ROMPRE LES CHAÎNES – ROMPRE LE PAIN (Homélie à l`occasion

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ROMPRE LES CHAÎNES – ROMPRE LE PAIN (Homélie à l`occasion
ROMPRE LES CHAÎNES – ROMPRE LE PAIN
(Homélie à l’occasion du 125ème anniversaire
de la Campagne Anti-esclavagiste du Cardinal Lavigerie)
Mgr Michael Fitzgerald M.Afr
(Eglise du Gesù, Rome, le 11 novembre 2012)
Frères et Sœurs dans le Christ,
En ce jour, le 11 novembre, et en bien des pays, on se souvient des victimes de la
guerre du 1914 au 1918. Nous devons, nous aussi, célébrer ce mémoire en priant
pour toutes ces personnes, et en priant également pour que cessent les guerres
où qu’elles sévissent, afin que tous puissent jouir de la Paix.
Néanmoins aujourd’hui, en célébrant cette liturgie à l’ouverture du 125ème
anniversaire de la Campagne anti-esclavagiste lancée par le Cardinal Lavigerie,
fondateur des Missionnaires d’Afrique et des Sœurs Missionnaires de Notre Dame
d’Afrique, nous voulons nous souvenir d’autres victimes de la violence. Sœur
Carmen Sammut vous a déjà présenté en quoi consiste cet anniversaire, et par
conséquent il n’est pas nécessaire pour moi d’en entrer dans les détails. Mon
propos est d’en indiquer le sens, à l’aide des lectures de la liturgie de ce 32ème
dimanche ordinaire de l’année.
C’est peut-être une ironie que, dans le passage de l’évangile désigné pour ce jour,
Jésus s’insurge contre ceux qui « se plaisent à circuler en longues robes » et « à
occuper les premiers sièges ». On serait tenté de dire que cette description
convient parfaitement au Cardinal Lavigerie lorsqu’il circulait dans les villes
capitales de l’Europe, vêtu de toute la splendeur d’un cardinal de la Sainte Eglise
Romaine, pour prononcer des discours à l’église de Saint Sulpice, à Paris, au
Prince’s Hall, à Londres, à l’église de Sainte Gudule, à Bruxelles, et ici, dans cette
église du Gesù, à Rome. Lavigerie pourtant ne cherchait pas sa propre gloire. A
l’invitation du pape Léon XIII, une invitation qui était pour lui un ordre, il avait
laissé temporairement son diocèse d’Alger pour entreprendre une campagne
contre l’esclavage, une cause qui tenait une grande place dans son cœur.
Comme Lavigerie a expliqué à ses auditeurs, on avait déjà mis fin au commerce
des esclaves par voie de mer, ainsi que l’usage des esclaves dans les colonies. De
fait, l’occasion de sa campagne était l’abolition de l’esclavage au Brésil en 1888,
une décision applaudie par Léon XIII dans une lettre encyclique écrite
spécialement à cette fin. Lavigerie savait pourtant, à partir des informations
fournies par les missionnaires qu’il avait envoyés au cœur de l’Afrique, que la
chasse aux esclaves et la vente des esclaves sur les marchés étaient encore très
répandues sur le Continent africain. Il faisait appel aux leaders des pays d’Europe,
qui en cette même période étaient engagés dans the scramble for Africa – la ruée
sur l’Afrique – à réaliser que s’ils établissaient ce qu’ils considéraient leurs droits
en Afrique, ils encouraient aussi le devoir de respecter la dignité humaine, et par
conséquent d’opposer tout ce qui pourrait enfreindre à cette dignité, et en
particulier l’esclavage.
La seconde lecture de la liturgie aujourd’hui nous présente le prophète Elie. Elle
nous montre le coté plus doux de ce prophète qui opère un miracle en faveur de
la veuve de Sarepta comme récompense pour sa générosité envers lui. Nous
savons, pourtant, qu’Elie pouvait être très dur et qu’il parlait fort et sans peur
contre les iniquités perpétrées par le roi Achab. Il y a un vrai ton prophétique
dans les discours prononcés par Lavigerie. Après avoir décrit en long et en large
les horreurs de l’esclavage en Afrique, il s’est exclamé dans une de ses discours :
« Quel sacrilège abominable ! O la corruption engendrée par l’âpreté au gain !
Peut-on même y penser sans trembler, et sans condamner ceux qui abusent de la
nature humaine et l’abaissent à la condition d’une bête de somme. Mais il n’est
pas resté à la condamnation. Il a suggéré des moyens pour éliminer l’esclavage. Il
se rendait compte que le rachat des esclaves, aussi bon que cela soit en lui-même
et aussi bénéfique pour ceux qui trouvaient ainsi leur liberté, pouvait ne faire
qu’encourager la chasse aux esclaves à être rachetés. Il a fait appel aux puissances
européennes engagées en Afrique à utiliser de la force contre ces chasseurs et
commerçants d’esclaves. Il soutenait que c’était dans l’intérêt des ces puissances
d’établir la paix en ces régions pour promouvoir le commerce légitime. Il était
conscient aussi qu’il fallait susciter l’opinion publique, sachant que les
gouvernements sont sensibles à cette pression. En insistant sur le fait que les
victimes de l’esclavage africain étaient spécialement des femmes et des enfants, il
a fait appel en particulier aux femmes dans l’auditoire pour les encourager à
entreprendre cette mission de « miséricorde et pitié ».
J’ai l’impression que si le Cardinal Lavigerie vivait aujourd’hui, il serait au front
dans le combat contre l’esclavage moderne, en Afrique comme ailleurs dans le
monde. Il s’emploierait pour que les masses média fassent connaitre l’iniquité de
forcer les enfants à travailler et à les engager comme soldats, les horreurs du
trafic d’humains que ce soit pour le commerce sexuel ou dans l’immigration
clandestine. Les Missionnaires d’Afrique, les fils et les filles du Cardinal Lavigerie,
s’efforcent de poursuivre sa campagne contre ces fléaux dans le monde
d’aujourd’hui.
Ce qui motivait Lavigerie était sa foi, puisqu’il voyait dans les souffrances des
africains aux mains des esclavagistes une continuation des souffrances du
Seigneur Jésus dans sa passion. A Saint Paul Jésus a dit : « Saul, Saul, pourquoi me
persécutes-tu ? » Au temps de Lavigerie, et aujourd’hui encore, ces paroles
peuvent se transposer en « Pourquoi tu me trafiques ? » Le Concile Vatican II, le
cinquantième anniversaire de l’ouverture duquel nous venons de célébrer il y a un
mois, nous a rappelé que le Fils de Dieu, en devenant homme, s’est identifié avec
chaque membre de la race humaine. Jésus a pris sur lui les souffrances de chaque
personne. Le passage de la Lettre aux Hébreux, que nous avons entendu en
deuxième lecture, nous donne de l’espoir. Jésus s’est offert une fois pour toutes
pour la rédemption de tous. Ce sacrifice unique de Jésus, que l’eucharistie rend
présent, enlève les péchés d’une multitude. Jésus a vaincu le péché; il a vaincu le
mal. Nous vivons dans cette foi et cette espérance, mais nous savons que nous
devons vivre selon notre foi et notre espérance, sans attendre passivement la
victoire, mais au contraire en contribuant activement à la lutte contre le mal.
Lavigerie était conscient néanmoins qu’il devait s’adresser au-delà du monde
catholique, et appeler tous les chrétiens à s’engager dans cette campagne contre
l’esclavage. Il savait qu’il devait dépasser même le cercle des chrétiens, en basant
son appel à l’action sur le principe du respect pour la dignité humaine. Dans le
discours qu’il a prononcé dans cette église, il a cité l’auteur latin, Térence: “Homo
sum et nihil humani a me alienum puto – Je suis un homme, et rien de ce qui est
humain ne m’est étranger ». Aujourd’hui encore il faut que toutes les forces
s’unissent, celles des croyants comme celles des non-croyants, afin d’œuvrer pour
le respect de la dignité humaine partout dans le monde.
Parfois nous nous sentons complètement démunis devant les forces du mal. Elles
paraissent si fortes. Que pouvons-nous faire? Elie a encouragé la veuve de
Sarepta à donner généreusement du peu qu’elle avait. Lavigerie a invités ses
auditeurs, les a encouragés gentiment, à la charité et à fournir le support financier
nécessaire pour l’action contre l’esclavage. Nous aussi, nous pouvons fournir de
l’aide financière; aussi peu qu’elle soit, tout s’ajoute à la fin. Nous aussi, nous
pouvons joindre nos voix à celles qui protestent contre les abus que souffrent les
femmes et les enfants. Nous aussi, nous pouvons donner de notre temps a celles
qu’on a sauvées de la prostitution ou à ceux qui sont durement traités
d’immigrants illégaux, les encourageant en leur montrant le respect qui leur est
dû en tant que nos frères et sœurs en humanité.
Au cours de l’eucharistie nous rompons le pain ensemble, et en ce faisant nous
partageons le Corps du Christ, brisé, offert pour nous. Que la force que nous
puisons de cette communion avec notre Seigneur et Sauveur nous aide à rompre
les chaines de l’esclavage dans notre monde d’aujourd’hui, afin que le Christ soit
respecté et honoré même, et tout particulièrement, dans ceux qui souffrent.
Amen.

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