Le Deuxième Sexe dans Les Mandarins

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Le Deuxième Sexe dans Les Mandarins
Dossier
Francisco Domínguez González
Le Deuxième Sexe dans Les Mandarins
Ce titre n’est pas un jeu de mots et, en même temps, c’en est un: ce n’en est pas
un puisque le propos de cet article est d’analyser l’influence du célèbre essai de
Beauvoir sur un de ses romans les plus connus et les plus aimés par elle; c’est un
jeu de mots car, en fin de compte, je m’occuperai principalement des femmes dans
les lignes qui vont suivre.
Mon but principal est donc, en mettant face à face Les Mandarins et Le
Deuxième Sexe, d’analyser dans quelle mesure l’émancipation féminine prônée et
rendue possible par l’essayiste fait partie de la fiction proposée par la romancière.
Je veux savoir si la narration remet en question le statu quo que le genre a établi
dans le petit noyau de l’intelligentsia parisienne des années 40 ou si, au contraire,
elle le renforce. Il s’agit donc là d’une lecture comparée des deux ouvrages, de
façon à interroger l’imbrication des propos de l’essai dans le roman.
Deux points déterminent mon choix méthodologique: primo, Le Deuxième Sexe
plonge très profondément dans la psychanalyse freudienne; secundo, mon but ultime est d’analyser une production littéraire. Une lecture psychocritique, telle que
l’entendait Charles Mauron (auteur du célèbre Métaphores obsédantes au mythe
personnel, en 1966), me semble valable pour atteindre cet objectif. A travers la
superposition des deux textes, j’envisage de mettre en évidence les mythes personnels de l’écrivain, essayant de tisser de la sorte un réseau d’associations repérable dans une partie importante de la production beauvoirienne.
Motivation des Mandarins
L’importance des Mandarins (dorénavant LM) dans l’ensemble de la production
beauvoirienne a été énorme aux yeux de leur auteur, plus grande même que celle
du Deuxième Sexe (dorénavant LDS) malgré la renommée internationale que celui-ci lui a procurée. Beauvoir elle-même a avoué en 1986 à l’une de ses biographes que n’importe qui d’autre aurait pu écrire ce livre (pour LDS), alors que les
autres, elle seule pouvait les écrire.1 Dans ce sens, l’écrivain dira dans La Force
des choses que LM était le livre qui lui avait donné le plus de satisfactions personnelles.2
Beauvoir considérait qu’écrire un ouvrage de fiction présentait cet intérêt qu’il
constituait le réceptacle parfait pour analyser l’évolution du monde de l’aprèsguerre. Elle souhaitait écrire sur elle-même, mais avec la distance que permet et
oblige simultanément le pacte narratif. „Je voulais y mettre tout de moi: mes rapports avec la vie, la mort, le temps, la littérature, l’amour, l’amitié, les voyages; je
voulais aussi peindre d’autres gens et surtout raconter cette fiévreuse et déce58
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vante histoire: l’après-guerre“.3 Pour ce faire, elle s’est projetée elle-même dans le
portrait des deux personnages principaux qui mènent la narration: Anne, psychanalyste mondaine à succès mariée à Dubreuilh, homme politique; et Henri Perron,
journaliste et auteur dramatique – en qui certains ont cru reconnaître Albert Camus. „[Henri] me ressemble autant qu’Anne au moins, et peut-être davantage“.4
Beauvoir se raconterait donc elle-même, projetant ses obsessions et ses idées
dans la fiction romanesque. Toutes? Peut-être pas, puisque pour ce faire elle a
privilégié sa production mémorialistique stricto sensu. Lejeune, auteur du célèbre
Pacte autobiographique, aurait pu qualifier LM de roman autobiographique – où
l’identification explicite entre les trois instances narratives ne se produit pas –, à
double tranchant, car la romancière se raconte autant en une narration à la première personne (les chapitres narrés par Anne) qu’à la troisième personne (les
chapitres où Henri Perron est le protagoniste). Récit, par conséquent, personnel
d’un côté et impersonnel de l’autre côté, dans le classement de Lejeune.5 Cet auteur propose l’inclusion d’un „pacte fantasmatique“ à travers lequel le lecteur est
invité à lire un texte qui comprendrait les „fantasmes révélateurs d’un individu“. Ce
point est important car la technique décrite permettrait à tout écrivain de devenir le
fétiche de lui-même, et de se reconnaître à travers un simple „je suis tout cela“. Le
sociologue Richard Sennett signale l’importance de ce procédé dans la construction de la biographie personnelle, où l’on contribue à l’appréhension de soi en se
plaçant à l’extérieur du moi pour s’observer du dehors. Beauvoir semble l’affirmer
lorsqu’elle dit, dans LDS, que „l’existant ne réussit à se saisir qu’en s’aliénant“.6
Elle ne se bornera pas à présenter ses expériences de l’après-guerre, mais elle
recréera l’histoire d’amour qu’elle a eu avec l’un des hommes de sa vie: „Lorsque
j’ai commencé à écrire Les Mandarins, je songeais seulement à rendre hommage
à Nelson Algren en écrivant notre histoire d’amour“ – confesse-t-elle à Deirdre
Bair.7 Et elle l’expose de la sorte en une lettre à Algren lui-même: „Je raconterai un
peu notre histoire, parce que c’est une histoire très moderne et que j’aime me remémorer toutes ces choses, même si cela me rend infiniment triste“.8
L’héroïne, et par conséquent Beauvoir elle-même, se présentera comme une
simple „amoureuse“, avec toute la signification négative qu’a ce terme pour
l’auteur de LDS. Les motivations des deux ouvrages sont par conséquent très différentes. LDS est le fruit de l’étude et de l’analyse objective, alors que LM est, au
contraire, un travail beaucoup plus personnel et intime: une analyse aussi, mais de
la propre vie dans des coordonnées vitales très spécifiques.
L’amour, sujet premier
Sur les rapports amoureux, Beauvoir s’est suffisamment expliquée dans LDS.
D’une part, je crois qu’elle a tenté de rendre son histoire avec Algren dans LM
équivalente à l’exemple de rapport égalitaire entre deux amants que Stendhal
proposait – plein de difficultés et hanté par l’éloignement géographique: „Deux
êtres séparés, placés en des situations différentes, s’affrontant dans leur liberté et
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cherchant l’un à travers l’autre la justification de l’existence, vivront toujours une
aventure pleine de risques et de promesses“.9 A cela, Beauvoir ajoute dans LDS
qu’il n’est pas habituel que les femmes sachent „créer avec leur partenaire un libre
rapport; elles se forgent elles-mêmes les chaînes dont il ne souhaite pas les charger: elles adoptent à son égard l’attitude de l’amoureuse“.10
Dans LM, le contrepoint à ce type de rapport stendhalien est donné par le personnage de Paule: „une femme radicalement aliénée à un homme et le tyrannisant
au nom de cet esclavage: une amoureuse“,11 comme elle l’a souligné dans La
Force des choses.12 Paule s’auto-immole dans le culte de son rapport avec Henri,
souhaitant même son annihilation en tant que sujet: „Il n’y a que toi – lui dit Paule:
moi je ne suis rien. J’accepte de n’être rien, et j’accepte tout de toi“.13 Elle abandonne sa carrière de chanteuse, sa propre vie sociale, tous les projets qui ne
concernent pas son amour, pour se consacrer exclusivement à son amant: „Le
chemin du renoncement n’est pas facile. Mais maintenant je te le jure: je ne réclame plus rien pour moi-même. Toi seul existes, et tu peux tout exiger de moi.“14
Henri, le deuxième alter ego fictionnel de l’écrivain, considère l’attitude de Paule
comme une charge, car il se croit lui-même dans l’obligation de la convaincre de
ne pas s’oublier dans son sacrifice maladif: „Voilà pourquoi je ne peux pas penser
à m’occuper de moi-même“ – dit-il.15 Dans LDS, Beauvoir signale à ce propos que
les femmes de ce genre „sont ‘collantes’, elles pèsent, et elles en souffrent; c’est
qu’elles ont le sort d’un parasite qui pompe la vie d’un organisme étranger“.16
Toute la vie de ces femmes dépend de l’Autre, qui est élevé à la catégorie
d’oracle, autour de qui tout tourne. L’homme devient cette figure indispensable
dans la vie des „amoureuses“, qui, accablé de ce poids intenable, espère de sa
compagne qu’elle sorte de son marasme et commence à vivre par elle-même et
pour elle-même: „Je trouve criminel que tu passes tes journées à végéter entre ces
quatre murs – dit Henri. – Tu appelles ça végéter! répond Paule [...] Quand on
aime, on ne végète pas.“17
L’amour est peut-être le prétexte pour que ce type de femme, l’amoureuse, base
son existence sur les réussites de son partenaire, se niant à elle-même la possibilité – et l’obligation, pourrait dire Beauvoir – de se produire dans le domaine du
public: „Il [Henri] avait vu dans son sacrifice une bouleversante preuve d’amour;
plus tard, il s’était étonné que Paule éludât toutes les occasions de tenter sa
chance et il s’était demandé si elle n’avait pas pris prétexte de leur amour pour se
dérober à l’épreuve“.18
L’exemple de Paule, comme personnage opposé à la liberté réciproque des partenaires vantée par Beauvoir, est très productif pour la trame romanesque: elle est
tout ce qu’Anne n’aimerait pas être et qu’Henri subit personnellement; c’est un personnage dramatique dans toute l’ampleur du terme. Beauvoir analyse dans LDS la
situation d’une grande partie des femmes qui, nées dans un contexte de soumission patriarcale, sont obligées par les hommes à s’assumer comme l’Autre.19 Figée en objet, vouée à l’immanence, sa consistance sera perpétuellement transcendée par une autre conscience souveraine: celle de l’homme, mari ou compa60
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gnon sentimental. La seule et vraie solution réside en une reconnaissance de
l’Autre comme un sujet à part entière par chacun des partenaires, „chacun posant
à la fois soi et l’autre comme objet et comme sujet dans un mouvement réciproque“.20 Seules l’autonomie et la reconnaissance mutuelle peuvent extirper à la
femme amoureuse son désir d’esclavage21 et lui permettre ainsi d’atteindre une
certaine liberté.
Une autre conséquence possible de cette dépendance est l’assomption et
l’acceptation de la plupart des femmes de n’être qu’un personnage secondaire
dans leur propre biographie, bénéficiant „par procuration“22 du succès de leur
compagnon, et demeurant dans l’ombre du personnage important qu’il est devenu.
Nadine critique Anne, sa mère, la psychanalyste, sur la portée limitée de son succès professionnel: „Regarde-toi par exemple: tu t’en tires, soit, tu as des clients;
mais enfin, tu ne seras jamais Freud.“23 Anne réagit dans un autre passage du
roman en se lamentant d’être „clairement cataloguée et acceptant de l’être, adaptée à mon mari, à mon métier, à la vie, à la mort, au monde, à ses horreurs. C’est
moi, tout juste moi, c’est-à-dire personne. N’être personne, c’est somme toute un
privilège“.24 Un privilège, parce que cela exempte l’individu de l’exigence vitale25
qui seule le portera à une indépendance solide et valable. Mais un privilège qui
renferme également la menace du manque total d’autonomie: „La femme se
connaît et se choisit non en tant qu’elle existe pour soi mais telle que l’homme la
définit. […] Son être-pour-les-hommes est un des facteurs essentiels de sa
condition concrète“.26 Anne ajoute, comme si elle voulait donner foi à cette
affirmation, à un moment où son monde semble basculer, que „pour [elle] le
monde, c’est lui“.27 L’entourage bourgeois des Dubreuilh en est une preuve: Anne
ne cesse pas d’étonner ses amies car elle a conservé son propre travail alors
qu’elle a un mari si important; c’est dans ce sens qu’Huguette Volange, l’un des
personnages de LM, s’interroge: „Ce qui m’étonne c’est que vivant près d’un
homme qui a une personnalité si écrasante vous gardiez un métier à vous. Moi je
ne pourrais simplement pas; mon cher époux dévore tout mon temps; je trouve ça
normal d’ailleurs“.28
Les personnages féminins beauvoiriens ne se sentent épanouies qu’au moment
où ils sont perçus d’un point de vue organique et sensuel: elles sont lorsque leurs
amants décident qu’elles deviennent un objet de leur désir; il est donc impossible
que leur identité ne passe pas par leur considération corporelle. Cela pourrait
contredire – ou compléter si l’on préfère – le célèbre aphorisme beauvoirien: „On
ne naît pas femme, on le devient“ pour dire „ce sont eux qui nous font“.
Le corps
Ainsi, Anne se trouve „simple et joyeuse de devenir une femme entre ses bras“29
lors de la première étreinte avec son amant étatsunien, après cinq ans de chasteté
absolue; jusqu’alors elle avait cru que „[sa] vie de femme [était] finie“.30 C’est certainement le désir masculin qui re-crée la femme en la corporéisant – circonstance
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complètement acceptée par Anne: „Son désir me transfigurait. Moi qui depuis si
longtemps n’avais plus de goût, plus de forme, je possédais de nouveau des seins,
un ventre, un sexe, une chair“.31
Une domination non seulement acceptée, mais aussi recherchée par les
femmes? S’il en était ainsi, cela ne ferait que souligner ce que dit Beauvoir dans
LDS à propos de la corporisation obligatoire de la femme. D’une part, elle affirme
que la femme „refuse de se cantonner dans son rôle de femelle parce qu’elle ne
veut pas se mutiler“;32 mais elle dit aussi que „ce serait aussi une mutilation de
répudier son sexe“, parce que „renoncer à sa féminité, c’est renoncer à une part
de son humanité“. On peut dire que, d’après Beauvoir, cela ne peut se produire
que dans l’acceptation des catégories patriarcales masculines; nier cela serait
comme nier les circonstances socio-historiques du temps où Beauvoir a écrit ses
œuvres.
L’affaire du corps n’a pas une importance moindre dans toute discussion
contemporaine sur le genre. Si l’identité féminine était limitée et restreinte au
corps, la femme serait la seule à se voir décerner une marque de genre – le genre
masculin serait alors incorporel et, par conséquent, propriétaire exclusif d’une liberté radicale. Judith Butler signale à propos de l’incarnation sociale des corps que
le sujet masculin est une espèce d’abstraction, car il ne se reconnaît pas comme
étant sanctionné par cette incarnation, la projetant sur le domaine du féminin. Elle
en vient à dire que l’association du corps avec le féminin fonctionne sur des rapports magiques de réciprocité à travers lesquels le sexe féminin se limite à son
corps, et le corps masculin, complètement nié, devient paradoxalement l’instrument incorporel d’une liberté unique.33
D’un autre côté, si l’identité féminine réside principalement en son corps (en son
essence, si l’on veut), il existe le danger que la conscience de soi féminine soit
limitée aux confins de ce corps. Il faudrait savoir si la féminité telle que la conçoit
Beauvoir admet la synthèse de corps et pensée grâce à laquelle la conscience est
une condition inéquivoque de la liberté. Sans cette synthèse intégratrice, Butler
affirme que les hiérarchies de la pensée sur le corps, et du masculin sur le féminin,
sont maintenues telles que les a établies le patriarcat.34 Et Beauvoir le signale
aussi dans LDS, où elle dit que „les doctrines qui réclament l’avènement de la
femme en tant qu’elle est chair, vie, immanence, qu’elle est l’Autre, sont des idéologies masculines qui n’expriment aucunement les revendications féminines“35 –
quoique cette affirmation semble être démentie dans certains passages cités plus
haut. Elle niait cependant, dans une interview de 1972, l’existence d’une nature
exclusivement féminine.36
Si la conscience de l’individu féminin synthétise vraiment le corps et la pensée,
il s’exerce comme sujet, sans éliminer pour autant ses possibilités d’être considéré
comme un objet dans un rapport d’égal à égal. Malgré cela, Henri, dans LM (l’un
des deux personnages pour lequel l’auteur a donné le plus d’elle-même), se demande si Lucie Belhomme est élégante ou non; la narratrice répond: „Henri n’avait
jamais compris le sens de ce mot; pour lui, il y avait des femmes désirables et
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d’autres qui ne l’étaient pas; celle-ci ne l’était pas“.37 Cette narratrice semble affirmer par là que la seule possibilité accordée aux personnages féminins dans le dramatis personae est d’accepter leur rôle d’objet dédié à la contemplation des personnages masculins. Je crois que Beauvoir se sert de cette possibilité comme s’il
s’agissait d’un avertissement, en disant à ses lecteurs et à ses lectrices que seules
les femmes n’exploitant que leurs capacités objectuelles ne sont pas tenues
comme des sujets à part entière: Anne chez qui se produit la synthèse entre corps
et pensée, en est la preuve. Cela l’élève à la catégorie d’individu autonome et
auto-conscient.
Le corps maternel
La maternité menace la femme, d’après Beauvoir, de la vouer à l’immanence de
sa corporéité. Comme le signale Alzon, le risque que court la femme est de se
sentir dispensée de faire si elle peut se contenter d’être lorsqu’elle devient une
mère.38 D’un côté, la reproduction est le seul élément qui, selon Beauvoir, distingue vraiment hommes et femmes;39 d’où son importance pour la conscience individuelle féminine – l’écrivain y consacre nombre de pages dans LDS. Un excès
d’idéologie maternelle pourrait cependant pousser la femme à privilégier sa composante corporelle en détriment de l’autre, mentale; la liberté dont parlait Butler
pourrait être annihilée de ce fait. Le problème paraîtrait au moment où la femme
céderait à une idéologie maternelle trop agressive et „[s’abdiquerait] au profit de
l’espèce“.40 Cette abdication a comme conséquence directe „son asservissement
à la fonction génératrice“ et elle „lui interdit de prendre part à la construction du
monde“.41 Dans LM, Nadine ne se résigne pas à être seulement une mère de famille;42 ses aspirations sont plus larges et, sans exclure la maternité, elles comprennent d’autres aspects de la vie – une vocation exclusive à la reproduction
pourrait lui en barrer la route.
Dans cet aspect de la vie des femmes, les politiques proposées par le pouvoir
exécutif sont décisives. Karen Offen a signalé que Beauvoir a écrit LDS dans une
période où l’Etat, en France, encourageait agressivement la maternité,43 ce qui
aurait pu conduire à ce que celle-ci devienne la seule issue pour ses contemporaines.
Linda Zerilli observe que le regard de Beauvoir sur la maternité est, par contre,
assez limité. En considérant la reproduction comme une prison pour les femmes,
elle est incapable d’expliquer dans LDS la conjonction entre plaisir et désir maternel; et, surtout, incapable aussi d’expliquer pourquoi les femmes, et en spécial les
femmes féministes, ont toujours des enfants.44 Le grand succès de l’écrivain a
été, toujours d’après Zerilli, de signaler l’aliénation et la perte de subjectivité subies
par les femmes qui se consacrent exclusivement à la maternité. Elle a initié et
rendu possible la redéfinition des femmes à partir de paramètres extérieurs aux
paramètres traditionnels – à la lumière desquels le féminin trouve dans la biologie
son unique destin.
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Le maître, l’esclave et l’action
Ce sujet occupe un espace important dans LDS, au point de l’élever jusqu’à la catégorie de mythe personnel; et ce plus particulièrement au niveau de la dynamique
du rapport maître-esclave et de ses conséquences sur l’activité libre de l’individu.
D’un côté, Beauvoir parle, dans des termes différents de ceux utilisés par Bourdieu,45 de socialisation différenciée, à interpréter dans le sens d’une éducation
spécifique pour chaque genre, préparant ainsi les individus à des conduites sociales différentes. Par exemple, dans LM, l’avenir de Nadine est comparé à celui de
n’importe quel jeune homme; ses parents comprennent que son ami reporter est
dans l’obligation de montrer sans trêve son courage: „être un homme, ce n’est pas
plus commode. On demande tellement à un homme aujourd’hui: toi la première. Ils
ont encore du lait plein la bouche, et ils doivent jouer aux héros. C’est décourageant“.46 Il s’agit là d’un processus par lequel les communautés traditionnelles faisaient passer les adolescents afin qu’ils puissent montrer leur pleine disposition
pour atteindre le statut d’homme: le processus des rites de passage dont parle la
sociologie, assurant les capacités essentielles et normatives de la moitié masculine de la société. Une situation qui se produit encore à l’époque de Beauvoir: „Chez
nous aussi, pour acquérir la dignité d’adulte, il faut qu’un mâle sache tuer, faire
souffrir, se faire souffrir. On accable les filles d’interdits, les garçons d’exigences,
ce sont deux espèces de brimades également néfastes“.47
Cette situation, bien que réprouvée par Beauvoir, n’est pas pour autant absolument abhorrée par l’écrivain: l’agressivité dans laquelle sont éduqués les jeunes
mâles de la société peut être un privilège dont les jeunes femmes ne bénéficient
pas. Beauvoir dit à cet égard dans LDS: „La situation privilégiée de l’homme vient
de l’intégration de son rôle biologiquement agressif à sa fonction sociale de chef,
de maître“.48 Pourquoi considère-t-elle cette puissance socialement apprise
comme un privilège, alors qu’elle donnait à Anne une opinion négative à ce sujet?
Il est possible que la raison réside en ce que, grâce à l’usage de la force, l’individu
se rend capable d’acquérir la catégorie de maître et d’atteindre ainsi une autonomie seulement réservée aux exemplaires les plus décidés de la communauté.
En suivant Hegel dans sa distinction entre maître et esclave,49 Beauvoir voit
dans le retrait domestique des femmes l’une des plus néfastes conséquences de
leur soumission à l’espèce. A cause de leur physiologie constamment soumise aux
cycles des menstrues, grossesse et convalescence puerpérale, les femmes furent
probablement exclues des expéditions guerrières dans les communautés primitives. Beauvoir affirme que cette circonstance-là a plongé la moitié de l’humanité
dans sa situation d’esclavage, car en tant que force de reproduction et non de production, le corps féminin ne serait pris que comme réceptacle des desseins politiques du groupe humain. „Ce n’est pas en donnant la vie, c’est en risquant sa vie
que l’homme s’élève au-dessus de l’animal; c’est pourquoi dans l’humanité la supériorité est accordée non au sexe qui engendre mais à celui qui tue“, ajoute
Beauvoir.50 C’est pourquoi le maître, violent et autoritaire grâce à l’emploi de la
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force, sait imposer sa volonté à la volonté accomodante de celui qui a assumé un
rôle subalterne dans la société: „Dans le rapport du maître à l’esclave, le maître ne
pose pas le besoin qu’il a de l’autre; il détient le pouvoir de satisfaire ce besoin et
ne le médiatise pas; au contraire l’esclave dans la dépendance, espoir ou peur,
intériorise le besoin qu’il a du maître“, écrit Beauvoir dans l’introduction à LDS.51
Dans LM, cette opposition est représentée dans le rapport qu’entretiennent
Henri Perron et Paule l’amoureuse. Tandis que celle-ci se contente d’une vie ancrée dans la dépendance du concept que son compagnon a d’elle, Henri rêve
d’une existence remplie d’action et d’événements. Paule s’écrie dans un passage
du roman: „J’ai de moins en moins envie de courir le monde. A quoi ça sert-il?“;52
alors qu’Henri brûlait d’envie de profiter de toute possibilité d’action.53 Heureusement, la fin du roman présente Paule débarrassée de son attitude soumise et critiquant son ancienne foi en la subordination: „C’est ignoble, la dépendance – ditelle. Je veux une activité virile“.54
Beauvoir avoue avoir été critiquée pour avoir projeté ces différences d’attitude
associées au genre de ses personnages; plus particulièrement, le fait de ne pas
avoir représenté des femmes assumant des responsabilités de haut niveau, autant
dans le domaine politique que dans le domaine artistique. Elle y a répondu dans
La Force des choses en affirmant avoir fui les exceptions: „J’ai décrit les femmes
telles que, en général, je les vois encore: divisées. [...] Aucune, d’un point de vue
féministe, ne peut être considérée comme une ‘héroïne positive’“.55 Parce que,
pour elle, une femme qui a pour vocation et pour métier d’écrire est une exception.56
Se projetant elle-même sur les deux personnages au centre de la narration,
Henri Perron et Anne Dubreuilh, l’écrivain a tenté d’analyser la dépendance habituelle des femmes à leurs compagnons, tout en l’opposant à l’amour de l’action
typiquement masculin. En parlant de son identification à Anne, elle dit que, „faute
d’avoir des buts et des projets à soi, elle mène la vie ‘relative’ d’un être ‘secondaire’. Ce sont surtout les aspects négatifs de mon expérience que j’ai exprimé
à travers elle: la peur de mourir et le vertige du néant, la vanité du divertissement
terrestre, la honte d’oublier, le scandale de vivre. La joie d’exister, la gaieté
d’entreprendre, le plaisir d’écrire, j’en ai doté Henri. Il me ressemble autant
qu’Anne au moins, et peut-être davantage“.57
Emancipation et politique
Il est donc manifeste que Beauvoir n’a pas créé d’héroïnes positives pour ne pas
forcer la vraisemblance des portraits; et cela parce que, malgré le chemin plus ou
moins ouvert que trouvent les femmes dans le travail pour assurer leur émancipation économique, l’émancipation émotionnelle ne vient pas que de l’autonomie financière: les obstacles que la société patriarcale a traditionnellement mis à
l’indépendance des femmes sont trop nombreux. Dans LDS, Beauvoir affirme que
c’est seulement dans un système socialiste que le travail organisé assurerait la
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liberté d’action des femmes: „Un monde où les hommes et les femmes seraient
égaux“.58 Un monde où, ajoute l’écrivain, „les femmes élevées et formées exactement comme les hommes travailleraient dans les mêmes conditions et pour les
mêmes salaires; la liberté érotique serait admise par les mœurs, mais l’acte sexuel
ne serait plus considéré comme un ‘service’ qui se rémunère; la femme serait
obligée de s’assurer un autre gagne-pain; le mariage reposerait sur un libre engagement que les époux pourraient dénoncer dès qu’ils voudraient; la maternité serait libre, c’est-à-dire qu’on autoriserait le contrôle des naissances et l’avortement“.59
Beauvoir niera quelques années plus tard l’exclusivité de l’association socialisme-émancipation féminine. Ce n’est pas qu’il ne soit pas possible de la rendre
vraie, mais l’attente serait trop longue à cause de l’urgence avec laquelle il faut
mettre fin à la domination de la femme par l’homme. L’écrivain raconte comment,
dans une conférence qu’elle a donnée à l’Ecole Emancipée, les marxistes et les
staliniens lui ont dit que lorsque la révolution serait installée „le problème de la
femme ne se poserait plus“. „Soit – a ajouté Beauvoir; mais, en attendant? Les
temps présents ne semblaient pas les intéresser“.60
La pensée de Beauvoir à cet égard semble avoir changé avec le temps. Si à la
fin de LDS elle disait ne pas se considérer féministe parce qu’elle espérait ellemême que les problèmes des femmes se résoudraient dans l’avènement d’une
société socialiste, elle a aussi dit vers 1980 qu’elle a cessé de se dire féministe
après une analyse plus fine des circonstances politiques. La lutte des classes, associée à la construction socialiste et égalitaire, devait être présentée indépendamment du combat menant au changement de la situation des femmes.61
Voilà donc une Beauvoir enfin persuadée de son militantisme féministe, au-delà
des couleurs politiques déterminées, plongée dans la lutte pour l’égalité des droits,
des opportunités et de la considération d’hommes et de femmes. En ne limitant
pas la possibilité d’atteindre cette égalité au seul socialisme marxiste, Beauvoir
ouvre le féminisme à tout l’évantail politique réellement existant dans la société
occidentale contemporaine.
Fin
La lecture comparée de LDS et LM montre des différences profondes entre l’essai
et le roman, car les motivations qui leur ont donné naissance étaient elles aussi
différentes. Tandis que dans LDS, Beauvoir envisageait la description analytique
de la situation des femmes à travers l’Histoire, dans LM elle a écrit sur elle-même
et sur son expérience émotionnelle et personnelle de l’après-guerre. Si LDS devenait une sorte de manifeste pour le développement des hommes et des femmes
dans l’égalité, Beauvoir n’a pas proposé dans LM un modèle de femme indépendante, autonome et épanouie, mais le portrait d’une femme enfermée dans ses
propres contradictions. Elle n’a pas prétendu présenter une femme exceptionnelle,
une exception, comme modèle de libération, mais une femme en qui toute lectrice
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de son temps pourrait se reconnaître. S’agit-il d’un propos accommodant? ou
d’une stratégie de marketing? Il est peut-être plus utile de pencher pour cette dernière option, et cela pour deux raisons. Primo, les prix littéraires sont normalement
décernés en fonction des possibilités commerciales des titres; et même si Beauvoir n’en dit rien dans La Force des choses, il ne serait pas trop insensé de penser
que le prix Goncourt destiné à LM ait été le fruit des négociations entre Gallimard
et l’écrivain. Secundo, le besoin d’identification entre lecteur et personnage de
fiction obligeait peut-être Beauvoir à présenter une héroïne possible, sans laquelle
cette identification-là serait plus difficile; la projection sociale et commerciale du
roman en dépendait.
Enfin, LDS n’est pas aussi présent dans LM que l’on pouvait l’espérer. La pensée de l’essayiste a sans doute influencé la romancière, mais, on l’a vu, leurs propos différaient. Les audaces de LDS sont beaucoup plus évidentes que ceux de
LM, où la vocation prophétique était presque inexistante: roman réaliste, roman
fantasmatique, l’auteur a préféré revivre sa propre vie au lieu d’offrir un modèle à
ses lecteurs et à ses lectrices.
Peut-être cela sert-il à ébaucher une réponse à la question que je me suis posée au début de cet article: LM ne remet pas en question la distribution des rôles à
partir du genre, pensée par l’élite intellectuelle parisienne. Bien au contraire, il présente une société où le genre est toujours un motif de ségrégation réelle et
symbolique. Sa création romanesque n’utilise strictement que le réel; tout le reste,
c’est peut-être de la littérature.
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Deirdre Bair: Simone de Beauvoir, a Biography, New York, Summit Books, 1990 (version
française: Simone de Beauvoir, trad. de Marie-France de Paloméra, Paris, Fayard, 1991,
371).
Simone de Beauvoir: La Force des choses, Paris, NRF-Gallimard, 1963, 210.
Ibid., 211.
Ibid., 288.
Philippe Lejeune: Le Pacte autobiographique, Paris, Seuil, 1975, 25.
Simone de Beauvoir: Le Deuxième Sexe, Vol. I „Les Faits et les Mythes“, Paris, Gallimard-Folio, 1949 et 1976, 103.
Deirdre Bair: Simone de Beauvoir, a Biography, op. cit., 475.
Ibid., 491.
Simone de Beauvoir: Le Deuxième Sexe, Vol. I, op. cit., 389.
Simone de Beauvoir: Le Deuxième Sexe, Vol. II „L’Expérience vécue“, Paris, GallimardFolio, 1949 et 1976, 617.
Simone de Beauvoir: La Force des choses, op. cit., 285.
Toril Moi signale à propos du personnage de Paule: „these characters [...] she writes, are
representations of her own personal ‘death’s head’ [tête de mort]“. Toril Moi: Simone de
Beauvoir, The Making of an Intellectual Woman, Cambridge, Mass., Blackwell Publishers,
1994, 218.
Simone de Beauvoir: Les Mandarins, Paris, Gallimard, 1954, Vol. II, 148.
Ibid., 148.
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Simone de Beauvoir: Les Mandarins, Paris, Gallimard, 1954, Vol. I, 298.
Simone de Beauvoir: Le Deuxième Sexe, Vol. II, op. cit., 653.
Simone de Beauvoir: Les Mandarins, Vol. I, op. cit., 196.
Ibid., 26.
Simone de Beauvoir: Le Deuxième Sexe, Vol. op. cit., 34.
Ibid., 240.
Tel que le conçoit Richard Sennet en Personal Identity and City Life. Richard Sennett:
Personal Identity and City Life, New York, Knopf, 1970 (version espagnole: Vida urbana e
identidad personal. Los usos del orden, trad. de Josep Rovira, Barcelona, Península,
2001, 162).
Dans les termes signalés par Bourdieu dans Pierre Bourdieu: La Domination masculine,
Paris, Seuil, 1998, 87.
Simone de Beauvoir: Les Mandarins, Vol. I, op. cit., 288.
Ibid., 49.
Le psychanalyste Erik Erikson parle de „personnalité vitale“ à propos de l’aspiration au
développement intégral qu’il croit nécessaire en la construction continuelle de l’individu
tout au long de son existence. Erik H. Erikson Identity, Youth and Crisis, New York, W.W.
Norton & Co. Inc., 1968 (version espagnole: Identidad, juventud y crisis, trad. d’Alfredo
Guéra, Madrid, Taurus, 1992, 43).
Simone de Beauvoir: Les Mandarins, Vol. I, op. cit., 234.
Ibid., 63.
Ibid., 305.
Simone de Beauvoir: Les Mandarins, Vol. I, op. cit., 74.
Ibid., 118.
Simone de Beauvoir: Les Mandarins, Vol. II, op. cit., 39.
Simone de Beauvoir: Le Deuxième Sexe, Vol. II, op. cit., 601.
Judith Butler: Gender Trouble. Feminism and the Subvertion of Identity, Londres, Routledge, 1990/1999 (version espagnole: El Género en disputa. El feminismo y la subversión de la identidad, México Paidós, 2001, 44.
Ibid., 45.
Simone de Beauvoir: Le Deuxième Sexe, Vol. I, op. cit., 223.
Interview dans Le Nouvel Observateur. Citée par Claude Alzon: Femme mythifiée, femme
mythifiée, Paris, PUF, 1978 (version espagnole: Mujer mitificada, mujer mistificada, trad.
de J.M. Arancibia, Paris-Barcelone, Ruedo Ibérico-Ibérica de Publicaciones, 1982, 77.
Simone de Beauvoir: Le Deuxième Sexe, Vol. I, op. cit., 453.
Claude Alzon: Femme mythifiée, femme mythifiée, op. cit., 90.
Simone de Beauvoir: Le Deuxième Sexe, Vol. I, op. cit., 38.
Ibid., 61.
Ibid., 203.
Simone de Beauvoir: Le Deuxième Sexe, Vol. II, op. cit., 351.
Karen Offen: „El cuerpo político: mujeres, trabajo y política de la maternidad en Francia,
1920-1950“, in Gisela Bock et Pat Thane (ed.): Maternidad y políticas de género: la mujer
en los estados de bienestar europeos, 1880-1950, Madrid, Cátedra, 1996, 245sqq.
Linda M.G. Zerilli: „Un Proceso sin sujeto: Simone de Beauvoir y Julia Kristeva, sobre la
maternidad”, in Silvia Tubert (ed.): Figuras de la madre, Madrid, Cátedra, 1996, 161. Zerilli cite Rose comme auteur de cette affirmation, mais sans aucune référence bibliographique dans son article.
Pierre Bourdieu, op. cit., 86.
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Simone de Beauvoir: Les Mandarins, vol. I, op. cit., 341.
Simone de Beauvoir: Les Mandarins, vol. II, op. cit., 104.
Simone de Beauvoir: Le Deuxième Sexe, Vol. II, op. cit., 102.
„L’homme est ainsi par suite de cette différenciation le principe actif, tandis que la femme
est le principe passif parce qu’elle demeure dans son unité non développée”. Simone de
Beauvoir: Le Deuxième Sexe, Vol. I, op. cit., 44.
Ibid., 115.
Ibid., 22.
Simone de Beauvoir: Les Mandarins, vol. I, op. cit., 14.
Ibid., 20.
Simone de Beauvoir: Les Mandarins, vol. II, op. cit., 351.
Simone de Beauvoir: La Force des choses, op. cit., 286.
Ibid., 284.
Ibid., 287sq.
Simone de Beauvoir: Le Deuxième Sexe, Vol. II, op. cit., 598.
Ibid., 653.
Simone de Beauvoir: La Force des choses, op. cit., 209.
Alice Schwarzer: Simone de Beauvoir Today: Conversations, 1972-1982. Citée par Toril
Moi: Simone de Beauvoir, The Making of an Intellectual Woman, op. cit., 101.
Resümee: Francisco Domínguez González, „Le Deuxième Sexe in Les Mandarins“ Der
Verfasser dieses Beitrags hat untersucht, welche Spuren des Traktats Le Deuxième Sexe sich
in der narrativen Fiktion des Romans Les mandarins finden lassen. Auf den ersten Blick
scheint das Bild der Frau in den beiden Werken widersprüchlich, da dem in Le Deuxième
Sexe formulierten Anspruch auf weibliche Emanzipation die nach wie vor untergeordnete
Stellung der Frau in Les Mandarins gegenübersteht. Dies lässt sich jedoch dadurch erklären,
dass Simone de Beauvoir mit den Frauenfiguren dieses Romans keine idealisierten Vertreter
ihres Geschlechts, sondern Abbilder der damaligen gesellschaftlichen Situation schaffen
wollte; der Erfolg des Romans – gekrönt durch den Prix Goncourt im Jahre 1954 – beweist,
dass dieser Realismus von der Leserschaft durchaus verstanden wurde.
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