Résumé de la thèse Les conflits politiques et sociaux du Tchad ont

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Résumé de la thèse Les conflits politiques et sociaux du Tchad ont
ETHNICISATION DU COMMERCE A NDJAMENA
Ezept Valmo KIMITENE
Sous la direction de Denis Retaillé
Résumé de la thèse
Les conflits politiques et sociaux du Tchad ont créé et accentué au cours des dernières
décennies des crises ethniques et identitaires dans les principales villes du pays. N’Djamena
offre un lieu particulier d’observation et d’étude de ce phénomène d’ethnicisation qui
subvertit la nature même de la ville où les identités se durcissent plutôt que de muter par la
proximité et l’échange constant. D’origine paysanne par l’attachement à la terre, à une terre,
l’appartenance ethnique d’une activité a gagné presque tous les grands secteurs du pays : le
choix des quartiers d’habitation en ville, l’administration, l’enseignement, l’armée,
l’économie... Et c’est dans le secteur commercial que le phénomène est le plus accentué.
Sujet à l’intersection des sciences sociales [de la géographie culturelle, de l’anthropologie,
voire de l’économie culturelle], l’ethnicisation du commerce s’ouvre aussi, par l’arrière, aux
questions proprement politiques et économiques : quel peut être le rôle l’Etat tchadien en tant
qu’acteur dominant, dans la mise en place d’une politique sociétale orientée vers l’économie
du développement et la stabilité politique ? Car les luttes d’influence politiques et
économiques marquent les différents espaces marchands qui en sont des vecteurs éprouvés
sous couvert d’idéologie et de discours mettant aux prises les régions d’une part et, les
groupes ethniques, d’autre part.
Se situant à la suite des études menées en France [Raulin, 2001 et Ma Mung, M1992] et en
Afrique [[Amselle, 1977; Grégoire, 1986 ; Magrin, 2001 et Walther, 2008], le phénomène
d’ethnicisation du commerce à N’Djamena demeure au Tchad un sujet d’actualité et met au
devant des discours politiques une problématique anthropologique et géographique nouvelle.
Car l’espace marchand de N’Djamena comme lieu de rencontre, d’échange de marchandises
et/ou produits, assure la mise en scène de la société tchadienne à travers l’opposition des
divers individus ou groupes d’individus. Si les différentes formes de captation des branches
d’activités commerciales par des groupes ethniques laissent dessiner des frontières
idéologiques entre les ethnies ou régions, la participation à une activité spécialisée à travers de
vastes réseaux marchands n’en demeure pas moins. Surtout que ces réseaux sont animés de
double contradiction : ceux qui associent les régions du Tchad dans la complémentarité et
assurent le dépassement des frontières ; ceux qui contribuent, à l’inverse, au processus
d’ethnicisation qui nuit à la mise en place d’une politique économique stable.
Phénomène social complexe et décrié dans la presse et par la société civile tchadienne,
l’ethnicisation du commerce par la spécialisation et la monopolisation des secteurs
commerciaux par certains groupes à N’Djamena, soulève de questions actuelles: comment
certains commerces se sont-ils configurés aussi rapidement à N’Djamena? Derrière les
objectifs économiques, que cache la spécialisation commerciale par groupes ethniques ? En
quoi l’ethnicisation du commerce au Tchad et en particulier à N’Djamena est-elle source de
conflits interethniques ? Ou à l’inverse peut-elle être un moyen de lien entre N’Djamena et les
autres régions du pays ?
Le présent travail tente d’ apporter des réponses en partant de l’hypothèse principale que la
montée du communautarisme, engendré par les années de conflits politiques, a glissé de facto
les groupes ethniques dans un schéma de cristallisation sur fond identitaire. Dans la mesure où
ce type commerce érige les frontières et les barrières entre les groupes ethniques dont la
situation tchadienne dévoile la dimension proprement politique [tels les pouvoirs publics
appuyant ces réseaux marchands selon un dispositif familial, régionaliste, religieux,
clientéliste, etc.].
Au prisme d’analyses et sur un plan méthodologique, le concept de l’ethnicisation du
commerce apparait comme un processus par lequel certains groupes ethniques – structurés en
réseaux et érigeant des frontières plus ou moins figées - captent de secteurs d’activités
commerciales et en fixent les limites par la participation à une activité spécialisée. L’objet de
cette étude est de décrire et analyser ce processus par une méthode qualitative. Cette thèse est
le résultat de quatre années de travail en France et au Tchad qui ont permis de réaliser la
documentation nécessaire et les enquêtes sur le terrain [interviews et sondages des
populations échantillonnées, l’observation participante] à l’aide de trois outils : la fiche
d’observation, le guide d’entretien et les questionnaires. Ainsi cette préférence donnée à
l’enquête qualitative conduit à privilégier les interviews et les biographies sur un échantillon
ciblé [320 entretiens répartis par catégorie d’acteurs]. Le traitement des informations
collectées a permis d’obtenir les résultats suivants :
Au-delà des dimensions proprement économiques et sociales, les réseaux marchands actuels
se structurent au Tchad dans un contexte global de géopolitique qui recherche l’équilibre entre
un nord musulman et un sud chrétien et fait que les grands circuits et les réseaux marchands
sont aux mains des nordistes musulmans, tels les commerçants Goranes, Kanembou, Arabes,
Ouaddaïens consolidés depuis 1979.
Si, à l’origine le commerce ethnique fut une pratique paysanne [spécialisée dans les produits
du terroir], ce n’est plus le cas aujourd’hui. Son expansion à N’Djamena trouve ses
explications dans l’histoire de cette ville qui est devenue malheureusement le lieu de
confrontations et de contradictions socio-politiques. Aux forces concurrentielles générées par
ce type de commerce se substituent les rivalités historiques. Les fonctions économiques et
sociales du commerce se traduisent par une méfiance entre les différents groupes ethniques
qui s’y mêlent et accentuent la cristallisation des communautés plus que jamais clivées,
politisées. Plus ces groupes sociaux s’appuient sur des réseaux solidement ficelés tant avec le
pouvoir qu’avec les religions, plus il y a de crispation [donc de différenciation]. Plus certains
de ces groupes, par ce truchement politique, s’enrichissent, plus ils deviennent puissants, plus
les plus faibles sont mis l’écart ou marginalisés. Ville cosmopolite et quotidienne, N’Djamena
est le lieu idéal pour observer la vie locale tchadienne. Une vie hantée par tant de clivages et
dont les activités ethniques contrastent par les ambiances, entre les quartiers musulmans et les
quartiers peuplés par les gens venus du Sud du pays, remplis de bars et animés par de
nombreux noctambules.
Cette étude est donc nécessaire à travers une approche théorique actualisée: celle qui
questionne les modalités de formation, de maintien et d’extension des réseaux sociaux et,
celle qui analyse la reproduction sociale et identitaire par la participation à une activité
commerciale. En un mot, c’est interroger les rapports socio-spatiaux [certainement rapport de
force] que les réseaux sociaux chercher à consolider au Tchad. C’est nécessairement sur ce
modèle de fonctionnement lignager et ancestral que certains groupes tchadiens se structurent
autour du pouvoir pour le contrôle les circuits financiers et les pôles majeurs. Demain, au
contrôle du pouvoir par les armes se substituera celui des finances.