L`intégration locale: un point à clarifier
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L`intégration locale: un point à clarifier
52 L’intégration locale: un point à clarifier FMR 26 L’intégration locale: un point à clarifier par Sarah Meyer Dans un article publié dans FMR 251, Ana Low invite à reprendre et à ranimer le débat sur l’intégration locale en tant que solution durable pour les réfugiés. Cependant, la stratégie d’autonomie qu’elle décrit pour l’Ouganda ne propose aucun modèle adéquat visant la durabilité de l’intégration locale - en réalité, cette stratégie ne cible pas l’intégration locale. Chercheurs et politiques se penchent à nouveau sur l’intégration locale. Ce regain d’intérêt se reflète par exemple dans la position du Comité exécutif du HCR sur l’intégration sur place et l’autonomie (UNHCR, 2005)2. Pour Jeff Crisp3, il est manifeste que l’intégration locale « peut être considérée comme un processus porteur de solutions durables pour les réfugiés ». Ce processus, ajoutet-il, n’implique pas nécessairement la naturalisation, mais est néanmoins basé sur « l’idée que les réfugiés séjourneront dans le pays d’asile pour une durée indéterminée, et que c’est là qu’ils trouveront la solution de leurs problèmes ». Il faut donc bien distinguer l’intégration locale de l’installation locale ou de l’autonomie, qui ne vont pas de pair avec un quelconque asile permanent. Cette distinction se retrouve dans des documents politiques tels que les Consultations mondiales de l’UNHCR sur la Protection internationale (2002), et particulièrement sur l’intégration sur place4, qui marquent bien la différence entre l’intégration sur place en tant que solution durable, et la simple autonomie ou autosuffisance (qui peut être un facteur de préintégration ou jouer un rôle important dans la détermination de l’intégration de facto). Il faut, en effet, distinguer très strictement entre les contextes où les pays hôtes acceptent entièrement le principe de l’intégration locale en tant que solution durable, et ceux où les réfugiés sont localement intégrés alors que le gouvernement qui les accueille privilégie encore une politique de rapatriement. Dans son analyse, Ana Low ne définit pas assez strictement l’autonomie par rapport à l’intégration locale. Cette confusion fait écho à celle qui, en 1997 déjà, faisait dire au HCR que les politiques d’autonomie menées par l’Ouganda avaient pour objectif de « faciliter l’intégration à long terme » (Les réfugiés dans le monde 19971998). En réalité, en ce qui concerne les solutions durables, l’Ouganda accorde la priorité au rapatriement. Lors d’entretiens menés à Kampala et à Arua, les membres du gouvernement ougandais interviewés ont rapidement tenu à souligner que, malgré l’emploi du terme d’ « intégration » dans les documents officiels, la solution durable privilégiée par l’administration demeure le rapatriement. En 2005, le commissaire ougandais aux réfugiés affirmait : « Nous continuons de croire que pour les réfugiés, la meilleure solution est qu’ils retournent chez eux ; et nous agirons en conséquence ». En effet, certains hauts fonctionnaires ougandais craignent que la stratégie d’autonomie poursuivie actuellement ne soit interprétée comme la mise en place d’une politique de compensation des impacts négatifs ressentis dans la population ougandaise au contact direct avec les réfugiés, et non pas comme une simple stratégie de gestion des flux de réfugiés. Pour eux, le gouvernement ougandais ne saurait promouvoir l’autonomie des réfugiés que dans l’optique d’un rapatriement à moyen ou à long terme, qui est la seule solution durable envisageable à leur sens. Ana Low avance en outre que « la loi sur les gouvernements locaux en Ouganda a encouragé la prise de décision participative et a entraîné l’établissement de Conseils d’aide sociale pour les réfugiés afin d’identifier les besoins des réfugiés en développement et d’y répondre ». En réalité, il faut bien voir que si la stratégie d’autonomie a créé de nombreux problèmes, c’est justement parce que la décentralisation générale de l’administration ougandaise n’a pas eu d’effets dans le domaine qui nous occupe ici ; au contraire, on a plutôt assisté à une recentralisation du contrôle et du pouvoir en dans les questions concernant les réfugiés. En effet, en 1998, la compétence politique et la responsabilité des programmes concernant les réfugiés, qui relevaient auparavant du Ministère des Gouvernements Locaux, ont été transférées au Bureau du Premier ministre - où a été créée à cet effet une instance spéciale, le Ministère des catastrophes et des urgences, qui s’occupe particulièrement de la politique en matière de réfugiés. Par ce glissement du contrôle sous l’influence directe du Premier ministre, on a opéré une séparation entre, d’un côté, la politique et la planification régionales, et de l’autre, la question des réfugiés, sous ses aspects administratifs, politiques et sociaux. Ainsi, les processus de développement régionaux ne prennent pas en compte le facteur « réfugiés ». Le responsable principal au Plan régional du district d’Arua, par exemple, reconnaît n’être informé d’aucune consultation actuelle sur le sujet des réfugiés. Dans le système géré par le Conseil Social des Réfugiés, l’action est explicitement restreinte aux questions d’installation : les réfugiés ont indirectement accès au processus de planification régionale, par l’intermédiaire du représentant du Premier ministre dans le camp (le commandant du camp), qui peut entendre leurs requêtes et les présenter à qui de droit ; mais ils n’ont pas la possibilité d’influencer directement les processus de consultation ou de décision au niveau du district, c’est-à-dire là où se fait la planification régionale. Il y a donc des blocages considérables en ce qui concerne l’intégration sociale et politique des réfugiés en Ouganda - et ces obstacles n’ont pas été évacués par la stratégie d’autonomie. Ainsi, dans un contexte où le gouvernement privilégie officiellement le rapatriement, où les réfugiés sont exclus de la vie sociale, politique et économique par le système qui gère leur installation, et où les décisions politiques qui les concernent ne sont pas prises au niveau local, il y a lieu de s’interroger : la stratégie d’autonomie du gouvernement ougandais est-elle véritablement une stratégie d’intégration ? Sarah Meyer vient de terminer son mémoire de maîtrise en Politique et Développement à l’Université d’Oxford. E-mail : [email protected] 1. Ana Low, « L’intégration locale: une solution durable pour les réfugiés ? », FMR 25, http://www.migrationforcee. org/pdf/MFR25/38.pdf 2. www.refugeecouncilusa.org/ngo-stat-sreliance72905.pdf 3. Crisp, Jeff (2004). “The local integration and local settlement of refugees: a conceptual and historical analysis,” New Issues in Refugee Research, Working Paper No. 102, (www.unhcr.org/cgi-bin/texis/vtx/research/ opendoc.pdf?tbl=RESEARCH&id=407d3b762) 4. NdT: voir particulièrement http://www.unhcr.fr/cgibin/texis/vtx/protect/opendoc.pdf?tbl=PROTECTION&id =3ccd64047