La conscience l`inconscient le sujet

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La conscience l`inconscient le sujet
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LA CONSCIENCE
L’essentiel pour comprendre
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LA
CONSCIENCE DE SOI
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A. Conscience psychologique et conscience morale
● Étymologiquement,
le mot conscience signifie « savoir
ensemble », « savoir rassemblé » (cum scientia) : la conscience est
cette lumière qui ramasse et unifie toute notre expérience.
« Conscience ajoute à science ceci que les connaissances sont
ensemble », écrit notamment Alain. On distingue généralement la
conscience spontanée, par laquelle nous nous apercevons simplement
de ce qui se passe en nous et en dehors de nous, et la conscience réfléchie, qui désigne le retour (ou ré-flexion) de notre esprit sur luimême. Surpris ou déçu, je peux prendre la mesure de ma surprise ou
de ma déception, en faisant retour sur moi-même et en analysant mes
propres réactions.
● Faculté qu’a notre esprit de saisir ce qui se passe en nous ou hors
de nous, la conscience dite « psychologique » se prolonge en
conscience morale, quand le sujet juge de la valeur morale de ses
propres intentions ou de ses propres actes. Pour Rousseau, c’est par la
conscience morale, « principe inné de justice et de vertu », « juge
infaillible du bien et du mal », que l’homme peut s’élever au-dessus
des bêtes et se rendre « semblable à Dieu ».
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Chapitre 1 La conscience
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B. « Je pense, donc je suis »
● Le cogito de Descartes (« Je pense, donc je suis ») est tout simple-
ment l’affirmation que je suis en toute certitude une chose qui pense,
un sujet doué de conscience. Descartes, à la recherche des vérités premières, décide de faire table rase de tout ce qu’il a appris jusque-là.
Mais il a beau douter de tout ce qu’il voit et de tout ce qu’il pense, il
a beau imaginer que quelque diable rusé le fait se tromper toujours, la
réalité de sa propre pensée s’impose à lui comme une évidence absolue. Quoi que je pense, je ne puis nier que je pense, et donc que j’existe
au moment même où je pense : « Cette proposition : Je suis, j’existe,
est nécessairement vraie, toutes les fois que je la prononce, ou que je
la conçois en mon esprit », conclut Descartes dans ses Méditations
métaphysiques. Le sujet conscient de soi est ainsi posé comme ce que
la pensée ne saurait éliminer sans se nier elle-même.
● Cependant les premiers lecteurs de Descartes ne comprirent pas ce
que signifiait le cogito. Ainsi le philosophe Pierre Gassendi (15921655) lui écrit : « Vous pouviez inférer la même chose de quelque autre
que ce fût de vos actions » et dire par exemple : « Je mange donc je
suis », ou bien « Je me promène donc je suis ». Descartes lui répondra
qu’il a précisément révoqué en doute tous les actes que nous connaissons par nos sens, parce qu’ils peuvent être illusoires (je puis rêver,
immobile dans mon lit, que je suis en train de manger ou de me promener). Ainsi, il ne faut pas dire : « Je me promène, donc je suis », mais
bien « Je pense que je me promène, donc je suis ». La présence de ma
pensée à elle-même est la seule certitude qui résiste à l’épreuve du
doute. Même l’existence de mon propre corps est remise en question.
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LA
CONSCIENCE ET LE MONDE
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A. Toute conscience est « tension vers »
● Mais la conscience ne fait pas du sujet pensant un simple spectateur
des choses, car le sujet est d’abord un sujet engagé dans le monde. Ainsi
le mot intentionnalité, employé d’abord par le psychologue allemand
Franz Brentano (1838-1917) et rendu célèbre par Husserl, signifie que
toute conscience est mise en relation d’un sujet et d’un objet : « Le mot
intentionnalité ne signifie rien d’autre que cette particularité foncière et
générale qu’a la conscience d’être conscience de quelque chose », pré-
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cise Husserl dans ses Méditations cartésiennes. Considérons des « états
de conscience » tels qu’une perception, un souvenir, une émotion. Je vois
des passants sur le trottoir d’en face ; cette perception n’est pas un état
intérieur, elle est un acte de ma conscience qui vise un objet du monde
extérieur. De même, si je me souviens d’une journée de vacances, ce souvenir n’est pas une réalité purement intérieure, c’est un acte par lequel
ma conscience se dirige vers un événement qui a eu lieu dans le passé.
● On pourrait en dire autant de l’émotion, du sentiment. L’amour, par
exemple, n’est pas quelque chose de purement intérieur ; c’est une certaine façon de me diriger vers autrui. Je ne vois pas (ou je ne vise pas)
les personnes que j’aime de la même façon que je vois celles qui me
laissent indifférent.
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B. La conscience comme séparation
● Prendre conscience du monde, c’est poser le monde comme objet
– comme objet d’étonnement ou d’exploration – en face du sujet que je
suis. Dès lors que l’enfant commence à parler de lui à la première personne du singulier (et non plus à la troisième personne), dès lors qu’il dit
je, il met le monde à distance et affirme son identité personnelle ; « auparavant, écrit Kant, il ne faisait que se sentir ; maintenant il se pense ».
● Ma conscience me sépare non seulement du monde, mais aussi,
comme l’a bien vu Sartre, de moi-même. Par exemple, prendre
conscience que je suis timide, c’est ne plus être timide aussi simplement, aussi ingénument. Désormais, il y a le « moi » qui est timide et
le « je » qui sait que le moi est timide. Tandis que les choses sans
conscience (ce livre, cette chaise) existent massivement, sont en soi
(elles ne sont que ce qu’elles sont), l’homme, qui est conscient de ses
propres états de conscience, qui est pour soi, se voit condamné par là
à n’être jamais ce qu’il est, à ne jamais coïncider exactement avec soi.
Conscient de n’être pas ce que je suis, je ne puis que jouer à être ce
que je ne suis pas. Toute conscience est comédie…
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LA
CONSCIENCE ET L’ACTION
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A. Le moi se révèle dans l’effort
● Mais la conscience ne me sépare de l’objet que pour mieux assurer
ma prise sur lui. On peut, en s’aidant des analyses de certains philo-
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Chapitre 1 La conscience
sophes, montrer que la conscience est à la racine de l’effort, du choix,
de la synthèse mentale.
● Pour Maine de Biran (1766-1824), la conscience de soi relève
d’un « sens intime » qui s’éveille avec le sentiment de l’effort, moteur
volontaire. Au lieu du « Je pense, donc je suis » de Descartes, Maine
de Biran pose un « Je fais effort, donc je suis ». Ainsi je lève le bras,
et ma conscience s’éveille dans le sentiment du moi qui s’affirme en
triomphant de l’inertie de mon corps. En effet, le moi ne peut prendre
conscience de son existence qu’en s’opposant à un objet résistant qui
se distingue de lui. La conscience apparaît alors comme la maîtrise du
moi sur le « corps propre », comme une force agissante qui se révèle
dans l’expérience de l’effort moteur, racine de la volonté libre.
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B. « Conscience signifie choix »
● Cependant, la conscience claire ne s’attache qu’à un petit nombre
de nos attitudes. Ainsi l’automatisme de l’habitude est inconscient ; il
s’exerce sans qu’on y pense. Le cycliste maintient son équilibre en
imprimant sans cesse à son guidon de petits mouvements. Cette activité est automatique, inconsciente. En fait, la conscience remplit une
fonction de sélection, et semble au service de l’adaptation biologique.
Elle apparaît chaque fois que l’automatisme de l’habitude ne suffit
plus pour résoudre le problème qui nous sollicite.
● C’est Bergson qui a développé avec le plus de force l’idée que
« conscience signifie choix ». Il a montré que la conscience était étroitement liée à l’action. Ma tâche actuelle sollicite ma conscience. Je
mobilise par exemple tous les souvenirs qui me sont utiles pour agir
dans le moment présent. D’autres souvenirs, au contraire, restent
inconscients : c’est la masse des souvenirs dont l’évocation serait tout
à fait inutile pour mon activité présente. Telle « un pont jeté entre le
passé et l’avenir », ma conscience rassemble et organise mes expériences passées pour me préparer à affronter les événements à venir.
● Être conscient, c’est chercher la meilleure solution d’un problème,
c’est m’aviser que je peux agir de telle manière, de telle autre ou de
telle autre encore. On peut dire, en ce sens, que la conscience est
liberté.
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