AMOUR CACHÉ L`intelligence complète, équilibrée, féconde est un
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AMOUR CACHÉ L`intelligence complète, équilibrée, féconde est un
AMOUR CACHÉ L’intelligence complète, équilibrée, féconde est un cas tellement rare: l’effort que l’homme accomplit pour s’élever sur les degrés de l’intelligence est tellement douloureux, tellement désespéré; les dommages qui naissent d’une intelligence incomplète sont tellement plus grands que ceux qui peuvent dériver d’une stupidité sincère et pacifique; un doute naît peu à peu sur la valeur effective, sur l’utilité de celle-ci tant décantée, tant soupirée. L’ardeur même, l’ambition que l’homme dépense dans la recherche de l’intelligence ne sont-elles peut-être pas une preuve persuasive que l’intelligence est une condition contre-nature, inhumaine? Plus que tout, l’homme désire ce qu’il ne possède pas, qu’il ne peut pas, qu’il ne doit pas posséder. Et parmi les choses que l’homme désire, amour, santé, richesse, honneurs, l’intelligence n’estelle la principale, la Grande Désirée? La stupidité, de son côté, la pauvre, l’outragée, la chère stupidité est celle à laquelle s’adresse le véritable, le spontané, le durable amour de l’homme. S’il est licite de prendre par exemple le dualisme amoureux de ces crétins qui peuvent être tentés et qui, bien qu’ayant une femme, s’offrent le luxe d’avoir aussi une maîtresse, nous dirons que, même dans la métaphysique, l’homme divise son affect en intelligence (maîtresse) et stupidité (femme et, dirais-je mieux, “épouse”, car jamais étymologie ne tombe autant à propos). De toutes les déceptions de l’intelligence, caprices, perfidies, trahisons, dépenses (car elle coûte cher cette maîtresse de luxe), c’est elle, la bonne, la magnanime stupidité qui nous console. C’est elle, la patiente, la très fidèle, qui, après toutes les erreurs, tous les empoisonnements de la jeunesse prolongée, nous attend pour partager une idylle très douce, la paix de nos vieux jours. RAPPEL La stupidité, cet amour inavouable, exerce sur nous un pouvoir hypnotique, une attirance invincible. Je l'ai expérimentée plusieurs fois dans le tram, dans les lieux publics, au café. Je suis assis au café et près de moi, de moi qui erre dans les sentiments les plus inexplorés de l'intelligence, s'assoient quelques inconnus. Comme cela se passe en général, une stupidité ineffable, inspirée, incantatrice émane de leurs conversations. Peu à peu, mon aventure s'obscurcit, perd la trace de mon aventure solitaire, cède à l'appel primordial de la stupidité, mon oreille est pleine de la voix des sirènes. Intelligence, je te salue! Je ne pense plus, je ne cherche plus, je ne veux plus. Une langueur très douce m'envahit, comme si nos nerfs se dissolvaient dans l'épuisement du son voluptueux du sommeil après une insomnie prolongée. Maintenant je m’adresse à vous et vous demande pour nous, fils de l'intelligence, pour nous, fils du Péché, cet appel n'est-il pas peut-être cet appel très lointain et nostalgique du Paradis perdu? Alberto Savinio, L’encyclopédie interminable, Bourgois, 1999.