Le portage salarial :

Transcription

Le portage salarial :
Construire
l’avenir
Optimiser son
expérience
Gérer l’éventail
des possibles
Maître Jean-Patrick Perrin
LL.M. (Georgetown)
DEA Droit International Économique (Paris I)
Chargé d’enseignement en droit du travail (ESAM-Groupe IGS)
Le portage salarial :
flexi-sécurité ou fausse bonne idée ?
À l’heure des annonces concernant la flexibilité dans le travail,
prend de plus en plus d’importance : le portage salarial.
la souplesse, la flexibilité et l’autonomie
de l’entrepreneur individuel. Envisagé
comme cela, deux contrats sont donc
conclus: le premier, un contrat de travail
entre la société de portage salarial et le
consultant, le second, un contrat de prestation de services entre la société de portage salarial et l’entreprise cliente.
Il est généralement entendu que le porté bénéficie de la plus large autonomie,
prospectant seul sa clientèle et négociant
seul les conditions, notamment, tarifaires
de l’exécution de ses prestations.
D
Quelle est la qualification
de cette relation d’un point
de vue juridique ?
la mobilité (les mobilités ?), et les nouvelles formes d’emploi
permettant au plus grand nombre de retrouver une activité,
au moment où la volonté affichée par les Pouvoirs Publics de
promouvoir la création d’entreprises est manifeste, notamment
par les dispositifs d’aide de tous ordres et par les simplifications
administratives associées à destination des chômeurs et
demandeurs d’emploi, une nouvelle forme d’activité, située
à mi-chemin entre l’emploi salarié et l’activité commerciale,
epuis son apparition en 1985, le
portage salarial a concerné environ 15 000 professionnels. Aujourd’hui,
il existe un peu moins d’une centaine
d’entreprises de portage salarial et au
moins quatre syndicats nationaux représentent la profession. Le portage salarial
concerne surtout les cadres de 40 à 45
ans, principalement dans le secteur des
prestations intellectuelles et notamment
dans le domaine des nouvelles technologies de l’information, la communication
et du multimédia. Son essor sur les quatre dernières années représente un véritable phénomène que les professionnels,
les demandeurs d’emploi et les pouvoirs
publics ne peuvent plus ignorer.
Au moment des réformes du marché
du travail en vue de réduire le chômage
structurel, qui est l’un des plus élevés
parmi les pays de l’OCDE, il faut s’interroger : le portage salarial est-il un
atout pour la flexibilité ou une fausse
bonne idée ?
www.centraliens.net
Quelle est la nature de la relation induite
par le portage salarial qualifié d’un point
de vue juridique ?
Quels sont les risques liés à une opération de portage salarial ? Compte tenu de
l’utilité sociale et de la facilité de mise en
oeuvre de ce type d’arrangement, une
réforme est-elle souhaitable ?
Comment définir le portage
salarial ?
Le portage salarial implique une relation
tripartite. Un consultant, le porté, salarié
de la société de portage salarial, exécute
une mission portant sur l’exécution de
prestations pour une société cliente de
la société de portage salarial. Ce qui apparaît comme une relation classique de
mise à disposition de personnel par une
entreprise au profit d’une entreprise utilisatrice, l’est déjà moins dès lors que le
client est apporté en fait par le consultant.
Il s’agit de faire bénéficier le consultant
du statut de salarié tout en lui donnant
La qualification reste incertaine, pour le
moins, au regard des critères légaux du
contrat de travail. Le critère essentiel du
contrat de travail est, on le sait, le lien de
subordination; dans le cas du contrat de
travail conclu entre le porté/consultant
et la société de portage salarial, le lien
de subordination manque en fait et en
droit. En fait, car la société de portage
n’intervient ni dans la gestion de la relation client ni dans une relation d’autorité sur le consultant, même en ce qui
concerne la rémunération; en droit, car
la société de portage ne donne en réalité aucune instruction au consultant, le
client, d’ailleurs, ne connaissant, lui, que
le consultant et aucunement la société
de portage. La société de portage, employeur, ne détermine en rien les conditions d’exécution du travail du consultant,
et dès lors, le contrat intitulé « contrat de
travail » serait donc purement fictif.
25
Construire
l’avenir
Optimiser son
expérience
Gérer l’éventail
des possibles
Dossier
Anticiper sa mobilité pour ne pas la subir
C’est bien ce caractère fictif, justement,
qui est à l’origine de la position des
ASSEDIC. Ainsi, pour l’ASSEDIC de Paris, le portage salarial ne constitue pas
un véritable contrat de travail ouvrant
droit aux prestations sociales et notamment à l’assurance chômage. Au-delà
de ce seul problème concernant l’assurance-chômage, d’autres risques
demeurent très importants. Tout
d’abord, le risque d’accident du travail
et le risque d’accident de trajet qui sont
liés à l’existence d’un contrat de travail;
compte tenu du caractère incertain de
l’existence du contrat de travail, la prise
en charge de ces risques par la sécurité
sociale reste également incertaine.
En matière de responsabilité civile,
il n’est pas davantage certain que l’assurance de responsabilité civile de la
société de portage couvre les prestations effectuées par les consultants
salariés dès lors que ces salariés ne
sont pas véritablement des préposés
de la société de portage, et cela, en
dépit des déclarations et des affirmations contraires apparaissant dans la
documentation des sociétés de portage salarial. Cet aspect peut se révéler
important dans certaines professions,
même dans le cadre de prestations
intellectuelles ; une prestation d’ingénierie, par exemple, peut être à l’origine d’un dommage particulièrement
important pour l’entreprise cliente et,
dans ce cas, il n’est pas interdit de
penser que le consultant puisse être
responsable sur ses biens propres
face à l’entreprise cliente.
Le statut incertain ou indéterminé du
portage salarial l’expose particulièrement à d’autres risques notamment
un risque pénal en matière de prêt de
main-d’oeuvre illicite ou de marchandage, délits prévus et réprimés par le
code du travail et le code pénal. Bien
évidemment, ces dispositions concernent plus spécialement les sociétés
de portage et les sociétés clientes. Le
risque est d’autant plus grand dès lors
que le consultant exerce sa mission
26
au sein même de l’entreprise cliente,
reçoit les instructions directement de
l’entreprise cliente, etc...
Dans ces conditions, tout milite pour l’apparition d’un véritable statut du portage
salarié. Cependant, une telle réforme
législative est-elle souhaitable ?
Tout d’abord, il convient de souligner
l’importance des réformes entreprises
dans les 10 dernières années concernant la création ou la reprise d’entreprise, et notamment la simplification
des formalités administratives pour
la création ainsi que la mise en place
des incubateurs ou couveuses d’entreprises. Il n’est pas davantage certain,
d’ailleurs, que l’on puisse aller plus loin
dans la simplification des formalités
pour la création d’entreprise. En outre,
de nombreux organismes publics et parapublics, de nombreuses associations,
sont à même de conseiller utilement les
créateurs ou repreneurs éventuels et de
leur proposer conseils et financements.
La loi Borloo du 18 janvier 2005 a mis fin
au monopole de l’ANPE concernant le
placement des demandeurs d’emploi.
Depuis cette date, les sociétés d’intérim et de travail temporaire et les cabinets de conseil en recrutement peuvent
également procéder à cette activité. Le
marché du placement n’est donc pas
encore apaisé et l’heure des réformes
n’est sans doute pas encore venue, le
marché n’étant sans doute pas prêt à de
nouvelles formes de de concurrence.
Et pourtant... le portage salarial a une
utilité sociale certaine. Il faut réserver
ce mécanisme aux créateurs d’entreprises individuelles et pour une période limitée. En effet, par ce système,
le créateur peut valider son projet de
création, estimer concrètement la faisabilité et la viabilité de son projet,
tout en ayant l’indépendance de l’entrepreneur mais sans les contraintes liées à ce statut. Compris comme
le relais entre une activité salariée et
une activité d’entrepreneur individuel,
le portage salarial peut avoir sa place
parmi les formes alternatives d’emploi.
C’est d’ailleurs le sens de l’article 19 de
l’accord national interprofessionnel du
11 janvier 2008 lequel, par la négociation collective au sein de la branche du
travail temporaire, entend sécuriser le
portage salarial. L’assimilation progressive des entreprises de portage salarial
aux entreprises de travail temporaire
est bénéfique pour les salariés portés
puisque autant le cadre juridique du portage salarial est flou, autant le cadre juridique du travail temporaire est précis ;
en outre, la garantie financière des entreprises de travail temporaire pourrait
être également envisagée de la même
façon pour les entreprises de portage
salarial, ce qui constituerait également
une garantie supplémentaire. Affaire à
suivre, donc...
■
Maître Jean-Patrick Perrin
Centraliens no585 [Avril / Mai 2008]

Documents pareils