Les apparitions de Martin Scorsese dans ses propres films : des

Transcription

Les apparitions de Martin Scorsese dans ses propres films : des
Les apparitions de Martin Scorsese dans ses propres films : des
métaphores de sa profession de cinéaste
Présentation de la Cinémathèque française – Assurément les présences de Martin
Scorsese dans ses propres films, sans être aussi systématiques ni
systématiquement repérables au premier regard, s’inscrivent pour une part et
humblement dans cette filiation hitchcockienne. Inscription réelle et modeste
comme si Scorsese se cachait un peu de se montrer, trop timide et trop peu assuré
de son talent d’acteur pour ne pas être gêné de son audace : bord cadre et à peine
visible dans le dos de Jake LaMotta (Raging Bull), moins identifié par son image
tronquée dans le miroir que par sa voix. Sa voix encore, au timbre et au débit si
reconnaissables, sa voix seulement qui passe par la radio de l’ambulance dans À
tombeau ouvert, un film où il en coûte au héros justement d’avoir pleinement un
corps à soi. Une voix toujours, au téléphone cette fois, qui se laisse à son tour
embobiner par le flow d’un Leonardo DiCaprio transmué en prédicateur de l’ultralibéralisme (Le Loup de Wall Street). Même quand Scorsese ose se filmer en chair
et en os, il continue d’avancer masqué, oscillant entre figuration invisible (un
conducteur parmi d’autres dans le trafic new-yorkais : La Valse des pantins), petit
rôle (« I don’t want to sleep alone tonight », Bertha Boxcar), homme dans la foule
au spectacle de l’apparition d’une blonde de rêve (Taxi Driver), moustache et
sourcils (Le Temps de l’innocence), favoris, fausse calvitie, postiches et costumes
(Gangs of New York)…
Des caméos, aussi discrets soient-ils, qu’il ne choisit cependant pas au hasard pour certains.
Car si Hitchcock, visiblement ravi de sa provocation, a avoué s’être dépêché d’apparaître à
l’écran pour disparaître plus vite encore et ainsi « m’épargner l’indécence d’être un acteur »
(Alfred Hitchcock, Annett Wolf, 1976), Scorsese, lui, décide d’endosser des rôles qui sont
bien souvent autant de métaphores délibérément transparentes de sa profession de
cinéaste, des professions de foi en somme : réalisateur télé sur un plateau de La Valse des
pantins, patron de cabaret dans Raging Bull, deux fois photographe à l’ancienne (Le Temps
de l’innocence, Hugo Cabret où il « fixe » Georges Méliès), responsable d’une « poursuite
lumière » dans un film de cavale (After Hours), voyeur dans Taxi Driver. Mais c’est aussi
dans Taxi Driver, en plus de sa figuration muette et sidérée au passage de la blonde
hitchcockienne, qu’il joue l’un de ses deux plus grands rôles ou, pour mieux dire, l’un de ses
deux rôles décisifs (deux rôles où il surgit chaque fois en agent du destin) : remplaçant un
acteur absent au pied levé, mort de trac selon ses propres dires et aidé en silence par De
Niro, il investit d’une délirante logorrhée ce passager dément qui prend Travis en otage
dans son propre taxi, l’oblige à écouter le récit de son désir de meurtre en lieu et place de
son désir sexuel et, de fait, arme définitivement le bras du taxi driver en le poussant par
Découvrez d'autres articles sur ce sujet sur www.profession-spectacle.com | 1
Les apparitions de Martin Scorsese dans ses propres films : des
métaphores de sa profession de cinéaste
contrecoup à acheter un Magnum et à passer à l’acte. Et c’est armé déjà que Scorsese, alias
« Shorty », surgissait à la fin de Mean Streets ; c’est lui qui fait feu, d’une voiture à l’autre,
sur deux loosers de Little Italy qui le temps d’une virée nocturne s’étaient mis à rêver
d’évasion. En clouant ses doubles au pilori, le jeune cinéaste désigne violement le milieu qui
a failli avoir sa peau. Un milieu qu’il exorcise dans cette scène finale d’un de ses premiers
films pour s’assurer de sa propre libération et s’autoriser alors, en suivant une ligne
d’horizon mi réelle mi imaginaire, à rejoindre son œuvre encore à venir.
Chaque jour, à 14h, Profession Spectacle sélectionne pour vous une vidéo.
Retrouvez l’intégralité de notre sélection sur Vidéo 14.
Tweet
Découvrez d'autres articles sur ce sujet sur www.profession-spectacle.com | 2