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27/07/2010
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Enquête
Le forro, poésie dansante du Brésil, gagne la France
LE MO NDE | 15.06.05 | 13h38 • Mis à jour le 14.07.05 | 08h21
e forro nordestin débarque en France, via l'Année du Brésil qui nourrit la programmation d'un
bon paquet de festivals d'été. Rio Loco ! ouvre le feu le vendredi 17 juin à Toulouse par un Bal
Forro. Le forro est d'abord une question d'instruments, un trio : l'accordéon (origine : le Portugal),
le triangle et le tambour.
Cousin de la poésie des repentistas, ces chanteurs de
complaintes qui parcourent le Nordeste pour y
improviser des vers en s'accompagnant d'une viola guitare à cordes métalliques -, le forro est une
critique sociale en même temps qu'une musique de bal, avec ses ironies amoureuses, ses propos
salaces et ses gestes suggestifs.
L'étymologie de forro est parfois attribuée à un anglicisme : de la musique "for all". Le fait est
contesté - il s'agirait d'une onomatopée évoquant une rythmique en tapis "forrobobo" - qui
témoigne de la naïveté lucide des Nordestins.
Le sertao, terres sèches de l'intérieur, englobe sept des vingt-six Etats de la République fédérative du
Brésil. Le Nordeste fournira la main-d'oeuvre nécessaire à la construction des mégalopoles du Sud
et de la capitale Brasilia, ainsi qu'à l'expansion industrielle du pays - meilleur exemple en date, le
président Luis Ignacio da Silva, Lula, parti en camion bâché de son Pernambouc natal pour cause
de faim et de sécheresse chronique.
Ainsi, depuis son apparition au XIXe siècle, le forro a essaimé grâce aux "Bahianais" (appellation
employée notamment dans le triangle de la sidérurgie de l'ABC, près de Sao Paulo, où Lula fut
syndicaliste, pour désigner les Nordestins, fussent-ils de l'extrême nord du Piaui, à près de 2 000
kilomètres de Salvador). Les chauffeurs de camions nordestins l'emporteront au coeur de
l'Amazonie.
Dans le Nordeste, la tradition portugaise des fêtes de Saint-Antoine ou de Saint-Jean se transpose
en hiver, de mai à août, avec un pic le jour du solstice d'été, le 23 juin, ce qui coïncide avec la
récolte du maïs, grillé en abondance. Car si le sertao manque d'eau et chauffe sa terre craquelée au
soleil, il est strié de vallées fertiles. Et qu'entre la côte, zone humide propice à la canne à sucre, et le
sertao aride, il existe une terre propice à l'élevage, aux plantations d'igname ou de maïs : l'agreste,
ses collines, ses verdeurs épisodiques.
Là, en juin, des feux de joie sont allumés, les paysans s'y déguisent en... paysans (chemise à
carreaux, chapeau de paille, pantalons trop courts) et mettent en scène un mariage matuto (culterreux), où le curé et le fiancé se font parfois rosser par la belle-mère. On danse la quadrilla, forme
évolutive du menuet, en groupe. Les ordres sont donnés en français approximatif : "an ariê, an
avan" (pour en arrière et en avant).
Le Nordeste est une sorte d'Occitanie à la brésilienne - l'axe historique s'est forgé via la Galice,
habitée des troubadours du pays d'oc apparus au XIII e siècle. Le Nordeste aussi est un "pays" avec
ses particularismes et ses envies d'autonomie. Il s'est parfois rêvé en Etat-nation, inséré dans un
vaste ensemble brésilien, avec monnaie unique - le vieux cruzado devenu cruzeiro et enfin real en
1994, à la fin des poussées inflationnistes - et langue unificatrice, le portugais. Mais parlée de façon
singulière, en avalant des"r" qu'on dit pourtant roulés, en gommant les pronoms personnels,
bourrée de particularismes.
"Se o Nordeste fosse independente", si le Nordeste était indépendant, chantait dans les années 1980
Elba Ramalho, égérie de la chanson moderne made in Nordeste. Eh bien, il aurait, de l'avis
unanime, un hymne : Asa Branca. "Quel brasier, quelle fournaise/Pas un pied de plantation/Par
manque d'eau/J'ai perdu mon troupeau/Mon alezan est mort de soif/Et même l'oiseau blanc est
parti à tire d'ailes/Alors j'ai dit : Adieu Rosinha, garde mon coeur avec toi..." Cinq couplets d'une
simplicité biblique publiés en 1947 et qui résument le destin de ce Nordeste profond.
Asa Branca est une musique rythmée et d'apparence gaie. Elle fut composée par Humberto
Texeira, qui deviendra député, et Luis Gonzaga. Accordéoniste inventif, chanteur à la voix
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singulière, à la fois caverneuse et ardente, Luis Gonzaga fut une énorme vedette de la chanson au
Brésil. Né en 1912 à Exu, une bourgade isolée de l'Etat du Ceara, il est mort à Recife le 2 août 1989.
Dès l'annonce de son décès sur la populaire Radio Clube, la vie s'est arrêtée dans la métropole
nordestine. Trois jours de deuil ; une messe dite par Dom Helder Camara, l'évêque"rouge" de Recife
et Olinda, héros de la résistance contre la dictature militaire ; un million de fans dans la rue qui
accompagnent le cercueil en chantant à la façon des vachers : "Hei, hei, hei, Luiz é nosso rei", Luiz
est notre roi.
Luis Gonzaga chantait vêtu du traditionnel habit du vaqueiro, le gardien des troupeaux, tout cuir,
chapeau en forme d'arche de Noé inversée. Parti à Rio de Janeiro en 1941, il devient en dix ans le
premier phénomène de l'industrie discographique brésilienne naissante, et inonde le pays d'une
musique à l'origine régionale, qu'on appelle alors le baiao, mélodie dansante aux composantes
médiévales. Le baiao et Luis Gonzaga ne furent détrônés que par un mouvement encore plus
puissant : la bossa nova, née à la fin des années 1950.
Mais cette culture, avec ses bandits d'honneur (les cangaceiros), ses saints illuminés, ses féroces
coroneis (les propriétaires fonciers), ses cohortes de retirantes (les familles de paysans s'exilant en
ville), aura largement inspiré le cinéma Novo, la nouvelle vague brésilienne. En 1953, Lima Barreto
filme O Cangaceiro - Joan Baez en interprétera le thème musical sur l'album Joan Baez/5 en
1964, année de la sortie internationale de Sécheresses, de Nelson Pereira dos Santos, des Fusils, de
Rui Guerra, et Le Dieu noir et le diable blond, de Glauber Rocha, oeuvres majeures du cinéma sudaméricain.
Chevaux, cuir, paysages, musique : le cocktail séduit à nouveau les jeunes réalisateurs brésiliens qui
en font un sujet central, comme en témoignent Central do Brasil de Walter Salles (1998), et surtout
La Vie pas ordinaire de Dona Linhares (Eu, tu, eles), d'Andrucha Waddington, dont l'excellente
bande sonore a été composée (Asa Branca en tête) par Gilberto Gil, par ailleurs ministre de la
culture de Lula : baiao, xote, xaxado - le corpus dansant du forro - à tous les étages.
Luis Gonzaga n'a jamais cessé d'avoir des héritiers, tel Santana, né comme lui à Exu (appellation
dans les religions africaines, du dieu-diable), accordéoniste chanteur, grand connaisseur des
métissages indigènes, ibériques et hollandais de la région. Pas une voix discordante qui jetterait un
quelconque discrédit sur le roi du Bahiao. Gilberto Gil comme son comparse en tropicalisme (le
mouvement contestataire qui mélangea le rock à la MPB en 1968) Caetano Veloso assument leur
dette envers cette musique de poésie rurale et de danse.
En 2000, après la sortie du film et de l'album Eu, tu, eles, Gilberto Gil, qui fut accordéoniste avant
d'être guitariste, revint au forro en tournée, avec reprise d'Asa Branca. Un autre des titres,
Esperando Na Janela, devint la bande sonore de ses déplacements durant les premiers mois de son
ministère.
En 1972, Caetano Veloso, en exil à Londres, y avait enregistré un album de rock expérimental avec
le producteur américain Lou Reizner. L'album, aujourd'hui classé parmi les plus progressistes de
son temps, "rencontra au Brésil un succès d'estime, écrit le chanteur, mais l'un des titres, Asa
Branca, une interprétation très personnelle, mais harmoniquement pauvre, du classique de Luis
Gonzaga, suffit à mes yeux à le justifier".
Véronique Mortaigne
O Karaiva à la Boule noire, tous les week-ends
Après Dimanche à Bamako d'Amadou et Mariam, le tout récent label Because, fondé par
Emmanuel de Buretel, ex-PDG d'EMI Europe, publie un album de forro. Le groupe O Karaiva a
été trouvé sur la côte bahianaise par le producteur et compositeur Daniel Vanguarde, père à la
scène des chansons de la Compagnie créole et, dans la vie, de Thomas Bangalter, l'un des deux Daft
Punk. O Karaiva est à Paris, il y a donc Bal forro tous les week-ends à la Boule noire, la petite salle
attenante à la Cigale.
On trouvera ici de lointains échos de la lambada, opération de marketing lancée en 1989 sous
couvert d'authenticité brésilienne. Mais le mérite d'O Karaiva est d'être resté dans les clous de la
simplicité, de ne pas chercher midi à quatorze heures, de se débrouiller. Deux guitares, un
accordéon, un tambour, un chanteur nature, des chansons à danser et des reprises, dont Asa
Branca et Xote das Meninas, de Luis Gonzaga, et Cajuina, de Caetano Veloso. Un DVD qui sort
prochainement indiquera les pas de danse.
Festivals, bals, concerts et disques
FESTIVAL
Rio Loco ! du 17 au 21 juin à Toulouse. Le 17, Bal Forro avec Orquestra do Fuba (en tournée
française jusqu'au 13 août), Heleno dos 8 Baixos, Femmouzes T, Bombes 2 Bal et Fabulous
Trobadors. Tél. : 05-61-32-77-28.
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BALS ET CONCERTS
Bal Forro animé par O Karaivo, à la Boule Noire, les vendredis et samedis à partir de 21 h
30. 20, bd Rochechouart, Paris-18e. Métro Anvers. Tél. : 01-49-25-81-75. 11 €.
Dock des suds à Marseille, Silverio Pessoa, le 23 juin. Tél. : 04-91-99-00-00.
Espaço Brasil, un autre Brésil au Carreau du Temple, jusqu'au 15 août, entrée rue EugèneSpuller, Paris-3e. Entrée libre. Expositions, musiques, art culinaire, danse, forro, capoeira...
DISQUES
Brasil Classic 3, Forro, etc., 1 CD Luaka Bop compilé par David Byrne.
Luis Gonzaga, 50 anos de chao, 1 coffret de 3 CD RCA/BMG.
Eu, Tu, Eles, de Gilberto Gil, 1 CD WEA.
Danse avec ta grand-mère, de Bombes 2 Bal (Occitanie), 1 CD Tôt ou Tard.
Article paru da ns l'é ditio n du 16.06.05
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