"Il faut apporter de la vie aux jours, lorsqu`on ne peut plus ajouter de
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"Il faut apporter de la vie aux jours, lorsqu`on ne peut plus ajouter de
"Il faut apporter de la vie aux jours, lorsqu'on ne peut plus ajouter de jours à la vie." Professeur Jean BERNARD, cancérologue Aux côtés de J-F Schaff, proviseur du lycée Jean-Paul II et président de la Médiathèque St-Paul, la frêle silhouette d'adolescente monte l'allée centrale de la salle des fêtes de Bar-le-Duc remplie. D'une voix légère au débit rapide, Anne-Dauphine Julliand ne vient pas tenir une conférence sur la maladie qui a atteint sa petite fille, mais livrer un témoignage bouleversant, empreint d'une profonde spontanéité et sincérité. Son livre "Deux petits pas sur le sable mouillé" est l'histoire de Thaïs, d'un couple, d'une famille qui vit un bonheur "insolent". La vie a tout apporté à cette jeune femme, une enfance heureuse, la réussite dans ses études, ses choix professionnels, l'amour de sa vie avec Loïc son mari, ses deux enfants Gaspard trois ans et Thaïs, la fille qui sera sa « complice féminine » et, le bébé qui va venir. Puis tout bascule cet été 2005, revenant de la plage bretonne elle ne peut s'empêcher de dire son bonheur. Elle constate alors que Thaïs a une façon particulière de poser le pied sur le sol. Pendant des mois c'est la ronde des médecins, et le 1er mars 2006, jour du deuxième anniversaire de la petite fille, la terre s'ouvre sous les pieds du couple quand le neuropédiatre laisse tomber le diagnostic : leucodystrophie métachromatique…dans sa forme la plus grave. Quelques années à vivre. Anne Sophie Julliand ne s'attarde pas sur la maladie, elle raconte une histoire d'amour insensée, inattendue qui, quatre ans après la mort de Thaïs, la révèle heureuse. Dans vos propos, pas de pathos, pas de colère, la révolte a-t-elle été présente ? « On ne décrit pas la souffrance, on l'imagine. J'ai ressenti la colère tous les jours mais jamais de façon envahissante. Loïc et moi n'avons pas connu la révolte. Nous ne nous sommes pas sentis victimes, nous n'avons pas cherché de responsables, sachant qu'en agissant ainsi nous irions dans le mur. Il fallait avancer, quitter la vallée verdoyantes pour affronter la montagne. Mais comment avancer dans cette nouvelle vie, quel sens lui donner ? C'était un "comment plein de larmes" qui nous disait qu'on ne pouvait rien changer, qu'il fallait accepter. Alors on a décidé de mettre toute notre énergie pour affronter l'épreuve, pour donner tout notre amour à Thaïs. Il serait court dans le temps, mais il serait intense. Nous lui faisions la promesse que sa vie serait belle et elle fut belle pendant une année trois quarts. L'amour nous a portés dans cette traversée, l'amour qu'on avait pour elle, qu'elle avait pour nous. Aujourd'hui, nous portons ce deuil, mais au risque de choquer, j'ose parler de bonheur au sein de toute cette souffrance. Dans mon entourage on me renvoyait cette indécence : comment pouvais-je rire quand mon enfant allait mourir ? On a découvert alors que l'épreuve et le bonheur ne sont pas incompatibles. Avant, le bonheur tenait aux circonstances de ma vie, à ce que je faisais, à ce que j'avais, à ce que je projetais. Aujourd'hui ce bonheur est au plus profond de moi, il est intérieur. Certes, tout n'est pas lisse, mais comme dit Loïc, en breton qu'il est, le marin n'est pas responsable du gros temps qu'il traverse, il reste capitaine de son navire !" Où trouvez-la force pour garder cette confiance ? "Le deuil est une expérience difficile. Si on ne choisit pas les épreuves, on reste maître de la façon de réagir. Le diagnostic est tombé le jour de l'anniversaire de Thaïs. De retour à la maison, nous avons annoncé à Gaspard que sa sœur était gravement malade. Il a pleuré et avec l'innocence de l'enfance il nous a dit "mais c'est son anniversaire, elle a son gâteau !". Alors, nous avons fêté l'anniversaire, et cela nous a sauvés. Et ces deux années passées avec elle, chaque instant a été vécu pleinement, sans faire semblant, d'un bonheur si puissant qu'il nous a permis d'affronter ce douloureux apprentissage. Lors de l'entretien avec le neuropédiatre j'étais enceinte de cinq mois. Tout de suite j'ai pensé à l'éventualité de la maladie sur cette petite fille à naître. Le médecin a été franc, elle courrait un risque sur quatre ; des propos inaudibles pour des parents. Fallait-il aller vers l'avortement thérapeutique ? Non, nous ne nous engagerons pas dans cette voie. Ce fut une grossesse épouvantable ! Le 29 juin, une merveilleuse petite fille, pleine de vie nous comblait d'amour. L'instant fut magique mais bref. Sept jours après la naissance, on annonçait la maladie pour Azilis. Le neurologue proposa la greffe de moelle osseuse, délicate sur un bébé. Elle pouvait guérir, mais il ne pouvait le garantir. Aujourd'hui, Azilis a six ans, c'est une belle victoire sur la maladie, elle va vivre encore. Elle ne connaît pas la souffrance, même avec tous ses handicaps. Elle ne guérira jamais. Malgré son état, elle est heureuse, rit avec la kiné. C'est mystérieux. Il y a six ans ont lui a promis de l'aimer toute sa vie, ce serment je le lui fais chaque jour. Je l'aime comme elle est, pour ce qu'elle est, sans peur du handicap, sans compassion. Sortie du bureau du neurologue, j'étais décidée à taire la maladie de Thaïs à Gaspard. Je ne voulais pas abimer l'innocence de l'enfant, il avait tout le temps d'apprendre. Loïc n'était pas de cet avis. Au contraire, il fallait le faire tout de suite. Se taire, c'était briser la confiance dans ses parents. Ce qui touchait sa sœur, le touchait, comme chaque membre de la famille. On avancerait tous ensemble. L'innocence de l'enfance c'est de savoir, vivre sa vie dans la simplicité. Ce sont nos enfants qui nous ont aidés à avancer, dans leur manière naturelle d’être avec Thaïs handicapée. Gaspard m'a appris à dépasser ma peur de la mort m'obligeant à utiliser les mots justes. Pour lui, la mort est naturelle, il sait que cela concerne chacun d'entre nous, même si c'est triste. Quand on n'a pas peur de la mort, on n'a pas peur de la vie, on avance plus sereinement, on laisse tomber nos peurs." L’épreuve ouvre aux autres "Fallait-il partager ce qui nous arrivait ? Pour ma part je n'y tenais pas, c'était notre affaire. Loïc avait un autre point de vue. Ces positions différentes nous ont amenés à avoir une réflexion sur notre couple, nous a rendus plus forts face à tout ce qui pouvait nous fragiliser comme : Le rytme qu’on s’imposait, faisant de nous des parents aides-soignants, et qui nous éloignait l’un de l’autre. On s’était choisi par amour et non pour notre héritage génétique. On s’est promis de tout faire pour s’aimer toute notre vie, c’est la base d’une vie commune. Nous nous réconfortons mutuellement, nous pleurons ensemble, nous nous consolons ensemble. Nous nous rendons dépendants de nos fragilités, de nos forces respectives. Les relations avec les équipes médicales se sont mal passées. Nous ne supportions pas que Thaïs ne soit pas au centre de leurs préoccupations. La vie de notre fille était comptée, alors nous avons conclu un pacte. Nous reconnaissions leurs compétences, leur faisions confiance, en retour, nous, parents restions à la barre. Nos relations se sont humanisées. Nous avons compris que le personnel médical se protège en évitant de trop s’attacher. J’ai aimé les larmes de l’infirmière quand Thaïs nous a quittés. Aujourd’hui je leur suis reconnaissante pour leur compétence et leur compréhension. Le fait de vouloir assumer tout, tous seuls. Nous déclinions les propositions d’aide des membres de la famille, des amis. Pourtant, nous sommes devenus des parents forts quand nous avons sollicité de l’aide au moment de la greffe d’Azilis à Marseille. Nous avons aussi découvert avec l’association ELA, toute une chaine de solidarité. Il faut oser partager ce qui est difficile. Le malheur installe le silence. Notre famille s'est agrandie avec l'arrivée d'Arthur et la vie continue. Mes proches m’ont conseillée de partager mon histoire. Le livre a rencontré un succès qui m’a étonnée je n'avais pas l’impression d'avoir confié le plus intime. En consultant la page mise sur Facebook, j'ai vu qu'on ne parlait pas de la maladie mais de la joie, de l'hymne à l'amour, de l'envie de mieux aimer leurs enfants, d'aller plus loin, de ne plus avoir peur. Conclusion de J.F. Schaff, Bar le Duc n'est pas étrangère à Anne Dauphine, elle y a vécu cinq ans. Elle a été scolarisée à l'école Bradfer et au collège La Croix. Élève de Françoise Schaff, elle a tenu le rôle de l’allumeur de réverbère dans le Petit Prince mis en scène par l'école. Ce soir, elle tient encore ce rôle, en nous apportant une flamme d'espérance. Après un long silence, le public se lève et de longs applaudissements chaleureux montent de la salle pour lui dire tout le bien apporté par son témoignage.