pas. Nous l’avons toujours jugé comme ne l’étant pas. Je termine pour dire que cela ne pourrait pas seulement être le profil dont on pourrait tenir compte, on pourrait aussi tenir compte du cursus scolaire antérieur. Je vais vous citer ce qui m’est arrivé lorsque j’ai présenté l’École polytechnique en 1965. J’ai eu en plus du concours des points supplémentaires parce que j’était jeune d’une part, et c’est grâce à ces 40 points que j’ai été reçu, et d’autre part parce que j’avais fait du latin au lycée, 15 points, et du grec, 15 points de plus. À l’époque il avait été décidé, que l’on trouve ça juste ou non, de tenir compte dans le concours de l’École polytechnique que mon cursus scolaire pouvait donner 30 points de plus… Je ne vous dis pas qu’il faut rétablir ce genre de critères, peut-être que oui, peut-être que non, je dis simplement une chose : je pense que les GE pour élargir leur recrutement et faire apparaître des compétences différentes, doivent s’interroger sur ce type de compléments au concours. Ceci ne remet pas en cause la question des concours dès lors que c’est à des doses faibles bien entendu et que ça correspond à une politique explicite. *** 128 Table ronde n°1, animée par Claude Thélot Le recrutement des Grandes Ecoles : faut-il diversifier les modes de sélection ? Michel Raimbault Directeur de HEC Lorsque j’ai lu le titre de la table ronde « faut-il diversifier les modes de sélection de nos GE ? », je suis resté perplexe car la réponse a déjà été donnée depuis des années. Nos modes de sélection sont en effet diversifiés. Peut-être faut-il le faire plus ? ou mieux ? ou en prenant en compte de nouveaux critères ? Par ailleurs, est-ce qu’il ne se cacherait pas derrière la question « faut-il diversifier les modes de sélection de nos GE ? » une critique implicite de notre mode de sélection actuel et des filières qui conduisent au concours ? Les filières, les GE et le recrutement par le concours sont en effet l’objet de critiques explicites et implicites. Comme l’a annoncé Claude Thélot, nous ne sommes pas ici pour dresser des tableaux statistiques mais plutôt pour exprimer des points de vue et susciter un débat. Il est en effet légitime de se demander s’il ne fallait pas diversifier plus radicalement le profil des élèves que nous recrutons. Les modes de recrutement ne sont jamais qu’un moyen au service d’une fin. Christian Margaria (atelier n°6) rappelait tout à l’heure qu’HEC recrute toujours 75% de ses promotions dans les CPGE. Je voudrais exprimer ici fortement que ce n’est pas par inertie conservatrice que nous le faisons mais par choix délibéré. Les écoles de management sont, depuis de nombreuses années, très attentives à l’aval, aux demandes des entreprises, et à l’environnement international. Nous savons que les profils des diplômés que les entreprises attendent doivent comporter bien d’autres qualités que des qualités intellectuelles. Nous travaillons depuis plusieurs années à l’évolution de nos méthodes pédagogiques internes pour forger ces qualités, en relation étroite avec les entreprises qui apportent, à travers l’alternance, une contribution notoire à ce développement. Nous persistons cependant, malgré tout, à dire que la filière CPGE, ainsi que le concours dans ses modalités actuelles, continuent d’apporter les profils dont les entreprises auront besoin demain. Revenons rapidement sur l’idée que nous nous faisons des objectifs d’une GE et plus particulièrement d’une GE de management. Nous assumons clairement le fait que notre filière existe pour former de futurs cadres supérieurs et cadres dirigeants. Nous avons donc l’obligation permanente de nous interroger sur les situations auxquelles seront confrontés nos diplômés quand, dans 15-20 ans, ils auront réalisé une partie de leur parcours professionnel et, nous leur souhaitons, qu’ils occuperont des fonctions de direction. Nous sommes persuadés que l’instabilité de leur environnement sera plus grande encore que celle à laquelle sont confrontés les dirigeants actuels, et que les managers auront de plus en plus à assumer une complexité croissante. Ils auront à faire face à des bouleversements non prévisibles, prenant des formes inouïes, inattendues. Il sera de la responsabilité des managers de savoir rendre lisibles ces bouleversements avant de pouvoir agir. Ils devront ensuite inventer des solutions nouvelles pour répondre à ces problèmes nouveaux. Il nous semble plus que jamais que la capacité à théoriser, à donner du sens à une situation concrète, à rendre intelligibles les rapports entre l’entreprise et son environnement, devra être une qualité majeure des managers de demain. La formation que les écoles de management offrent à ces futurs managers, au moment où ils ont le temps de se consacrer à l’activité intellectuelle, doit s’appuyer aussi sur une formation par la recherche. Comme dans les écoles d’ingénieurs, même si cela pourrait sembler moins évident à première vue, il faut former par la recherche. Il s’agit de la seule formation qui apporte la liberté d’esprit, la capacité de savoir analyser une situation nouvelle sans plaquer immédiatement de vieux schémas explicatifs ou des solutions traditionnelles, qui permet, en 129 un mot, de donner du sens. Toutes ces raisons font qu’il nous semble que le potentiel intellectuel de nos élèves reste quelque chose de fondamental. Nous estimons que les filières CPGE et le concours restent structurellement, car tout peut être amélioré comme nous le verrons dans un instant, d’excellents viviers et modes de sélection pour nos écoles. Une interrogation légitime nous est apportée par notre environnement international. Les écoles de management discutent actuellement de la structuration de l’enseignement supérieur en deux niveaux under-graduate et post-graduate, ce que nous appelons en France le LMD. Les écoles de management vivent depuis longtemps dans un environnement international concurrentiel où elles sont confrontées à des circulations d’étudiants et à la structuration de l’enseignement supérieur au management en deux cycles undergraduate et postgraduate : nous devons en tenir compte dans notre réflexion sur nos modes de recrutement et leur diversification. Nous sommes, par exemple, en contact étroit avec 16 partenaires européens leaders dans leur pays. Certains sont déjà très avancés dans la voie du 3-5-8, d’autres le font avec précaution, de façon expérimentale, mais avec une volonté d’aboutir qui est très claire. En Allemagne par exemple, la conférence des recteurs a validé le passage au 3-5 et tous nos partenaires enclenchent le mouvement. Les écoles de management en France ont un problème de positionnement que je résumerais caricaturalement ainsi : « devons-nous devenir des graduate business schools, c’est-à-dire ne proposer que des enseignements de type program master en recrutant des étudiants, français ou non, munis d’un Bachelor’s Degree ou d’une Licence ; ou bien devons-nous investir aussi le créneau undergraduate et développer le recrutement au niveau baccalauréat ? Faut-il avoir les deux ? » Cette réflexion légitime, retranscrite dans le référentiel français auquel nous tenons, pose immédiatement le problème de ce qu’est actuellement la partie undergraduate de notre filière, à savoir les CPGE et la 1ère année d’école. Faut-il avoir une réflexion radicale d’aménagement de la structure et du contenu de ces trois ans ? Nous sommes à un niveau de réflexion qui dépasse les modes de sélection puisque nous nous interrogeons sur la structuration des cursus d’enseignement. D’ici une dizaine d’année ces débats vont probablement aboutir à des décisions stratégiques. Pour le moment, la position d’HEC est de considérer que le fait de recruter 75% de nos promotions en CPGE continue à répondre pleinement à nos attentes. Les profils que nous y recrutons, nous permettent de proposer aux entreprises des diplômés qui, au-delà des capacités et du potentiel intellectuel dont nous parlions, sont dotés de qualités humaines, de courage, de ténacité, de la capacité à gérer des risques et à supporter le stress. La formation intellectuelle initiale dispensée par les CPGE reste fondamentale, charge à l’école de développer aussi l’ensemble des autres qualités requises. La diversification des modes de recrutement existe pour les écoles de management. Nous l’avons souhaitée d’abord au sein même du concours à la française, du schéma des classes préparatoires. Plusieurs filières d’accès par des CP de natures différentes, avec plusieurs épreuves communes au concours pour maintenir une certaine homogénéité, existent. Sur une promotion de première année à HEC, 70% des élèves viennent de l’option S, 20% de l’option économie et 8-10% de la filière littéraire. Il y a également chaque année quelques admis venant de la filière technologique. La variété des profils, couplée à la variété des formations, permet de répondre à la variété qui existe au sein des entreprises entres les différents métiers. De plus, ces jeunes managers auront à gérer des systèmes de plus en plus complexes et des personnes aux profils variés. La variété dans l’école est formatrice en soit. Il s’agit de pédagogie implicite. Nous travaillons à faire en sorte d’offrir dans les cours, mais aussi en dehors des salles de classes, un projet pédagogique fondé sur l’apprentissage des différences. 130 Table ronde n°1, animée par Claude Thélot Il s’agit de développer la sensibilité de nos élèves à l’altérité, à la prise en compte de l’autre en ce qu’il a de différent, avec toute la difficulté qu’il y a à tirer le meilleur de cette différence. Nous ne pouvons mettre en place cette pédagogie que si nous avons un corps étudiant suffisamment varié et la diversification des voies du concours en est l’un des moyens. L’international a fait une percée significative de ce point de vue avec actuellement plus de 20% d’élèves étrangers et plus de 30% si l’on ajoute les élèves en échange académique. Nous recrutons à l’international les étudiants avec un Bachelor’s Degree pour les intégrer en master. Nous allons essayer de structurer notre programme avec une partie undergraduate bien identifiée puis deux années de master ayant progressivement une identité, une autonomie et un recrutement spécifique, notamment à l’international. L’international nous oblige à diversifier nos modes de recrutement car nous pouvons difficilement recruter avec un concours à la française des étudiants titulaires d’un Bachelor’s Degree. Nous avons donc recours à des tests reconnus au niveau international et à des entretiens. Nous sommes également satisfaits du fait que les élèves recrutés par les CPGE sont plus internationaux qu’il y a quelques années et nous sommes très favorables aux initiatives permettant de rendre nos CPGE et nos GE plus internationales. L’année dernière HEC a recruté 54 profils internationaux parmi les 380 admis venant des CPGE. Je souhaiterais aborder une dernière diversification qui est aussi le fil conducteur de ce colloque et un problème auquel nous devons nous attaquer : l’ouverture sociale. La situation actuelle, caractérisée par une ouverture sociale limitée pose implicitement des problèmes de légitimité et de crédibilité, notamment lorsqu’on forme des gens qui auront demain à gérer des entreprises qui seront, elles, représentatives de l’ensemble de la société. Nous menons une réflexion sur les voies de recrutement par lesquelles les personnes issues de milieux moins favorisés peuvent intégrer nos écoles. Il s’agit principalement de la voie technologique qui est mise en place depuis plusieurs années. Elle fournit déjà de nombreux élèves à un certain nombre d’écoles de management. Les écoles du haut du tableau ont, selon moi, une responsabilité au moins d’exemplarité. Nous essayons d’y répondre en évitant deux écueils principaux. Le premier écueil est celui de l’opération cosmétique. Nous ne souhaitons pas garder un conservatisme fondamental en réalisant un simple ravalement de façade qui donnerait le sentiment de faire quelque chose mais en sachant qu’au fond on se satisfait de la situation actuelle. Le deuxième écueil est la tentation de la discrimination positive. Il ne faut pas, me semble-t-il, mettre en place des dispositifs de discrimination positive sans prendre énormément de précautions. Il y a d’une part un risque majeur d’ébranlement d’un des éléments fondamentaux qui font la crédibilité de notre système qui est l’égalité formelle de nos candidats devant le concours. D’autre part, il ne faudrait pas prendre en otage une « sous-population » avec un pré-ciblage fait en fonctions de ces critères. Quels critères prendre d’ailleurs ? Le message que nous transmettrions à ces candidats pourrait être mal interprété. Nous prenons de plus une énorme responsabilité vis-à-vis d’eux. À HEC, nous considérons qu’il faut avancer avec beaucoup de prudence et nous préférons travailler par exemple avec les professeurs de CPGE technologiques qui sont déjà en contact avec ces élèves et qui connaissent leurs attentes, leurs craintes et leurs blocages. Je crois que c’est en travaillant avec des gens qui sont déjà à proximité, et qui ont cette caractéristique de rester inscrits dans le système avec toutes ses vertus de sélectivité républicaine, que nous pourrons développer une voie intéressante. *** 131 Le recrutement des Grandes Ecoles : faut-il diversifier les modes de sélection ? Marie Reynier Directrice générale de l’ENSAM Le problème de l’Europe se pose aujourd’hui très clairement à nos Grandes Ecoles. Comment ce que l’on appelle en France les spécificités de l’enseignement français vont-elles se propager en Europe, vont-elles au contraire "faire les frais" d'un schéma international préétabli? Le cadre du LMD peut, si une application plus rigoriste que ne le préconise l'Europe est décrétée au plan national, devenir un rouleau compresseur au service d'une politique d’arbitrage plus national qu’international. Chaque fois que nous rencontrons en Europe nos collègues professionnels de l’enseignement, professeurs et administrateurs, nous constatons qu’en Allemagne, Italie ou Espagne, le problème est du même type: le LMD décliné en Bac +3 +5 +8 ne correspond pas à ce qu’ils pratiquent, il n’est pas reconnu par les conventions collectives ou la profession. Ce qui est significatif, c'est le niveau de qualification. Ainsi le LMD serait à considérer en échelle de grades et non pas de diplômes. La question dite de « de l’exportation du modèle français », celui de l’élitisme républicain qui nous concerne ici, se pose effectivement en Europe, où les cultures, le rapport des jeunes à l’enseignement et à la formation, ne sont pas du tout ce que nous connaissons en France. Cependant plus d'un pays d'Europe a d’ores et déjà développé des formes similaires du même élitisme, ce comportement n’est pas si français que cela. Le système élitiste est fondé sur l'idée qu’il est pertinent de détecter des jeunes à fort potentiel afin de leur offrir un système ultrarapide de formation. Quelle que soit la professionnalisation à bac+5, un jeune à bac+5 ingénieur de Grande Ecole français n’est pas le même qu’un jeune à bac+5 universitaire Allemand, de même en Italie ou en Espagne. Ce qui est communément reproché à « notre » système aujourd'hui est de considérer le professionnel en pré-baccalauréat de façon mineure et paradoxalement d'exacerber trop le professionnel post-baccalauréat ingénieur, préparer nos meilleurs "cerveaux" à faire du "problem solving" c’est-à-dire finalement à savoir répondre à des problèmes connus, à convoquer des connaissances et des moyens connus pour répondre à des problèmes du moment. Il serait ainsi reproché aux GE de ne pas être capables de mettre sur le marché des inventeurs, des entrepreneurs, des innovateurs. Il y a tout de même peu ou pas de Grandes Ecoles qui méritent ce diagnostic. En admettant que ce reproche corresponde à une perception sincère, elle pourrait être induite dans une certaine mesure, par un pilotage de nos établissements résolument par la demande aval. La demande socio-économique intervient effectivement fortement dans la définition du contenu de nos formations et des stratégies pédagogiques. L’aval c’est la professionnalisation idoine, c’est aussi combien nous allons placer d’étudiants. Conserver 90% d’embauches immédiates, 98-99% pour certains, est très relié à la perception par les DRH de l’opérationnalité immédiate de nos élèves. D’un autre côté, la Commission européenne est très claire : les pays qui forment l’Union européenne doivent prendre conscience qu’ils ne resteront dans la course économique dans un quart de siècle que s’ils sont dans la très haute technologie et s’ils sont en fait les fers de lance du progrès. Sinon, l’Europe ne sera qu’une vieille Europe. Nous avons très peu de temps pour faire en sorte que les meilleurs éléments de ce pays innovent de façon exceptionnelle pour que 132 Table ronde n°1, animée par Claude Thélot nos produits soient exportables et enviables par le reste de la planète. Cela veut dire une mutation qui peut être profonde aussi bien dans nos secteurs tertiaires que dans nos secteurs secondaires. Nous voyons plus à l'Ecole Nationale Supérieure d'Arts et Métiers, combien l’industrie française du procédé a "perdu" ses secteurs les plus conventionnels, délocalisés vers l’Est, vers l'Asie, … , et combien finalement les ressorts français dans ce domaine-là se situent dans l’innovation et dans les ruptures technologiques, de la très haute vitesse en usinage par exemple. La recherche doit être consolidée. Cette recherche est à comprendre au sens de la recherche technologique, apte à lever le verrou technologique qu’il soit tertiaire ou secondaire. L'élite se déplacerait –elle en partie à Bac+8 ? Le système français a l'immense avantage de savoir former vite. Un DUT qui reçoit 1800h est à un bac+3, 3,5 , 4, 4,5 ? et un ingénieur avec 3000h sur trois ans chez nous, plus les CP avant, est en fait quelqu’un qui est à bac plus je ne sais pas. De toute façon le problème est ailleurs. : il s'agit de constituer l'Europe de la connaissance, c'est à dire d'apprendre à travailler avec les Européens et donc de savoir repérer entre nous les niveaux de qualification. Il existe plus d'une solution, on a entendu que l’École polytechnique disait tout à l’heure qu’elle avait 90 crédits ECTS. Difficile de proposer un système d’échange ! La connaissance est-elle tronçonnable en crédits ECTS ? En tout cas, les buts de l'Europeen Credit Transfert System, les textes de 1995 établissent uniquement que ce système est un code d'échange entre établissements de formation qui reconnaissent des cursus partiels ou complets du pays européen partenaire. Il ne peut s'agir d'un pays qui définit seul intra muros des tranches de formation. Cette dérive, si elle se poursuit, saura être utilisée par des jeunes qui pourront à loisir acquérir n'importe quel diplôme, de n'importe quel niveau, à condition qu'ils sachent repérer le « bon » circuit européen, un guide du routard en quelque sorte ! Un outil, le supplément au diplôme mérite une attention particulière, ce document qui va traduire comment nous transférons, comment nous formons nos jeunes. Que faut-il faire pour faire en sorte que les élèves que nous recrutons – et comment faut-il les préparer – pour que finalement nous réussissions ce pari de l’innovation ? On se rend compte qu’au niveau des Classes Préparatoires il faut introduire également des « ruptures », c’est-à-dire rechercher aussi d'autres critères que la capacité d'abstraction classiquement repérée, que la capacité et sa dérive qui consiste à retraduire finalement le mode de fonctionnement de l’enseignement lui-même. Tout à l’heure, Claude Thélot a mis en avant le « délit d’initié », l'importance de la mère enseignante. L'administration elle même l'Education Nationale conforte ce dispositif, avec les lycées cœur de ville et les interventions multiples de placements dérogatoires, oui le jeu est faussé – mais notre dispositif s’avère complice voire organisateur de cette dérive. Nous observons parfois des phénomènes d’inversions au sein du cursus à l’ENSAM, qui sont le résultat d’accompagnements pré-bac très et trop importants de jeunes par leurs parents, alors qu’en réalité ils n'ont pas les aptitudes suffisantes. Nous allons essayer d’autres pistes en introduisant des tests d’aptitudes. Ces tests d’aptitudes sont extrêmement liés aux objectifs de formation de l’école. Chaque école aurait à définir les siens. Par exemple, il est important à l'ENSAM de savoir repérer si l'élève ingénieur sait "voir" dans l’espace, se représenter les mouvements dans l’espace et la position des volumes dans l’espace. Nous avons fait passer des tests à nos élèves entrants en 2002. Ces tests anonymes pour l'administration de l’Ecole peuvent constituer une aide appréciable à l'élève ingénieur lui même dans son orientation personnelle. 133 D’autres aptitudes nous ont intéressés, comme par exemple celles qui consistent à repérer un classement ou des analogies. Nous rejoignons ici le propos de Claude Thélot. Nous identifions d’autres populations par ces tests, et nous allons poursuivre cette démarche jusqu’au bout, parce que nous cherchons à former des entrepreneurs, des inventeurs, des directeurs techniques, des cadres capables de maîtriser des chaînes de production, d’installer en maîtrisant le risque industriel, d'innover en haute technologie. Nous comptons sur les CPGE pour nous y aider, parce qu’il peut aussi y avoir une préparation, qui ne soit pas exclusivement orientée par l’accès à haute fonction publique. D'autres élites ont leur place, elles doivent se dégager. Les CPGE pourraient les détecter avec nous et très bien les préparer à des concours spécifiques. Je crois beaucoup en la vertu des concours parce qu’il s’agit de ruptures et parce qu’ils préservent mieux l’égalité des chances. Tous les spécialistes du comportement nous disent que la mise à l’épreuve est salutaire, et plus elle est présente, plus elle prépare à bien vivre les ruptures qui ne manquent pas de se présenter dans la vie professionnelle et …privée. De l’école maternelle à l’université on s’ingénie à gommer, à aplanir toutes les ruptures pour que les élèves ne soient pas trop "désorientés". Un cadre supérieur va devoir gérer dans le stress des décisions ultimes à effet irréversible et décisives pour l’avenir. Le concours c’est aussi ça : garder son sang froid, être capable de raisonner dans des systèmes de stress, être capable de préparer longtemps pour un objectif et un enjeu unique. Tout ceci fait partie de notre formation. Nous avons le devoir de continuer à prodiguer cette culture. Il nous faut également développer l’accueil des étudiants étrangers ne serait ce que pour interpeller nos jeunes. La mobilité obligatoire à l’international les bouscule déjà. Nous prônons également à l'ENSAM la mobilité nationale qui, au sein du réseau Arts et Métiers, peut se pratiquer en interne, car elle sort les jeunes de leur quartier de naissance, de leur région, bref de leur cocon. Il ne faut pas oublier non plus que les jeunes sont à la recherche de cocooning, qui semble répondre à une overdose de sollicitations en tous genres. L'attitude consumériste est de plus en plus constatée. Ils se présentent en toute circonstance en demandant « qu’est-ce que vous me donnez ? ». Le système CP-GE avec ses exigences de rapidité et de concentration durable, sera perçu comme intéressant et non agressif s’il reste le garant de l’accès à une situation sociale de qualité. Les jeunes ne sont pas effrayés par les « castings », ils sont simplement méfiants et tentent d’éviter les « voies de garages », trop dures en rapport investissement personnel/ revenus. De plus, le manque de statut social de l'étudiant jeune adulte et sa mise systématique en parasite des adultes le confortent dans un comportement passif et de nivellement. *** 134 Table ronde n°2, animée par Alain Trognon La situation en Europe (Allemagne, Grande-Bretagne) : quels enseignements retenir ? Alain Trognon Directeur du groupe des Écoles de statistiques Cette Table ronde ne peut avoir pour ambition de traiter aussi précisément, comme ont pu le faire Christian Baudelot et nos amis de la DEP (Direction de l’évaluation et de la prospective du MENR), la mise en perspective de statistiques venant de divers pays. Les systèmes éducatifs suivent clairement des traditions et des historiques nationaux qui rendent les comparaisons extrêmement difficiles, même si, comme le souhaiterait Christian Baudelot, les institutions statistiques étaient aussi performantes ailleurs qu’en France. L’exemple de l’histoire des classes préparatoires si spécifiques à la France exposé par Bruno Belhoste suffit, je pense, à soutenir mon propos. Néanmoins, dans l’ensemble européen de l’enseignement supérieur, l’hétérogénéité des structures est en passe de coexister avec la normalisation des LMD, sur laquelle Daniel Grimm reviendra. Les étapes des grades et des diplômes établissent une échelle d’accès à l’enseignement supérieur dont on peut mesurer l’évolution au cours du temps, et qu’il convient bien évidemment d’enrichir par les spécificités nationales. Les GE en France face aux universités classiques ou aux IUT, les universités classiques en Allemagne face aux universités de sciences appliquées (les Fachhochschule), les grandes universités britanniques (le Russel Group) et les grandes universités américaines face aux autres. Il y a aussi des spécialités d’excellence dont il faudrait tenir compte comme le droit, les mathématiques, la médecine. Sans entrer dans une comparaison fine, on peut néanmoins, à grands traits dire qu’au moins pour trois pays européens, l’Allemagne, la Grande-Bretagne et la France, les tendances sont comparables en matière d’inégalités sociales. En Allemagne par exemple, il y a eu sur le long terme une décroissance des inégalités sociales pour l’obtention d’un diplôme de l’enseignement supérieur. Walter Mühler de l’université de Mannheim constate une stabilisation au milieu des années 1970 qui, lorsqu’on tient compte du système tripartite allemand – université classique y compris technologique, Fachhochschule et apprentissage ou formation professionnelle – peut s’interpréter alors une croissance des inégalités sociales car les choix des filières sont très segmentés selon les origines sociales, les classes les moins favorisées choisissant par prudence la sécurité de l’apprentissage. Dans le document britannique que vous avez peut-être lu « Widening participation in higher education » (http://www.dfes.gov.uk/highereducation/docs/wideningparticipation.pdf), sont distingués trois groupes d’universités : - le Russel group, dont j’ai parlé tout à l’heure, qui rassemble par exemple Oxford, Cambridge ou Bristol, soit toutes les grandes ; - un groupe des universités créées avant 1992 ; - la coalition des universités modernes qui réunit les universités technologiques. On trouve des résultats qualitativement comparables à ceux que nos collègues de la DEP nous ont présenté hier. La part des classes sociales les moins favorisées augmente dans l’ordre dans lequel j’ai cité les trois groupes. Le rapport constate également « un taux de candidature très variable selon les origines sociales, même pour le groupe des étudiants qui ont réussi des excellents A levels (correspondant à nos Bac mention bien). » Nos homologues ont, comme on a pu le faire dans ces journées, conclu par exemple qu’il fallait informer les étudiants des classes sociales les moins favorisées. À leur manière, en s’appuyant sur le financement de la Banque royale d’Écosse, ils ont mis en place des tours promotionnels. À chaque pays sa méthode, ou plutôt son mode de financement. On voit bien les réactions de la salle quand on parle de changement du système de financement de l’enseignement supérieur français. On y trouve également des méthodes de soutien locaux aux élèves capables. Je ne vais pas aller plus loin, mais des expériences analogues à celle de l’IEP (Sciences Po) et à l’initiative 135 de l’ESSEC ont eu lieu ailleurs en Grande-Bretagne. Le but est aussi d’inciter (to raise inspiration) et de comprendre – et c’est encore moins clair outre-manche que pour le cas de la France abordé par la table ronde précédente – les méthodes de sélection pour qu’elles soient fair en Grande-Bretagne. Ce décor étant rapidement planté, et ayant déjà je pense trop parlé, je vais laisser la parole aux vrais acteurs de cette Table ronde qui est organisée autour de l’analyse des solutions pour faire progresser, si ce n’est la démocratie, tout au moins la démocratisation de l’enseignement supérieur. Michael O'borne, directeur à l’OCDE, va présenter ce qu’il y a derrière l’affirmative action, les mesures anti-discrimination mises en place il y a déjà de nombreuses années aux ÉtatsUnis, dans un contexte certes différent mais je pense riche d’enseignements. Il présentera aussi ce que le gouvernement travailliste britannique instaure par les Matching terms et le Bill of Fair Admission. Éric Maurin, chercheur au CREST (centre de recherche en économie et statistique) et impliqué dans un réseau européen de chercheurs sur l'éducation, présentera quelles sont, à son avis, les conditions de réussite des systèmes favorisant la démocratisation de l’enseignement supérieur. Daniel Grimm, directeur adjoint de l’École centrale Paris, nous fera part de son expérience internationale, et en particulier de ses réflexions sur le rapport entre la normalisation du LMD et la démocratisation de l’enseignement supérieur. *** 136 Table ronde n°2, animée par Alain Trognon La situation aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne : quels enseignements retenir ? Michael O’Borne (O.C.D.E.) Je ne peux pas présenter toute l’histoire de la politique américaine de la discrimination positive dans ce court exposé, mais je vais en donner les grands principes. Elle a commencé à la fin des années 1950 et a pris forme dans les universités et les lycées dans les années 1960. Nous avons donc tout de même 45 ans de recul et nous connaissons les classes sociales qui ont pu en bénéficier. Il faut comprendre que c’était une politique sociale à l’origine et pas du tout une politique scolaire. Il n’y a pas d’Éducation nationale aux États-Unis. Le système est local ou régional, entre public et privé. La politique de discrimination positive a donc été instaurée par le gouvernement pour toucher tous les niveaux dans les secteurs privé et public, car il n’avait pas de mainmise sur le système d’éducation nationale. Il a été instauré pour la sélection à l'entrée des universités, puis plus tard des lycées et des écoles primaires. Dans les années 1970/1980, les universités privées utilisaient ce système pour recruter très agressivement dans les communautés ethniques qui n’étaient pas représentées dans l’Université. Au départ c’était une politique qui visait un profil ethnique dans les universités, plutôt qu’un profil socio-économique, parce qu’il avait été présumé que les deux étaient corrélés. Elle a d'abord concerné la communauté noire, puis latino et enfin asiatique. Ensuite, la révolution féministe de la fin des années 1960 – début des années 1970, a fait en sorte que les femmes sont devenues une partie de la communauté défavorisée, et qu’il fallait donc compenser le manque de femmes dans les grandes universités et les centres de recherches. D’ailleurs, c’est à ce moment là que la plupart des écoles et universités qui étaient réservées aux femmes se sont ouvertes et ont été absorbées par les grandes universités comme Harvard, Yale ou l’université de Pennsylvanie. Les filières non-mixtes ont été plus ou moins supprimées en même temps. L’idée était d’utiliser davantage le système éducatif pour permettre l'intégration dans la société. Il s’agissait donc d’une impulsion très forte du gouvernement d’imposer ce type de sélection. Ils ont utilisé toute une série d’outils pour le faire, dont le financement est le plus important. Les universités qui ouvraient des places à des personnes défavorisées obtenaient des postes en plus. Les universités avaient donc la possibilité d’augmenter leurs effectifs. Deuxièmement, ils ont créé dans les universités de nouveaux cursus. Au départ, c’était des choses comme le multiculturalisme et les groupes ethniques ont créé leurs propres cursus. Par la suite, il y a eu toute une série de disciplines qui ont été ouvertes, des études multidisciplinaires, et l’idée était fortement ancrée dans le principe que cela allait attirer des groupes qui n’étaient pas représentés dans les disciplines traditionnelles. Les universités profitaient en même temps du fait qu’il y avait un nouveau financement et de nouvelles possibilités de déstructurer l’université traditionnelle et de créer une autre structure transversale à l’intérieur de l’institution. Comme je vous l’ai dit, pour la plupart des universités, le but était quasiment statistique, il fallait avoir un profil à l’intérieur de l’institution qui grosso modo reflétait le profil ethnique et socio-économique. Pour établir ces profils ethniques, il fallait d'abord définir l'ethnie, créer toute une série de critères, notamment raciaux, ce qui est très controversé ; il fallait aussi régler le cas des personnes d'origine mixte ; une fois ces définitions établies, que fallait-il faire pour les groupes qui ne se retrouvaient dans aucune de ces classifications? La catégorie "autres races" a ainsi été ajoutée à la douzaine de classes ethniques… Deuxièmement, que fait-on une fois qu’on a établi ce genre de principes quand vous vous retrouvez avec un profil 137 ethnique qui n’est pas le même que le profil national ? Par exemple, l’université de Californie, Berkeley, a un profil avec 40% d’entrées d’origine asiatique, surtout des Chinois d’outre-mer et pas des vietnamiens ou des laotiens, alors qu’au niveau national, les Chinois représentent moins de 3%. Est-ce que l’université est allée trop loin ? Est-ce qu’il fallait faire des choses pour diminuer le nombre de personnes ? C’est un grand débat qui continue aujourd’hui. Évidemment, les grands perdants ce sont les hommes blancs. Ce sont eux qui ont porté plainte contre ce système, et qui continuent à le faire dans les États. Pour en finir avec ce sujet, vous avez probablement lu dans la presse qu’il y a actuellement le cas à l’université du Michigan d’une femme qui porte plainte contre l’université pour avoir discriminé contre elle en faveur de quelqu’un de race noire. Ce cas est typique de beaucoup d’actions qui ont été menées dans les années 1990, et il ne serait pas exceptionnel si le gouvernement Bush n’avait pas décidé de soutenir cette personne et de porter plainte devant la Cour suprême. La Cour suprême va donc débattre de nouveau du principe de discrimination positive. Or, la composition de la Cour laisse penser qu’il y a une forte chance pour que cela aboutisse à un changement dans la politique ou du moins dans son interprétation. L’ironie est que c’est à l’origine le gouvernement qui avait imposé à l’université ce pour quoi cette dernière se défend maintenant. Le succès de ce système, à mon avis personnel, et je ne suis pas spécialiste, mais j’ai une bonne connaissance du milieu de l’enseignement et de la recherche dans les grandes universités américaines, est important. Si vous mesurez la distance entre l’université des années 1960 et celle d’aujourd’hui, il existe d’énormes différences par la composition des étudiants mais aussi par l’ouverture d’esprit que cela a représenté. Il y a bien sûr des problèmes de qualité d’enseignement par la suite, car il y a une pression à l’intérieur des universités évidemment pour faire en sorte que chacun soit diplômé à la fin des études parce que du résultat d’une université dépend son financement par le gouvernement. C’est d’ailleurs un des arguments de cette femme qui attaque l’université du Michigan que de dire qu’il y a deux voies à l’intérieur de l’université. Les règles diffèrent pour ceux qui sont entrés par les voies normales et pour les autres. Il reste encore beaucoup à dire sur les États-Unis. À mon avis, il va y avoir dans les deux années à venir un changement dans l’interprétation de ce principe très important aux ÉtatsUnis qu’est la discrimination positive. Je vais maintenant dire quelques mots sur la Grande-Bretagne. Le gouvernement travailliste a pris des mesures importantes pour changer le système éducatif qui ont souvent fait la une des journaux. Mais ils avaient d’autres problèmes, notamment un problème de participation par cohortes d’âge. Il y avait beaucoup moins de gens qu’ailleurs qui entraient à l’Université et cela a été considéré comme étant la faute du système de recrutement donc au niveau des examens du type A-levels et O-levels. Les premières réformes initiées par les travaillistes, ont consisté à changer la composition du recrutement, en fait en baissant la qualité du niveau du diplôme de départ. Le gouvernement ne présenterait bien évidemment pas les choses ainsi. C’est cependant ce qui a eu lieu car les mesures ont été prises très rapidement et souvent pour des raisons très ouvertement politiques. Deuxièmement, le gouvernement a changé le système de financement des universités. Le système est mixte de fait en Grande-Bretagne. Toutes les universités sont dans le domaine public, financées par celui-ci ; elles ne sont cependant pas contrôlées par l’État mais par des fondations, et elles ont des statuts donnant la possibilité de poursuivre une politique en dehors des pressions du gouvernement si elles ont l’argent pour le faire. Le gouvernement a décidé justement de faire en sorte que les universités ne disposent plus d’une autonomie financière. Ils ont commencé à miner les différents types de financement privés, notamment à Cambridge 138 Table ronde n°2, animée par Alain Trognon et Oxford. Ils ont ensuite décidé de financer de nouvelles disciplines dans les universités en supprimant ou en réallouant les financements des disciplines existantes. Ainsi, si l’université va dans le sens des programmes multidisciplinaires, par exemple scientifiques, il a fallu décider oui ou non de supprimer un certain nombre de places dans les recrutements d’élite d’autrefois que sont, par exemple, les lettres classiques, la théologie, la philosophie, la littérature anglaise. Il y a donc un rééquilibrage à l’intérieur d’une université pour faire en sorte que les élites qui utilisaient ces voies de recrutement pour les services de l’État n’aient plus le même nombre de places, et que les personnes entrant sans une formation de base dans ces disciplines aient des places à l’université dans des disciplines nouvelles. C’est le système du matching funds. L’université met 50% du financement et le gouvernement fait en sorte que le reste vienne du secteur public pour les chaires, les départements et les infrastructures des nouvelles disciplines. L’État finance de plus les bourses pour les étudiants, jusqu’à 90% dans la plupart des cas, et il peut contrôler par le numerus clausus des disciplines le nombre d’étudiants qui entrent dans ces disciplines, c’est par exemple le cas pour les chaires en physique et en lettres classiques. C’est une politique à la fois de financement et de choix des disciplines. Je vais terminer par une remarque : on a créé beaucoup de souplesse dans le système tant en Grande-Bretagne qu'aux États-Unis. Un des aspects remarquables du système américain est l’existence de passerelles. Si vous avez raté l’examen d’entrée à Harvard, vous ne ratez pas votre vie car il existe d’autres moyens de rattraper votre retard au niveau de la maîtrise ou du doctorat. Nombre de chercheurs importants et professeurs des grandes universités ont souvent débuté dans des établissements assez modestes. La situation est donc très différente de celle qu’on trouve en France où il y a une sorte de CV absolument établi qu’il faut avoir. Le système des passerelles est très important car il encourage les étudiants qui ont malgré tout des niveaux différents de maturité intellectuelle selon les périodes de leur vie. La GrandeBretagne est en train de mettre en place une architecture qui est, d'une certaine façon, du même type. *** 139 La situation en Europe (Allemagne, Grande-Bretagne) : quels enseignements retenir ? Éric Maurin J’avais prévu de témoigner surtout de l’avancement du travail d’un groupe de spécialistes de l’éducation qui se réunit au niveau européen, et d’évoquer une étude américaine qui est menée en parallèle, sur l’évolution des inégalités d’accès dans l’enseignement supérieur en Allemagne, aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Italie, ... dans une panoplie assez variée de pays. Justement je n’ai pas l’ambition de ce groupe de chercheurs qui est de tester l’hypothèse selon laquelle il y a un lien entre la grande diversité institutionnelle dans la façon dont ces pays organisent l’enseignement supérieur, entre les différents types d’institutions, et la variation des performances en termes de promotion de l’égalité des chances d’accès dans les différentes institutions. Je crois que l’espoir, au début, était de dégager le type d’institution, d’organisation de l’enseignement supérieur, le plus à même de promouvoir des formes intéressantes d’égalité des chances sans nuire à l’efficacité. Autant que je puisse juger des rapports intermédiaires qui ont été produits par ce groupe, les premiers résultats ne sont pas très enthousiasmants, au sens où les diagnostics concernant l’évolution des inégalités sont assez partagés. Il y a assez peu de variation, contrairement à ce qui était espéré – peut-être que les conclusions finales seront plus optimistes ? – et du coup ce n’est pas très facile de savoir quel type d’organisation est le plus intéressant. Qu’est-ce que ce groupe entend pas organisation ? Je crois que la façon qu’ils ont de mesurer, d’appréhender, la diversité des organisations se fait autour de l’enseignement supérieur, autour du rôle respectif qu’ont joué les formations universitaires courtes, à orientation plutôt professionnelle, et les formations universitaires plus académiques, prestigieuses. Ils étudient le rôle qu’ont joué ces deux grandes formes d’institutions de l’enseignement supérieur pour absorber la massification et l’arrivée d’étudiants supplémentaires au cours des décennies écoulées. Le diagnostic assez partagé par ces chercheurs, c’est que l’on a assisté dans de nombreux pays à des formes d’égalisation nominales d’accès au niveau baccalauréat, à l’enseignement secondaire, mais que ça c’est « payé » par des formes d’accroissement d’inégalité nouvelles dans l’accès aux institutions du supérieur plus prestigieuses, conditionnellement au fait d’avoir le baccalauréat, c’est-à-dire une forme de compensation. Le cas de l’Allemagne, dont Alain Trognon a un peu parlé précédemment, est assez exemplaire : le système allemand est traditionnellement décrit par l’international comme l’un des plus inégalitaires des systèmes occidentaux. La raison la plus souvent invoquée c’est qu’il a maintenu une pré-orientation précoce qui se fait bien sûr sur les critères sociaux. Néanmoins, au fil des décennies écoulées, même si institutionnellement il n’a pas été créé de filière unique au collège, le verrou s’est démocratisé et parallèlement, conditionnellement à avoir le baccalauréat allemand, l’accès aux filières les plus prestigieuses, aux universités les plus prestigieuses, s’est réduit et est devenu plus sélectif selon les critères sociaux. On constate même un accroissement – il s’agit de formes assez pathétiques d’évolution des comportements – de la préférence, de la part des enfants des classes supérieures, à ne pas avoir de diplômes supérieur plutôt que d’avoir un diplôme autre que national en Allemagne. Les formations universitaires courtes, professionnelles, sont de plus en plus réservées aux enfants des classes populaires. En termes de politique publique, les chercheurs s’accordent plus ou moins – même si ce ne sont pas des modèles causaux qui sont testés et qu’il faudrait regarder les choses de plus près – sur le fait qu’on assiste à des inégalités de deuxième ordre, c’est-à-dire qui reposent sur les effets d’auto-sélection. En fin de parcours, les enfants des milieux défavorisés ne prennent pas 140 Table ronde n°2, animée par Alain Trognon le risque de formations pour lesquelles ils n’ont pas d’information très précises et s’engagent dans les voies les moins prestigieuses qui permettent « d’assurer ». Ce phénomène d’autosélection d’inégalités serait aujourd’hui le phénomène croissant dans les systèmes éducatifs occidentaux. En termes de politique publique, pratiquement tous les outils imaginables ont été développés autour de l’idée d’assurer, des économistes diraient de favoriser, l’accès au marché du crédit des étudiants qui n’ont pas vraiment des parents pouvant les aider, et donc des mécanismes d’assurance de cet ordre. Ceci dit, tout n’est sûrement pas aussi simple. Derrière la démocratisation nominale des stades initiaux du système éducatif, il y a sans doute la persistance d’inégalités réelles. C’est un peu le sens de tout ce qui se disait tout à l’heure, c’est-à-dire qu’en fin de parcours les élèves nominalement ont le même niveau au baccalauréat, mais quand on regarde ce qui se passe en termes de redoublement, au début des carrières scolaires, on voit que des formes d’inégalités persistent et sans doute, si on était capable de mieux mesurer, on verrait qu’en dépit d’une égalité nominale dans le secondaire, il subsiste des inégalités réelles. Il ne s’agit pas uniquement de phénomènes de sélection, mais aussi du fait qu’au bout du compte, en dépit de quelque chose qui paraît identique, tout le monde n’est pas également armé. Tout ça est à prendre de manière posée, et d’autres formes de politiques plus « traditionnelles », tous les leviers de redistribution en amont qui débordent à mon avis le cadre de l’École, c’est-à-dire de lutte contre la pauvreté des enfants, gardent leur pertinence. Au-delà des leviers habituels, il y a un intérêt croissant parce que le rapport coût/bénéfice est potentiellement très intéressant. Je pense que c’est une des raisons fondamentales, même si elle n’est pas très bien perçue, qui accroît l’intérêt, le renouvellement en tout cas, pour les politiques de discriminations positives. La discrimination positive peut regrouper des choses très différentes, des choses pour lesquelles on a spontanément une certaine aversion au sens où elles semblent aller à l’encontre de l’égalité formelle à laquelle tout le monde est attaché, et des politiques d’excellence doublées de volontarisme au niveau local, qui ne sont pas nécessairement des politiques qui violent les principes de l’égalité formelle dans le concours. En gros, toutes les politiques sociales, puisque c’est comme ça qu’il faut les décrire, dont la pertinence repose sur le fait que la concentration sur le territoire des familles pauvres ou désavantagées, ou la concentration d’élèves à problèmes, a en elle-même un effet. Indépendamment des facteurs familiaux, de l’environnement immédiat, le fait d’être entouré, le type de voisinage au sens large qui est celui de l’élève, compte en soit. Dès lors qu’on serait capable de bien comprendre ces phénomènes, alors il y aurait de nouveaux outils de mixité sociale qui deviendraient très pertinents et qui auraient potentiellement – c’est à regarder dans le détail – l’avantage de pouvoir avoir des effets considérables à moindre coût. Une politique d’excellence ciblée sur quelqu’un, au sens où ça va améliorer le voisinage de beaucoup, va augmenter les performances de tout le monde et donc avec peu de choses on peut obtenir beaucoup. À la fin des années 1980, il y a eu un intérêt assez fort, qui était né autour d’un livre américain qui a été traduit depuis, « Les vraiment défavorisés » de Gibson, pour ce genre de mécanismes et pour ce genre de politique publique, sous forme de discrimination positive, sous forme de volontarisme au niveau local que cela fondait en raison. Et puis, il y a eu des études très théoriques menées par des statisticiens contemporains qui ont attiré l’attention sur les difficultés méthodologiques considérables qu’il y avait à interpréter le fait qu’on réussissait plutôt moins bien quand autour de soi les gens réussissent moins bien. Et maintenant il y a une espèce de retour, on est en train de re-comprendre certaines des conditions sous lesquelles on peut dire des choses à ce propos. Les premiers résultats qui se dégagent, tant aux ÉtatsUnis qu’en Europe, laissent penser qu’il semblerait que ce qui compte dans un voisinage, ce n’est pas tant que ce soit un voisinage pauvre ou culturellement mal intégré, mais le fait que 141 les élèves soient entourés d’élèves qui eux-mêmes échouent. En France aujourd’hui, un enfant de famille pauvre ou étrangère vit en moyenne dans un voisinage où le pourcentage d’étrangers ou de familles pauvres est quatre fois plus élevé que la moyenne nationale. On a tendance à dire que le problème de la ségrégation sociale est un problème plutôt américain, mais en France il y a des formes de ségrégation assez aigues aussi. Peu importe en fait les causes de l’échec, ce qui semble particulièrement crucial dans les effets de contexte, ce qui résiste bien à l’analyse, c’est « si je suis dans un environnement où autour de moi on échoue, alors ma probabilité d’échouer est plus forte ». Ça c’est particulièrement intéressant parce que quand on réfléchit un tout petit au problème, c’est typiquement le genre d’effets qui fonde en raison le volontarisme pour promouvoir l’excellence au niveau local, qui fonde en raison les formes de politiques de mixité sociale avec des effets de long terme potentiellement intéressants. *** 142 Table ronde n°2, animée par Alain Trognon La situation en Europe (Allemagne, Grande-Bretagne) : quels enseignements retenir ? Daniel Grimm Ecole Centrale de Paris Mon intervention sera brève car de nombreux points ont été abordés par mes prédécesseurs. Je ferai simplement quelques commentaires en vrac après ce qui a été exposé sur les formations de l’enseignement supérieur. Dans un premier temps, je souhaiterais, à partir d’une anecdote, souligner les problèmes de mixité sociale liés au confinement et au cloisonnement géographique. La fille d’un collègue qui s’occupe à Marseille de jeunes en milieu très défavorisés, a fait un jour une remarque qui m’a fait froid dans le dos. Elle m’a dit que la plupart des jeunes au contact desquels elle est, ne sortent pas d’un rayon de 500-600 m autour de leur lieu d’habitation. Cet isolement peut avoir des conséquences importantes qu’il faut souligner. Il faudrait se poser la question des objectifs de l’enseignement pré-baccalauréat, le primaire et le secondaire. La comparaison entre différents pays nous permet d’observer que ces objectifs sont très différents même s’ils ne sont pas nécessairement formalisés ou exprimés de cette façon-là. J’ai pu en identifier trois jusqu’à présent : 1. La culture générale. Il s’agit de l’objectif principal en France. Claude Boichot a d’ailleurs demandé hier à ce sujet : « est-ce qu’il faut dire bac S (pour scientifique) ou bac G ( pour général) ? ». La primauté est donnée à la culture générale avec le souci constant que les gens n’en n’ont pas assez. 2. La socialisation. Aux États-Unis, et ça rejoint aussi les parcours avec les passerelles et les parcours progressifs qui ont été évoqués précédemment, l’enseignement primaire et secondaire est plus axé sur une approche de socialisation, c’est-à-dire d’intégration des jeunes dans la société dans laquelle ils sont. Il s’agit de leur apprendre à travailler en groupe, ce qu’est une bibliothèque, une association. Ils apprennent ainsi à se servir de leur environnement et à le décoder. Plus tard ils savent chercher les parcours qui vont correspondre à ce qui leur convient le mieux. 3. La professionnalisation. L’Allemagne est le pays le plus représentatif de cet objectif. Vers l’âge de 11-12 ans les élèves sont confrontés à une orientation qui ensuite est quasiment définitive. Là où les français auraient tendance à faire un complexe, les allemands sont en général très fiers de pouvoir dire qu’ils ont « des cols bleus dans un certain nombre de directoires d’entreprises ». En France, il faut nécessairement avoir fait ses études dans telle ou telle grande école et les passerelles sont tellement nombreuses, que chaque élève ayant un potentiel doit normalement pouvoir passer dans ces circuits. Si la ghettoïsation nous prive encore aujourd’hui d’un certain nombre d’élèves de talent, je suis ravi – et j’en profite pour féliciter les organisateurs – de ce colloque qui pose la question de comment ne pas perdre ces talents. Pour aborder la question de la durée des études, je vais reprendre l’exemple de l’Allemagne. La durée des études est très élastique en Allemagne puisque si par exemple un bac+5 doit nominalement durer 5 ans, il peut parfois aller jusqu’à 7,5/10/12 ans. Le doctorat est extrêmement allongé et il faut du temps pour être autorisé à soutenir une thèse. De plus, en rapport avec ce qui vient d’être dit sur la forte inégalité sociale dans les universités à cursus long en Allemagne, on observe que la gratuité des études couplée à la possibilité des parents de financer la vie d’étudiant n’incitent pas les jeunes à entrer dans la vie active. 143 Le coût des études est un sujet sur lequel il faudra se pencher. En effet, en 1994, l'O.M.C. a traité de l’éducation et a pris une orientation qui consiste à dire d’après le premier diplôme, les formations vont entrer dans le champ commercial. En France, la formation continue est déjà dans le champ. Le dispositif vers lequel nous nous dirigeons comprendra probablement un premier diplôme (L, bachelor, bac+3) qui fera partie du service public, suivi d’un diplôme au niveau master qui entrera dans le champ commercial comme cela est déjà le cas dans un certain nombre de pays. Lors des séances d’atelier, il a été exposé, par le britannique présentant l’Asie pacifique, que l’Australie s’enorgueillit aujourd’hui d’avoir un montant de recettes en devises étrangères supérieur, grâce à l’enseignement supérieur via les étrangers qui viennent, que ce qu’ils arrivent à obtenir en exportant de la laine. La question de la gratuité des scolarités a été soulevée récemment de façon spectaculaire par notre collègue, le directeur de l’IEP (Sciences Po). Nous ne pourrons pas éviter ce débat. Il y a une dizaine d’années, Laurent Schwartz qui avait été à l’origine d’un mouvement pour la qualité de la science française, avait fait un éditorial expliquant que la gratuite n’était pas forcément synonyme de démocratisation, à condition bien sûr de mettre les mécanismes qu’il convient en face. Ceci étant, si les études deviennent payantes, cela risque de diminuer la mobilité des étudiants à l’international. Les étudiants britanniques, par exemple, ont une mobilité très faible par rapport aux autres étudiants européens car ils payent leurs études, et en général relativement cher. Les institutions qui sont brimées financièrement par le gouvernement (voir l’intervention de Michael O’Borne) ont en effet tendance à se rattraper sur leurs étudiants. Des situations d’endettement apparaissent et à partir de là, il y a un souhait d’aller sur le marché du travail le plus rapidement possible pour pouvoir commencer à rembourser, d’où le fait que le passage par une structure étrangère est considéré comme une perte de temps. Les conséquences à terme de cette exclusivité des filières courtes peuvent être dramatiques d’un point de vue économique et industriel. D’un point de vue économique, les États-Unis qui ont des études payantes semblent bien s’en sortir. Il faut tout de même savoir que pour développer un produit technologique sophistiqué, en général, les américains dépensent en dollar ce que nous dépensions en franc. En effet, nos formations longues de qualité permettent à nos ingénieurs d’être capables entre plusieurs solutions d’anticiper celles qui vont marcher le mieux, en prévoyant les résultats des diverses voies possibles, alors qu’aux États-Unis, leurs ingénieurs, plus pragmatiques et pratiques, vont être amenés à développer les différentes solutions et constater après coup celles qui marchent et celles qui ne marchent pas. Par exemple, le nucléaire civil français, qui est tout de même très en pointe, a coûté en développement sept à huit fois moins que le nucléaire civil américain. D’un point de vue industriel, la Grande-Bretagne, où les études durent en moyenne un an de moins, a déjà subi les premières conséquences de ce mécanisme. Les britanniques ont en effet perdu pratiquement leurs grandes entreprises et tous leurs grands constructeurs automobiles sont dans les mains de groupes étrangers. Le problème de la démocratisation, le problème du financement des études, le problème de l’organisation des cursus, restent des questions qui recouvrent des enjeux stratégiques pour l’avenir de l’Europe et je remercie Marie Reynier d’avoir souligné ce point. Nous sommes en train d’aborder l’avenir de l’Europe. L’Asie pacifique, par exemple, représente les deux tiers de la population mondiale et cette région possède un dynamisme et un développement tout à fait impressionnants. Il est donc vital que nous mobilisions effectivement toutes nos intelligences sur ces questions. *** 144 Clôture du colloque Intervention de clôture de Claude BOICHOT, Inspecteur Général de l'Education Nationale Chargé de mission C.P.G.E. Monsieur le Président, Il me revient la lourde tâche de conclure par délégation du ministre Xavier Darcos. Je vais dire quelques mots qui resteront très modestes, peut-être pas très prudents mais très modestes. Dans un premier temps je vais revenir sur quelques phrases ou formules entendues ce matin. Je crois que c’est Michel Raimbault qui a parlé de l’aptitude à traiter de la complexité des situations. Lorsqu’on est ministre, y compris ministre délégué en charge d’une partie du système éducatif, et que cette partie, ce sont les CPGE, la tâche est complexe et à très fortes responsabilités Politiques. En effet, le segment bac+2 est au fond un segment bi-charnière. L’ancrage sur le secondaire, Gérard Debeaumarché l’a dit, est une des contraintes aux limites. Sur cette frontière nous devons montrer une grande réactivité à ce qui se passe au lycée... Nous avons ainsi modifié nos programmes de CPGE pour avoir une meilleure adéquation avec ceux du secondaire qui viennent d’être mis en place. Nous avons la meilleure réactivité parce qu’il y a une grande proximité. L’une des spécificités du " maillon CPGE " est sa très grande proximité entre ce qui se passe dans le secondaire et bien évidem-ment ce qui se passe dans le supérieur. Il nous appartient par exemple de faire en sorte que notre système s’ouvre dès le niveau bac+0 aux élèves étrangers, à l’international. Il faut construire cet accueil qui pour le moment, et même si Joël Vallat et d’autres font tout ce qu’ils peuvent, n’est pas institutionnellement organisé. Nous devons réfléchir à l’organisation de classes de première année susceptibles d’accueillir des élèves non francophones. Les CPGE débouchent naturellement sur les concours aux grandes écoles dont nous voyons bien qu’ils n’éliminent plus mais qu’ils trient, au moins pour les filières scientifiques et économiques-commerciales. Depuis quatre années déjà, et chaque année hélas, nous constatons que 2000 places restent vacantes dans les écoles scientifiques et 750 dans les écoles de management. Pour les lettres, nous veillons à ce que les 2 000 places au Capes et à l’Agrégation soient mieux mises en perspective avec le parcours hypokhâgne-khâgne, et qu’au fond on ne désespère par les élèves d’hypokhâgne et de khâgne en ne les focalisant que sur les 240 places offertes chaque année, bon an mal an, aux ENS. La place des concours entre les CPGE en deux ans et les études dans les grandes écoles était claire et simple avant l’émergence du schéma de mobilité et de construction de l’univers universitaire européen. Désormais, il faut s'inscrire dans cet univers LMD/3-5-8, et le maillon CPGE ne correspond pas à une séquence du LMD … Bac +2 et pas Bac+3….Vous avez compris ce matin la perplexité dans laquelle je me trouve et la responsabilité qu’il peut y avoir à perturber les articulations entre les CPGE et notre environnement universitaire singulier et dual (grandes Ecoles –Universités). Les CPGE "installées" dans le LMD, c’est bien le cœur de ma feuille de route. L’univers scientifique n’est pas rigoureusement le même que celui des classes de management pour faire simple, et les classes littéraires relèvent encore d’une autre approche. Il faut au moins tenter de comprendre avant d’agir. Je reprends une autre formule de Michel Raimbault, " sinon on est des apprentis sorciers ". Je confirme, il me pardonnera cette audace, que Xavier Darcos fait partie de ceux qui veulent comprendre avant d’agir. Il y aurait une autre solution qui serait de dire qu’au fond la réflexion paralysant l’action, il n’y a qu’à agir et que l'on verra 145 bien. Il me semble qu’on a déjà vu ce que cela donnait… Il vaut mieux comprendre avant d’agir et mettre en place d’abord un véritable diagnostic partagé sur lequel peut et doit ensuite s’exercer la responsabilité des choix Politiques. Il faut donc une grande " capacité à rendre intelligible " et je vous assure que ce n’est pas simple, mais c’est là qu’est la véritable rupture au sens de Bachelard. Pour rendre intelligible, pour cristalliser une connaissance, il faut bien effectivement passer par une situation de rupture, et les uns et les autres nous n’y sommes par forcément toujours préparés. Il convient donc d’expliquer, d’expliquer encore, d’expliquer toujours….. Et puis, il y a le temps. Le rapport de l’IGAENR (Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche) de 2002, (consultable sur Internet http://www.education.gouv.fr/syst/igaen/rapports.htm) traite très longuement du temps, qu’il soit politique, pédagogique ou social. Lorsqu’on connaît la brièveté du temps politique, on est quelquefois entraîné à ne pas prendre le temps de comprendre pour agir. Du coup peut-être bien que certains sont rapidement amenés à nous taxer, nous qui sommes après tout aux côtés des décideurs, de frileux, d’immobiles, d’immobilistes... La prudence, la vigilance, ce n’est absolument pas de l’immobilisme. Autre phrase choc que Daniel Grimm a reprise tout à l’heure, c’est que " nous n’avons pas le droit de gaspiller une seule intelligence ". Hier nous avons dit la même chose dans l’atelier consacré aux ouvertures sociales des CPGE : nous n’avons pas de le droit de gaspiller un seul talent, une seule réussite potentielle car la situation de notre Pays exige que le potentiel de formation d’excellence sous toutes les formes de celles ci soit utilisé. Autre remarque brève : au fond, lorsqu’on est en CPGE on met beaucoup d’œufs et d’" E " dans son panier. Il y a le " E " d' ExcellenceS. Il faut par exemple définir positivement l’excellence de la voie technologique. Il ne s’agit pas d’une excellence au rabais par rapport à la voie générale. Il ne faut plus présenter les choses ainsi, mais définir des critères d’excellence spécifiques et regarder qui a l’aptitude justement pour s’adapter au mieux, et de la façon la plus efficiente évidemment, à tel ou tel type d’excellence. Excellences, mais aussi Exigence, exigence certes mais Encouragement et Ecoute aussi. Équité enfin. Elle peut se décliner de façon géographique avec les classes de proximité ou classes de service public comme l’a dit Xavier Darcos. Équité en termes de formation, équité presque éthique allais -je dire, avec bien évidemment le respect de l’équité de traitement entre tous les candidats, aussi bien au concours que pendant la formation. Comment imaginer un engagement inéquitable de l’État alors que le concours, qui est l’instrument d’évaluation, est lui anonyme et unique ? " E " comme Équirespectabilité. Là aussi notre engagement est intact : en 1994 il n’était pas gagné qu’au fond l’équirespectabilité des filières que nous affichions, allait se produire dans les faits. Pour qu’elle se traduise dans les faits, il fallait qu’il y ait dans toutes ces filières une équiprobabilité de réussite. Nous n’y sommes pas totalement parvenus, mais nous n’en sommes pas très loin. Ce matin nous avons parlé des ECT (classes économiques et commerciales technologiques). Quand vous faites le ratio entre le nombre de candidats dans ces classes et le nombre de places qui leurs sont offertes par toutes les Écoles de management – l'ensemble des Ecoles, et pas seulement HEC où le ratio varie entre 0 et 1 puisque certaines années il n’y a aucun recruté - vous trouverez grosso modo le même ratio que celui que vous trouvez entre le nombre de places offertes en MP rapporté au nombre d’élèves dans cette filière. Il y a cependant une filière qui souffre, c’est la filière TSI (technologie et sciences de l’ingénieur). 146 Clôture du colloque Au fond, ce colloque a montré que nous étions tous des passionnés de l’École. Vous remarquerez que j’utilise passion et pas amour. Nous voulons tous, franchement tous, réussir l’École, l’École comme creuset de la Nation. Dans cette démarche là, la démocratisation scolaire est une exigence d’équité citoyenne ou civique. Parce que la citoyenneté est singulièrement galvaudée, je pense que le Ministre délégué aurait préféré le terme civique. À côté de nous qui sommes des passionnés de l’École, et il ne faut pas en avoir honte, il y a 60 millions de spécialistes de l’École. Eh oui ! J’emprunte à Claude Thélot la formule : " tous les Français et les Françaises ont une institution en commun parce que c’est la seule par laquelle ils sont tous passés, c’est l’École. " Ils ont donc tous leur mot à dire sur l’École. Le problème c’est que leur qualité dite de spécialiste, ils la tirent d’observations micro-éducatives, perçues, respectables, mais micro-éducatives. Or, le micro-éducatif fait appel à l’affectif. Il ne faut pas nier l’affectif puisqu’il est au cœur de la construction du savoir personnel, qu'il est surtout au cœur de la transmission des savoirs. L’effet Professeur est là. L’affectif est qualitatif, difficile à modéliser, à objectiver, mais il est là. " Papa, maman, je rentre aujourd’hui et tiens, j’ai un bon prof ! " Si le Ministre de l’éducation nationale pouvait être assuré que le lendemain de la rentrée 90% des enfants rentrent chez eux en disant "Ah, cette année j’ai un bon prof !" franchement je pense qu’alors la résolution des problèmes qui restent en serait complètement simplifiée. En mettant en avant cet aspect affectif de la construction interactive du savoir avec le professeur, je rends hommage, comme le fait quotidiennement Xavier Darcos, aux professeurs. Ensuite, il reste que la passion ne doit pas empêcher la raison de s’exercer. Le passage à la raison a lieu en passant d’une situation micro-éducative - perçue, massivement perçue, peu raisonnée, peu raisonnable - à une analyse plus globale, plus macro-éducative, mais qui peut devenir très impersonnelle, ou apparaître comme telle. Dans le champ de l’éducation et dans la relation de la construction du savoir, la notion de moyenne n’a pas beaucoup de sens. Et pourtant il convient que les décideurs, que tout le monde d’ailleurs, s’accordent sur la réalité des faits macro-éducatifs, voire méso-éducatifs - situation intermédiaire -afin d’éviter de parler, parler, et éventuellement agir, sans autre référence qu’un cas isolé transposé à l’infini et surtout mis en application comme définissant une politique. Cette démarche-là, c’est Claude Thélot qui le dit, " elle est funeste ". Il n’est pas question d’éradiquer telle ou telle partie du système éducatif, tel ou tel programme, parce que sa nièce, son neveu ou son fils, momentanément, ne l'a pas complètement apprécié, ou parce que, vieille frustration, il y a 2530 ans, on avait eu des problèmes avec tel ou tel corps de discipline. On a parlé d’autocensure, de censure, je vous assure que les frustrations dans notre milieu, sont énormes. Du coup, si nous n’arrivons pas à les lever, à actualiser les informations, nous n’arriverons pas à faire venir sur le chemin de la réussite ceux-là même qui sont les plus fragiles. Cette démarche est bien une partie de la tentative de donner la parole aux élèves pour que, spontanément d’abord, ils aillent sur Internet voir ce qui se passe dans l’univers des classes préparatoires, et qu’ensuite ils s’inscrivent... À ce point, je voudrais vous dire "merci", au nom du Ministre, mais vraiment "merci". On n’est pas à la cérémonie de remise des Molière ou des César. On l’est d’autant moins que, rappelez-vous dans les réunions auxquelles vous avez participé et auxquelles participait tel ou tel ministre ou tel représentant du ministère, les remerciements, surtout quand ils ne sont pas convenus, ne sont pas si fréquents que ça. On n’a pas l’habitude entre nous de dire merci, peut-être par pudeur. Je dis, au nom de Xavier Darcos, " merci ! ". Je le dis d’autant plus fortement à mon compte cette fois. Vous le savez bien, Messieurs les Présidents, et singulièrement Gérard Debeaumarché, que depuis un an quand on me parlait de ce colloque, surtout compte tenu de la conjoncture, et du fait que malgré la force avec laquelle j’affirmais tous les 147 résultats qui ont émergé et que je pensais établis, je me disais " si jamais l’univers médiatique n’est pas bien assuré, s’il y a des dérapages, si tel ou tel nous emmène sur un chemin de traverse, nous aurons un mal fou à nouveau à redresser la barre ". Cet écueil a été totalement évité. Le travail de la DEP est également important. Le Ministre m’a chargé de vous dire qu’il s’associait à l’hommage que vous avez de façon très forte rendu à Dominique Faure. Il m’a également chargé de vous dire que la qualité de ce travail mérite que l’institution reprenne à son compte, reprenne en pilotage évidemment, les sujets que nous avons traités ensemble. Ça ne veut pas dire qu’ils sont trop sérieux pour être confiés à des associations. Ce n’est absolument pas ce que j’ai dit. J’ai dit qu’il y a des endroits, des sujets, des niveaux d’engagement où évidemment l’État et l’institution doivent prendre toute leur place. Je vous invite à nous faire remonter toutes les suggestions, toutes les pistes, toutes les informations, toutes les idées. Le Ministre sait qu’il peut compter sur vous. Il faut garder intact notre engagement, notre passion pour le bien public et l’École, et construire son avenir avec raison. Les chantiers sont extrêmement nombreux. Je vais vous citer des sigles sans jamais les décliner. Je crois que sur les agendas des uns et des autres on va trouver rapidement, dans le chantier qui nous intéresse : IEP, CPU, CDFI, CTI, CGE, IPES, UPS, UPSTI, UPA, APPLS, APHEC... Ces rencontres prévues doivent nous permettre tous ensemble, chacun à sa place selon ses responsabilités et ses prérogatives, de construire l’avenir. Merci infiniment pour votre aide et votre engagement. *** 148 Clôture du colloque Intervention de Alain CADIX, président de la Conférence des Grandes Ecoles J’ai retenu au moins un point de l’intervention de Christian BAUDELOT : 60% des élèves des CPGE proviennent de classes sociales qui représentent 20% de la population. Ce sont des ordres de grandeur. Ce décalage se retrouve dans les GE, même si leurs étudiants ne proviennent pas tous des CPGE. C’est un problème majeur pour notre système d’enseignement supérieur. Les 3° cycles universitaires connaissent un problème de même nature, avec un décalage moins marqué. Notre système fondé sur l’élitisme républicain ne peut assurer sa pérennité sans conforter sa légitimité. Bien sûr la source de ces dysfonctionnements est en amont des CPGE et des GE. Une étude de l’IREDU (mars 2003) montre qu’au début du Cours Préparatoire, l’avantage des enfants de milieux favorisés est particulièrement net en pré-lecture, dans la reconnaissance des lettres, et dans la maîtrise des concepts liés au temps. Elle montre qu’au Collège les écarts se creusent, au point qu’on a pu estimer que le Collège produisait en deux ans plus d’inégalités sociales de résultats que toute la scolarité antérieure. Quant à l’orientation, l’étude montre combien est déterminant le niveau culturel et économique des familles dans la stratégie des choix des établissements et des classes. La Conférence des Grandes Ecoles (CGE) aurait pu dire « ce ne sont pas les GE qui créent des inégalités, c’est l’amont ». Elle en a décidé autrement, en mettant la problématique sur la table, en la faisant sienne, sachant qu’elle ne pourrait pas la traiter seule. La question de fond étant : comment élargir la base des recrutements des GE sans mesure de discrimination positive et sans remettre en cause la qualité de leurs diplômes ? A la suite de son séminaire de Montpellier (septembre 2001), la CGE a décidé de créer son observatoire social, en commençant par faire une enquête sur les CSP des familles des étudiants. Les premiers éléments seront dévoilés lors de son AG du 11 juin. Ensuite, la CGE a créé, au sein de sa Commission Amont présidée par Christian MARGARIA, un groupe de travail sur l’apprentissage dans l’enseignement supérieur. Ce groupe animé par Laurent HUA vient de rendre ses premières recommandations pour favoriser son développement. Par ailleurs, toujours au sein de la Commission Amont, un groupe de travail « Tremplin STISTT » a été animé par Jean-Michel DUMAS et Régine BERTRAND. Son objectif : connaître ce qui se fait dans les GE pour accueillir des bacheliers technologiques, préconiser des mesures tendant à accroître les flux tout en préservant l’exigence de qualité des diplômes des GE. Il en ressort en particulier que, à certaines conditions, le développement des CPGE TSI et ATS est à favoriser. A cet égard, pour la suite des travaux, je crois qu’il faut explorer la voie des admissions (par concours) de BTS venant des bacs technologiques. Pourquoi ? D’abord parce que 80% des élèves de STS proviennent de milieux intermédiaires et populaires. Par ailleurs 70% des élèves de STS proviennent de bacs technologiques. Parmi ces BTS, il y en a qui ont un potentiel intéressant pour les GE. Bien entendu les concours doivent être fondés sur des 149 modes alternatifs de sélection. Les formes et les contenus des épreuves ne peuvent être calqués sur ceux des concours traditionnels post CPGE. Par ailleurs les débuts de parcours au sein des GE doivent être adaptés aux types de compétences de ces jeunes. Enfin, la CGE a décidé de lancer une campagne de démythification des CPGE et GE. Il faut vaincre les réserves de familles modestes dont les enfants ont des talents et qui, victimes de déterminants culturels et de manque d’information, disent a priori : « les grandes écoles, c’est pas pour nous ! ». Convaincue que les enseignants sont les prescripteurs les plus écoutés par les familles modestes, la CGE a lancé cette année une campagne de communication vers les enseignants des classes de 3ème et de 2ème. Cela a commencé par la journée « portes ouvertes » nationale du 26 mars dernier. Un résultat mitigé pour cette première édition. Nous en avons tiré des leçons pour les prochaines années. Il faut poursuivre ce travail de sape des préjugés. Le thème de nos interventions de conclusion est : « quelles perspectives pour le système CPGE – GE ? ». Les sujets à aborder seraient bien trop nombreux : évolution de la démographie associée à la baisse tendancielle de la part des bacheliers S poursuivant des études scientifiques, faible féminisation des CPGE et GE scientifiques (hors sciences du vivant), place des CPGE lettres et sciences humaines, le financement de l’enseignement supérieur, ... Et puis, il y a la question du positionnement des GE face à la concurrence européenne et mondiale, leur aptitude à s’adapter aux demandes des entreprises, elles-même plongées dans la mondialisation de l’économie et des réseaux. Quitte à donner l’impression de pratiquer le paradoxe, je choisis dans un colloque traitant de l’ouverture sociale, de parler de l’instauration de frais de scolarité dans l’enseignement supérieur public. Je donne (cette fois-ci) raison au directeur de Sciences Po Paris qui vient de (re)lancer le débat sur ce thème. A un moment où l’Etat rencontre les plus grandes difficultés pour subvenir aux besoins des universités, et des écoles dont il a la tutelle directe, je crois qu’il est normal de mettre ce sujet en débat. Avec une idée force : une augmentation des droits de scolarité permet d’accroître les possibilités de redistribution directe. On peut en effet se demander si la gratuité a été un facteur d’ouverture sociale et d’accroissement de l’égalité des chances… Pourquoi se retrancher derrière un sacro-saint principe qui n’a pas les effets attendus ? De plus on peut se demander si la gratuité dans les GE publiques est bien équitable, comptetenu des CSP des familles concernées… On objectera qu’un accroissement des frais détournera encore plus les milieux intermédiaires et modestes des GE. Oui, si tout reste par ailleurs en l’état. C’est tout le système de financement et d’aides au financement qui est à réformer. Je vous invite à vous reporter aux études récentes de l’OCDE sur ce thème. Elles sont riches d’enseignements. N’oublions pas que les avantages que retire un individu de l’enseignement supérieur sont importants, au plan social (risque réduit de chômage, par exemple), au plan financier (même avec des frais plus élevés le ROI serait bien meilleur que celui de tous les placements à court/moyen terme existants). Il retire plus d’avantages personnels que n’en retire la société. 150 Clôture du colloque Au cours des prochains mois, la CGE devra se pencher sur cette question. Ses propositions devront concerner aussi le système d’aides : réduction de frais fondée sur des données fiscales, abondement des bourses d’Etat par des bourses des collectivités territoriales, et par des bourses attribuées par des fondations d’entreprises, création d’un PEE (plan d’épargne études, qui pourrait être ouvert dès la fin de la 6ème, avec des taux bien supérieurs à ceux du PEL), possibilité d’un paiement différé des études, tenant compte du niveau des ressources du diplômé dans la vie active, ... Les idées manquent souvent moins que le courage politique en ces matières… La mise en œuvre de ces dispositions pourrait être progressive et adaptée aux niveaux de grade des diplômes préparés : jusqu’à « L », dans un premier temps, la prudence s’impose. Le passage de « L » à « M » justifierait à plus d’un titre des frais de scolarité élevés. Les chiffres avancés par Richard DESCOINGS ne me choquent pas. Le passage de « M » à « D » pourrait bénéficier d’un traitement inversé, afin d’attirer plus de jeunes, souvent en charge de famille, vers la recherche (allocations de recherche, contrats CIFRE, largement accessibles). Je voudrais maintenant conclure en disant que dans ce grand débat sur l’avenir de l’éducation et, singulièrement, de l’enseignement supérieur, les CPGE et les GE ont partie liée. Il faut ensemble nous adapter à un contexte social en profonde mutation. C’est pourquoi je rends hommage à Gérard DEBEAUMARCHÉ et au Bureau de l’UPS d’avoir pris l’initiative de ce colloque et de l’avoir organisé avec le concours en particulier de l’ENS. Je les en remercie. La CGE a trouvé légitime et utile de s’y associer. C’est ensemble, CPGE et GE, que nous devons conduire des expérimentations, faire des propositions pour assurer la pérennité d’un système auquel nous croyons, qui a fait ses preuves, et qui a rendu de grands services à la République. Merci de votre attention. *** 151 Conclusion de Gérard DEBEAUMARCHÉ, président de l'Union des Professeurs de Spéciales Avant de conclure ce Colloque "Démocratie, classes préparatoires et grandes écoles", je tiens tout d'abord à remercier toutes celles et tous ceux qui nous ont apporté leurs connaissances, leurs compétences, leur dynamisme : professeurs, proviseurs, responsables des Ecoles, Inspecteurs Généraux, experts du système éducatif, et bien entendu Monsieur le Ministre, Xavier Darcos, qui nous a fait l'honneur de s'exprimer ici même hier matin. En décidant voici un an d'organiser ce Colloque, notre objectif était d'apporter des réponses à quelques questions que chacun parmi nous se posait à propos des classes préparatoires, et que je résumerai comme suit : • Où en est l'ouverture sociale du système des classes préparatoires et des grandes écoles, qui est si nécessaire tant pour garantir l'exigence républicaine de l'égalité des chances que pour assurer l'avenir de la Nation au moment où nous risquons à brève échéance de manquer de scientifiques ? • Où en est l'ouverture sociale de nos classes par rapport aux autres formations analogues qui conduisent aussi à des diplômes à Bac + 5, à l'instar des DESS, de la médecine ou encore de la pharmacie ? • Que pouvons-nous faire collectivement pour poursuivre cette ouverture sociale et attirer vers le système des classes préparatoires et des grandes écoles davantage de jeunes issus d'autres milieux, qui traditionnellement n'y viennent que très peu ? Pour répondre à ces questions, il nous a paru nécessaire de replacer l'évolution de nos classes dans un contexte historique de longue durée, puis de disposer de données statistiques extrêmement fiables, et c'est pourquoi nous avons voulu que ces réponses soient apportées par d'autres que nous-mêmes, autrement dit par des experts indépendants et indiscutables, afin qu'elles aient une crédibilité maximale. Je crois que chacun ici s'accordera pour remercier encore Christian Baudelot et les statisticiennes de la D.E.P., Brigitte Dethare, Sylvie Lemaire, et Fabienne Rosenwald, pour le travail énorme qui a été accompli cette année et qui a permis de donner les réponses que nous avons découvertes hier matin lors de leur très brillant exposé. Désormais, ce dossier –même s'il conviendra évidemment de l'actualiser au fil des années– donne des réponses claires et précises aux questions que j'indiquais à l'instant. Si ces réponses montrent à l'évidence que l'ouverture sociale des classes préparatoires s'accroît, elles montrent aussi que pour aller plus loin, il faudrait en amont améliorer l'ouverture sociale des classes terminales générales, et en particulier de la classe terminale S qui est bien loin d'être à l'image de la Nation –Christian Baudelot n'indiquait-il pas que parmi les bacheliers généraux ayant le bac avec mention, on trouvait 32% de jeunes issus des milieux supérieurs et 14% issus des milieux enseignants ? Sans doute aussi conviendrait-il d'accroître le recrutement à partir des baccalauréats technologiques. Mais d'ores et déjà, quelques pistes se sont dégagées hier au cours des ateliers pour améliorer à brève échéance l'ouverture du système, et j'en cite quelques unes : 152 Clôture du colloque • la nécessité de mieux faire connaître à tous les débouchés des études longues –je tiens à rappeler que selon les chiffres de l'A.P.E.C., il faudrait former dans les 5 années à venir 200.000 étudiants à Bac + 4 ou davantage afin de compenser tous les départs à la retraite des classes d'âges nombreuses d'après-guerre, alors que nous continuerons à en former tout au plus 160.000. • la nécessité d'une meilleure coopération avec les professeurs des lycées, de tous les lycées, dont le rôle dans l'orientation des jeunes de milieu modeste apparaît capital, mais aussi avec les organismes d'information et d'orientation qui doivent parfois adapter les conseils qu'ils dispensent en fonction de la réalité des classes préparatoires actuelles, qui sont loin d'être ces classes élitistes qu'on se plaît à décrire parfois encore. • la nécessité pour les professeurs des classes préparatoires de poursuivre l'adaptation de leurs enseignements qui s'adressent à des jeunes qui ont changé, qui continuent à changer, et qui ont reçu un enseignement secondaire différent de leurs prédécesseurs, la nécessité pour eux aussi de toujours mieux coordonner leurs enseignements, à l'instar de ce que nous avons tenté de faire dans les classes scientifiques à l'occasion de la réforme 20032004 des programmes des C.P.G.E. scientifiques. • la nécessité de poursuivre avec nos partenaires –Conférence des Grandes Ecoles et associations de professeurs de classes préparatoires– et le Ministère de l'Education Nationale le suivi de l'information sur ces questions cruciales ainsi que la réflexion sur l'adaptation de nos formations, tant aux jeunes qui nous arrivent du Lycée qu'aux impératifs de l'aval et aux évolutions culturelles, économiques, scientifiques et techniques d'une société en évolution rapide. Chacun mesure la difficulté de la tâche à cette double charnière de l'enseignement secondaire d'une part, des grandes écoles d'autre part : nous devons à la fois accueillir les élèves issus des classes terminales –tels qu'ils nous arrivent, et non pas tels que nous voudrions qu'ils soient– pour en faire en 2 ans des étudiants susceptibles de suivre les enseignements de haut niveau des grandes écoles et des universités ; et parallèlement, nous devons proposer une pédagogie et des enseignements attractifs, motivants, mais accessibles, pour attirer le plus grand nombre d'étudiants dans nos classes, et à la suite dans les grandes écoles, afin que le système garde toute sa légitimité démocratique. En résumé, il convient de conjuguer l'excellence reconnue de nos classes avec une ouverture sociale à des publics auxquels nous devons nous adapter, quitte à remettre en cause parfois certains aspects de notre pédagogie –je pense en particulier au système de notation utilisé ici ou là–. La mission des professeurs des classes préparatoires est donc loin d'être facile, et la réalisation de ces objectifs ambitieux, qui sont indispensables à la pérennité du système CPGE/GE, nécessitera la mobilisation de tous les partenaires, la mise en commun des expériences et des réussites, et la volonté d'avancer de tous. Merci encore à vous tous d'être venus aussi nombreux à ce Colloque, merci aux intervenants, merci à vous, messieurs les Inspecteurs Généraux, et à toi, cher Claude Boichot, merci à vous, messieurs les Directeurs des Ecoles, en particulier à toi, cher Alain Cadix, qui nous a apporté le soutien sans faille de la Conférence des Grandes Ecoles dans la préparation de ce colloque, et enfin, merci à toi, cher François Louveaux, pour avoir largement contribué à ce colloque et à sa réussite, en particulier du côté de nos amis littéraires. *** 153 Table des matières 3 Introduction, suivie du résumé du colloque 13 Une histoire des C.P.G.E., Bruno BELHOSTE 25 Les C.P.G.E. au fil du temps : étude statistique et sociologique, Christian BAUDELOT, Brigitte DETHARE, Sylvie LEMAIRE et Fabienne ROSENWALD 55 Intervention du Ministre, Xavier DARCOS 61 Les difficultés scolaires des étudiants issus des milieux populaires, Bernard LAHIRE 71 Atelier 1 : Information et orientation, outils majeurs pour l’ouverture des C.P.G.E. ? Marie-Claude GUSTOT (I.G.A.E.N.R.), Brigitte PERUCCA (Le Monde de l’Education) 76 Atelier 2 : La diversification des C.P.G.E., instrument d’ouverture sociale ? Jean Louis PIEDNOIR (I.G.E.N.) avec des professeurs de C.P.G.E. 84 Atelier 3 : Les débouchés des classes préparatoires en lettres et sciences sociales : quelle organisation en vue d'un meilleur affichage? quelles évolutions en vue de leur élargissement? Catherine PARADEISE (E.N.S. Cachan), Katherine WEINLAND (I.G.E.N.) 86 Atelier 4 : Prépas scientifiques : comment élargir le recrutement ? Claude BOICHOT (I.G.E.N.), Claudine RUGET (I.G.E.N) 92 Atelier 5 : L’image des C.P.G.E. et des G.E., frein à leur ouverture sociale ? Christine FONTANINI (I.U.F.M. Toulouse), Jean LAMOURE (ENS Cachan) 96 Atelier 6 : La diversité des recrutements dans les Grandes Ecoles : quels bilans ? Christian MARGARIA (I.N.T.), Christiane TINCELIN (E.S.C. Le Havre) 103 Atelier 7 : Voie économique et commerciale : le coût des études, frein à l’ouverture sociale ? Philippe HEUDRON (A.P.H.E.C.), Nicolas MOTTIS (E.S.S.E.C.) 112 Atelier 8 : Les formations étrangères d'ingénieurs : quels modes de fonctionnement ? Jean-Pierre BONVALLET (INA PG), Daniel GRIMM (Ecole Centrale de Paris), 125 Table ronde n°1, animée par Claude THELOT : Le recrutement des Grandes Ecoles : faut-il diversifier les modes de sélection ? Avec Michel RAIMBAULT, Directeur d’H.E.C., et Marie REYNIER, Directrice de l’E.N.S.A.M. 135 Table Ronde n°2, animée par Alain TROGNON : La situation en Europe (Allemagne, Grande Bretagne) : quels enseignements retenir ? Avec Michael O'BORNE (O.C.D.E.), Eric MAURIN (C.R.E.S.T.), et Daniel GRIMM (Centrale Paris) 145 Allocution de clôture de Claude BOICHOT, I.G.E.N. 149 Intervention d'Alain CADIX, président de la Conférence des Grandes Ecoles 152 Conclusion de Gérard DEBEAUMARCHE, président de l'U.P.S. __________________________________________________________________________________________ 154