laurent fiat fanny fiat
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laurent fiat fanny fiat
UN MOT SUR TON PARCOURS DE DANSEUSE À L’OPÉRA DE PARIS ? J’ai rencontré la danse à l’âge de neuf ans, grâce à mes copines d’école. Il faut dire que ma mère, qui avait été danseuse, avait soigneusement évité de m’en parler jusque là, pensant que c’était un métier trop dur. Comme j’insistais, elle a fini par m’inscrire à un cours de danse privé. Seulement, après trois mois de cours, le professeur est venu la voir pour lui dire que j’étais très douée et lui conseiller de poser ma candidature à l’école de danse de l’Opéra de Paris Manque de chance, j’ai été acceptée ! Six ans plus tard, j’étais dans le corps de ballet. Je suis ensuite devenue «sujet». Cela m’a donné la possibilité de danser beaucoup, au sein du ballet, mais aussi en soliste avec les plus grands et sur les plus grandes scènes du monde. INT ERV IEW S «DÉCLOISONNER», CE SEMBLE ÊTRE LE MAÎTRE MOT D’ÉLÉPHANT PANAME ? Dans le centre, il faut qu’il y ait de tout pour provoquer les rencontres justement. Il y aura toutes sortes de danses et de danseurs, mais également du théâtre des musiciens, des acteurs, des répétitions, des cours, dans les domaines les plus variés du spectacle vivant. James Thiérrée, par exemple, qui a travaillé son dernier spectacle dans le centre encore en travaux est tout à fait emblématique de ce que nous voulons faire : il vient du cirque, il intègre la danse, le théâtre et les arts plastiques à travers ses décors et ses costumes merveilleux. Cela se fera naturellement. Le restaurant y sera propice. Les danseurs comme les acteurs de théâtre aiment bien se donner rendez-vous avant et après le spectacle ou la répétition. Si d’autres artistes sont là, c’est l’occasion idéale pour se rencontrer et échanger. Le lieu étant ouvert à tous, c’est aussi l’occasion de rencontres pour le public. Il y a eu Béjart naturellement. Il entrait dans la pièce avec une aura incroyable, on avait immédiatement envie de danser pour lui. Sinon je pense aussi à Roland Petit et à Nacho Duato. Ce sont des gens qui font énormément avancer. Mon plus grand regret, c’est de n’avoir pas travaillé sous le regard de Rudolf Noureev. Je suis née trop tard. J’étais en première quand il a disparu. De nombreuses personnes m’ont dit que j’étais le genre de danseuse qu’il aurait particulièrement appréciée. Je crois que Béjart comme Noureev auraient adoré ce lieu aussi. C’est vraiment un regret. QUI VIENDRA TRAVAILLER À ÉLÉPHANT PANAME ? photo © Lucien Sanchez POURQUOI AS-TU DÉMISSIONNÉ ? TU AVAIS D’AUTRES PROJETS ? FANNY FIAT ... Il y aura toutes sortes de danses et de danseurs, mais également du théâtre des musiciens, des acteurs, des répétitions, des cours, dans les domaines les plus variés du spectacle vivant... Je voulais ouvrir des studios de danse. À l’Opéra on dispose du «top du top» et on ne se rend pas compte de ce qui se passe à l’extérieur. Les studios, je les ai tous pratiqués durant mon année sabbatique et j’ai remarqué qu’il y avait un énorme besoin. Au départ mon projet était assez modeste : deux ou trois salles de danse seulement, avec tout ce dont les danseurs ont besoin, mais mon frère Laurent avait lui aussi un projet. Il voulait ouvrir une galerie d’art. C’est alors que nous avons eu envie de nous unir dans une perspective plus ambitieuse : Eléphant Paname ! Les studios bénéficieront des meilleurs aménagements : un beau parquet de danse, un lino pro, des barres murales amovibles, une installation sono digne de ce nom et aussi une installation vidéo performante devenue indispensable aujourd’hui. ES-TU OUVERTE SUR TOUTES LES FORMES DE DANSE ? Je suis contre les enfermements, les catégories, les spécialisations à outrance. Une chose est sûre par rapport à la formation classique, c’est qu’elle permet ensuite de travailler tous les styles et d’intégrer la danse néoclassique, la danse contemporaine ou le Jazz. Je parlais du grand chorégraphe Nacho Duato : ce qu’il fait dans le sillage de Killian, c’est de la danse néoclassique. Pour moi, c’est avant tout un lieu de vie, un espace de découvertes, et en même temps presqu’une maison, un lieu familier où l’on se recentre. En tout cas, ce doit être un lieu ouvert à la fois au public et aux arts, un lieu ouvert d’esprit, un lieu puissant, un lieu vivant qui privilégie la curiosité, l’absence de préjugé, la surprise. Ce n’est pas un énième centre d’art ! Je parlais de maison où l’on se recentre. En l’occurrence, il s’agit d’un véritable petit palais réhabilité en plein Paris. La phase de travaux nous a fait redécouvrir des merveilles de décoration et d’architecture. On se croirait à Venise ! Ouvrir ce lieu, ce véritable écrin, et le rendre accessible à tous est une chance extraordinaire que nous voulons partager et faire partager. COMMENT FAVORISER CES RENCONTRES ? QUELS SONT LES CHORÉGRAPHES QUI T’ONT MARQUÉE ? J’ai donné ma démission il y a trois ans. J’avais à l’époque l’impression de stagner. J’avais trente ans et je n’étais pas promue première danseuse. J’ai décidé d’abord de prendre une année sabbatique pour réfléchir sur ce que je voulais faire. Je voulais rester dans le milieu de la danse et j’avais repris contact avec Julien Lestel que j’avais connu douze ans plus tôt. Il avait lui aussi démissionné, comme Gilles Porte un ami d’enfance. Je voulais danser avec eux. Comme Julien avait fondé sa propre compagnie, j’ai alors décidé de démissionner à mon tour. QU’EST-CE QU’ELÉPHANT PANAME ? Beaucoup de demandes me parviennent déjà. Elles proviennent d’anciens danseurs de l’Opéra, de professeurs, de chorégraphes, etc. Les compagnies étrangères qui préparent un spectacle sont aussi très intéressées. Tous seront les bienvenus et les tarifs pratiqués, compte tenu de l’excellence des conditions de travail, seront abordables. Etre accessible, c’est notre ambition comme de ne pas être seulement un centre de danse. On peut venir travailler une heure dans un studio, discuter, répéter, faire des interviews, ou encore donner rendezvous à un producteur dans le restaurant et en profiter pour visiter ensemble les expositions... Puis finir par un spectacle ou une conférence. On imagine même davantage : des «master class» avec public, des «work in progress»... L’art en mouvement permanent ! PEUT-ON PARLER DE PROJET FAMILIAL ? Évidemment ! Laurent et moi sommes très différents et en même temps très proches. Surtout, nous nous faisons confiance sur les domaines qui sont les nôtres. Moi, c’est la danse et le spectacle vivant, lui les arts plastiques et tout ce qui tourne autour, et aussi la science ! Le lieu est parfait pour faire vivre cette complémentarité et stimuler les créations les plus fécondes. La famille c’est aussi celle qu’on se crée tout au long de la vie : famille d’artistes, famille d’amis, complices ou modèles. Plus qu’un ami, presqu’un double, le danseur Nicolas Noël viendra m’assister dans la gestion et l’animation des studios. Aussi, une des premières expositions sera consacrée à la grande danseuse étoile Noëlla Pontois. Elle a été mon professeur pendant des années. Cette chance inouïe de travailler sous le regard d’une des danseuses les plus parfaites de ces cinquante dernières années mérite bien un hommage. Avec la modestie formidable qui l’honore, Noëlla Pontois met à notre disposition ses archives personnelles, vidéos, photos, costumes qui constituent un des plus beau fond de l’histoire de la danse. QUELLE EST L’ORIGINALITÉ D’ELÉPHANT PANAME ? C’est la rencontre des arts, des expériences et des êtres qui en fait un centre surprenant. Disons que ce lieu a la vocation de mettre en relation des disciplines qui n’ont pas forcément l’habitude de se côtoyer. L’esprit d’Eléphant Paname est de relier toutes les formes d’art et de pensées. Dans ce sens c’est presqu’une vocation spirituelle. Le public d’Éléphant Paname a accès à des expériences artistiques diverses : arts plastiques, arts vivants, mais aussi gastronomie, mode, musique, et naturellement danse puisque les six plateaux dédiés (soit environ 1 000 m2, la moitié de l’espace du centre) verront défiler des danseurs, chorégraphes, artistes, comédiens, metteurs en scène, etc. qui travailleront et se rencontreront. Ce lieu leur deviendra rapidement familier. Un lieu où l’on vit, où l’on travaille, où l’on découvre, où l’on crée, où l’on passe, où l’on se donne rendez-vous, où l’on se sent bien. PEUX-TU NOUS EN DÉCRIRE LA PROGRAMMATION ? La programmation est fondamentale dans le sens et la vocation que nous voulons donner à Éléphant Paname. La multiplicité des arts mis en présence les uns des autres peut paraître ambitieuse, risquée parce que très éclectique, mais en même temps c'est notre originalité, ce qui fait l'esprit du centre. ET TON PARCOURS ? REVENONS À LA PROGRAMMATION La cohérence thématique ne s’impose pas en permanence. Des manifestations, expositions ou évènements peuvent simplement coexister sans avoir d’autre lien que ce qui nous y rattache esthétiquement. Nous n’envisageons de présenter que des artistes et des œuvres qui nous plaisent et nous touchent. Ce qui nous motive, c’est avant tout l’esthétique, ce que nous trouvons beau et émouvant. ALLEZ-VOUS, FANNY ET TOI, PROMOUVOIR LES JEUNES ARTISTES ? Une des idées de notre programmation est de présenter au public un artiste prestigieux pendant un trimestre, et d’envisager autour des expositions plus courtes ainsi que des évènements donnant place à des artistes moins connus. L’aspect intime d’Eléphant Paname n’exclut pas l’organisation d’événements exceptionnels. Je rêve d’inviter Prince ou Lou Reed pour des concerts intimes. ET LA DANSE ? LAURENT FIAT ... L’esprit d’Eléphant Paname est de relier toutes les formes d’art et de pensées... Nous n’envisageons de présenter que des artistes et des œuvres qui nous plaisent et nous touchent... Autant Fanny, de par son expérience et sa carrière de danseuse est une grande professionnelle, autant moi je n’ai que peu de spécialisation. Tout ce qui tend vers la recherche de la réalité et de la vérité me nourrit. Mes passions sont plurielles, qui vont des arts plastiques à la vulgarisation des recherches scientifiques. Elles touchent par exemple à l’astrophysique ou à l’anthropologie. Nous ne perdons pas de vue cependant qu’une cohérence est nécessaire, mais elle ne doit pas nous enfermer dans des problématiques trop scolaires, exagérément pédagogiques, comme c’est souvent le cas dans les musées aujourd’hui. Encore moins dans des thématiques artificielles parce que trop intellectuelles et qui finissent selon moi par perdre de leur sens. Parfois, les thématiques s’imposent d’elles même, parfois, c’est moins évident. Mais ce n’est pas plus mal : c’est la rencontre fortuite qui produit la création et la surprise. L’important est qu’il se passe toujours quelque chose. UN MOT DE CONCLUSION ? Notre rêve est que des artistes qui fréquentent Éléphant Paname, y travaillent et s’y produisent, puissent se dire que leur projet est né et s’est développé ici, grâce à la rencontre. créer de l’intimité, de l’écoute, une attention renforcée. Nous nous attachons à ce que l’accès à cette intimité reste possible à tous, que l’on soit passionné ou simplement curieux. Nous pourrions imaginer en lieu et place d’avant-premières des extraits des oeuvres, des répétitions, des master class... Y AURA-T-IL DES SPECTACLES ÉLÉPHANT PANAME ? D’une manière générale, le cadre d’Éléphant Paname ne permet de produire sur place que des événements destinés à un public de plus ou moins 250 personnes. C’est une contrainte, mais elle nous va bien. L’avantage, c’est de La danse est prioritairement le domaine de Fanny. Je ne veux pas déflorer le sujet, elle en parlera mieux que moi. Mais d’ores et déjà, la présence de compagnies, de chorégraphes et de metteurs en scène prestigieux comme Julien Lestel au sein du centre ne peut qu’amener de la sève et provoquer des évènements marquants, tout au long de notre programmation. QUELQUES MOTS SUR TON PARCOURS… Comment mesure-t-on un parcours ? Expérience, réalisations, diplômes, intensité du vécu… J’ai trente-deux ans. Très tôt j’ai choisi de m’orienter vers l’art. Je suis entré à l’atelier Nicolas Poussin à Montparnasse. J’ai eu la chance ensuite de rencontrer un restaurateur de tableaux et de fresques, à Florence, qui m’a appris le métier. Je suis parti à dix-neuf ans et je suis resté deux ans en Italie. Quand je suis rentré, j’ai fréquenté d’autres ateliers, pour devenir plasticien. UN MOT EN CONCLUSION ? Ép ! Je n’ai pas fini. « Ép ! » c’est peut-être ce qui définit le mieux Éléphant Paname. Une interpellation un peu impolie, insolente mais pour la bonne cause. C’est le coup de bâton du maitre zen sur son disciple au moment où ce dernier s’y attend le moins, pour le garder éveillé et faire passer le message. C’est le moment où l’inspecteur Colombo s’arrête sur le pas de la porte, se retourne et pose la question qui tue, qui déchire le voile et permet de faire émerger la vérité. On voit qu’il a compris ! C’est presqu’une philosophie. D’ailleurs la philosophie sera présente dans ce lieu, mais dans les actes plus encore que dans les systèmes et les mots. Il n’y a pas de scission entre la vie et le travail dès lors qu’on est en mouvement. Un mouvement artistique en quelque sorte, un mouvement centré sur le mouvement. La danse n’y est pas pour rien. Etre « épiste », ou ne pas être. Voilà la question !