Patrick Dupond
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Patrick Dupond
JD17_MAG 8/04/08 22:59 Page 20 Exclusif PATRICK DUPOND, remet les chaussons Malgré les épreuves, son grave accident de voiture en 2000 et l'incendie de sa maison en décembre 2007, le danseur Étoile Patrick Dupond, regarde droit devant lui et franchit tous les obstacles. Rencontre avec un homme brisé par la vie, mais qui, à force de volonté et de courage, revient sur scène… pour notre plus grand plaisir. PAR GAELLE PITON PHOTOS : DR P ouvons-nous revenir brièvement sur votre participation en tant que jury à l'émission « Incroyable Talent » ? C'était une très belle expérience. J'ai trouvé l'éthique de l'émission formidable : c'était propre, clair et net. Il n'y avait pas de magouille entre le jury, le public et les organisateurs. Ce côté franc, pur, me convient parfaitement. Je connais bien l'univers des concours. J'en ai fait et présidé énormément. L'émission est très démocratique car ouverte à tous. Le résultat m'a ravi. Junior n'avait pas tous les atouts au départ tant au niveau de son langage que de son agressivité. Les deux autres danseurs de Hip Hop, Sébastien et Raphaël, étaient très bons aussi. Des millions de téléspectateurs ont suivi l'émission. Il y aura des retombées, j'en suis convaincu… C'est la production qui vous a sollicité ? Absolument. La production m'a téléphoné et m'a demandé si je voulais participer à l'émission. Je leur ai répondu très franchement que je ne la connaissais pas du tout et que ce n'était pas mon genre de programme. Un peu à la manière de ce qui s'est passé pour « La Ferme Célébrités », sauf que j'avais uniquement fait cette émission pour empocher le chèque pour mon association d'enfants handicapés. Si je tenais le coup, c'était une opportunité formidable pour étendre l'activité de l'association. Juste pour moi, je ne l'aurais pas fait. Néanmoins, il y a certaines causes qui méritent que 20•JUSTE DEBOUT MAGAZINE l'on se déplace et que l'on mouille sa chemise. Pour « Incroyable Talent », c'est une démarche de jury. Le public a aussi son mot à dire. J'ai vu des gens biens, d'autres moins biens ; certains étaient là pour s'amuser, d'autres très sérieusement pour leur métier. J'aime bien cet esprit, ce mélange. En plus, l'équipe de production est très soudée autour du jury, à l'écoute de nos désirs et de nos réflexions, respectueuse de la façon dont nous conduisons l'émission. J'étais à la fois juge et partie et ce double rôle me va bien. Peut-on parler de vos projets personnels ? Autrement dit : qui est Patrick Dupond aujourd'hui ? Je suis actuellement enseignant et pratiquant. Je danse et j'enseigne à Soissons. La dimension pédagogique me passionne toujours autant. Travailler EN SAVOIR + LEÏLA DA ROCHA Leïla Da Rocha commence une carrière de basketteuse professionnelle, brusquement interrompue par une blessure alors qu'elle a 23 ans. C'est par hasard qu'elle découvrira la danse, désormais essentielle à son équilibre. Elle donne alors des cours et crée par la suite sa propre compagnie K Danse Etna. JD17_MAG 8/04/08 22:59 Page 21 avec des danseurs en devenir, les préparer aux auditions, les mettre « dans le bon train », c'est très enrichissant, même si, comme je dis toujours, je ne connais pas la destination finale. Je donne également un cours de danse amateur où tout le monde se mélange. Je reproduis en quelque sorte ce que j'ai pu connaître avec Noureev à mes débuts. Je refuse cependant l'étiquette classique. Le 16 septembre dernier, j'ai donné un ballet, « Fusion », à Saint Quentin dans l'Aisne avec ma partenaire et associée Leïla Da Rocha. Pour l'anecdote, la pièce a duré 26 minutes et nous avons été applaudis pendant presque autant. Nous avons entamé un travail très intéressant qui est un mariage entre l'Orient et l'Occident. Cela donne un langage très singulier et un spectacle multicolore à multiples facettes. Nous souhaitons remanier ce ballet pour en faire une JUSTE DEBOUT MAGAZINE•21 JD17_MAG 8/04/08 23:00 Page 22 Exvlusif version longue. Je suis actuellement en répétition. C'est très difficile, je suis épuisé et j'ai mal partout (rires). Paradoxalement, je me sens en pleine forme, de bonne humeur. A priori, nous allons avoir une date à Paris en avril prochain pour un show-case mais je n'ai pas le droit de vous en dire plus pour le moment. C'est en gestation, le « bébé va sortir » (rires). Sachez juste que j'ai remis les chaussons… même si je ne les ai jamais vraiment quittés. C'est difficile pour vous de revenir à la scène non seulement comme interprète mais aussi comme chorégraphe ? Non, pas du tout. À 18 ans, j'avais déclaré en jeune présomptueux : « À 40 ans, j'arrête la danse. Je ne veux pas qu'on me voie flétri sur ma dentelle, comme disait Barbara ». Le 16 septembre dernier, suite au succès remporté avec Leïla, j'ai pris du plaisir et vécu un réel bonheur. Certes j'ai dansé dans la mesure de mes capacités. Je n'ai pas re-dansé « Don Quichotte ». Nous avons créé une chorégraphie sur mesure et ça m'a vraiment comblé. Le public lui aussi a bien fonctionné. Désormais je me dis qu'il y a une vie après l'Opéra et une possibilité de danser après 40 ans. C'est un peu cela la nouvelle : je suis devenu chorégraphe, moi qui pensais que je ne serais qu'interprète. “ Il y a une vie après l'Opéra ! „ Avez-vous envie de monter une compagnie dans le futur ? Ce n'est pas à l'ordre du jour. Pour monter une compagnie, il faut des moyens. De plus je n'en ai pas réellement envie dans la mesure où j'ai dirigé pendant 3 ans le Ballet Français de Nancy ; pendant 6 ans j'ai été Directeur de la Danse à l'Opéra de Paris. J'ai dédié ainsi 9 ans de ma vie aux autres danseurs et j'ai la sensation que désormais je dois m'occuper de moi. Des gens m'ont remis à ma juste place. J'ai encore des choses à faire, des choses à dire. Je m'y consacre entièrement en ce moment. Mais je crée des choses pour moi. Je ne me sens pas encore l'envergure de le faire pour les autres. Je n'en suis pas encore là dans ma maturation. Pour cette chorégraphie, vous vous êtes éloigné de votre période classique je suppose ? Je n'ai pour ainsi dire jamais vraiment eu de période classique ou du moins je l'ai quittée très tôt. À 12 ans, 22•JUSTE DEBOUT MAGAZINE j'ai pris mes premiers cours de jazz ; à 15 ans je travaillais avec Alvin Nikolaï puis avec Bob Wilson, Alvin Ailey, Maurice Béjart… Ma base classique m'a servi de tremplin pour aborder d'autres langages, des univers et des gestuelles différents. Ma carrière est jalonnée de rencontres. Par exemple, Bob Wilson m'a appris l'immobilité. Une immobilité intelligente est plus intéressante qu'une mobilité bête. Comme vous le savez, le « Juste Debout magazine » est le magazine des autres danses. Quel regard portez-vous sur ces autres danses, en particulier sur la danse Hip Hop qui sera à l'honneur en mars à Bercy pour l'édition 2008 du « Juste Debout » ? Il y a une quinzaine d'années j'ai mis sur scène des danseurs Hip Hop, avec des danseurs espagnols et africains. Ce que je trouve passionnant dans cette « nouvelle danse » c'est qu'on la voit se former sous nos yeux. Actuellement je crois qu'on s'éloigne des traditionnels « battles ». La danse semble entrer dans un univers beaucoup plus poétique et s'emparer d'autres registres. Les qualités physiques sont désormais mises au service d'une certaine poésie. On assiste à la véritable naissance d'une danse avec un alphabet. Un nou- JD17_MAG 8/04/08 23:00 Page 23 cette technique comme une technique de spectacle et reste admiratif du travail fait. Pour tous les défenseurs du Hip Hop, c'est une bonne chose. Maintenant il faut que les pouvoirs publics mettent des moyens à leur disposition car les temps sont durs. Je trouve anormal par exemple qu'il n'y ait pas encore de diplôme d'état pour cette discipline. Une technique existe depuis longtemps pourtant… Néanmoins, je pense que pour le Hip Hop, il y aura beaucoup d'appelés mais très peu d'élus. Beaucoup sont répétitifs, se copient les uns les autres et manquent d'imagination. Certains se cantonnent dans leur vocabulaire de base au lieu d'explorer de nouveaux univers. Souvent, il manque une trame dramaturgique et pour ma part j'y suis très sensible. On ne peut pas enchaîner les mouvements sans base écrite et enchaîner les ballets sans qu'il y ait de liens. veau vocabulaire est sorti de la rue pour entrer dans les théâtres et je trouve cela fabuleux. Le fait qu'un danseur de Hip Hop gagne « Incroyable Talent » est emblématique. Cela signifie que le public a absorbé En novembre dernier, Maurice Béjart, un grand de la danse, nous a quittés. Vous devez être ému de cette perte ? Ce n'était pas une surprise car je savais qu'il était très malade. Maurice a bouleversé la danse du XXe siècle. Pour moi il n'est pas vraiment mort puisque ses ballets vivront après lui. Sa compagnie ne sera pas une compagnie-musée. Avant de partir, il a laissé des instructions très précises à ce sujet. Je suis ému parce que c'était un père, un ami, un frère, un compagnon de voyage. Il me connaissait bien comme être humain et encore mieux comme danseur. Il a fait sortir des choses extraordinaires de moi. INFOS + Patrick Dupond, un défi… film de Nicolas Ribowski. Pour ses 60 ans de carrière à l'Opéra de Paris, Claude Bessy demande à Patrick Dupond de danser "Salomé", chorégraphié par Maurice Béjart spécialement pour lui. À 45 ans, l'ex-danseur étoile sort d'une longue période de dépression. Il se confie à Nicolas Ribowki sur ses moments difficiles, et accepte d'être filmé pendant ses répétitions au cours desquelles il doit réapprendre même les bases les plus élémentaires. Un film touchant sur la fragilité d'un corps, d'un homme, mais aussi sur sa persévérance. Existe aussi un DVD “Patrick Dupond, le talent insolent”. Un film de Luc Riolon (chez Universal Vidéo), qui inclut de longs extraits des ballets : “Le Boléro” de Maurice Béjart ainsi que “Salomé”, “Le Lac des Cygnes” avec M.Claude Pietragalla et divers bonus et en livre “Etoile” de Patrick Dupond (éditions Fayard, mars 2000)