32 - African Commission on Human and Peoples` Rights
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32 - African Commission on Human and Peoples` Rights
AFRICAN UNION UNION AFRICAINE UNIÃO AFRICANA African Commission on Human & Peoples’ Rights Commission Africaine des Droits de l’Homme & des Peuples No. 31 Bijilo Annex Lay-out, Kombo North District, Western Region, P. O. Box 673, Banjul, The Gambia Tel: (220) 441 05 05 /441 05 06, Fax: (220) 441 05 04E-mail: [email protected]; Web www.achpr.org RAPPORT DE LA DELEGATION DE LA COMMISSION AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES SUR SA MISSION D’ETABLISSEMENT DES FAITS AU BURUNDI 7 au 13 décembre 2015 1 LISTES D’ABREVIATIONS ET D’ACRONYMES ABAS ANADDE UA AV-INTWARI CNARED CNDD CNDD-FDD CAE UE FNL FRODEBU FROLINA CICR INKINZO MAPROBU MSD MSF CNDI CNDH HCDH-B HCR PACONA PALIPEHUTU PARENA PASIDE PNB PIT PL PP PPDRR PRP PSC PSD RADDES RPA RPB RTNB Alliance Burundo-Africaine pour le Salut Alliance Nationale pour le Droit et le Développement Union africaine Alliance des Vaillants Conseil National pour le Respect de l’Accord d’Arusha et la Restauration d’un État de Droit au Burundi Conseil National pour la Défense de la Démocratie Conseil National pour la Défense de la DémocratieForces de Défense de la Démocratie Communauté de l’Afrique de l’Est Union européenne Front national de libération Front pour la Démocratie au Burundi Front pour la Libération Nationale Comité international de la Croix-Rouge Parti Socialiste et Panafricaniste Mission africaine de prévention et de protection au Burundi Mouvement pour la Solidarité et le Développement Médecins sans Frontières Commission Nationale du Dialogue Inter-burundais Commission Nationale des Droits de l’Homme Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations Unies au Burundi Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Refugiés Parti pour la Concorde Nationale Parti pour la Libération du Peuple Hutu Parti pour le Redressement National Parti pour la Science, le Développement et l’Environnement Police nationale burundaise Parti indépendant des travailleurs Parti libéral Parti du peuple Parti pour la paix, la démocratie, la réconciliation et la reconstruction Parti pour la réconciliation du peuple Conseil de Paix et de Sécurité Parti Social-Démocrate Ralliement pour la Démocratie et le Développement Économique et Social Radio Publique Africaine Rassemblement pour le peuple du Burundi Radiotélévision nationale du Burundi 2 SNR CVJR NU UPD UPRONA Services nationaux de renseignements Commission Vérité, Justice et Réconciliation Nation Unies Union pour la paix et la démocratie Union pour le Progrès National 3 PREMIERE PARTIE : INTRODUCTION 1. Le présent rapport fait l'analyse et rend compte des conclusions de la Délégation de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples sur la situation qui prévaut en République du Burundi, dans le domaine des droits de l’homme, depuis le déclenchement de la crise actuelle, en avril 2015. Le présent rapport et la mission dont il rend compte s’inscrivent dans le cadre de l’application de la décision de la 551ème réunion du Conseil de Paix et de Sécurité (CPS) de l'Union africaine (UA), dans le Communiqué IV, PSC/PR /COMM.(DLI) qui demandait à la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (la Commission) de procéder d’urgence à une enquête approfondie sur les violations des droits de l'homme et autres exactions à l’encontre des populations civiles au Burundi. 2. En réponse à cette demande et prenant en compte son mandat de promotion et de protection des droits de l’homme et des peuples en Afrique, en vertu des Articles 45 et 58 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples et de son Règlement intérieur, la Commission a décidé d’envoyer une mission d’établissement des faits en République du Burundi du 7 au 13 décembre 2015. 1.1 Objectifs généraux 3. Les objectifs généraux de la Délégation étaient de : i. Enquêter, documenter et faire rapport sur les violations et autres exactions au Burundi ; ii. Soumettre un rapport accompagné de recommandations au Conseil de Paix et de Sécurité ; 1.2 Objectifs spécifiques 4. Les objectifs spécifiques étaient les suivants : Enquêter sur toutes les formes de violations des droits de l’homme et autres exactions commises au Burundi depuis le début de la crise en avril 2015 ; Établir les causes, les faits et les circonstances de ces violations sur la base de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et 4 des instruments internationaux relatifs aux droits de la personne et du droit international humanitaire ; Spécifier et qualifier les violations des droits de l’homme et les autres exactions perpétrées depuis l’éclatement de la crise actuelle ; Présenter les faits et les informations dans un rapport et soumettre ses conclusions au Conseil de Paix et de Sécurité ; Formuler et proposer au Conseil de Paix et de Sécurité des recommandations issues de ses investigations sur notamment : Les mesures urgentes à prendre pour la cessation des différentes violations des droits de l’homme et exactions en cours comme étape importante dans la prévention de l’escalade de la crise ; Les mesures que les différents acteurs doivent prendre pour s'assurer que les forces de sécurité du gouvernement et tous les autres groupes et milices armés cessent de commettre des violations des droits de l'homme et autres exactions ; La manière dont les questions liées aux droits de l’homme doivent et peuvent faire l’objet de réflexions adéquates et être prises en compte dans les efforts de médiation régionaux et de l’Union africaine ; Le problème de l’impunité des présumés auteurs des violations des droits de l’homme et autres exactions et de leur obligation de rendre compte ; Les mécanismes nationaux de vérité, justice et réconciliation et les réformes institutionnelles nécessaires, notamment les réformes du secteur de la sécurité et de l’administration de la justice pénale et la réforme législative et administrative de la liberté d’association et d’expression 1.3 Composition de la Délégation 5. La Délégation était composée de : L’Honorable Commissaire Pansy Tlakula, Présidente de la Commission africaine et Rapporteure spéciale sur la Liberté d’expression et l’Accès à l’information en Afrique (Chef de Délégation) L’Honorable Commissaire Reine Alapini-Gansou, Rapporteure spéciale sur les Défenseurs des droits de l’homme en Afrique ; 5 L’Honorable Commissaire Jamesina Essie L. King, Présidente du Groupe de travail sur les Droits économiques, sociaux et culturels en Afrique ; et L’Honorable Commissaire Dr Solomon Ayele Dersso, Président du Groupe de Travail sur les Industries extractives, l’Environnement et les Violations des droits de l’homme en Afrique et Point focal pour la justice transitionnelle. 6. Un autre membre, l’Honorable Commissaire Maya Sahli-Fadel, Rapporteure spéciale sur les Réfugiés, les Demandeurs d’asile, les Personnes déplacées et les Migrants en Afrique, n’a pas pu se rendre au Burundi par suite des combats intenses ayant éclaté le 11 décembre 2015 et la suspension subséquente des vols à destination du Burundi. 7. Les membres de la Délégation étaient accompagnés par les membres suivants du personnel du Secrétariat de la Commission : Mlle Estelle Nkounkou Ngongo, Juriste ; M. Bruno Menzan, Juriste ; M. Valentine Tazi, Interprète-Traducteur ; et M. Frederick Tamakloe, Chargé des Finances. 1.4 Liste des parties prenantes rencontrées par la Délégation 8. Au cours de la mission, la Délégation a rencontré les différentes parties prenantes au Burundi. La Présidente de la Commission et Chef de la Délégation, l’Honorable Commissaire Pansy Tlakula, et l’honorable Commissaire Reine Alapini-Gansou ont eu un entretien avec le Premier Vice-président de la République. La Délégation a rencontré des acteurs étatiques notamment, des Ministres, des membres de l’Assemblée Nationale, le Maire et les Administrateurs de Bujumbura, le Directeur général de la police, la Commission nationale des droits de l’homme (CNID) ; la Commission Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR), la Commission nationale du dialogue inter-burundais (CNDI). La Délégation a également rencontré des acteurs internationaux que sont le Bureau du Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations Unies au Burundi (HCDH-B), des membres du Corps diplomatique, des experts militaires et des observateurs des droits de l’homme de l’Union Africaine et le Comité international de la Croix-Rouge (CICR). La Délégation a eu des réunions avec des acteurs non étatiques tels que des journalistes, des membres de la société civile et des organisations de 6 femmes. La Délégation a également visité un hôpital et la prison de Mpimba. 9. En raison de contraintes de temps, la Délégation n’a pas pu visiter l’hôpital militaire de Bujumbura, ni rencontrer certains acteurs tels que les représentants de confessions religieuses et certains représentants de partis politiques. 1.5 Méthodologie 10. La première approche suivie par la Mission fut la collecte de données et d’informations auprès des acteurs pertinents du gouvernement et en dehors. Cette approche s’est faite dans le cadre de questions et réponses en séance privée. L’analyse des données et des informations sur la crise s’est fondée essentiellement sur diverses sources secondaires telles que des rapports et d’autres travaux de recherche sur les politiques relatives à l’aspect droits de l’homme de la crise au Burundi. Lors de la visite à Bujumbura, la Mission a consulté une grande diversité d’acteurs burundais et a reçu des témoignages et des informations sur la violence dans le pays et les cas de violations des droits de l’homme et autres exactions. 11. La situation au Burundi suscite une profonde attention. Différentes organisations de défense des droits de l’homme ont produit des rapports sur les violations des droits de l’homme constatées dans le pays au cours de la crise. La Délégation de la Commission africaine est la première mission majeure effectuée pour examiner les violations des droits de l’homme et autres exactions survenues dans la crise en cours au Burundi. Le rapport de la Mission représente donc la première déclaration faisant autorité sur la situation des droits de l’homme au Burundi. Bien qu’elle s’inspire partiellement d’autres rapports qu’elle vient compléter, l’analyse contenue dans le présent rapport est une tentative de présenter les points de vue et les perspectives des différents secteurs de la société burundaise que la Délégation a rencontrés. Outre le fait de documenter les violations des droits de l’homme et autres exactions et de les établir, le présent rapport présente également une analyse des circonstances entourant ces violations et la nature de ces violations. 12. Le rapport use de la méthodologie juridique pour parvenir à établir les violations des droits de l’homme traitées dans le cadre de ce rapport. Ainsi, les informations recueillies sur les violations et autres abus des 7 droits de l’homme sont analysées méticuleusement au moyen de divers mécanismes qui permettent d’établir leur véracité et fiabilité. De même lesdites informations sont soumises et croisées avec les normes internationales relatives aux droits de l’homme et des peuples. Bien plus, afin de parvenir à des conclusions sur l’existence d’une violation de la Charte Africaine, sur la nature de ladite violation, les victimes et les auteurs des violations, il est fait appel au système classique de la preuve au moyen de la « prépondérance des probabilités ». 1.6 Défis rencontrés 13. Les activités de la Délégation et la portée de son travail ont toutefois été soumises à différentes contraintes. Si le manque de temps a limité l’étendue de ses investigations au Burundi, la Mission a également été confrontée à d’autres défis tels que le manque d’accès aux sites et aux témoins des incidents. Au moment de la mission d’enquête, les conditions de sécurité étaient telles que la Mission n’a pas pu se rendre dans les environs ni sur les sites où d’importantes violations avaient été rapportées. Bien qu’il ait été prévu que la Mission sorte de Bujumbura, l’éclatement de combats intenses le 11 décembre a eu pour conséquence l’annulation de ce projet. La situation sécuritaire a également limité la diversité d’acteurs de qui la Délégation a pu librement recueillir les points de vue sur les violations et la façon dont ces acteurs ont vécu ces violations. Outre le fait de limiter la profondeur et l’échelle des informations et des données sur les violations des droits de l’homme, la conséquence majeure de ces limitations est que la Délégation n’a pas pu établir avec exactitude l’identité des auteurs des violations des droits de l’homme. Bien que la Délégation ait pu recueillir des récits sur les incidents de violations des droits de l’homme, elle n’a pas pu obtenir les noms spécifiques de leurs auteurs. 14. Bien que le Communiqué du 17 octobre du CPS ait demandé qu’il soit procédé à « une enquête approfondie », les contraintes de temps et des ressources dont disposait la Délégation et le problème d’accès susmentionné ont eu pour conséquence que le présent rapport ne constitue pas un récit exhaustif et intégral de tous les actes de violations des droits de l'homme et autres exactions survenus au Burundi depuis l’éclatement de la crise. La Délégation et son rapport se sont ainsi limités à l’identification et à l'existence de cas de violations des droits de l'homme représentant et illustrant la nature et les schémas des violations des droits de l'homme et des autres exactions constatées dans la crise en cours. 8 1.7 Structure du rapport 15. Le présent rapport est divisé en 4 parties. La présente « Première partie », qui correspondant à l’introduction, campe le cadre juridique et l’origine de la Mission, le mandat de la mission d’établissement des faits et la méthodologie suivie pour la conduite de la Mission et la préparation de son rapport. 16. La Deuxième partie, qui présente la toile de fond et le contexte des violations des droits de l’homme et autres exactions, expose les causes et les facteurs de déclenchement des violations des droits de l’homme. Cette partie contient l’analyse non seulement des facteurs historiques et politiques expliquant les développements dans le paysage politique du pays mais aussi les causes et les facteurs anciens et immédiats de déclenchement de la crise. 17. La Troisième partie est consacrée à la présentation et à la description des événements et des actes ayant occasionné ou produit les violations des droits de l’homme et autres exactions. Elle présente les incidents et les circonstances des violations des droits de l’homme et autres exactions rapportés au cours des trois étapes de la crise. 18. Enfin, la Quatrième partie présente l’analyse et les conclusions de la Commission africaine. Cette partie porte sur l’analyse et les constatations des violations de droits de l’homme et des peuples de la Charte africaine. Elle cherche également à identifier le profil des victimes et des auteurs des violations. C’est également dans cette section que la Commission africaine formule des recommandations couvrant les différents domaines des politiques à mettre en œuvre en vue de mettre fin à la continuation des violations et à permettre leur résolution effective. 9 DEUXIEME PARTIE : CAUSES ET FACTEURS DE DECLENCHEMENT DE LA CRISE AU BURUNDI 2.1 Historique de la rivalité ethnique : la politique d’insécurité des minorités et d’exclusion de la majorité 19. À l’instar de nombreux pays, le passé du Burundi pèse lourdement sur l’essentiel de ses développements politiques récents et actuels. L’ethnicisation de la vie politique qui a débuté sous l'autorité coloniale belge et qui s’est institutionnalisée et enracinée suite à l’indépendance est une dimension du passé du Burundi se dégageant comme une cause profondément enracinée des troubles ayant assailli récemment la vie politique du pays. Le Burundi est composé de trois groupes ethniques : les deux groupes ethniques dominants et rivaux, les Hutus (représentant 85 pour cent de la population), les Tutsis (environ 14 pour cent) et la petite communauté socialement et politiquement périphérique des Twas. À l’époque de sa conquête par l’Allemagne en 1883, le Burundi était un royaume indépendant dirigé par une élite royale, les Baganwa, qui dirigeait les Hutus et les Tutsis qui s’adonnaient respectivement à l’agriculture et à l’élevage. Les deux communautés étaient autorisées à exercer leur influence sous l’autorité du roi et d’autres Baganwa et, « aucun massacre ethnique n’a été perpétré dans la période précoloniale ».1 20. Le début de l'opposition des Hutus aux Tutsis, à partir des premières années de l’indépendance, remonte à la période coloniale. « L’administration coloniale a généralement favorisé les Tutsis aux dépens des Hutus, accentuant ainsi leurs différences sociales et économiques ».2 Alors que le Burundi avait accédé à l’indépendance en 1962 en tant que monarchie constitutionnelle sous la houlette de l'Union pour le progrès national, l’UPRONA, composée de Hutus et de Tutsis, les années consécutives à l’indépendance ont vu la domination des Tutsis sur l’UPRONA. Le Premier Ministre André Muhirwa, membre de la faction Tutsi de l’UPRONA, a dirigé le premier Gouvernement indépendant du Burundi. 21. Après les élections de 1965, où le Roi, sous la pression des Tutsis, avait nommé un membre de l'élite royale comme premier ministre au lieu d'un membre des Hutus qui étaient électoralement victorieux pour avoir 1 2 Commission internationale d’enquête pour le Rapport final sur le Burundi. Ibid. 10 remporté 23 sièges sur un total de 33, la rivalité s'est transformée en violence. La tentative de coup d’État des Hutus contre le Roi et les attaques sporadiques contre les Tutsis ont provoqué une violente réponse augurant d’une rivalité meurtrière entre Hutus et Tutsis. En 1966, l’armée, sous le commandement du Capitaine Michel Micombero, un officier Tutsi, après avoir renversé la monarchie et pris le pouvoir, a promu une politique d’accaparement total. Il s’en est suivi une monopolisation du pouvoir aux mains des Tutsis. Le Président Micombero a notamment « surchargé de Tutsis le corps et les rangs de l’armée ».3 Cela a facilité et établi une distribution inéquitable des ressources et un déséquilibre dans le contrôle et la participation à la vie économique de la société. 22. L’ethnicisation du pouvoir politique a donné lieu à une domination politique et militaire presque absolue des Tutsis avec en parallèle une exclusion politique de la majorité Hutu. L’insécurité et l’exclusion sont devenues depuis lors une des caractéristiques de la trajectoire politique postindépendance du Burundi. Cette considération est devenue une caractéristique essentielle de la politique d’insécurité de la minorité et d’exclusion de la majorité qui domine l’histoire du Burundi depuis l’indépendance. 2.2 Violence génocidaire et violations massives des droits de l’homme 23. L’histoire politique du Burundi est jonchée d’incidents majeurs de violations des droits de l’homme. La conséquence majeure de la rivalité ethnique produite par cette politique d’insécurité de la minorité et d’exclusion de la majorité est sans doute la répétition de périodes de conflits et de violence ethnique. Une de ces périodes de violence majeure a éclaté en 1972. Déclenchée par une violente insurrection contre le gouvernement dominé par les Tutsis, la violence de 1972 a provoqué le premier massacre à grande échelle dans le pays au cours duquel plus de 100 000 personnes de la communauté Hutu ont perdu la vie.4 Comme dans les périodes précédentes avec une similaire violente confrontation, la violence de 1972 a été suivie d’un « nettoyage » actif des Hutus des structures du pouvoir. Comme l’a fait observer la Commission internationale, « Dans la foulée de la répression au Burundi, les Hutus ont 3 4 Ibid. Commission internationale d’enquête pour le Rapport final sur le Burundi, para. 85. 11 été privés de tout pouvoir politique effectif, jusqu’au niveau local ».5 Au cours d’un autre cycle of violence en 1988, des dizaines de milliers de personnes ont également perdu la vie. 24. L’assassinat du premier Chef de l’État Hutu démocratiquement élu, Melchior Ndadaye, en 1993, a déclenché une autre série de violences qui a provoqué une guerre civile qui a duré plus de 12 ans. Une fois encore, l’on estime qu’environ 200000 personnes ont été tuées pendant cette guerre. La Commission internationale d’enquête concernant le Burundi, créée en vertu d’une Résolution du Conseil de sécurité, a enquêté sur ces événements. 2.3 Impunité – « Un pays de violations des droits de l’homme » 25. Malgré la violence à grande échelle et les atrocités majeures qu'a vécues à maintes occasions le pays, aucun mécanisme n'a été institué pour enquêter sur les violations massives des droits de l'homme, établir la vérité et mettre fin à la récurrence de telles violations. Cette lacune a eu pour effet que les violations des droits de l’homme et les crimes atroces sont restés sans suite et sans réparations. Il en résulte qu’une culture d’impunité s’est installée dans la politique du pays. C’est ainsi que la Commission internationale d’enquête concernant le Burundi qui a enquêté sur les violations de 1993 a considéré que l’impunité était « l’une des causes » et « un important facteur contribuant à l’aggravation de la … crise ».6 26. Comme l’a déclaré un membre la Commission Vérité et Réconciliation du Burundi récemment établie, le Burundi est un « pays de violations des droits de l’homme depuis les années 1960 et les événements actuels ne peuvent pas être séparés de ce qui s’est passé précédemment ».7 Le Commissaire a également fait observer que « il est possible que les auteurs des violations passées soient aujourd’hui les victimes des violations et ces violations sont multiples ». Réitérant la manière dont l’impunité conditionne les violations commises dans la crise actuelle, les membres de la Commission nationale du dialogue inter-burundais nouvellement créée ont également confié à la Délégation que « l’impunité est un facteur majeur Ibid, para. 86. Ibid, para. 490. 7 Bujumbura, 9 décembre 2015. 5 6 12 dans la perpétration des violations actuelles puisqu’il n’y a pas eu d’obligation de rendre compte des violations antérieures ».8 2.4. Arusha et les années consécutives aux élections de 2010 27. La série de pourparlers de paix depuis le milieu des années 1990 où l’ancien Président de la Tanzanie, Julius Nyerere, et celui de l’Afrique du Sud, Nelson Mandela, ont joué le rôle principal, a culminé avec l'Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi de 2000. En tant que cadre ayant rendu possible la coexistence pacifique entre les communautés rivales à la suite d'une sanglante guerre civile ayant coûté la vie à des centaines de milliers de personnes, l’Accord d’Arusha est très généralement considéré comme le fondement de la paix au Burundi. Les Burundais rencontrés par la Délégation étaient d’avis que l’Accord d’Arusha constitue la pierre angulaire de la stabilité et de la paix dans le pays. Il instaurait un régime démocratique de partage du pouvoir formulé de façon complexe, garantissant la représentation des communautés rivales dans toutes les fonctions élues, à tous les niveaux et dans toutes les structures du gouvernement et des institutions sécuritaires. Intégré dans la Constitution, l’Accord d’Arusha prévoyait aussi l'instauration d'un processus de justice transitionnelle comprenant une Commission Vérité et Réconciliation et un Tribunal pénal devant traiter les crimes les plus graves. Cependant, cette composante majeure de l’Accord d’Arusha n’a pas été mise en œuvre. Quand le gouvernement a initié lui-même le processus de mise en œuvre du processus de justice transitionnelle en 2014, il a choisi de n’établir que la Commission Vérité et Réconciliation, sans le tribunal pénal. 28. Malgré le succès de l’Accord d’Arusha, l’histoire plus récente de la politique du pays a vu non seulement le rétrécissement de l’espace politique et la montée de la polarisation mais aussi l’escalade de la violence. Dans le contexte des élections de 2010 et au cours des années suivantes, le Burundi a connu une violence et une instabilité, de nombreux cas de disparitions, des exécutions extrajudiciaires et des violations du droit à la liberté.9 La violence a contraint à l’exil des chefs de l'opposition Bujumbura, 10 décembre 2015. Septième rapport du Rapport du Secrétaire Général sur le Bureau intégré des Nations Unies au Burundi (30 novembre 2010) http://www.securitycouncilreport.org/atf/cf/%7B65BFCF9B-6D27-4E9C-8CD3CF6E4FF96FF9%7D/burundi%20s-2010-608.pdf ; Rapport du Secrétaire Général sur le Bureau des Nations Unies au Burundi (30 novembre 2011) 8 9 13 comme Agathon Rwasa (FNL), Alexis Sinduhije (MSD) et Pancras Cimpaye (FRODEBU). Il est important de noter que durant cette violence postélectorale10, la répression du gouvernement a affecté non seulement les partis d’opposition mais aussi des organisations de la société civile telles que Nininahazwe, Mbonimpa et d’autres ainsi que des médias (tels que la RPA et Radio Bonesha). 29. Les graves violations des droits de l’homme dans la crise actuelle alimentent la culture d’impunité perpétuée par les gouvernements successifs et y trouvent leurs racines. À maints égards, la crise actuelle et les violations qui l’accompagnent sont les séquelles de l’instabilité débutée lors des élections de 2010. Comme l’a récemment fait observer un membre de la Commission Vérité et Réconciliation du Burundi récemment établie, le Burundi est un « pays de violations des droits de l’homme depuis les années 1960 et les événements actuels ne peuvent pas être séparés de ce qui s’est passé précédemment ».11 Le Commissaire a également fait observer que « il est possible que les auteurs des violations passées soient aujourd’hui les victimes des violations d’aujourd’hui et ces violations sont multiples ». Réitérant la manière dont l’impunité conditionne les violations commises dans la crise actuelle, les membres de la Commission pour le dialogue inter-burundais nouvellement créée ont également confié à la Délégation que « l’impunité est un facteur majeur dans la perpétration des violations actuelles puisqu’il n’y a pas eu d’obligation de rendre compte des violations antérieures ».12 2.5. Débat sur le troisième mandat 30. Le contexte et le cadre les plus immédiats des violations des droits de l’homme au Burundi sont la polarisation et la confrontation politique issues du débat sur le troisième mandat du Président du Burundi depuis 2013. Si l’Accord d’Arusha stipulait clairement que personne ne devait remplir plus de deux mandats présidentiels, il envisageait également que le premier Président suivant la transition doit être élu par l’Assemblée Nationale. C’est dans ce cadre que Pierre Nkurunziza du CNDD-FDD a été élu Président du Burundi pour la première fois en 2005. En 2010, le http://www.securitycouncilreport.org/atf/cf/%7B65BFCF9B-6D27-4E9C-8CD3CF6E4FF96FF9%7D/Burundi%20S%202011%20751.pdf; 10 Bujumbura, rencontre avec les membres de la Commission pour le dialogue interburundais nouvellement créée. 11 Bujumbura, 9 décembre 2015. 12 Bujumbura, 10 décembre 2015. 14 Président Nkurunziza s’est vu accorder un deuxième mandat suite à une élection au suffrage universel. Les débats sur le processus électoral ont eu pour effet non seulement le boycott des élections nationales par les partis d'opposition mais aussi la répression menée par le gouvernement au cours des deux années suivant les élections de 2010. 31. Un développement majeur ayant suscité une grande résistance des partis d’opposition et des organisations de la société civile a été l’initiation d’amendements constitutionnels par le parti CNDD-FDD au pouvoir en 2013. Outre les changements proposés concernant la majorité de 2/3 des votes à l’Assemblée Nationale qui deviendrait une majorité simple, et la structure de l’exécutif (de deux Présidents à un puissant premier ministre pouvant appartenir au même parti que le Président ), l’un des amendements les plus controversés qui fut proposé, était l’annulation de l’Article 302 stipulant que le premier Président suivant la transition devait être élu par l’Assemblée Nationale. 32. Nombreux ont été ceux qui se sont alarmés du fait que les amendements constitutionnels proposés menaçaient l'arrangement délicat relatif au partage des pouvoirs, établi en vertu de l’Accord d’Arusha et de la Constitution. Ainsi, l’opposition et les membres de la société civile ont considéré que cette proposition était une tentative du parti au pouvoir de se servir de l'Article 96 de la Constitution stipulant que le Président est élu au suffrage universel, renouvelable une fois, pour ouvrir la voie à un troisième mandat du Président. Le projet de loi portant amendement de la Constitution a été rejeté avec une marge d’une seule voix par les membres des partis UPRONA et FRODEBU, unis pour réussir à mobiliser suffisamment de votes contre ce projet. 33. L’échec du projet de loi au parlement n’a toutefois pas mis fin au débat sur le troisième mandat du Président Nkurunziza. Le 25 avril 2015, le CNDDFDD a annoncé sa décision de présenter la candidature du Président Nkurunziza. La controverse relative à la candidature du Président à un troisième mandat, bien que largement soutenue par le CNDD-FDD au pouvoir, a créé une polarisation entre les partisans et les opposants à cette candidature, parmi lesquels certains membres importants du CNDD-FDD. Le parti au pouvoir a également expulsé de la direction du parti (le « Conseil des sages ») les membres opposés au troisième mandat, notamment le second Vice-Président et le Président de l’Assemblée Nationale en raison de leur opposition à la candidature du Président. 15 34. Les partis d’opposition, les médias, les membres d’organisations de la société civile et des représentants de l’Église catholique ont exprimé leur opposition à la candidature du Président à un troisième mandat,13 en signalant que cette candidature était en violation évidente des termes de l’Accord d’Arusha qui, en vertu de l'Article 7, stipule que le Président ne peut pas se présenter à plus de deux mandats. C’est donc l’annonce de la candidature du Président qui a constitué un tournant décisif dans la controverse de plus d’une année sur un troisième mandat. Le 26 avril, en réponse à l’appel de l’opposition et d’organisations de la société civile, des manifestations se sont déroulées dans plusieurs parties de la capitale Bujumbura, donnant ainsi le coup d’envoi à la crise actuelle. 35. Le Président et de nombreux membres du CNDD-FDD étant déterminés à faire aboutir la candidature du Président , la question de savoir si la limite de deux mandats en vertu de la Constitution se limitait à l'élection du Président au suffrage universel et ne s'appliquait donc pas à l’élection par l’Assemblée Nationale a donc été soumise à la Cour constitutionnelle. La décision du 5 mai14 a établi que le Président en exercice était constitutionnellement habilité à se présenter pour un troisième mandat. Cette décision a déclenché encore plus de manifestations de l'opposition. Dans un message à la nation le 6 mai, le Président Nkurunziza a indiqué que s’il était élu le 26 juin, cela serait son dernier mandat conformément à la décision de la Cour. 36. De nombreuses personnes parmi celles que la Délégation a consultées, ont déclaré que la crise a été déclenchée par l’annonce de la candidature du Président. Les manifestants sont descendus dans les rues en réponse à l’annonce par le parti au pouvoir de la candidature du Président à un autre mandat. La confrontation entre la police et les manifestants devenant de plus en plus violente, la situation a évolué en véritable crise. Selon un Commissaire de la Commission Vérité et Réconciliation récemment créée, Le 12 février, des groupes de la société civile ont envoyé une lettre au Président l’exhortant à ne pas se présenter pour un autre mandat ; le 7 mars, l’Église catholique a annoncé que le titulaire n’était pas autorisé à remplir un autre mandat http://www.reuters.com/article/usburundi-politics-idUSKBN0M30JN20150307 ; 14 Au cours des consultations avec des membres des représentations diplomatiques, la Delegation a été informée que la décision de la Cour constitutionnelle a été prise dans un contexte de pression politique enorme au point que le vice-président de cette institution a dû fuir le pays. Sur cette question voir aussi http://reliefweb.int/report/burundi/burundipolice-open-fire-protestors-truce-ends 13 16 la crise actuelle résulte d'une lutte pour le pouvoir entre les partisans et les opposants à la candidature du Président.15 37. S’il y’a un consensus qui se dégage sur le fait que c'est l'annonce de la candidature du Président qui a déclenché les manifestations et la crise actuelle, des déclarations de certains membres du corps diplomatique ont confirmé que le contexte de cette crise était déjà campé avant avril 2015. Un membre du corps diplomatique a déclaré que, bien avant les manifestations ayant commencé le 26 avril, « certaines personnes disaient que, si le Président se présentait, le Burundi n’aurait plus de paix et que certaines personnes étaient déterminées à créer le chaos ».16 38. Les membres du gouvernement imputent la crise actuelle à l'opposition. Dans le cadre des entretiens avec la Délégation, ils ont insisté sur le fait que le débat sur le troisième mandat et les allégations de violations de l'Accord d'Arusha ne servaient que d’excuse ou de prétexte. Pour les responsables du gouvernement, le facteur sous-jacent à la crise étaient le souhait de l’opposition de prendre le pouvoir au gouvernement par le biais d’une violente insurrection. Ils ont souligné que les opposants politiques avaient commencé à appeler à un gouvernement de transition les années suivant les élections nationales de 2010. Ils considéraient la tentative de coup d’État du 13 mai 2015 comme une manifestation de la volonté de l’opposition de s’emparer du pouvoir par la force. 39. La Délégation a aussi recueilli d’autres avis qui attribuaient les causes immédiates de la crise actuelle à différents facteurs. L’un de ces facteurs était la préoccupation que les mesures prises par le gouvernement ne compromettent les différentes composantes de l'Accord d'Arusha. Un autre facteur sous-tendant la crise actuelle est lié aux problèmes majeurs de gouvernance comme la corruption et la dispense de services sociaux qui laisse à désirer. D’autres interlocuteurs citent la mauvaise performance économique et les défis socioéconomiques qui en découlent, parmi lesquels le chômage important des jeunes. 15 16 Bujumbura, 9 décembre 2015. Bujumbura, 10 décembre 2015. 17 TROISIEME PARTIE : VIOLATIONS DES DROITS DE L’HOMME ET AUTRES EXACTIONS 40. Bien que des incidents de violations de droits de l’homme aient débuté avant l’éruption de la crise actuelle en avril 2015,17 ces incidents ne se sont pas seulement aggravés, ils deviennent de plus en plus une caractéristique essentielle de la crise actuelle depuis son déclenchement en fin avril 2015. Selon un membre de la Commission Vérité et Réconciliation, de multiples violations des droits de l’homme ont été perpétrées durant la crise.18 41. Au stade initial, les incidents prenaient essentiellement la forme de manifestations et d’émeutes suivies de réponses musclées de la part des forces de sécurité. Ces incidents violents ont particulièrement affecté les quartiers de la capitale Bujumbura : Buterere, Buyenzi, Bwiza, Cibitoke, Jabe, Kanyosha, Kinama, Kinindo, Musaga, Mutakura, Nyakabiga et Ngagara. Nombre de ces quartiers allaient, au cours des mois suivants, devenir l’épicentre de la violence quotidienne et de violations de droits de l’homme qui sont devenues la caractéristique fondamentale de la crise en cours. Des manifestations de moindre importance ont eu lieu à l’extérieur de Bujumbura, notamment à Bujumbura Rural, Gitega, dans la province du nord de Kayanza et dans les provinces de Bururi et Makamba, dans le sud. 42. Cette partie du rapport est organisée en trois sections. Elle place ainsi les différentes violations des droits de l’homme et autres exactions dans leur contexte politique et sécuritaire spécifique. Cette approche permet à l’analyse d’établir une distinction qualitative entre le même type de violations commises dans des contextes politiques et sécuritaires qualitativement différents. La première section couvre la période allant du 26 avril au 13 mai 2015. Les différents actes de violence constituant les violations des droits de l’homme et autres exactions rapportées durant cette période correspondent au stade de la crise caractérisé par la confrontation et les affrontements de rue. Dans sa déclaration présidentielle du 18 février 2015, le Secrétaire Général des Nations Unies a exprimé sa préoccupation devant les violations des droits de l’homme comme les exécutions extrajudiciaires, la torture et les mauvais traitements, les rapports d’autres cas de violations comme les intimidations, le harcèlement, la violence politique, les arrestations et les détentions arbitraires, portant atteinte aux droits à la liberté de réunion pacifique et d’expression. 18 Bujumbura 9 décembre 2010. 17 18 43. La deuxième section couvre la période allant de la tentative de coup d’État du 13 mai 2015 à la période électorale. Elle comprend la phase de radicalisation de la crise, caractérisée par des niveaux accrus de violence et de violations des droits de l’homme. Bien que la majeure partie des cas de violence et de violations des droits de l’homme demeurent associés à des manifestations et à des émeutes, depuis le coup d’État militaire du 13 mai, la violence politique a pris une tournure de bataille impliquant des échanges de tirs et des attaques à la grenade. Les attaques en représailles à la tentative de coup d’État ont donné lieu à des violations accrues des droits de l’homme. 44. La troisième section couvre la période allant depuis le moment des élections nationales à la fin de la mission d’établissement des faits de la Délégation, le 13 décembre 2015. Cette phase de la crise est caractérisée par la militarisation et l’escalade de la violence. Elle s’exprime par des attaques militaires de plus en plus organisées de postes de police et d’installations militaires à l’intérieur et autour de Bujumbura et une campagne de représailles de la police et des forces de sécurité contre les quartiers suspectés d’abriter des éléments armés. 3.1 Violations des droits de l’homme et autres exactions pendant la première phase de la crise allant du 26 avril au 13 mai 2015 – confrontation et affrontements de rue 45. Initialement, la crise a consisté en manifestations dans différentes parties de Bujumbura et quelques endroits à l'extérieur de la capitale. Les manifestations comptaient non seulement la majorité des jeunes des zones les plus affectées par les manifestations mais aussi une grande diversité de groupes tels que des membres des partis d’opposition, des leaders de la société civile et d’anciens membres du gouvernement et des forces de sécurité. 46. La situation a commencé à prendre un tour violent peu de temps après le début des manifestations de rue au cours desquelles des manifestants ont perdu la vie. Les manifestations ont éclaté deux jours après la déclaration du Ministre de la Sécurité publique d'interdire les manifestations dans le pays. Après leur éclatement, le 26 avril, Bujumbura a connu six jours de manifestations sans discontinuer. Le gouvernement a déployé la police et les membres des services de renseignements et de la sécurité. 19 47. Bien qu’initialement, la police ait essentiellement utilisé des gaz lacrymogènes et des canons à eau, des cas d'exécution ont été rapportés dès le premier jour des manifestations, le 26 avril. Outre les gaz lacrymogènes et les canons à eau, il a également été rapporté que la police utilisait des munitions réelles malgré les démentis du gouvernement.19 Le Ministre de la Sécurité publique a informé la Délégation que les manifestants avaient commencé à se servir d’armes et à tirer sur la police dès l’après-midi du 26 avril20 mais la Délégation n’a trouvé aucunes preuvest confirmant ces dires. Tout indique qu’à ce stade de la crise, le comportement des manifestants étaient très pacifique à l’exception de quelques jets de pierres en direction de la police et de quelques barricades dans les rues.21 Trois personnes auraient été tuées le premier jour des manifestations.22 Une illustration de l’usage arbitraire et excessif de la force par les forces de police au Burundi, est le cas de Jean Nepomusene, un jeune garçon âgé de 15 ans, que la police aurait tué par balle près de la Hope Africa University à Ngagara 2 alors qu’il était tombé en tentant de courir se cacher.23 48. Les jours suivants, avec la poursuite des manifestations et des émeutes, la confrontation entre la police et les manifestants s’est aggravée avec des affrontements affectant essentiellement les quartiers de Mutakura, Cibitoke, Kanyosha, Bwiza et Musaga. En une semaine, le nombre de personnes tuées par les tirs de la police et les forces de sécurité a augmenté pour atteindre au moins sept et avec plus de 66 blessés.24 49. Après deux jours de pause déclarés le 1er mai 2015, les manifestations ont repris la deuxième semaine. Le 6 mai, le nombre de personnes tuées dans les affrontements entre les manifestants et la police était de 16 selon la Croix-Rouge.25 La police avait précédemment rapporté que trois membres de ses personnels figuraient parmi les blessés. 50. Certains dans le gouvernement ont admis que, dans certains cas, la police avait tiré à balles réelles et tué illégalement des manifestants. Interrogé sur Ibid. Bujumbura, 11 décembre 2015. 21 Rencontre avec le Représentant des Nations Unies, Bujumbura, 13 décembre 2015. 22 La BBC a rapporté la mort d’au moins trois personnes le premier jour des manifestations. http://www.bbc.com/news/world-africa-32479368 23 Amnesty International, Braving bullets: Excessive force in policing demonstrations in Burundi, 27 juillet 2015, consultable sur https://www.amnesty.org/en/documents/afr16/2100/2015/en/ 24 http://reliefweb.int/report/burundi/seven-dead-66-hurt-week-burundi-protests-officials 25 http://worldaffairsjournal.org/content/almost-40000-flee-burundi-amid-political-crisis 19 20 20 l’usage excessif de la force, le principal conseiller en communication du Président, Willy Nyamitwe, aurait répondu : « Sans doute certains policiers ont fait un usage excessif de la force et d’autres ont été malavisés. Vous devez reconnaître aussi que les manifestants commettent des exactions des droits de l’homme qui ne sont pas rapportées ».26 Réfutant le déni initial des sources gouvernementales, la Croix-Rouge a également rapporté que les personnes blessées qu’elle a soignées, l’avaient été par balles.27 Ces balles auraient été tirées par les forces de sécurité du gouvernement. 51. Les médias, la presse et les autres outils communicationnels ont été la cible de violence et de restrictions importantes de leurs activités, y compris la suspension. Le 28 avril, le gouvernement a fermé temporairement la Radio Publique Africaine (RPA), l’une des principales stations de radio, alléguant que les diffusions de cette radio incitaient à l’insurrection et aux émeutes. La police a pénétré de force dans la concession de la RPA en passant pardessus l’enceinte et elle a ordonné aux journalistes de cesser toute diffusion. Le gouvernement a également fermé la Maison de la Presse et interdit à deux stations privées de retransmettre en direct le déroulement des manifestations : Radio Isanganiro et Radio Bonesha FM. Le gouvernement a imposé également des restrictions temporaires sur les communications en bloquant différents médias sociaux tels que Twitter, Facebook, Viber et WhatsApp. 52. La police et les services de renseignements ont arrêté des centaines de participants aux manifestations que le gouvernement estimait illégales. Le 2 mai, il a été rapporté que le porte-parole de la police, Pierre Nkurikiye, avait déclaré à l’AFP qu’il avait été procédé à 577 arrestations, que près de 250 cas faisaient l’objet de poursuites, que 150 personnes étaient soumises à des interrogatoires et que les autres avaient été libérées. Outre les manifestants, les arrestations arbitraires ciblaient également les militants des droits de l’homme et les journalistes. Le 27 avril, l’éminent militant des droits de l’homme, Pierre-Claver Mbonimpa, a été arrêté. 53. Les manifestants se sont également livrés à différents actes de violence. Les manifestations et l’opposition au gouvernement étaient essentiellement pacifiques mais elles ont également commencé à manifester des signes de 26 27 Rapport de HRW. http://reliefweb.int/report/burundi/soldier-killed-burundi-hit-more-violent-protests 21 violence dès le tout début.28 Dans les quartiers mobilisant la plupart des manifestations, les manifestants ont fait preuve d’un degré élevé d’organisation de type militaire en érigeant des barricades, en bloquant la police, en brûlant des pneus et en constituant des groupes de surveillance de proximité en empêchant ainsi le fonctionnement normal de la loi et de l’ordre. À partir du 26 avril, les manifestants ont été également impliqués dans des jets de pierres, des attaques à la grenade et aux cocktails Molotov contre la police et avec utilisation de lance-pierres pour lancer des pierres, des billes et autres projectiles. 54. Les manifestations sont rapidement pris de l’ampleur en violence jusqu’à causer des exactions telles que le lynchage ciblé des personnes soupçonnées faire partie des redoutés Imbonerakure, l’aile jeune du Conseil national de da défense de la démocratie – Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD).29 Au cours d’un incident, les manifestants ont brûlé un homme dans le quartier de Nyakabiga de Bujumbura. Selon un témoin oculaire, « ils lui ont passé des pneus autour du cou et l’ont brûlé vif ».30 De même, le 12 mai, au cours de manifestations dans le quartier de Buterere, les manifestants ont attaqué une policière qui a survécu grâce à l’intervention de l’armée. Une autre personne dénommée Jean Claude Niyonzima, membre suspecté des Imbonerakure, a été sauvé par l’armée de la charge d’une foule de manifestants.31 Selon un rapport de Human Rights Watch, les manifestants ont brûlé des véhicules, attaqué et saccagé des immeubles et insulté la police en lui jetant des pierres.32 55. La crise au Burundi se caractérise essentiellement par la confrontation entre les groupes à motivation politique en faveur du troisième mandat du Président et ceux qui s’y opposent. Mais elle n’était pas dépourvue totalement de nuances ethniques. Une manifestation en a été la tentative des deux côtés de donner à la crise politique une dimension ethnique. Particulièrement intéressantes à cet égard ont été les tentatives d'établir un parallèle entre la violence ethnique à l'origine de l’éclatement de la guerre civile de 1993/4 et la référence à certaines parties de Bujumbura ayant été le théâtre de la plupart des manifestations dans les quartiers Interaction avec un Représentant des Nations Unies, Bujumbura, 13 décembre 2015. http://www.crisis.acleddata.com/changing-patterns-of-violence-in-burundis-politicalcrisis-a-comparison-to-burkina-faso-and-democratic-republic-of-congo/ 30 http://www.iol.co.za/news/africa/man-burned-alive-in-burundi-protest-1.1855430 31 http://www.nbcnews.com/news/world/mob-attacks-suspected-militia-member-burundin355171 32 Rapport de HRW, 28 29 22 historiquement Tutsis. Cela transparait dans un communiqué de presse du gouvernement en date du 8 mai 2015. Ce tournant vers une criminalité sélective doit appeler les organisateurs de l’insurrection à réfléchir aux conséquences de ces actes évoquant aux Burundais ce qu’ils ont vécu en 1994, dans pratiquement les mêmes zones, avec les même acteurs et, curieusement, avec les mêmes méthodes, la seule différence étant qu’ils n’hésitent pas à attaquer la police quand elle résiste à leur barbarie.33 56. La crise a également entraîné des perturbations majeures des services sociaux et la destruction de biens. Des écoles ont dû fermer et des travailleurs ne pouvaient pas se rendre sur le lieu de leur travail. La situation a également paralysé les activités économiques, en particulier dans les domaines les plus affectés par la crise. Les structures commerciales comme les banques et les boutiques ont dû également fermer. 57. À partir de la mi-avril, des individus ont fui leur maison pour se précipiter au Rwanda voisin quand la tension a culminé dans le pays. Il y aurait eu à ce stade-là, 200 à 300 personnes qui fuyaient chaque jour. Ce chiffre a considérablement augmenté après le pic de violence du 26 avril pour atteindre 3000 personnes par jour, dont 20400 réfugiés au Rwanda au 28 avril. Outre l’éclatement de la crise, le harcèlement et les intimidations des Imbonerakure expliquent en grande partie la fuite de nombreuses personnes.34 Sans perspective de fin de crise, la deuxième semaine, le nombre de réfugiés a atteint 40000. À ce moment-là, le flux de réfugiés ne touchait plus seulement le Rwanda mais aussi d’autres pays voisins, en particulier la Tanzanie et la République Démocratique du Congo (RDC). 58. Bien qu’il n’y ait pas de sites de personnes déplacées, la Délégation a été informée de l’existence d’un phénomène non conventionnel de déplacement interne.35 Il s’agit de personnes ayant fui leur maison dans des zones affectées par la crise pour séjourner chez des parents ou des amis dans des parties plus sécurisées de Bujumbura ou ailleurs dans le République du Burundi, Communique du Gouvernement, 8 mai 2015. Consultable sur : http://www.burundi-gov.bi/spip.php?article3942 34 Interaction avec un représentant d’une organisation humanitaire internationale, Bujumbura, 12 décembre 2015. 35 Ibid. 33 23 pays. Selon les informations reçues par la Délégation, les déplacements internes comprenaient aussi des personnes qui étaient allées se cacher par crainte d'attaques des Imbonerakure ou des forces de sécurité. D’autres rapports ont également confirmé l’existence de déplacements internes.36 3.2 Violations des droits de l’homme et autres exactions suite au coup d’État manqué du 13 mai 2013 – phase de radicalisation 59. Un premier tournant décisif dans l’aggravation de la crise est atteint le 13 mai 2015. Alors que le Président se trouvait à Arusha pour participer à une rencontre régionale, des éléments des forces de sécurité burundaises ont déclenché un coup d’État militaire. Un groupe d’officiers supérieurs de l’armée et d’officiers de police dirigé par le Major Général Godefroid Niyombare, ancien Directeur des SNR, a annoncé sur les stations de radio privées qu’ils ne reconnaissaient plus le Président comme Chef de l’État et que le gouvernement était dissout. L’Union Africaine (UA), la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE), la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL) et les Nations Unies ont condamné la tentative de coup d’État. 60. Le coup d’État a aggravé une situation déjà difficile en termes de sécurité et des droits de l’homme. Il a provoqué deux journées de combat entre ses conspirateurs et les soldats restés loyaux au Président . Par suite de l’effondrement de la loi et de l’ordre, causé par le coup d’État, une grande diversité d’actes de violence et de violations a été également rapportée. Suite à ces deux journées d’affrontements, les autorités burundaises ont rapporté que 12 meneurs du coup d’État avaient été tués, 35 blessés, que 40 d’entre eux s’étaient rendus et que 9 autres avaient été arrêtés, dont un général et deux commissaires de police. Au moins deux personnes manifestant en faveur du coup d'État auraient également perdu la vie.37 Différents établissements, dont des commissariats de police, une prison, des locaux de presse et un hôpital ont fait l'objet d'attaques. 61. Certains actes de violence étaient politiquement orientés. Les médias ont été parmi les plus affectés par ces violations. La Radio-Télévision nationale Refugees International, You are with us or against us: Persecution and displacement in Burundi, 18 novembre 2015 http://static1.squarespace.com/static/506c8ea1e4b01d9450dd53f5/t/564bf6e9e4b0b8eacea88 098/1447819007352/Persecution+and+Displacement+in+Burundi 37 (BBC, 13 mai 2015) 36 24 burundaise, RTNB, a été l’un des sites majeurs d’affrontements entre les putschistes et les forces loyalistes qui lui ont causé de graves dommages. Radio Rema FM, une station proche du parti au pouvoir, a été attaquée. Les locaux de la Radio publique africaine (RPA), de Radio Bonesha, de Radio Isanganiro et de Radio-Télévision Renaissance ont également été saccagés. Bien que ces radios aient déclaré que les putschistes les avaient contraintes à annoncer le coup d’État, le gouvernement, pour sa part, les a accusées d’avoir collaboré avec eux.38 62. La situation des droits de l’homme s’est détériorée encore davantage lorsque le coup d’État a été déjoué. Des représailles contre les personnes soupçonnées d’avoir participé au coup d’État ont été rapportées. Des exécutions brutales et l’enlèvement de soldats blessés favorables au coup d’État dans l’hôpital de Bumerec ont également été rapportés. Le 15 mai 2015, l’hôpital a été brièvement le théâtre d’échange de tirs entre les forces insurrectionnelles et les forces loyalistes.39 Le 22 mai, une attaque à la grenade sur le marché central de Bujumbura a causé la mort de deux personnes et en a blessé de nombreuses autres. 63. Le 23 mai, un dirigeant politique de l'opposition, Zedi Feruzi, de l’Union pour la paix et le développement (UPD) - Zigamibanga, était assassiné avec son garde du corps. Cet événement était révélateur d’un schéma troublant d’assassinats à motivation politique et les attaques qui s’en sont suivies ont été révélatrices d’une nouvelle dimension du conflit, en particulier suite à la victoire électorale du gouvernement à l’issue des élections nationales de juillet 2015. 64. Le gouvernement a déclaré une interdiction générale des manifestations et les forces de sécurité ont menacé de tirer sur les manifestants. Bien que les manifestations aient repris le 18 mai dans les quartiers de Cibitoke, Musaga, Nyakabiga et Bwiza de Bujumbura, en défiant le gouvernement, la radicalisation croissante et les violentes confrontations qui en ont résulté n’ont pas seulement réduit le nombre de manifestations mais ont contraint de nombreux habitants à fuir les zones où se déroulaient ces manifestations. Le lundi matin (8 juin) la police a ouvert le feu à balles Rencontre avec des représentants du gouvernement et conversation sur Skype avec le Responsable de la RPA. 39 Selon un rapport, alors qu’un policier loyaliste était gravement touché et mourait sur le porche des urgences, un soldat putschiste était touché à la tête et mourait et trois putschistes blesses étaient emmenés. http://www.ibtimes.co.uk/burundi-government-kills-kidnapsfighters-hospital-where-they-were-treated-claims-doctor-1501707 38 25 réelles dans le quartier de Mutakura, selon des sources locales. En revanche, aucune manifestation n’a été rapportée dans d’autres zones comme Ngagara et Cibitoke. 65. Après l’interdiction de manifestations déclarée par le gouvernement, les forces de sécurité se sont livrées à de nombreuses arrestations de personnes soupçonnées d’avoir participé aux manifestations et de s’être opposées au troisième mandat. Le 1er juin, il a été rapporté qu’une centaine de personnes avaient été arrêtées dans la province centrale de Gitega et que deux personnes auraient été gravement blessées par balles.40 Les forces de sécurité ont entrepris une campagne similaire d’arrestations, en particulier sur les lieux les plus courants de manifestations, tels que les quartiers Musaga et Buterere de Bujumbura. La Délégation a été informée que quelque 470 personnes se trouvaient en détention en relation avec les manifestations et les émeutes d’avril et mai 2015.41 66. La menace d’être arrêtés n’était pas la seule à laquelle les manifestants étaient confrontés. Suite à leur arrestation, ils ont également fait l’objet d’actes d’intimidation et de violence. Comme indiqué dans un rapport des Nations Unies, la plupart des personnes arrêtées ont été soumises à des actes de torture et à des traitements cruels, inhumains et dégradants de la part d’agents de la sécurité (essentiellement de la police et des renseignements).42 La Commission nationale des droits de l’homme du Burundi a informé la Délégation que certains des cas allégués de torture et de mauvais traitements avaient fait l’objet d’enquêtes et avaient été confirmés.43 67. Les médias et les journalistes ainsi que les membres de la société civile ont assisté à des niveaux croissants de restrictions telles que l'interdiction totale des manifestations et des attaques en représailles pour tous les côtés.44 Tous les médias ayant diffusé l’annonce du coup d’État, Bonesha, http://www.ibtimes.co.uk/burundi-hundreds-dissidents-arrested-nkurunziza-carrys-outrelentless-crackdown-1504516 41 Rencontre avec la Commission nationale des droits de l’homme du Burundi, 12 décembre 2015. 42 Rapport du Secrétaire Général sur le Burundi (juillet 2015) http://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/N1520456.pdf 43 Rencontre avec la Commission nationale des droits de l’homme du Burundi, 12 décembre 2015. 44 Rencontre avec la Commission nationale des droits de l’homme du Burundi, 12 décembre 2015. Le Responsable de la Commission a insisté sur la nécessité d’éviter de bâillonner les médias et sur l’importance de rouvrir les maisons de presse fermées à la suite du coup d’État. 40 26 RPA, Renaissance, Rema et Radio Isanganiro, sont restés hors antenne. 45 Selon la Commission nationale des droits de l'homme du Burundi, cinq stations de radio, y compris la station de radio d’État, ont été mises à sac et gravement endommagées.46 Selon un rapport des Nations Unies, la nuit du 13 mai, des soldats armés, en réaction au coup d’État en cours, ont attaqué avec des grenades et des mortiers les quatre stations de radio et de télévision indépendantes : RPA, Radio Isanganiro, Radio Benesha FM et Radio Renaissance.47 68. Dans le sillage du coup d’État déjoué, les journalistes de ces médias ont été contraints de fuir le pays par crainte de représailles,48 pour nombre d’entre eux vers le Rwanda voisin et pour d’autres à destination de la Belgique. La Délégation a été informée qu’il y aurait plus de 100 professionnels des médias en exil et que d’autres se seraient cachés dans le pays, par crainte pour leur vie.49 Les attaques des médias et les sévices contre les journalistes ont gravement affecté le paysage médiatique du pays.50 69. Outre le coup d’État déjoué et l’insécurité générale créée par la crise, les craintes de violence ethnique et les rumeurs de risques de projets génocidaires sont devenus les facteurs incitant le plus à fuir se réfugier dans les pays voisins. Si les souvenirs des violences passées et de la guerre civile ayant dressé les Tutsis contre les Hutus continuent d’influer sur la perception qu’ont les citoyens de la crise, une grande partie de l’insécurité généralisée et de la crainte de récurrence de conflits ethniques est imputable aux rumeurs qui se propagent dans le pays.51 Selon le HCR, Le nombre de personne fuyant le pays a eu pour effet le déversement de À cet égard et pour un témoignage de l’expérience personnelle d’un journaliste burundais, voir Bernard Bankikura, épreuves et tribulations liés aux rapports sur le conflit burundais, accessible sur http://www.afrikareporter.com/trials-and-tribulations-of-reporting-theburundian-conflict/ 46 Bujumbura, 12 décembre 2015. 47 Bujumbura, rencontre avec des représentants d’organisations de la société civile et réunion sur Skype avec un journaliste, responsable de la RPA ayant fui le pays par crainte pour sa sécurité personnelle. 48 Rencontre avec la Commission nationale des droits de l’homme du Burundi, 12 décembre 2015. 49 Bujumbura, rencontre avec des représentants d’organisations de la société civile et réunion sur Skype avec un journaliste, responsable de la RPA ayant fui le pays par crainte pour sa sécurité personnelle. 50 Ibid. 51 À deux occasions au moins, la Délégation a reçu des informations sur la manière dont Bujumbura croule sous les rumeurs et dont les Burundais ont tendance à exagérer. Rencontre avec le Maire et les responsables des différents quartiers de Bujumbura, Bujumbura. 45 27 58 000 nouveaux réfugiés burundais en Tanzanie en juin, 62 % d’entre eux étaient des enfants. 3.3 Violations des droits de l’homme et autres exactions entre la période des élections et la conclusion de la visite de la Délégation au Burundi – phase de militarisation et d’escalade 70. Malgré les appels d’organes régionaux et internationaux de report de la date des élections, cette date n'a été fixée qu'avec des ajustements mineurs. Bien que le calendrier électoral ait été ajusté à plusieurs occasions, c’est après le communiqué de la CAE du 31 mai qui demandait le report de la date des élections, que la dates pour les élections communales et législatives ont été fixées au 29 juin, au 15 juillet pour l’élection présidentielle, date ultérieurement repoussée au 21 juillet, et au 24 juillet pour les sénatoriales. 71. Le processus électoral, en particulier la campagne et le vote, a créé sa propre dynamique qui a aggravé les manifestations en donnant de nouvelles dimensions à la crise et aux violations des droits de l'homme. La campagne électorale et le processus de vote ont été gravement entravés par différents actes de violence. Les leaders et les candidats de l’opposition et leurs partisans ont fait l’objet de manœuvres d’intimidation et de harcèlement, notamment par des arrestations arbitraires de la part des forces de sécurité du gouvernement. Entre le 25 avril et le 8 mai, le HCDH a rapporté que 16 membres du MSD et partisans du FNL d’Agathon Rwasa ont été arrêtés et détenus pour « insurrection ».52 Le 23 mai, 10 membres d’Abibenga Mizero y’Abarundi, y compris des candidats, ont été arrêtés dans la province de Ngozi. Au fur et à mesure de l’approche de la date des élections, 17 partis d’opposition dont le FRODEBU, ont déclaré le 26 juin leur intention de boycotter les élections aux motifs d’actes d’intimidation et de l’impossibilité de « jouer à armes égales ». 72. Les manifestations et les émeutes ont diminué mais, le 5 juin dans le quartier de Musaga de Bujumbura, alors que des personnes tentaient d'organiser une manifestation, un manifestant a été tué par balles quand la police a ouvert le feu. Au moment où la police a commencé à user de balles réelles, ces manifestants ayant recours aux actes de violence tels que 52Rapport du Secrétaire Général sur le Burundi http://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/N1520456.pdf (juillet 2015) 28 le jet de pierres, ne constituaient pas le type de danger immédiat qui nécessite le recours à l’utilisation d’armes à feu. 73. Un développement notable de ce stade de la crise a été la plus grande fréquence d'attaques à la grenade. Trois personnes ont été blessées le 18 juin lors d'une attaque à la grenade au centre de Bujumbura. Le 20 juin, une série d’attaques à la grenade de commissariats de police dans la banlieue de Bujumbura a fait 11 blessés dans les rangs de la police. Le même jour, une attaque similaire d'une école a blessé un jeune garçon âgé de 15 ans. Lors de l’attaque la plus mortelle, le 22 juin, une attaque à la grenade d’un bar à Ngozi, ville natale du Président située dans le nord du pays, quatre personnes ont été tuées et 27 autres blessées. Lors d’une attaque similaire, le 25 juin dans la province de Bubanza, cinq personnes ont été blessées. Le 27 juin, des personnes non identifiées ont attaqué et brûlé des urnes et des isoloirs dans le quartier nord de Ntega. Dans les banlieues de Jade et de Kanyosha de Bujumbura, deux attaques séparées ont causé la mort de deux civils et d’un policier. 74. L’UNICEF a déclaré que parmi les populations civiles victimes des coups de fusil l’on a commencé à dénombrer des enfants. L’Agence des Nations Unies a rapporté, en début juillet, que huit enfants dont un âgé de quatre ans, avaient été tués depuis le début des manifestations à la fin du mois d’avril 2015. Témoignage de l’usage arbitraire de la force dans la crise en cours au Burundi, la plupart d’entre eux ont été tués par balle ou sont morts des suites de blessures causées par des balles. 75. Cette escalade de la violence a considérablement affecté la capacité des Burundais à exercer nombre de leurs droits eu égard aux élections générales. Plus notablement, de nombreux Burundais n’ont pas pu exercer leur droit de citoyen de participant à la gestion des affaires du pays ; notamment à travers se présenter comme candidats ou, d’une importance particulière, en pouvant déposer un bulletin de vote en faveur des candidats de leur choix. Cela peut être constaté au vu de la faible participation électorale à Bujumbura. 76. De même, l’insécurité croissante signifie que les personnes ne pouvaient poursuivre leur vie de chaque jour en paix et sans crainte. C’est ainsi qu’entre les attaques à la grenade et les attaques en représailles des forces de sécurité, augurant d’autres violences durant les élections, le nombre de personnes fuyant le pays a considérablement décuplé. Selon le Haut29 Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR), les réfugiés avaient atteint le nombre de 127000 le 26 juin. Un autre pic fut atteint le 30 juin avec le flux de réfugiés de 144000 personnes, toutes dans l’incapacité de participer aux élections et donc, d’exercer leur droit de vote à égalité avec les autres. 77. Bien que les élections parlementaires se soient déroulées dans des conditions de relative stabilité, la situation sécuritaire a continué à se détériorer durant le mois de juillet. En effet, la militarisation et l’escalade de la violence sont devenues la marque de la période allant de juillet à décembre 2015. Le 1er juillet 2015, suite au lancement de grenades sur des soldats en patrouille dans la banlieue de Cibitoke de Bujumbura, les soldats ont tiré en direction de leurs attaquants et ont tué cinq personnes. Un soldat est certes mort des suites de l’attaque à la grenade mais, parmi les cinq victimes des tirs de soldats, se trouvaient aussi un père et ses deux fils adolescents. 78. La pratique de l’arrestation et la torture des membres soupçonnés d’appartenir à l’opposition ou faire partie des groupes attaquant les forces de police a enregistré également un pic comparable à celui de la violence. Le 7 juillet, le rapport du Secrétaire Général des Nations Unies sur la mission d'observation des élections au Burundi faisait état de « quelque 307 personnes arrêtées dont 14 mineurs. La plupart des personnes arrêtées ont été soumises à des actes de torture et à des traitements cruels, inhumains et dégradants de la part d’agents de la sécurité (essentiellement d’agents de la police et du renseignement) ».53 Les détenus n’ont pas été informés des accusations dont ils faisaient l’objet ni de leurs droits et n'ont pas été attraits rapidement devant une juridiction de droit. La Délégation a confirmé que nombre d’entre eux sont restés en détention pendant trois mois ou davantage sans inculpation. Selon la Commission nationale des droits de l’homme du Burundi, deux facteurs expliquent la détention prolongée des personnes arrêtées lors des manifestations. 54 Le premier était la suspension par les donateurs, notamment de la part de la Belgique, de l’appui technique au secteur de la justice. Le second, sans doute, était la complexité du traitement des enquêtes du fait de la difficulté de déterminer qui avait fait quoi dans une situation de manifestations et d'émeutes de masse. Rapport du Secrétaire Général sur la Mission d’observation des élections des Nations Unies au Burundi, 7 juillet 2015, 54 Bujumbura, 12 décembre 2015. 53 30 79. Malgré les plaintes pour différentes violations, le gouvernement n'a pas mené d'enquête ou engagé de poursuites ou bien alors il a réagi avec lenteur et de manière inadéquate. Bien que d’aucuns mettent en doute l’existence de la volonté et la capacité à mener de façon effective des poursuites judiciaires, la Délégation a été informée par de hauts fonctionnaires du gouvernement que les enquêtes sont en cours. 80. La Délégation a appris que l’institution de sécurité la plus redoutée, les SNR, communément connus aussi sous l’appellation de « Documentation », dispose non seulement de son propre centre de détention qui est juridiquement discutable, mais se voit aussi reprocher un grand nombre d'actes violents commis dans ce centre de détention. C’est dans ce lieu et dans les centres de détention de la Police judiciaire que la plupart des bastonnades et autres actes de violence sur des détenus ont été rapportés.55 Les actes violents sont les tabassages réguliers, la mise de force des doigts des détenus dans des prises électriques et des brûlures sur le corps à l’eau acide. Des actes de torture et des mauvais traitements similaires ont été rapportés dans le centre de commandement des opérations de la police, connu également sous l’appellation « Chez Ndadaye », à Bujumbura. 81. Les arrestations généralisées auxquelles ont procédé les agences du gouvernement chargées de l’application de la loi pendant la crise, ciblant les quartiers de l’opposition, ont également créé des conditions qui ont compromis les conditions de détention et le fonctionnement du système de justice pénale.56 Si un certain nombre de détenus ont été libérés, notamment les enfants, ceux qui sont restés en détention n’ont pas eu la possibilité de se défendre ni d’avoir leur cause entendue devant une juridiction de droit sans retard anormal. 57 82. L’un des développements les plus inquiétants a été lorsque des groupes armés composés des soldats ayant fait défection après la tentative de coup d’État du 13 mai ont commencé à se livrer à de violents affrontements avec l’armée burundaise. Le 10 juillet 2015, au cours de ces incidents, le premier Selon le Responsable de la Commission nationale des droits de l’homme du Burundi, « aucune allégation similaire n’a été avancée dans les prisons ordinaires ». Bujumbura, 12 décembre 2015. 56 Ibid. 57 La Délégation a été informée que les cours et tribunaux ont fait preuve d’une extrême lenteur dans le traitement des cas des personnes détenues au cours de la crise. Bujumbura, 12 décembre 2015, rencontre avec la Commission nationale des droits de l’homme du Burundi. 55 31 du genre, un nombre important d’individus armés aurait attaqué un camp militaire et affronté l’armée burundaise dans la Province de Kayanza, non loin de la frontière avec le Rwanda. Le lendemain, des affrontements similaires ont eu lieu dans la province de Cibitoke. Il a été rapporté que plusieurs personnes ont été tuées et plus de 100 autres arrêtées au cours de ces affrontements. Selon l’UNICEF, il y avait 51 enfants parmi les personnes arrêtées et accusées de « participation à des groupes armés », suite aux affrontements dans la province du nord de Kayanza. 83. Dans la nuit du 20 au 21 juillet 2015, le jour de la tenue de l’élection présidentielle, des coups de feu et des explosions auraient eu lieu à Bujumbura. Un policier et un militant du MSD ont été tués au cours d’un de ces violents affrontements dans le quartier de Nyakabiga, à Bujumbura. Le 22 juillet, des individus soupçonnés être des membres des Imbonerakure ont lancé des grenades et tué Emmanuel Ndereyimana, un membre de l’opposition FNL qui organisait des manifestations pour s’opposer à la candidature du Président à un troisième mandat. 84. À la fin du mois de juillet, le parti au pouvoir avait remporté les élections législatives avec 77 sièges sur les 100 du Parlement et le Président avait remporté l’élection présidentielle avec 69 % des voix. La fin de la période électorale n’a toutefois pas mené à une période de stabilité et à la fin de la violence et des violations des droits de l’homme. Un développement majeur reflétant l’escalade de la violence et de la militarisation de la crise s’est manifesté sous la forme d’un cycle d’assassinats et de tentatives d’assassinats des deux côtés de la fracture politique qui s’est accentuée au début du mois d’août 2015. 85. Au cours d’une attaque audacieuse intervenue le 2 août, au cœur des services de sécurité du gouvernement, le Général Adolphe Nshimirimana, chargé de la sécurité personnelle du Président Nkurunziza, a été tué ainsi que trois gardes du corps, lors d’une attaque à la roquette dans son quartier résidentiel de Kamenge, à Bujumbura. La Délégation a été informée que cet assassinat d’un commandant supérieur Hutu répondait à une stratégie visant à créer une division dans les institutions sécuritaires sur des considérations ethniques et à plonger la situation dans un cycle de violence ethnique.58 Un journaliste burundais était parmi les personnes arrêtées sur les lieux de l’incident et les membres des Services nationaux 58 Bujumbura, 11 décembre 2015. 32 de renseignement l’ont roué de coups pendant deux heures avant de le relâcher. Le lendemain, un éminent défenseur des droits de l’homme, Pierre-Claver Mbonimpa, Président de l’Association pour la protection des droits de l’homme et des personnes détenues, a échappé de justesse à une tentative d’assassinat. Le 15 août, Jean Bikomagu, Chef d’état-major des forces armées du Burundi de 1993 à 1996, a été assassiné par des individus armés à moto qui lui ont tiré dessus alors qu’il revenait de l’église. Sa fille a été grièvement blessée par les coups de feu mais elle a survécu à ses blessures. Le 18 août, quatre partisans du parti au pouvoir ont été abattus dans un bar situé dans le quartier instable de Musaga. Le 22 août, le politicien Pontien Barutwanayo, membre de l’opposition, était tué. Le 11 septembre, le Chef d’état-major, Prime Niyongabo, a échappé de justesse à une embuscade. Sept de ses gardes du corps ont été tués. 86. Entre temps, l’éclatement de tirs et d’explosions était devenu monnaie courante et des incidents de violence se sont également concentrés dans des quartiers de Bujumbura, théâtres courants d’émeutes et de manifestations. Au cours de trois attaques distinctes perpétrées le 2 août 2015 à Cibitoke, à Bubanza et à Buringa, trois policiers et deux civils auraient été tués. Le 6 août, deux corps présentant des signes apparents de torture ont été retrouvés dans un caniveau à Buterere. La police a tiré et tué deux personnes et en a blessé une à Cibitoke. Dans une nouvelle vague d’affrontements entre les forces de sécurité et des éléments armés dans les quartiers dits « contestataires » de Bujumbura et qui est devenue commune les mois suivants, de violents combats ont été signalés le 9 août à Jabe et à Cibitoke, au cours desquels au moins un agent de police aurait été blessé. 87. Avec la nouvelle tendance aux affrontements entre les forces de sécurité et des individus non identifiés lançant des grenades, les attaques des membres de l’opposition, les arrestations arbitraires ainsi que les homicides et abus se sont poursuivis tout au long du mois de septembre. Le 7 septembre, un membre de l’opposition, M. Patrice Gahungu, porteparole de l’Union pour la paix et le développement (UPD) a été attaqué et tué à Bujumbura. Les 15 et 16 septembre, quelques 100 jeunes hommes ont été arrêtés. 88. Outre la vague d’attaques à la mitrailleuse, à la roquette et à la grenade, presque quotidiennes, sur Bujumbura, il y aurait également eu tout au long du mois de septembre, un certain nombre d’attaques contre des 33 postes de police et des camps militaires, indiquant ainsi l’émergence d’une nouvelle rébellion armée. L’un de ces incidents a été l’attaque d’un camp militaire le 8 septembre à Kiyenzi. Des armes lourdes auraient été utilisées au cours de cette attaque. Le 27 septembre, des obus de mortiers ont été tirés sur le palais présidentiel. 89. Dans les quartiers dits « contestataires » de Bujumbura, qui ont été le théâtre de la plupart des incidents violents, des affrontements pendant la nuit et la découverte de cadavres dans les rues sont également devenus monnaie courante au cours des mois suivants. Il a été rapporté que des cadavres retrouvés dans la matinée étaient abandonnés dans les fossés ou en bordure des routes. Le 3 octobre, à la suite de fusillades et d’explosions dans différents quartiers de Bujumbura, environ huit personnes ont été retrouvées sans vie. Rémy Barampama, le chef du district de Ntahangwa, a déclaré aux journalistes que « huit personnes avaient été tuées, six dans le quartier de Cibitoke et deux dans le quartier de Mutakura. Des policiers ont également été blessés ».59 S’agissant d’un schéma récurrent d’exécutions sommaires, dans de nombreux cas, les personnes étaient tuées par balles tirées à bout portant, avec souvent les mains liées, comme ce fut le cas pour ceux qui ont été tués à Mutakura et à Cibitoke. Certains des meurtres, par exemple lorsque des parties du corps de la victime ont été découpées, révèlent un degré de cruauté chez leurs auteurs et un mépris total du caractère sacré de la vie humaine. 90. Les détentions arbitraires et les attaques contre des civils sont certains des cas de violations des droits de l’homme accompagnant la violence. Le HCDH a rapporté 134 morts, plus de 90 cas de torture et des centaines d’arrestations et de détentions arbitraires depuis le début de la crise, dont 704 arrestations pendant le seul mois de septembre. Par ailleurs, près de 55 cas d’exécutions sommaires auraient été enregistrés au cours du mois d’octobre 2015. 91. Le 14 octobre, les représailles qui ont suivi l’attaque à la grenade contre la police ont causé la mort de sept personnes. Après l’attaque contre les forces de sécurité, la police en charge de la protection des institutions – connue sous le nom d’API – a fait une descente dans le quartier Ngagara 59http://www.reuters.com/article/us-burundi-politics- idUSKCN0RY0PL20151004?ct=t%28RtoP_Weekly_1_5_June_20156_1_2015%29 34 où elle s’est mise à tirer aveuglément.60 Dans le processus, un journaliste cameraman de la chaîne Radiotélévision Nationale du Burundi (RTNB) nommé Christophe Nkezabahizi a été abattu ainsi que les trois membres de sa famille, après les avoir forcés à sortir de leur maison. Concernant les circonstances entourant le meurtre du journaliste et de sa famille, un récit complet, étayé par de nombreux autres, a expliqué que les agents de police « ont ordonné au caméraman âgé de 58 ans de sortir dans la rue où il a été exécuté devant sa femme, ses deux enfants et un neveu ».61 Ils ont ensuite tué sa femme ainsi que ses deux enfants et son neveu, « chacun d’une balle dans la tête ».62 Outre le journaliste et sa famille, dix autres personnes ont été tuées au cours de cet incident. La Commission nationale des droits de l’homme a informé la Délégation que la police avait commis des exécutions extrajudiciaires, en représailles aux attaques contre les policiers et qu’elle soupçonne que l’attaque présumée contre la police a eu lieu dans la maison du journaliste.63 92. Après sa disparition, le 16 octobre 2015, dans des circonstances extrêmement suspectes, Charlotte Umugwaneza, une militante du parti d’opposition Mouvement pour la solidarité et le développement (MSD) de Cibitoke, a été retrouvée morte dans la rivière Gikoma, décès confirmé le 18 octobre par le porte-parole des forces de sécurité. Dans l’affrontement qui a suivi des attaques à la grenade et à la mitrailleuse contre des forces de sécurité à Bujumbura, un civil a été tué et sept policiers, deux soldats et trois civils ont été blessés. 93. Au cours des mois suivants, des corps ont souvent été découverts dans des endroits autres que ceux où ils avaient été tués. Le 1er décembre, des résidents ont découvert trois corps à Mutakura, mais n’ont pas vu de sang frais à proximité. Les résidents pensent que les victimes ont été tuées la nuit précédente, lors de fusillades et d’explosions dans le quartier voisin de Kinama, et qu’elles ont ensuite été traînées jusqu’à Mutakura. Le 2 décembre, quatre corps décapités ont été retrouvés dans la zone Dans une diffusion de la radio-télévision nationale RTNB, le porte-parole adjoint de la police, Pierre Nkurikiye, a déclaré que deux agents avaient été kidnappés par des « criminels » aux environs de 15 heures et qu’on leur avait passé les menottes ; l’un deux a été tué et l’autre gravement blessé. 61 http://foreignpolicy.com/2016/01/15/the-last-paper-in-burundi-press-freedomiwacu/?utm_content=buffer9bbf3&utm_medium=social&utm_source=twitter.com&utm_ca mpaign=buffer 62 Ibid. 63 Bujumbura, 12 décembre, rencontre de la Délégation avec le personnel de la Commission. 60 35 Ntahangwa de Cibitoke. L’on pense que l’exécution est survenue dans une autre zone de Bujumbura. 94. Dans un cycle continu d’attaques criminelles violentes contre la police par des personnes non identifiées et des meurtres encore plus violents commis par la police, en guise de représailles, un garçon de 9 ans, Jésus Nkurunziza, qui vivait dans le quartier de Cibitoke, a été tué le 5 décembre par la police qui avait commencé à tirer aveuglément, après avoir été la cible d’une grenade. Au cours d’un incident similaire, le 9 décembre, la police a tué cinq personnes dans le même quartier. 95. Lors de cet incident qui a eu lieu dans la 15 ème Avenue de Cibitoke, une patrouille de police a fait irruption dans une maison et tiré à bout portant sur cinq hommes après les avoir sortis de force de la maison et dont elle a ensuite abandonné les corps dans la rue. Selon un rapport des médias, M. Pierre Nkurikiye, porte-parole adjoint de la police burundaise, a déclaré à l’AFP : « Les cinq personnes tuées mercredi faisaient partie d’un groupe d’insurgés qui ont lancé, tôt le matin, deux grenades contre des policiers dans le quartier de Cibitoke en en blessant deux, dont un grièvement ».64 96. Outre l’accroissement évident du niveau de brutalité des deux parties au conflit, la Délégation a été également informée de l’assassinat très brutal, le 3 décembre 2015, de Jacqueline Hakizimana, membre des Imbonerakure, l'aile jeune du parti au pouvoir. Selon les rapports reçus par la Délégation, elle aurait été violée et assassinée, sa langue coupée et ses yeux crevés, alors qu’elle sortait d’un bar à Musaga. 97. L’un des rapports examinés par la Délégation concernait les mesures du gouvernement ciblant des membres et des organisations de la société civile. La plus remarquable de ces mesures concerne la décision du gouvernement de fermer 10 importantes organisations de la société civile. Les mesures contre ces organisations ont commencé lorsque le Procureur général a ordonné le gel de leurs comptes bancaires. Puis, le Ministre de l’Intérieur a pris la décision de fermer ces dix organisations. Les motifs, tels qu’énoncés dans la décision informant la fermeture des OSC et communiquée à la Délégation par le Ministre de l’Intérieur, sont la réception de fonds de sources occidentales et leur utilisation contre le gouvernement, la direction et l’organisation de manifestations et 64http://www.ibtimes.co.uk/burundi-witnesses-say-police-shot-prisoners-point-blank- cibitoke-district-1532549 36 d’émeutes et la collaboration avec les comploteurs de la tentative de coup d’État du 13 mai. 65 98. De l'avis de la Commission nationale des droits de l'homme, qui a conseillé au gouvernement d'éviter de procéder à la fermeture générale et collective des principales organisations de la société civile, ces institutions avaient été pénalisées pour des actions menées individuellement par certains de leurs membres.66 Compte tenu du fait que de nombreux Burundais ont recours à ces institutions pour obtenir gain de cause et des réparations, leur fermeture a créé un immense vide.67 99. L’attaque armée la plus soutenue et la mieux coordonnée du 11 décembre et la campagne de massacres qu'elle a provoquée au moment où la Délégation se trouvait à Bujumbura marque un point fort de la spirale ascendante de la violence et de l’escalade des violations des droits de l’homme au Burundi. Dès les premières heures du 11 décembre, de violents affrontements ont éclaté, avec des échanges de coups de feu et de fortes explosions. Contrairement aux affrontements antérieurs, ceux du 11 décembre se sont prolongés jusque tard dans l’après-midi. Lors de la rencontre avec les Ministres de l’Intérieur, de la Défense et de la Justice, plus tard dans la journée, la Délégation a été informée que ces affrontements étaient dus à l’attaque lancée par des groupes armés contre trois postes militaires à Bujumbura. D’autres rapports ont confirmé que des hommes lourdement armés avaient attaqué quatre postes militaires : l’Institut supérieur des cadres militaire (ISCAM), le camp militaire de Ngagara, le Camp de base de Musaka et le Camp militaire de Kamuha. Bien que le Ministre de la Sécurité publique ait informé la Délégation, à la fin de la journée, que 12 insurgés avaient été tués et 21 autres arrêtés, il est apparu le lendemain que le nombre de personnes tuées était en fait beaucoup plus élevé. Le lendemain, le porte-parole de l’armée burundaise a déclaré : « le bilan définitif des attaques d’hier est de 79 ennemis tués, 45 capturés et de 97 armes saisies. » 100. La plupart des assassinats ont eu lieu après la fin des affrontements effectifs avec les hommes armés et ont affecté essentiellement les quartiers dits contestataires de Nyakabiga, Musaga, Mutakura, Cibitoke, Jabe et Rencontre avec le Ministre de l’Intérieur, 13 décembre 2015 ; voir liste des organisations suspendues et l’ordonnance de suspension en annexe. 66 Bujumbura, 12 décembre 2012. 67 Rencontre avec des représentants d’organisations de la société civile et des représentantes de femmes. 65 37 Ngagara, et certaines des personnes tuées se trouvaient loin de l’endroit où les combats ont eu lieu. Alors que le gouvernement a affirmé que les assassinats ont eu lieu alors que les forces de sécurité étaient à la poursuite d’attaquants au cours « d’opérations de nettoyage » en procédant à des cordons de police, des fouilles et des arrestations,68 selon divers témoignages et rapports, la plupart des assassinats ayant ciblé des jeunes hommes s’inscrivaient dans la cadre d’une campagne d’élimination des personnes soupçonnées être des membres ou des sympathisants de l’opposition.69 La plupart ont été abattus à bout portant après avoir été extraites de force de leurs maisons au cours des fouilles effectuées porte-àporte. Alors que l’accès à ces quartiers était totalement fermé aux acteurs humanitaires, notamment à la Croix-Rouge,70 les cadavres des personnes tuées ont été retrouvés le 12 décembre dans les rues, dans des fossés et dans la rivière Ruzizi. La Délégation a également reçu des rapports non confirmés de fosses communes dans un cimetière catholique à Kanyosha, à la Mairie de Bujumbura et dans un cimetière de Mpanda.71 101. Une victime qui recevait un traitement médical a déclaré à la Délégation, le 12 décembre, qu’alors qu’il se rendait dans un hôpital avant d’aller au travail, deux policiers et deux civils l’ont arrêté à Mutakura, tôt dans la matinée du 11 décembre. La victime qui a déclaré travailler comme chauffeur a expliqué à la Délégation qu’après avoir indiqué aux agents de sécurité qu’il n’avait pas beaucoup d’argent sur lui, ces derniers lui ont tiré dessus ainsi que sur un autre homme qu’ils avaient arrêté lorsqu’ils se sont mis tous les deux à courir pour échapper aux deux policier et à laux agents de sécurité en civil. Selon la victime, l’autre homme est décédé des suites de ses blessures, et lui-même a été blessé à la jambe. 102. Bien que la Délégation n’ait pas pu établir l’ampleur et la nature des violations perpétrées lors des événements du 11 décembre, elle a toutefois appris, à partir de rapports ultérieurs, qu’outre leur importance, de nouvelles formes de violations avaient été constatées. Selon le HautCommissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, outre une forte augmentation des cas de disparitions forcées et de torture, des informations ont été obtenues sur 13 cas de violence sexuelle au cours des Bujumbura, 11 décembre 2015. Bujumbura, 12 décembre 2015. 70 Observations de la Délégation et récits de représentants d’organisations humanitaires et d’organisations de la société civile. 71 Bujumbura, 12 décembre 2015. 68 69 38 fouilles, des arrestations et des soi-disant « opérations de nettoyage ». Comme l’a déclaré le Commissaire, « les forces de sécurité seraient entrées dans les maisons des victimes, auraient séparé les femmes de leur famille et les auraient violées et il y aurait même eu des viols en bandes dans certains cas ».72 103. À partir du 11 décembre, l’attention de la Délégation a également été attirée par un certain nombre de rapports sur des cadavres de personnes exécutées sommairement au cours des « opérations de nettoyage » et qui ont été enterrés dans des fosses communes. Indiquant le nombre important de personnes tuées et la gravité des massacres, la Délégation a appris d’un certain nombre de rapports l’existence d’au moins neuf fosses communes à Bujumbura et ses environs.73 72http://www.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=16953&Lan gID=E 73 Ibid. ; Rapport d’Amnesty International, Burundi: Suspected mass graves of victims of 11 December violence (16 janvier 2016) ; Rapport de la BBC, Burundi attacks: ‘Mass graves’ found after clampdown (8 janvier 2016). 39 QUATRIEME PARTIE : ANALYSE ET CONCLUSIONS DE LA COMMISSION AFRICAINE 104. La crise au Burundi a commencé le 26 avril 2015 avec le début des manifestations contre la candidature du Président à un troisième mandat, estimé contraire à la Constitution du pays de 2005 et à l’Accord d’Arusha de 2000 qui est la pierre angulaire d’une décennie de paix relative au Burundi. À partir des informations recueillies lors de la mission d’établissement des faits auprès de diverses sources consultées, la Commission africaine estime que l’annonce par le parti au pouvoir de la candidature du Président à un autre mandat à l’élection Président ielle, en l'absence de consensus politique sur la constitutionnalité de sa candidature, a été le déclencheur de la crise actuelle. 105. En ce qui concerne les causes de la crise, la Commission est d’avis que l’annonce de la candidature du Président a été l’étincelle qui a mis le feu aux griefs largement ressentis par la jeunesse urbaine et provoquant la crise actuelle. Outre le passé de violence et d’impunité, les facteurs majeurs de la crise sont le chômage des jeunes, la domination réelle ou perçue du parti au pouvoir sur les institutions de l’État et le sentiment qui en découle de marginalisation d’autres acteurs politiques, la montée de la corruption et le manque de services sociaux ou leur médiocrité. 106. Compte tenu du fait que l’Accord d’Arusha avait été le fondement de la stabilité et de la paix qui avaient prévalu au Burundi les dix dernières années, la Commission africaine est également d'avis que le plein respect de l'Accord d'Arusha est au cœur de la crise actuelle. En effet, tout acte contraire à l’Accord d’Arusha, en l’absence de transparence, de consensus national et de processus de consultations inclusives, a la capacité de faire dérailler la paix dans le pays. 107. Contrairement aux cas antérieurs de violence et de conflit dans le pays, la crise actuelle ne découle pas de fractures ethniques. Cette crise est le reflet de l'affrontement entre les partisans d'un troisième mandat du Président et ceux qui s'y opposent. Comme l’a résumé un Commissaire de la Commission Vérité et Réconciliation, cette crise est le produit d’une lutte de pouvoir entre les deux camps.74 Les deux camps bénéficient de l'appui des deux communautés Hutu et Tutsi. Les cibles et les auteurs de 74 Rencontre avec les membres de la Commission Vérité et Réconciliation, Bujumbura. 40 violence dans les deux camps de la crise appartiennent aux deux groupes ethniques Hutus et Tutsis. Malgré l’escalade de la crise et les tentatives des différents côtés de lui conférer un caractère ethnique, à la fin de la mission de la Délégation, la crise demeurait essentiellement politique. 108. Si cette crise découle d'une lutte pour le pouvoir entre les partisans d’un troisième mandat du Président et ceux qui le rejettent parce qu'ils l'estime inconstitutionnel, les violations des droits de l'homme en sont la principale caractéristique. Comme documenté et discuté dans les sections précédentes, la crise en cours au Burundi se caractérise par de nombreuses violations des droits de l’homme et autres exactions. Bien que certains cas de violence rapportés aient une connotation ethnique, les violations des droits de l’homme et les autres exactions sont pour la plupart perpétrées au nom de motivations politiques. 109. La Commission africaine a établi que les deux côtés du conflit sont responsables de différentes violations des droits de l’homme et autres exactions. Les consultations avec la Commission nationale du Dialogue inter-burundais, la Commission Vérité et Réconciliation, la Commission nationale des droits de l’homme et les représentants de la société civile ont toutes fait ressortir le fait que tous les côtés ont commis des violations des droits de l’homme et autres exactions mais à des échelles différentes. Ce sont néanmoins les forces de sécurité du gouvernement qui portent la responsabilité de la plus grande partie des violations et autres exactions. 110. Le personnel sécuritaire du gouvernement et les groupes affiliés ont commis une grande diversité de violations. Non seulement ces violations ont été perpétrées à maintes reprises mais, avec le temps, elles sont devenues parties intégrantes de la réponse des forces de sécurité à la violence des expressions de l'opposition au gouvernement. Les violations sont donc devenues omniprésentes et systématiques. La manière dont les violations sont commises et la diversité de droits concernés correspondent en tous points aux violations graves et massives énoncées à l’Article 58 de la Charte africaine. Au moment où la Délégation finissait sa mission, le nombre de victimes rapportées ait était de 400 au minimum, étalé sur une période de neuf mois. Bien que ce nombre ne puisse pas être jugé important dans un contexte national plus large, la forme des violations (cadavres dans les rues et assassinats en masse le 11 décembre) et leur concentration dans les quartiers de Bujumbura prétendus être des bastions de l’opposition leur confèrent un caractère grave et massif. Les 41 conséquences de ces violations ont affecté une partie beaucoup plus importante de la société non seulement à Bujumbura, l’épicentre de l’essentiel de la violence, mais aussi dans d’autres parties du pays, causant des déplacements et des flux de réfugiés dans les pays voisins. 111. Malgré le fait que des cas de violence aient été rapportés ailleurs à Bujumbura et dans d’autres parties du Burundi, différents acteurs ont confié à la Délégation qu’un important pourcentage de cette violence s’était produit sur environ 10 pour cent du territoire du Burundi. La Commission africaine a établi que l’essentiel de la violence et des violations des droits de l’homme et autres exactions s’étaient géographiquement concentré sur environ une demi-douzaine des quartiers de Bujumbura. Selon différentes sources, notamment les informations reçues du Maire de Bujumbura et des chefs de différents quartiers de Bujumbura,75 ces quartiers sont Buisa, Buterere, Cibitoke, Jabe, Musaga, Mutakura, Ngagara et Nyakabiga. Ils comptent tous une importante concentration de membres du groupe ethnique Tutsi. 112. Un certain nombre de facteurs expliquent pourquoi ces quartiers sont devenus le principal champ de bataille de la crise actuelle. L’un de ces facteurs est qu’ils font partie des parties les plus pauvres de Bujumbura, affligées d’un grand nombre de jeunes chômeurs.76 Ce sont aussi des lieux à forte implantation des partis d’opposition.77 4.1 Analyse et conclusions sur les violations des droits de l’homme et autres exactions Droit à la non-discrimination et droit à l’égalité 113. L’Article 2 de la Charte africaine interdit la discrimination au motif notamment d’ethnie, d'opinion politique ou de toute autre opinion. Les différents actes de violence cités dans la section précédente sont des arrestations, des tabassages et l‘imposition de douleurs physiques en détention, des exécutions et des assassinats ainsi que la destruction ou la fermeture de maisons de presse, tous perpétrés contre des victimes pour leur position politique contre le troisième mandat du Président ou pour leur appartenance présumée à des groupes ayant cette position. Puisque Réunion, Bujumbura, 10 décembre 2015. Rencontre avec la Commission nationale des droits de l’homme, 12 décembre 2015. 77 Réunion, Bujumbura, 10 décembre 2015. 75 76 42 l’Article 2 interdit la privation des droits garantis en vertu de la Charte africaine au motif d’opinions politiques, la Commission africaine estime que ces actes de violence sont contraires à l’Article 2 de la Charte africaine. De même, quand des déclarations du gouvernement ou de personnalités publiques ont pour but ou pour effet d'inciter à la violence ou à la discrimination à l'égard d'individus au motif de leur appartenance ethnique, ces déclarations sont en violation de l’Article 2 de la Charte africaine. La Commission africaine estime donc que les déclarations établissant des parallèles avec la violence ethnique des années 1990 ou ayant pour effet d’attribuer la crise ou l’opposition au troisième mandat du Président à des groupes ethniques particuliers ou encore désignant des membres de la communauté Tutsi contreviennent à l'Article 2 de la Charte. 114. L’Article 3 de la Charte africaine garantit le droit à l’égalité devant la loi et à une protection égale de la loi. Ce droit est intégré dans l’Article 22 de la Constitution de 2005 du Burundi. Il implique que l’État applique les mêmes lois à tous les individus relevant de sa juridiction, de la même manière et à égalité. À cet égard, la Délégation a pris note que, si les cas impliquant l’opposition ont fait l’objet d’enquêtes et ont été portés en justice, ceux impliquant les forces de sécurité de l’État ne sont pas suivis avec une diligence similaire. Malgré les proclamations que des enquêtes soient en cours pour attraire en justice les forces de sécurité impliquées dans des violations, aucune poursuite majeure n'a été lancée. La Commission estime donc que cette manifestation évidente de partialité dans le fonctionnement du système de justice pénale contrevient à l’Article 3 de la Charte africaine. De même, la Délégation a été informée que l'interdiction de manifestations est appliquée de manière inégale. C’est ainsi que, si les partisans du parti au pouvoir sont autorisés à manifester à tout moment sous la protection des forces de sécurité de l’État, les manifestations de l’opposition ont été totalement interdites et, lorsqu'il y en a, elles sont dispersées de force par les forces de sécurité, y compris par un usage excessif de la force. La Commission estime cet état de fait contraire au droit à l’égalité devant la loi et à une égale protection de la loi, garanti en vertu de l’Article 3 de la Charte africaine. Droit à la vie 115. Le droit à la vie est énoncé à l’Article 4 de la Charte africaine et garanti en vertu de l’Article 24 de la Constitution du Burundi de 2005. De même, 43 l’Acte constitutif de l’Union Africaine affirme, en son Article 3, le caractère sacré de la vie humaine. Ce droit n’impose pas seulement l’obligation de s'abstenir de poser des actes visant à priver une personne de sa vie mais aussi celle de procéder à des enquêtes et à des poursuites quand il s’en produit. Cela étant, différents actes de violence cités dans la section précédente n'exprimaient pas seulement le plus profond mépris pour le caractère sacré de la vie humaine mais faisaient apparaître que le droit à la vie est l'un de ceux qui est le plus massivement et systématiquement violés. 116. Bien que les forces chargées de l’application de la loi puissent avoir recours à la force dans leur devoir de faire respecter la loi et l’ordre, et de protéger le public contre la violence, cet usage de la force, quand il entraîne la mort, ne peut être considéré comme une limitation justifiable au droit à la vie que s’il répond aux exigences de proportionnalité, de nécessité et de prohibition des réactions indiscriminées. Ces exigences interdisent l’usage excessif et aveugle de la force. De même, ce n’est qu’en cas de danger imminent pour la vie d’une autre personne ou d’un agent chargé de l’application de la loi et quand ce danger ne pourrait être évité autrement qu’en faisant usage d’armes à feu que cet usage de la force peut être justifié. Et donc, quand la mort fait suite à un usage excessif et aveugle de la force ou dans des circonstances où il n’y avait aucune menace immédiate de la part de la victime pour la vie de quelqu'un, un tel usage de la force constitue une violation du droit à la vie. 117. Au cours de la crise au Burundi, les différents cas de violence ayant entraîné la mort sont survenus dans des conditions contraires au droit à la vie. Nombre des victimes ayant péri durant la première phase de la crise étaient des manifestants. Dans ces cas, les manifestants ont été tués par des balles tirées par les forces de sécurité. Compte tenu du fait que les forces de sécurité utilisaient des armes à feu dans des situations où rien ne prouvait que les manifestants ou les émeutiers représentaient une menace pour la vie de quiconque, les décès qui en ont résulté étaient donc dus à un usage excessif et aveugle de la force et donc en violation de l'Article 4 de la Charte africaine. 118. Durant la deuxième phase de radicalisation de la crise, différents incidents de violence ayant causé la mort d’individus sont également survenus dans des conditions contrevenant au droit à la vie. Tel est le cas, par exemple, de l’exécution à l’Hôpital Bumerec des soldats en faveur du 44 coût d’État blessés sur les lits d’hôpital où ils étaient traités. Le fait que les forces de sécurité aient fait un usage excessif et arbitraire de la force est étayé par le fait que plusieurs enfants, notamment un jeune enfant âgé de quatre ans, ont été du nombre des personnes tuées par les balles tirées par les forces de sécurité. 119. Contrairement à la phase initiale de la crise au cours de laquelle les cas de graves violations des droits de l’homme survenaient essentiellement en réaction aux manifestations et aux émeutes et pour tenter de les circonscrire, durant la phase de militarisation de la crise, des violations aussi graves que les exécutions extrajudiciaires sont devenues de plus en plus systématiques et délibérées. 120. Les cas plus graves de violations du droit à la vie sont survenus durant la troisième phase de la crise dans un contexte de militarisation et d’escalade de la violence. Durant cette période, l’une des manifestations de l’échelle de la violence était la découverte chaque jour de cadavres dans les rues suite à des opérations sécuritaires menées depuis la veille par les forces de sécurité, en réponse aux grenades lancées contre la police. Dans les différents cas cités dans la section précédente, les personnes n’ont pas été tuées lors d’échange de coups de feu mais lors d'opérations de représailles menées par les forces de sécurité. Dans nombre de ces cas, en violation de l’Article 4 de la Charte africaine, les personnes ont été prises et exécutées simplement parce qu’elles étaient soupçonnées d’avoir participé à des attaques contre la police ou de soutenir l’opposition. Le cas de l’exécution sommaire du journaliste cameraman Christophe Nkezabahizi et de trois membres de sa famille, le 14 octobre, est un bon exemple de tels cas. Dans différents autres cas d’exécutions sommaires, la personne avait été tuée à bout portant et elle avait souvent les mains liées. 121. Les incidents du 11 décembre 2015 ont enregistré un niveau élevé d'escalade de la violence et la montée d'une atmosphère d'illégalité dans laquelle les forces de sécurité burundaises ont commis des violations graves et systématiques des droits de l’homme sans avoir le sentiment de l’obligation de rendre compte. Alors que le gouvernement a soutenu que les assassinats avaient eu lieu alors que les forces de sécurité poursuivaient les assaillants lors « d’opérations de nettoyage » accompagnées de cordons de police, de recherches et d’arrestations,78 78 Bujumbura, 11 décembre 2015. 45 différents témoignages et rapports ont établi que l’essentiel des assassinats de jeunes hommes étaient le fruit d’une campagne d’élimination des personnes soupçonnées appartenir à l’opposition armée ou la soutenir.79 La plupart ont été tués par balles à bout portant après avoir été tirés de chez eux au cours de recherches porte à porte. Les différents cas d’exécutions sommaires et la découverte rapportée de fosses communes donnent à suggérer que les forces de sécurité étaient plus engagées dans une campagne de représailles et d’exécutions en masse que dans des actions légitimes de refoulement d’attaques armées. 122. Il a été documenté que, au mépris du droit à la vie, les assassinats et les exécutions ciblaient l’opposition et les militants des droits de l’homme, les responsables publics et les membres du parti au pouvoir. Entre le 5 août et le 22 septembre, trois cas d’assassinat de membres élevés du gouvernement ont été enregistrés. Il s’agit du Général Adolphe Nshimirimana (2 août), de Jean Bikomagu (15 août) et de Patrice Gahungu (7 septembre). Plusieurs assassinats de membres de partis d’opposition et de militants ont également été enregistrés. Il s’agit des assassinats, le 23 mai, de Zedi Feruzi de l’UPD et de Potien Barutiwanayo des FNL. Des tentatives d’assassinats ont également été perpétrées contre le militant des droits de l’homme Pierre-Claver Mbonimpa et le Chef d’État-major de l’armée Prime Niyongabo. 123. Si les assassinats et les autres cas d’exécution sont contraires au droit à la vie, le fait que le gouvernement n'a pas initié d'enquêtes et de poursuites sur les responsables constitue également une atteinte à ses obligations en vertu de l'Article 4 de la Charte africaine. En effet, l’émergence d’une atmosphère d’illégalité créée par l’absence d’enquêtes et de poursuites, explique le recours répété des forces de sécurité à des exécutions sommaires et extrajudiciaires en toute impunité. Droit à la protection contre la torture et les traitements cruels, inhumains et dégradants 124. L’Article 5 de la Charte africaine et l’Article 25 de la Constitution du Burundi disposent tous les deux du droit à la protection contre la torture et les traitements cruels, inhumains et dégradants. Bien que l’interdiction de la torture soit absolue et donc non passible de limitations, de nombreux 79 Bujumbura, 12 décembre 2015. 46 cas de torture et de mauvais traitements de personnes en détention ont été rapportés. Plus d’une centaine de cas en réalité. 125. Les actes de violence subis par des personnes en détention ou sous la garde de forces de sécurité sont notamment, avoir reçu des coups, être obligées de mettre leurs doigts dans des prises électriques, recevoir des brûlures à l'acide sur leur corps et avoir les parties génitales des hommes soumises au poids d’objets lourds. Les détenus ont dû également rester dans des espaces surpeuplés. Ces actes infligeant de grandes douleurs physiques et mentales constituent des actes de torture et des mauvais traitements. Ils représentent donc des violations de l’Article 5 de la Charte africaine. 126. Ces actes de torture et ces mauvais traitements sont survenus dans plusieurs endroits sous la garde des institutions sécuritaires. Il s’agit des Services nationaux de renseignements (SNR), également connu sous l’appellation de « Documentation », des centres de détention de la police judiciaire et du centre de commandement opérationnel de la police. Droit à la liberté et à la sécurité de la personne 127. Ce droit, garanti en vertu de l’Article 6 de la Charte africaine et de l’Article 25 de la Constitution du Burundi, vise à protéger les individus d’actes restreignant illégalement la liberté personnelle et causant des préjudices corporels. Ce droit interdit donc les arrestations ou les détentions arbitraires et la violence faite à l’intégrité physique des personnes. Dans les différentes phases de la crise, les forces de sécurité ont mené une campagne d’arrestations ou de détentions. Durant la première phase de la crise, les arrestations ciblaient toutes les personnes soupçonnées d’avoir participé aux manifestations. De même, suite au coup d’État manqué du 13 mai, différents individus ont été arrêtés sur suspicion d’être engagés dans des actions soutenant la tentative de coup d’État.80 128. Contrairement à l’Article 6 de la Charte africaine, de nombreuses arrestations, en particulier celles effectuées à domicile, ont été effectuées sans mandats. Compte tenu de l’échelle et des méthodes employées pour arrêter et détenir les individus ainsi que leurs justifications (simple suspicion), la Commission africaine estime, sur la base de l’hypothèse la Rencontre avec la Commission nationale des droits de l’homme, Bujumbura, 12 décembre 2015. 80 47 plus probable, qu’un grand nombre d’arrestations ont été arbitraires et donc en violation de l’Article 6 de la Charte. Concernant le caractère arbitraire des arrestations, un témoin a rapporté qu’ « il suffit que quelqu’un soupçonne que vous êtes contre le troisième mandat, même si vous ne participez pas aux manifestations, pour que vous soyez arrêté ».81 Une autre preuve du caractère arbitraire des arrestations est le fait qu'un grand nombre de mineurs aient été également concernés. Au moment de la visite de la Délégation, la Commission nationale des droits de l’homme a confirmé que plus de 58 enfants de Citiboke avaient été arrêtés.82 Sept (7) d’entre eux avaient été libérés mais les autres étaient toujours en détention, inculpés et condamnés pour avoir participé à une insurrection armée, mais ils ont été ultérieurement transférés dans leur famille suite aux pressions exercées par l'UNICEF et d’autres groupes de défense des droits de l’homme.83 129. Les blessures physiques subies par des centaines de personnes à la suite de tirs arbitraires des forces de sécurité constituent également une violation du droit à la sécurité de la personne. De même, les blessures physiques subies par les individus par suite d’actes de torture ou de mauvais traitements constituent également une violation de l’Article 6 de la Charte africaine. Droit à un procès équitable 130. L’Article 7 de la Charte africaine et les Articles 38, 39 et 40 de la Constitution du Burundi garantissent le droit à un procès équitable. Les différentes garanties d’un procès équitable n’ont pas été accessibles à de nombreuses personnes sous la garde des forces de sécurité de l'État pendant la crise. Contrairement à l’Article 7, de nombreux individus ont été gardés en détention pendant des mois sans être inculpés ni avoir comparu devant une juridiction de droit. La Commission africaine a également estimé que le manque de diligence du système de justice pénale, notamment des tribunaux dans le traitement opportun des cas, a causé des retards anormaux, contraires au droit d’être jugé dans un délai raisonnable. L'absence d'assistance judiciaire à ceux dépourvus des http://www.ibtimes.co.uk/burundi-hundreds-dissidents-arrested-nkurunziza-carrys-outrelentless-crackdown-1504516 82 Rencontre avec la Commission nationale des droits de l’homme, Bujumbura, 12 décembre 2015. 83 Ibid. 81 48 moyens de se défendre eux-mêmes les a également privés du droit à une défense efficace. 131. La partialité perçue ou réelle du système de justice pénale, notamment des tribunaux, a eu pour effet de saper les droits liés à un procès équitable. Les rapports allégeant la pratique de la partialité dans le système de justice pénale, cités dans la section précédente, ont créé des problèmes de confiance dans le système judiciaire. Plus précisément, cette perception de partialité est préjudiciable au droit de l’accusé d’être jugé devant un organe judiciaire indépendant. Durant une consultation avec des membres d'un groupe de femmes à Bujumbura, une représentante des femmes a déclaré que « il y a un effondrement de la primauté du droit, le système judiciaire ne fonctionne pas et on ne peut se plaindre à personne de ces abus ».84 Droit à la liberté d’expression et à l’accès à l’information 132. L’Article 9 de la Charte africaine et l’Article 32 de la Constitution du Burundi garantissent la liberté d’expression. Au cours de la crise au Burundi, il s’agit peut-être de l’une parmi les libertés soumises à différentes violations. Un certain nombre de maisons de presse ont été obligées de fermer, de suspendre leurs activités ou d’éviter de couvrir certains sujets. Contrairement à l’Article 9 de la Charte africaine, différentes stations de radio ont fait l’objet d’actes d’intimidation et d’ingérence pour les contraindre à censurer leurs diffusions, limiter leur couverture spéciale et/ou leur audience. Nombre de ces maisons de presse indépendantes ont été ciblées pour avoir intégralement couvert les manifestations ou parce qu’elles étaient soupçonnées être du côté de l’opposition. 133. De même, les attaques et la destruction des locaux de différentes stations de radio, telles que Bonesha, RPA, Renaissance, Rema et Radio Isanganiro, constituent une violation de l’Article 9 de la Charte africaine. La poursuite de la fermeture de ces stations de radio équivaut à une violation persistante du droit à la liberté d’expression qui protège également la liberté de la presse. 84 Bujumbura, 10 décembre 2015. 49 134. Les sévices subis par les journalistes pour leur position vis-à-vis du troisième mandat ou pour faire leur travail en ce qui concerne leur couverture de la crise sont également contraires à l'Article 9 de la Charte africaine. La conséquence en est que plus de cent journalistes ont fui le pays ou vivent dans la clandestinité par crainte pour leur vie. En conséquence, contrairement à l’Article 9 de la Charte africaine, l’accès des Burundais à diverses sources d’informations et leur capacité de diffuser librement des informations sur des questions revêtant une importance nationale ont été indument restreints. Droit à la liberté d’association et de réunion 135. Les Articles 10 et 11 de la Charte africaine disposent respectivement du droit à la liberté d’association et de réunion et ces libertés sont garanties en vertu de l’Article 32 de la Constitution du Burundi. Comme indiqué dans la section précédente, la liberté d’association a été l’un des droits les plus affectés par la crise. Un exemple en est la fermeture arbitraire de 10 organisations de la société civile. 136. Différents facteurs établissent le caractère arbitraire de la fermeture de ces organisations et donc la violation de la liberté d'association garantie en vertu de l’Article 10 de la Charte africaine. Premièrement, les motifs spécifiés dans la décision de fermer les organisations de la société civile comme étant la réception de fonds émanant de sources occidentales sont injustifiables et dépourvus de fondement juridique. Deuxièmement, la nature arbitraire est également attachée au caractère général de la décision et du fait qu'elle a été rendue sans procédure équitable et pour des motifs n'établissant pas de distinction entre les actes des membres de l'organisation à titre individuel et ceux de l'organisation. 137. L'Article 11 de la Charte africaine n’interdit pas de conditionner l’exercice de la liberté de réunion tant que ces conditions sont légitimes et justifiables dans un système démocratique. Il a été noté que le gouvernement a imposé une interdiction totale de manifestations. Cette interdiction n’a toutefois pas été appliquée de manière impartiale. Compte tenu du fait qu'elle ciblait particulièrement les opposants au troisième mandat du Président et qu'elle n'a pas été appliquée équitablement, l'interdiction et son application sont toutes les deux contraires à l'Article 11 de la Charte africaine. 50 Droit de participer à la gouvernance de son pays 138. L’Article 13 de la Charte africaine garantit le droit des citoyens de participer à la direction des affaires publiques de leur pays. Ce droit comprend notamment le droit de participer aux élections nationales organisées dans des conditions dénuées de toute violence. Le Burundi a organisé des élections générales durant la crise. Comme noté dans la section précédente, contrairement à l’Article 13 de la Charte africaine, la campagne électorale et le processus de vote ont tous les deux été entachés par différents actes de violence. 139. L’environnement ambiant d’insécurité et de violence et le boycott des élections par l’opposition ont tous les deux empêché les Burundais d’exercer leurs droits. Plus remarquable encore, de nombreux Burundais n’ont pas pu exercer leur droit de participer à la gestion des affaires du pays en vertu de l'Article 13 de la Charte africaine, notamment en se présentant comme candidats ou accordant leur bulletin de vote aux candidats de leur choix. Autres violations et exactions 140. Les autres droits de l’homme affectés par la crise sont notamment le droit à l’éducation, le droit à la santé et le droit de propriété. Les attaques contre les écoles et la fermeture d'écoles dans les parties du Burundi les plus affectées par la violence ont gravement compromis le droit à l'éducation. Certaines violations constatées à l’hôpital Bumerec ne constituent pas seulement des violations de plusieurs droits de l’homme comme le droit à la santé en vertu de l’Article 15 de la Charte africaine mais équivalent aussi à une violation de l’inviolabilité d’établissements comme les hôpitaux et les églises, même en temps de conflits armés. 141. La violence perpétrée depuis le début de la crise, les intimidations et le harcèlement des Imbonerakure et des forces de sécurité du gouvernement ainsi que les attaques à la grenade dans des zones civiles comme les marchés et les bars ont instauré un climat d’insécurité et déstabilisé la population civile. Cette situation et l’émergence de l’atmosphère de peur décrite dans les paragraphes suivants sont en négation fondamentale du droit à la paix et à la sécurité garantis à l’Article 23 de la Charte africaine. 51 142. Si la plupart des parties du pays en dehors de Bujumbura n’ont pas vécu des affrontements réguliers (les personnes de la communauté diplomatique que la Délégation a rencontrées l’ont informée que seulement environ 10 à 15 pour cent du pays, et essentiellement Bujumbura, ont été affectés par la crise), toutes les parties relativement stables du pays n’ont pas échappé à l’insécurité instaurée par la crise. C’est ainsi que les individus ont fui pour chercher refuge dans les pays voisins pas seulement depuis les zones les plus affectées par la crise (Bujumbura et ses environs) mais aussi depuis d’autres parties du pays ayant une relative stabilité. 143. Outre le harcèlement et les menaces des Imbonerakure, cette situation est grandement imputable à l’atmosphère de peur et d’insécurité créée par les rumeurs. Comme l’a souligné un rapport, depuis le début de la crise, Bujumbura croule sous une rumeur incitant à la peur et à la panique. 85 Ce rapport faisait en outre observer que, « même en temps de ‘paix’ relative, les rumeurs sont une caractéristique particulière de la culture burundaise, en particulier à Bujumbura ». Un certain nombre de Burundais rencontrés par la Délégation ont également affirmé cette particularité dans leur description du Burundi comme un pays de rumeurs et d'exagération.86 Certaines déclarations sur les schémas de la violence ethnique qui aurait déclenché la guerre civile de 1994 n’ont pas non plus arrangé la situation. Violence sexuelle 144. Cette crise a enregistré une grande variété de violations mais la violence sexuelle ne représente pas une caractéristique particulière de la violence décrite dans le présent rapport. La crise n’a toutefois pas été dépourvue d’incidents de violence sexuelle ciblée sur les femmes. Un cas représentatif de la violence sexuelle est le viol et le meurtre brutal de Jacqueline Hakizimana, le 3 décembre, au motif de son appartenance aux Imbonerakure. Les représentantes du groupe de femmes ont expliqué à la Délégation que les forces de sécurité chargées des opérations de désarmement se sont livrées à des exactions contre des femmes, notamment à des viols et à des mutilations de leur corps.87 Impunity Watch, Briefing note Burundi (mai 2015) http://www.impunitywatch.org/docs/IW_Briefing_Note_Burundi_(12-05-2015)_EN.pdf 86 Rencontre avec les membres de l’administration de la ville de Bujumbura et les membres de la Commission Vérité et Réconciliation nouvellement créée. 87 Rencontre avec les représentants des Femmes burundaises pour la paix et la sécurité, 10 décembre 2015, Bujumbura. 85 52 145. Les cas les plus notables de violence sexuelle ont été rapportés dans le contexte des incidents du 11 décembre. Il s’agit de cas où certaines forces de sécurité se livrant à des recherches et à des arrestations ont forcé des femmes à avoir des relations sexuelles avec elles.. Les Nations Unies ont rapporté 13 cas de violence sexuelle de ce type, notamment des viols en bandes. 4.2 Victimes et auteurs 4.2.1 Victimes de violations des droits de l'homme 146. Il a déjà été établi que, bien que l’essentiel de la violence se soit concentré dans certaines parties de Bujumbura, d’autres parties du Burundi n'ont pas échappé à la crise et à l'insécurité qui y était associée. En revanche, certains groupes de la population du Burundi ont soutenu l’essentiel du poids des violations massives des droits de l’homme et autres exactions perpétrées depuis le début de la crise à la fin du mois d’avril 2015. Il s’agit des manifestants et des jeunes hommes vivant dans les quartiers dits contestataires de Bujumbura, des enfants, des militants des droits de l’homme et des membres de la société civile, des journalistes, des membres des groupes d’opposition, d’autres civils et membres des forces de sécurité et du parti au pouvoir. 147. Selon un rapport, dans la vaste majorité des cas (85 %) de décès, les affiliations politiques des victimes ne sont pas connues,88 ce qui indique que la plupart des victimes sont des civils. Mais, comme le suggère le rapport, dans les cas limités où l’affiliation de la victime est connue, les partisans du parti au pouvoir, notamment la jeune milice des Imbonerakure, et le personnel militaire et de la police hors service sont représentés de manière disproportionnée. 88 http://www.crisis.acleddata.com/burundi-october-2015-update/ 53 Manifestants (réels ou perçus comme tels) contre le troisième mandat devenus opposants au gouvernement au pouvoir 148. Les informations recueillies pendant la mission et diverses autres sources font apparaître que les violations des droits de l’homme survenues durant les première et seconde phases de la crise ciblaient essentiellement les personnes ayant participé aux manifestations ou suspectées de l’avoir fait. Selon les témoignages reçus par la Délégation, les victimes sont en majorité des jeunes hommes. 149. Les violations du droit à la vie par l'usage illégal d'armes à feu par les forces de sécurité ont touché les manifestants et ceux qui se trouvaient là lorsque la police et d’autres forces de sécurité ont tiré à balles réelles pour mettre fin aux manifestations et aux émeutes. De même, les manifestants et les jeunes hommes, partisans réels ou perçus de l’opposition, constituent les principales victimes des actes de torture et d’autres arrestations et détentions arbitraires. 150. Le fait que les manifestants et les jeunes hommes, partisans réels ou perçus de l'opposition, soient parmi les principales victimes des violations de l’homme n’est pas totalement surprenant. Cela parce que ce groupe de la population est en première ligne des manifestations contre la candidature du Président à un troisième mandat. Activistes, membres des partis d’opposition et journalistes 151. Les femmes, les politiciens, les médias, les activistes ou les membres de la société civile étaient également ciblés. Les membres de groupes de femmes ont informé la Délégation qu’elles vivaient dans un climat de peur perpétuelle, outre le fait d'être ciblées pour leur affiliation politique ou pour leur profession de journalistes ou de militantes des droits de l'homme. 152. La Délégation a été informée de plusieurs cas emblématiques illustrant des actes de violence à l’encontre de personnes opposées au troisième mandat ou soupçonnées de l’être. Il s’agit de Zedi Feruzi, Président de l’Union pour la paix et la démocratie (UPD) ; un éminent défenseur des droits de l’homme Pierre-Claver Mbonimpa a été victime d’une tentative 54 d'assassinat le 3 août 2015 ; de Patrice Gahungu, porte-parole du parti d'opposition UPD, tué par balles le lundi 7 septembre par des individus non-identifiés alors qu’il rentrait chez lui dans le quartier de Gihosha (nord de Bujumbura) ; de Welli Nzitonda, fils de Pierre-Claver Mbonimpa, retrouvé mort le 6 novembre 2015, quelques heures après avoir été arrêté par la police. Militants et partisans du troisième mandat et responsables et membres des Imbonerakure 153. Différents actes de violence à l’encontre de militants et partisans du troisième mandat, de hauts responsables et des Imbonerakure, membres de l’aile jeune du parti au pouvoir, ont été rapportés à la Délégation de la Commission. Bien que l’identité des auteurs de ces violations ciblées demeure inconnue, l’on impute ces violations à l’opposition. 154. En effet, la Délégation a été informée du viol et de l’assassinat brutal d’une certaine Jacqueline Hakizimana, pour avoir appartenu à l'aile jeune du parti au pouvoir. La Délégation a également reçu des informations sur les attaques ciblées contre les politiciens et les importantes personnalités du système soutenant les autorités au pouvoir. Tel est le cas des assassinats du Général Adolphe Nshimirimana, du Colonel Jean Bikomaguon et du Général Prime Niyongabo. 155. Selon les informations communiquées à la Délégation, environ 39 agents de police ont été tués, 318 blessés dont 9 handicapés à vie par suite de leurs blessures. Les civils 156. La violence et les violations des droits de l’homme ont également affecté la population civile non engagée dans les activités d'un côté ou de l'autre du conflit. Cela est dû en partie au fait que de nombreux incidents de violence ont eu lieu dans des zones habitées par des civils. Cela reflète en partie aussi l’occurrence d’un usage aveugle de la force par les forces de sécurité et des membres de l’opposition armés et non identifiés. 55 157. Ces cas ont été observés durant les attaques à la grenade dans des lieux publics comme le marché ou les bars de Bujumbura où de simples passants ont été blessés ou tués. 4.2.2 Auteurs des violations Acteurs étatiques : forces de sécurité du gouvernement 158. Toutes les personnes contactées par la Délégation ont imputé la plupart des violations aux forces de sécurité du gouvernement. Les unités des forces de sécurité du gouvernement, soupçonnées d’avoir commis des violations comme des exécutions extrajudiciaires, des arrestations arbitraires et des actes de torture sont les SNR, la Police nationale du Burundi (PNB) et, dans une moindre mesure, l’armée. Les SNR, pour leur part, sont mentionnés dans des cas de torture et de traitements cruels, inhumains et dégradants et dans des cas de détentions arbitraires et d’enlèvements. 159. Le rôle de l’armée dans la perpétration de violations a été très limité. Il s’est essentiellement limité au moment du coup d’État. 160. Il ressort des entretiens que la PNB était en première ligne de la violente répression des manifestations et qu’elle continue de commettre des violations des droits de l’homme comme des atteintes à l'intégrité physique, des arrestations arbitraires, des exécutions sommaires, des enlèvements, des infractions aux droits de propriété, etc. Deux unités de la PNB, la Police chargée de la protection des institutions et la Police judiciaire, ont été identifiées comme étant les plus actives dans la perpétration de violations. Acteurs non-étatiques – les Imbonerakure 161. La Commission africaine a reçu des informations attribuant différentes exactions et des actes de violence à l’aile jeune du parti au pouvoir, les Imbonerakure. Il leur est également imputé des assassinats de personnalités de l’opposition ou de militants ainsi que l’intimidation de la population civile malgré les démentis du gouvernement. 56 162. Les Imbonerakure auraient également joué un rôle capital dans de nombreuses opérations sécuritaires au cours desquelles les forces de sécurité auraient commis différentes violations des droits de l’homme et autres exactions. Les membres des Imbonerakure opéraient dans le cadre des actions des forces de sécurité du gouvernement en portant des uniformes de la police. Selon certains rapports, ils étaient impliqués dans les arrestations ou les fouilles de concert avec la police régulière, sous le couvert d’une collaboration entre la police et la population. Acteurs non-étatiques – Manifestants et membres de l’opposition dans les quartiers contestataires 163. La Commission africaine estime que les manifestants et les membres de l'opposition dans les quartiers contestataires se sont adonnés à certains actes de violence équivalant à des atteintes aux droits de l'homme. Il est prouvé que de jeunes hommes soutenant l’opposition sont responsables de l’installation de barricades dans de nombreux quartiers ayant été le théâtre de la plus grande partie de la violence. 164. En s’opposant avec violence aux forces de sécurité et en causant des dommages à des biens publics et privés, les manifestants ont outrepassé leur droit de manifester et ont commis des violations qui constituent une infraction. 165. En intervenant comme un groupe d'autodéfense et en empêchant la mise en œuvre régulière de la loi et de l'ordre, les responsables des barricades ont commencé à appliquer leurs propres lois débouchant sur des actes portant atteinte aux droits fondamentaux de la population tels que la liberté de circulation, le droit à la sécurité de la personne, les droits de propriété et autres. Les membres du groupe de femmes rencontré par la Délégation ont rapporté que ces groupes se sont livrés également à des extorsions, des intimidations et autres exactions dans les quartiers sous leur contrôle. Acteurs non-étatiques - groupes armés non identifiés 166. L’évolution de la nature de la violence lors des deuxième et troisième phases de la crise fait apparaître l’émergence de groupes armés non identifiés. Ces groupes que le régime burundais qualifie d’« insurgés », de « terroristes » ou de « criminels » ont perpétré certaines des attaques les 57 plus violentes au cours de la crise. C’est l’attaque qu’ils ont lancée contre trois bases militaires qui a abouti à la violence la plus mortelle du 11 décembre 2015. Les attaques à la grenade à différents moments et à différents endroits, notamment dans certains lieux publics, ont été également imputées à ces groupes. 167. Ce sont ces groupes qui ont, par la suite, déclaré la création d’une rébellion armée contre le gouvernement. 4.3 Recommandations 168. Dans le cadre des conclusions de la Commission sur les violations des droits de l'homme et autres exactions et de l'analyse qu'elle en a faite et conformément aux termes de référence de la Mission d'établissement des faits, la présente sous-section présente les recommandations couvrant différents domaines et qui sont relatives aux politiques d’intervention visà-vis de la crise. 169. Eu égard à la cessation des violations des droits de l’homme, des autres exactions et de la violence, la Commission africaine a) Souligne la nécessité d’assurer la cessation de tous les actes de violence pour mettre fin au bain de sang continu et aux violations des droits de l’homme et autres exactions ; b) Exhorte le Gouvernement du Burundi à exiger publiquement des forces de maintien de l'ordre de renoncer totalement à l'usage de la violence comme instrument de prédilection contre les personnes opposées ou supposées opposées au gouvernement et de renoncer également aux actes violents de représailles ; c) Insistant sur le fait que la crise actuelle ne peut pas être résolue par l'usage de la violence, exhorte les groupes d'opposition à renoncer à la violence comme moyen d'assurer leur objectifs politiques ou d'exprimer leur opposition ; d) Demande à tous les acteurs régionaux et internationaux qui auraient de l’influence sur l’opposition de faire pression sur les groupes d’opposition armés afin qu’ils mettent fin aux attaques ; 58 e) Demande à tous les acteurs burundais, en particulier aux dirigeants politiques, d’éviter totalement l’usage de discours rhétorique et politiques et empreints de propos haineux, incitant à la violence et exacerbant davantage la crise ; f) Demande aux autorités burundaises de prendre toutes les mesures nécessaires pour créer les conditions de confiance pouvant promouvoir le dialogue entre les protagonistes de la crise ; g) Appelle le Gouvernement du Burundi à veiller à ce que la Commission nationale des droits de l'homme du Burundi, les observateurs des droits de l’homme et les experts militaires de l’Union Africaine, les organisations de la société civile et les médias puissent régulièrement enquêter, documenter et faire rapport de tous les actes de violence, de toutes les violations des droits de l’homme et autres exactions, quelles que soient leurs sources et sans obstacle ; et h) Estime nécessaire que, outre le renforcement des observateurs des droits de l’homme et des experts militaires de l’UA, une mission de police internationale soit déployée pour notamment, apporter un soutien au maintien de l’ordre public et assurer la protection des personnes dans les zones les plus affectées par la violence et qui continuent de souffrir de celle-ci. 170. Eu égard aux mesures additionnelles de protection des droits de l’homme et des peuples au Burundi, la Commission africaine a) Exhorte le Gouvernement du Burundi à rapporter la fermeture collective de 10 organisations de la société civile qui jouent un rôle capital dans la promotion et la protection des droits de l’homme au Burundi ; b) Demande la réouverture de différentes stations indépendantes qui ont été arbitrairement fermées ; et de radio c) Exprime la nécessité que ses Mécanismes spéciaux pertinents continuent à suivre et à enquêter sur les différentes atteintes aux droits de l’homme comme les exécutions extrajudiciaires, les arrestations arbitraires, les actes de torture et l’interdiction ou la 59 171. restriction arbitraire de la liberté d’expression et de la liberté d’association. Eu égard au processus de paix, la Commission africaine a) Appelle le Médiateur principal, la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE) et l’Union africaine (UA) ainsi que les autres membres de la communauté internationale à demander et à assurer que le gouvernement et l’opposition mettent tous les deux inconditionnellement fin à la violence, aux violations des droits de l’homme et autres exactions ; b) Exhorte le Médiateur et la CAE à finaliser les consultations sur l’agenda des pourparlers et les modalités de conduite des pourparlers de paix et à convoquer des négociations de fond sur la paix ; c) Demande aux parties à la crise actuelle au Burundi de participer au processus de paix de bonne foi et de coopérer de façon inconditionnelle avec l’initiative de résolution pacifique de la crise; d) Insiste que le respect et la pleine mise en œuvre de l’Accord d’Arusha avec la participation de toutes les parties prenantes burundaises soient garantis dans le cadre du processus de paix. Le gouvernement et l’opposition doivent réaffirmer chacun son engagement à respecter l’Accord d’Arusha jusqu’à ce qu’advienne un consensus de toutes les parties prenantes burundaises sur le besoin d’enclencher une reforme constitutionnelle générale et transparente qui irait au-delà de l’Accord d’Arusha; e) Souligne la nécessité d’inclure la prise en compte des violations des droits de l’homme comme point capital dans l’agenda du processus de paix ; et f) Exhorte la société civile à soutenir, par la sensibilisation, le plaidoyer et autres moyens appropriés, les efforts des processus de médiation et de dialogue visant à restaurer une paix définitive et durable au Burundi. 60 172. Eu égard à l'obligation de rendre compte des violations et à la réconciliation nationale, la Commission africaine a) Recommande la mise en place d’un mécanisme ad hoc conjoint international et régional, chargé d'enquêter/examiner en profondeur tous les actes de violence perpétrés depuis avril 2015, notamment les actes commis par les forces de sécurité burundaises et d’autres institutions en vue d’initier et de mettre en œuvre des processus de responsabilité et les réformes requises ; b) Recommande des amendements en ce touchant aux périodes couvertes par le Commission Vérité et Réconciliation ; événements et que la composition réaménagée pour inclure des indépendantes ; qui concerne les aspects mandat et a l’objet de la pour couvrir les récents de la Commission soit personnalités africaines c) Recommande l’établissement au Burundi d’un tribunal spécial ayant le soutien de la communauté international et dont les mandats incluraient de tenir pour pénalement responsables les auteurs des violations des droits de l’homme et autres exactions durant la crise actuelle ; d) Souligne la nécessité d’une enquête internationale indépendante et conjointe sur les événements du 11 décembre 2015 et sur les différents rapports de fosses communes trouvées à Bujumbura ; e) Demande à la société civile de contribuer à l’établissement des faits et à la détermination des responsabilité des violations des droits de l’homme et autres exactions par des enquêtes et la documentation impartiale des cas de violations ; f) Prie instamment le Burundi de collaborer pleinement avec des partenaires internationaux comme l’Union Africaine, les Nations Unies, l’Union Européenne, les organisations humanitaires et autres qui proposent des solutions en appui à la résolution de la crise et à la cessation des violations des droits de l’homme ; et 61 g) Appelle les autorités burundaises à garantir un accès libre et sans obstacle aux travailleurs des organisations humanitaires intervenant au Burundi ; 173. Eu égard aux réformes institutionnelles et le soutien à la dispensation de services sociaux, la Commission africaine a) Propose la révision des lois régissant la conduite des forces de sécurité de l’État pour veiller à ce que ces forces opèrent dans le respect de la primauté du droit et en conformité totale aux normes relatives aux droits de l'homme; b) Insiste sur la nécessité de soumettre à un contrôle les membres des SNR et les différentes composantes de la PNB pour en éliminer ceux qui se sont rendus coupables de violations des droits de l’homme ; c) Souligne le fait que tous les membres des forces de sécurité du Burundi reçoivent des formations sur les droits de l'homme et le professionnalisme dans une société démocratique, et que ces cours figurent dans les programme réguliers des centres de formation de la police et des autres structures d'application de la loi et de l'ensemble des formations continues dispensées aux forces de sécurité; d) Demande au Burundi de mettre en place un mécanisme de surveillance transparent et indépendant, chargé de superviser les opérations quotidiennes et les patrouilles de son personnel de maintien de l’ordre, d’établir des rapports sur cette surveillance et de prendre des mesures visant à garantir que les droits de l'homme et autres normes relatives aux arrestations et à l'usage de la force soient effectivement respectés ; et e) Appel la communauté internationale à soutenir la fourniture de services sociaux de base et aider le peuples burundais dans ses efforts pour éviter le chaos socio-économique. 62