Note d`intention

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Note d`intention
Note d’intention
J’ai souvenir d’un film qui m’avait marqué enfant. Un western dans lequel un indien,
interprété par Richard Widmark, était capturé et utilisé comme guide par un convoi de
nouveaux migrants venus s’installer dans l’Ouest.
Il était supposé les aider à franchir les cols et territoires dangereux infectés de
sanguinaires Peaux-Rouges. En échange de quoi, il recouvrerait sa liberté.
Au prix de multiples embuscades, courses poursuites, et autres duels au couteau, il
parvint à leur faire passer les zones dangereuses.
Une fois donc sa mission accomplie, l’un des membres important du convoi, refuse
de le libérer et tente même de s‘en débarrasser.
Cet indien ne devra son salut qu’à la fronde d’une partie des membres de ce convoi
qui, épris de justice et d’équité, vont le libérer.
Je ne pense pas avoir saisi à l’époque la portée militante de cette œuvre qui se
confrontait déjà à des problématiques telles que l’exploitation de l’homme, la quête
de liberté, ou l’esprit de solidarité. Ce film résonne aujourd’hui dans mon esprit
comme une authentique chronique sociale, et c’est ce vers quoi je tends avec cette
nouvelle histoire de domination.
Etrangement (ou peut-être pas), ce western s’intitulait déjà La dernière caravane.
Un lien étroit unit ces deux récits. Chacun traite, à sa manière, de l’utilisation de
l’homme à des fins personnelles ou économiques et son rejet une fois son utilité
passée. Ici, l’indien est symbolisé par un groupe d’ouvriers de chantier, et le convoi
(du moins une partie) par un jeune et ambitieux représentant de leur employeur.
A mon tour, donc, d’effectuer le chemin inverse, et d’aller sur le terrain d’un genre
cinématographique mythique pour traiter d’un sujet qui à priori s’y prête assez peu.
Il s’agit, par ce biais, de décrire le monde du travail comme nouveau Far West, où
règnerait la loi du plus puissant et où ceux qui refusent de se soumettre seraient les
ouvriers. En somme, d’aborder la question sociale sous la forme d’un western, un
western social.
Ce face à face entre ces quatre hommes repose sur la nature des rapports qui les
unis et les oppose. Ces trois ouvriers d’un côté, méfiants, craintifs mais fraternels et
de l’autre, cet homme seul et si sûr de lui.
Malgré l’infériorité numérique de l’une des deux parties, cette confrontation, de par la
fonction importante occupée par Pasquier penche à son avantage.
Ce personnage qui détient le pouvoir n’est pourtant que l’instrument de lointains
décisionnaires. Derrière une apparente arrogance, se cache une forme de malaise
face à ce qu’il doit accomplir.
Quant aux trois autres, ils semblaient vivre jusqu’ici et avant l’arrivée impromptue de
ce visiteur, dans un univers clos, comme abandonné du reste du monde et insensible
au cours du temps.
Ce territoire vierge qu’ils ont forgé de leurs mains a fini par devenir le leur, tel le
métayer qui fini par croire sienne une terre qu’il a si ardemment travaillé pour le
compte d’un obscur propriétaire.
La composition des plans accentue le gouffre qui sépare ces trois ouvriers de ceux
qui les emploient.
Alors qu’ils sont très proches les uns des autres, ils se tiennent toujours à bonne
distance de Pasquier et de tout ce qu’il symbolise, à savoir le monde extérieur.
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Cette configuration fait référence à deux grandes traditions du western, une première
politique, la révolte de ceux à qui l’on tente de confisquer leur bien, puis une seconde
plus romanesque et qui renverrait au légendaire et ultime duel qui se jouerait dans la
rue principale d’une ville désertée par ses habitants.
Tous les ingrédients sont réunis pour proposer un type de narration et un traitement
qui feraient la synthèse de ces deux formes du genre ; la hiérarchie sociale des
personnages, la rivalité qui en découle, le lien qui les rattache à ce lieu, ce décor de
chantier qui renvoi à un territoire oublié et perdu du fin fond de l’Ouest, l’atmosphère
de huis clos à ciel ouvert avec tout autour et à perte de vue, le sable, et enfin cette
petite caravane au milieu de ce désert, comme dernier bastion de résistance.
Sans oublier le paysage sonore, qui s’articule également autour d’une narration
calquée sur celle du western. Les silences paraissent offrir autant d’éléments à la
compréhension des enjeux que les mots prononcés, notamment par leur façon de
prolonger chaque phrase. Aucun son extérieur ne vient se mêler à l’atmosphère du
lieu. Le temps semble s’être arrêté tout autour d’eux.
Seuls le souffle du vent glacial, le bruit des pas de ces hommes sur le gravier gelé,
ou encore leurs respirations nerveuses viennent renforcer la sensation d’abandon de
ce petit chantier. Ce désert sonore intensifie la tension qui se dégage de ce moment
et semble annoncer la tempête imminente.
Dès son arrivée, Pasquier va occuper l’espace de façon assurée et se déplacer avec
aisance dans ce lieu qui lui est pourtant totalement étranger.
Tandis que ces trois ouvriers, malgré le fait que cet environnement soit le leur, se
comportent d’abord comme des élèves face à leur professeur.
Ils sont figés et maladroits, comme paralysés face à cet homme qui détient le pouvoir
de décider de leur sort. Leur malaise est palpable parce qu’ils sont conscients que
leur avenir peut se jouer à chaque instant.
L’idée développée dans la seconde partie, celle où la riposte se met en place, décrit
comment des hommes poussés dans leurs derniers retranchements perdent toute
conscience du danger. Le désespoir devient alors mobilisateur et renforce l’esprit de
solidarité. Les plus faibles osent s’opposer aux plus puissants.
Le rapport de force bascule alors progressivement à leur avantage.
Le statut et l’autorité de Pasquier ne suffisent plus à les impressionner. Ils n’acceptent
plus d’être relégués au second plan au profit d’intérêts purement économiques.
Ils vont utiliser les moyens mis à leur disposition par la loi pour défendre leurs droits
face à des pratiques courantes et pourtant illégales et retourner contre Pasquier ses
propres armes. Et si finalement tout le monde n’était pas interchangeable.
C’est maintenant au tour de Lucien et de ses camarades de réoccuper leur espace,
et de se comporter ou de se déplacer avec aplomb et confiance.
Le face à face entre ces quatre personnages prend une nouvelle dimension.
Tout s’accélère, autant les attaques que les ripostes.
Le temps de l’observation est passé, le duel est lancé.
Les traitements visuel et sonore participent aussi de ce basculement progressif.
Les mots, les actions, les déplacements s’enchaînent et se confondent.
Les moments de pauses et les longs regards silencieux du début sont oubliés.
Dans ce sens, le personnage de Lucien est essentiel. Il s’inscrit dans cette lignée
d’hommes qui a toujours subi en silence. Des hommes qui n’ont jamais osé élever le
ton de crainte de perdre leur emploi. Un emploi qui représente souvent toute leur vie.
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L’idée est de lui offrir à lui et à tous ces taiseux, l’opportunité d’endosser une posture
héroïque, de les revêtir d’un habit chevaleresque luttant pour une noble cause, le
respect de leurs droits.
Au même titre que ses deux compagnons, Lucien incarne le travailleur modèle et
docile, incapable de tout esprit de contestation face à celui qui symbolise l’autorité.
Mais derrière cette apparente passivité, l’homme est toujours aux aguets et totalement
conscient des enjeux qui se jouent autour de lui.
Comme tout être repoussé dans ses retranchements, il va puiser en lui la bravoure
nécessaire pour faire ressurgir la flamme de sa légitime indignation.
C’est donc par son intermédiaire que la révolte va se mettre en place. Mais une révolte
qui ne se manifestera pas de façon brutale, elle sera plutôt décalée et reposera sur
une réponse par l’absurde et l’ironie, le tout teinté d’une certaine forme de bon sens :
Chacun est indispensable pour le bon fonctionnement de l’ensemble de la machine.
Jusqu’à l’issu finale. Cet ouvrier exemplaire qui aspirait tant à endosser le costume
de héro et qui aurait tant aimé se comporter de façon téméraire, n’a d’autre choix
que de survivre. Il doit donc accepter le sort qui lui est réservé à lui et à ses
camarades.
La réalité reprend ses droits et rappelle que cet ancien temps, où les hommes
détenaient leur vie entre leurs mains habiles, est révolu.
Tout comme le western est aujourd’hui un genre cinématographique poussiéreux qui
provoque chez certains nostalgiques (dont je crains faire parti) une forme de
mélancolie, ce monde prolétaire s’éteint également lentement.
Tout comme ces histoires épiques d’aventuriers aspirant à leur liberté et à de grands
espaces ne sont plus que de lointains souvenirs, ces héros modernes, que sont les
ouvriers, sont à leur tour rattrapés par de nouvelles données économiques,
techniques ou sociétales.
L’issu de ce récit est empreint de cette forme de résignation où les hommes sont
relégués au second plan. Chacun est ainsi livré à lui-même.
L’image finale ne pouvait qu’évoquer celle d’un western. Comme le cavalier qui
grimperait sur sa monture et s’éloignerait au crépuscule pour reprendre son existence
solitaire, la seule qui le comble et l’épanouisse, Lucien rejoint sa place en haut de sa
pelleteuse, seul. A la différence près que lui, y est contraint, abandonné à cette
solitude forcée.
Foued Mansour.
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