Quelques réflexions sur l`ISE Denis Réale, professeur au
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Quelques réflexions sur l`ISE Denis Réale, professeur au
États généraux sur les sciences de l’environnement à l’UQAM Quelques réflexions sur l’ISE Denis Réale, professeur au département des sciences biologiques I. Présentation. Je suis un écologiste évolutionniste. Je m’intéresse notamment aux réponses des populations naturelles à des changements rapides de l’environnement. Ces changements sont essentiellement d’ordre anthropique. J’utilise des méthodes et concepts en évolution, en génétique et biologie des populations et en écologie. J’ai travaillé sur des réponses de populations naturelles aux changements climatiques et je supervise des étudiants sur les effets évolutifs rapides de l’exposition à l’uranium avec des chercheurs de l’IRSN de Cadarache, France. Je travaille aussi sur des projet à vocation de conservation (ex. : couleuvres brunes dans la région du grand Montréal) et suis membre du Centre de la Science de la Biodiversité du Québec. J’estime donc que plusieurs de mes compétences se rapportent à des questions qui touchent les sciences de l’environnement. Pourtant, je ne suis pas à l’ISE et ne participe pas à ses programmes. Je n’ai pas activement cherché à faire partie de l’ISE jusqu’à maintenant, en partie à cause de l’image négative de cet institut. Je n’ai par ailleurs jamais été contacté par l’ISE. L’institut affirme contacter les professeurs qu’ils pensent intéressants pour l’enseignement de ses programmes. Il est fort probable qu’ils ne soient pas au fait de tous les développements récents dans des disciplines qui auraient le potentiel d’offrir des visions innovantes et intéressantes pour les recherches en environnement. Par exemple, depuis 10 ans se développent des applications des théories et concepts de l’évolution à des problèmes tels que l’environnement ou la médecine. II. Interdisciplinarité ou transdisciplinarité au sein de l’ISE. Selon ce que j’ai perçu des réunions du 2 et du 9 mars, les représentants de l’Institut et les étudiants de leurs programmes présentent les « scientifiques » comme un bloc monolithique, souvent rétrograde en ce qui concerne les enjeux environnementaux et qui privilégient une vision disciplinaire et obtuse de la recherche. Ainsi les scientifiques rejetteraient en bloc l’idée de travailler avec des disciplines issues des sciences humaines et voudraient monopoliser la vision des sciences de l’environnement. La directrice de l’ISE a d’ailleurs affirmé que « la faculté des sciences chercherait à faire une OPA sur l’ISE ». A l’inverse, l’inter- ou la transdisciplinarité défendue par les quelques personnes encore fortement impliquées dans l’ISE (et leurs étudiants) serait une vision d’avant-garde, plus ouverte, et surtout beaucoup plus efficace pour s’attaquer aux problèmes environnementaux. Les « scientifiques » (entre guillemets puisqu’ils seraient bien malvenus d’exiger le monopole du terme « sciences ») auraient un regard condescendant sur toute autre personne proposant une approche différente, par exemple en sciences humaines. Je trouve cette vision très manichéenne. J’ai également noté les remarques acerbes et traits d’humour sur les « scientifiques » provenant de personnes défendant la vision actuelle de l’ISE. De plus, je vois deux paradoxes dans les interventions de personnes préconisant la transdisciplinarité: 1) sans discipline, pas d’interdisciplinarité; 2) la transdisciplinarité élevée en système conduit à une recherche disciplinaire. J’ai cru comprendre selon les présentations de Vandelac et Lepage, Berryman, Millot ou des étudiants que le salut de l’ISE, et plus généralement des sciences de l’environnement, passe par la création d’un nouveau champ (trans)disciplinaire. Il faudrait donc pouvoir embaucher des nouveaux professeurs ayant été formés dans ce champ transdisciplinaire pour pouvoir fonctionner correctement et offrir la formation adéquate aux étudiants (notamment adéquate pour les organismes qui embauchent ces étudiants aux dires des personnes citées ci-dessus). Cependant, la création de ce nouveau champ (trans)disciplinaire entraine la perte de la nature interdisciplinaire érigée en principe par ses défendeurs. La vision que je partage - il me semble - avec une grande majorité de professeurs de la faculté des sciences est qu’il faut laisser le choix à chacun d’aborder les sciences de l’environnement comme il l’entend. Qu’il y ait des personnes cherchant à inscrire leur recherche et leur enseignement dans une approche transdisciplinaire ne me gêne pas; mais elle ne peut être la seule autorisée. Rappelons-nous 1 États généraux sur les sciences de l’environnement à l’UQAM que pour pouvoir traiter des problèmes environnementaux générés par la société, il faut d’abord détecter et quantifier ces problèmes. Il faut en comprendre les mécanismes (n’en déplaise à M. Berryman) et les raisons. A ma connaissance, seules les « disciplines », et en partie les sciences naturelles, font ce travail. Notamment, les sciences naturelles ont révélé des phénomènes comme les changements climatiques, la perte de la biodiversité, le trou dans la couche d’ozone, ou les dangers des polluants pour la biodiversité et la santé humaine. Les sciences permettent aussi de fournir des arguments solides et quantifiables contre toute personne qui considèrerait ces phénomènes comme des vues de l’esprit. Bien sûr, on peut nous dire qu’un scientifique ne sort pas les idées de son chapeau et que la société dans laquelle il vit est un terrain fertile pour la genèse de ces idées. Il n’empêche que ces idées ne peuvent germer que grâce aux ponts que ce scientifique établit entre les influences de la société et son propre savoir disciplinaire (qui fait partie de la société). Au sujet d’un enseignement interdisciplinaire. Je partage l’idée qu’une formation interdisciplinaire doit se faire d’abord sur des bases solides dans une des disciplines et ensuite s’ouvrir à l’acquisition d’une double compétence ou de compétences multiples à un second cycle. C’est pourquoi des programmes jumeaux de BAC en sciences de l’environnement et études environnementales me semblent être une nécessité (pour répondre aux craintes des étudiants à la maîtrise en environnement, je ne pense pas que ce programme de BAC devienne un pré requis pour l’acceptation au programme de maîtrise). Je suis d’avis qu’une formation généraliste en environnement ne peut se faire sans ces bases solides, sous peine de devenir trop superficielle. Parallèlement à cela, nous sommes confrontés à un problème d’accumulation des connaissances scientifiques qui font qu’un étudiant ne peut pas se former de façon pointue dans toutes les disciplines. Ces deux BAC offre une alternative intéressante à des BAC complètement disciplinaires pour préparer les étudiants aux questions sur l’environnement. Ils ne sont pas contradictoires avec la notion même d’interdisciplinarité. Ils offriraient la possibilité aux étudiants de choisir la coloration qu’ils veulent donner à leur formation et leur curriculum (certains pourraient avoir une coloration en sciences naturelles d’autres pourrait avoir une coloration en sciences humaines ou sociales, d’autres encore en communication ou éducation). Je n’ai rien contre un programme interdisciplinaire au 2ème et 3ème cycles, mais je suppose que le degré d’interdisciplinarité peut être libre de varier selon les intérêts de chaque étudiant. III. Sur la structure de l’ISE. Je remarque qu’un des problèmes actuels de l’ISE est d’ordre structurel. Son organisation détachée d’un réel conseil d’administration a permis une dérive de la prise de décisions par un « conseil académique » isolé et aujourd’hui concentré dans les mains d’un petit groupe de personnes dont très peu proviennent des sciences naturelles. Cette situation peut à elle seule expliquer la désaffection de nombre de professeurs, l’absence d’intérêt des nouveaux professeurs à faire partie de l’ISE, ainsi que l’incapacité de l’institut actuel de détecter des professeurs dont les recherches ouvriraient de nouveaux horizons aux sciences de l’environnement à l’UQAM. Ce système oligarchique va à l’encontre même des principes de gestion collégiale de l’UQAM. De plus, cette situation a généré un manque total de représentativité de la direction de l’ISE vis-à-vis des professeurs de l’UQAM. Je donnerai quelques exemples de cette dérive dont certains m’inquiètent au plus haut point. 1) La direction de l’ISE semble avoir fait le choix de l’interdisciplinarité et de la transdisciplinarité dans l’enseignement de ses programmes. Clairement cette approche ne fait pas l’unanimité et on est en droit de se questionner sur la représentativité de la direction actuelle auprès de l’ensemble des professeurs en environnement. Le nombre de sept professeurs libérés à l’ISE est clairement trop faible pour un institut de la stature de l’ISE et pour que les décisions soient prises de manière collégiale, en respect du style « bottom-up » de l’UQAM. 2) Plusieurs collègues des sciences se plaignent d’avoir récemment été utilisés puis abandonnés par la direction des programmes de l’ISE. Je comprends que le processus d’attribution de charges d’enseignement de l’Institut ne fonctionne pas comme celui d’un département. A en croire le directeur de la maîtrise en sciences de l’environnement M. Lepage, ce processus permet une flexibilité maximale pour coller les cours à la réalité sociétale du moment. Force est d’avouer qu’il peut aussi permettre l’arbitraire, le favoritisme, voire le népotisme. À la rencontre du 9 mars on nous a expliqué que l’ISE (ou son responsable des programmes) ne tenait pas compte de l’ancienneté comme un critère d’attribution des cours. Cependant, M. Peng aurait été préféré à M. 2 États généraux sur les sciences de l’environnement à l’UQAM Peres-Neto pour un cours parce qu’il enseignait à l’ISE depuis plus longtemps selon le directeur de programme, Lepage. Cet exemple indique que l’ISE n’a pas attendu la réunion du 9 mars pour pratiquer la règle du « baseball chinois » et révèle le danger de laisser en main l’organisation d’un programme de cours à un seul professeur sans système rétroactif de contrôle de l’ensemble des professeurs participant. Encore une fois, il me semble qu’il y a là un manque total de collégialité dans la prise de décision du contenu et de l’organisation des cours. 3) Selon Monsieur Milot, les sept chargés de cours/professeurs associés à l’ISE se plaignent de ne pas pouvoir être embauchés en tant que professeurs à l’ISE à cause du manque de ressource. Or ces sept professeurs associés sont TOUS issus de la formation délivrée par l’ISE (Milot : BAC?, MSc et DOC à l’UQAM; il était étudiant de Lepage et travaille maintenant avec/pour lui). Voici une autre facette de la dérive oligarchique de l’ISE et de ses dangers. Quels processus et règles d’attribution des postes font-ils en sorte que tous les professeurs associés et chargés de cours de l’ISE puissent avoir été étudiants formé dans ce même institut? Je ne remets pas en question la compétence et le travail de chacun de ces professeurs associés. En revanche, je signale mon profond désaccord sur la pratique visant à favoriser les anciens étudiants de certains professeurs dans les politiques d’embauche (je ne comprends pas qu’un institut comme l’ISE, tellement ouvert sur le monde, ait pu uniquement recruter des anciens étudiants parmi ces professeurs associés). Ces pratiques conduisent généralement à de nombreux conflits d’intérêts affectant les professeurs et la représentativité des instances. Je suis farouchement opposé à un système qui favorise le népotisme, génère la consanguinité intellectuelle, permet la construction de petits empires et met en danger les principes démocratiques d’une institution. De nombreuses universités en Amérique du Nord encouragent la mobilité des idées et rejettent strictement l’idée d’embaucher leurs anciens étudiants. IV. Pistes pour des solutions Suggestion 1. Il faut une structure de direction qui favorise la prise de décision collégiale basée sur l’intérêt général de tous ses membres et de l’Institut. La direction de l’institut doit donc être subordonnée à un conseil composé d’un large éventail d’intervenants et qui lui donne ses mandats et ses directions de développement. Suggestion 2. Il faut une structure souple qui empêche la mise en place d’une épistémologie voire d’une idéologie - unique au détriment des autres et qui en revanche favorise le respect de chaque approche et l’émergence de nouvelles approches. Pour attirer les professeurs de la faculté des sciences, l’ISE doit offrir la possibilité A TOUS ses professeurs 1) d’avoir du plaisir et de se sentir reconnus lorsqu’ils enseignent; 2) de rencontrer un milieu ouvert et invitant à développer des idées et des projets de recherche avec des partenaires d’autres disciplines; 3) qu’ils retirent plus de bénéfices que de coûts à s’impliquer dans cet institut. L’institut devrait également permettre à chaque étudiant de choisir le degré d’interdisciplinarité de ces projets et de sa formation. Suggestion 3. Je préconiserai un statut pour l’Institut qui assure une stabilité et une représentativité de l’ensemble du corps professoral. Faut-il un département? A ce stade, je n’en sais rien, mais je crois que le modèle de structure départementale avec une assemblée départementale et des règles de fonctionnement générales de l’UQAM serait bénéfique pour cette stabilité et cette représentativité. Les solutions naïves présentées ci-dessous négligent toute contrainte imposée par la structure actuelle de l’UQAM, de manière à proposer des innovations possibles. • L’institut pourrait être caractérisé par une gestion administrative propre mais pourrait être constituée d’un comité exécutif, d’un comité de la recherche et d’un comité des études sur lesquels siègeraient un ou des représentants de chaque faculté et département impliqué. Ces représentants pourraient être nommés par les départements et facultés et leur tâche comptabilisée parmi les tâches administratives institutionnelles qui incombent aux professeurs. 3 États généraux sur les sciences de l’environnement à l’UQAM • • • Les ressources cléricales et financières pourraient être données par chaque faculté impliquée, au prorata de son implication (voir comment comptabiliser cette implication). A condition que les facultés obtiennent elles mêmes des fonds nécessaires à faire tourner l’Institut. Il serait bon de laisser la flexibilité des professeurs de choisir d’enseigner un niveau variable de cours à l’Institut ou à leur département. Les cours des programmes en sciences environnementales pourraient être organisés en modules chacun étant sous la responsabilité d’une faculté ou d’un département. Chaque module pourrait avoir un comité de professeurs chargés d’organiser les cours. Ces cours pourraient être plus ou moins interdisciplinaires, c’est-àdire permettre la participation de professeurs d’autres facultés. Les décisions et la comptabilité de chaque cours seraient sujettes au même contrôle que les cours des programmes départementaux ou facultaires. Si des embauches doivent être considérées au sein de l’institut, il serait bon de permettre l’embauche de certains professeurs ayant des statuts transdisciplinaires. Ces professeurs feraient partie des comités de la recherche et des études de l’Institut et seraient rattachés à un des département impliqués selon la couleur de leur profil de recherche. Le processus d’embauche de ces professeurs n’est pas sans difficulté étant donné leur nature transdisciplinaire et il faudra un sérieux effort de l’Université pour favoriser un consensus entre professeurs issus de différentes disciplines (exemple mise en place de processus d’embauche favorisant la concertation de professeurs issus des plusieurs disciplines). Denis REALE Montréal, le 12 mars 2012 4