Allocution prononcée au Sommet international de la sécurité

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Allocution prononcée au Sommet international de la sécurité
Allocution prononcée au Sommet international
de la sécurité nautique et aquatique
par Loreena McKennitt
Newport Beach, Californie
16 mars 2005
Je vous remercie de tout cœur de m’avoir invitée ici ce soir.
C’est un grand honneur pour moi de m’adresser aux défenseurs de la cause de la sécurité
aquatique en Amérique du Nord…
Cet événement représente en priorité ce que je tente de réaliser par mes propres efforts depuis
plusieurs années : changer les habitudes de nos citoyens dans la pratique de leurs activités en
milieu aquatique.
Ainsi, en m’invitant parmi vous, vous me faites vraiment un très beau cadeau…
C’est aussi tendre une main secourable à une Canadienne.
Voyez-vous, à Toronto au mois de mars, le terme “sécurité aquatique” fait surtout allusion à
l’effort déployé pour ne pas tomber dans de grosses flaques de neige fondante. Et VFI est un
sigle qui signifie mes doigts sont “véritablement frigorifiés ici”.
Il y a des Canadiens qui feraient n’importe quoi pour pouvoir se rendre en Californie au mois de
mars.
C’est pourquoi, je vous remercie…
Quand vos derniers présidents d’assemblée, Marty Law, et Barbara Byers, de la Société
canadienne de sauvetage m’ont écrit pour m’inviter à participer à ce sommet, ils ont évoqué mon
histoire personnelle dans leur lettre. Comme vous le savez peut-être, il y a sept ans, j’ai perdu
mon fiancé lors d’un accident de bateau sur les eaux de la baie Georgienne laquelle est située
dans la partie nord-est du Lac Huron.
Peu de temps après, j’ai fondé le Fonds commémoratif Cook-Rees pour le sauvetage et la
sécurité nautique qui a recueilli au fil des années plus de 3 millions de dollars de dons privés et
surtout d’argent tiré à même les bénéfices des ventes de l’album que j’enregistrais au moment où
Ron a perdu la vie.
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Comme j’avais très peu d’expérience dans le domaine caritatif, on m’a aidé à former un Comité
consultatif constitué de quelques-uns des experts les plus réputés dans les domaines de la
sécurité aquatique et de la recherche et sauvetage au Canada.
Et aujourd’hui, cela fait presque sept ans que nous allouons des sommes d’argent à de
nombreuses initiatives en faveur du sauvetage et de la sécurité nautique à travers le Canada,
dont plusieurs organisées par des corps de police, la Garde côtière canadienne et les organismes
communautaires.
Il y a trois ans, nous avons également financé une étude novatrice s’intitulant "Will It Float?",
l’examen le plus rigoureux à ce jour mené sur l’ensemble des questions relatives au port
obligatoire des vêtements de flottaison individuels. Cette étude a été réalisée pour le Conseil
canadien de la sécurité nautique par un organisme canadien de recherche tout particulièrement
innovateur du nom de SAUVE-QUI-PENSE (en anglais, SMARTRISK).
En fait, cette étude a eu un grand impact sur la tournure du débat soulevé par les VFI/gilets de
sauvetage au Canada et, si je comprends bien, elle commence à être reconnue ici aussi. On me
dit qu’elle fait son chemin au sein des manufacturiers, des industriels et des nombreuses
autorités législatives à travers les États-Unis.
Alors comme vous pouvez le constater, nous avons travaillé très fort dans les dernières années.
Ceci dit, je dois vous avouer que je n’ai pas l’habitude de parler de l’histoire de Ron en public.
Comme vous devez vous en douter, c’est un sujet très intime sur lequel je suis encore très
sensible.
Or, je tiens tout de même à vous en parler ce soir parce que je me sens ici en communauté
d’esprit avec vous.
Certains d’entre vous sont ici ce soir parce qu’ils ont vécu une expérience tout aussi éprouvante.
Plusieurs d’entre vous – j’imagine même, la plupart d’entre vous – sont ici parce que vous avez
choisi de consacrer une partie de votre vie à faire en sorte que d’autres seraient épargnés de
pareilles épreuves.
Nous sommes tous ici ce soir parce que nous voulons permettre au public de bien profiter de
l’eau sans que celle-ci devienne une menace pour lui.
Et donc, je tiens à vous raconter cette histoire et surtout à vous dire comment je pense que les
vies de mon fiancé Ron Rees, son frère Rick et leur ami Greg Cook auraient pu être sauvées.
Vendredi, le 17 juillet 1998 , à la fin de leur journée de travail, Ron, Rick et Greg sont partis en
direction de la baie Georgienne à environ deux heures de route au nord de Toronto pour se
rendre à la maison de campagne d’un ami. À ce moment-là, j’étais en Angleterre où j’enregistrais
un album devant public. Ron et moi avions pris l’habitude de se téléphoner chaque soir à peu
près à la même heure quelque soit l’heure locale de la ville où nous nous trouvions. Or, ce soirlà, je lui ai téléphoné, mais comme il n’y avait pas de réponse, je me suis tout simplement dit
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qu’il avait dû y avoir un imprévu. Je suis donc allée me coucher, puis, à trois heures du matin,
j’ai été réveillée par le genre d’appel fatidique qu’on espère ne jamais recevoir.
La baie Georgienne est vraiment superbe, mais il faut savoir que l’eau y est très lourde.
Et, le lac est très profond. Le fait que la côte repose sous un escarpement important peut
occasionner des variations climatiques rapides et extrêmes. En plus, le tout est complètement
ouvert. Il faut bien savoir naviguer pour prendre plaisir à faire de la voile sur la baie Georgienne.
Ce jour-là, en fin d’après-midi, Ron, Rick et Greg - tous de bons nageurs - ont mis les voiles à
bord d’une petite embarcation de service du genre Albacore pour faire une petite excursion.
Le temps était beau. Il avait fait très chaud pendant la journée. Ils croyaient sûrement que tout
de suite après leur petite balade, ils iraient rejoindre leur groupe d’amis avec qui ils avaient
l’habitude de se retrouver les fins de semaine.
Une ou deux heures sont passées - le soleil a fini par se coucher, la nuit est tombée, mais le
bateau n’est toujours pas rentré.
Entre-temps, plusieurs des habitués du vendredi soir s’étaient réunis à la maison de campagne
pour manger un bout et profiter un peu de la soirée ensemble. Sachant que les gars étaient partis
faire un tour de bateau plus tôt dans la journée, ils se sont demandés où ils pouvaient bien être à
cette heure-là, mais personne ne prit la peine d’agir en conséquence.
Et même quand le lendemain matin, Ron, son frère et leur ami manquaient toujours à l’appel,
personne n’a signalé leur disparition aux autorités.
Pour finir, plus tard vers 13h, un des amis de Ron, qui venait d’aller faire une course à l’épicerie,
se rendit au centre de sauvetage de la Garde côtière canadienne le plus près, histoire de poser
quelques questions. Et au moment où il s’avança sur le quai, il aperçut un bateau de la Garde
côtière remorquant le petit voilier.
Quelqu’un avait remarqué qu’il y avait une petite embarcation à la dérive qui avait chaviré, et il
en avait informé la Garde côtière.
Le garde côtier fit alors demander un hélicoptère à la base des forces armées aériennes la plus
près, puis déclencha une opération de recherche et sauvetage pour trouver les survivants. Et
c’est ce samedi après-midi à 16h qu’ils ont trouvé Ron, le visage dans l’eau, portant un VFI.
Et même après une longue semaine de recherche, ils n’ont jamais retrouvé les deux autres.
Plusieurs d’entre vous reconnaîtront dans ce bref compte rendu des événements toute une liste
de “choses à ne pas faire” ou de “et si seulement”. La vérité c’est que nous ne savons pas ce qui
s’est réellement produit cette nuit-là.
Mais nous sommes sûrs de trois choses qui ont décidé leur sort.
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Premièrement : Rick et Greg ne portaient pas de VFI.
Je ne le répéterai jamais assez. Vous savez que j’écris des chansons. Or, si la navigation était une
chanson, les "VFI" en seraient le refrain. On ne le répétera jamais assez.
Alors, c’est la première leçon : quelle que soit votre opinion au sujet du port obligatoire des VFI,
portez les VFI, prônez les VFI et aimez les VFI.
Ron en portait un, mais il a succombé à l’hypothermie après une longue nuit dans l’eau …, mais
au moins, j’ai pu lui donner un enterrement.
Il va sans dire que ce n’est pas la raison principale pour laquelle il faut porter un VFI.
Idéalement, on en porte un pour survivre à l’hydrocution/apnée réflexe et pour rester en vie
jusqu’à ce que quelqu’un se porte à notre secours.
Puis, il y a eu la deuxième chose qui a décidé leur sort : le déni.
Personne n’a appelé des secours… À ce jour, je trouve ça incroyable que tout le monde soit resté
là à attendre dans la maison de campagne sachant pertinemment bien qu’ils étaient partis en
voilier. Et je me demande à quoi ils pouvaient bien penser… Le garde côtier m’a dit par la suite
que comme Ron portait un VFI, il a sûrement survécu un certain temps dans l’eau.
Et que si quelqu’un s’était mis à sa recherche à temps ce soir-là, il aurait peut-être pu être
retrouvé vivant.
C’est en effet très déconcertant de penser que le déni soit une force aussi puissante dans notre
société. Tellement puissante que les gens iront même jusqu’à hésiter à poser même les gestes les
plus élémentaires quand il est question de sauver leur propre vie ou les vies de ceux qui les
entourent simplement parce qu’ils se refusent à admettre l’imminence d’un danger évident.
Et je ne pense pas uniquement au déni dans la maison de campagne cette nuit-là.
Je pense également aux différents genres de déni qui se produit si souvent dans les bateaux…
même chez de nombreux navigateurs chevronnés qui nient la nécessité de suivre ce qu’ils
imaginent être des règlements qui s’appliquent à quelqu’un d’autre.
Les meilleurs navigateurs ne nient pas les risques, ils les anticipent et planifient en conséquence.
Je parle également du déni qu’on observe si fréquemment parmi les plaisanciers. Ce déni qui
leur permet de se raconter, "Je ne suis pas vraiment un plaisancier. Je n’ai pas vraiment besoin
de prendre un cours, de porter un VFI ou de m’informer des conditions météorologiques. Je ne
fais qu’aller à la pêche sur le lac à trois minutes de la rive."
Le déni – de la part de navigateurs experts, de plaisanciers, et de simples observateurs, même de
la part de l’industrie nautique -- est la cause de bien des pertes de vies que nous essayons avec
tant d’efforts de prévenir.
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La troisième chose qui a décidé leur sort est le froid. Je me permets de préciser : je ne fais pas
référence à l’hypothermie causée par une longue immersion dans l’eau, je parle des effets à court
terme de l’eau même modérément froide. Le chercheur britannique de renom Michael Tipton a
établi que toute eau à une température en dessous de 70 degrées est considérée comme de l’eau
froide. Et il n’est pas seulement question du Canada. Cela concerne presque toutes les étendues
d’eau en Amérique du Nord.
Comme vous le savez tous, quand la température interne du corps s’abaisse sous le seuil
critique, l’hypothermie peut s’avérer mortelle.
Or, rares sont ceux qui savent ce qu’est l’hydrocution – aussi appelée "apnée réflexe". Cela se
produit en seulement 30 secondes. Et cela se produit dans des eaux aussi chaudes qu’à une
température de 59 degrés Fahrenheit (15C). C’est la température moyenne de l’eau de chacun
des Grands Lacs au mois de juillet.
Toute personne – que ce soit une personne de forte corpulence ou encore un nageur de calibre
olympique – a ce réflexe. Dès qu’une personne tombe à l’eau, l’apnée réflexe qui survient lors de
l’hydrocution peut lui faire inspirer d’un coup l’équivalent de presque toute sa capacité
pulmonaire.
Cela peut à son tour causer de l’hyperventilation ce qui signifie qu’on ne peut pas nager, ni
mettre un gilet de sauvetage ou faire autre chose que de paniquer. Si en plus, il y a de fortes
vagues, ça signifie aussi qu’on vient d’avaler assez d’eau pour remplir ses poumons.
C’est ce que l’eau même un peu froide peut faire dans les trente premières secondes.
S’ensuit l’incapacité de nager. Une étude après l’autre démontrent que même les bons nageurs
ont de la difficulté à bouger leurs membres lorsqu’ils sont immergés pendant plus de 20 minutes
dans de l’eau à une température de 53 degrés Fahrenheit (12° C). Ils rapportent éprouver une
sensation d’engourdissement dans leurs bras et leurs jambes rendant tous efforts pour regagner
une embarcation ou pour manipuler les courroies et les fermetures éclairs des VFI très difficiles.
C’est seulement à partir de ce moment-là que l’hypothermie devient un véritable danger.
Et le fait est qu’en plein cœur du mois de juillet – un jour qu’il faisait si chaud que vous auriez
été assoiffé et que vous auriez transpiré du levée jusqu’au coucher du soleil ; un jour que l’eau
semblait si rafraîchissante et était, en effet, tout à fait rafraîchissante pour une trempette de 20
minutes à midi ; un jour que personne n’aurait imaginé qu’on puisse mourir de froid– c’est
probablement le froid qui a tué Ron.
Je dis probablement parce que personne ne saura jamais vraiment ce qui a tué Ron, Rick et
Greg.
Mais je vais vous dire la simple vérité : vous pouvez être un excellent navigateur ou un nageur
hors pair – dès que vous vous retrouvez dans l’eau sans VFI pendant quelques minutes, vous ne
valez pas mieux que n’importe qui sachant à peine nager.
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Quand nous ignorons ce simple fait sur les VFI et que nous croyons que des gens qui ne
portaient pas de VFI sont morts à cause de facteurs secondaires autres – comme par exemple,
l'ancienneté du bâteau, ou les conditions météorologiques ou le manque d’expérience du
navigateur – nous avons affaire au même genre de phénomène que le déni de tous ceux qui se
trouvaient dans cette maison de campagne ce soir-là.
Je me sens obligée d’insister sur ce fait parce que quand je me demande, "est-ce que ceci
pourrait se produire aujourd’hui, c’est-à-dire huit ans plus tard?", la réponse – nous le savons
bien – est oui, ceci pourrait tout aussi bien se produire aujourd’hui.
Cela s’est d’ailleurs probablement produit aujourd’hui.
Cet après-midi, combien de gens à bord d’une embarcation de plaisance sur Grand Lake en
Oklahoma portaient réellement leur VFI?
Combien de gens ce soir font la même erreur dans les ports de plaisance juste à côté, ici, à
Newport Beach?
Et dans quelques mois, cela se produira également à Casco Bay dans le Maine, et à Snake River
dans l’État de Washington. Des milliers de fois par jour, les gens sur ce continent vont faire la
même erreur d’un océan à l’autre.
Je me surprends moi-même de mon franc-parler – parce que généralement je suis une personne
de nature très optimiste qui fait confiance aux autres et qui ne doute pas de la bonne volonté des
gens. Et ce genre de réaction ne me ressemble pas.
Ceci dit, je préfère être honnête avec moi-même parce que force est de constater que les choses
n’ont pas changé ; nous n’avons pas vraiment fait de gros progrès en Amérique du Nord en ce
qui a trait au port des VFI.
Chaque année, l’équivalent d’un avion 747 plein de passagers s’écrase dans un lac, une rivière,
un cours d’eau ou sur une côte de ce continent et fait un grand nombre de victimes – dans le cas
des accidents de bateau ou des noyades, on parle d’une ou deux personnes à la fois.
Nous sommes tous très familiers avec la complexité des problèmes auxquels nous sommes
confrontés.
Nous luttons contre des habitudes – dans certains cas, les habitudes sociales de ceux qui n’ont
jamais jugé nécessaire d’agir avec prudence en embarcation et qui n’ont aucune intention de
changer leurs habitudes.
Nous luttons contre l’orgueil – l’orgueil de ceux qui, parce qu’ils savent qu’ils sont de très bons
nageurs ou parce qu’ils pêchent ou font de la voile depuis des décennies, croient qu’il n’y a aucun
danger…
Nous sommes confrontés à l’argument d’ailleurs tout à fait légitime que chacun est libre de ses
choix et que personne n’a le droit d’imposer ses idées à un autre.
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Nous luttons contre – je ne sais pas comment l’exprimer autrement – la désinvolture, la détente,
le désir de prendre ses aises dans un bateau et de ne pas trop avoir à penser à des choses
sérieuses, et il n’y a vraiment pas de mal à ça, jusqu’à un certain point…
Tous ces facteurs contribuent à rendre la tâche de changer les habitudes en milieu aquatique
extrêmement difficile.
On pourrait penser à tout cela et se sentir dépassé. Parce que beaucoup d’entre nous dans cette
pièce ont fait de gros efforts dans les dernières années pour changer cette situation de fait.
Mais j’espère que vous ne vous sentez pas dépassés. Nous arrivons lentement et tout doucement
à un tournant important.
Nous en savons plus que jamais auparavant au sujet des risques réels en milieu aquatique,
surtout en ce qui concerne les risques physiologiques, et comment les prévenir.
Et c’est parce que nous en savons plus, que nous avons réussi à atteindre un niveau de
sensibilisation sans précédent aux questions touchant la sécurité aquatique. Les plaisanciers ne
changent peut-être pas leurs habitudes, mais plusieurs d’entre eux réfléchissent par deux fois
avant d’agir maintenant.
Et les chefs de file des industries nautiques et parallèles qui, dans le passé, n’ont jamais pris les
devants sur des questions de danger ou de sécurité commencent aujourd’hui à le faire. Le souci
de la sécurité, qui a toujours fait partie intégrale de la navigation, gagne du terrain.
Il y a, en d’autres mots, une ouverture qui se crée. À ce sujet d’ailleurs, plusieurs d’entre vous
voudront certainement lire le livre de Malcolm Gladwell s’intitulant "The Tipping Point" qui
examine comment se produisent les changements sociaux.
Et nous devons saisir l’occasion maintenant si nous avons l’intention de changer les habitudes.
Alors la question qui se pose ce soir est claire : Comment pouvons-nous profiter des
connaissances acquises et du consensus grandissant en faveur de la sécurité dans la
communauté plaisancière pour créer un réel impact auprès du grand public – en tenant compte
de gens comme moi qui ne font du bateau qu’occasionnellement?
Et bien qu’il n’y ait pas de réponse toute faite, il y a tout de même des éléments qui nous
permettent d’en formuler une.
Laissez-moi commencer en soulevant une controverse : le port obligatoire des VFI.
Bon, je suis de nationalité canadienne. Je suis donc mal placée pour parler de ce qui se passe aux
États-Unis. Alors, je vais m’en tenir aux questions de principe qui intéressent nos deux
communautés.
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En principe, les gens ont besoin de savoir que s’ils veulent rester en vie lors d’un accident de
bateau, porter un vêtement de flottaison individuel avant l’accident n’est pas facultatif – c’est
obligatoire.
Je ne vois pas comment quelqu’un qui tombe d’un bateau et qui perd connaissance peut arriver
à enfiler un gilet de sauvetage.
Je ne vois pas comment même consciente, une personne qui hyperventile et se débat pour
maintenir sa tête hors de l’eau peut arriver à enfiler un gilet de sauvetage.
C’est très difficile, voire impossible d’enfiler un gilet de sauvetage quand on est déjà dans l’eau.
Il suffit d’essayer de s’imaginer en train de le faire et la plupart des gens comprennent alors très
bien ce que cela peut représenter.
Vous savez la vérité est toute simple : au moment où vous avez réellement besoin du gilet de
sauvetage, et bien il est déjà trop tard pour l’enfiler.
Et pourtant… et pourtant…
Dans nos deux pays, la plupart des autorités gouvernementales nous disent pourtant exactement
le contraire. Ils nous disent qu’il est important d’avoir un gilet de sauvetage à portée de main
pour pouvoir l’enfiler au moment où vous en aurez besoin.
Il est encore temps de l’enfiler même si vous avez perdu connaissance.
Si vous tombez dans l’eau glaciale et que vos poumons se remplissent d’eau à cause du
mécanisme d’apnée réflexe, il est encore temps de prendre quelques minutes pour enfiler un
gilet de sauvetage.
Finalement, c’est le message qu’ils nous envoient quand ils nous incitent à apporter des gilets de
sauvetage et des VFI avec nous en bateau, sans insister sur le fait qu’il faut les porter.
C’est comme dire aux gens d’attacher un casque de moto à son motocycle… au cas où ils en
auraient besoin lors d’un d’accident.
Il y a deux ans, à Pike County, en Pennsylvanie, un pêcheur à la ligne âgé de 46 ans est tombé de
son bateau à moteur et a perdu la vie ; cet accident s’est produit aussi rapidement qu’aurait pu
se produire n’importe quel accident de motocycle sur l’autoroute interdépartementale.
Rendre le port, et non simplement, la possession des VFI obligatoire, peut s’avérer être difficile à
mettre en pratique. Les plaisanciers pourraient ne pas y consentir. Cela pourrait être une
atteinte à leur honneur.
Mais là n’est pas la question.
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Le vrai problème est que le fait qu’il n’existe pas de normes réglementaires sur cette question
implique que l’autorité la plus influente du pays – l’autorité qui est supposée être une référence
et dispenser au grand public des informations exactes en matière de sécurité – nous livre un
message qui est faux. Cela gâche inévitablement tous les efforts que nous faisons.
Le fait de prendre position dit clairement à tout le monde au Canada et aux États-Unis: il vous
faut porter ceci avant l’accident parce que quand vous en aurez besoin, vous n’aurez pas le
temps de l’enfiler.
En fait, il est important de garder le débat ouvert, car j’ai l’intime conviction qu’à force
d’alimenter le débat sur le port obligatoire des VFI, nous arrivons à rejoindre plus de gens que
par tous les autres efforts que nous déployons pour sensibiliser le public.
De toute façon, l’expérience me dicte que la barre n’est peut-être pas aussi haute à franchir que
nous le croyons.
Au Canada, les courses de bateaux-dragon sont très populaires l’été. Plusieurs sociétés
commerciales commanditent les bateaux et encouragent leurs propres employés à y participer.
Des milliers de personnes s’inscrivent dans des équipes de bateau-dragon.
Aucune d’entre elles n’avait l’habitude de porter un VFI.
Et si vous leur demandez pourquoi, ils vous énuméreront toutes les raisons classiques que vous
connaissez bien – ce sont les mêmes raisons que vous donneront les pêcheurs à la ligne, les
adeptes de la voile, les canoéistes et les kayakistes:
- ça ne fait pas partie de nos habitudes
- ça nous gêne dans la pratique de notre sport
- ce n’est pas esthétique…
- c’est trop cher
Mais, de la même façon que la communauté de bateaux-dragon représente un microcosme où se
joue le grand débat sur les VFI, elle est aussi devenue le théâtre d’une série d’événements
démontrant que les habitudes d’une communauté entière peuvent rapidement changer grâce à
une simple confluence de voix en faveur du port des VFI.
Le Fonds commémoratif Cook-Rees a soulevé la question des VFI avec l’association de bateauxdragon (en anglais, Dragon Boater Association), et nous n’étions pas les seuls à le faire.
La garde côtière a également joué un rôle important. Et les fabricants de VFI se sont joints à
nous en proposant leurs nouveaux modèles de gilet de pagayeur aux participants.
Mais ce qui est peut-être plus important, c’est que les compagnies d’assurances et tous ceux qui
ont participé à l’organisation des événements de bateaux-dragon ont pris notre parti. Nous
avons seulement eu à évoquer comment deux douzaines de pagayeurs étaient tombés par-dessus
bord dans le port de Toronto pour qu’ils se joignent à nous.
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Pour démontrer notre bonne foi, nous avons financé l’achat des VFI pour une des meilleures
équipes de bateau-dragon en Ontario – l’équipe des moines de Shaolin. Ils ont concouru et ont
remporté la victoire tout en portant des VFI confortables, faisant preuve de leadership et
réfutant ainsi tout argument à l’effet qu’on a moins de chance de gagner ou de s’amuser quand
on porte un VFI.
Nous avons vraiment réussi à faire avancer les choses dans ce dossier quand, pour finir, grâce à
l’appui et à l’expertise de la Société ontarienne de sauvetage, le Fonds s’est engagé à soutenir
une initiative visant à développer un protocole de sécurité pour les bateaux-dragon, à publier un
manuel pratique et à tenir un colloque en parallèle. Cette résolution, comprenant le port
obligatoire des VFI par tous les participants lors de toutes périodes d’entraînement et de
compétition, fut par la suite adoptée par l’association ontarienne de bateaux-dragon (en anglais,
Ontario Dragon Boat Association). Cet exemple démontre bien comment le déroulement de
toute une compétition sportive peut changer quand plusieurs voix se font entendre de concert.
Venez faire un tour au Canada cet été et vous verrez tous les membres des équipes de bateaudragon portant des VFI au lieu de perdre leur temps à se disputer à ce sujet.
Maintenant, le débat porte sur ce que doit être la dimension des pagaies.
Je soulève cet exemple parce qu’il montre bien comment une question de premier ordre peut
parfois passer inaperçue quand nous mettons trop d’importance sur le débat concernant le port
obligatoire des VFI.
Personne ne changera vraiment ses habitudes si on ne fait que changer une loi..
Mais les gens pourraient changer leurs habitudes si nous faisons en sorte qu’ils se sentent
personnellement concernés par cette cause.
Et en tant qu’artiste de la chanson, dans mon métier, j’ai l’habitude de prendre des idées et d’en
faire quelque chose de très personnelle.
Il existe quelques façons de faire en sorte que les gens se sentent personnellement concernés par
toute la question de la sécurité.
Une de ces façons est de la promouvoir publiquement. Vous le faites tous et je vous encourage à
continuer en ce sens. Ne ménagez pas vos efforts pour faire avancer cette cause, surtout quand il
est question de jouer sur les cordes sensibles du grand public.
J’ai vu un message publicitaire à la télévision que je considère être très efficace–pardonnez-moi
d’avoir oublié d’où il provient.
On y voit deux jeunes enfants d’environ quatre ans et deux ans assis dans une embarcation en
aluminium. Ils portent un VFI et ils pleurent.
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Puis, la camera recule et on constate qu’ils sont seuls dans cette embarcation. Et l’embarcation
vogue à la dérive au beau milieu du lac. Et ces deux jeunes enfants ne savent pas quoi faire parce
que leurs parents ne sont pas là.
Et on entend alors un commentaire en voix off qui dit quelque chose qui ressemble à : “vous leur
avez fait porter leur gilet de sauvetage… mais pourquoi n’avez-vous pas porté le vôtre?”
Ceux qui ont réalisé ce message publicitaire savent comment s’y prendre pour jouer sur les
cordes sensibles des téléspectateurs.
Si nous pouvons, par nos efforts quotidiens, bien faire réfléchir les mères et les pères…
Si nous pouvons bien faire réfléchir les enfants, alors on commence à créer un impact.
Je ne sais pas s’il existe un truc pour ça… mais je pense que ce réflexe se trouve en nous.
C’est ce réflexe que les gens qui se trouvaient à la maison de campagne de Ron ce soir-là n’ont
jamais eu. C’est le réflexe de dire, je vais faire l’effort de dire quelque chose. Je vais “nommer les
choses telles que je les vois” et prendre la responsabilité personnelle de la sécurité d’un autre
individu.
Même si cela semble un peu gênant sur le coup.
Rien n’est plus impressionant qu’un individu qui préconise la sécurité d’un autre. Rien n’est plus
impressionant qu’une personne qui prend la peine de parler avec respect et avec considération à
une personne qui a besoin d’aide.
Nous pouvons changer les lois dans nos pays.
Nous pouvons changer les attitudes dans nos pays (SIC).
Mais si nous voulons vraiment avoir un impact positif non seulement sur les attitudes, mais
aussi sur les habitudes des gens, nous devrons procéder une personne à la fois.
Voilà pourquoi nous ne devrions pas nous sentir complètement dépassés par ce “747” ; parce
que les passagers tombent un à un et nous les attrapons un à un.
Quand je pense à la mort de Ron en 1998 , je ne peux oublier la plage de Meaford, en Ontario.
Dans la semaine qui a suivi l’accident, presque chaque matin, nous étions tous réunis près du
bord du lac. Et nous sommes restés là, debout, pendant des heures.
Au début, nous les attendions.
Puis, nous attendions.
Pour finir, nous avons arrêté d’attendre. Nous avons quitté la plage…
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…Transformés par quelque chose de plus grand que la perte de nos êtres chers.
Transformés également par notre prise de conscience à savoir que n’importe qui d’entre nous
aurait pu faire une différence cette nuit fatidique.
Et avec le sentiment inspirant que, peut-être, chacun de nous pourrait encore…
Vous connaissez cette plage.
Vous et moi sommes debout sur cette plage depuis déjà très longtemps.
Nous attendons sur cette plage depuis très longtemps.
Ce soir, nous allons quitter cette plage… ensemble.
Merci.
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