Devoir d`oubli (exemplier)
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Devoir d`oubli (exemplier)
P.M. MARTIN DEVOIR D’OUBLI (EXEMPLIER) (sauf exception signalée, les traductions sont originales) La terreur triumvirale 1. …rem publicam a dominatione factionis oppressam in libertatem uindicaui (RGDA 1, 1) 2. « Certes ce combat opposa à nouveau, comme par le passé, les Romains aux Romains. Mais, alors que l’enjeu des précédents affrontements n’était que de savoir à quel chef ils obéiraient, là, d’un côté on voulait les entraîner vers un pouvoir personnel, de l’autre on cherchait à les soustraire à ce régime pour qu’ils retrouvent le droit de se donner eux-mêmes leurs lois. » (Dio 47, 39, 2) 3. « Le divin Auguste fut un prince doux, si on le juge à partir de son principat ; mais sous la République il mania le glaive […] À dix-huit ans révolus, déjà il plongeait des poignards dans la poitrine de ses amis, déjà il cherchait à assassiner le consul M. Antoine, déjà il était collègue dans la proscription. » (Sen. Clem. 9, 1) 4. « Il [Auguste] fut modéré et clément, mais seulement après les eaux d’Actium souillées de sang romain, seulement après le fracas des flottes en Sicile, la sienne et celle de l’adversaire, seulement après les bûchers de Pérouse et les proscriptions. » (Sen. Clem. 11, 1) 5. « … la piété envers son père et les aléas de la République avaient servi de prétextes ; en réalité, c’est par désir du pouvoir qu’il avait à force d’argent soulevé les vétérans, qu’il s’était donné une armée, tout jeune homme, à titre privé, qu’il avait débauché les armées du consul, et feint de se rallier au parti pompéien ; après quoi, quand il se fut fait octroyer, par décret sénatorial, des faisceaux et des pouvoirs de préteur ; une fois Hirtius et Pansa tués, […] il s’empara de leurs troupes à tous deux ; ayant extorqué de force le consulat au sénat, les armes qu’il avait reçues pour faire face à Antoine, il les retourna contre la République ; quant aux proscriptions de citoyens, aux confiscations de terres, même ceux qui les exécutèrent ne les approuvaient pas. Certes la fin de Cassius et des Brutus fut offerte en expiation des inimitiés paternelles, si tant est qu’il fût juste au regard des dieux de sacrifier l’intérêt de l’État à des haines privées ; mais [Sex.] Pompée fut trompé par un semblant de paix, Lépide par une apparence d’amitié ; puis Antoine […] avait payé de sa mort la faute d’être entré dans sa famille. » (Tac. Ann. 1, 10, 1-3) 6. « Si quelques-uns se souvenaient de ses premiers actes [d’Octavien], à savoir ceux qu’il avait réalisés pendant les guerres civiles, ils les attribuaient à la nécessité des choses et prétendaient ne vouloir examiner ses sentiments qu’à partir du moment où il avait eu seul le pouvoir absolu. » (Dio, 56, 4) La parole bâillonnée 7. « À l’époque triumvirale, Pollion déclara, comme Auguste (sic, pour Octave) avait écrit contre lui des vers fescennins : « Quant à moi, je me tais : il n’est pas facile d’écrire contre qui peut proscrire. » (Macr. Sat. 2, 4, 21) 8. « Il répondit que la vieillesse et l’absence de descendance lui donnaient une totale liberté de parole. » (Val. Max. 6, 2, 12) 9. « Cicéron délibère s’il va brûler ses écrits, contre la promesse de vie sauve par Antoine, s’il le fait. » (Sen. Suas. 7) 10. Octavien fit « …brûler tous les documents écrits relatifs à la guerre civile, en déclarant qu’il restaurerait intégralement la constitution quand Antoine reviendrait de la guerre Parthique, car il était persuadé qu’Antoine aussi voudrait se démettre de son pouvoir, ce qui mettrait fin à la guerre civile. » (App. BC 5, 132) 11. « Après quoi, vingt ans de discorde continue : ni morale, ni droit ; les pires actions furent toutes impunies et beaucoup d’honorables punies de mort. » (Tac. Ann. 3, 28, 1) 12. « Quant à la guerre civile et tant de maux qui s’ensuivirent après durant vingt ans de suite… » (Vell. 2, 48, 3) Les témoignages réticents, obliques, allusifs ou tardifs 13. «J’en viens maintenant aux faits les plus remarquables et les plus choquants de cette période… Je ne parlerai pas de tous, cependant, parce que le meurtre pur et simple, la fuite, ou, ensuite, le retour de ceux qui furent plus tard pardonnés par les triumvirs et passèrent une vie banale chez eux, ne méritent pas mention. Je vais faire référence seulement de ceux qui sont le plus susceptibles d’étonner par leur nature extraordinaire ou de confirmer les témoignages. Ces faits sont nombreux et ils ont été relatés dans de nombreux ouvrages écrits successivement par de nombreux historiens romains. » (App. BC 4, 16) 14. « Quant au malheur de ce temps, nul ne saurait le pleurer comme il faudrait, et encore moins l’exprimer par des mots. Il faut cependant noter qu’envers les proscrits, la loyauté de leurs épouses fut immense, celle de leurs affranchis passable, de leurs esclaves quelconque, de leurs enfants nulle : tant est difficile au hommes d’attendre si peu que ce soit la réalisation de leurs espoirs. » (Vell. 2, 67, 12) 15. « Il ne brigua pas les honneurs, bien qu’ils s’ouvrissent à lui tant par son crédit que par sa dignité, parce qu’ils ne pouvaient ni être recherchés selon la coutume des ancêtres, ni être obtenus dans le respect des lois, au milieu des débordements de l’ambition déchaînée, ni être gérés d’après l’intérêt de l’État sans danger, du fait de la corruption morale de la cité. » (Nep. Att. 6, 3) 16.. « Les magistratures et les commandements militaires, et d’une manière générale toute activité publique ne me paraissent pas du tout désirables à notre époque, parce que ni l’honneur n’est accordé à la vertu, ni ceux qui ceux qui y parviennent frauduleusement n’en sont pour autant plus en sécurité ni plus en honneur. Car user de violence pour gouverner patrie et famille, fût-ce en parvenant à corriger les travers, n’en est pas moins dommageable, d’autant que toutes les révolutions s’accompagnent de massacres, d’exils et autres faits de guerre. » (Sall. BJ 3, 1-2) 17. « Le mérite qu’eut Atticus en conservant ces relations ne peut être jugé à sa valeur que si l’on se rend compte de ce qu’il fallut d’habileté pour demeurer le familier et l’ami de personnages que des intérêts si hauts rendaient rivaux et même ennemis acharnés comme l’avaient été nécessairement rendus par les circonstances César [Octavien] et Antoine… (Nep. Att. 20, 5) (trad. A. Guillemin) 18. « Des frères se plaisent à se couvrir du sang de leurs frères, ils quittent pour l’exil leur maison, la douceur de leur seuil et vont chercher une patrie située sous un autre soleil. » (Verg. Georg. 2, 510-512) 19. « Voici qu’une seconde génération s’use dans les guerres civiles, et que Rome s’écroule par ses propres forces. » (Hor. Epod. 16, 1-2) 20. « Où donc, où vous ruez-vous, scélérats ? Et pourquoi vos mains empoignent-elles ces glaives au fourreau ? N’y a-t-il pas eu, dans les plaines et sur mer, assez de sang latin répandu ? […] Pour que, selon le vœu des Parthes, notre ville périsse de sa propre main ? […] C’est cela ! les destins cruels qui font agir les Romains, c’est le meurtre impie d’un frère, depuis que la faute maudite commise sur Rémus innocent a inondé la terre jusqu’à ses descendants. » (Hor. Epod. 7, 1-4 ; 910 ; 17-20) 21. « Les fautes de tes aînés, sans l’avoir mérité, tu les expieras, Romain, jusqu’à ce que tu aies relevé les temples […] Les dieux, négligés, ont lancé mille maux sur la déplorable Hespérie. […] La génération de nos pères, pire que celle de nos aïeux, nous a produits plus méchants, nous qui allons donner une postérité plus vicieuse encore. » (Hor. Od. 3, 6, 1-2 ; 7-8 ; 46-48) Les témoignages directs 22. « Ainsi donc Philippes vit une seconde fois les lignes de bataille romaines s’affronter à armes égales ; et les dieux ne trouvèrent pas indigne que par deux fois notre sang fertilise l’Émathie et les vastes plaines de l’Hémus. » (Verg. Georg. 1, 489-492) 23. « Avec toi j’ai connu Philippes, et la fuite rapide, ayant piteusement lâché mon bouclier rond, quand fut brisé le courage et que les faces menaçantes heurtèrent du menton un sol honteux ; / mais moi, Mercure, rapide, m’enleva, tout effrayé, à travers les ennemis dans un nuage épais, alors que toi, te rejetant de nouveau dans la guerre, l’onde t’emporta dans ses flots tempétueux ». (Hor. Od. 2, 7, 9-16) 24. « Gallus, après s’être arraché du milieu des épées de César (Octavien), n’a pu échapper à des mains inconnues. » (Prop. 1, 21, 7-8) 25. « Car chaque fois que je chanterais Modène ou les bûchers de nos concitoyens à Philippes, ou les combats navals du désastre sicilien, et les foyers renversés de l’antique peuple étrusque » […] (Prop. 2, 1, 27-30) 26. « Les ossements de ton père, tu les as recueillis à un âge où tu n’aurais pas dû, et toi-même tu en es réduit à des lares étroits : car, alors que les taureaux en grand nombre retournaient les champs, la sinistre perche t’a volé ton bien. » ( Prop. 4, 1, 127-130) 27. « Nous, nous abandonnons notre patrie et nos douces campagnes ; nous, nous fuyons notre patrie […] Est-ce qu’un jour, bien lointain, je reverrai ma terre ancestrale et le toit de ma pauvre cahute surmontée de chaume, et, alors, m’étonnerai-je, revoyant mon royaume, d’y trouver encore quelques épis ? Un soldat impie possèdera ces cultures si chèrement conquises sur la friche ? Un barbare ces semis ? Voilà où la discorde a conduit, citoyens malheureux ! C’est pour ces gens-là que nous avons ensemencés nos champs. » (Verg. Buc. 1, 3-4 ; 67-72) 28. « O Lycidas, avoir vécu jusqu’à maintenant pour entendre – ce qu’au grand jamais on n’aurait pu craindre ! – un nouveau venu, possesseur de notre bout de terre, dire : « Ça, c’est à moi ; vous, les anciens colons, dehors ! » (Verg. Buc. 9, 2-4) 29. « Battarus, reprenons par notre chant les cris du cygne : chantons de nouveau nos demeures et nos champs démembrés – champs sur lesquels nous lançons nos imprécations, nos vœux impies. […] O lopins maudits, crimes des préteurs, et toi, discorde toujours ennemie de tes concitoyens ! Moi, exilé sans jugement, miséreux, j’abandonne mes champs, pour qu’un soldat reçoive sa récompense d’une guerre funeste. » (App. Verg. Dirae 1-3 ; 82-85) De l’autocensure à l’oubli volontaire 30. « … jadis une légion m’obéissait comme tribun. La réalité d’aujourd’hui est différente de celle d’alors… » (Hor. Sat. 1, 6, 47-49) 31. « Mes cheveux blanchissants apaisent mon agressivité violente, avide de chercher noise ; je ne l’aurais pas supporté, dans ma bouillante jeunesse, sous le consulat de Plancus. » (Hor. Od. 3, 1, 4) 32. « Au moment de chanter les rois et les combats, le dieu du Cynthe me tira l’oreille et m’avertit : ‘Le devoir des bergers, Tityre, c’est de paître les moutons gras, et de lancer un chant menu’. À présent, moi (car tu en auras bien d’autres qui auront envie de dire des louanges de toi, et de chanter les guerres funestes) j’exercerai ma muse campagnarde sur un mince roseau. Ce qui est interdit, je ne le chante pas. » (Verg. Buc. 6, 1-9) 33. « Mais parce qu’un triomphe pour un guerre civile apparaît comme honteux, le poète s’efforce de montrer qu’il s’agissait d’une guerre juste, en disant qu’Auguste était ‘avec les Pères et le peuple, avec les Pénates et les grands dieux’, et qu’au contraire avec Antoine se trouvaient les troupes étrangères et les divinités monstrueuses d’Égypte. » (Serv. ad Aen. VIII, 678) 34. « Non, mes enfants, n’habituez pas vos âmes à de telles guerres, ne tournez pas vos forces vives contre les entrailles de la patrie. » (Verg. Aen. 6, 832-833) 35. « La meilleure défense contre la guerre civile, c’est l’oubli. » (Sen. Contr. 10, 3, 5) 36. « La révolution intérieure consécutive au consulat de Metellus, les causes de la guerre, avec ses horreurs et ses formes, et le jeu de la Fortune, et les amitiés écrasantes des princes, et les armes trempées de flots de sang encore inexpiés, voilà l’ouvrage plein d’aléas dangereux auquel tu t’attelles, et tu marches à travers des feux qui couvent sous une cendre mal éteinte. » (Hor. Od. 2, 1, 1-16) 37 … bien d’autres, savants, de mes amis, que, prudemment, je tais. (Hor. Sat. 1, 10, 87-88)