sujet du désert
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sujet du désert
Mardi 25 janvier CONFERENCE 45 SUJET DU DESERT Ne nous précipitons pas ... pour une fois. Ne faisons pas un prophète d’Antigone. Renonçons à ce rêve. Afin de ne pas en rêver chaque nuit, comme on rêve de quelque chose vers lequel s’oriente l’attente la plus pure. Parce qu’il s’agit ici comme toujours de la question de la responsabilité en tant que réponse à la question de savoir s’il y a à rêver de responsabilité au-delà du rêve et au-delà de la propension onirique du bonheur. Il y a quelques années, Derrida a réagi au jugement de Rorty par une déclaration publique très vulnérable, c’est ,– contrairement à Foucault par exemple – “un auteur sentimental, plein d’espoir, romantique et idéaliste ” : “Je voudrais tout d’abord dire, même si cela va sûrement choquer certains d’entre vous, et que je me suis aussi étonné, lorsque Richard Rorty disait que je suis un sentimental et que je crois au bonheur, mais je pense qu’il a raison. C’est quelque chose de très compliqué qui m’est très proche et pour lequel ce que j’essaie de faire est très important. Même si cela a l’air très provocateur et que moi-même j’avais déjà commencé à protester, je suis quand même d’avis qu’ainsi je n’avais pas raison. Je suis très sentimental et je crois au bonheur, et je crois que ces deux choses occupent finalement une place essentielle dans mes travaux.”1 “Est-on responsable de ses rêves ? Peut-on en prendre la responsabilité?”, se demande Derrida dans un autre texte.2 Il n’y a peut-être de responsabilité que sous la forme de cette question dans la mesure où elle est déjà une réponse à une question qui n’est pas posée et qui ne peut être posée. Il appartient peut-être à la responsabilité le fait qu’elle reste étrangère et questionnable vis-à-vis d’elle (responsabilité en tant que réponse questionnante à une question impossible). Interrompre le rêve d’Antigone signifie recevoir d’innombrables questions, aux frontières de cette impossible question, afin d’être responsable dans uns sens peut-être lui-même impossible. Cela signifie – dans l’horizon d’un engouement nouvellement affirmé – oser un espoir presque intemporel, en essayant de rêver le même rêve ailleurs, dans d’autres conditions, avec d’autres limitations, dans un autre état, plus responsable, plus strict ou sans égards. Remiser ou déplacer le rêve là où il y a l’espoir croissant d’une réponse, d’un désenchantement, d’une rationalisation ou d’un refroidissement du rêve d’Antigone. Le fait de rêver nouvellement et autrement resterait-il le continuation du rêve originel ? Du rêve, que l’on peut nommer le rêve de l’Aufklärung, de l’émancipation et de l’élévation de soi du cogito ou 1 Jacques Derrida, Bemerkungen zu Dekonstruktion und Pragmatismus, p. 171 du sujet transcendantal, rêve de la lumière et rêve en plein jour, un rêve distingué par l’éveil absolu et le bon sommeil, fondés sur la figure du prophète, du devin ou visionnaire. Donc de celui, qui, dans l’impossible représentation de la totalité, rêve en découvrant le plan universel d’un avenir attendu dans le collectif, afin de réduire chaque sujet avec ses rêves et ses espoirs à sa découverte. Ou bien ce rêver autrement, antigonéen doit être unique, non répétable et inséparable ? Qui rêve quand il rêve ? Et pour qui ? Peut-il y avoir un sujet du rêve antigonéen (non prophétique, ouvert à l’avenir) ? Est-ce que Antigone rêve, ou suis-je celui qui la rêve – par elle et d’elle comme sujet de son désir et de son rêve ? Peut-être n’y-a-t-il rien de plus résistant que l’envie de tous rêveurs, qui ne font qu dormir, afin d’être des témoins impatients, auteurs ou acteurs des rêves. “Qu’est-ce que le rêve? Et la pensée du rêve? Et la langue du rêve ? Y-a-t-il une éthique ou une politique du rêve, qui ne laisse le champ ni à l’imaginaire, ni à l’utopie, donc ne rend coupable aucune démission, aucun manque de responsabilité ou aucune fuite ?”3 Il s’agirait d’arracher le rêve à l’imaginaire, à la simple fantaisie et aux utopies prophétiques ou autoritaires (Deleuze/Guattari). De le rendre responsable sans le désamorcer et sans le rationaliser dans le 2 Jacques Derrida, “Die Sprache des Fremden und das Räubern am Wege” (La langue des étrangers…), in: Le monde diplomatique (Janvier 2002), p. 12. mauvais sens. Est-ce que cela demande autre chose du sujet que de produire l’imaginaire et l’ordre symbolique (la “réalité”), en tant que sujet d’un rêve extraordinaire? Antigone est DIGNE dans le sens où elle est cette rêveuse fonçant. Une JEUNE FILLE, qui tente de se protéger des impératifs symboliques et des tentatives de phantasmes, afin de former sa vulnérabilité, sa NUDITE et son INNOCENCE d’une exigence souveraine, qui est une sorte de loi des sans lois; “loi” de ceux, qui sont entrés en conflit avec la loi, sont désavantagés, ignorés ou exclus par elle. La BEAUTE D'ANTIGONE s’attache à l’exigence souveraine selon la loi propre de son désir, toujours singulier. Cette exigence touche une certaine IMPOSSIBILITE, elle touche à la dimension de la vie sainte et à l’intangibilité menacée. Le REEL de Lacan est le nom de la zone d’interférence et d’indécidabilité de la sainteté et du sublime avec la “matérialité” pré-ontologique nue. Le factum ontique, la“matière” fait référence à un concept de “devenir”, qui exige une nouvelle pensée de l’“égard”, une “nouvelle tolérance” (Derrida): “[Cette] autre “tolérance” se mesurait à l’expérience d’“un désert dans le désert”, elle aurait des égards pour l’éloignement de l’altérité infinie comme particularité. Un tel égard serait encore religio, il serait religio en tant que scrupule ou retenue, en tant que distance, dissociation, disjonction – au seuil de toutes religions possibles en 3 Ibid. tant que lien ou attache de la répétition, au seuil de toutes attaches possibles sociales ou communes. Avant et après le logos, qui était au commencement, avant et après le souper, avant et après la sainte écriture.”4 La tolérance s’ouvre sur un DESERT, comme elle est la CHORA platonique, du moins un “lieu” pré-originel, d’une “origine” impossibleà l’origine de la question occidentale : un lieu qui n’est organisé ni par les religions, ni par les théologies philosophiques connues, qui est “plus anarchique que tout autre lieu et récalcitrant envers l’archive” “pas une île et pas un pays loué, un certain désert, qui n’est pas le désert de la révélation, mais un désert dans le désert, un désert qui rend le désert possible, ouvre, enterre, creuse, prolonge dans l’infini”.5 Chora est le nom de ce qui est SANS QUALITE et sans genre, qui reste anonyme et ne se laisse pas approprier, en gardant ouvert ( einräum en, Heidegger) l’espace de prédication et l’attribution ontologique, sans pouvoir y appartenir lui-même. “Lieu d’une résistance infinie ”, que Derrida qualifie de “sans conscience”: l’“immémorial d’un désert dans le désert auquel aucun seuil ne mène et auquel on ne peut pas faire confiance”. La distinction entre le “désert de la révélation” et le “désert dans le désert” s’articule chez Heidegger comme le conflit de L'OUVERTURE (ou de la possibilité 4 5 Jacques Derrida, “Glaube und Wissen” (Foi et savoir), op. cit., p. 39. Ibid, p. 30. d’ouverture) et de sa FERMETURE ou son impossibilité dans la structure de l’événement en tant dimension de l’attribution de l’être et de la fermeture de l’être. Elle s’articule dans le retrait dans la mesure où cela fait référence à l’effondrement de la vérité, aletheia, ouverture du da, dans la mort “mienne”. Simultanément, Heidegger suppose au sein de l’analytique existentielle ontologique fondamentale et de la pensée de l’événement (Ereignisdenken) le modèle de l’ouverture d’un certain être-ouvert, c’est-à-dire sans résistance et SANS VIOLENCE, comme condition de possibilité à nouveau de la fermeture originelle. Il se distingue clairement ici de Derrida. L’enjeu essentiel de la déconstruction est la “mise à nu” d’une fermeture (ou d’une “matière” opaque) radicale ou pré-originelle, qui “est” “l’origine” non ou quasi-transcendantale de l’origine et de sa fermeture. Cette fermeture radicale forme l’abîme amnésique des métaphysiques de la présence. En faisant de la CREATIO EX NIHILO le thème central de L'ETHIQUE PSYCHANALYTIQUE, Lacan souligne le fait, que nous sommes, dans cette perspective, tous des héritiers de NIETZSCHE et de FREUD, que DIEU EST MORT, qu’une certaine LIBERTE ou AUTONOMIE, difficile à supporter, est le destin des êtres humains modernes : “Il est clair que Dieu est mort. C’est précisément cela que Freud exprime du début à la fin de son mythe – Dieu procède du fait que le père est mort, que nous nous sommes aperçus que Dieu est mort, et c’est justement pour cela que Freud y réfléchit si imperturbablement. Mais précisément, Dieu a toujours été mort, car Dieu rend un mauvais service au père mort dès l’origine. La question du créateur est donc chez Freud la question de savoir à quoi on pourrait se rattacher de nos jours, de ce qui continue à s’établir dans cet ordre.”6 On voit que la prédétermination à créer signifie l’interruption de la fatalité en général, la mort du déterminisme théo-idéologique, qui tente de protéger le sujet de lui-même, en le laissant devenir objet de décisions “absolues”. La discussion de ce déterminisme demande une analyse précise de sa composition onto-théologique, cette dernière déclare la persistance d’un certain obscurantisme téléoeschato-logique au cœur de la déclaration, c’est-à-dire au centre de la subjectivité moderne même. Le SUJET MODERNE est interruption et continuation du fatalisme religieux, par l’union faite en lui de la causalité et de la liberté. Depuis Kant, il s’agit pour le sujet d’être aliéné volontairement et d’être libre de tout devoir. Le kantianisme lacanien (Zizek, Zupancic) lit la Critique de la raison pratique comme une théorie d’une LIBERTE INCONDITIONELLE. La PENSEE DE 6 Jacques Lacan, op. cit., p. 157. Simon Critchley examine le rapport du nihilisme, de la liberté, de la création et de la responsabilité esthétique chez Max Stirner (un représentant de “nihilisme pré-nietzschéen) dans l’ouvrage , Very Little ... Almost Nothing, London/New York, 1997, p. 3 : “If I am nothing, Stirner argues, then ‘I am not nothing in the sense of emptiness, but I am the creative nothing (néant créateur), the nothing out of which I myself as creator create every thing’.” L'IMMANENCE deleuzienne, qui contient une critique plus ou moins implicite des religions, de la religiosité en tant que telle, en se dessinant comme philosophie de L'OCEAN et du DESERT, du soidisant “espace lisse”, se rattache au contraire à l’amor fati de Nietzsche, donc à un fatalisme, qui n’en est pas un.7 Le sujet en tant que sujet est libre. Il est infiniment innocent et infiniment responsable, c’est-à-dire infiniment capable de culpabilité au sens extra-moral. Ce sont les particularités structurelles du sujet d’être libre et innocent, SANS CONCSIENCE et RESPONSABLE, auxquelles on doit adresser la question, dans l’horizon de Gianni Vattimo, pour savoir si le retour actuel du religieux (“phénomène”, que l’on nomme à tort la “renaissance de la religion” [...]) n’est vraiment pas autre chose que la “mort de Dieu”.8 Le RETOUR DE LA RELIGION, s’il existe quelque chose de tel, est considéré comme étant responsable uniquement sous forme d’une revendication que le sujet s’adresse à lui-même : la revendication de s’attacher à lui-même, de s’engager vis-à-vis de luimême, vis-à-vis de sa liberté. Au-delà du NARCISSISME, de la RELIGION DE LA PEUR et du MANQUE DE COURAGE, il s’agit, dans ce devoir vis-à-vis de soi, de la seule religion adaptée au sujet, de la PENSEE DE LA LIBERTE, de la RESPONSABILITE et de 7 Concernant la théorie de l’“espace lisse” et “strié”, voir Gilles Deleuze/Félix Guattari, Tausend Plateaus (Mille plateaux), op. cit., en particulier p. 657. 8 Voir l’introduction de Vattimo : Jacques Derrida/Gianni Vattimo, Die Religion, Frankfurt 2001. L'ELEVATION DE SOI, qui résiste à la tentative théologique, religieuse et mystique. La critique de Zizek envers la soi-disant “offensive de l’obscurantisme” identifie, trop rapidement et en simplifiant, la DECONSTRUCTION de Derrida avec le retour du religieux, qui, au nom d’autrui et de son immunité absolue, c’est-à-dire dans la prise en compte comme thème central de la pensée de Levinas, dessine une politique du sursis, de l’irréductibilité de l’expérience en tant que telle. “Peut-on différencier le discours sur la religion du discours sur le salut, le saint, le sain, le sacré, le solennel, l’abrité, l’immaculé, l’immune (je pense aux mots sacer, sanctus, saint, holy et à tout les mots qui leur correspondent dans beaucoup d’autres langues)?”9 Est-ce que parler de SAINTETE d’une manière non exclusivement historique, ne signifie pas déjà une sorte de récidive vers un idéalisme critique ou pré-critique, de toute façon toujours “religieux”? Cet idéalisme fait appel à une réalité au-delà du réel, et que l’on peut décrire à raison comme complice ou moteur interne de la métaphysique occidentale. Agamben rappelle une “figure obscure du droit romain archaïque” : l’homo sacer, qui décrit une vie nue et sainte, “qui ne peut pas être sacrifiée et cependant a le droit d’être tuée”. Peut-être que “cette ancienne signification du conceptsacer ” nous met “devant l’énigme d’une figure de la sainteté ici-bas ou au- delà du religieux, qui est le premier paradigme de l’espace politique de l’Occident” ? 10 La sainteté commence peut-être là où le sens s’affaiblit et où la VIE NUE se soulève. Au lieu de correspondre à une logique du sens, le sacré a peut-être lieu au seuil de la simple facticité d’un factum, apparaissant en tant que handicap inhérent de cette logique. Nous nommons cela un fait, qui fait EXPLOSER l’ordre des simples faits, sans être moins réel, moins factuel. Dans ce sens, la “religion” peut aussi apparaître en tant que factum. En tant que factum, qui comme tout les factum, fait appel à l’unicité d’une situation, la singularité du moment et la particularité du lieu : tant au moins sur “la sûreté minimale” du mot religio, qui se laisse traduire en autre par relation, régression ou réassurance, même si cela n’a peut-être pas d’autre sens que cette oscillation de sens, du “manque de certitude”11, de la traversée du lien et de et la (re)-fabrication d’un désarroi irréductible et l’abandon originaire du sujet. La doctrine chrétienne est la croix, le suicide de Dieu, qui transporte “un certain message athéiste”12 du christianisme: “Le christianisme décrit le sacrifice de soi fait par Dieu comme étant celui d’un humain, mais on peut dire, que, dans un deuxième temps, 9 Jacques Derrida, “Glaube und Wissen” (Foi et savoir), op.cit., p. 9. Giorgio Agamben, Homo sacer. Die souveräne Macht und das nackte Leben (Homo sacer. La force souveraine et la vie nue), op. cit., cité p. 18. 11 Jacques Derrida, “Glaube und Wissen” (Foi et savoir), op.cit, p. 12. 10 Dieu s’est sacrifié en tant que Dieu et pas seulement en tant qu’humain.”13 Car le “fait de l’incarnation” [l’incarnation se parfait dans la mort sacrificielle de Dieu] est le déni radical de toutes sortes de “religion”.14 En laissant les humains seuls, responsables de soi et des autres, “le christianisme est dès le début la religion des modernes”.15 Le SUJET SANS DIEU doit prendre le risque d’une certaine VITESSE et de L'ACCELERATION DE SOI, l’imprévisibilité d’une découverte de soi impuissante, qui lui ôte ses certitudes et ses garanties. Il traverse l’espace des probabilités afin de faire l’improbable au seuil de l’impossible. Il constitue une nouvelle réalité, détournée de Dieu :“une pensée fortement athée se laisse implanter dans la perspective du CREATIONNISME et dans aucune autre”16 En s’en détournant, il reste emprisonné par le christianisme, par le renversement de toutes valeurs, au centre de toute l’idéologie chrétienne, fait par l’ontologie aristotélicienne du theion, dans la légende romaine de la creatio , de l’étant supérieur en tant que subjectivité essentiellement agissante et créante: 12 Jacques Lacan, op. cit., p. 216. Boris Groys, Politik der Unsterblichkeit (Politique de l’immortalité), Munich/Vienne, 2002, p. 81. 14 Denis de Rougemont, Die Liebe und das Abendland (L’amour et l’Occident), Zürich, 1987, p. 77. 15 Slavoj Zizek, Die gnadenlose Liebe (L’amour impitoyable), Frankfurt, 2001, p. 187. 16 Jacques Lacan, op. cit., p. 313. Sartre a comparé l’éthique de l’acte de décision avec l’“absence de fondement de l’œuvre d’art” : “le choix moral est comparable avec la création d’une œuvre d’art. [...] Nous nous trouvons dans la même situation créatrice.” (Jean-Paul Sartre, Der Existenzialismus ist ein Humanismus (L’existentialisme est un humanisme) , GW: Philosophische Schriften I, Reinbek 1994, p. 136). 13 “Réfléchir sur la “religion””, dit Derrida, “signifie penser le “romain. [...] La religion [est] une disposition européenne, [elle] appartient premièrement à l’espace linguistique latin.”17 La “transsubstantiation de la substance” (Eugène Fink), qui marque le passage de la scholastique latine à la philosophie moderne du sujet, ouvre le processus d’un décompte ontothéologique avec Dieu, qui trouve son point culminant dans L'ATHEISME RELIGIEUX DE HEGEL, qui se laisse lire comme prologue au renversement des valeurs nietzschéen. Le christianisme, même dans la forme de Saint Paul, peut être interprété en tant qu’intervention athée dans le système de la doxa profane et complètement religieuse. La mort sur la croix ne perd pas sa force explosive dans le miracle de la résurrection. Dieu doit être mort afin de laisser ressusciter l’être humain : “on commence peut-être également, après le sermon de Paul, à laisser mourir ce qui est la seule véritable mort de Dieu, la résurrection du Christ, qui était une victoire unique et décisive sur la mort, par laquelle la mort est saisie en tant que figure du sujet et non comme objectivité biologique.”18 17 Jacques Derrida, “Glaube und Wissen” (Foi et savoir), op.cit., p. 13. Alain Badiou, Gott ist tot. Kurze Abhandlung über eine Ontologie des Übergangs (Dieu est mort…), op. cit., p. 7. 18 Le Christ victime délivre le sujet de soi. Libère-t-il le sujet de la culpabilité originelle, afin de le confronter à sa responsabilité absolue ? “L’état, dans lequel il n’existe finalement [plus] d’instance, aux yeux de laquelle l’être humain moderne peut être coupable, pèse sur lui comme une double culpabilité. La “mort de Dieu” – autre nom pour ce retour du destin – rend absolu notre culpabilité [ou responsabilité].”19 Pour cette raison, Hamlet n’est, dans l’interprétation de Lacan, “en aucun cas le drame de l’impuissance de la pensée par rapport à l’action. Pourquoi, au seuil de la modernité, le témoignage d’Hamlet est celui d’une faiblesse particulière de l’être humain à venir?” L’hésitation de Hamlet, son “apathie particulière”, est classée dans “le domaine de l’actionmême”.20 Dans la mesure où la pièce peut être lue avec Zizek comme le “drame d’une interpellation échouée” (of failed interpellation)21, Hamlet représente un exemple de subjectivité effective ou réelle en résistant à l’appel paternel (de l’étrangeté à soi “dans le mandat symbolique”). C’est le résultat de l’hystérie hamletéenne : l’hystérique se soustrait à l’appel des déterminants symboliques, c’est-à-dire de la raison, afin de faire 19 Slavoj Zizek, Die Nacht der Welt. Psychoanalyse und Deutscher Idealismus (La nuit du monde…), Frankfurt,1998, p. 148 20 Jacques Lacan, L'éthique de la psychanalyse, p. 302. Slavoj Zizek, The Sublime Object of Ideology (l’objet sublime de l’idéologie), op. cit.,cité p. 120. 21 quelque chose fondamentale d’autre que le seul non-raisonnable. Le SUJET HYSTERIQUE se meut au moment de ce passage dans la fissure problématique entre le système du possible, l’espace du possible socio-politique et du révélé, et l’impossible du système, sa fermeture ontologique. Il l’ouvre en la pénétrant dans l’acte performatif de ses conditions, en tant que but de son mouvement, la dimension de L'IMPOSSIBLE, traverse l’attente idéologique de l’invocation ou l'interpellation paternelle dans la mesure où il fait simplement quelque chose d’autre que le seul interdit. Le sujet est seul, réduit à ses propres moyens, comme on dit. Il se constitue comme sujet dans l’expérience d’une solitude fondamentale, qui lui interdit toute assurance communicative et toute attache (religio) à un système de reconnaissance, de foi, de fidélité et culpabilité. Le fait que Dieu soit mort signifie pour le sujet l’entrée dans la PLEINE RESPONSABILITE, la constitution de sa souveraineté dans l’effondrement de l’instance panoptique. Kant a appelé ce collapse du concept d’intellectus ectypus. Dans la Critique de la raison pure, il distingue l’intuition de sens, dérivée (intuitus derivativus ), qui est l’intuition de l’être fini, du sujet en tant qu’intellectus ectypus, de l’intuition originelle ou intellectuelle (intuitus originarius ), qui semble être le “seul des êtres premiers” “à s’approcher” de l’’intellectus archetypus.22 DIEU EST MORT signifie que quelqu’un d’autre, sans avoir nécessairement à aller dans son 22 Emmanuel Kant, Kritik der reinen Vernunft (Critique de la raison pure), Hambourg 1990, B 72. sens, sans être représentant de Dieu, doit cependant agir pour lui, à sa place, dans une autre horizon (post-nihiliste) et sous d’autres conditions, c’est-à-dire en son NOM PROPRE. L’engagement kantien de la spontanéité du sujet relativement à l’intuition, à la réceptivité, est une INTERVENTION ATHEISTE à peine surévaluée. Elle compromet le mythe dogmatique d’une intimité dans un certain sens anthropo-théo-dialogique.