spéculer» sur les aliments - HEG-FR

Datum: 25.01.2016
Le Journal du Jura
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Medientyp: Tages- und Wochenpresse
Auflage: 9'364
Erscheinungsweise: 6x wöchentlich
Themen-Nr.: 375.032
Abo-Nr.: 1089048
Seite: 20
Fläche: 86'041 mm²
On s'écharpe sur le terme
«spéculer» sur les aliments
L'initiative des Jeunes socialistes veut interdire la spéculation sur les denrées alimentaires.
Décodage d'une pratique qui touche au négoce de matières premières, secteur clé de l'économie
VOTATIONS
%
'
La spéculation sur les denrées alimentaires est accusée d'accroître la faim dans le monde. Par le biais de leur initiative, soumise au peuple
le 28 février, les Jeunes socialistes veulent interdire cette pratique sur les denrées alimentaires. KEYSTONE
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vendu plus cher. Dans le cas dérivé. «Il se couvre donc par le
soumise au peuple le 28 février,
contraire, il accuse un manque biais d'un produit de dérivé fià gagner, mais aura tout de nancier négociable en tout
même vendu sa récolte à un temps jusqu'à échéance», ajoute
prix correct. C'est ce qui s'ap- Aldo Schorno. Quid? Comme
son nom l'indique, il s'agit d'un
pelle vendre à terme.
L'acheteur, c'est le négociant. engagement d'acheter, respecMais là aussi, il y a négocier et tivement de vendre, une cernégocier. A la base, le négoce taine quantité et qualité d'un
c'est «mettre en relation un lieu
actif sous-jacent, à une date fude production avec un lieu de
ture.
consommation», résume StéDans notre exemple, le café.
phane Graber, peu favorable à
Le
prix est fixé à l'avance,
l'initiative. Il est le secrétaire
comme
pour les contrats évogénéral de la Swiss trading and
qués plus haut. A la différence
les Jeunes socialistes veulent
interdire cette pratique sur les
denrées alimentaires. Un texte
qui vise la sphère financière,
groupe les quelque 160 sociétés
pas être livré. Ainsi, même s'il
actives dans le secteur des mase retrouve contraint de livrer
tières premières en Suisse.
son café à des prix inférieurs à
28
F
2016
S P CU LA7 ION
SUR LE
IM EN TAI R
RACHEL RICHTERICH
Coupable de toutes les dérives, responsable des krachs
successifs, de la crise des
«subprimes», la spéculation
est aujourd'hui accusée d'accroître la faim dans le monde.
Par le biais de leur initiative,
mais éclabousse au passage les
acteurs commerciaux. Le
terme est en effet associé à un
secteur représentant près de
4% du produit intérieur brut de
la Suisse, le négoce international de matières premières. Une
mise au point s'impose.
Négoce «physique»
«Il y a spéculer et spéculer»,
souligne Aldo Schorno, auteur
du livre «Les dessous de l'Empire du Mal» paru l'an passé,
dans lequel il décrit les dérives
du système financier. Cet exbanquier, qui aujourd'hui enseigne, se réfère à la pratique
des agriculteurs qui vendent à
l'avance une partie de leur récolte, pour se prémunir d'éventuelles baisses de prix. «C'est un
procédé aussi ancien que l'économie monétaire en Europe.»
Prenons l'exemple d'un producteur de café en Colombie: si
entre le moment où il passe
contrat avec l'acheteur et celui
de la récolte les prix du café
baissent, il est gagnant. Il aura
shipping association, qui re-
qu'ici, l'acheteur ne souhaite
ceux en vigueur, il peut tou-
Le cours peut varier
jours vendre en bourse son déd'ici à la livraison
rivé. Et récupérer les 2000 dolDans notre exemple, ce négociant qui achète la récolte de lars de moins-value.
café à notre producteur tra-
L'initiative sur laquelle le
peuple devra se prononcer ne
vaille pour l'une de ces sociétés,
installée à Genève. Elle est remet pas en cause ce procédé. «C'est légitime de se protéchargée par un torréfacteur, lui
ger d'un risque», souligne Aldo
aussi établi sur sol helvétique,
Schorno. Le texte des Jeunes
de lui fournir 10 tonnes de café socialistes ne remet pas non
colombien à une date future. plus en cause le marché à
Le prix est fixé en fonction du terme. «Ces contrats sont utiles
cours du café au moment de la pour les producteurs d'ici et
conclusion de ce contrat. Un d'ailleurs», relève Sergio Roscours qui peut varier d'ici à la li- si, directeur de la chaire de
vraison. «Ce faisant, le négociant macroéconomie et d'éconoprend un risque important», mie monétaire à l'Université
note Stéphane Graber. Car si la de Fribourg, membre du co-
tonne passe de 1000 dollars à
mité de soutien à l'initiative.
1500 dans l'intervalle, il est
Ce sont plutôt les «détourneperdant. Et pour couvrir ce risments» qui sont pointés. Car
que, il va se tourner vers un audans ces temples des échanges
tre marché: la bourse.
- pour les matières premières,
Négoce en bourse
les principales places sont Chi-
«Il va acheter un contrat à cago, New York et Londres terme», indique Stéphane Gra-
interviennent d'autres acteurs:
ber. Ou une option pour cette courtiers, fonds d'investissement, banques. Plus généralequantité de café sur un produit
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ment désignés comme «la
souligne Nils Tuchschmid. En
sphère financière», ou «spéculateurs», car ils sont prêts à assu-
clair, davantage d'argent circule. Et l'offre et la demande
Liquidités ou volatilité
Et c'est là que les deux camps
s'écharpent,
à coups d'études
mer un risque sur le prix en
scientifiques
contradictoires.
échange d'un gain, note Stéphane Graben Sans aucun be- Pour les initiants, ce très grand
nombre d'acteurs et de transacsoin commercial.
«Leurs activités sont sans lien tions engendre «plus de volatiliavec la production, le stockage, té sur les prix et génère de l'incerla transformation ou la consom- titude», estime Aldo Schorno.
mation», souligne Sergio Rossi. Raison pour laquelle ils veulent
«Ils n'ont aucune intention d'être interdire à la sphère financière
d'intervenir pour des motifs de
livrés», ajoute Aldo Schorno.
ont plus de chances de se rencontrer, ajoute Stéphane Graber. Ce qui aurait pour effet de
stabiliser les prix. Leur volatilité serait davantage liée à des
facteurs météorologiques ou
géopolitiques - grande séche-
resse qui dévasterait les récoltes ou crise politique qui impacterait l'approvisionnement.
L'intérêt pour ce marché à gains à court terme. Il faut reve- Par ailleurs, comme ces
terme a pris une telle ampleur, nir aux fondamentaux, l'offre et échanges ont lieu au niveau
qu'aujourd'hui «90% au moins la demande. «Sur lesquels n'ont à mondial, la Suisse ferait cavalier
des contrats ne donnent pas lieu à intervenir que les parties concer- seul. «Mais en s'érigeant en moune livraison physique», relève nées par le commerce physique», dèle de démocratie, elle doit être
Nils Tuchschmid, responsable insiste Sergio Rossi. Autrement conséquente et montrer l'exemple
de l'institut de finance de la dit: limiter ce marché à la satis- avec une place financière propre
Haute Ecole de gestion de Fri- faction du besoin d'assurance aussi dans ce domaine.» Car lorsbourg. A titre de comparaison, des risques.
qu'il s'agit de denrées vitales,
«en 1998, seul 24% des volumes Les opposants estiment à s'ouvre le débat éthique. Au citraités étaient purement spécula- l'inverse que «plus il y a d'inter- toyen de trancher. LA LIBERTÉ
venants, plus il y a de liquidités»,
tifs», ajoute Aldo Schorno.
Leurs activités sont sans lien
avec la production, le stockage,
la transformation
ou la consommation.»
SERGIO ROSSI DIRECTEUR DE LA CHAIRE DE MACROÉCONOMIE
ET D'ÉCONOMIE MONÉTAIRE À L'UNIVERSITÉ DE FRIBOURG
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