Ar Santé change de visage

Transcription

Ar Santé change de visage
Ar Santé
change de visage
Ar Santé
change de visage
Ar Santé change de visage
Premier contact
Préface
“Il n’existe pas d’avenir à celui qui ne connaît
Faubourg de Lannion, en limite de la paroisse
pas son passé.”
de Buhulien, le quartier d’Ar Santé, développé
C’est grâce à des ouvrages comme celui-ci
depuis une cinquantaine d’années, déjà, s’est
que la mémoire pourra perdurer et se trans-
forgé une véritable personnalité.
mettre.
Certains ont pu être surpris de l’attachement
Je tiens à remercier personnellement et au
que les habitants des logements sociaux ont
nom de mon prédécesseur et des équipes
manifesté lorsqu’il s’est agi de restructurer le
municipales toutes celles et tous ceux qui ont
quartier, premier volet de la vaste opération de
accepté de donner de leur temps afin que ce
requalification urbaine qui va se dérouler sur
livre prenne forme.
d’autres quartiers. La part prise par les habitants
Le travail fut laborieux, long, mais ces “mor-
dans la conception et les différentes phases
ceaux d’architecture” le méritaient ample-
d’un processus long et complexe, m’apparaît à
ment.
la fois positive et exemplaire, et le nouveau Ar
“Du fond du cœur un grand merci pour ces
Santé, une fois achevé, dans son cadre, dans
souvenirs qui permettront à nos enfants de
sa nouvelle organisation sociale, apparaîtra à
mieux comprendre ce que vous avez vécu au
coup sûr comme une référence de méthode et
sein d’Ar Santé.”
de réussite dans l’urbanisme du 21e siècle.
Christian Marquet - Maire de Lannion
Alain Gouriou - Maire de Lannion (1989-2008)
Perspective d’ensemble
En face
Géométrie de la cité
Couleur ardoise
Boîtes aux lettres
Squatters
Aire de jeux
Ar Santé…
Portrait du quartier
D’hier à aujourd’hui
“Ar Santé, c’était bien !”
Saint-Nicolas
Création du nouveau quartier
S’approprier les lieux
Apprendre à se connaître
L’école
Les enfants
Le centre St-Elivet
Un terrain d’aventure ?
La dernière décennie (1996-2006)
Familles
Solidarité et convivialité
Un quartier agréable mais…
Une cité vieillissante
Quel visage pour demain ?
Le projet de requalification urbaine
“Ne vois-tu rien venir ?”
L’Atelier mémoire
Faire la fête en attendant
Déménager, enfin…
Rosalic
Kerlitous
Rester
La “mort” du F
Interrogations sur l’avenir
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Ar Santé change de visage
La requalification du quartier d’Ar Santé a été la première à Lannion. L’idée a germé ; la préparation des dossiers
a été très longue ; les travaux ont commencé dans un contexte de flambée du coût de la construction ; les retards
se sont accumulés.
L’attente a donné lieu à beaucoup de déceptions, d’angoisse, d’incompréhension. Nous, Ville et Côtes d’Armor
Habitat, étions dans l’incapacité de donner des plannings et des dates de réalisations des travaux. Les habitants du
quartier s’impatientaient, mais ont supporté stoïquement la situation.
La requalification n’est pas achevée, il reste encore aujourd’hui des bâtiments à détruire et d’autres à construire.
Mais les premiers bâtiments neufs sont sortis de terre ; les locataires sont relogés au fur et à mesure, dans ces appartements neufs dont ils ont rêvé, dont ils ont douté s’ils se feraient un jour.
Et, ce que l’histoire ne dit pas, ils en sont plutôt contents.
Le texte que vous allez lire a été conçu dans ce qui devait être un travail sur la mémoire du quartier. Mais il est arrivé
un peu tard dans le processus. Les esprits étaient déjà trop préoccupés par ce qui les attendait et la parole s’est
focalisée sur la situation présente plus que sur les souvenirs. En 2006, on est au plus fort de l’attente. Les bâtiments
se vident, la première démolition a lieu pendant l’été. Le choc est fort.
Pendant toute cette période de transition, la vie n’a pas cessé. Bien au contraire. Les occasions de se retrouver
aident sans doute à faire passer l’inquiétude. Le groupe des huit femmes, l’atelier mémoire, le P’tit Café, toutes
les occasions de rencontre rassemblent beaucoup de monde, y compris ceux qui ont déjà quitté le quartier et qui
reviennent.
Isabelle Métayer - adjointe en charge de l’urbanisme et de la requalification urbaine
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Premier contact
Perspective
d’ensemble
de salles à manger ou de chambres. Devant les
femme âgée qui n’aurait pas pris assez le temps
vitres en feu, seul un balcon arbore des jardinières
de s’occuper d’elle…
disposées le long des barreaux de protection et
Elles sont belles ces demeures : un ravalement im-
Le “B” avait-il bu ce jour-là pour que certains le
Dans la rue St-Elivet, je tourne à droite et aper-
parées de magnifiques géraniums.
peccable, du granit rose - comme sur la côte -, des
voient en “U”. Il n’était pourtant pas tordu lui
çois, parmi les barres d’habitation de trois étages,
couvertures en ardoise naturelle, des fenêtres PVC
qui résiste et protège. Peut-être ses observateurs
quelques masses grises en construction. Des nou-
et des stores roulants, d’épais murs de séparation
avaient-ils été frappés de berlue et ont cru voir un
en pierres, des portails peints rutilants, des haies
U formé avec ses voisins, le “A” et le “C”. C’est
de troènes et de thuyas hautes de plus de 2 m et
bien possible car leur géométrie mentale les a mis
impeccablement taillées, des rosiers grimpants,
tous les trois perpendiculaires et parallèles !
des jardins proprets… Elles sont coquettes ces
Le B est pourtant une lettre rassurante avec
grandes maisons, distinguées, comme des fem-
ses deux mamelles qu’on imagine aux fenêtres
mes habituées à se pomponner.
surveillant les jeux des enfants dans l’aire de jeu.
En face
veaux immeubles moins hauts, avec des balcons
qui semblent attendre le printemps pour s’habiller
En face, l’avenue Park Nevez et sa circulation dont
de couleurs. J’espère que ces appartements neufs
l’intensité fluctue en fonction des horaires des
seront revêtus avec plus de gaieté que les an-
écoles. Le trafic reste souvent dense, amenant son
ciens. En effet, le temps a œuvré pour recouvrir
flot de vie et de demi-tours sur le parking de la
le quartier d’une sorte de tristesse. Les peintures
cité du bout de la ville.
sont laides, sans éclat. Le gris des caves bétonnées
et le beige caca d’oie pisseux envahissent les murs
d’un passé révolu. On peut apercevoir sous l’un
des paliers une fenêtre de cave qui semble ne plus
fermer depuis belle lurette.
J’entends les enfants de l’école primaire du quartier en récréation. C’est l’heure du goûter. Leurs
cris, leurs rires, remplissent le silence de discussions animées. Le soleil embrase les baies vitrées
Géométrie de la cité
Le chemin bétonné qui entoure l’aire de jeux est
L’avenue Park Nevez, une frontière entre deux
doublé d’une épaisse haie qui laissait croire aux
pays : celui des nantis et celui des mal lotis ; ceux
petits qu’ils étaient invisibles. Si ce chemin est
qui ont le choix et ceux qui ne l’ont pas toujours…
plein de mauvaises herbes c’est parce que les
De l’autre côté, sur l’autre trottoir… un monde
voitures avaient renoncé à l’emprunter… C’est en
différent.
fait un chemin qui ne mène nulle part…
Posées les unes à côté des autres, de grandes mai-
Ar Santé surveillait ses enfants depuis tous les
sons bourgeoises narguent la cité HLM abîmée.
immeubles et, s’il y avait des bêtises, rappelait à
Elles évoquent un passé glorieux quand la cité,
l’ordre les petits Bêtas sans distinction d’origine.
défraîchie, semble avoir si mal vieillie, comme une
de ce qui, a priori, doit être des fenêtres de salons,
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Couleur ardoise
Boîtes aux lettres
Squatters
ou de Pinault de l’autre côté de l’avenue de Park
Les toits sont de ceux que l’on retrouve sur toutes
Dans l’entrée de chaque immeuble, de l’autre côté
À quoi servent les cheminées qui pointent sur les
et la pelouse au pied du “G”. Certains avaient
les constructions classiques. Ils symbolisent le
des façades, d’énormes blocs en métal sont fixés
toits pentus d’Ar Santé ? Personne n’a vu de la
leurs habitudes et profitaient d’un traitement de
haut, la pointe du bâtiment, telle la cime d’une
sur le mur. En fait, il s’agit de boîtes aux lettres
fumée s’en échapper. Personne n’a vu un voisin
faveur. Les autres devaient plonger dans la mêlée
montagne, au plus près du vol des mouettes et
alignées sur plusieurs rangées. Tous les noms sont
remonter de sa cave un panier de bois destiné à
pour arracher une part du bec des nantis. Les plus
des nuages. Ces derniers laissent parfois tomber
inscrits sur des étiquettes blanches. De loin, on
pallier le manque d’efficacité du chauffage. Aucun
malchanceux devaient composer avec les pigeons,
la pluie, pour laver ces pentes, et tenter de leur
dirait les tiroirs d’un bureau empoussiéré, oublié
pompier n’est intervenu pour un feu de cheminée
les merles et les pies qui étaient au pain sec sur
donner de l’éclat, en vain.
au fond d’une pièce. Les caractères “arial gras”
dans la cité !
la pelouse. Quelques moineaux piquaient vers
La couleur terne, noire, rappelle la typique toiture
d’une imprimante les rendent tous identiques,
L’homme sérieux dira qu’elles servent à l’évacua-
les miettes en essayant d’échapper aux coups de
bretonne en ardoises, qui se veut le prolongement
anonymes.
tion des gaz émis par les chaudières individuelles.
becs.
de la mer. Seules les cheminées tranchent sur ces
Cela me surprend désagréablement. En quel
Ces gaz ne doivent pas être bien méchants car les
Ensuite la volée filait vers le “F” où des âmes com-
vagues de losanges. On imagine le prolongement
honneur, les habitants de ces immeubles sont-ils
cheminées sont habitées par les corneilles qui ne
patissantes distribuaient pain et restes divers. Mais
de leurs longs cous jusque dans les logements,
dépersonnalisés ainsi, tels des animaux d’élevage ?
paient ni loyer, ni charges… Des mesures de coer-
certains ne se contentaient pas de ces “Restos du
jusque “chez eux”, sous “leur toit”.
Tous les blocs sont les mêmes, les entrées et les
cition ont bien été prises avec du grillage contre
cœur” et faisaient le tour des fenêtres ouvertes
Ce chapeau, couvre-chef du bâtiment est comme
appartements, les murs. N’y a-t-il pas de place
ces “squatters”, mais celui-ci leur a finalement
pour voler sans vergogne une part du repas de
posé sur la seule chose qui semble encore solide,
pour la différence dans les entrées d’immeubles ?
servi à construire leurs nids. C’est ainsi que dans
midi… Il ne restait plus aux victimes qu’à regarder
telle une ossature : les gouttières qui longent les
Je tâche d’oublier l’indignation et la colère qui me
les cuisines on pouvait entendre les gazouille-
les traces de pattes sur le rebord de l’évier ! C’est
façades et séparent les cages d’escaliers.
gagnent avant d’emprunter les quelques marches
ments des petits et les disputes des parents. Tout
étonnant comment les oiseaux sont bruyants en
jusqu’au 2e étage.
comme ce qui se passait chez les voisins !
bandes et discrets dans leurs chapardages. Ils ne
Nul besoin de cheminées pour les mouettes et les
veulent surtout pas réveiller les chats.
Nevez. Les yeux scrutaient les fenêtres de cuisines
goélands. Leur repaire était sur les toits de la Sécu
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Aire de jeux
Ar Santé…
Une aire de jeux est entourée par trois bâtiments,
Quel nom étrange pour un quartier.
avec une pelouse, du sable et un toboggan,
Un livre rédigé en breton racontant l’histoire de
quelques arbres et tout autour une haie. Quelques
la ville de Lannion - explique que le nom Ar Santé
enfants y viennent de temps en temps, mais ils
tire son origine du breton “Ar Zantez” qui signi-
sont rares.
fiait la personne sainte, sage, pieuse, douce et
Le matin, quand je me réveille, j’ouvre les volets.
estimée de tous. Il y a 200 ou 300 ans, y habita
Et un arbre apparaît devant la fenêtre ; l’arbre
une guérisseuse, généreuse et bienveillante envers
Avez-vous regardé dans le dictionnaire ce que
l’habitat leur facilite la tâche. Les concepteurs
signifie le mot “santé” ? “État de celui dont l’or-
d’Ar Santé ont-ils voulu réellement faire de ce
ganisme fonctionne normalement en l’absence de
quartier un lieu de bien-être, de concorde, de
maladie”. Sur les fonds baptismaux, la vocation
sécurité, de quiétude ?
d’Ar Santé était écrite : on espérait en faire un
Aujourd’hui, à l’heure où de très nombreux quar-
territoire vierge de toute affection, de tout trou-
tiers dits défavorisés - eux aussi pour la plupart
ble… de tout mal-être. Ar Santé serait un quartier
sortis de terre dans les années soixante - pren-
paisible où régnerait une vraie douceur de vivre…
nent feu, qu’en est-il d’Ar Santé ? Quarante ans
commence à se dépouiller et derrière celui-ci je
ses contemporains. Elle vécut longtemps et était
Une cité est une communauté d’hommes, de
vois les nouvelles constructions.
estimée par tous. Elle fut tant aimée, que la
femmes et d’enfants, qui vivent les uns à côté
population du petit lieu-dit où elle vivait - hameau
des autres, les uns avec les autres. Ils partagent
relativement éloigné du centre de Lannion à
des espaces communs : espaces verts, aires de
l’époque - a donné son nom au quartier. La mé-
jeux, parkings, halls d’entrée, cages d’escaliers,
moire collective a voulu garder une trace de cette
paliers… Leur intimité doit s’intégrer au cœur
femme généreuse en lui rendant ainsi hommage.
même de la collectivité. Comment harmoniser vie
après sa fondation - alors que désormais la cité se
transforme pour s’adapter aux nouvelles contraintes sociales et architecturales des villes - peut-on
dire que le pari est gagné ? A-t-on vécu heureux
à Ar Santé depuis 1965 ? Si oui pourquoi ? Sinon,
qu’est-ce qui a failli ? Quelles leçons en tirer pour
les prochains programmes de construction ?
La parole d’une vingtaine d’habitants et d’anciens
publique et vie privée ?
D’autres archives racontent que ce nom a été
donné en référence à l’ancienne léproserie située
dans le quartier Saint-Nicolas. Cette léproserie
datait du Moyen âge. On en retrouve des traces
en 1489 : elle renfermait six lépreux-nés qui seront
plus tard enterrés dans un cimetière réservé dans
le faubourg de Kermaria.
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habitants du quartier a été recueillie. Pour la majo-
L’écoute des habitants révèle que la tâche la plus
rité, des femmes vivant seules : divorcées, veuves,
difficile est bel et bien là : préserver sa vie privée et
elles ont, souvent, enduré leur lot de souffrances.
respecter autant que possible celle de son voisin
Il y eut aussi un couple, un quinquagénaire, une
tout en participant à la vie de la communauté.
maman célibataire, une fillette de dix ans, une
Cette règle est le principe même de l’harmonie
mère de famille nombreuse. Rien à voir avec la
sociale au sein d’un quartier.
vision des banlieues que nous livre le journal télé-
Pour que les hommes soient épanouis, il faut que
visé… Quelques personnalités locales ont aussi été
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sollicitées : l’ancien directeur de l’école du quartier,
dans les cages d’escaliers à une époque - mais cela
des escaliers. Maternelle et primaire étaient séparées.
rieur de la ville, de la campagne.
un gardien, une responsable du milieu associatif, des
n’a pas duré longtemps -, le manque d’isolation
Ici, tout est regroupé, tout est facilement accessi-
Après réflexion, il me semble qu’Ar Santé est un
membres d’un “atelier-mémoire” créé pour aider
- nous avions vraiment froid en hiver à cause des
ble. Les grandes surfaces sont à proximité. On peut
monde bien fermé, fonctionnant escalier par escalier
les habitants à passer le cap du renouvellement. La
courants d’air - et cet étrange malaise : la configu-
aller jusqu’au centre-ville à pied. Le quartier est très
sur la base de liens familiaux voire professionnels.
richesse de leur réflexion doit être entendue et écou-
ration de la cité, avec ses bâtiments parallèles et
calme”.
Dans l’escalier se crée la communauté“.
tée, en particulier par les pouvoirs publics responsa-
perpendiculaires, créait l’impression d’être toujours
bles du renouvellement de l’habitat social de tous
regardé”.
Ar Santé est un îlot central, un quartier particulier
“Je louais un appartement de type 4. Les locataires
de la ville de Lannion. Proche des commerces et des
précédents étaient partis en laissant la clé sous la
“On ne peut pas dire du mal d’Ar Santé : c’était
écoles, la cité reste relativement calme. Il n’y avait ja-
porte. Le logement se trouvait dans un état déplora-
tellement bien. Je n’ai jamais eu à me plaindre ni
mais eu de vrais problèmes de délinquances jusqu’à
ble. Dès les premiers jours de mon installation, je fis
du quartier ni du voisinage. Encore aujourd’hui il
tout récemment.
le ménage en grand et j’entrepris de repeindre et de
horizons.
Les réponses sont là : dans le cœur des habitants.
subsiste une ambiance agréable. Et ce quartier n’a
que des avantages : proximité des commerces, de la
sécurité sociale, de la piscine, du marché, des écoles,
aires de jeux pour les enfants…”.
j’appréciai tout de suite les grandes baies vitrées
J’avais peu de contact avec mes voisins et je n’avais
qui apportaient beaucoup de lumière, l’orientation
aucune intention de m’investir dans la vie de la cité
et la vue, l’agencement et les rangements. J’étais
que ce soit sur le plan associatif et politique : j’étais
“Dans les années quatre-vingt-dix, je connaissais
très replié. Je rencontrai parfois un voisin dans la
Portrait du quartier
la réputation de Ker-Uhel mais j’ignorais tout d’Ar
cage d’escalier, dans le hall ou devant l’immeuble. Il
Santé : je venais y faire demi-tour quand je devais me
semblait que les habitants en savaient beaucoup plus
“Les avantages et les inconvénients de vivre à Ar
rendre à la sécurité sociale. Le quartier me semblait
sur moi que moi sur eux ! J’ai appris ensuite qu’il
Santé ? Côté avantages : la situation du quartier
fermé : l’emboîtement des immeubles impliquait
s’agissait d’une caractéristique propre au quartier.
- proche des commerces et des commodités - et la
qu’on ne pouvait y entrer si on n’y vivait pas”.
D’où les gens tenaient-ils ces informations ? C’est
sécurité surtout pour les enfants. C’est un quartier
changer les papiers peints. Malgré l’état de saleté,
“J’ai mis un certain temps à découvrir Ar Santé.
ravie que la salle de bain dispose d’une fenêtre et
d’un séchoir. Le seul véritable problème lié à cet
appartement était l’insonorisation : le moindre bruit,
le moindre mot résonnait… Le matin, nous étions
réveillés par les bruits de chasse d’eau, de réveil…
Mais le pire, c’était d’entendre, sans le vouloir, les
disputes de nos voisins. J’étais extrêmement gênée.
très simple : tout le monde parle ; l’information
calme : un grand atout comparé à Pen-ar-Ru et Ker-
“J’aime beaucoup le quartier ; je le préfère à Pen-ar-
circule par les femmes autour de tasses de café. J’ai
Uhel. Côté inconvénients : les jeunes qui traînaient
Ru. Là-bas, pour accéder à l’école, il fallait descendre
aussi pu expérimenter le fait qu’Ar Santé véhiculait
Alors, je faisais comme si je n’entendais pas et, au
pire, j’augmentais le son de la télévision pour étouffer les voix”.
des informations provenant directement de l’exté-
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D’hier à
aujourd’hui
L’idée de construire une grande cité à Lannion date
route de Guingamp, dans le quartier Saint-Nicolas.
Vu l’avis de M. Le Maire de Lannion en date du
reclassée sur d’autres chantiers. Les travaux sont
de 1962. Suite à l’implantation du Centre Natio-
Ce grand ensemble s’appellera “Ar Santé”.
30 octobre 1962 ;
interrompus pendant plus de six mois. En avril 1964,
nal d’Étude et des Télécommunications (CNET),
Vu l’avis de l’Ingénieur en chef, Directeur départe-
la société alsacienne Socaltra accepte de reprendre le
en 1960, et à l’implantation de nombreuses en-
mental de la Construction en date du 22 novembre
chantier.
1962 ;
La livraison officielle des douze premiers appar-
Sur proposition de M. le Secrétaire Général de la
tements du bâtiment A a lieu en avril 1965. Les
Préfecture.
logements s’avèrent être des constructions solides,
treprises, Lannion, bourg rural de 7 000 habitants
Extrait du permis de construire délivré le 12 dé-
devient rapidement une véritable ville moyenne de
cembre 1962 par le Préfet des Côtes du Nord.
20 000 habitants. Les années 60 et 70 voient arriver
Vu le code de l’Urbanisme et de l’Habitation ;
de nombreux ingénieurs et techniciens accompagnés
bâties avec des matériaux de qualité et répondant
Vu le décret n° 56-14-67 du 31 décembre 1956,
de leurs familles. Lannion, dans les années 80, a “la
relatif au permis de construire ;
plus forte densité de polytechniciens de France” ! Il
[...]
faut loger rapidement ces familles. Le 17 mars 1962,
Vu l’arrêté préfectoral en date du 10 mars 1962,
se tient une réunion décisive à la mairie de Lannion,
déclarant d’utilité publique l’acquisition, par l’Office
sous la présidence du préfet Dejean, en présence du
Départemental d’HLM de terrains sis à Lannion,
directeur de cabinet du Ministre des Postes et télé-
Article 1. Le permis de construire est accordé à
aux normes en cours. Ils font preuve d’un confort
l’Office départemental d’HLM pour l’édification de
optimum, offrant chauffage central, salle de bain
127 logements HLM au lieu-dit “Ar Santé”, sous
complète avec baignoire et toilettes individuelles.
réserve du droit des tiers et conformément aux plans
annexés au présent arrêté.
d’une superficie de 25,549 m2, destinés à l’implanta-
communications, de Pierre Marzin et des autorités
tion d’un groupe de 127 logements HLM au lieu-dit
locales. Au cours de cette assemblée, on fait remar-
“Ar Santé” en Lannion ;
quer qu’il est urgent “de prévoir l’installation dans
[...]
la région de 4 000 adultes et de 1 400 enfants”. Des
Vu la demande de permis de construire présentée le
centaines de logements doivent être impérativement
29 octobre 1962 par M. de Bagneux, Président de
et rapidement construits.
l’Office départemental d’HLM en vue de l’édification
La demande de permis de construire est déposée le
de 127 logements HLM sur un terrain cadastré […]
29 octobre 1962 ; le permis est accordé en décem-
sis au lieu-dit “Ar Santé” en Lannion ;
bre. On veut bâtir plus de cent logements sur la
Vu les plans et devis présentés ;
Article 2. M. le Secrétaire Général de la Préfecture,
M. le Sous-Préfet, M. le Maire de Lannion et M.
l’Ingénieur en chef, Directeur départemental de la
Construction, sont chargés chacun en ce qui le concerne, de l’exécution du présent arrêté […]
Saint-Brieuc, le 12 décembre 1962.
La construction est retardée par la faillite de la
succursale lannionnaise de l’entreprise Renvoisé.
110 ouvriers sont licenciés ; une quarantaine est
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Ar Santé,
c’était bien !
Saint-Nicolas
Le quartier Saint-Nicolas a beaucoup évolué ces
ensuite vers St-Marc. Le train faisait un arrêt près de
La fête du quartier était l’événement de l’année. Elle
trente dernières années. Certains commerces ont
l’actuel rond-point Saint-Marc avant de continuer
se déroulait le jeudi de l’Ascension. Une structure
disparu et d’autres se sont installés. Le magasin de
jusqu’à Perros. Ce petit train a dû disparaître dans les
provisoire était installée devant l’actuelle boucherie.
La nouvelle cité doit s’étendre route de
mobylettes est devenu une supérette Spar qui a été
années quarante. En 1966, il y eut la construction du
La veille, le mercredi soir, il y avait un concert donné
Guingamp, dans la continuité du quartier Saint-
revendue pour être transformée en boulangerie. À
lycée de Beauchamp et en 1970, l’inauguration du
par la fanfare municipale suivie d’une retraite aux
Nicolas, en limite de la ville.
l’emplacement de l’actuelle pharmacie, il y avait un
terrain de football de Park-Nevez”.
flambeaux et d’un bal animé par un orchestre. Le
“Tout commença dans les années cinquante avec
dépôt de gaz appartenant aux frères Roland. Je me
jeudi matin, vers 7h30, quelques musiciens venaient
la construction des premiers logements sociaux. En
souviens aussi d’un magasin de farces et attrapes,
sonner le réveil en fanfare, sous les fenêtres des
1953, le lotissement des “Castors” sortit de terre
situé à la place de l’actuel centre St-Elivet et tenu
Dans les années 50 et 60, un grand quartier
habitants du quartier. Il y avait ensuite une messe
dans la rue des Cordiers. L’association des Castors
par Monsieur Lintanf, un artiste-peintre. M. Lintanf
prend vie s’étendant de St-Elivet à Ar Santé. Des
en plein air. La petite statue de Saint-Nicolas, préa-
regroupait des gens qui s’entraidaient pour cons-
vendait des masques pour les “Gras” et fabriquait
animations, des fêtes, animent le quotidien des
lablement “ravalée” par le peintre du quartier et
truire eux-mêmes leur maison. L’année suivante, en
des décors pour les spectacles. Aujourd’hui, le quar-
anciens et nouveaux habitants.
décorée de quelques fleurs, était exposée. L’après-
1954, les premières maisons HLM furent bâties du
tier Saint-Nicolas est moins animé : c’est devenu un
côté de St-Elivet. Au carrefour Saint-Nicolas, il y avait
quartier où l’on passe”.
quelques commerces : épiceries, cafés, petit centre
midi était consacré au concours de boules, à de
nombreux jeux et à un radio-crochet. Des marchands
“[…] En une décennie, le quartier changea ra-
ambulants s’installaient ; je me souviens du glacier.
dicalement de visage ! Avant de subir toutes ces
Leclerc, magasin de mobylettes. Le café “Le Vincen-
“[...] dans les années soixante, le bâtiment de la sé-
nes” était l’endroit le plus populaire : il faisait res-
curité sociale n’existait pas. Une petite station-service
taurant ouvrier. Je me souviens encore des anneaux
occupait un bout de terrain. Elle fut ensuite détruite
auxquels les agriculteurs attachaient leurs chevaux
pour laisser place à un garage Renault puis aux éta-
le temps d’aller prendre un verre avec les copains ou
blissements Pinault. Une ligne de chemin de fer, alors
de manger quelque chose. “Le Vincennes” était un
inexploitée, passait à proximité. Quelques années
vrai lieu de passage, très convivial. Il y avait aussi des
plus tôt, cette ligne était celle du train Lannion-Per-
allées de boules ; des concours étaient fréquemment
ros, qui passait derrière les Fontaines, continuait son
organisés.
parcours à l’endroit de l’école et de la piscine et allait
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La fête se terminait le soir par un bal animé par le
transformations, le quartier Saint-Nicolas, qui allait
même orchestre que la veille. La fête de Saint-Nicolas
jusqu’à la rue des haras, était un quartier très animé,
était une grande et belle fête : beaucoup de gens, y
fort de plusieurs cafés où se retrouvaient de nom-
compris des habitants d’autres quartiers de Lannion,
breux cultivateurs lors des marchés et des foires aux
y participaient. Le comité des fêtes organisait très
bestiaux. Les gens se déplaçaient beaucoup à pied.
bien les choses. Cette fête de quartier exista pendant
Il y avait moins de véhicules. Les riverains se rencon-
plusieurs années.”
traient, discutaient, partageaient un verre dans l’un
des cafés. Le dimanche, on se promenait, en famille,
jusqu’au bois de Keryvon ou vers le moulin du Duc.
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Création du nouveau
quartier
S’approprier les lieux
(51 logements), complétaient ce premier ensemble
voici deux ans. Et le quartier a continué à s’étendre
vers le bas de St-Elivet : on termine ces jours-ci, un
D’Ar Santé à Roud-ar-Roch : plus de 600 loge-
ensemble de 189 logements et un immeuble de
Les barres de quatre étages sont désormais
Dans les années 60 et 70, le nouveau
ments (1973)
20 appartements.
élevées, fières et rutilantes. Reste maintenant à
quartier d’Ar Santé fait plusieurs fois la une
L’histoire du nouveau quartier a commencé il y a dix
Ar Santé - St-Elivet représente à ce jour 387 loge-
y accueillir les nouvelles familles…
des journaux. La construction de plus de
ans, à Ar Santé (encore un nom dont le sens est dis-
ments HLM.
500 logements est un chantier de taille, une
cuté), route de Guingamp, là où passait le petit train
première pour la ville de Lannion, qui accueille
Lannion-Perros (seuls vestiges de cette époque, les
quotidiennement de nouvelles familles venues
briques rouges du pont et la halte de St-Marc).
des quatre coins de France.
Après les cent vingt-sept logements HLM, les nouvelles silhouettes plus claires des trois immeubles
Remise des clés aux HLM, route de Guingamp
Les douze premières familles qui vont aménager
Certains habitants, ayant emménagé à Ar
dans les HLM de “Ar Santé”, route de Guingamp, à
Santé dès les années soixante, se souviennent
la sortie de Lannion, ont reçu les clés de leur ap-
de l’événement peu commun que fut la
partement, en présence de Melle Guimier, directrice
construction rapide de la nouvelle cité :
de l’Office départemental, M. Le Foll, vérificateur,
“Dans les années soixante, Ar Santé fut construit, en
Mme Corollou, adjointe au Maire de Lannion, M. Bou-
catastrophe, sur un champ de betteraves. Un flot de
get, architecte et MM. les entrepreneurs.
techniciens arrivait à Lannion avec femme et enfants
À la fin du mois, le 30 avril, dix-huit familles rece-
pour travailler dans la zone industrielle : il fallait les
vront également les clés de leur logement.
Ouest-France, Lannion, 20 avril 1965, p. 11
loger très rapidement. Mais si, au début, beaucoup
de gens se sont installés dans le cadre de l’expansion
Les premiers locataires témoignent :
du CNET, d’autres arrivèrent ensuite après une failli-
“J’ai vécu 40 ans à Ar Santé, d’août 1965 à
te, un divorce ou suite à une rupture existentielle. Ils
avril 2005. J’y ai élevé 10 enfants. Aujourd’hui j’ai
y ont commencé une nouvelle vie”.
26
34 petits-enfants et une vingtaine d’arrière-petits-
27
enfants.
il y avait d’animation”.
Nous avons emménagé à Ar Santé, dans un F5 du
L’euphorie de la nouveauté et de l’accès au confort
Le maire y a habité
de l’école et des infrastructures sportives. L’appar-
bâtiment F, le 14 août 1965. Il pleuvait… Je me
moderne laisse alors place à l’organisation du quoti-
Les parents utilisaient les fenêtres pour faire descen-
tement nous plut beaucoup : nous bénéficiions de
souviens bien…
dien. Ce quotidien bercé par les cris des enfants, les
dre des objets dans des paniers suspendus au bout
trois chambres, de toilettes et d’une salle de bain.
À l’époque, j’avais déjà 8 enfants, la plus jeune
matchs de foot, les soirées télé entre voisins.
de longues ficelles”, explique Thierry Pasquiou qui y
Ce confort fut extrêmement appréciable : dans notre
a passé toute son enfance. On évoque aussi tour à
[ancienne] maison [...], les toilettes se trouvaient à
n’avait que six mois. Le jour de notre installation,
elle se trouvait à proximité de tous les commerces,
les aînés étaient en colonie de vacances à Trégastel.
La presse raconte :
tour, les rallyes voitures, la mobilisation au moment
l’extérieur et l’évier de la cuisine tenait lieu de salle
Mes deux derniers enfants ont vu le jour à Ar Santé
“Quand on est arrivé ici, pour nous, c’était vraiment
des Gras. “Il y avait quelques bandes, mais plus dans
de bain”.
en 1967 et 1969.
moderne. Au centre des bâtiments, il y avait un
l’esprit de la guerre des boutons autour du bac à
Avant d’arriver à Ar Santé, nous vivions tous dans un
grand espace de sable. Qu’est-ce qu’on y a passé du
sable. Les soirées TV se faisaient chez les uns ou les
petit taudis au Rusquet. Il y avait des souris. Je devais
temps avec les enfants !”.
autres surtout au moment de l’arrivée des chaînes en
“Je fus charmée par le quartier. La résidence s’avérait
aller laver mon linge au lavoir. Parfois, j’y lavais
À l’époque, le centre de Lannion est un vaste fau-
couleur. Il y a même eu un maire à y habiter, Pier-
calme, contrairement à celle de Ker-Uhel dont j’avais
même les enfants ! Tout devint beaucoup plus facile
bourg et les appartements des maisons anciennes du
re Jagoret”.
eu vent de la réputation. À Ar Santé, je croisais des
à Ar Santé. L’appartement était grand. Nous dispo-
centre ne disposent pas de toutes les commodités
[...]
personnes sympathiques : nous nous saluions. Pro-
sions de l’eau courante, de l’électricité, du gaz de
du monde moderne : “Les appartements d’Ar Santé
Le Trégor, 12 mai 2005, p. 39
gressivement, des relations de voisinage se nouèrent.
ville, d’une salle de bain et de toilettes privées, d’une
apparaissent alors très novateurs avec le chauffage
De temps en temps, je discutais avec un voisin de
machine à laver le linge. La rue était encore vide en
central et des salles de bain dans tous les apparte-
palier ; je dépannais d’un bout de beurre ou de quel-
1965 : il n’y avait que le garage Renault - où prendra
ments”, raconte Jean-Marie Villette.
place la sécurité sociale quelques années plus tard
Les premiers résidents reçoivent les clés en
- et deux ou trois fermes. Dans le quartier Saint-Ni-
avril 1965.
colas, il y avait un magasin de cycles, un bureau de
[...] Il y avait une équipe de foot avec les jeunes du
quartier. Mon fils faisait du théâtre de marionnettes
tabac-presse, une boulangerie, une boucherie, deux
dans les caves pour les plus jeunes”, se raconte-t-on
ou trois cafés… Puis, des maisons et d’autres bâti-
à l’atelier-mémoire.
ments sont sortis de terre. Plus on construisait et plus
28
ques morceaux de sucre ; j’aidais à monter un meu-
Tous s’accordent à décrire la quiétude, la chaleur
ble ; je rendais certains petits services. À l’époque,
humaine et l’animation qui règnent au cœur de
les gens étaient très heureux de vivre à Ar Santé.
la cité :
Les constructions récentes disposaient d’un confort
“À notre arrivée, nous ne connaissions absolument
moderne. Beaucoup de jeunes ménages vivant là
pas le quartier. Les premières impressions furent
travaillaient dans les usines du CNET. Ils logeaient
plutôt positives. La cité semblait calme, agréable ;
parfois à Ar Santé de façon provisoire, le temps de
29
faire construire leur maison individuelle. Ces jeunes
Et puis, à la pré-adolescence, j’ai adoré aller, le
familles apportaient une agréable animation au sein
mercredi après-midi, avec mes copines et notre “Clo-
Quittant des yeux ses fiches préparées pour l’entre-
Malgré l’engouement des habitants, les premiers
du quartier. L’ambiance était gaie. Les soirs d’été,
Clo” local, faire les Clodettes au bois de Keryvon,
tien, Nicole s’exclame : “Oh ma doué !”. Elle regarde
mois et les premières années mettent les bâtiments
nous ne craignions pas de sortir de chez nous pour
équipés de notre tourne-disque à piles. Et aussi,
par la fenêtre pour surveiller les travaux d’en bas,
à l’épreuve. Rien n’est jamais tout à fait fini. Certains
aller faire quelques pas en ville”.
j’allais m’éclater à la piscine deux fois par semaine.
“pour remplir son rôle de représentante des habi-
points doivent encore être revus pour améliorer le
L’école était proche, j’y allais à pied. J’ai grandi et, à
tants”. Et reprend le fil de son histoire : “On buvait
bien-être des locataires. En témoigne le compte-ren-
“Dès ma première visite, j’eus une impression
l’adolescence, j’appréciais de pouvoir aller discuter
du champagne. On mangeait des gâteaux. On ne
du de cette réunion municipale, en février 1968 :
positive : le quartier me semblait propre et calme.
avec mes potes dans les caves ou aller faire un baby-
s’engueulait pas. Je crois que je ne les oublierai
J’appréciai particulièrement les espaces verts, les
foot au centre St-Elivet”.
jamais”.
Réunion du 6 février 1968, en mairie.
pelouses, les aires de jeux pour les enfants. Je pris
aussi rapidement conscience de la convivialité qui y
Malgré le temps qui a passé, l’ancienne ATSEM de
Sont présents : le sénateur-maire, M. Marzin, repré-
régnait. Mais ce qui me parut étonnant c’est le fait
Nicole, 38 ans dans le quartier : un peu peur de
l’école du quartier se rappelle des années 60 et 70
sentants des locataires d’Ar Santé et de Pen-ar-Ru,
que les gens fréquentaient essentiellement les loca-
partir.
comme si c’était hier. Elle évoque les soirées jusqu’à
les élus municipaux, responsables de l’Office dépar-
taires de leur immeuble voire de leur cage d’escaliers.
“On a mené une vie simple d’ouvrier”. Sans tam-
plus d’heure. “Mon mari y jouait de l’accordéon”.
temental d’HLM.
Il est vrai, que l’on croise plus facilement son voisin
bours ni trompettes, Nicole [...] résume 38 années à
Les parties de foot de son fils aîné. “C’était sur le
Ordre du jour :
de palier que le locataire de l’immeuble d’en face !”.
Ar Santé. 38 ans d’une vie passée entre trois enfants,
terrain de basket. Il n’y avait pas de filet à l’époque.
- installation de deux “taxiphones muets” dans les
mari, boulot et associations. “On était heureux”,
Le ballon échappait aux joueurs à chaque fois. Les
couloirs d’immeubles, l’un à AS, l’autre à PAR ;
“Ar Santé nous a chaleureusement ouvert ses bras
dit-elle.
marionnettes du cadet et cette fameuse fête du
- installation et organisation de démonstration d’ex-
un jour d’octobre 1974 alors que nous devions
Mémoire vivante du quartier, Nicole se souvient :
quartier Saint-Nicolas. Celle de la famille avait rem-
tincteurs ;
être relogés de toute urgence. À l’époque, j’avais
“L’appartement que nous avions avec mon mari au
porté le deuxième prix de déguisements avec un vélo
- meilleur éclairage des escaliers ;
huit ans. J’ai tout de suite aimé cet endroit joyeux,
bâtiment D avait été habité un an par d’autres per-
transformé en tour Eiffel”.
- installation d’un éclairage public (15 réverbères) ;
avec une vie de quartier pleine de piment, ses gran-
sonnes. Nous étions seulement les seconds locatai-
- création d’espaces verts et d’aires de jeux ;
des familles, le bac à sable, les grands arbres. J’avais
res. J’avais deux voisines. Une sur le palier du dessus,
“Ar Santé : derniers regards de relogés”, Le Télégramme, mercredi 26 janvier 2005, p. 12
des tas d’amis : on rigolait bien.
l’autre sur celui du dessous : Gene et Monique”.
30
- mesures pour limiter la vitesse excessive des véhicu-
31
les sur la route de Guingamp ;
“L’intégration au sein de la cité fut une étape plus
“Je suis en appartement, en HLM, à Ar Santé, depuis
avant de bâtir un local, c’est l’Église qui se construit
- renforcement des circuits d’eau courante ;
difficile. Je me suis vite rendu compte qu’il était diffi-
août dernier. Je ne connais pas encore beaucoup de
dans une communauté”. M. l’abbé Thomas, curé de
- obturation des soupiraux des rez-de-chaussée,
cile de se lier, ou simplement de parler, avec les gens.
monde. Je ne connais même pas nos voisins d’esca-
Lannion, cita l’exemple du Roudourou à Guingamp.
résolution des problèmes d’infiltration et de mauvais
Moi qui suis “pipelette”, je dis facilement bonjour
lier”. Ce jeune ménage regrette l’isolement dans le
Cette année la fête du quartier (Ascension) sera une
équilibre de chauffage de certains appartements ;
mais je dois reconnaître qu’à Ar Santé, j’ai eu beau-
collectif. Par contre, dans un autre bâtiment où les
autre occasion de rencontre, ainsi que la kermesse
- pose de boîtes aux lettres (à voir avec les PTT) ;
coup de mal à discuter avec mes voisins. Est-ce parce
familles (jeunes foyers) sont arrivées ensemble, les
paroissiale du 1er avril, kermesse dont le but précis
- question sur la densité des constructions : “nous
que nous étions nouveaux ? Il fallut plusieurs mois,
contacts ont été plus faciles.
est de collecter les premiers fonds nécessaires à
restons dans les normes. Il faut bien évidemment
et même plusieurs années pour certaines personnes,
utiliser nos terrains de manière rationnelle”.
pour que quelques mots soient échangés dans la
cage d’escalier ou en bas de l’immeuble. Il y a plus
de convivialité et de solidarité à la campagne qu’à la
ville. Dans les petits villages, les gens semblent plus
ouverts aux autres, plus accueillants, prêts à rendre
de petits services si besoin est. En ville, les habitants
paraissent plus réservés, plus discrets, plus isolés
Apprendre à se
connaître
peut-être. Par ailleurs, dans une cité comme la nôtre,
il est très difficile de faire sortir les gens de chez
eux et de les satisfaire : quand vous ne faites rien,
Que ce soit dans un petit village rural, dans un
ça n’est pas bon, mais quand vous faites quelque
lotissement ou au cœur d’une cité HLM, aller à
chose, ça n’est pas ce qu’il faudrait faire !”
la rencontre de l’autre n’est pas pour tous chose
Ar Santé - St-Elivet : première soirée contact avec les familles
(mars 1973)
facile. Si s’approprier les lieux est la simplicité
même, il n’en est pas toujours de même pour
apprendre à connaître son voisin :
32
l’achat d’un terrain pour la communauté paroissiale
Lundi soir au centre d’accueil et de loisirs St-Elivet,
d’Ar Santé St-Elivet, un quartier qui accueille des
une quarantaine d’habitants de ce nouveau quartier
centaines de familles, les uns se fixant, d’autres y
se retrouvaient - ou plus exactement se rencon-
habitant temporairement. Mais, dans l’un et l’autre
traient pour la première fois - à cette réunion orga-
cas, il y a l’isolement à vaincre et ceci sans nuire au
nisée par la paroisse de Lannion. Réunion amicale,
“chez soi”, sans s’imposer aux voisins.
sans protocole, autour d’une grande table et du
Extrait des archives du centre St-Elivet
verre de l’amitié. Chacun se présentant pour mieux
se connaître, on avait déjà une microphoto du nouveau quartier : “Je suis Basque, à Lannion depuis huit
De mes années dans le bâtiment F, je garde le
mois”, “Je suis de la Manche…”, un autre de Paris,
souvenir de quelques conflits de voisinage. Pendant
plusieurs des départements bretons. Les plus anciens
dix ans, j’eus pour voisin un jeune homme assez
du quartier participèrent à cette première rencontre.
bruyant et parfois agressif. Mais le véritable proL’accueil, les relations humaines (faites souvent de
blème de la vie en collectivité reste celui du bruit.
petits détails de la vie quotidienne) furent le thème
Certaines personnes ne savent pas parler doucement
de cette soirée qui était en elle-même un premier
ou ne se rendent pas compte de la portée de leur
contact. “L’accueil est une fonction chrétienne et
voix.
33
L’école
L’école laisse des souvenirs impérissables aux anciens
[...] Le fait que l’établissement soit présent dans le
quand je le croise, il me reconnaît encore.
maîtres et aux enfants aujourd’hui devenus adultes.
quartier facilitait beaucoup le quotidien des familles.
Il y a vingt ans, les professeurs étaient plus durs
Située dans une sorte d’impasse, en bout de route
qu’aujourd’hui mais ils connaissaient les limites à ne
Des dizaines de familles vivent désormais dans ce
nouveau quartier. Il faut créer un nouveau complexe
“Avant la création de l’école d’Ar Santé, seuls
d’accès facile, direct et sûr, - il n’y avait aucune route
pas dépasser. Je crois que j’ai fait partie de la bonne
scolaire susceptible d’accueillir les nombreux enfants
deux établissements accueillaient les enfants du
à traverser -, l’école représentait un espace pro-
génération de ce point de vue : la pédagogie im-
récemment arrivés.
centre-ville de Lannion : les écoles Joseph Morand
tégé. Dénuée de barrière, elle restait un lieu ouvert,
posée à nos parents dans les années soixante était
et Savidan. Pour des raisons de proximité, suite à la
appartenant à tous. L’école s’étendait sur de grandes
vraiment trop dure ; celle qu’on inculque désor-
construction des HLM, la ville décida l’implantation
surfaces : deux cours, un terrain de hand-ball, des
mais à nos enfants est trop laxiste. Dans les années
d’une école dans le quartier. La première année, on
pelouses. Les enfants avaient suffisamment de place
quatre-vingt, nous avions la chance de recevoir une
créa deux classes de maternelles ; à la rentrée sui-
pour courir et jouer en toute sécurité”.
éducation stricte mais respectueuse : c’était le juste
La question scolaire (1973)
St-Nicolas, “quartier des écoles” disait-on à Lannion.
Avec les nouveaux quartiers, des groupes scolaires
vante, on ouvrit deux classes de primaire. Les années
ont été créés à proximité. Pour Ar Santé - St-Elivet,
on envisage la construction d’une école primaire et
d’une maternelle, avec une cantine. L’inspection de
l’enseignement a fait des sondages et de la prospective. Le conseil municipal a décidé l’achat des terrains
Lorgeril et Campion pour les futures implantations.
Actuellement, la cité d’Ar Santé compte une quarantaine d’enfants dans les classes maternelles et autant
dans les classes primaires, répartis dans les écoles
du quartier St-Nicolas et rue Morand. Dans deux ou
trois ans, un groupe scolaire devra fonctionner pour
les besoins du nouveau quartier.
34
équilibre”.
suivantes, de nombreuses familles s’étant installées
“Petite fille, comme tous les enfants du quartier, je
dans la cité, il fallut réclamer des classes et des
fréquentais l’école d’Ar Santé. Maintenant, ce sont
enseignants supplémentaires. [...] en 1998, il existait
mes enfants qui y vont ! Je me souviens particu-
4 classes de maternelles, 6 classes de primaire et une
lièrement de l’un de mes instituteurs, qui fut aussi
classe d’adaptation : ces classes accueillaient 110 en-
directeur, M. Le Goff. Nous le respections beaucoup
fants en maternelle et 170 au primaire.
car bien que ferme, il savait être juste. Pendant les
[...] L’école a grandi en même temps que le quar-
voyages scolaires, il était plus détendu et se montrait
tier : elle en devint le cœur. À l’époque, on pouvait
sous un autre jour. Il se lâchait ! En classe, il nous
véritablement parler de mixité sociale : les enfants du
apprenait des chansons moins “gnangnan” que ses
lotissement, d’Ar Santé nouveau, d’Ar Santé ancien
collègues, des chansons gaies et entraînantes. Un
et des Fontaines se retrouvaient tous dans la même
sacré instituteur ! Il m’a beaucoup marqué. Il savait
cour de récréation.
parler aux enfants comme aux parents. Aujourd’hui,
35
Les enfants
“Dans les années soixante, il y avait beaucoup
avaient tant de joie à voir les bêtes de la ménagerie.
À l’époque, Ar Santé semblait peu accueillant : les
d’enfants à Ar Santé. Plusieurs grandes familles
Je me souviens encore du pardon de Saint-Nicolas.
immeubles gris rendaient la cité triste et sombre ; il
Les enfants occupent une place très particulière
logeaient dans le bâtiment F. Et j’en ai vu passer
Beaucoup de monde venait jouer aux boules, assister
y avait trop de béton. Les bâtiments, très longs et
à Ar Santé. Aucun témoin n’oublie de s’exprimer
quelques-unes : il me semble qu’il y avait quatre
au match de football ou danser toute la soirée“.
très hauts, nous impressionnaient. J’hésitais à m’y
à ce sujet.
familles différentes sur mon palier. Je crois qu’il y a
“[Il y a quelques années], il y avait beaucoup d’en-
eu jusqu’à trente enfants dans ma cage d’escalier !
“J’ai grandi aux Fontaines dans les années quatre-
est-ce l’image que m’en renvoyaient mes parents qui
fants [à Ar Santé]. Ils s’amusaient sur les pelouses
Tout ce petit monde s’arrangeait bien. Le voisinage
vingt. Un quartier très calme, habité essentiellement
m’inquiétait. Je me souviens que j’avais particulière-
et sur les aires de jeux. Les adolescents jouaient au
était formidable. Entre mamans, nous nous connais-
par des employés des usines du plateau qui atten-
ment peur des garçons d’Ar Santé, même de ceux de
foot. Les enfants allaient à l’école ensemble, formant
sions bien. Nous nous dépannions, nous gardions
daient la livraison de leur maison neuve. Les enfants
mon âge. Mais ce n’était qu’une idée d’enfant car la
de petites bandes. Beaucoup de grandes familles
les enfants de l’une ou de l’autre en cas de besoin.
des Fontaines se sentaient supérieurs aux enfants
cité s’avérait très calme ; on n’entendait jamais parler
vivaient alors ici, des familles de six, sept et même
On partageait le café de temps en temps. Il n’y avait
d’Ar Santé : leurs parents travaillaient ; les locataires
de bagarres.
dix enfants. Les lieux leur appartenaient : ces enfants
jamais d’histoires. Les enfants pouvaient aller dehors
d’Ar Santé avaient la réputation d’être des gens
Mais j’aimais Ar Santé pour ses espaces verts et son
les rendaient vivants”.
librement. Nous n’étions pas inquiètes. Il y avait une
“à problèmes”, des “cas sociaux”, sans emploi et
terrain de jeux. Il y avait un toboggan et un tour-
telle ambiance ! À cette époque, Ar Santé c’était la
miséreux. Ar Santé semblait touché par le “mal-
niquet. Ma mère m’interdisait d’y aller : Ar Santé,
solidarité, la convivialité, la joie de vivre.
heur”. Il ne s’agissait probablement que d’une idée
c’était trop loin ; elle ne pouvait pas me surveiller.
Je garde un excellent souvenir des “Gras”. Les en-
mais elle était bien ancrée dans les esprits. Il est vrai
Alors j’y allais en cachette ! Plus tard, pour des
fants se déguisaient pour participer au carnaval. On
que certaines familles se trouvaient dans une grande
raisons de sécurité le toboggan et le tourniquet
passait des semaines à fabriquer des chars qui défi-
précarité d’où un certain amalgame. Je me souviens
furent supprimés : on les remplaça par une table de
laient ce jour-là. Quelle ambiance ! Tout était joyeux.
par exemple d’un père de famille qui avait débar-
ping-pong. Mais dans les années quatre-vingt, ce
C’était le bon temps ! Il y avait aussi la fête de la
qué à l’école pendant les heures de classe : il était
terrain de jeux valait toutes les salles de réunions : les
Saint-Jean avec le feu d’artifices, le feu de joie et le
visiblement ivre et voulait absolument récupérer sa
enfants s’y retrouvaient pour jouer, les parents - qui
bal qui durait tard dans la nuit. On y allait en famille.
fille. Quel cirque il avait fait ! M. Le Goff, le directeur
les accompagnaient - faisaient connaissance. Chacun
On y retrouvait les copines. On riait. Parfois l’été,
avait dû intervenir vigoureusement pour qu’il quitte
gardait un œil sur les enfants des autres. Certains pa-
un petit cirque s’installait sur le parking : les enfants
les lieux.
rents veillaient du haut de leur balcon : le terrain de
36
rendre seule par peur d’être agressée. Peut-être
37
jeux se trouvait au centre de la cité, ce qui facilitait la
l’ambiance, familiale et conviviale. Dans le bâtiment
alors en affection. Peu à peu, je connus les parents.
chacune ! Nous déposions d’abord une première
tâche. À cette époque il y avait beaucoup d’enfants
F, il y avait beaucoup de grandes familles. On voyait
Nous nous retrouvions fréquemment autour des
équipe et pendant que nous allions chercher la
et d’adolescents à Ar Santé. L’ambiance était très
des enfants partout ! C’était bien ! Quelle vie, quel
aires de jeux et nous discutions tout en surveillant
deuxième, sur la plage, les plus grands gardaient
sympathique. Je ne me souviens pas qu’il y ait eu du
dynamisme ! À cette époque, les enfants savaient
les petits. Parfois, je descendais dans le parc avec ma
les petits. Nous avons fait ces allers-retours pendant
grabuge”.
s’occuper. Les petites filles jouaient à la poupée sur
chaise pliante, n’oubliant pas quelques gâteaux à
plusieurs années avant que le centre d’Ar Santé ne
les pelouses. Les garçons faisaient du vélo. Les plus
proposer au moment du goûter. De temps en temps,
prenne le relais. Mais on organise encore ces navet-
“Aucune animosité ne régnait. Au contraire, une
jeunes jouaient dans le bac à sable. L’aire de jeux
une maman me demandait de garder sa progéniture
tes, l’été, avec nos petits enfants et quelques voisins.
belle entente unissait les enfants de la cité et du
était aussi un lieu de rencontre pour les parents. On
le temps d’aller faire une course. Grâce à ma pré-
J’aime bien accompagner les jeunes à la plage, cela
lotissement qui pourtant, provenaient d’origines
discutait en surveillant les petits du coin de l’œil. Et
sence auprès des enfants, je fis la connaissance de
me fait plaisir”.
sociales parfois extrêmement opposées. J’observais
les soirs d’été, on descendait s’asseoir sur les bancs
nombreuses familles de la cité. Il m’est arrivé aussi de
davantage une légère tension entre les enfants d’Ar
ou sur les pelouses pour parler jusqu’à ce que la nuit
proposer la “soupe populaire” pour des enfants de
Santé et des Fontaines : les premiers aimaient faire
tombe”.
familles démunies. Après l’école, certains venaient
Le centre St-Elivet
chez moi pour que je les aide à faire leurs devoirs.
comprendre aux seconds qu’ils étaient les maîtres du
quartier. D’autre part, les jeunes d’Ar Santé jouaient
La vie de quartier s’organise autour des plus jeunes.
À force de petits services, je fis pratiquement partie
au football à l’USL tandis que ceux des Fontaines
Grands-parents, voisins prennent en charge les en-
de certaines familles. Je devins “Nanou” : j’étais
fréquentaient davantage le Stade lannionnais : une
fants de ceux qui travaillent. Chacun se sent respon-
aussi connue que le loup blanc ! Plus tard, je gardais
Le nouvel ensemble architectural d’Ar Santé attire
petite rivalité opposait donc les deux groupes !”.
sable, à sa manière, des petits de la cité.
aussi des enfants le mercredi, après l’école ou le soir,
beaucoup de familles. Pour les rassembler, leur per-
“[...] Quand je ne travaillais pas, je m’occupais de
jusqu’au retour du travail des parents - qui parfois
mettre de faire connaissance, de nouvelles associa-
“Je garde d’excellents souvenirs de mes voisins. Dès
ma petite fille. Grâce à elle, je connus rapidement
travaillaient vraiment tard - au même titre qu’une
tions voient le jour. Ces associations ne feront plus
mon arrivée, on se croisait, on se saluait, on échan-
de nombreux enfants du quartier. Les bébés attirent
nourrice”.
qu’une, ensemble, à la fin des années soixante : le
geait quelques paroles. On se retrouvait surtout
irrésistiblement les fillettes et les adolescentes si bien
en descendant pour le courrier ou les poubelles.
que dès que je promenais ma petite fille en pous-
“En été, avec [ma voisine], nous organisions des
Puis, au fil du temps, on est venu à se rendre de
sette, une nuée de jeunes venaient grouiller autour
navettes pour emmener les enfants à la plage à
petits services. Les relations étaient vraiment faciles ;
de moi ! C’était très amusant. Les enfants me prirent
Beg Léguer. Nous faisions parfois jusqu’à deux tours
38
centre de loisirs de St-Elivet. Pour soutenir la création
de cette structure, la ville cède un bâtiment.
39
Les bâtiments qu’occupe actuellement le Centre St-
en souhaitant bien sûr que les Lannionnais du centre
But
Elivet datent des années 1920. Ils étaient la propriété
veuillent bien aussi venir aux soirées et aux activités.
Le but du centre : être ouvert aux problèmes du
- les activités d’information réciproque (journal, en-
de M. Lintanf, artiste décorateur de l’opéra-comique
“Le centre de loisirs St-Elivet fut créé à l’initiative
quartier, essayer de répondre aux besoins et aux
quêtes, réunions, affichages).
de Paris. La maison a un riche passé : ici les grandes
d’une association de familles d’Ar Santé et des
aspirations des habitants. Dans un quartier de lotis-
toiles s’étendaient sur le sol. M. Lintanf faisait des
Fontaines en 1973. Cet endroit avait pour voca-
sements dortoirs, le principal besoin est d’amener les
Activités régulières
décors pour jouer du Labiche, des pièces de bou-
tion d’accueillir les habitants, petits et grands, des
gens à rompre leur isolement, de trouver des possi-
On peut distinguer deux axes principaux :
levard, des mélodrames inspirés de l’histoire des
quartiers d’Ar Santé, des Fontaines, de Beauchamp,
bilités d’échanges et d’ouverture. Après, seulement,
- les activités spécialisées (du type loisir de création)
Chouans comme La nuit rouge. Quelques mois après
de Goas Conguar et du Forlac’h. À l’époque, de
les besoins culturels peuvent s’exprimer. Chacun peut
dans lesquelles chacun peut trouver l’art qu’il pré-
le décès de Joseph Lintanf, la ville achète les bâti-
nombreuses familles de salariés de la zone indus-
essayer de trouver avec d’autres son plein épanouis-
fère, le rire qu’il aime, la danse ou la musique de son
ments et le jardin et c’est à partir de 1969 que les
trielle vivaient dans ces quartiers. Souvent jeunes
sement, de rechercher son art de vivre.
âge… ;
associations culturelles et l’Association Lannionnaise
et d’origine modeste, ces personnes se croisaient
de la Jeunesse utilisent les locaux.
sur leur lieu de travail : elles ne se connaissaient pas
Action
ou les participants peuvent se côtoyer et peut-être
vraiment. Elles eurent alors l’idée de créer un lieu où
La principale action doit être de promouvoir la
dialoguer ; l’écueil étant dans ce cas, le “loisirs-con-
elles auraient l’occasion de se retrouver et d’aller à la
rencontre et l’échange. Cela peut revêtir plusieurs
sommation”.
rencontre les uns des autres. Le mélange des publics
formes :
en était le principe fondamental : il s’agissait de faire
- d’abord l’accueil, le contact direct, la discussion
Toute activité doit jouer au départ un rôle attractif,
se côtoyer des groupes sociaux de provenance et de
toute simple ;
mais elle doit tendre à devenir un loisir de dialogue
statut différents”.
- les activités régulières du Centre qui ont deux rôles :
et de participation dans lequel chacun se distrait
celui de distraire, celui de permettre de nouer des
et acquiert une meilleure connaissance de soi, des
Les statuts du centre St-Elivet :
contacts ;
autres, du quartier où il vit et qu’il doit faire vivre.
Le “Centre d’accueil et de loisirs de St-Elivet” (CALS)
- les activités exceptionnelles (animations ponctuel-
a été créé pour tous.
les, spectacles, expositions, débats, promenades,
“Regard sur trente ans”, fascicule édité par le Centre d’accueil et
de loisirs de St-Elivet, Lannion, 13 juin 2003, p. 1
L’année 1973 voit la naissance du centre de loisirs
St-Elivet. Ayant pour vocation de proposer un espace
d’accueil et de rencontres, cette structure aura
désormais un rôle d’animation déterminant dans la
vie des quartiers environnants. On y vient de St-Nicolas, St-Elivet, Goas Congar, Beauchamp, Ar Santé,
- les activités de rassemblement (type spectacle)
Extrait des archives du centre St-Elivet
rallyes…) ;
40
41
Un terrain d’aventure ?
“Depuis sa création, le centre St-Elivet a beaucoup
St-Elivet a toujours pleinement participé à la vie du
ces sorties ; nous les attendons avec impatience. On
évolué. Son institutionnalisation l’a véritablement
quartier d’Ar Santé. Le principal souci est de trouver
y retrouve toujours la même petite bande sympathi-
transformé. Le fait qu’il soit désormais plus structuré,
toujours d’autres moyens pour faciliter la cohésion
que. Ces événements nous permettent de sortir du
Jean-Louis Gault, animateur du centre St-Elivet :
plus organisé, implique que les jeunes se l’appro-
sociale et l’intégration des nouveaux arrivants. Nous
quartier. Cela fait beaucoup de bien même si on ne
“Les enfants de la ville manquent d’espace. Un
prient beaucoup moins et gardent une certaine
cherchons à agir sur le terrain pour que les habitants
va pas très loin !”
terrain d’aventure est souhaitable” (1975)
distance. Il y a vingt ans, St-Elivet était leur foyer :
des quartiers vivent bien. Nous souhaitons les aider
la grande salle était ouverte le plus souvent et le
à devenir autonomes, à leur donner l’esprit d’en-
186 enfants de trois à douze ans, une centaine
plus longtemps possible, jusqu’à 21 h les mardis
treprise. Nous souhaitons continuer à organiser les
d’adolescents pour le seul quartier de St-Elivet, Ar
et vendredis. Les adolescents venaient y passer un
loisirs des habitants et assurer l’accueil de tous le
Les enfants du Centre de loisirs St-Elivet à la
Santé et les Fontaines. Chaque soir, on en rencontre
moment, apportant leur casse-croûte pour jouer, dis-
plus longtemps possible.
plage
au pied des grands immeubles, sur les pelouses ou
cuter, être ensemble. Il y avait un noyau de vingt ou
Quelle est la finalité de notre travail ? Préserver la
Mercredi après-midi, 30 enfants du centre d’accueil
les parkings, autant d’endroits qui ne leur sont pas
vingt-cinq jeunes, habitants des quartiers mais aussi
convivialité qui fait l’identité d’Ar Santé”.
et de loisirs de St-Elivet ont quitté les locaux de l’éta-
destinés et constituent des interdits… Il existe bien
blissement et foulé pour la première fois de l’année
quelques tourniquets ou toboggans, mais correspon-
des pavillons alentours. Aujourd’hui, ces ados ont
grandi. [...] la plupart travaillent. Ils vivent à Lannion
“Le centre St-Elivet est un lieu indispensable pour les
le sable de la plage de Beg Léguer. Une initiative qui
dent-ils toujours aux normes de sécurité ? Et puis,
ou aux alentours : on observe très peu de mobilité
habitants d’Ar Santé. Les enfants peuvent y prati-
risque de devenir une habitude.
les enfants en ont vite marre, les gestes deviennent
sociale chez ces jeunes. En majorité, ils se sont stabi-
quer de nombreuses activités sportives et culturelles.
lisés. Certains ont obtenu leur BAFA et contribuent
Ils participent régulièrement à des voyages. Mes
désormais à l’animation du centre après avoir profité
enfants sont allés dans le midi, à Paris, à Loctudy.
fréquente le centre de loisirs St-Elivet. “On constate
des activités pendant de nombreuses années. La roue
Ils vont dans des endroits où nous n’aurions pas les
une agressivité difficile à contrôler dans le cadre des
tourne ! D’autres ont obtenu un diplôme : DUT car-
moyens de les emmener. Nous profitons aussi des
structures d’un centre ; les enfants manquent d’es-
rières sociales, DUT info-com… Certains ont fondé
sorties familiales. C’est si convivial ! Récemment nous
pace pour se défouler : fermer la porte de l’épanouis-
une famille. Malheureusement, quelques-uns ne s’en
sommes allés visiter le château des Rohan à Josselin ;
sement à l’enfant, c’est ouvrir toute grande celle de
sont pas sortis. Pour tous, le centre représente une
nous avons assisté à un spectacle de cirque tsigane
la prédélinquance. L’important n’est pas en fait de
étape.”
à Brest. C’était magnifique ! Nous aimons beaucoup
leur offrir des tas d’activités dans un centre où le
42
répétitifs…
Le mercredi après-midi, une trentaine d’entre eux
Archives du centre St-Elivet, non daté
43
rôle des animateurs et moniteurs se résumerait à se
Politique globale de l’enfance
En fait, c’est bien les multiples maillons de la chaîne
comporter en “gentils organisateurs”, mais de leur
[...] ce besoin d’évasion peut déboucher sur un ter-
éducative qu’il est nécessaire de souder, car le bon-
offrir un certain espace où ils peuvent se retrouver
rain d’aventure (à condition que les crédits suivent),
heur de l’enfant passe par sa reconnaissance dans la
sans directivité de notre part”. Un terrain d’aventure
mais, au niveau de la famille, du quartier, de la ville,
famille, le quartier, l’école, la ville… la vie en général.
peut se définir comme un terrain vague, aménagé au
cela débouche sur une politique globale de l’en-
Quant au terrain d’aventure, verra-t-on, comme dans
fur et à mesure par les enfants et selon leurs désirs,
fance. C’est la raison pour laquelle [il faut porter les
d’autres villes, une association composée de parents,
les animateurs étant là pour leur apporter le matériel
efforts] vers une ouverture au niveau du quartier afin
d’élus municipaux, de responsables de l’équipe
nécessaire et, éventuellement, leur donner des con-
de sensibiliser les gens, les parents en particulier, au
d’animation, gérer un tel équipement ? En tout cas,
seils. “C’est un lieu où les enfants peuvent disposer
problème de l’enfance dans la ville.
l’idée est lancée”.
de matériaux pour construire, fabriquer, créer…”.
“La prédélinquance guette l’enfant dans l’oisiveté
des grands ensembles : on voudrait que les adultes,
L’expérience de terrains d’aventure a été tentée avec
les parents prennent conscience de ça. Rien n’est
succès dans plusieurs villes françaises et, hier soir, au
fait pour l’enfant dans la ville où tout est créé pour
centre de St-Elivet, un film suivi d’un débat por-
l’adulte, à sa mesure. Il faut absolument que l’enfant
tait sur la ville de Nantes. Y étaient invités parents,
ait sa place dans la cité ; actuellement il est con-
travailleurs sociaux, en somme tous ceux qui ont un
damné à s’adapter au monde des adultes…”. Et à
rôle à tenir dans l’éducation.
leur rythme de vie pourrait-on ajouter. Pour prendre
quelques exemples, les garderies scolaires ne sont-
“Si on prend les enfants vivant dans les immeubles,
elles pas créées pour arranger les parents lorsque les
ils ne connaissent pas de dépaysement. [...] on voit
deux travaillent ? Les enfants ne sont-ils pas inscrits
bien lors des sorties en car, le mercredi, cette joie
aux centres le mercredi parce que les parents ne
de sortir des structures du quartier. Il ne faut pas
peuvent pas s’occuper d’eux pendant cette journée
parquer les enfants…”.
de congé scolaire ?
44
45
Un train en gare de Lannion, 1953
Une partie de football en 1910, dans le quartier Saint-Nicolas où
l’Institution St-Joseph avait un terrain, un champ labourable.
Baignoire
Sous la neige, hiver 1997
Construction du quartier d’Ar Santé, 1963
L’aire de jeux
Jean-Phi, Chantal, Catherine, Gaël, Yannick, mars 1974
Les enfants, 1992
La dernière
décennie
(1996-2006)
Familles
“Les enfants d’Ar Santé grandissent souvent dans
cachée. Par conséquent, les gens y sont plus indivi-
issues d’une famille de cinq ou six enfants, sont déjà
des conditions matérielles et affectives difficiles. À
dualistes, plus réservés. Ils ouvrent difficilement leur
deux fois maman à 18 ou 19 ans : être maman con-
Au milieu des années 90, alors qu’une crise
cela s’ajoute parfois l’échec scolaire. Pourtant, nom-
porte”.
fère un statut social et permet d’obtenir une rému-
sociale et économique s’amorce au niveau
bre de ceux qui aujourd’hui sont devenus adultes ont
national, la cité se renferme sur elle-même.
réussi à sortir de ce cercle vicieux : ils travaillent, ont
“Depuis quelques années, les enfants ont disparu
Je n’accepte pas que l’on appose une image si néga-
Les enfants ont grandi ; beaucoup ont quitté
fondé une famille. Dans les années quatre-vingt-dix,
de la cité. Autrefois, de grandes familles vivaient là.
tive aux quartiers. Certaines cités, dans les grandes
le quartier. Les parents vieillissent. Peu de
on entendait fréquemment parler de problèmes de
Désormais, les enfants ont grandi et le quartier a
villes essentiellement, sont réellement difficiles. Mais
nouvelles familles prennent le relais. Un signe :
drogue, d’alcool, de squat… Désormais, les jeunes
terriblement vieilli. Il ne reste des enfants que dans
ça n’est certainement pas le cas à Ar Santé. Et il
l’aire de jeux est peu à peu abandonnée.
adultes n’ont plus envie de rester “glander” là : ils
trois ou quatre familles logées dans les bâtiments
faut avouer une chose : dans ces quartiers, rien n’a
Beaucoup d’habitants constatent, avec regret,
cherchent à travailler, à sortir de la cité voire même
d’Ar Santé ancien. L’ambiance en pâtit.
été fait. On y trouve beaucoup de misère, de nom-
un certain recroquevillement des gens sur eux-
à quitter la ville. Le quartier apparaît plus apaisé
Les plus grands, ceux qui ont été mes élèves, sont
breux jeunes laissés pour compte. Quand ces jeunes
mêmes et une réelle morosité.
aujourd’hui qu’il y a dix ans. Il y a moins de problè-
devenus adultes. Nombreux sont les garçons qui
travaillent, les esprits s’apaisent et les angoisses
mes de délinquance, ce qui n’est peut-être pas le cas
travaillent désormais dans les métiers du bâtiment ;
quant à l’avenir s’atténuent. Si on ne les occupe pas,
à Ker-Uhel et Pen-ar-Ru.”
nombreuses sont les jeunes filles qui sont aujourd’hui
un rien peu les faire basculer. Il faut leur proposer
jeunes mamans. Certains, après leur scolarité pri-
des activités mais surtout des projets. Beaucoup de
“Dans les années 80, l’arrivée de la crise économique et la réhabilitation du quartier de Ker-Uhel font
nération et un logement.
paraître Ar Santé gris - par opposition à Ker-Uhel
“[…] les gens d’Ar Santé sont davantage réservés.
maire, ont fréquenté le collège. Mais le collège avait
jeunes d’Ar Santé se sont tournés vers l’animation
qui vient d’être repeint. La construction d’Ar Santé
Ce sont des gens vraiment généreux mais qui n’ont
pour moi un défaut primordial : il se situait loin du
par l’intermédiaire du centre St-Elivet. Ces jeunes ont
nouveau amène aussi des “familles à problèmes”.
pas grand-chose de matériel ou de pécunier à don-
quartier. Aussi, les adolescents les moins motivés
besoin de reconnaissance : il faut leur faire confiance.
S’installent alors quelques familles nombreuses en
ner. Il me semble d’ailleurs que les habitants d’Ar
ont-ils progressivement déserté l’établissement.
La solution ? Être présent dans ces quartiers. La
difficultés économiques”.
Santé enduraient plus de difficultés financières et
Quelques-uns s’en sont pourtant très bien sortis et
présence implique l’écoute, la disponibilité et une re-
matérielles que ceux des Fontaines. Aux Fontaines,
ont obtenu un diplôme. Je remarque que les filles,
lation de confiance. Il faut être là quand les enfants,
quartier réputé plus riche qu’Ar Santé, la misère reste
parfois, ont reproduit le schéma parental. Certaines,
quand les jeunes, ont besoin de nous. La requalifica-
50
51
tion est peut-être le bon moment pour reprendre ces
l’essence même d’Ar Santé. Si EDF coupe le courant
“Il m’est aussi souvent arrivé de dépanner les
demande de logement HLM. Une fois installées, cer-
choses en main”.
dans un appartement, les voisins s’empressent de
adultes. Ayant une voiture, j’emmenais certaines
taines s’isolent et ne cherchent pas à sortir. Mon rôle
passer un fil !
personnes faire des courses, payer leur loyer ; je les
est aussi d’aller vers elles et de leur rendre quelques
[...] Ar Santé ancien représente une grande famille
accompagnais chez le médecin ; je rendais divers
services : je leur propose de les accompagner chez
riche des vertus primordiales : solidarité, fraternité,
petits services. On croise beaucoup de gens dans la
le médecin, de les emmener faire quelques courses,
soutien, compassion, empathie… Une famille soudée
rue : c’est l’occasion d’échanger quelques mots et de
d’aller au cinéma, de participer aux fêtes de quar-
mais recroquevillée sur elle-même”.
demander ce genre de petit service. À une époque,
tier… Il y a tant d’occasions de sortir de chez soi !
l’une de mes voisines vivait très en retrait, restant
Souvent, les gens s’enferment par peur des autres,
“Dans le bâtiment F, on discutait, de temps en temps
souvent enfermée chez elle. Solitaire et discrète, elle
par crainte d’être soumis à une emprise, ou simple-
avec les voisins, en se croisant dans la cage d’escalier
ne faisait pas de bruit. Alors, j’allais parfois frapper à
ment parce qu’ils n’ont pas envie de parler. Ils sont
ou en bas de l’immeuble. On pouvait parler pendant
sa porte pour lui proposer une petite promenade, un
inquiets, toujours sur la défensive. Il est très difficile
une heure, avec untel, puis untel, avant de parvenir
peu de compagnie et pour faire en sorte qu’elle ne
d’entrer chez eux : nous sommes très souvent reçues
à rentrer chez soi ! Beaucoup de personnes seules,
reste pas isolée”.
sur le palier”.
Elles avaient besoin de voir du monde, de discuter un
“Parmi les femmes, […] beaucoup d’entre elles ont
“L’aumônerie et “Brin de causette” sont des modè-
“À Ar Santé, les difficultés du quotidien se com-
peu. Les gens qui travaillaient, on les voyait moins :
auparavant vécu et travaillé à Paris avant de reve-
les de lieux de rencontre qu’il est important de trou-
pensent par une plus grande solidarité : dès qu’une
souvent, ils rentraient chez eux assez tard. Le fait
nir s’installer à Lannion. Leurs maris sont décédés ;
ver dans les grands ensemble HLM. Il faut que les
famille se trouve dans le besoin, tout un réseau d’en-
d’habiter les uns au-dessus des autres et les uns à
leurs moyens financiers ont largement diminué. Les
gens, souvent isolés chez eux, puissent ne serait-ce
traide se met en place. Je me souviens par exemple
côté des autres, facilitait beaucoup les conversations :
enfants sont établis ; ils vivent loin, ailleurs ; la famille
que se croiser, se saluer. Connaître de visu son voisin
d’une maman de cinq enfants victime d’un malaise.
avec Yvonne, par exemple, il nous arrivait souvent
est dispersée. Parfois, ces femmes ne connaissent
rassure beaucoup. On ne peut vivre à Ar Santé,
Elle avait dû être hospitalisée. Dès que les voisins
de papoter par nos fenêtres ! Le matin, en ouvrant
pas leurs petits-enfants. Afin de se sentir moins seu-
sans prendre pleinement conscience de la douleur
eurent connaissance de la nouvelle, certains se pré-
nos volets, on demandait à l’autre si elle avait bien
les et pour éviter de payer un loyer trop important,
des gens. Beaucoup de familles monoparentales ou
sentèrent pour recueillir les enfants. La solidarité est
dormi ! Yvonne et moi nous entendions très bien”.
elles n’ont eu d’autre possibilité que de déposer une
recomposées vivent ici. Les enfants sont parfois en
Solidarité et convivialité
Mais ce qui caractérise toujours Ar Santé, c’est
cette belle solidarité entre habitants. Si certains
- par timidité ou par crainte - préfèrent rester
discrets, d’autres tentent - laborieusement
parfois - de sauvegarder la chaleur humaine qui
caractérise le quartier depuis trois décennies.
Rompre l’isolement : telle est la mission de
ceux qui souhaitent que vive encore et encore
Ar Santé.
sans emploi ou retraitées, occupaient ces logements.
52
53
grande difficulté, certains sont en échec scolaire.
groupe est extrêmement sympathique. De nouvelles
par des jeunes des cités mais aussi d’ailleurs. Les
quatre-vingt-dix, il y avait aussi la Fête du quartier :
Malgré tout, il y a peu de délinquance. Les person-
personnes viennent de temps en temps nous rendre
deux groupes, qui avaient de nombreux a priori, se
un événement majeur. On installait un chapiteau ; la
nes les plus démunies, les plus miséreuses, restent
visite. Si l’une est absente une ou deux semaines
craignaient mutuellement. Une véritable incompré-
journée était ponctuée de jeux, d’une kermesse, de
très souvent enfermées chez elles. On ne les croise
consécutives, sans raison apparente, une jeune
hension régnait. Nous avons dû alors leur parler :
concerts de musiques très variées, du traditionnel
qu’aux distributions des Restos du cœur, du Secours
femme du groupe se rend chez elle pour prendre de
nous les avons incités à s’apprivoiser et à s’ouvrir
breton au rap. La soirée s’achevait vers minuit avec
populaire ou du Secours catholique. Leurs très faibles
ses nouvelles et s’assurer qu’elle se porte bien. Ce
aux autres, à accepter et à comprendre les différen-
une espèce de bal disco. Cette fête attirait beaucoup
revenus ne leur permettent pas de vivre autrement.
groupe est très important pour elles. L’une ou l’autre
ces. Il est vrai que quand on est de l’extérieur, on
de monde, du quartier bien sûr, mais aussi de l’ex-
Mais cette misère reste cachée, anonyme. La pudeur
m’a dit : “Quand je suis là, je ne pleure pas”.
ignore tout de la façon dont on vit dans une cité. Les
térieur. Malheureusement, elle a disparu à la fin des
est de mise”.
Ce type de lieu de rencontre est absolument né-
médias, la télévision, nous en donnent une image
années quatre-vingt-dix faute de moyens financiers”.
““Brin de causette” est un lieu de rencontre, un
cessaire au cœur d’une cité : là, les gens peuvent
si négative ! Petit à petit, les jeunes se sont parlés
groupe de discussion, où chacune peut venir passer
exprimer leur souffrance sans être jugé, sans être
et ont appris à se connaître. L’aumônerie fut une
un moment, prendre un café, tricoter ou discuter.
montré du doigt. On essaie simplement de rassem-
expérience vraiment positive pour les adolescents
Certaines ne font que passer, d’autres s’installent.
bler, de parler, d’exprimer des émotions, des angois-
d’Ar Santé”.
Depuis que le local est ouvert, un petit groupe de dix
ses, sans colporter de ragots ou de médisances. On
ou quinze fidèles s’est constitué. C’est un lieu extrê-
écoute aussi beaucoup. Au fil du temps la confiance
“Grâce aux enfants, aux jeunes familles, le quartier
mement vivant et gai. Les participantes apportent
s’installe ; ces femmes s’apaisent. Ce petit moment,
était très animé. Les enfants suivaient les modes : au
selon leur bon vouloir et leurs moyens un paquet de
dans la semaine, leur permet de libérer des tensions
mois de mai, pendant le tournoi de Roland Garros,
café ou une boîte de gâteau et nous prenons un pe-
et de se régénérer dans un environnement neutre et
les enfants jouaient au tennis sur les pelouses ; en
tit goûter ensemble. J’interviens très peu : je cherche
serein. Elles savent qu’elles peuvent y venir quand
juillet, avec le tour de France, ils faisaient des courses
simplement à les relier pour les aider à parler entre
elles veulent et qu’elles seront toujours accueillies.
de vélo autour des immeubles ! Petite fille, je me
elles. Souvent la conversation s’amorce à partir de
[...] l’aumônerie des lycées de l’enseignement public
souviens avoir participé à un carnaval. Plus tard, ce
l’échange d’une recette, d’une idée pratique, d’une
s’était installée pendant un temps dans le petit local
carnaval fut remplacé par la fête de Halloween, ce
histoire… Alors, elles se racontent… un peu. Le
du bâtiment G. Cette aumônerie était fréquentée
qui n’enchanta pas tout le monde. Dans les années
54
55
Un quartier agréable
mais…
les mêmes. Autrefois, la plupart des appartements
Les habitants témoignent de la lente et
abritaient des familles souvent nombreuses et tou-
déjà dit que je n’aurais pas un pavillon du fait que je
jours modestes. Aujourd’hui, familles recomposées,
suis toute seule. Je suis très déçue. Je ne sais pas où
Mais, le contexte socio-économique morose,
mères célibataires ou couples de retraités doivent
je vais aller”.
la dégradation des bâtiments et le départ de
cohabiter dans un quartier en pleine mutation”.
Une pointe d’amertume et pourtant un attachement
nombreuses familles vers les quartiers neufs
au quartier. “Même si je dois dormir dans les com-
ont peu à peu raison de la pérennité de la cité
bles, je resterai à Ar Santé”, lâche-t-elle pour finir.
quadragénaire.
Des poubelles ont brûlé. Autrefois, dans les familles,
les parents travaillaient et imposaient une certaine
discipline à leurs enfants. Aujourd’hui, on s’autorise
une éducation plus permissive et il n’est pas rare
de voir de jeunes adolescents encore dehors après
21 heures. Depuis les années soixante-dix, la vie a
beaucoup évolué. Les gens, les femmes en particu-
La presse en parle :
“Vers la fin des années 80, la population a énor-
Se souvenir d’Ar Santé
mément changé. Il y a eu un basculement vers des
[…] Dans son appartement du bâtiment E,
populations sociales plus fragiles. ça a beaucoup
Mme Taillard met un point d’honneur à conserver l’as-
détérioré l’ambiance du quartier”, explique Paul qui
pect coquet de son F3. “Et pourtant, les radiateurs
vit sa retraite dans l’appartement de ses parents
fuient et l’électricité est défaillante”, n’hésite-t-elle
installés à Ar Santé depuis 1974. Bruits, insalubrité,
pas à dire. Depuis plus de vingt-cinq ans, elle occupe
insécurité, peu vont regretter les appartements très
le même appartement : “Quand je suis arrivée, le
sonores d’Ar Santé. C’est plutôt la nostalgie d’une
quartier était impeccable, il y avait de bonnes rela-
époque qu’ils évoquent.
insidieuse mutation du quartier :
“Avant les années quatre-vingt-dix, le quartier était
vraiment tranquille. Mais ensuite, il y eut quelques
soucis : vols de vélos ou de mobylettes, forçage des
portes de caves, squatte des caves et des cages
d’escaliers par des bandes de jeunes, tags dans les
bâtiments. En 2005, la police dut intervenir pour
enquêter sur des scooters et des pièces de scooters
retrouvés dans une cave. Une autre année, mon frère
se fit voler tout un stock de bouteilles de vin qu’il
avait entreposé dans sa cave ! Dans certaines caves,
des locataires avaient laissé de vieux sommiers. Je
n’avais qu’une crainte : que le feu prenne dedans. Vu
ces incidents, je n’osais plus y descendre”.
tions”. Une certaine émotion pointe dans la voix de
lier, ont exigé plus de libertés, moins de contraintes.
la dame. “Maintenant, je ne connais plus personne.
[Il n’est pas certain] que ces acquis n’aient eu que
Le Trégor, 12 mai 2005, p. 39
Les choses ont beaucoup changé et pas en bien. Il
des effets positifs sur la vie quotidienne. Oui, Ar San-
y a beaucoup de bruit et surtout de la délinquance.
té a beaucoup changé depuis 1975, mais pas tant du
Régulièrement, je suis obligée d’appeler les policiers.
point de vue matériel que du point de vue humain.
Il y a eu le feu dans ma cave. Il y a quinze ans que je
Si les bâtiments n’ont pas bougé, tout au plus se
demande à déménager. Malheureusement, on m’a
sont-ils dégradés, les gens eux ne sont plus du tout
56
57
Une cité vieillissante
Les propriétaires d’animaux pourraient faire un peu
“[…] au fur et à mesure que les locataires chan-
Les jeunes familles ne se sont pas renouvelées.
d’enfants ici : la plupart des familles avec enfants
peut-être plus tranquille et moins bruyant mais, en
gèrent, l’ambiance s’avéra différente. Les enfants
Beaucoup ont déjà quitté la cité. Pour ceux qui
sont parties à la gare ou à Buhulien”.
retour, il est aussi moins vivant et moins dynamique.
grandirent et quittèrent Ar Santé. Certaines familles
restent, les relations de voisinage se dégradent.
Le “p’tit café de Nelly” a créé un peu d’animation
déménagèrent. Les gens devinrent plus individua-
Les immeubles s’abîment faute d’entretien et
La reconstruction du quartier est une bonne chose. À
et il fait désormais partie de la vie d’Ar Santé. Tous
listes, se consacrant essentiellement à leur cellule
de mise aux normes. Une page est en train de se
l’heure actuelle, les appartements ne respectent plus
les jeudis, nous nous retrouvons dans le local du bâ-
familiale. La convivialité qui caractérisait si bien
tourner…
aucune norme. On a peur d’avoir un accident ne
timent G pour discuter autour d’un café chaud. Au
Ar Santé disparut peu à peu. Qui plus est, il est vrai
fil du temps, un noyau de fidèles s’est formé. Je re-
que quand on travaille, on n’a pas nécessairement
grette d’ailleurs qu’il n’y ait pas un peu de sang neuf
envie de voir du monde le soir”.
“Depuis quelques années, la cité a beaucoup chan-
Depuis quelques mois, nous y retrouvons toujours les
gé. Suite aux déménagements de plusieurs familles,
mêmes personnes”.
il y a beaucoup moins de monde. Le quartier est
pour renouveler les personnalités et les discussions.
plus attention. Mais de toute façon, il reste très peu
serait-ce qu’avec les prises électriques.
“Quant à l’immeuble par lui-même, au fil du temps,
ce sont des problèmes d’isolation thermique qui
nous posèrent quelques soucis : notre appartement
La presse aussi tire la sonnette d’alarme :
se trouvait juste au-dessus des caves si bien que le
Des appartements vétustes
froid et l’humidité remontaient dans notre logement.
“Je suis content de partir, c’est vétuste, c’est une
Malgré cela, grâce à un entretien soigné, jamais
horreur !”, lance d’emblée Émile […], locataire pour
notre logement ne présenta de vrais problèmes
quelques jours encore [...].
d’humidité”.
Pour ce père de famille comme pour la plupart des
foyers qui quitteront Ar Santé en février, le relo-
“Aujourd’hui, les rares jeunes parents qui habitent
gement est un moyen de laisser derrière eux des
encore ici n’osent pas laisser leurs enfants jouer seuls
immeubles qui “ont fait leur temps”. Mais aussi, un
dehors. Cela est dû certes à un problème de sécurité
temps de trop.
mais aussi à une question d’hygiène : les bacs à sable
Michel [...], locataire [...] constate : “Quand nous
et les aires de jeux sont salis par les crottes de chiens.
58
59
sommes arrivés ici, il y a treize ans, c’était une véri-
il faut régler le thermostat à 25 degrés”. Et l’on
table porcherie. Les personnes qui étaient là avant
oublie les fameuses baignoires devenues célèbres
nous faisaient de la mécanique dans l’appartement.
dans le quartier”.
Il a dû être entièrement refait. Il y en avait eu pour
“Ar Santé : derniers regards de relogés”, Le Télégramme, mercredi
26 janvier 2005, p. 12
30 000 francs de travaux”.
De l’adhésif sur les prises
Au “E”, les dalles PVC du couloir ont été enlevées.
Le béton brut y sert de sol. Le plafond laisse voir les
couches de plâtre qui le constituent. Et les prises
Dedans, dehors, juin 1996
de la cuisine tiennent avec du ruban adhésif quand
elles ne sont pas arrachées. “ça aurait fait dix-sept
ans en avril que je suis ici. C’est pourri. Rien n’est
aux normes. Quand je suis arrivée, ça ne me plaisait
Jacques, habitant d’Ar Santé de 1991 à 1999.
Devant le bâtiment B, juin 1996
pas. Alors je n’ai jamais refait”, témoigne la locataire
de l’appartement [...], une mère célibataire, avec
cinq enfants.
Même si tous les appartements de la cité ne sont pas
ainsi, les futurs-ex d’Ar Santé fustigent à la quasiunanimité l’état des logis : “C’est humide, les fenêtres sont vétustes, les pertes de chaleur sont énormes. Si on veut avoir 20 degrés dans l’appartement,
Jacques et sa fille, mai 1988
60
Véronique et Angélique, septembre 1994
Fête du quartier, juin 2002
Bâtiment A, 1997
Fête du quartier, cochon grillé, juin 2002
Fête du quartier, juin 1999
Fête du quartier, juillet 2003
Quel
visage pour
demain ?
Le projet de
requalification urbaine
indique Patrice Kervaon, le premier adjoint. Ainsi, la
mixité sociale est-elle un thème cher au projet qui
prévoit la cohabitation d’immeubles et de pavillons.
Oubliés les grands ensembles : “On ne construira
2002. Alors que la rumeur perdure depuis des
que du R + 2 (rez-de-chaussée + 2 étages)”, répond
mois, l’annonce du projet de requalification
Alain Gouriou, le maire, à Jean-Yves Callac (liste
urbaine est enfin officielle :
“Sous le chêne vert”) qui craint que les immeubles
fassent ombrage aux pavillons. [...]
Les réactions ne se font pas attendre :
tions initiales diffusées auprès des habitants n’ont
pas toujours été claires et précises. Je regrette un vrai
“Le projet de renouvellement est un beau projet.
manque de transparence de la part des institutions.
Nous sommes tous un peu perturbés par ce que
Les interrogations se sont accumulées les unes aux
cela implique : double déménagement, travaux,
autres : les locataires du F allaient-ils devoir partir vers
poussière, bruit… mais on est bien obligé de suivre.
Kerlitous ? Ceux qui resteraient déménageraient-ils
Je sais pertinemment que mon tour viendra. Dans
une fois ou deux fois ? Quels frais ces déménage-
quelques mois, je devrai quitter mon appartement.
ments engendreraient-ils ? Qui paieraient quoi ? Ces
Je serai certainement moins prise au dépourvu que
questionnements suscitèrent de très fortes angoisses.
les habitants du F3 informés de leur déménagement
L’avancement du projet a été présenté en con-
4 quartiers et 326 logements sociaux neufs
seil municipal hier soir.
Dès qu’ils quitteront leur logement, les habitants
Le futur Ar Santé se dessine.
d’Ar Santé ancien seront relogés sur le site, à Kerli-
Plus de 300 logements sociaux neufs seront cons-
tous, à Rosalic (gare) ou à Buhulien. Chacun pourra
truits à Ar Santé, Kerlitous, Rosalic et Buhulien. La
choisir où il souhaite habiter : au total, 235 loge-
ville se charge des aménagements extérieurs [...].
ments locatifs seront proposés [...]. Les personnes
À l’heure des déménagements, au mois de mai,
quelques semaines à peine avant la date prévue !
certains locataires qui vivaient là depuis trente ans,
Je serai préparée et même si, quand cela arrivera,
durent quitter un appartement dans lequel ils avaient
une montée de stress m’envahira, cela sera toujours
toujours vécu, un appartement habité par des sou-
moins difficile à vivre. Ce sera un déchirement de
venirs et des émotions. Ces gens emménageaient
partir d’ici mais si les autres l’ont fait alors je ferai
alors dans un autre logement qui n’était pas le leur
comme eux !”.
relogées seront prioritaires et paieront un loyer
Ce sont d’abord les locataires des 127 logements
identique à l’actuel. [...] Les constructions devraient
sociaux du quartier d’Ar Santé “ancien” qui vont bé-
débuter à la fin de l’année et les premiers déména-
néficier du programme de “requalification urbaine”.
gements en 2003. C’est l’office HLM, propriétaire
Le long de l’avenue de Park Nevez, les immeubles
des logements locatifs, qui est opérateur. La ville se
seront démolis progressivement. Et les locataires re-
charge des aménagements extérieurs [...].
logés. Le futur visage d’Ar Santé se dessine, d’abord
Ouest-France, mardi 26 mars 2002
sur le papier, autour d’une volonté : “Qu’il ne sub-
et qu’ils trouvèrent forcément beaucoup moins bien.
Un mal-être s’installa. Mais que faire ?
“Le programme de requalification, avec les nom-
Les habitants se sentent délaissés. Les quartiers ont
breux départs que cela impliqua, a eu des effets
toujours cette impression que les élus ne s’intéres-
négatifs sur la convivialité du quartier. Les personnes
sent à eux qu’en période électorale, une fois tous
âgées qui habitent encore ici vivent souvent très
les six ans. Cela est un peu vrai ! Peu d’élus vont à
mal cette situation. Pourquoi ? Il me semble que la
la rencontre des habitants des quartiers en dehors
mise en œuvre du projet a été trop lente, suite à de
des périodes électorales. Par ailleurs, il est extrême-
multiples modifications et autres aléas ; les explica-
siste qu’un quartier, pas un ancien et un nouveau”,
ment difficile de les faire sortir de chez eux et de
66
67
les réunir dans un lieu collectif : vivant souvent dans
ce qui se produit déjà à Kerlitous : les appartements
années 60 ont fait leur temps. Aujourd’hui, la Ville
La reconstruction
une grande précarité, ils refusent de participer à des
ressemblent davantage à des maisons particulières ;
de Lannion et Côtes d’Armor Habitat (anciennement
125 logements seront reconstruits sur le site d’Ar
réunions publiques par peur d’être jugés. Il est donc
chacun rentre chez soi directement, sans monter une
office HLM) privilégient les petits ensembles locatifs
Santé : 95 en collectif et 30 pavillons (10 dans une
nécessaire d’aller vers les habitants, de discuter avec
cage d’escalier dans laquelle il serait susceptible de
de deux étages, plus conviviaux et propices à une
première phase). Lancement de l’appel d’offres
eux, chez eux, dans leur quartier”.
rencontrer un voisin. Peut-être alors nous rencontre-
plus grande mixité sociale. L’aménagement paysager
prévu en mars. 105 autres logements seront répartis
rons-nous sur le trottoir en allant chercher le courrier
devrait également être soigné avec, dans les pro-
ailleurs : 18, déjà terminés, à Rosalic ; 12, en cours
ou en descendant les poubelles…”.
positions adoptées par la Ville, la plantation d’une
de finition, à Buhulien ; et 75 à Kerlitous, derrière la
aurons un peu plus d’espace. ça va nous changer
bambouseraie au cœur du quartier.
caserne des pompiers (14 pavillons et 61 logements
des vieux immeubles. On a visité un logement à
Comme tous les projets d’envergure, la “requalifica-
intermédiaires).
“Je suis contente qu’Ar santé soit reconstruit. Nous
“Ne vois-tu rien venir ?”
Kerlitous et c’est vraiment bien. Notre appartement
aura trois chambres ce qui nous permettra d’avoir
Peu à peu, le projet se précise. Le manque
chacun la nôtre. Maman m’a dit qu’on aurait des
d’informations et d’écoute se fait sentir.
baies vitrées et qu’on pourrait voir tout notre corps
Un fossé se creuse entre les habitants et les
dedans !”.
responsables du projet de renouvellement.
tion urbaine” d’Ar Santé a pris un certain retard. Les
premiers coups de pelleteuse touchant aux “barres”
d’Ar Santé n’interviendront pas avant l’automne
2005. Pour autant, le déménagement des familles
pas du luxe ! Depuis le temps qu’on nous propose
calendrier - qui ne sont pas communiqués aux
un appartement tout neuf ! J’ai hâte de découvrir
habitants pendant des mois - sont présentés en
La démolition
ces beaux appartements, modernes et propres. Cette
2005 :
Elle concernera 127 logements, c’est-à-dire les
bâtiments A à G, la partie la plus récente du quar-
venir s’installer ce qui va certainement redonner vie
tier (bâtiments H, I et J) restant en place. Les barres
projet
Les grandes barres d’immeubles construites dans les
duelles, on croisera moins de voisins. C’est d’ailleurs
68
d’autres, désarçonnés par le manque
veau lotissement de Rosalic.
rénovation va permettre à de nouvelles familles de
figuration des immeubles : avec des entrées indivi-
lassitude face à la lenteur des démarches ;
pour ceux qui ont fait le choix d’emménager au nou-
L’échelonnement des phases de travaux et le
Requalification urbaine : en quoi consiste le
De nombreux habitants témoignent d’une
concernées démarre, lui, dès la fin de cette semaine
“Il est temps de reconstruire Ar Santé. ça ne sera
au quartier. Ce que je crains c’est la nouvelle con-
“Ar Santé : derniers regards de relogés”, Le Télégramme, mercredi 26 janvier 2005, p. 12
d’informations, appréhendent l’avenir. Que va
devenir leur cité ? Vont-ils devoir la quitter ?
Pour aller où ? Faudra-t-il déménager une fois,
deux fois ? Certains, les célèbres “Berniques”
crient haut et fort que rien ne les fera quitter le
quartier. Les témoignages sont éloquents…
d’immeubles seront détruites progressivement,
d’automne 2005 jusqu’en 2009.
69
si bien le quartier”.
“Il y a quinze ou vingt ans, [on entendait déjà parler]
de démolition. Puis, une rumeur courut à la fin des
travail d’équipe. Mais dans l’ensemble, tout fut très
Les logements de Kerlitous devaient sans doute servir
bien organisé. Avec le recul, il me semble que [nous
au mélange. Mais la pente est forte et glissante !
années quatre-vingt-dix. En 2000, les institutions
“À l’annonce du projet de renouvellement, “[...] j’ai
avons été] correctement accompagnés : on [nous] a
Au fait, le chantier de Kerlitous devait quand même
firent une première annonce officielle. Les habitants
ressenti beaucoup d’anxiété chez les habitants. Le
écouté afin d’essayer de respecter les choix de cha-
commencer ?
s’y attendaient mais tout cela resta relativement
manque d’information engendrait une certaine ap-
cun et ce, malgré les contraintes matérielles”.
Il reste désert. Un appel d’offre était lancé mais im-
abstrait pendant longtemps. Il est certain qu’Ar San-
préhension. J’entendis souvent des personnes dire :
possible d’avoir les résultats.
té ancien était en très mauvais état mais les gens
“J’espère qu’ils ne vont pas me mettre là…”, comme
Est-ce que les budgets prévus ne seraient pas un peu
y avaient leurs repères : c’était leur lieu de vie. À
si ces personnes s’identifiaient à du mobilier ! Pour-
Ar Santé démolition. Le locataire dépité.
mesquins compte tenu du coût de la construction ?
l’époque des toutes premières réunions, les habitants
tant, Côtes d’Armor Habitat est allé à la rencontre
Trucs, magouilles et autres…
Sur quoi va-t-on rogner cette fois-ci ? Les fenêtres,
ne prirent pas conscience des conséquences qu’un
des gens, de façon individuelle, pour recueillir leur
Nous sommes baladés par les HLM, la Ville et tous
les salles de bain ou sur le nombre de logements ?
tel programme aurait sur leur quotidien. Les années
avis et confirmer que leur souhait serait entendu.
ceux qui profitent de la démolition des 127 loge-
Pourquoi les chantiers d’Armor Habitat destinés à
passèrent ; le projet prit du retard. On informait
Malgré cette démarche, les gens doutèrent : ceux qui
ments d’Ar Santé pour semer le trouble dans les
l’accession à la propriété n’ont-ils pas démarré ?
avant de désinformer. Certains habitants se sentirent
souhaitaient rester à Ar Santé craignirent longtemps
esprits.
Ceux qui savent lire et qui ont du temps, peuvent
“ballottés”, d’autres eurent l’impression d’être me-
d’être déplacés vers Rosalic ou Kerlitous. D’autres fu-
Quand et où serons-nous relogés ? Toutes les ques-
consacrer leurs insomnies aux discussions sur les par-
nés en bateau. D’une certaine façon, on les a laissé
rent pris un peu de court : les habitants du bâtiment
tions restent sans réponses alors que des chantiers
ties de cache-cache dans la bambouseraie d’Ar Santé
“macérer”. On a ensuite tenté de les faire quitter Ar
F3 surent très peu de temps avant la destruction du
avancent à Buhulien et Rosalic. 30 logements seront
dans les PV du Conseil municipal !
Santé pour les reloger dans d’autres quartiers. Mais,
bâtiment F qu’ils devraient eux aussi le quitter et
livrés en février prochain. À qui sont-ils destinés ?
pour quelques-uns, Ar Santé représentait tout : un
déménager deux fois. D’autres ressentirent un senti-
Il faut, paraît-il pratiquer la “mixité sociale”, ce qui
lieu de vie certes mais aussi une existence avec ses
ment de panique : les choses allaient trop vite. [...]
doit vouloir dire mélanger des vieux avec des jeunes,
souvenirs, ses joies, ses peines… Un véritable senti-
Tout s’est ensuite plus ou moins apaisé. La parole,
des chômeurs avec des gens qui travaillent, des Bre-
ment d’appartenance caractérise ces personnes qui
claire et précise, est un bon moyen de rassurer les
tons et des pas Bretons !
ne peuvent envisager de quitter le quartier. Proba-
personnes. [...] L’accompagnement des personnes
Mais comment faire ce grand mélange alors que les
blement, craignent-elles de ne pas retrouver ailleurs
est du ressort des associations ou du centre social.
nouvelles constructions permettent juste de reloger
cette solidarité et cette convivialité qui caractérisent
Un programme de requalification demande un vrai
les familles des bâtiments A et G ?
70
Publié par le Syndicat autonome et libertaire AS, décembre 2004.
“On nous a parlé de la transformation d’Ar Santé
dès 2001. Ce processus de requalification fut une
catastrophe. Dès 2001, on nous demanda d’être
prêts à faire nos cartons. Des réunions informelles de
locataires s’organisaient spontanément sur les trot-
71
toirs : nous ne savions plus à quel saint nous vouer.
commencer, je dus descendre pour je ne sais plus
Savidan. Le maire et des responsables de Côtes d’Ar-
Les entrepreneurs contactés pour les travaux étaient-
Nous attendions, puis, on nous mettait la pression.
quelle raison. Arrivée dans l’entrée de l’immeuble,
mor Habitat nous avaient présenté le projet, nous
ils trop exigeants ? Nous avons entendu différentes
Chaque fin d’année, nous ne savions même pas où
je découvris, stupéfaite, un écriteau placardé sur le
assurant que nous aurions de beaux appartements
versions pendant ces six ans. Au bout du compte,
nous allions passer Noël. Beaucoup d’habitants ont
panneau d’affichage : Ar Santé sera prochainement
tout neufs pour un loyer identique. Les travaux
nous ne savions plus quoi penser. Si encore on nous
souffert de l’attente et de l’incertitude du lendemain.
“rasé”. Qui avait eu vent de cette information ? Qui
devaient démarrer dans les mois à venir ! Puis, cela
avait tenus informés de l’évolution du projet ! Même
On nous communiquait toutes sortes d’informations,
avait apposé cet avis ? Était-ce véritablement une in-
prit du retard… de plus en plus de retard. Il est vrai,
aujourd’hui, les travaux avancent doucement. Cer-
parfois contradictoires. Les réunions officielles nous
formation ou bien une très mauvaise blague ? À cet
qu’entre-temps il y eut l’incendie de Ker-Uhel. Est-ce
tains jours, il n’y a aucune activité sur le chantier !”.
inquiétaient encore plus : les responsables semblaient
instant précis, je ne sus que penser. Mais mon sang
cet événement qui retarda le chantier d’Ar Santé ?”.
ne pas en savoir beaucoup plus que nous ! Nous
ne fit qu’un tour : si ce qu’annonçait cette affiche
étions si angoissés ! À côté de cela, on nous a très
s’avérait exact, à quoi cela rimerait-il que je retapisse
“Nous avons pris connaissance du projet de requa-
ment par hasard, à l’occasion du déménagement de
peu accompagnés. Peut-être aurait-il fallu diriger
à neuf tout un appartement qui serait détruit dans
lification du quartier en 2000. Un représentant de
l’un de mes voisins. Il m’avait dit : “Ar Santé va être
certains d’entre nous vers un psychologue, une
les prochains mois ?
Côtes d’Armor Habitat était passé nous voir pour
démoli. Alors, nous, on part “en maison !”. Cette
personne qui aurait su écouter nos angoisses et nous
Je suis immédiatement remontée chez moi. Mes
nous exposer le projet et nous demander où nous
personne savait déjà ce qui se tramait. Plus tard, en
aurait permis d’exprimer nos craintes”.
amis m’attendaient. À leur grand étonnement,
préférerions vivre : rester à Ar Santé ou déménager
étudiant les archives, je découvris que le projet de re-
je leur dis que je n’avais plus besoin de leur aide ;
pour Rosalic ou Kerlitous. À ce moment-là, nous
nouvellement datait déjà de 1993. Or, il n’a été évo-
“Je pris connaissance d’un éventuel projet de recons-
que je n’avais plus du tout envie de redécorer mon
étions ravis. On nous promettait un appartement
qué publiquement qu’en 2000 ! Lors de la première
truction du quartier en 1998. J’en ai un souvenir très
appartement. Je leur expliquai. Ils tentèrent de me
neuf, fonctionnel et moderne dans les deux ans.
réunion, qui eut lieu au centre Savidan, le maire nous
précis. Cette année-là, j’avais pour projet de redéco-
dissuader, invoquant qu’il s’agissait probablement de
Au fil des mois nous avons vu plusieurs familles
rassura : “Vous aurez la même surface pour le même
rer mon appartement. J’avais demandé à un couple
l’œuvre d’un plaisantin. Mais ils ne parvinrent pas à
quitter le quartier pour s’installer à Rosalic, puis à
loyer !” et nous apporta quelques premiers détails.
d’amis de venir me donner un petit coup de main.
me faire changer d’avis : “dans le doute abstiens-toi”
Keritous. Ces premiers déménagements ont rendu
On nous annonça aussi la visite prochaine d’un
J’avais tout acheté : papier peint, colle, brosse… et
disait le proverbe !”.
les choses de plus en plus concrètes : Ar Santé
représentant de Côtes d’Armor Habitat chargé de
s’endormit peu à peu. Le temps passait ; les choses
nous réexpliquer individuellement le projet, de nous
tout prévu pour que nous puissions rapidement nous
“J’ai appris la requalification d’Ar Santé, absolu-
mettre au travail.
“La requalification ? Je me souviens en avoir entendu
traînaient de plus en plus. Que s’est-il passé toutes
montrer les plans et d’écouter nos désirs. Dès lors,
Le jour dit, mes amis sont venus. Mais, avant de
parlé pour la première fois à une réunion au centre
ces années ? Y a-t-il eu des problèmes de budgets ?
les informations ne cessèrent de circuler.
72
73
Le problème de la requalification urbaine réside
ble que les gens ont besoin qu’on pense pour eux.
au fil des mois, des années, nous avons déchanté.
représentant des HLM est passé chez nous pour nous
autour de sa conception : elle est perçue comme une
En revanche, ils n’ont pas besoin qu’on les angoisse.
Aujourd’hui, nous en avons marre : marre d’attendre,
demander quel type de logement nous souhaiterions
activité émiettée et se trouve prise en charge par une
Or, dans l’opération Ar Santé, on a fourni de l’in-
marre que l’on nous mène en bateau, marre de ne
dans l’avenir. Si nous n’avons pas vraiment participé
multitude de responsables : ville, cabinets d’architec-
formation trop floue, trop incomplète, ce qui a eu
pas savoir ce qui nous attend…”.
aux décisions, on ne peut pas dire non plus qu’on
tes, office HLM, entrepreneurs, etc. D’autre part, il
pour effet de faire monter l’angoisse des habitants.
faudrait, avant toute opération de cette envergure,
On a lancé l’opération en 2000, sans que personne
Lors des premières réunions d’informations en 2001,
on ne nous a pas laissé le choix. Mais nous avons
avoir établi un budget et disposer réellement des
ne sache quand elle allait véritablement commencer
on disait que les travaux commenceraient en 2002.
toujours été informés de l’avancement du projet. Il
fonds. Il apparaît incohérent de voter un tel pro-
et se terminer, comment les entrepreneurs allaient
Au fil du temps, les délais se sont allongés… Les
est vrai que l’information reçue n’est pas toujours
gramme sans disposer du financement !
procéder. L’angoisse est montée. Pour qu’une telle
habitants se sont découragés. Les promesses qu’on
la même que celle qui a été transmise ! Aussi y a-t-il
Il faudrait repenser les opérations de requalification
opération se déroule bien, sans angoisse excessive, il
leur faisait étaient sans cesse ajournées. Les gens se
eu quelques incompréhensions entre les habitants
urbaine de façon plus cohérente et plus participative.
faut livrer des informations sûres - tel est le rôle des
sont peu à peu désintéressés du projet. Ils se sont
et les institutions. D’un point de vue méthodique,
Mais pourtant, paradoxalement, il me semble que la
élus - et offrir un temps de parole - tel est le rôle des
démotivés.
seule une chose me paraît encore incompréhensible :
participation des habitants ne serait pas productive.
associations ou des groupes d’habitants. Le récep-
Pourtant, les choses ont été relativement bien
pourquoi n’a-t-on pas démoli les bâtiments “F” et
Le projet prendrait du retard. Je crois que beau-
teur doit comprendre l’information pour être calmé
organisées. Les habitants ont été consultés indivi-
“G” en même temps ? Il aurait été peut-être plus
coup de gens sont incapables de penser l’avenir : ils
et évacuer son angoisse. Certains, les plus âgés, se
duellement. On a tenté, dans la mesure du possible,
judicieux de nous reloger dans les bâtiments du fond
vivent dans le présent, dans le passé, mais envisager
sont résignés ; d’autres ont déménagé et enfin, il
de prendre en compte les désirs de chacun et de les
afin de détruire ensemble le “F” et le “G”. Je ne
l’avenir leur fait très peur. Dès qu’il est question de
y en a qui ont pris conscience des choses quand la
respecter. Au mois de mai, les déménagements ont
comprends pas qu’il faille procéder en deux phases.
compétences, quelles qu’elles soient, professionnel-
démolition fut effective. Ce genre d’opération ne
été pris en charge. Tout a été fait pour maintenir
Malgré quelques interrogations qui subsistent quant
les, esthétiques ou autres, les gens se replient sur
peut pas être mené réellement avec les habitants.
les locataires dans leur quartier dans les meilleures
à l’organisation des travaux, je pense que nous avons
eux-mêmes et ne parlent plus. Les gens ne veulent
En revanche, il faut inciter les gens à s’en mêler de
conditions possibles compte tenu des contraintes
bénéficié d’assez d’informations et d’un espace de
pas parler aux institutions. Le problème de communi-
façon informelle.
matérielles.
parole suffisant. Les réunions, mais surtout le “p’tit
ait subi quoique ce soit. Oui, pour certaines choses,
café de Nelly”, sont des endroits où nous avons pu
cation, finalement, ne vient pas des institutions mais
bel et bien des habitants eux-mêmes. Et cette réalité
Alors quand on nous a exposé le projet de requali-
“Contrairement à ce que d’autres disent, je pense
nous rencontrer entre nous et extérioriser nos inquié-
est profondément ancrée dans les esprits. Il me sem-
fication oui, nous étions d’abord très heureux. Mais
que les institutions ont fait leur travail. Dès 2001, un
tudes et nos doutes”.
74
75
“Que dire sur ce programme de renouvellement
nalisées par les membres de Côtes d’Armor Habitat,
Quarante ans de la vie de Lannion. Un quartier qui
rent des personnes désireuses de connaître ce passé
urbain ? Pour moi, on nous a mis dehors sans nous
le nouveau nom de l’Office HLM, ont finalement
va totalement être transformé. Impossible pour les
mais surtout, de comprendre le présent. Cet atelier
demander notre avis. Les HLM ont tout décidé, tout
porté leurs fruits à partir de fin 2003, et les premiers
responsables sociaux de laisser s’évaporer les souve-
fut un lieu de circulation de l’information extrême-
pris en charge. Nous avons eu à subir un déménage-
déménagements, en février 2005, ont permis aux
nirs : “On a tenu à mettre ce groupe en place pour
ment important. Il exerçait un tel contrôle de l’infor-
ment - et nous en subirons un second dans quelques
habitants d’entrer dans la phase concrète.
conserver des traces de l’histoire de Lannion”, expli-
mation que ses membres étaient invités à siéger aux
mois -, des problèmes de paperasseries… Tout cela
[...] Un à un, les volets se ferment dans les bâtiments
que Christophe Masure, responsable social.
côtés des institutions après les comités techniques
m’a “chavirée”. Jamais on ne nous a demandé notre
E, F et G. La démolition du premier bâtiment aura
Du coup, chaque premier jeudi du mois, depuis
mensuels !
avis sur ce projet. Aux premières réunions, dans le
lieu début 2006.
presqu’un an, un petit groupe se réunit autour de
bâtiment G, personne n’était capable de nous dire si
Le Trégor, 12 mai 2005, p. 39
ses souvenirs. [...]
Pour cela, l’atelier-mémoire fut finalement une excel-
nous subirions un ou deux déménagements. En ce
“J’ai eu l’occasion à un moment de faire construire.
lente idée. Un certain nombre d’habitants y vinrent
qui me concerne, je devais n’en faire qu’un et j’ai su,
Et puis, j’ai pas fait. C’est comme ça”. Marie-Louise
puis, au bout de quelque temps, nous n’étions plus
en avril, que je devais quitter mon appartement car il
ne regrette pas. Et pourtant, en 39 ans à Ar Santé,
que deux à le faire vivre. À l’annonce de la démoli-
elle a connu en janvier dernier son premier déména-
tion du bâtiment F, on vit revenir quelques membres
gement. Elle est maintenant installée à Rosalic et ne
du groupe : l’atelier-mémoire se mua doucement
L’Atelier mémoire
allait finalement être démoli !
regrette pas non plus.
en groupe de parole. Alors, on créa le “p’tit café”,
[...] Beaucoup reconnaissent avoir eu un choc à l’an-
[...] “Il n’y a pas eu de grands événements dans
Elle ne veut pas être prise en photo mais les souve-
groupe de parole thérapeutique, post-traumatique.
nonce de la démolition du quartier.
l’histoire de notre cité. Mais une vie quotidienne où
nirs reviennent au fil de la discussion.
Les habitants qui y participaient se sont souvenus
[...] “On s’est posé plein de questions. On s’est dit
la jeunesse a joué un rôle essentiel” souligne Jean-
de certaines choses au moment où ils allaient les
Le Trégor 12 mai 2005, p. 39
mais qu’est-ce qu’on va faire de nous ? À un mo-
Marie Villette, le premier des locataires à avoir reçu
ment donné, on s’est même découragé car on ne
les clés de son nouvel appartement à Rosalic. C’est
voyait rien venir de concret. Mais il fallait sans doute
justement pour raconter tous les petits moments de
laisser du temps au temps”, soulignent les membres
la vie quotidienne de ce quartier qu’a été lancé à
Les responsables du projet commirent l’erreur de
de l’atelier-mémoire. Les réunions se sont multi-
l’initiative du centre social en juin 2004, l’atelier-mé-
miser sur ce qui était alors à la mode : le passé. Le
pliées, les explications aussi. Les rencontres person-
moire.
centre social créa l’ “atelier-mémoire” où se réuni-
76
perdre. D’autre part, la discussion, l’accueil, l’ouverture permettaient aux participants de partager les
informations et d’évacuer leur angoisse. Le manque
d’information crée une situation d’inhibition de
l’action : on n’a pas les éléments pour agir. Cette
situation conduit ou à l’agression - ce qui n’a pas eu
77
d’Ar Santé et des Fontaines.
lieu - ou à la mort - ce qui n’a pas eu lieu également
fort heureusement. Le “p’tit café” a probablement
Dimanche, au centre St-Elivet, quelque 80 person-
permis de limiter les conséquences. Dans un espace
nes ont dégusté la galette des rois. Peu importe la
où l’information circule librement, l’angoisse est
réunions chaque lundi du mois de novembre jusqu’à
la mi-décembre. On a fait les affiches, les invitations,
L’une des femmes à l’initiative de ce projet nous
qu’on a distribuées dans les boîtes. On a relancé les
raconte à son tour :
gens, fait les courses. Nos maris nous ont aidées”.
“Il y a deux ou trois ans, avec quelques amies d’ici et
couronne, les habitants d’Ar Santé et des Fontaines
maîtrisée : les gens ont vécu la mort du bâtiment F
certes, mais ils ne l’ont pas vécu seuls. Le premier
jour du démantèlement, le “p’tit café” fut exceptionnellement ouvert : il était plein à craquer”.
Faire la fête en
attendant
“Les gens viennent nous embrasser”.
tagé une soirée raclette, le 14 décembre dernier.
Le résultat fut à la hauteur des efforts : pour 5 €,
Un groupe de huit habitantes du quartier a mis
70 personnes ont mangé de la raclette dans une
sur pied ces animations, sous l’impulsion d’Annie
bonne ambiance. “Les appareils à raclette n’ont pas
Peigné, directrice du centre St-Elivet. “Le centre a
fonctionné, mais tout le monde était content. On a
contacté ces personnes, qui se connaissent déjà pour
fait venir au centre des gens qui n’y venaient pas. Il
pratiquer des activités ensemble, afin de monter un
y avait des personnes que nous ne connaissions pas,
projet dans le cadre d’un Fonds d’Initiatives Locales”,
maintenant elles nous disent bonjour, elles viennent
raconte Annie Peigné.
nous embrasser. À force de discuter, on passe une
Les fêtes traditionnelles disparaissent. Mais le nouveau siècle voit l’arrivée de belles initiatives et les
Devant le sous-préfet
habitants se retrouvent autour de nouvelles activités,
Les huit femmes ont ensuite mené leur barque, y
de repas ou d’excursions.
compris auprès du jury chargé de l’attribution des
fonds. “Il y avait le sous-préfet, M. Kervaon, M. Collet”, racontent Marie-Claire et Mireille, qui se sou-
Huit femmes animent la vie de quartier
viennent d’avoir été impressionnées au début. “Mais
Elles sont huit femmes à avoir décroché un pre-
le projet a été accepté en un quart d’heure et nous
mier prix. Pas un César du cinéma comme promis à
avons eu une subvention de 837 €. Ils nous ont dit :
d’autres, mais la première aide du Fonds d’Initiatives
bon courage, le plus dur commence !”.
Locales pour mettre de l’animation dans leur quartier
Et la suite ne fut pas de tout repos. “On a fait des
78
des Fontaines, nous avons entrepris d’organiser une
étaient ravis de se retrouver après avoir déjà par-
sortie à Lorient pour assister au spectacle d’Holiday
on Ice. J’avais vu une publicité pour cet événement
dans un catalogue de jouets de supermarché. Cela
m’avait fait envie ! J’en avais parlé à mes amies et
nous avions décidé de tout mettre en œuvre pour
pouvoir y aller. Il nous fallait par conséquent rechercher un financement. Annie, la responsable du
centre St-Elivet, nous a parlé du Fonds d’initiatives
locales : une subvention accordée aux habitants
heure à faire nos courses !”.
des cités porteurs d’un projet collectif. Notre projet
Leur initiative a dynamisé la vie dans le quartier, déjà
entrait dans le cadre. Annie nous a aidées à mon-
animé par les activités de la Régie de Quartier et du
ter le dossier de candidature. On nous a invitées à
centre St-Elivet. “Heureusement qu’on avait la salle
présenter notre projet devant un parterre de person-
du centre”, soulignent les organisatrices. Elles vont
nalités locales à la mairie de Lannion. Des élus et des
maintenant se réunir pour faire le bilan de ces deux
responsables sociaux devaient juger de la recevabilité
rendez-vous et sans doute imaginer une suite “pour
de notre dossier et évaluer la subvention qui nous
les beaux jours”. […]
serait accordée. Nous avions besoin de 1900 € pour
louer un car et financer une partie des entrées.
Le Télégramme, 6 février 2003
Passer devant le jury fut très impressionnant ! On
79
nous posa beaucoup de questions. Nous étions inti-
soirée “raclette”. Pour nous réchauffer ! Nous avions
peu de sang neuf, quelques bonnes volontés, pour
passer une soirée ensemble. Dommage que les gens
midées de parler devant une telle assemblée. Après
réussi à attirer beaucoup de monde. Ce fut une
nous appuyer. Mais il ressort de cette expérience
ne suivent pas…”.
notre présentation, le jury délibéra une vingtaine de
excellente soirée. Pour l’anecdote, nous avions été
bien des points positifs. Ces repas permirent à beau-
Une troisième regrette l’absence de relais :
minutes. Quelle angoisse ! Finalement, la subvention
privés d’électricité pendant quelques minutes, suite
coup de monde de se rencontrer. Les jeunes ména-
“Aujourd’hui, faute de soutien et d’énergie, nous
nous fut attribuée, alors même qu’elle dépassait le
à une coupure de courant ! Quelques mois plus tard,
ges, nouvellement arrivés, avaient ainsi la possibilité
avons cessé nos activités. Mais je continue à voir
plafond maximal des 1 500 €. Nous étions très fières
en mars me semble-t-il, nous nous réunîmes autour
de lier connaissance avec les plus anciens.
mes amies du groupe. Nous nous croisons souvent.
de notre réussite. Quelques semaines plus tard, une
de la traditionnelle galette des rois. Un accordéoniste
Suite à ces repas, notre petite équipe féminine
Nous nous asseyons sur un banc, sous un arbre, pour
cinquantaine de personnes d’Ar Santé et des Fon-
animait le goûter. Une autre rencontre très chaleu-
continua à se retrouver pour d’autres activités.
discuter de choses et d’autres. Je me rends aussi
taines purent assister au spectacle d’Holiday on Ice
reuse ! Le troisième repas eut lieu début décembre.
Grâce aux aides financières de la mairie, nous avons
parfois au “P’tit café de Nelly” pour discuter avec
à Lorient. Ce fut une après-midi merveilleuse, pleine
Quatre-vingt-quinze personnes répondirent à l’appel.
organisé une randonnée à Ouessant et une après-
quelques voisins. Au printemps, les habitants de la
de magie. Pendant deux heures, nous voguions en
Nous avions prévu un buffet froid. Des messieurs
midi spectacle “Holiday on Ice”. À chaque fois,
cité se retrouvent autour d’un pique-nique pour la
plein rêve, totalement déconnectés de notre routine
nous aidèrent à installer les chaises et à dresser les
nous avions réussi à remplir un autocar ! Ce furent
Fête des voisins. Cette année, le 30 mai, une quaran-
et de nos petits soucis quotidiens. Ce fut un enchan-
tables, à transporter et à servir le vin, à ranger la
deux magnifiques journées. La première année des
taine de personnes ont répondu présentes. Il faisait
tement…”.
salle. Mais ce genre d’événements demandait une
“quartiers en fête” fut pour nous notre dernière
vraiment froid mais nous avons tenu jusqu’au bout
bonne organisation et beaucoup de motivations.
année d’activité. Nous ne manquions certainement
de la soirée !”
Et une autre :
Nous devions établir un budget, solliciter les collecti-
pas de bonne volonté mais organiser des repas ou
“J’ai aussi participé à l’organisation de quelques
vités pour obtenir des subventions, faire les courses,
des sorties demandaient beaucoup d’énergie et de
repas. Je faisais partie d’un groupe de huit femmes
installer la salle, préparer les plats… Après trois ou
temps. Nous aurions beaucoup aimé être relayées
Immeubles en fête : des voisins très sympas
bénévoles, quatre habitant Ar Santé et quatre venant
quatre repas, notre équipe s’épuisa. La mise en place
par des personnes plus jeunes. Je regrette que nous
Pour la deuxième année consécutive, tous les
des Fontaines, décidées à mettre un peu de convi-
d’une salle, le transport de la vaisselle et des bou-
ayons perdu ces moyens de nous rencontrer surtout
habitants des quartiers de Pen-ar-Ru, Ker-Uhel, les
vialité au sein de nos quartiers. Nous voulions faire
teilles, la diffusion des affiches, les courses… Tout
maintenant qu’il va y avoir de nouveaux arrivants à
Fontaines, Rosalic et Ar Santé, étaient invités à fes-
en sorte que les gens se rencontrent dans le cadre
cela demandait beaucoup de travail. Il aurait fallu
Ar Santé. Ces petits événements aidaient à l’intégra-
toyer avec leurs voisins, mardi soir, dans le cadre de
de soirées sympathiques. Pour le premier repas, en
que quelques hommes se joignent à nous pour pren-
tion de chacun. Qui plus est, c’était bien agréable de
l’opération “Immeubles en fête”.
plein mois de décembre, nous avions proposé une
dre en charge cette logistique. Il aurait aussi fallu un
80
81
Déménager, enfin…
Ar Santé. Démolition.
des tables avaient été dressées au pied des immeu-
2005 et 2006 voient l’inauguration de
Le locataire dépité (suite).
bles, pour accueillir tous ceux qui voulaient faire
nouveaux quartiers lannionnais : Kerlitous,
Personne ne veut se soucier de problèmes plus
connaissance autour d’un barbecue géant ou d’un
Rosalic, Buhulien. Certaines familles d’Ar Santé
matériels comme les meubles. Car, curieusement les
apéro dînatoire.
quittent le quartier pour emménager dans
appartements sont encore meublés. Chacun de ces
C’est à Ar Santé que la mobilisation a été la plus
de petits immeubles à un étage à l’image de
meubles est souvent le résultat d’économies faites
forte, l’histoire en cours de ce quartier ayant fini
la maison mitoyenne : fini les grandes barres
sur des petits salaires et ne vaut rien en salle des
par tisser des liens étroits entre ses résidents, toutes
impersonnelles. Ar Santé se vide peu à peu de
ventes.
générations confondues. Un coup de chapeau en
ses habitants. La transformation s’amorce de
Ne parlons même pas des problèmes de déménage-
façon concrète ; les esprits s’emballent…
ment. Peut-on encore faire ses cartons à 80 ans ? Qui
Bien que le temps ne soit pas de la partie, de gran-
passant à un groupe de personnes âgées : Angelina,
Rosalic
18 logements HLM inaugurés à Rosalic
[...] Pierre-Henri Maccioni, le préfet, Thierry Suquet,
le sous-préfet, et un parterre d’élus de la ville et de
Côtes d’Armor Habitat avaient fait le déplacement
pour inaugurer les 18 logements fraîchement livrés
dans le quartier de Rosalic, derrière la gare. “Ils sont
au nombre de 18, des F3, F4 et F5, qui abriteront
va décrocher les lustres et les tringles à rideaux ?
Yvette, “Mamie” et leurs copines Thérèse et Annick,
18 familles”.
Et après, qui va faire le remontage et s’assurer du
qui ont eu l’idée de préparer un goûter et des jeux
Douze familles viennent d’Ar Santé et sont relogées
respect des normes ? Un lustre doit être relié à une
pour les enfants après l’école. Une initiative très
“Notre déménagement s’est bien passé. Nous avons
appréciée des plus jeunes et de leurs parents.
reçu beaucoup d’aide. Le jour du déménagement,
les déménageurs avaient sorti leur échelle électrique
Le Télégramme, 2 juin 2005
pour descendre les cartons et les meubles. L’un de
nos meubles s’est envolé. En fait, il était très léger. Le
L’un des participants raconte :
déménageur l’avait mis sur la plaque de l’échelle. Il
“De tous les quartiers de Lannion, Ar Santé était
y a eu un gros coup de vent et le meuble est tombé
celui qui rassemblait le plus de personnes lors de ces
du troisième étage. Il était tout démoli ! Mais les dé-
fêtes de voisins”.
ménageurs l’ont réparé et maintenant, il est comme
dans un nouveau cadre de vie, trois autres familles
prise de terre, comme la machine à laver. Qui fera la
ont également quitté un autre quartier pour s’instal-
transformation et qui va payer ?
ler dans du neuf, “par voie de mutation”.
Quant à ceux qui attendront le prochain tour pour
[...] Reste quelques autres grands chantiers. À Ar
déménager, comment vont-ils vivre dans un chantier,
Santé, le quartier va subir une sacrée cure de jouven-
aller faire leurs courses dans la boue, sans parler du
ce et pas moins de 99 familles devront être relogées
vacarme ?
durant ces grands travaux. [...]
Publié par le Syndicat autonome et libertaire AS, décembre 2004
Ouest-France, jeudi 27 janvier 2005, p. 15
neuf”.
82
83
Vivre dans des immeubles à un étage ou dans des
voisins… : j’étais terrifiée par l’inconnu.
préféré subir deux déménagements et les aléas des
habitués. Nos racines sont ici. Les petits y ont grandi.
pavillons individuels détruit [le] lien social. […] à
Je savais que moi aussi je devrais quitter le bâti-
travaux de reconstruction plutôt que d’emménager
La proximité des commerces et des écoles sont
Rosalic, les pavillons sont mitoyens : les habitants se
ment F : il allait être démoli le premier, je n’avais donc
directement dans un appartement neuf ailleurs ?
des atouts majeurs. Le fait qu’il s’agisse de petits
croisent devant, sur le trottoir en déposant leurs or-
pas d’autre choix. J’aimais beaucoup mon appar-
Qu’est-ce qui rend Ar Santé aussi attrayant ? Pour-
immeubles de deux étages nous rassure. Nous ne
dures ou en relevant leur courrier. Ici, nous sommes
tement. J’y vivais depuis plus de 30 ans et, sincère-
quoi rester quand tant d’événements poussent à
craindrons pas de monter les cages d’escaliers et d’y
quelques-uns à assurer un minimum de vie collective
ment, je pensais y finir mes jours. On me proposa
abandonner le navire ?
faire de mauvaises rencontres. Il faudrait aussi penser
mais, dans l’ensemble, chacun reste très autonome.
de déménager à Kerlitous ou bien de subir le double
Seule, la “fête des voisins” a réveillé une certaine
déménagement pour rester à Ar Santé. Déménager
“Pour rien au monde je ne souhaite quitter Ar Santé.
Nous serons ravis de les accueillir. Nous espérons
convivialité”.
deux fois m’angoissait : j’optai donc pour Kerlitous.
J’apprécie la proximité du centre-ville, des petits
qu’ils remettront un peu de vie dans le quartier.
J’appréhendais mon arrivée mais, finalement, tout
commerces et des grandes surfaces. Les gens qui
Il serait bon d’installer de nouvelles aires de jeux et
s’est bien passé. Les déménageurs ont été formi-
vivent ici sont discrets, peut-être trop parfois ! Il y a
des espaces verts. Nous avons besoin de “verdure”.
dables. Et mes enfants m’ont beaucoup aidé. Dès
beaucoup moins de gens à problèmes qu’à Ker-Uhel ;
D’autre part, il serait important de sécuriser la cité et
l’emménagement, ils ont accroché mes tableaux aux
moins d’agressivité aussi. Je n’aurais pas aimé partir
d’imposer des limites de vitesse : les voitures roulent
murs ! En huit jours j’étais installée ! J’étais chez moi !
vivre à Kerlitous : le terrain est en pente, difficile
parfois assez vite devant les immeubles”.
Aujourd’hui, je revois régulièrement les amis qui sont
d’accès, excentré. Ici, quand je vais faire quelques
restés là-bas. Je vais aussi au “P’tit café de Nelly” de
courses à pied au centre Leclerc, je traverse Ar Santé
“Depuis le début, nous avons la désagréable impres-
temps en temps. Heureusement, qu’il y a ce point de
ancien, Ar Santé nouveau et les Fontaines. C’est
sion que l’office HLM et la ville veulent absolument
rencontre : on peut discuter librement”.
l’occasion de quelques rencontres ! Faire mes courses
nous envoyer tous là-bas [à Kerlitous] ! En ce qui
me prend toute une après-midi : je fais des arrêts
nous concerne, cela était hors de question. Nous
pour discuter avec untel ou untel, pour prendre un
sommes ici chez nous. Nous savons que nous avons
café chez une amie…”.
la réputation de fortes têtes mais peu importe !
Kerlitous
“J’ai paniqué quand j’ai vu les gens commencer à
partir. J’angoissais devant ces départs. J’avais l’habitude de voir ces personnes autour de moi depuis
30 ans ; je connaissais leurs enfants. Ils partaient… Et
en plus, ils semblaient heureux de partir… Cela me
faisait mal. Oui, ces premiers déménagements furent
pour moi un choc terrible. Je perdais une partie de
mes repères, de mes amis… J’avais très peur de la
suite des événements - mon propre déménagement,
Rester
mon installation dans un nouvel appartement, dans
Qu’est-ce qui motive ces quelques dizaines de per-
un nouveau quartier, la rencontre avec de nouveaux
sonnes qui n’ont pas souhaité partir, celles qui ont
84
aux nouvelles familles et aux enfants qui vont arriver.
Comme d’autres, nous voulons rester ici. Certains
“On va certainement être gênés par les travaux. Mais
ont cédé et sont partis sur un coup de tête. Parmi
nous souhaitons rester à Ar Santé : nous y sommes
eux, il y en a qui regrette. Nous avons même vu un
85
La “mort” du F
“Cet été [...] quand le premier coup de pelle frappa
du quartier. Nous avons suivi le démantèlement pas
le bâtiment F, je fus d’abord très impressionnée : je
à pas. Nous avons pris beaucoup de photos. Ce fut
Été 2006. Beaucoup de locataires ont
n’avais jamais vu ce genre de chose. Mais, j’en avais
un événement si impressionnant que ce qui viendra
“Ceux qui vivent encore à Ar Santé aujourd’hui et
quitté Ar Santé pour être relogés dans des
vraiment gros sur le cœur. J’étais tiraillée entre ad-
maintenant - la sortie de terre des nouveaux loge-
qui souhaitent absolument y rester, sont plus “berni-
appartements neufs aux quatre coins de la
miration, colère et chagrin. La pelle ressemblait à un
ments, la démolition des autres bâtiments - semblera
ques” que “bernard-l’ermite” : ils y sont - et depuis
ville. Seuls quelques-uns résistent. Certains ont
animal monstrueux. Les ouvriers réalisèrent du très
nettement moins extraordinaire. Cet immeuble,
longtemps pour certains - alors ils y restent. D’ailleurs
dû déménager au sein même de la cité : les
bel ouvrage et je dois avouer que je ne fus aucune-
c’était “chez nous”, là où l’on avait envie de vivre.
un petit groupe d’habitants s’est baptisé ainsi ! Et je
locataires du bâtiment F. Le 29 août, une étape
ment dérangée ni par le bruit ni par la poussière. Il
Bien sûr, le bâtiment était dégradé et ne répondait
les comprends : à Ar Santé, on est chez soi et on y
importante se concrétise : la première barre, le
est vrai que nous avions été bien informés et bien
plus aux normes de salubrité et de sécurité mais il
est bien. Les appartements ne sont pas récents certes
bâtiment F est démoli.
préparés à cette démolition. Quand les travaux de
n’en reste pas moins que l’on nous a forcés à quitter
démantèlement commencèrent, je n’avais qu’une
notre maison”.
ou deux anciens habitants d’Ar Santé, vivant désormais à Kerlitous, revenir errer dans le quartier”.
mais on y a ses souvenirs. Il faut d’ailleurs remarquer
que beaucoup de femmes seules, veuves pour un
29 août 2006, la démolition du bâtiment F
grand nombre, vivent aujourd’hui à Ar Santé. Elles
Il est 15 h ce 29 août. Tout le quartier est là, derrière
ont vécu dans le bâtiment F avec leur mari : leur ap-
les barrières de sécurité. La presse aussi. Face au
partement était donc le dernier lien avec le défunt”.
pignon du bâtiment F, la pelle hydraulique s’ébranle,
la mise à mort va commencer. Dans le jargon technique, on appelle ça le “grignotage”. L’interminable
pelle articulée attaque le mur avec une incroyable
facilité. Dans un bruit sourd les premiers gravats
tombent, soulevant un épais nuage de poussières.
Poussières de béton, poussières de mémoire…
Côtes d’Armor magazine
86
hâte : que tout disparaisse, jusqu’à la dernière pierre,
jusqu’au dernier panneau”.
“La démolition du F ? Non, finalement, cela ne m’a
pas fait grand-chose. Quand j’ai vu le film réalisé par
“Avec la démolition du bâtiment F, tant de souvenirs
Nathalie, j’ai repéré un pan de papier peint de mon
se sont envolés ! Notre petit-fils a passé ses premiers
appartement mais cela ne m’a pas fait trop de mal. Il
mois de vie, ses premières années dans le F ; il y a fait
faut avouer que les immeubles étaient arrivés vieux.
ses premiers pas ; il y avait ses repères et ses copains ;
Il était vraiment temps d’intervenir”.
c’était son terrain de jeux. Près de 25 ans de ma vie
sont partis en poussière. J’ai vraiment mal vécu cette
“En août [2006], la démolition du bâtiment F fut le
démolition”.
premier événement concret. Cette première étape
matérialise enfin plusieurs années d’attente et mar-
“La disparition du bâtiment F fut quelque chose de
que un tournant. J’eus la chance de pouvoir visiter
formidable. Cet événement a capté toute l’attention
le chantier avant la démolition finale. Les cloisons
87
avaient été démontées ; il n’y avait plus de pièces :
“Quand j’ai vu la place libre qu’a laissée la disparition
avec les habitants, ce qui fut très bénéfique pour
une longueur incroyable s’étendait devant nous.
du F, je me suis demandé pourquoi on n’avait pas li-
tous. La démolition, ensuite, fut un véritable événe-
J’eus mal au cœur de voir cet immeuble disparaître
béré cet espace plus tôt : il aurait fallu ouvrir le quar-
ment : tous les habitants avaient été prévenus par les
Interrogations sur
l’avenir
aussi facilement. J’ai beaucoup pensé aux person-
tier, l’aérer, créer un espace convivial pour que les
uns, par les autres, de l’heure du premier coup de
Les premiers déménagements effectués, le
nes qui avaient dû le quitter. La disparition du F a
enfants puissent jouer et les parents se rencontrer.
pelle ! Certains prirent des photos, d’autres filmèrent.
premier immeuble démoli, les camions de
créé un espace vide, un désert. Mais, les travaux de
Qu’en sera-t-il de la nouvelle cité ? Chacun l’ignore.
Les habitants d’Ar Santé étaient résignés et ont pu
chantier envahissent le site. Les travaux de
démolition se sont relativement bien passés. Vu que
Les plans ne nous ont pas été communiqués. Les
vivre cet événement collectivement. La démolition
reconstruction sont lancés. La page semble
les entreprises travaillent bien, proprement, que les
habitants angoissent devant l’absence d’informations
du bâtiment F, finalement, n’était rien d’autre qu’un
définitivement tournée. Ar Santé est en pleine
ouvriers respectent la tranquillité des habitants, je
concernant leur futur lieu de vie. Ils ont besoin de se
symbole qui fit entrer les gens dans la réalité du pro-
mutation. Désormais la nostalgie laisse la place
suis désormais moins inquiète quant à l’avenir”.
familiariser avec leur nouveau quartier : pourquoi ne
jet : le bâtiment F mort, ils vivaient désormais sur un
aux inquiétudes.
pas leur offrir une image de ce que sera leur quartier
chantier, avec la boue, la poussière, les tractopelles,
“La démolition du bâtiment F fut un véritable évé-
dans dix ans pour qu’ils puissent se l’imaginer et se
les camions… La disparition du F n’est que le com-
nement. Pour l’anecdote, sa disparition fit entrer
l’approprier ?”.
mencement du travail de deuil. La démolition était
une nécessité ; la reconstruction sera à ne pas rater…
beaucoup de lumière chez moi : ce bâtiment me
cachait la vue ! L’inconvénient est que, désormais, les
“Les jours précédents [la démolition du F], les ha-
On verra les problèmes de parking, la bambouse-
passants peuvent aussi voir chez moi ! Il ne faut donc
bitants qui le souhaitaient purent participer d’une
raie… Tout apparaît très séduisant sur les plans. La
pas oublier de fermer les rideaux ! Plus sérieuse-
certaine manière à la disparition du F. Cela permit
question est : comment ce nouveau quartier va-t-il
ment, cette démolition me fit tout de même un petit
de maîtriser de nouveau l’angoisse et d’éparpiller les
être habité ? Cette requalification sera une opération
pincement au cœur aussi je comprends parfaitement
émotions. Certains purent visiter l’immeuble décons-
réussie le jour où les habitants des futurs immeubles
l’émotion qu’ont pu ressentir des personnes qui y
truit, avant la démolition. La visite, guidée par le
diront qu’ils y sont heureux”.
vivaient depuis vingt ou trente ans. Un tel déman-
chef de chantier, fut très technique, ce qui permit de
tèlement est très impressionnant, sans parler de
comprendre la façon de procéder et de dédramatiser
l’intervention de la grue…”.
la situation. L’entrepreneur a pris le temps de parler
88
89
“La reconstruction est un projet nécessaire tant du
“La question du vis-à-vis est très importante. Je ne
la configuration de mon futur appartement ? J’ai
individuelles où les enfants pourront s’exprimer plus
point de vue du confort que du point de vue pé-
suis pas sûr que les architectes y aient assez réfléchi.
besoin de savoir si je peux garder tous mes meubles
librement : la présence d’enfants dans des apparte-
cunier : le manque d’isolation implique de lourdes
D’après les plans, je crains qu’il ne manque aussi un
ou si je dois me séparer de quelques-uns ; si j’ai des
ments à l’isolation sonore limitée pose parfois des
charges financières pour les locataires. L’hiver, les
terrain de jeux central pour les enfants. Or, le terrain
rangements, des placards, une baignoire ou une
problèmes de voisinage.”
appartements sont froids ; les chaudières sont parfois
de jeux est le cœur même d’une cité”.
douche ; comment seront disposées les pièces ; de
défaillantes. Par ailleurs, le quartier aura un nouveau
quelle superficie je disposerai… Je n’ai encore eu
visage. Ce devrait être une belle cité”.
“Nous sommes dans un questionnement permanent.
aucune réponse à ces questions ! N’importe quelle
À quoi ressemblera notre quartier dans cinq ans ?
personne qui souhaite louer un appartement dans
Où vivrons-nous ? Quand nous allons à Kerlitous et
le privé visite le logement avant de décider de le
que nous voyons ce qu’il s’y passe, nous craignons le
louer ou non, avant de signer un bail. Pourquoi ne
Ar Santé. Démolition
pire : là-bas, les escaliers et les plaques de béton se
serions-nous pas considérés comme des locataires
Le locataire dépité (suite)
fissurent déjà ; la peinture s’écaille ; on patauge dans
“normaux” ? Pourquoi nous imposerions-nous des
Les bâtiments qui seront démolis en premier sont
la boue ; les aires de jeux sont inaccessibles pour les
appartements qui ne correspondraient pas à nos
actuellement habités par des personnes dont les
enfants car elles ont été installées au-dessus de la
besoins et à nos goûts ?”.
enfants sont partis. Les T5 sont bien souvent occupés
route de Morlaix ! Et pourquoi a-t-on construit ces
par des femmes seules. Les petits-enfants y viennent
immeubles en périphérie, pour ne pas dire en de-
“Les gens qui vivent encore ici - ceux qui ont refusé
pour les vacances et donnent un “coup de jeune” au
hors, de la ville ? Pourquoi est-ce si excentré ? Les res-
catégoriquement de déménager à Rosalic ou à Kerli-
quartier.
ponsables du projet ont-ils vraiment pensé d’abord
tous - ne veulent absolument pas quitter le quartier.
Mais, il n’est pas question de redonner de tels appar-
aux familles et aux enfants quand ils ont décidé du
Ces personnes sont très préoccupées par le program-
tements pour “loger la smala” (sic). Une femme seule
choix du terrain ? La route est si dangereuse !
me de renouvellement urbain. Elles s’interrogent
aura droit à un T2, tant pis pour les petits-enfants…
sur leur avenir. Déménager leur crée des soucis. Ce
Publié par le Syndicat autonome et libertaire AS, décembre 2004
90
J’aimerai voir les plans de nos nouveaux logements :
projet a engendré beaucoup de remous au sein de la
comment voulez-vous que je me projette dans l’ave-
cité. Mais ce peut être une opportunité pour cer-
nir, que j’imagine mon nouveau domicile, si j’ignore
taines familles qui auront ainsi accès à des maisons
91
“Désormais, un certain nombre d’interrogations
désormais de tourner la page pour se consacrer à
personnes sont déçues par ce qu’elles voient sortir
même temps, je m’interroge beaucoup. Les nou-
subsistent : à quoi ressemblera le nouveau quartier ?
demain. Les camions sont là, au pied de notre im-
de terre en ce moment… Et ce que les architectes
veaux logements seront pour la plupart des apparte-
Sera-t-il plus convivial ? Qui seront les nouveaux
meuble. Ils vont et viennent toute la journée. Je me
semblent avoir oublié à Ar Santé comme à Kerlitous,
ments de type 1 ou 2. Comment voulez-vous loger
arrivants ? Des exclus ? Des familles ? Il est question
suis déjà habituée à ces bruits ; ils me sont devenus
c’est l’importance des lieux de rencontre : dans cha-
des familles de deux voire trois enfants dans ce genre
de mélanger les générations. Mais qu’elle sera alors
familiers. L’avenir est en construction. J’envisage
que quartier il faut un point de rencontre - quelques
de construction ? À la naissance de leur second
la nouvelle identité d’Ar Santé ?”.
déjà la vie qui sera la mienne dans quelques mois : je
bancs et tables, une aire de jeux centrale entourée
enfant, il est certain que beaucoup de jeunes familles
vivrai dans un petit appartement - de deux cham-
de bancs… - où les habitants puissent se retrouver
voudront être relogées dans des appartements plus
“Côtes d’Armor Habitat n’a jamais écouté les do-
bres j’espère - qui sera toujours propre et agréable.
pour se détendre, discuter, faire connaissance…”.
spacieux. Je crains que dans l’avenir, il n’y ait plus
léances des habitants : ils ont semblé faire preuve
Mais tout cela reste du domaine de l’imagination : il
de bonne volonté en venant à la rencontre des gens
nous est impossible de voir les plans de notre futur
“Le futur Ar Santé ? L’arrivée de nouvelles personnes
qu’il y a beaucoup de couples de retraités et femmes
pour prendre note de leurs préférences en matière
quartier. J’avoue que je crains qu’Ar Santé ressem-
ne me dérange pas. Bien au contraire, il est impor-
seules à reloger. Il faut aussi penser à ces personnes.
d’appartements. Mais au bout du compte tout cela
ble à Kerlitous. On aimerait avoir un bout de jardin
tant que le quartier reprenne vie et cela ne se fera
Mais il me semble qu’on a envoyé les enfants un peu
va-t-il être respecté ? Si des voisines souhaitent, dans
ou un petit balcon pour cultiver quelques fleurs et
pas sans la venue de couples et de jeunes familles.
loin à Kerlitous, à Rosalic, à Buhulien, alors qu’ici, il
les nouveaux immeubles, continuer à être voisines
des herbes aromatiques. On a beaucoup de mal à
Nous devrons nous y adapter et peut-être est-ce
y avait tout pour eux : les commerces, l’école, le col-
parce qu’elles s’entendent bien et se rendent de me-
s’imaginer la nouvelle configuration du quartier.
une bonne chose. J’espère de tout cœur que les
lège, la piscine, le terrain de sport, le centre St-Elivet
nus services, seront-elles vraiment satisfaites ?”.
On sait aussi que de jeunes familles vont arriver. On
jeunes s’investiront pour redynamiser Ar Santé, qu’il
avec les activités de loisirs, l’aide aux devoirs… Les
nous parle de “mixité”. Moi je crains que nos deux
y aura une relève. En attendant de voir cela, nous
petits n’ont qu’à traverser une route pour avoir accès
“[...] À l’heure actuelle, le quartier se transforme : on
groupes - nouveaux arrivants et anciens habitants
avons besoin de tranquillité, de calme, de sérénité.
à tous ces services. Il me semble incohérent de ne
est à un tournant. On discute beaucoup du renouvel-
- se trouvent face à face sans pouvoir se parler”.
Maintenant, une page est tournée. J’ai tellement
pas prévoir suffisamment d’appartements capables
hâte d’être dans mon nouveau T2 et qu’on me laisse
d’accueillir des familles dans le quartier d’Ar Santé
enfin vivre !”.
alors que tout s’y prête”.
lement de la cité, de la démolition et de la recons-
de grandes familles à Ar Santé. D’autre part, je sais
truction. Pour passer ce cap et envisager l’avenir,
“Les nouveaux appartements ? Les futurs locataires
on se remémore le passé du quartier. Mais depuis la
s’interrogent quant à la proximité des logements.
disparition du bâtiment F, moi, je suis dans l’avenir.
Ils semblent si près les uns des autres ! Certains se
“Le quartier et l’école vont-ils reprendre vie grâce
“À Ar Santé, chaque escalier représente l’individuali-
Le travail de mémoire n’a plus lieu d’être. Il est temps
plaignent de l’absence de balcons. Beaucoup de
à la nouvelle infrastructure ? Je le souhaite mais, en
té : on n’est pas d’Ar Santé mais de tel immeuble, de
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tel escalier. Une étude pourrait être la bienvenue car
l’espace social ? Ne s’est-il pas transformé lui aussi
il est évident que l’infrastructure détermine la nature
avec la disparition de cette barre d’appartements ?
du lien social. Posons-nous la question : pourquoi
Et maintenant, comment travailler sur l’intégration
propose-t-on désormais aux habitants des quartiers
sociale des nouveaux habitants ? Comment accueillir
HLM de petits appartements, munis d’entrées indivi-
les nouveaux, sans délaisser les anciens, tout en les
duelles directes et de parkings souterrains, dans des
reliant ?”
immeubles posés les uns à côté des autres, relativement indépendants, excentrés, éloignés des com-
“Au fil du temps, la population a beaucoup changé.
merces et de tout bistrot où se rencontrer ? Pourquoi
À une époque récente, il y eut des départs : certaines
les nouveaux quartiers sont-ils isolés en périphérie
familles ont anticipé la démolition et se sont lancées
du centre-ville ? On peut imaginer deux éventualités :
dans un projet de maison individuelle. Pour eux, cer-
ou ces quartiers, vu la qualité de leur construction,
tainement, vivre en HLM n’était qu’une étape transi-
deviendront de petits immeubles résidentiels imper-
toire. Il me semble que le fait de vivre en immeuble
sonnels ou bien ils se mueront en nids à problèmes
implique pour beaucoup une telle attitude. Mais vi-
où caser les personnes dites “difficiles”. Qui réfléchit
vre dans un pavillon incite à y rester : les lotissements
à cela ?”.
construits par Côtes d’Armor Habitat imposeront
certainement une réaction de sédentarité”.
“[À Ar Santé, les] constatations issues d’observations
sur le terrain impliquent une véritable réflexion sur
le rapport entre requalification urbaine et lien social :
une opération de renouvellement urbain ne disloque-t-elle pas le lien social ? Que peut-on faire contre
cet émiettement ? Depuis la disparition du bâtiment
F, l’espace est métamorphosé mais qu’en est-il de
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Démolition du bâtiment “F”, août 2006
Remise des clés à Rosalic (18 pavillons), février 2005
Ti koad, le local d’animations du quartier d’Ar Santé,
inauguré en mars 2005
Les 12 pavillons de Buhulien, avant la remise des clés,
mai 2005
Kerlitous, 75 logements dont 14 pavillons,
mars 2006 - janvier 2007
Pose de la première pierre par le Maire Alain Gouriou,
13 février 2007
Remise des clés à Ar Santé nouveau en présence du
maire Christian Marquet, 25 février 2007
Spectacle “Vue sur mer”, 29 et 30 juin 2007
Fête des voisins à Ar Santé
Ar Santé
change de visage
“J’ai aimé ce quartier, avec ses bâtiments que je trouvais élégants, avec de belles proportions : on aurait
dit de grandes maisons bretonnes avec leur toit pentu en ardoise. Ils étaient placés de façon harmonieuse,
mélangeant immeubles et verdure, terrain de jeux et parkings. Notre appartement avait des volumes bien
répartis. Il était fonctionnel, lumineux, tourné vers l’extérieur. Et aussi… c’est lui qui portait en ses murs
mon histoire… notre histoire… et ça, ça n’a pas de prix ! Et toute cette histoire collective est désormais
balayée à coups de pelleteuse… Quel choc !
Ar Santé… Je t’ai aimé…”.
Remerciements à l’ensemble des habitants du quartier et aux
travailleurs sociaux.
Texte de Gwénaëlle Lucas
Photos de Francis Goeller, Pierre Iglésias et Nathalie Lintanf
Coordination éditoriale service Communication Mairie.
Projet conçu et mis en œuvre par la ville de Lannion et le Centre
social de Lannion.
Ouvrage imprimé à 600 exemplaires, sur papier PEFC avec encres
végétales par une imprimerie label Imprim’vert, publié avec le
concours financier de la ville de Lannion, de la Caisse d’allocation
familiales des Côtes d’Armor, du Conseil général des Côtes d’Armor,
de Côtes d’Armor Habitat et de l’État.
ISBN 978-2-9512639-1-8
EAN 9782951263918