Rev Sc Crim 2008-4
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Rev Sc Crim 2008-4
Version pré-print - pour citer cet article : E. Vergès, « Article 7 de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République : réflexions sur la nature et la fonction de la grâce présidentielle », Revue de Sciences Criminelles et de droit pénal comparé 2008, p. 952. CHRONIQUE LEGISLATIVE Etienne VERGES Professeur à l’Université Pierre Mendès-France Grenoble 2 II – L E S P E I N E S Article 7 de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République : réflexions sur la nature et la fonction de la grâce présidentielle. La réforme des institutions qui a donné lieu à de nombreux débats politiques n’a pas suscité un grand intérêt de la part de la doctrine pénaliste 1. Pourtant, c’est l’une des institutions ancestrales du droit de l’application des peines qui a été modifiée à la suite de nombreux rebondissements : le pouvoir de grâce présidentielle. Il ne s’agit pas d’une réforme d’ampleur puisque seule la grâce collective a été supprimée, laissant subsister une grâce individuelle qui relève toujours des prérogatives discrétionnaires du Président de la République. Malgré la modestie de la réforme, la complexité du processus parlementaire sur ce sujet conduit à s’interroger sur la nature et la fonction de la grâce en droit français. Concernant la nature du droit de grâce, les auteurs de la réforme des institutions étaient placés face à une option. Ils pouvaient choisir de maintenir la tradition juridique qui consiste à conférer au chef de l’Etat un pouvoir d’origine monarchique, portant atteinte à la séparation des pouvoirs ou, au contraire, de moderniser cette prérogative en instaurant une procédure de contrôle de l’exercice de la grâce confiée à une commission indépendante. D’un droit exorbitant à caractère politique, la grâce aurait mué en procédure exceptionnelle d’aménagement de la peine à caractère semi-administratif. Concernant la fonction de la grâce, le pouvoir constituant était amené à s’interroger sur le développement des grâces collectives depuis le milieu des années 70 2. Ainsi, l’utilisation régulière des grâces du 14 juillet conduisait à des réductions massives de peine de 4 à 9 mois et à la libération de 3000 à 8000 condamnés dans le mois suivant le décret de grâce. D’un « acte de clémence exceptionnel », la grâce s’était transformée en un « un simple outil de gestion de la population carcérale. » 3. Cette mesure, censée être exceptionnelle et destinée à corriger les excès de rigueur du système 1 Cf. toutefois J.C. Zarka, La réforme du droit de grâce, Gaz Pal, 22/06/2008 N° 174 , Pages 6-8. Voir aussi le rapide commentaire de A. Vidal-Naquet, Un président de la République plus « encadré », JCP G., 2008, I, 172. 2 Cf. M. H. Renaut, « Le droit de grâce doit-il disparaître ? », RSC, 1996, n° 3 ; J. Dante, S. Grunvald, M. Herzog-Evans et Y. Le Gall, Prescription, amnistie et grâce en France, Paris, Dalloz, 2008. 3 Selon les expressions de J.-L WARSMANN, Rapport n°892 fait au nom de la commission des lois constitutionnelles de la législation et de l’administration générale de la république sur le projet de loi constitutionnelle (N° 820) de modernisation des institutions de la Ve République. http://www.assembleenationale.fr/13/rapports/r0892.asp#P1477_483995 1 pénal, était utilisée comme un instrument de désengorgement des prisons totalement étranger à la logique qui gouverne le droit d’application des peines 4. Le constituant devait donc choisir entre le maintien et la suppression de la grâce collective A l’origine, la réforme avait pour première ambition d’encadrer l’exercice du droit de grâce en soumettant la décision du chef de l’Etat à un avis simple d’une commission dont la composition aurait été déterminée par la loi. Cet encadrement du pouvoir de grâce n’est pas une nouveauté dans l’histoire constitutionnelle française. Dans la Constitution de 1848, le contrôle était exercé par le Conseil d’Etat et, dans celle de 1946, par le Conseil supérieur de la magistrature. Par ailleurs, l’article 17 de la Constitution de la cinquième république prévoyait à l’origine que le CSM donnait un avis sur toute demande de grâce. Cet avis avait été réduit ensuite aux seules personnes condamnées à mort. Le rôle du CSM avait été réduit à néant à la suite de l’abolition de la peine de mort. Il fut supprimé par la réforme constitutionnelle de 1993. Dans les travaux parlementaires qui ont précédé la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, cette question de l’encadrement du pouvoir de grâce a fait l’objet d’un débat intense. Dans son premier rapport 5, le député Warsmann considérait que la grâce ne portait pas véritablement atteinte à la séparation des pouvoirs et à l’indépendance de la justice dans la mesure où il s’agissait simplement de dispenser le condamné d’exécuter sa peine 6. L’analyse est erronée car elle ignore que la décision de justice est dotée d’une autorité mais aussi d’une force de la chose jugée. En ce sens, la grâce porte nécessairement atteinte au caractère exécutoire de la décision de justice et constitue donc une immixtion dans l’exercice de la fonction juridictionnelle. Pour autant, cette analyse n’a pas empêché la commission des lois constitutionnelles de l’Assemblée Nationale de proposer la mise en place d’une procédure d’avis devant une commission spéciale dont l’indépendance des membres serait garantie par la loi. Selon le rapporteur, la mise en place d’une « commission des grâces » aurait évité que cette mesure n’apparaisse comme un « simple fait du prince » et aurait eu pour effet de « mettre la décision présidentielle à l’abri de la critique et des soupçons de partialité ». Cette heureuse intention n’a pas résisté à la navette parlementaire. Au Sénat, la proposition d’instaurer un mécanisme de contrôle par une commission indépendante a été contestée au motif que le Président de la République devait « assumer pleinement » l’exercice d’un droit « attaché à sa fonction » 7. Il a également été souligné que l’avis rendu actuellement par le bureau des grâces de la chancellerie permettait d’exercer un contrôle préalable rendant inutile un second examen par une commission ad hoc8. Ces arguments ont eu raison du contrôle préalable qui n’a finalement pas été retenu par la loi constitutionnelle. Par ailleurs, la disparition de la grâce collective a, elle aussi, été remise en cause par le Sénat, de sorte qu’au cours de la navette, la réforme de la grâce présidentielle avait été totalement éliminée du projet de loi constitutionnelle. L’un des partisans de la grâce collective, le sénateur Robert Badinter, avait ainsi invoqué le danger d’une multiplication des demandes individuelles et les risques de surpopulation carcérale, voire de troubles sociaux qui pourraient y être associés. En définitive, la grâce collective, après avoir été rétablie par le Sénat, fut définitivement supprimée par l’Assemblée Nationale. 4 Individualisation et juridictionnalisation des mesures d’aménagement de la peine. J.-L WARSMANN, Rapport n°892, op cit. Ce parlementaire a été l’auteur de deux rapports au cours des travaux préparatoires. 6 C. pén. art 133-7. 7 Opinion de M. B. Frimat lors de la séance publique du 20 juin 2008 rapportée par .J.-L WARSMANN dans son second Rapport n°1009 au nom de la commission des lois constitutionnelles. http://www.assembleenationale.fr/13/rapports/r1009.asp 8 Ibidem. 5 2 Désormais, l’article 17 de la Constitution française est ainsi rédigé : « le Président de la République a le droit de faire grâce à titre individuel ». Seuls les mots « à titre individuel » ont été ajoutés au texte constitutionnel. La réforme semble modeste mais elle emporte d’importantes conséquences sur la tradition qui avait été instaurée depuis les années 70 et qui s’était poursuivie jusqu’en 2007. Cette réforme n’aura pas d’effet sur le quinquennat en cours puisque l’actuel président de la République a rompu l’usage de la grâce du 14 juillet. Mais si l’on regarde à plus long terme, il faut reconnaitre que la grâce a retrouvé ses traits originels : il s’agit une prérogative réservée au chef de l’Etat et destinée à un usage individuel et exceptionnel. Doit-on parler d’un retour du monarchisme ou d’un renforcement du présidentialisme ? C’est à chacun qu’il appartiendra d’en juger. E.V. 3