LE REGISTRE WHOIS POUR .CA DEVIENT-IL UNE

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LE REGISTRE WHOIS POUR .CA DEVIENT-IL UNE
LE REGISTRE WHOIS POUR .CA DEVIENT-IL UNE ANTITHESE DES PRINCIPES DE
PUBLICITE LEGALE?
MARCEL NAUD*
LEGER ROBIC RICHARD, S.E.N.C.R.L.
AVOCATS, AGENTS DE BREVETS ET DE MARQUES DE COMMERCE
Parmi les sujets on ne peut plus brûlants d'actualité abordés lors de la conférence
Legal.IT au printemps dernier figurait la nouvelle politique WHOIS 1 de l'Autorité
Canadienne pour les Enregistrements Internet (ACEI), un organisme privé sans but
lucratif à qui le gouvernement canadien a délégué depuis 2000 l’administration de la
zone .CA du système de noms de domaine, avec l’objectif de conserver cette zone
comme une ressource appartenant aux Canadiens et contrôlée par eux pour leur
propre bénéfice.
Comme juristes, on peut aisément comprendre que le caractère publiquement
accessible de registres tels que le Registre des entreprises, le Registre foncier, celui
des marques de commerce, le RDPRM, les plumitifs et bien d’autres, de même que
le degré d’intégrité et d’aisance de consultation de ces registres tenus par des
autorités publiques s’avère primordial, à la fois pour l’opposabilité des droits des
personnes concernées et la protection des intérêts des tiers. Dès lors, quelles
réactions les juristes canadiens devraient-ils avoir vis-à-vis cette nouvelle politique,
en vigueur depuis le 10 juin 2008, ayant pour effet de masquer systématiquement de
la portion publiquement accessible du registre WHOIS les renseignements
personnels concernant l’identité du titulaire et des personnes-ressources pour un
nom de domaine lorsque ce nom est détenu par une personne physique?
À première vue, on pourrait croire que cette protection accrue pour les individus ne
peut être que bénéfique à une époque où la sphère privée semble de plus en plus
perméable. Concrètement, cela implique toutefois qu’un particulier qui a enregistré
un nom de domaine .CA jouit d’un certain anonymat même si les raisons pour
lesquelles le nom a été enregistré ou les utilisations qui en sont faites sont d’ordre
purement commercial ou encore qu’elles sont, au moins en apparence,
préjudiciables aux droits d’un tiers.
© CIPS, 2008.
* Avocat de LEGER ROBIC RICHARD, S.E.N.C.R.L., un cabinet multidisciplinaire d’avocats et d’agents
de brevets et de marques de commerce. Publié dans le numéro de décembre 2008 de la revue Le
monde juridique. Publication 062.046.
1
<http://www.cira.ca/fr/Whois/whois_intro.html>
2
Pourtant, déjà en 2003, dans un rapport de l’OCDE traitant de l’importance d’avoir
des données WHOIS exactes et disponibles2, on indiquait que près de la moitié des
utilisateurs commerciaux et gouvernementaux déclaraient avoir subi des préjudices
ou des inconvénients découlant de données WHOIS inexactes. Le rapport faisait
notamment ressortir le fait que la facilité avec laquelle les consommateurs pouvaient
identifier les entreprises en ligne était un élément clé de leur confiance en l’absence
des points de repères habituels pour identifier un détaillant traditionnel. Il concluait à
la nécessité que les noms et coordonnées des titulaires faisant une utilisation
commerciale du nom de domaine soient exacts et publiés via les registres WHOIS.
Plus récemment, l’agence du gouvernement américain chargée de la délégation de
l’administration de la zone .US exigeait de son opérateur qu’il fasse en sorte que les
titulaires de noms de domaine .US soient tenus d’afficher des données WHOIS
complètes, actualisées et exactes et qu’il interdise aux registraires de noms de
domaine .US d’offrir des services de prête-nom et de non-divulgation de données
WHOIS.
Le système de publicité légale quant à lui repose essentiellement sur l’obligation,
pour une entreprise assujettie3, de déposer et d’actualiser une série d’informations la
concernant. Les informations ainsi inscrites font preuve de leur contenu en faveur
des tiers de bonne foi, ce qui est conforme au principe de base voulant que la
publication des droits ou des renseignements profite à la personne qui les publie.
Malgré tout, le non-respect des exigences de la loi en cette matière peut entraîner
des sanctions pour l’assujettie, et une partie intéressée peut exercer certains recours
administratifs spécifiques visant la conformité de l’assujettie.
Au Canada, les enregistrements de noms de domaine .CA, contrairement aux
immatriculations d’entreprises ou aux marques de commerce par exemple, ne sont
pas administrés par une autorité publique, et ce, malgré la portée et le caractère
exclusif des droits conférés par de tels enregistrements. De ce fait, le registre
WHOIS pour le nom .CA n’est pas traité comme un document public dont le contenu
aurait acquis un tel caractère. L’adoption de la nouvelle politique WHOIS par l’ACEI
pour la zone .CA aurait par conséquent été motivée par une recherche de conformité
à la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents
électroniques (Loi), au terme d’un processus de consultations publiques.
Selon la Loi, toute organisation assujettie doit, sauf exception, se conformer aux
obligations énoncées dans son annexe 1 et ne peut recueillir, utiliser ou
communiquer des renseignements personnels qu’à des fins qu’une personne
raisonnable estimerait acceptables dans les circonstances. Parmi les obligations
2
Considérations du point de vue de la politique à l’égard des consommateurs sur l’importance d’avoir
des données Whois exactes et disponibles - Comité de l’OCDE sur la politique à l’égard des
consommateurs (2003) - <http://www.olis.oecd.org/olis/2003doc.nsf/LinkTo/dsti-cp(2003)1-final>.
3
incluant, au Québec, les personnes physiques exploitant une « entreprise individuelle » sous un nom
ne comprenant pas leur nom de famille et leur prénom
3
pertinentes en l’espèce, on trouve celle voulant que l’organisation ne puisse recueillir
que les renseignements personnels nécessaires aux fins déterminées et doive
procéder de façon honnête et licite et celle voulant que les renseignements
personnels ne doivent pas être utilisés ou communiqués à des fins autres que celles
auxquelles ils ont été recueillis, à moins que la personne concernée n’y consente ou
que la loi l’exige.
Or, l’ACEI est en mesure d’obtenir de la part des titulaires, au cours du processus
d’enregistrement d’un nom de domaine, tout consentement jugé nécessaire pour
s’acquitter de sa mission. De plus, elle identifie nommément les raisons suivantes
pour justifier le fait de fournir certains renseignements associés aux noms de
domaine .CA:
• permettre aux administrateurs de réseau de déceler et de corriger des
anomalies de système et de maintenir, d’une manière générale, la stabilité de
l’Internet;
• chercher à savoir si des noms de domaine .CA sont disponibles;
• aider à combattre les utilisations inappropriées de l’Internet, comme l’envoi de
pourriels ou les utilisations frauduleuses;
• faciliter le repérage des cas de contrefaçon de marques de commerce; et
• accroître en général la responsabilisation des titulaires de noms de domaine
.ca.
À la lumière de ce qui précède, certains pourraient prétendre qu’en dépit des
consultations menées, une démonstration convaincante reste à faire pour expliquer
en quoi l’ACEI serait tenue, en vertu de la Loi, d’anonymiser le registre WHOIS .CA,
en quoi cela contribue à mieux s’acquitter de sa mission et en quoi cela n’est pas
susceptible d’entraîner des préjudices et inconvénients plus dommageables à
l’intérêt de l’ensemble des Canadiens que ceux que ces mesures de protection
visent à éviter. Des représentations auprès de l’ACEI et une évaluation de sa part
mesurant les effets de la nouvelle politique lui permettraient peut-être de faire des
constats éloquents sur ces questions.
Par exemple, avant la mise en oeuvre de cette politique, il était possible pour un tiers
de dénoncer une situation où un particulier, en tant que titulaire d’un nom de
domaine .CA, ne respectait pas les exigences applicables en matière de présence
au Canada et demander à l’ACEI d’agir en conséquence. À présent, l’anonymat dont
jouissent les particuliers fait en sorte que les tiers doivent, dans ces cas, se fier à la
bonne foi des titulaires et aux contrôles discrétionnaires de l’ACEI.
Afin de conserver la possibilité de communiquer avec le titulaire d’un nom de
domaine .CA malgré cet anonymat systématisé, l’ACEI met à la disposition du public
un formulaire électronique de remise de message. Le message ainsi généré est
envoyé à l’adresse courriel (masquée) du contact administratif correspondant à ce
4
nom. L’ACEI ne garantit pas toutefois que le message a été reçu, a été lu ou encore
qu’une réponse y sera donnée par le titulaire du nom4.
Une procédure administrative exceptionnelle de demande de divulgation de
renseignements de titulaire a aussi été mise en place dans les cas où un
«Demandeur» (au sens des règles applicables) déclare avoir un différend de bonne
foi avec le titulaire d’un nom de domaine .CA5. Le terme «différend» aux fins de cette
procédure est cependant limité aux cas où un nom de domaine .CA ou le contenu
auquel il est associé porte atteinte aux droits du Demandeur dans une marque de
commerce déposée, un droit d’auteur enregistré, un brevet émis, une dénomination
sociale ou un nom commercial enregistré ou encore utilise des renseignements
personnels du Demandeur sans son consentement pour commettre un acte criminel
apparenté au vol d’identité. Il faut donc exclure de cette notion de différend les cas
où l’atteinte serait plutôt fondée sur les principes généraux de responsabilité civile
(comme les cas de concurrence déloyale), sur des droits de propriété intellectuelle
n’ayant pas fait l’objet d’un enregistrement (comme c’est d’ailleurs le cas de la
plupart des oeuvres protégées en vertu de la Loi sur le droit d’auteur), sur l’utilisation
de renseignements personnels à des fins prohibées autres celles indiquées ou sur
toute autre loi. Toute divulgation de renseignements des titulaires en vue de
résoudre un problème autre que l’un de ceux qualifiés de différend au sens des
règlements doit survenir par l'entremise d'une ordonnance, d'un arrêté, d'une
décision judiciaire, d'une assignation à témoigner, d'un mandat ou d'un jugement.
Du reste, un individu qui commet l’un ou l’autre des actes pouvant donner ouverture
à cette procédure de demande de divulgation a rarement intérêt à être facilement
identifiable et est par conséquent susceptible d’indiquer des renseignements au
registre WHOIS qui sont délibérément falsifiés ou incomplets 6 , même si cela
contrevient à ses obligations contractuelles envers le registraire ou l’ACEI. Dans ces
cas, la divulgation des renseignements par l’ACEI à un Demandeur ne vient
qu’ajouter des coûts et des délais supplémentaires avant d’évaluer l’opportunité ou la
nécessité d’exercer un recours devant les tribunaux, sans pour autant permettre
d’identifier le titulaire avec certitude.
La protection accrue accordée aux renseignements personnels des titulaires de
noms de domaine .CA lorsqu’il s’agit de personnes physiques sans égard aux motifs
apparents d’enregistrement ou l’utilisation des noms en question est-elle justifiée ou
même souhaitable? Avec l’accroissement des interactions qui ne surviennent que
4
Dans les modalités d’utilisation du formulaire en question, on invite en fait l’expéditeur d’un message
à communiquer avec le service à la clientèle de l'ACEI s’il n’a pas reçu de réponse dans les deux
semaines qui suivent l'envoi.
5
Une procédure exceptionnelle semblable existe aussi pour certains organismes chargés de
l'application de la loi, mais uniquement dans certains cas expressément prévus.
6
Aux États-Unis, le fait de fournir sciemment de fausses informations pour l’enregistrement d’un nom
de domaine est expressément reconnu dans la législation comme un acte pouvant justifier des
sanctions additionnelles dans certains cas.
5
par Internet et qui ont nécessairement des implications juridiques, le besoin
d’identifier rapidement, avec certitude et sans contraintes excessives le titulaire
véritable d’un nom de domaine et l’opérateur du site web correspondant ne peut que
s’accentuer. Dans cette optique, il appartient à la communauté juridique dans son
ensemble de s’impliquer et de demeurer alerte face l’état et à l’évolution des
registres WHOIS afin de porter à la connaissance des organismes concernés les
situations qui peuvent servir de leçons pour les politiques régissant leur
fonctionnement. Les commentaires à l’ACEI peuvent être adressés à [email protected].
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