elevage-et-biotech - Nature et Progrès Tarn

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elevage-et-biotech - Nature et Progrès Tarn
SOMMAIRE
I. ÉLEVAGE DE PRÉCISION --------------------------------------------------------------------------------------------------- 2
II. « BIG DATA » AGRICOLE ------------------------------------------------------------------------------------------------- 5
III. CLONAGE ------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 6
IV. SÉLECTION GÉNOMIQUE ----------------------------------------------------------------------------------------------- 8
V. OGM ------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------ 11
VI. BREVET SUR LES ANIMAUX------------------------------------------------------------------------------------------- 12
VII. PROPOS CONCLUSIFS ------------------------------------------------------------------------------------------------- 14
ÉLEVAGE ET BIOTECHNOLOGIES :
PANORAMA SYNTHÉTIQUE
Dans le rapport « Agriculture-Innovation 2025 » commandé par les Ministères de l’Agriculture et
de l’Education nationale1, « permettre le plein développement des nouvelles technologies dans l’agriculture » est
identifié comme étant l’une des priorités à mettre en œuvre « pour une agriculture compétitive et
respectueuse de l’environnement ».
Depuis plus d’une vingtaine d’années, les biotechnologies partent à l’assaut du vivant : si le
monde végétal a essuyé les plâtres, le règne animal n’est pas épargné.
Les avancées technologiques sont sur tous les fronts : élevage de précision, « big data » agricole,
sélection génomique…
Les biotechnologies fonctionnent à la manière d’un puzzle : les pièces du puzzle ont
chacune une existence propre, mais ont vocation à être assemblées pour former un
système sous contrôle.
I. ÉLEVAGE DE PRÉCISION
Né dans les années 2000, l’élevage de précision repose sur l’utilisation de capteurs embarqués2 et
des technologies de l’information et de la communication combinée à l’identification
électronique des animaux, dans la perspective d’une efficience accrue des systèmes d’élevage.
Le but affiché est double :
-
simplifier le travail de l’éleveur : en automatisant certaines tâches, d’une part, et en
développant des outils d’aide à la décision en vue d’une meilleure gestion du troupeau,
d’autre part.
L’élevage de précision est censé améliorer la pertinence des choix stratégiques et des
interventions des éleveurs.
-
accroître la taille des cheptels, tout en permettant un suivi individualisé des animaux au
plus près des besoins de chacun d’entre eux.
1
La rédaction du rapport a été confiée à quatre personnalités : Jean-Marc BOURNIGAL, Président directeur général
de l’IRSTEA (ex-Cemagref), François HOULLIER, Président directeur général de l'INRA, Philippe LECOUVEY,
Directeur de l'ACTA (Association de coordination technique agricole), et Pierre PRINGUET, Président
d'AgroParisTech. Les conclusions de ce rapport ont été présentées le 22 octobre 2015.
2 Les capteurs embarqués servent à mesurer divers paramètres, notamment d’ordre biologique : données
physiologiques, comportementales, ou liées à la production, etc.
Les paramètres environnementaux peuvent également être mesurés par des capteurs (température, hygrométrie, etc) ;
ce qui rend possible la gestion à distance de l’ambiance des bâtiments.
2
Dispositif technique
L’identification des animaux au moyen de puces RFID est le point d’ancrage autour duquel le
système est bâti : elle permet le suivi individualisé des animaux.
L’élevage de précision requiert, par ailleurs, des outils informatiques et de communication,
nécessaires à la fois pour transmettre, stocker, traiter et analyser les données enregistrées par les
capteurs.
En bout de chaîne, des automates ou outils de précisions sont destinés à décharger les éleveurs
des tâches astreignantes :
-
distributeurs d’aliments concentrés (DAC), salle d’alimentation en self-service
(selfifeeders)3, dans les élevages porcins ;
-
robots de traite, robots d’affouragement, détecteurs de rumination, dans les élevages
bovins ;
-
pesons automatiques, dans les élevages avicoles.
La physionomie de la ferme s’en trouve considérablement transformée. Il va s’en dire que de
lourds investissements sont nécessaires, compte tenu du niveau d’équipement requis pour faire
fonctionner le système.
Pour autant, les éleveurs sont de plus en plus séduits par ces solutions technologiques. Fin 2015,
3316 élevages adhérents au contrôle laitier étaient équipés de robots de traite, soit 10 fois plus
qu'en 2005 et 2 fois plus qu'en 2010, selon l’Institut de l’élevage.
L’automatisation complète des élevages est un objectif à plus ou moins long terme. Le centre
australien de la robotique de terrain (ACFR) a mis au point un robot, équipé de capteurs de
vision et de capteurs thermiques, destiné à réaliser les tâches d’un berger. La phase test a été
lancée en juin 2016 et devrait durer deux ans ; période mise à profit pour optimiser la capacité de
ce « robot berger » à repérer les animaux malades et à se déplacer dans des zones difficiles
d’accès.
Organisation du travail
La volonté d’alléger la charge de travail, de gagner en confort de travail et en souplesse dans
l’organisation des tâches est déterminante chez les éleveurs qui ont choisi de se lancer dans
l’élevage assisté par ordinateur.
L’élevage de précision ne manque pas de bouleverser en profondeur la nature du travail de
l’éleveur.
La gestion à distance prend le pas sur l’observation directe des animaux, reléguée au
second plan. L’éleveur dispose d’informations en continu et est alerté des incidents qui requièrent
son intervention par un système d’alarme (dispositif fixe ou installé sur smartphone).
3
La salle d’alimentation automatisée (ou selfifeeder) est composée d'alimentateurs dont le nombre varie en fonction
de la taille du cheptel. Chaque alimentateur est équipé :
- d'une antenne reconnaissant chaque animal grâce à la puce électronique dont il est pourvu,
- d’un doseur volumétrique,
- et d'une sonde de niveau qui contrôle les quantités consommées.
3
Certes l’éleveur est libéré de certaines tâches : alimenter les animaux, les traire, les
peser… Mais de nouvelles obligations apparaissent : consultation et tri des données, gestion
informatique, entretien et maintenance des outils de précision.
Les tâches qui disparaissent sont directement liées aux soins à apporter aux animaux ; tandis
que celles qui apparaissent n’ont qu’un lien distendu avec eux…
Monitoring généralisé
Concrètement, que permet de faire l’élevage de précision ?
Chez les bovins, on dénombre déjà diverses applications : détection automatisée des boiteries,
mais également des vêlages ; monitoring de l’ingestion et de la rumination ; monitoring du poids
et de l’état corporel ; traite de précision.
Dans les élevages porcins, les outils de précision sont essentiellement mis au service de
l’alimentation des animaux, calibrée en fonction de leur état physiologique (gestation,
lactation…). Des développements techniques sont attendus, en vue notamment de permettre le
suivi du poids vif et de la composition corporelle des animaux.
Enfin, il existe, pour les équins, des outils de détection des chaleurs et du poulinage, mais
également des outils de caractérisation de la morphologie.
D’autres applications seront sans doute proposées dans les années à venir. La production de
données automatisées permise par l’élevage de précision va sans nul doute offrir de nouvelles
possibilités en termes de phénotypage haut débit.
Déshumanisation
Ses promoteurs envisagent l’élevage de précision comme un moyen d’améliorer le bien-être des
animaux, d’améliorer la gestion des ressources à disposition et de réduire l’impact
environnemental, tout en préservant les performances économiques des élevages.
Avec l’élevage dit de précision, un nouveau palier est franchi dans l’industrialisation et la
déshumanisation des pratiques d’élevage.
La relation directe entre l’Homme et l’animal cède la place à une relation marquée par
l’intermédiation technologique : on passe d’une culture du soin apporté à l’animal à celle
du monitoring, caractérisée par une surveillance en continu effectuée par mesure de paramètres
et enregistrement de comportements divers.
Par ailleurs, l’éleveur n’est plus qu’un maillon de la chaîne de décision : il est dépossédé d’une
partie de ses prérogatives quant à la définition de la conduite de son troupeau.
Le lien de dépendance avec la technologie ne cesse de croître : l’éleveur se commue peu à peu en
simple gestionnaire de données.
4
II. « BIG DATA » AGRICOLE
La démultiplication des capacités d’acquisition, de traitements et de stockage des données rendue
possible par la révolution numérique a permis l’émergence de gisements de données, ou « big
data », dont la valeur marchande ne cesse de croître.
La faculté, via le numérique, de collecter et de traiter des données à grande échelle bouleverse
tous les secteurs économiques, y compris l’agriculture.
Le « big data » agricole intéresse de près les multinationales, semenciers (Monsanto, Pioneer)
comme équipementiers (John Deere, AGCO, CNH Industrial), qui se positionnent d’ores et déjà
sur le marché de l’agriculture dite connectée.
Agriculture numérique
Dans ce contexte, la constitution et la gestion de bases de données agricoles devient un enjeu
crucial. D’emblée, se pose la question de la propriété de ses données, de leurs conditions
d’accès (accès libre, accès payant, système de licences ?) et des modalités de leur hébergement.
En France, la construction de ces bases de données est pour l’heure embryonnaire4.
L’année 2016 est toutefois marquée par l’annonce de la construction d’un portail de données
agricoles d’envergure nationale effectuée par le Ministre de l’Agriculture à l’occasion de la
présentation du plan « Agriculture-Innovation 2025 », le 29 février 2016 lors du salon de
l’agriculture. Ce plan reprend les recommandations du rapport « Agriculture-Innovation 2025 ».
L’IRSTEA a été désigné en mai 2016 pour préparer la mise en place opérationnelle de ce portail.
Cette agrégation de données sera le support de nouveaux services proposés aux agriculteurs.
Quoi qu’il en soit, la construction d’une telle base de données suppose, en amont, de développer
la connectivité des fermes et notamment des élevages, sans laquelle la production de données de
masse n’est pas permise. L’objectif est donc de favoriser, à grande échelle, la conversion des
fermes au numérique.
Le dispositif DigiFerme, lancé en mai 2016 par l’Institut du végétal (Arvalis) en partenariat avec
l’Institut de l’élevage, a justement pour ambition d’expérimenter des outils et services connectés
en conditions réelles, en vue de leur généralisation.
Dans le cadre de ce dispositif, deux fermes ont été retenues dont l’une en polyculture-élevage.
Arvalis va, entre autres, tester :
-
des lunettes connectées permettant notamment d’enregistrer le poids l’un animal avec la
voix ;
-
des capteurs placés sur les animaux (détecteur de vêlage, thermosonde…), afin d’étudier
leur fiabilité.
4
2016 voit toutefois le lancement de la plateforme API-agro (API, pour Application Programming Interface) qui met
à disposition un catalogue de données et de fonctions de calcul produites par les chercheurs et les ingénieurs de 12
instituts techniques agricoles partenaires de la plateforme. Grâce à un partage de références agronomiques relatives
aux cultures et à l’élevage, ce portail a vocation à être une interface de programmation permettant la mise à
disposition de services internet.
5
Les tenants de l’agriculture numérique ont donc tout intérêt à promouvoir le développement
de l’élevage de précision, grand pourvoyeur de données à exploiter.
Autour du « big data » agricole
Le gisement de données agricole a, en soi, une valeur marchande. Qui plus est, la
marchandisation des données de masse à caractère agricole entraîne, dans son sillage, l’émergence
de nouveaux marchés.
Ainsi, les services générés par l’exploitation du « big data » agricole sont également lucratifs :
applications pour smartphone, outils d’aides à la décision, capteurs, objets connectés, services de
conseil agricole… De nouveaux services offerts aux éleveurs, moyennant finance.
Le risque est grand que les éleveurs deviennent totalement prisonniers du système qu’ils
alimentent grâce à leurs données. La protection des données qu’ils produisent est un enjeu
majeur.
III. CLONAGE
Le 5 juillet 1996, la brebis Dolly, premier mammifère à avoir été cloné à partir d'une cellule
prélevée sur un animal adulte, voit le jour à Edimbourg.
Le clonage est rapidement perçu comme un outil d’aide à la reproduction permettant
d’améliorer les cheptels ; le matériel reproductif des animaux clonés étant utilisé pour
l’insémination artificielle. En 1998, l’INRA se lance, à des fins de recherche et d’expérimentation,
dans la production de veaux clonés, en vue d’en faire un outil de sélection animale5.
Dès 1997, le règlement relatif aux nouveaux aliments6 adopté par la Communauté européenne
soumet la commercialisation de viande et de produits laitiers issus d’animaux clonés à une
autorisation préalable de mise sur le marché accordée par la Commission européenne, après
évaluation scientifique des risques sanitaires.
Qu’en est-il du clonage animal, 20 ans après ?
Clonage d’animaux d’élevage
Le faible taux de réussite de cette technique7, le taux de mortalité embryonnaire élevé, la présence
récurrente de malformations et de pathologies lourdes ne semblent pas être un frein au
développement du clonage des animaux d’élevage.
Faute de recensement obligatoire, il n’est toutefois pas permis de quantifier le nombre d’animaux
clonés, développés principalement aux Etats-Unis, au Canada, en Argentine, au Brésil, en
5
Depuis 2011, l’INRA a toutefois cessé d'utiliser cette technique au profit de la sélection génomique et de sa
redoutable efficacité.
6 Règlement (CE) n° 258/97 du Parlement européen et du Conseil du 27 janvier 1997 relatif aux nouveaux aliments
et aux nouveaux ingrédients alimentaires (JOCE n° L 043 du 14/02/1997, pp. 1-6).
7 6 à 15 % pour les bovins et environ 6 % pour les porcins.
6
Australie ou en Nouvelle-Zélande. Ni même de connaître précisément le nombre de descendants
et les quantités de produits alimentaires qui en sont issus.
Dans ces pays, la commercialisation à des fins alimentaires des produits provenant d'animaux
clonés et de leur progéniture est autorisée.
La Chine se lance à son tour dans le clonage des animaux d’élevage. Fin 2015, la société de
biotechnologie Boyalife a annoncé la construction d'une usine de clonage dans la ville portuaire
de Tianjin, au nord du pays. Elle ambitionne, dans un premier temps, de produire quelque
100 000 embryons de vaches chaque année pour atteindre un million de têtes à terme.
La technique du clonage concerne essentiellement les bovins, sélectionnés pour leur productivité.
Mais des ovins et des porcins à haut potentiel sont également concernés.
Impact sur l’Union européenne
Certes, l'Union européenne ne produit pas d’animaux clonés pour l'élevage.
Elle est néanmoins affectée par ce phénomène en raison des importations de viande et de lait en
provenance de pays tiers, des importations d'animaux vivants, ainsi que de matériel génétique
utilisé pour la reproduction animale.
Le règlement de 1997 sur les nouveaux aliments est totalement obsolète. Jusqu’à présent, il n’a
d’ailleurs jamais donné lieu à des demandes d’autorisation de mise sur le marché de denrées
alimentaires produites au moyen de la technique du clonage.
Jusqu'ici, rien n’interdit aux éleveurs de l’Union européenne d’importer depuis des pays tiers des
semences d’animaux clonés, ou descendant d’animaux clonés.
Processus législatif en cours
Le clonage des animaux des espèces bovine, porcine, ovine, caprine et équine élevés et reproduits
à des fins agricoles fait l’objet d’une procédure législative, initiée par la Commission européenne
le 18 décembre 20138.
Dans ce texte, la Commission propose d’interdire le clonage animal au sein de l’Union, sans pour
autant prohiber la commercialisation de viande ou de lait issus d’animaux clonés ou de leur
progéniture, ni assurer la traçabilité de ces produits.
Le Parlement européen a souhaité se départir du positionnement hypocrite défendu par la
Commission.
Le 8 septembre 2015, il a adopté en première lecture un texte visant à interdire le clonage animal
à des fins d’élevage et d’alimentation dans l’Union européenne mais aussi l’importation sur le
territoire européen de descendants d’animaux clonés et de produits qui en sont issus (produits
carnés, lait et produits laitiers, matériel de reproduction). Les pays tiers devront par ailleurs
8
Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2013 relative au clonage des
animaux des espèces bovine, porcine, ovine, caprine et équine élevés et reproduits à des fins agricoles, COM(2013)
892 final, procédure 2013/0433(COD).
7
garantir, via un système de certificats, que les produits exportés vers l’Union ne sont pas issus de
cette technique.
La suite de la procédure s’annonce houleuse : la Commission est hostile à la version du texte
adoptée par les eurodéputés et le Conseil de l’Union, qui à son tour examine le texte, est
particulièrement divisé à ce sujet.
IV. SÉLECTION GÉNOMIQUE
La sélection génomique est un mode de sélection fondé sur le décryptage du génome.
D’abord appliquée chez les races bovines laitières9, la génomique gagne d’autres espèces – les
races ovines laitières, les porcins et très récemment les caprins – et tend à supplanter la sélection
sur descendance longtemps incontournable.
En matière de sélection génomique, le rapport « Agriculture-Innovation 2025 » affiche deux
ambitions :
-
étendre la sélection génomique à davantage de races et espèces animales et promouvoir
cette technologie auprès de tous les acteurs de la sélection, afin qu’ils l’intègrent dans
leurs pratiques ;
-
accroître le nombre et la capacité des plateformes de génotypage et de phénotypage à
haut débit et élargir encore la gamme des objectifs de sélection en privilégiant notamment
les critères de durabilité.
Rupture technologique
La sélection génomique permet un raccourcissement considérable des cycles de sélection :
pour évaluer un reproducteur, il n’est plus nécessaire d’attendre que sa descendance soit entrée en
production.
À partir d’un échantillon de tissu biologique qui peut être prélevé dès le stade fœtal, la génomique
permet d’évaluer la valeur génétique des individus à travers les informations contenues dans leur
génome.
Plus précisément, elle repose sur une évaluation du potentiel génétique des individus à partir de
nombreux marqueurs génétiques moléculaires répartis sur tout le génome.
Ces marqueurs génétiques moléculaires n’ont pas de sens biologique en tant que tels.
Mais l’analyse d’une population de référence constituée d’animaux dont on connaît à la fois le
génotype et le phénotype permet d’établir – grâce à des modèles mathématiques – des relations
entre génotype et performances, et d’élaborer des équations de prédiction de la valeur
génétique des individus dont le phénotype est inconnu, à partir de leur seul génotype.
9
En France, les premières évaluations génomiques ont été réalisées en 2008 sur des taureaux de race Prim’Holstein.
Dès 2009, les premiers index génomiques de taureaux de race Prim’Holstein, Montbéliarde et Normande sont
publiés : des semences de taureaux évalués par le biais de la génomique commencent donc à être diffusées.
8
L’avènement de la sélection génomique est le fruit de la conjonction entre des méthodes de
séquençage plus performantes et des capacités de calcul numérique démultipliées permettant un
meilleur traitement des données de masse (ou « big data ») :
« (…) le séquençage du génome permet de lire le code génétique [porté par l’ADN]. La bio-informatique
permet de croiser les séquences ADN de plusieurs animaux avec les informations sur leurs morphologie et
productivité, afin de repérer des marqueurs génétiques moléculaires pour certains caractères d’intérêt. Une
fois ces marqueurs définis, on fabrique des « puces à ADN », c’est-à-dire des petits appareils qui détectent
quasi instantanément leur présence ou absence.
C’est ainsi que les avancées en génie génétique (séquençage du génome) et en bio-informatique (traitement des
big data) se rejoignent, permettant la naissance d’une nouvelle méthode de sélection »10.
De nouvelles avancées techniques sont attendues : « désormais la recherche se tourne vers le calcul de
valeurs génétiques combinant simultanément performances, généalogies et génotypages (le « Single Step ») et vers
l’intégration dans ces calculs d’une connaissance toujours plus fine des génomes »11.
Prérequis
La fiabilité de la sélection génomique est étroitement liée à la taille de la population de référence,
au suivi et au renouvellement régulier de cette population.
Le préalable indispensable à l’évaluation génomique des reproducteurs d’une race donnée est
donc de constituer une population de référence la plus large possible : l’efficacité des équations
de prédiction en dépend12.
Cette population de référence est constituée d’animaux génotypés et nécessairement évalués sur
descendance, afin de permettre l’établissement des formules de prédiction qui seront utilisées
pour estimer les différents index génétiques du jeune animal à partir de son génotypage.
L’année 2015 marque une avancée avec l’intégration des femelles dans les populations de
référence13.
Par ailleurs, le renouvellement de la population de référence avec l’évaluation sur descendance de
nouveaux animaux est nécessaire pour maintenir une sélection fiable.
Or, l’entretien et le suivi d’une population de référence conséquente représente un coût élevé.
Pour rentabiliser les investissements engagés, les structures de sélection ont donc intérêt à
diffuser le plus largement possible, auprès des éleveurs, des reproducteurs et semences
issus de sélection génomique.
10
HANNACHI (M), « La « révolution » génomique : impact des changements institutionnels et technologiques sur
les filières de génétique bovine en France », Notes et études socio-économiques (NESE) n° 39, Avril 2015, p. 188.
11 JOURNAUX (L), « Un regard après 5 ans de sélection génomique au sein des races bovines laitières », in
« Déploiement de la sélection génomique dans les filières animales et végétales et attentes des acteurs vis à vis de la
recherche publique », Les Rencontres de l’Inra au Salon de l’agriculture, 26 février 2015, p. 3.
12 Afin d’améliorer la précision des prédictions, les principales entreprises européennes de sélection génomique de la
race Prim’Holstein mettent en commun, depuis 2009, les données de leurs populations de référence (consortium
Eurogenomics) : les données du séquençage génétique, l’information généalogique et les données relatives aux
performances des descendants. Soit un pool de données portant sur plus de 18000 taureaux génotypés et évalués sur
descendance (19 millions de filles), selon France génétique élevage (cf. FGE, « La génétique française pour les filières
bovines, ovines et caprines. Qualité, innovation, performances », brochure, décembre 2011, p. 27).
13 JOURNAUX (L), « Un regard après 5 ans de sélection génomique au sein des races bovines laitières », in
« Déploiement de la sélection génomique dans les filières animales et végétales et attentes des acteurs vis à vis de la
recherche publique », Les Rencontres de l’Inra au Salon de l’agriculture, 26 février 2015, p. 3.
9
Dispositif inédit
En France, la recherche et le développement de la sélection génomique bovine ont été le fruit
d’un partenariat entre l’INRA et l’UNCEIA14 déployé avec le soutien financier de la société Apisgène, constituée par les interprofessions laitière et viande, l’Institut de l’élevage, les coopératives
d’insémination et la Confédération nationale de l’élevage.
Cette coopération inédite entre recherche publique et acteurs privés dans la construction de
l’outil génomique a eu de fortes répercussions sur les modalités d’organisation de l’aval de la
filière de sélection.
C’est ainsi que huit entreprises de sélection15 investies dans la sélection des races Holstein,
Montbéliarde et Normande ont formé un consortium et conclu un contrat exclusif avec l’INRA
et le GIE LABOGENA16 : dans l’histoire de la sélection animale, « c’est la première fois (au moins à
cette échelle) que le partenariat entre la recherche publique et les acteurs de la sélection aboutit à la construction
d’outils privés réservés aux entreprises de sélection membres du consortium ayant investi dans ces recherches »17.
Afin de valoriser cet outil privé, les entreprises de sélection membres du consortium ont créé, en
2010, la société Valogène, qui s’est vu confiée jusqu’en 2015 « l’exclusivité de la licence d’exploitation
du procédé d’évaluation génomique des bovins laitiers et de la fourniture de ce service aux éleveurs ou organismes
souhaitant y avoir accès en race Holstein, Normande et Montbéliarde. L’INRA reste propriétaire du procédé et
responsable de sa mise en œuvre »18.
L’exploitation de cette technologie génère chaque année des royalties que se répartissent l’INRA,
l’UNCEIA et Apis-Gène.
Cette reconfiguration des modes d’organisation de la sélection s’est accompagnée d’un
accroissement du jeu concurrentiel entre les acteurs de la sélection, engagés dans des stratégies de
différenciation : apparition d’indicateurs génomiques privés à côtés des index officiels, vive
concurrence autour de la production des données de phénotypage et de la construction des
populations de référence…
En France, la sélection génomique est utilisée en routine pour les trois races laitières les plus
répandues (Prim’Holstein, Montbéliarde, Normande) : en 2014, 70% des femelles inséminées
l’ont été avec de la semence de jeunes taureaux sans fille en production. 25 000 génotypages ont
été réalisés pour les programmes de sélection et plus de 50 000 pour des éleveurs à des fins de
gestion de leur troupeau (+ 44% par rapport à 2013)19.
Depuis 2014, la Brune bénéficie d’un programme de sélection génomique, grâce au
rapprochement de populations de référence à une échelle européenne (consortium
Intergenomics).
14
Union nationale des coopératives d’insémination artificielle.
GNA en race Normande, Jura Bétail et Umotest pour la race Montbéliarde, et enfin UNECO, GENOE, Midatest,
URCEO et GDH pour la race Holstein.
16 Laboratoire d’analyses génétiques pour les espèces animales.
17 LABATUT (J) et al., « Implications organisationnelles de la sélection génomique chez les bovins et ovins laitiers
en France :analyses et accompagnement », INRA Productions Animales, 2014, n° 4, p. 306.
18 LABATUT (J) et al., « Implications organisationnelles de la sélection génomique chez les bovins et ovins laitiers
en France :analyses et accompagnement », INRA Productions Animales, 2014, n° 4, p. 306.
19 JOURNAUX (L), « Un regard après 5 ans de sélection génomique au sein des races bovines laitières », in
« Déploiement de la sélection génomique dans les filières animales et végétales et attentes des acteurs vis à vis de la
recherche publique », Les Rencontres de l’Inra au Salon de l’agriculture, 26 février 2015, p. 3.
15
10
L’ambition à terme est d’étendre la sélection génomique à 18 races bovines (projet d’études
GeMBAL)20.
Fin 2015, l’accès à la génomique a été étendu à trois races allaitantes (la Charolaise, la Limousine
et la Blonde d’Aquitaine) ; tandis que mars 2016 a vu l’officialisation des premiers index
génomiques pour les races Abondance, Tarentaise, et Vosgienne. Pour ces trois dernières races, la
précision des évaluations est moindre, notamment sur certains critères fonctionnels.
Pour les races à très faibles effectifs qui, de fait, ne permettent pas la constitution de
populations de référence de taille suffisante, les recherches doivent se poursuivre en vue de
développer une sélection génomique multi-raciale.
Dépendance accrue
Avec la génomique, la sélection peut s’opérer sur davantage de critères, y compris des caractères
peu héritables ; ce qui autorise une plus grande diversification des objectifs de sélection.
Du moins, en théorie.
Si les index génomiques offrent une plus grande palette de critères, les critères classiques,
notamment ceux relatifs à la production, sont présentés en tête des grilles d’évaluation. Les
reproducteurs sont classés, les mieux notés restent les plus demandés.
Devant une offre pléthorique21, les éleveurs ne disposent pas des clés nécessaires pour pouvoir
effectuer leur choix en toute connaissance de cause.
La lecture des index ne peut pas être facilement appréhendée. La génomique est un outil
scientifique d’une grande complexité : son appropriation n’est pas chose aisée.
De plus en plus éloignés des processus de sélection, les éleveurs sont destinataires d’un
progrès génétique dont ils ne peuvent évaluer ni le contenu, ni la qualité.
La sélection génomique accroît encore la dépendance des éleveurs à l’égard des structures de
sélection. D’autant plus que de nouveaux services sont proposés aux éleveurs, tel que le
génotypage et l’évaluation génomique des femelles accessibles depuis 2010 chez les bovins
laitiers. L’utilisation de l’outil génomique s’étend donc à la sélection de la voie femelle.
V. OGM
Avertissement
Les rares données qui ont pu être recueillies à ce sujet sont insuffisantes pour permettre la
rédaction d’une synthèse.
20
GeMBAL, pour Génomique Multiraciale des Bovins Allaitants et Laitiers.
Près de 130 taureaux de race Prim’Holstein nés en 2015 ont déjà été indexés par les entreprises Évolution, Gènes
Diffusion, Origenplus et Midatest.
21
11
VI. BREVET SUR LES ANIMAUX
La démultiplication des avancées technologiques dans le domaine des biotechnologies a
considérablement élargi le champ potentiel de la brevetabilité.
Dans ce contexte, le brevet devient un outil juridique au service de l'instrumentalisation du vivant
et un puissant vecteur de dépendance économique des paysans – et, à terme, des peuples euxmêmes – à l’égard des multinationales.
La détention de brevets sur les espèces végétales ou animales dessine inévitablement les
orientations de l’ensemble de la chaîne de production alimentaire : la biodiversité, prise en otage,
est dangereusement menacée.
Prémisses
Ce sont les Etats-Unis qui en 1988 ouvrent la voie au brevetage des animaux avec un brevet
accordé à l’Université d’Harvard pour une souris transgénique dont la particularité est d’exprimer
un oncogène. Ce brevet a été racheté par Dupont de Nemours qui a obtenu, en 1992, un brevet
européen (EP n° 169672) sur cette souris.
Depuis lors, de nombreux brevets ont été accordés par l’office américain des brevets (USPTO)
sur des animaux transgéniques ou clonés à des fins médicales, pharmaceutiques ou encore
agricoles.
Des marqueurs génétiques peuvent également faire l’objet de brevets, tels que les marqueurs de
séquence exprimée (ou EST) dont la brevetabilité a été reconnue par l’USPTO sous certaines
conditions.
Nouvel eldorado
Les enjeux économiques autour de la sélection animale sont considérables. Ils attirent
inévitablement les convoitises de firmes qui entendent acquérir des droits de propriété sur les
animaux et leurs caractères d’intérêts.
Ainsi, au Canada, une demande de brevet relative au groupe d’allèles responsable du phénotype
sans corne chez le bétail a été déposée le 18 décembre 2008 par un consortium américain. Elle
est en cours d’examen.
L’Union européenne n’est pas épargnée par ce phénomène ; qui n’en est pour l’heure qu’à son
balbutiement.
Dès la fin des années 2000, l’Office européen des brevets (OEB) a pu accorder des brevets sur
des animaux. Ce n’est qu’à force de mobilisation d’organisations non gouvernementales, que
ceux-ci ont été finalement révoqués.
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Incertitudes
Les assauts de ceux qui entendent déposer des brevets sur le vivant s’intensifient, encouragés par
le flou savamment entretenu autour de l’interprétation des dispositions relatives au droit des
brevets sur le territoire européen.
En principe, il est interdit de breveter les races animales. Il est également interdit de breveter les
procédés essentiellement biologiques d'obtention des animaux, comme le croisement et la
sélection.
Grâce au déploiement des biotechnologies, ces interdictions de principe sont aisément
contournées.
Une décision récente de l’Office européen des brevets, rendue à propos de semences
végétales, envoie un signal fort aux éventuels candidats intéressés par le dépôt de brevets sur les
animaux.
Dans cette décision, l’OEB considère que les plantes et les animaux dérivés de procédés de
sélection essentiellement biologiques sont brevetables (OEB, Grande chambre de recours, 25
mars 2015, affaires n° G02/12 « Tomates II » et G02/13 « Brocolis II).
Autrement dit, il suffit de découvrir un lien entre une séquence génétique présente naturellement
chez un animal et un caractère particulier pour que la protection accordée par le brevet s’étende à
tous les animaux exprimant ce caractère.
Par ailleurs, un brevet sur le saumon – nourri avec des plantes spécifiques permettant
d’augmenter la teneur du poisson en oméga 3 – serait apparemment en passe d’être accordé par
l’OEB.
Perspectives
Tel qu’il est conçu, le droit des brevets applicable sur le territoire de l’Union européenne
constitue un terreau fertile permettant le développement des brevets sur les animaux et
leurs composantes.
Même si certains Etats membres de l’Union européenne – l’Allemagne, les Pays-Bas, et depuis
peu la France avec l’adoption de la loi sur la reconquête de la biodiversité en juillet 2016 –
commencent à adopter des lois plus restrictives, seule une évolution règlementaire conduite à la
fois au niveau des institutions européennes et de l’Office européen des brevets permettra de
sortir de l’ornière.
Et la plus grande vigilance s’impose quant au contenu des accords de libre-échange en cours de
négociation (TTIP, CETA), afin que la capacité de l’Union européenne à interdire, dans le futur,
la brevetabilité du vivant ne soit pas purement et simplement obérée.
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VII. PROPOS CONCLUSIFS
Dans cette fuite en avant vers le tout technologique, la vocation première de l’agriculture –
nourrir les peuples – est plus que jamais remise en cause.
L’agriculture sort progressivement du secteur primaire et tend à devenir une proto-industrie,
dédiée à approvisionner en matières premières le secteur industriel de l’alimentation, de la chimie,
de l’énergie ou encore des matériaux.
Dans un futur lointain ( ?), le sort de l’élevage paraît même scellé : voué à disparaître au profit de
l’« agriculture cellulaire » qui ambitionne de produire des produits animaux, sans animaux, à partir
de procédés issus du génie tissulaire ou de la biologie de synthèse. Des travaux sur la synthèse de
steaks, de poulet, de protéines de lait ou de blancs d’œufs sont en cours.
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