La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation
Transcription
La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation
Université de Lyon Université lumière Lyon 2 Institut d'Études Politiques de Lyon La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation Bonnard Camille Mémoire de Master 1 Politiques, Sociétés et Gouvernances Urbaines Sous la direction de Pinson Gilles (Soutenu le 03-09-2012) Table des matières 5 6 Remerciements . . Introduction . . I.Une politique mise en œuvre par des acteurs multiples sur un territoire aux enjeux spécifiques . . A.Les acteurs de la petite enfance à Vénissieux . . 1. Le service Petite Enfance de la mairie de Vénissieux . . 2. Les partenaires non municipaux . . B.Une population et un territoire particuliers . . 1. Une population jeune et précaire . . 2. L’hétérogénéité du territoire vénissian . . C.Les objectifs de la politique de la petite enfance . . 1. Le projet social du service Petite Enfance de Vénissieux . . 2. Un investissement social dans la petite enfance . . 3. Un moyen de favoriser l’insertion professionnelle et sociale . . II. Une politique s’inscrivant dans une certaine standardisation de l’action publique locale .. A.Les évolutions récentes du cadre législatif : optimisation ou rationalisation ? . . er 86 1. Le décret du 1 août 2000 . . 89 93 4. Le décret du 7 juin 2010 91 .. 33 .. 96 .. B.La standardisation des pratiques et des procédures . . 1. Une définition particulière de la qualité . . 2. Les exigences liées à l’amélioration de la qualité . . 3. Les exigences de la CAF . . C.Territorialisation et gouvernance : la petite enfance au cœur des enjeux actuels des politiques publiques . . 1.La territorialisation de la politique de la petite enfance . . 2. Le poste de coordinateur enfance jeunesse : une illustration de la territorialisation et de la transversalité . . 3. Les partenariats et les problèmes de gouvernance . . III. Une politique différenciée préservant une identité singulière . . A.Une différenciation induite par l’adaptation aux spécificités du terrain et de sa population .. 1.Une diversification des modes d’accueil qui reste limitée . . 2. Une diversité du public accueilli . . 3.Une population aux attentes singulières et élevées . . B.La différenciation volontaire des politiques nationales . . 1. La critique des politiques nationales par les professionnels de terrain . . 2. La critique des politiques nationales par les élus . . 32 33 .. 5. La directive européenne « services » du 12 décembre 2006 31 31 31 2. La circulaire du 31 janvier 2002 : la mise en place de la PSU 3. Le décret du 20 février 2007 16 16 16 18 20 21 22 24 24 26 27 34 35 36 38 39 42 42 44 47 53 53 53 55 57 60 60 63 3. La conservation de pratiques et de règles spécifiques à la ville . . C.Le projet global « Enfant Phare » : une autre approche de la qualité . . 1. Le constat d’un certain cloisonnement . . 2. L’adoption d’un « regard global » et d’un discours du « faire sens » . . 3. Les limites de la démarche . . Conclusion . . Bibliographie . . Ouvrages . . Articles . . Rapports . . Documents internes du service Petite Enfance de la mairie de Vénissieux . . Textes juridiques . . Ressources en ligne . . Annexes . . Annexe 1 : Liste des abréviations utilisées . . Annexe 2 : Liste des entretiens réalisés . . 64 67 67 68 71 75 79 79 80 81 81 82 82 84 84 84 Remerciements Remerciements Je remercie Gilles Pinson pour son accompagnement dans la réalisation de ce mémoire, ainsi que Gwenola Le Naour pour avoir accepté de participer à ma soutenance. Je remercie également toutes les personnes que j’ai rencontrées à Vénissieux et qui m’ont aidée dans mes recherches, notamment toutes celles qui ont accepté de répondre à mes questions lors d’entretiens : Mesdames Ruiz, Henner, Champmartin, Neri, et Messieurs Naton, Damblin et Bély. Je suis reconnaissante à Mme Picard, maire de Vénissieux, de m’avoir accordé un moment de son temps lors de notre échange. Un merci particulier à Victorine Margerit, ma tutrice lors de mon stage au service Enfance - Petite Enfance de la ville de Vénissieux, qui m’a donné envie d’écrire ce mémoire et qui s’est toujours rendue très disponible pour m’aider. Enfin, je remercie ma famille et mes amis pour leurs encouragements et leur soutien, ainsi que pour les échanges que nous avons pu avoir qui ont enrichi ma réflexion. BONNARD Camille - 2012 5 La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation Introduction « Ouvrir 300 000 nouvelles places en crèche », « Atteindre 100 000 places de crèche supplémentaires en cinq ans », « Création d'un service public de la petite enfance », « Droit à 1 la scolarité dès 2 ans » . A l’exception de François Bayrou et Marine Le Pen, les candidats à l’élection présidentielle de 2012 ont tous développé dans leur programme un axe concernant les modes de garde pour la petite enfance. Nathalie Arthaud, François Hollande, Eva Joly et Philippe Poutou proposaient par exemple la mise en place d’un service public de la petite enfance, tandis que Jean-Luc Mélenchon souhaitait ouvrir 500 000 places supplémentaires d’accueil en crèche, et Nicolas Sarkozy 200 000 nouvelles places de garde d’enfants. Bien que la petite enfance n’ait pas été un thème central de la campagne électorale, ces propositions montrent combien cette problématique est désormais intégrée dans les programmes politiques. L’accueil des jeunes enfants est en effet une condition sine qua non du dynamisme démographique et de l’emploi des femmes, qui sont de plus en plus nombreuses à faire garder leur enfant pour pouvoir travailler. Ainsi, l’Unicef relève dans un rapport de 2008 sur la garde et l’éducation de l’enfant que « la génération montante d’aujourd’hui, dans les pays de l’OCDE, est la première dont les enfants passent une grande partie de leurs premières années non dans leur propre foyer avec leur propre famille mais 2 dans quelque structure de garde d’enfant » . La petite enfance est par conséquent devenue un champ actif de la recherche, mais aussi de l’analyse et de l’évaluation des politiques publiques. Mon intérêt pour la politique de la petite enfance provient d’un stage que j’ai effectué au sein du service Enfance-Petite Enfance de la ville de Vénissieux au mois de juin 2011. Ce stage a été l’occasion pour moi de découvrir la construction de cette politique, sa mise en œuvre par les différents partenaires et les enjeux qui la sous-tendent. J’ai ainsi pu m’entretenir avec divers acteurs du secteur de la petite enfance à Vénissieux et ces rencontres m’ont donné envie de me questionner davantage sur cette politique, au point d’en faire l’objet de ce mémoire. Mais de quoi parle-t-on au juste lorsque l’on parle de « politique de la petite enfance » ? Une politique transversale « Ce qui est bien avec la petite enfance, c’est que c’est le secteur où la logique systémique est le plus en jeu, c’est hyper transversal. A partir de la petite enfance 3 on peut penser la société dans sa globalité. » Ces propos illustrent la manière dont la politique de la petite enfance peut toucher l’ensemble des politiques sociales, telles que les politiques familiales, les politiques d’insertion ou encore d’emploi. Cette transversalité est liée au fait que les politiques sociales pénètrent 1 « Comparez les programmes des candidats » [en ligne]. Le Monde, édition du 20 mars 2012. [page consultée le 2 avril 2012] < http://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2012/visuel/2012/03/20/comparez-les-programmes-des-candidats-a-lapresidentielle-2012_1672519_1471069.html> 2 UNICEF, Centre de recherche Innocenti. La transition en cours dans la garde et l’éducation de l’enfant. Bilan Innocenti 8, 2008. 40 p. 3 6 Entretien n°8. BONNARD Camille - 2012 Introduction et dominent la plupart des politiques sectorielles locales. C’est d’ailleurs l’impression qui 4 ressort du discours des acteurs que j’ai rencontrés . La politique de la petite enfance devient en quelque sorte une facette d’une politique plus globale en direction de certaines 5 populations . Les politiques familiales ont été le premier cadre d’action en faveur des enfants. La place importante de ces politiques familiales dans les politiques sociales est une tradition française, qui distingue la France d’autres pays d’Europe dans lesquels ces politiques sont moins institutionnalisées. Julien Damon les définit comme « des programmes publics qui identifient les familles comme cibles d’action et qui sont mis en œuvre pour avoir un impact sur les ressources des ménages, sur la vie quotidienne des enfants et des parents, sur les partages et les équilibres domestiques, voire sur les structures familiales elles-mêmes et 6 sur la dynamique démographique d’un pays.» En effet, l’objectif des politiques familiales a d’abord été principalement de soutenir la natalité française, puis de réduire les inégalités entre les familles. Elles ont pour sources les dispositifs d’assistance et de bienfaisance du XIXème siècle destinés aux mères et aux enfants ainsi que les caisses patronales liées à l’emploi, qui se sont progressivement institutionnalisés au XXème siècle avec la généralisation des allocations familiales en 1938, puis la Sécurité Sociale en 1945 et donc la mise en place d’un système assuranciel. Au sein de la Sécurité Sociale, la branche famille a longtemps été la plus importante. Cependant, face à l’évolution de la société et de la famille, les politiques familiales ont changé de nature, en ne promouvant plus un modèle familial, mais en s’adaptant davantage aux réalités de chaque famille, et notamment au travail croissant des femmes. Les mutations de la famille comprennent aussi la baisse du nombre d’enfants (bien que la France ait le taux de fécondité le plus élevé d’Europe avec environ 2 enfants par femme 7 en 2010 ), l’apparition de familles monoparentales, recomposées, pluriparentales etc. Les revendications féministes et de l’homoparentalité jouent aussi un rôle dans la recomposition des politiques familiales et leur complexification. Les politiques familiales prennent également un aspect plus social dans les années 1970 en ciblant des populations prioritaires dans le but de réduire les inégalités et de lutter contre la pauvreté. Des conditions de ressources sont établies pour certaines prestations, afin de cibler les populations les plus défavorisées. La lutte se fait à la fois contre les inégalités verticales (de revenus) et horizontales (charges liées au nombre d’enfants). Dans les vingt dernières années, selon Julien Damon, les politiques familiales ont ainsi poursuivi trois types d’objectifs : donner la priorité à la petite enfance, accompagner les évolutions et les transformations de la parentalité, et augmenter le ciblage de certaines familles afin de réduire les dépenses publiques. La politique de la famille devient progressivement une politique de l’enfance, et la garde des enfants devient une question publique dans les années 1980. La garde des enfants a beaucoup évolué dans le temps, puisqu’au début du XXème siècle, avec l’apparition du phénomène de féminisation du marché du travail, les 4 5 Entretien n°1 : « C’est un travail qui est vraiment intéressant et passionnant parce qu’on fait vraiment du social. » GUILLOU, Anne & PENNEC, Simone. Les parcours de vie des femmes. Travail, famille et représentations publiques. Paris : L’Harmattan, 1999. Collection Le travail du social. P. 91. 6 7 DAMON, Julien. Questions sociales et questions urbaines. Paris : PUF, 2010. P. 119. TABAROT, Michèle. Rapport sur le Développement de l’offre d’accueil de la petite enfance. La documentation française, 2008. P. 13. BONNARD Camille - 2012 7 La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation enfants étaient confiés à des patronages, le plus souvent catholiques, prédécesseurs des associations paroissiales d’activités éducatives et sportives. La IVème République voit quant à elle la naissance des premiers centres aérés et de mouvements de Jeunesse et d’Education Populaire, avec un rôle croissant de l’Etat. Progressivement le métier d’animateur apparait, c'est-à-dire que les personnes en charge des enfants sont des professionnels ayant des diplômes spécifiques. Le centre de loisirs n’est plus vu comme un 8 lieu où les enfants sont uniquement gardés mais bien comme une « entité éducative » , qui devient une partie intégrante des politiques économiques et sociales des communes. La distinction opérée par Laurence Rameau est à cet égard intéressante puisqu’elle trace une évolution pour des enfants que l’on « recueille », puis que l’on « garde », et enfin que 9 l’on « accueille » . Cette évolution se retrouve à Vénissieux puisque c’est d’abord un mouvement d’éducation populaire, les Francas, qui prend en charge les enfants, en partenariat avec la mairie dans les années 1960. L’évolution en matière législative depuis les années 1980 est en outre significative. Le congé parental d’éducation est instauré en 1984 et de nouvelles prestations sont créées : l’allocation parentale d’éducation (1985), l’allocation pour jeunes enfants (1985) et l’allocation de garde d’enfant à domicile (1986). Les allocations familiales sont également augmentées de 25% en 1981. Ces allocations encouragent à l’origine les femmes à élever les enfants à la maison, en leur reconnaissant un statut social et en compensant l’éventuelle perte de salaire. Mais face au travail croissant des femmes, les prestations familiales passent d’un système centré sur la femme au foyer vers un système plus neutre en direction de la femme active professionnellement. Cette activité croissante des femmes oblige la collectivité à poser la question de l’accueil des jeunes enfants : ainsi sont créées progressivement des crèches municipales, associatives, familiales ou encore parentales. Selon Valérie Löchen, « les points forts de la politique française de la petite enfance sont probablement une offre nombreuse et de qualité, 10 le maintien du libre choix des familles et la diversité des modes d’accueil » . De plus, un fort accent est mis sur l’accompagnement à la parentalité, c'est-à-dire non plus seulement sur l’éducation de l’enfant mais aussi la responsabilisation des parents dans cette mission. Les années 1980 sont également celles de la décentralisation et de la territorialisation de la politique de la petite enfance. La responsabilité des lieux d’accueil pour la petite enfance est confiée aux villes, tandis que les conseils généraux doivent via la PMI (Protection Maternelle et Infantile) se charger de leur agrément et de leur contrôle. La CAF (Caisse d’Allocations Familiales) joue aussi un rôle très important de financement à travers les contrats enfance avec les villes, mis en place en 1988, remplacés par les contrats enfance jeunesse (CEJ) en 2006. Les années 2000 voient aussi des évolutions importantes, notamment en termes de er souplesse et d’adaptation aux besoins des parents. Le décret du 1 août 2000 crée en effet les structures multi-accueils (régulier, occasionnel ou d’urgence). On ne parle désormais plus dans la loi de crèche ou de halte-garderie mais d’Etablissement d’Accueil du Jeune er Enfant (EAJE). La création au 1 janvier 2002 de la Prestation de Service Unique (PSU) 8 9 10 8 LEBON, Francis. « Une politique de l'enfance, du patronage au centre de loisirs ». Education et sociétés, 2003/1 n°11. P. 14. RAMEAU, Laurence. Le lendemain des crèches, Réinventer l’accueil de la petite enfance. Paris : Erès, 2009. 222 p. LOCHEN, Valérie. Comprendre les politiques d’action sociale. Paris : Dunod, 2010. Collection Action sociale. P. 105. BONNARD Camille - 2012 Introduction par la CAF contribue à cette tendance du multi-accueil en permettant de prendre en compte la réalité du nombre d’heures durant lesquelles l’enfant a été accueilli. La qualité est en outre un objectif de plus en plus mis en avant, tant pour l’accueil que pour l’alimentation, les locaux ou l’hygiène. Plus récemment, la PAJE (Prestation d’Accueil du Jeune Enfant) est créée en 2004. Elle regroupe les principales aides directement versées aux familles par les CAF : la prime à la naissance, l’allocation de base, le complément de libre choix du mode de garde, le complément de libre choix d'activité. Elle ne vise plus la famille dans sa globalité, mais d’un côté les enfants et de l’autre les parents. L’accueil du jeune enfant doit permettre un travail d’accompagnement à la parentalité et d’aide aux familles défavorisées via la prévention. Enfin, face à la hausse du nombre annuel de naissances est lancé en 2006 par le ministre de la Famille Philippe Bas le plan Petite Enfance, qui vise à augmenter et diversifier l’offre de garde et à assouplir l’accès aux métiers de la petite enfance tout en facilitant les ouvertures de structures. Cet assouplissement vise en réalité à mieux maitriser les coûts de cette politique : le prix d’une place de crèche étant très élevé, l’objectif est de la rentabiliser 11 en faisant en sorte que plusieurs enfants puissent l’occuper . Les politiques pour la petite enfance résultent donc d’un véritable choix de société et d’un volontarisme politique. La petite enfance est au cœur de la politique familiale française, puisque ce secteur représente 1 % du PIB, les aides à la petite enfance s’élevant à 10,2 12 milliards d’euros en 2006 . La France se situe ainsi au troisième rang des pays de l’OCDE 13 en matière de dépenses pour la petite enfance . La diversité des prestations existantes montre la volonté de soutenir les familles quel que soit le mode de garde qu’elles choisissent. Toutefois, la tendance actuelle est plutôt d’encourager les modes de garde collectifs (à travers une diversification de ceux-ci), comme le montrent les derniers « plans pour la petite enfance », qui contiennent tous un objectif d’augmentation du nombre de places en accueil collectif. Cette volonté semble relever d’une orientation nouvelle de l’action publique, vers 14 « la production de services à valeur ajoutée plus que vers le versement de prestations. » 15 Comme le souligne Esping-Andersen , l’accueil de la petite enfance peut être reconnu comme un élément central dans la réforme des Etats-Providence. La petite enfance à Vénissieux A Vénissieux, le premier établissement d’accueil des jeunes enfants, Charréard (transféré aujourd’hui dans la structure Pain d’Epices) a ouvert ses portes en 1966 et avait un agrément de 20 places.Plusieurs structures sont créées tout au long des années 1970 à 1990, avec différents déménagements et agrandissements. Le premier Relais d’Assistants Maternels (RAM) est créé en 2001 (un deuxième verra le jour en 2007) et le Point Accueil, Information et Orientation des Familles (ou Point Info ou PIF) en 2003. Les nouvelles places d’accueil collectif sont dorénavant issues de rénovations ou de changements de locaux 11 12 Voir infra p. 41 pour le détail de ces évolutions législatives. MINISTERE DES AFFAIRES ETRANGERES. La France à la loupe : la politique en faveur de la petite enfance en France. Info Synthèse, mai 2007. P. 1. 13 CANASSE, Serge. « Politiques de la petite enfance, combien ça coûte ? » [en ligne]. Carnets de santé [page consultée le 18 juillet 2012] < http://www.carnetsdesante.fr/Politiques-de-la-petite-enfance,463> 14 Centre d’Analyse Stratégique. Accueil de la petite enfance : Comment continuer à assurer son développement dans le contexte actuel des finances sociales ? Note de veille n°157, novembre 2009. P. 5. 15 ESPING-ANDERSEN, Gosta & PALIER Bruno. Trois leçons sur l’Etat-providence. Paris : Seuil, 2008. Collection La République des idées. 134 p. BONNARD Camille - 2012 9 La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation des structures existantes qui s’agrandissent. La ville de Vénissieux dispose ainsi à ce jour d’un total de 360 places en accueil collectif, dont 268 en équipements municipaux et 92 en équipements associatifs. La ville a signé deux contrats enfance avec la CAF, le premier de 1993 à 1997 qui a vu notamment la création du poste de coordinateur enfance et d’un Lieu d’Accueil EnfantParent (LAEP), et le second de 1998 à 2005. Ce dernier a permis la création du premier RAM et du Point Info. De 2006 à 2010, c’est un nouveau type de contrat, le CEJ, que la ville a signé avec la CAF. Une augmentation de 22 places a été possible grâce au financement de ce CEJ, ainsi que l’ouverture du deuxième RAM. Un nouveau CEJ a été signé pour la période 2011-2014, qui prévoit la fusion des RAM et du Point Info ainsi que la rénovation et l’augmentation de la capacité de plusieurs structures. La petite enfance et la jeunesse semblent être des priorités politiques à Vénissieux. La ville a longtemps été dans une position avant-gardiste en étant la première à créer un service de l’Enfance en 1966, et en disposant de nombreuses crèches. Si ce côté avantgardiste parait moins vrai aujourd’hui, la municipalité consacre tout de même 8,6% de son budget 2012 à la famille (secteur qui comprend les crèches, les centres de loisirs et maisons de l’enfance, ainsi que les dépenses en faveur des personnes âgées), soit 8,9 millions d’euros. A ces 8,9 millions s’ajoutent 23,3 millions d’euros pour les écoles, 11 millions pour 16 la jeunesse et le sport, et 7,9 millions pour la culture . Notons qu’une place en accueil collectif coûte en moyenne 15 000 euros de frais de fonctionnement annuels, et autant de 17 frais d’investissement . Dans son discours du 2 mai 2011, à l’occasion de la signature du nouveau CEJ, le maire de Vénissieux, Mme Picard, déclarait ainsi que « nous consacrons en volume, un euro sur deux à l’enfance et la jeunesse, et à la place qu’elles vont occuper 18 au cœur de notre cité ». Cette volonté politique est fidèle à l’histoire de Vénissieux, troisième ville du Rhône, banlieue d’ouvriers et d’immigrés, dont les maires sont communistes depuis 1944. Connue pour les émeutes du quartier des Minguettes à l’été 1981, la ville est marquée par 19 une population précaire et une grande mixité sociale et culturelle . Un programme de rénovation urbaine est en cours à Vénissieux avec un Grand Projet de Ville nommé « Réunir Vénissieux » pour les quartiers des Minguettes et de Max Barel. L’arrivée du tramway qui ème relie Vénissieux à Lyon 8 en avril 2009 fait partie de ce programme de rénovation urbaine visant à désenclaver la ville. La tradition d’éducation populaire, d’accès à la culture et aux services publics pour tous et d’égalité des chances est très forte au sein de cette « banlieue rouge ». Cette tradition est fièrement affichée dans les discours du maire, qui revendique le caractère historique de la promotion de la jeunesse à Vénissieux : « la jeunesse, l’enfance, la petite enfance ne sont pas des sujets secondaires, mais une priorité. 16 17 Magazine Vénissieux Singulier Pluriel. « Budget 2012, Finances locales. » Mai 2012, n°7. CANASSE, Serge. « Politiques de la petite enfance, combien ça coûte ? » [en ligne]. Carnets de santé [page consultée le 18 juillet 2012] < http://www.carnetsdesante.fr/Politiques-de-la-petite-enfance,463> 18 Intervention de Michèle Picard à l’occasion de la signature du Contrat Enfance Jeunesse [en ligne]. 2 mai 2011. [page consultée le 15 juin 2012] < http://www.michele-picard.com/ > 19 Une analyse détaillée des caractéristiques du territoire et de la population du terrain d’enquête est fournie dans la première partie de cette étude. 10 BONNARD Camille - 2012 Introduction Vénissieux en a fait le cœur de son contrat communal. […] Le signe fort d’une politique 20 volontariste, pertinente, au service des habitants. » L’hypothèse personnelle qui a germé au cours de mon stage est donc que la politique de la petite enfance à Vénissieux revêt un caractère singulier, notamment du fait de l’identité communiste de la ville. Cette étude, bien qu’elle ne soit pas comparative, visera à évaluer « l’originalité » de la politique de la petite enfance de Vénissieux ainsi que la façon dont elle s’inscrit (ou non) dans les tendances nationales de cette politique. Les enjeux de la standardisation et de la différenciation Le secteur de la petite enfance a connu une forte professionnalisation depuis les années 1950, avec diverses identités professionnelles et des valeurs qui ont émergé. Le diplôme de puéricultrice est créé en 1945, celui d’auxiliaire de puériculture en 1947. Il faut attendre 1973 pour la création du diplôme d’éducateur de jeunes enfants. La crèche se décline petit à petit en crèche collective, crèche parentale, crèche familiale, puis dernièrement micro-crèche. Au niveau des pratiques, dans les années 1980, la mission de garde de l’enfant évolue en mission d’accueil, avec une dimension éducative et affective plus présente. Pour MariePaule Thollon-Behar, « une véritable culture professionnelle s’est constituée, avec des 21 contenus théoriques et des valeurs. » La qualité de l’accueil de l’enfant et de sa famille devient un objectif primordial et le concept de soutien à la parentalité est intégré dans les pratiques. De plus, les contrats Enfance avec la CAF encouragent les professionnels à développer des projets de création de lieux d’accueil enfant-parent, d’accueil d’intervenants artistiques, de liens passerelles avec l’école maternelle… Les professionnels doivent donc s’adapter à de nouvelles missions et développer de nouvelles compétences. Ainsi les modes de garde n’ont cessé de s’améliorer en termes d’objectifs, de formation professionnelle des intervenants et de modalités d’accueil. Cette amélioration semble toutefois quelque peu remise en cause par les évolutions législatives des dix dernières années, qui ont profondément modifié les pratiques professionnelles. De manière plus générale, il paraitrait que la petite enfance subisse un processus de standardisation lié à l’amélioration de la qualité. La standardisation des normes et des procédures garantit en effet un traitement égal des enfants. Cette standardisation correspond aussi à une individualisation des usagers des services sociaux, qui permet que l’enfant soit reconnu en tant qu’individu à part entière. Toutefois les contenus théoriques qu’intègrent les professionnels au cours de leur formation ne sont peut-être pas toujours adaptables à un terrain aux réalités spécifiques (bien qu’une partie de leur formation vise aussi à rendre les professionnels polyvalents et opérationnels dans différentes situations et avec différentes populations). Dès lors, comment adapter le métier appris et comment 22 « faire du sur mesure » ? Comment concilier l’individualisation et l’égalité ? Cette standardisation ne se joue pas seulement dans les pratiques professionnelles mais aussi à mon sens dans les formes que revêt l’action publique. Celle-ci est dorénavant territorialisée, intègre une multiplicité d’acteurs et utilise des instruments tels que les partenariats, les contrats et les projets. 20 Intervention de Michèle Picard à l’occasion de la signature du Contrat Enfance Jeunesse [en ligne]. 2 mai 2011. [page consultée le 15 juin 2012] < http://www.michele-picard.com/ > 21 22 THOLLON-BEHAR, Marie-Paule. Du côté des professionnels. In BEN SOUSSAN, Patrick. Op. cit., p. 121. GUILLOU, Anne & PENNEC, Simone. Op. cit., p. 91. BONNARD Camille - 2012 11 La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation Par ailleurs, on peut relever une tendance inverse de différenciation de l’action publique locale du fait de la décentralisation et de l’attribution de certaines compétences, telles que la gestion de l’accueil de la petite enfance, aux municipalités. Le danger qui apparait assez vite est de mettre en avant cette différenciation en ne prenant pas assez de recul face au discours des acteurs locaux, qui tendent à valoriser leurs pratiques en les décrivant comme originales. Comme le précise Anne-Cécile Douillet, « c’est le risque, pour l’analyse scientifique, de prendre pour argent comptant 23 le discours des acteurs locaux qui valorisent leurs spécificités. » La mise en avant de cette différenciation se retrouve pourtant fréquemment sur les territoires, du fait de la décentralisation notamment, ce qui laisse à penser que la différenciation est en fait un processus généralisé. Ainsi, « s’il faut nuancer l’idée de différenciation dans l’action publique locale, c’est d’abord parce que la valorisation de celle-ci répond à des évolutions communes 24 à tous les territoires. » La difficulté de ce travail sera donc de distinguer ce qui relève de la différenciation en tant que processus commun et actuel des politiques publiques, et ce qui relève des vraies spécificités du territoire vénissian. Il m’a semblé intéressant de voir en quoi la politique de la petite enfance d’une ville telle que Vénissieux se conformait ou non aux évolutions décrites précédemment. Il est évident que la mise en œuvre de la politique de la petite enfance se doit de respecter les nouvelles législations nationales et les exigences de la CAF. Toutefois, la petite enfance n’est pas un secteur tout à fait comme les autres du fait du public qu’il concerne. Vénissieux est également un territoire singulier du fait de son identité politique communiste et de sa population précaire. Ainsi, ces éléments particuliers laissent penser que ces tendances générales, si elles sont appliquées à Vénissieux, ne le sont peut-être pas dans les mêmes modalités qu’ailleurs, ou avec des effets différents. Les spécificités de Vénissieux mèneraient donc à une certaine différenciation. Nous nous demanderons donc tout au long de cette étude dans quelle mesure la politique d’accueil de la petite enfance à Vénissieux s’inscrit dans les tendances actuelles des politiques sociales que sont la rationalisation, la standardisation des procédures et la territorialisation. Ce questionnement nous amènera à étudier les effets de ces processus et la manière dont les professionnels s’y adaptent, ainsi que leur ressenti face à ces évolutions, qui modifient souvent de manière non négligeable leurs pratiques. Il faudra aussi s’interroger sur l’origine des différenciations constatées. Les élus développent-ils volontairement une politique se distinguant des politiques nationales ? Les professionnels de l’administration et du terrain choisissent-ils eux-mêmes d’adopter des pratiques différentes ? Dans ce cas, comment adapter des pratiques censées être standardisées à un terrain et une population spécifiques ? Pour reprendre les propos de Ludovic Méasson, L’enjeu est de savoir si la territorialisation croissante de l’action publique conduit à une recomposition des structures et modes de gouvernement dans le sens d’une standardisation fondée sur un certain nombre de principes modernisateurs 23 DOUILLET, Anne-Cécile. L’action publique locale dans tous ses états. Différenciation et standardisation. Paris : L’Harmattan, 2012. Collection Logiques Politiques. P. 21. 24 12 Ibid., p.22. BONNARD Camille - 2012 Introduction (contractualisation, gouvernance territoriale, approche participative, etc.) ou si, à l’inverse, la territorialisation engendre des déplacements et des recompositions différentes selon les territoires, selon les types de collectivité locale et selon le 25 domaine d’intervention. J’essayerai donc au travers de mon étude de mieux cerner les effets de cette territorialisation en ce qui concerne le domaine de la politique de la petite enfance à Vénissieux. La standardisation sera ici entendue comme l’homogénéisation de la construction et du contenu des politiques publiques ainsi que des modes de gouvernance du local. La différenciation sera définie comme « le processus par lequel le contenu des politiques publiques, les styles de mobilisation et de domination politiques, mais aussi les rapports de pouvoir entre les différentes organisations participant à la gouvernance de ces espaces 26 varient d’un lieu à l’autre. » Il convient en outre de souligner que le débat entre différenciation et standardisation est particulièrement aigu dans le champ des politiques sociales : comment arbitrer entre l’obligation d’un traitement identique et égalitaire des usagers d’une part, et la nécessité de prendre en compte la singularité des situations de chaque famille avec ses problématiques particulières d’autre part ? Le service petite enfance de Vénissieux, en ayant affaire à de nombreuses situations familiales difficiles, est particulièrement confronté à cette ambivalence, et tente d’y faire face de diverses façons. Ce débat a de plus toujours été au cœur des travaux de science politique portant sur l’action publique locale : celle-ci est en effet d’une part le lieu d’exécution des politiques nationales permettant une certaine unité du territoire national et d’autre part le 27 lieu d’expression des intérêts et spécificités locales . Selon les périodes, l’un ou l’autre des paradigmes de standardisation et de différenciation a été prédominant, bien que les deux coexistent toujours. Ainsi, Gilles Pinson et Hélène Reigner distinguent la période keynesiano-fordiste d’une part, au cours de laquelle la standardisation de l’action sur le territoire national est présentée comme un des éléments clé d’un projet politique modernisateur global, la période post-keynésienne et postfordiste, d’autre part, caractérisée par une mise en récit des vertus et nécessités 28 de la différenciation territoriale. Mon hypothèse est qu’aujourd’hui ces deux phénomènes coexistent à Vénissieux dans le contexte de la petite enfance. Je me concentrerai principalement sur l’étude des structures d’accueil collectif, et moins sur l’accueil individuel des assistants maternels, - pour une raison pratique qui est je n’ai rencontré aucun assistant maternel -, même s’ils font eux aussi partie intégrante de la politique de la petite enfance. Les termes d’établissement d’accueil du jeune enfant (EAJE), de structure d’accueil, de crèche ou encore de multi-accueil seront utilisés indifféremment tout au long de ce mémoire. 25 MEASSON, Ludovic. Différenciation, incertitude, espace et politique : l’exemple des territoires de projet LEADER. In DOUILLET, Anne-Cécile. Op. cit., p. 27. 26 PINSON, Gilles et REIGNER, Hélène. Différenciation et standardisation dans la(es) politique(s) urbaine(s). In DOUILLET, Anne-Cécile. Op.cit., p. 166. 27 28 Ibid., p.163. Ibid., p. 168. BONNARD Camille - 2012 13 La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation Le point de vue adopté sera celui de la construction de la politique de la petite enfance par la municipalité et le service Petite Enfance, et non le point de vue des familles, même si cette politique est largement fondée sur l’évaluation des besoins de la population. Protocole de recherche L’enquête de terrain est fondée d’une part sur les observations et entretiens réalisés en juin 2011 au cours de mon stage, et d’autre part sur neuf entretiens supplémentaires effectués en 2012 dans le cadre spécifique de ce mémoire. La politique de la petite enfance étant construite et mise en œuvre par des acteurs divers, mon objectif a été de constituer un échantillon représentatif des différents profils d’acteurs de ce champ, afin d’obtenir des points de vue variés et de pouvoir confronter les discours de chacun. Mes grilles d’entretien étaient différentes pour chaque personne interviewée, mais contenaient cependant toutes des questions similaires ou sur les mêmes thématiques dans l’optique d’une comparaison entre les entretiens. Les entretiens menés étaient tous semi-directifs et j’ai laissé une importante liberté de parole aux acteurs. Avec leur autorisation, les entretiens étaient enregistrés. Je me suis tout d’abord entretenue avec trois directrices d’EAJE : Mme Ruiz, directrice de la crèche associative Tourni-Cotton rattachée au centre social Eugénie Cotton, dans le quartier des Minguettes ; Mme Henner, directrice de la crèche municipale Carrousel dans le quartier des Minguettes également ; Mme Champmartin, directrice de la crèche municipale Gribouille dans le quartier Moulin à Vent. Ces trois entretiens m’ont permis de comprendre les spécificités du statut municipal et du statut associatif ainsi que leurs points communs, et d’aborder les particularités de certains quartiers de Vénissieux. Les trois directrices ayant 29 évoqué le projet global Enfant Phare en cours au niveau des services de l’enfance et de la petite enfance, j’ai cherché la personne en charge de la coordination de ce projet. J’ai ainsi rencontré M. Naton, animateur en cours de formation de DEJEPS (Diplôme d’Etat de la Jeunesse, de l’Education Populaire et des Sports) et en contrat d’apprentissage au sein du service Enfance – Petite Enfance. M. Naton est chargé de faire le lien entre les personnels des services de Vénissieux et un consultant extérieur qui accompagne les équipes autour de ce projet. J’ai pu m’entretenir par téléphone avec ce consultant spécialisé dans l’accompagnement de projets transversaux et de projets de développement de territoire, M. Bély, ce qui m’a permis d’obtenir un regard extérieur sur la politique de la petite enfance menée à Vénissieux. J’ai également interviewé par téléphone Mme Neri, la responsable du Point Info, c'està-dire de l’accompagnement des familles dans la recherche d’un mode de garde : elle a pu me renseigner sur les critères d’attribution des places en crèche et la fusion en cours du Point Info avec le Relais d’Assistants Maternels (RAM). J’ai rencontré à nouveau ma tutrice de stage, Mme Margerit, directrice du service Enfance – Petite Enfance, ainsi que l’ancien coordinateur du Contrat Enfance Jeunesse 30 (CEJ), M. Damblin, qui a changé de poste récemment . Mme Margerit est puéricultrice et cadre de santé de formation, et M. Damblin est cadre A de la fonction publique (conseiller d’éducation populaire et de jeunesse) : ils ont donc une approche différente mais tous deux ont une vision globale de la politique menée à Vénissieux en matière de petite enfance et de réponse aux besoins de la population. 29 30 Voir infra, p. 90. M. Damblin est désormais directeur du service Education – Enfance. Sa remplaçante, arrivée en avril 2012, a préféré que je m’entretienne avec M. Damblin, mais était présente lors de notre entretien. 14 BONNARD Camille - 2012 Introduction Enfin, il m’a semblé essentiel, pour un mémoire portant sur la politique de la petite enfance, d’interroger un ou des élus, afin de mieux cerner la volonté politique à l’origine de sa mise en œuvre. Il a été beaucoup moins aisé de parvenir à contacter ces personnes. J’ai tenté de rencontrer l’adjointe à la petite enfance, Mme Gicquel, mais elle n’a pas pu me recevoir, étant très peu présente à la mairie de Vénissieux pour des raisons personnelles. J’ai en revanche réussi à réaliser un entretien avec le maire de Vénissieux, Mme Picard. Cette dernière m’a expliqué qu’historiquement l’enfance a toujours été une priorité à Vénissieux, et que la politique petite enfance s’inscrit dans une politique municipale plus globale. Mme Margerit m’a par ailleurs fait parvenir divers documents internes au service enfance - petite enfance : le projet social et éducatif de Vénissieux, le bilan du CEJ 2006-2010 et l’analyse des besoins de la population. Ceux-ci m’ont été d’une grande aide pour obtenir des données chiffrées sur la population de Vénissieux (nombre de naissances, nombre d’enfants de moins de 6 ans, revenus des familles) ainsi que pour mieux comprendre l’évolution des besoins et la mise en œuvre de la politique de la petite enfance. Mes lectures sont venues compléter ces données issues du terrain. Elles ont porté sur les politiques publiques et leurs tendances actuelles, sur les politiques sociales et le travail social en général et plus particulièrement sur la politique de la petite enfance, avec notamment bon nombre de rapports ou de notes de synthèse (de la Caisse d’Allocations Familiales, du Conseil d’Analyse Stratégique…). La petite enfance est un secteur dynamique de la recherche, dans le champ de la pédagogie, de la psychologie mais aussi des sciences sociales ; il m’a donc fallu être vigilante dans le choix des lectures afin de cibler les thématiques liées à mon sujet. L’ensemble de ces recherches m’a permis de combiner apports théoriques plus généraux et éléments concrets issus du terrain. J’ai ainsi pu analyser les entretiens à la lumière de mes lectures, et voir en quoi les pratiques vénissianes s’inscrivaient dans des tendances globales (territorialisation, gouvernance, travail en partenariat) ou au contraire s’en différenciaient. Plan du mémoire L’analyse des caractéristiques démographiques et socio-économiques de la population et du territoire vénissians feront l’objet d’une première partie, qui sera aussi l’occasion de présenter le service Petite Enfance de la ville ainsi que les différentes structures d’accueil des jeunes enfants et les multiples intervenants du champ de la petite enfance. La deuxième partie montrera en quoi la politique de la petite enfance de Vénissieux s’inscrit dans une certaine standardisation, due aux nouvelles législations et normes encadrant le secteur de la petite enfance dans une optique de qualité, mais aussi aux modalités nouvelles de l’action publique locale que sont la territorialisation, la gouvernance et le travail en partenariat. Enfin, la troisième partie portera sur le caractère singulier de la politique de la petite enfance de Vénissieux, induit par les spécificités de la population et l’identité « rebelle » de la ville, qui impliquent l’adoption de pratiques différenciées. La différenciation se traduit aussi par la mise en œuvre d’un projet global de management du service Petite Enfance, que nous décrirons pour conclure cette étude. BONNARD Camille - 2012 15 La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation I.Une politique mise en œuvre par des acteurs multiples sur un territoire aux enjeux spécifiques A.Les acteurs de la petite enfance à Vénissieux 1. Le service Petite Enfance de la mairie de Vénissieux Le service Petite Enfance est situé au sein de la Direction Enfance Education Santé (DEES) de la mairie de Vénissieux. Cette grande direction comprend le service Education (gestion des écoles et des cantines), le service Enfance (gestion des Maisons de l’Enfance pour l’accueil des enfants de plus de trois ans durant le temps périscolaire), le service de Santé Scolaire, et le service Petite Enfance qui gère les crèches et les assistants maternels à travers deux Relais d’Assistants Maternels. Une particularité à Vénissieux est que la petite enfance (0-3 ans) est dissociée de l’enfance (3-12 ans) alors qu’un troisième service est chargé de la jeunesse (12-17 ans). Le service petite enfance auquel nous nous intéressons ne concerne donc que les enfants de 0 à 3 ans. Ce service est dirigé par Mme Margerit, puéricultrice et cadre de santé, qui travaille en étroite collaboration avec la coordinatrice du Contrat Enfance Jeunesse (CEJ), Mme Carcouet. Celle-ci a un rôle d’interface entre la CAF (Caisse d’Allocations Familiales), le Conseil Général et les EAJE (Etablissements d’Accueil du Jeune Enfant), rôle que nous détaillerons plus tard. Le Point Accueil, Information et Orientation des Familles (PIF ou Point Info), créé en 2003 et situé dans les mêmes locaux que le service petite enfance, est animé par une éducatrice de jeunes enfants, Mme Neri. Son rôle est de recevoir les familles à la recherche d’un mode de garde et de les accompagner dans leur démarche. Le Point Info ne centralise que les demandes de garde de plus de 15 heures par semaine, c'est-à-dire en mode de garde régulier. Lorsqu’il s’agit d’un mode de garde occasionnel de moins de 15 heures par semaine, les parents s’adressent directement à la directrice de la structure. Le PIF a aussi un rôle d’observatoire de la demande et de production de statistiques afin d’analyser l’évolution des besoins et ainsi d’éclairer les décisions politiques. Deux médecins de crèche travaillent par ailleurs avec le service Petite Enfance pour recevoir les familles lors de l’entrée d’un enfant en EAJE ainsi que pour élaborer les protocoles d’hygiène, d’alimentation et de santé. Mme Brouillaud, secrétaire, vient assister les personnes précitées ainsi que les EAJE dans la gestion des facturations et des contrats. Le service administratif à proprement parler est donc assez restreint. 16 BONNARD Camille - 2012 I.Une politique mise en œuvre par des acteurs multiples sur un territoire aux enjeux spécifiques A ce service viennent s’ajouter huit EAJE municipaux (Berlingot, Capucine, Carrousel, 31 Musicaline, Pain d’Epices, Parilly, Gribouille et la crèche familiale Sac de Billes ) et cinq EAJE associatifs (Arc en Ciel, qui est une crèche parentale, Saperlipopette, Moulin à Malice, 32 Tourni Cotton et Graines d’Eugénie ). Les crèches associatives, bien qu’ayant un statut et une réglementation différents, sont inclues dans la commission d’attribution des places au même titre que les crèches municipales, et respectent le projet social et éducatif de la ville. Elles travaillent donc en étroite collaboration avec l’équipe municipale. Au total, 360 places sont disponibles en accueil collectif, dont 268 places en équipements municipaux et 92 places en équipements associatifs. Il existe aussi un Lieu d’Accueil Parents-Enfants (LAEP), Cerf-Volant, situé dans un appartement du quartier des Minguettes. Les assistants maternels sont au nombre de 343, parmi lesquelles moins de 200 utilisent les services des deux Relais d’Assistants Maternels existant (créés respectivement en 2001 et 2007). En 2009, 63 assistants maternels adhéraient au RAM et bénéficiaient, au-delà des services d’information et d’accompagnement aux contrats, de formations, de temps collectifs avec les enfants et de temps festifs impliquant aussi les parents. Au niveau politique, l’adjointe chargée de la petite enfance est Mme Gicquel, que je n’ai pas pu rencontrer. L’adjointe et le maire élaborent un projet politique concernant la petite enfance à partir des analyses des besoins réalisées par les « experts » que sont les professionnels du service petite enfance. Comme l’indique Mme Margerit, « c’est une boucle, c'est-à-dire qu’à un moment les experts font remonter au politique, le politique va 33 mettre en place une politique qui sera mise en œuvre par les experts, et ainsi de suite. » Diverses évolutions ont eu lieu ou sont en cours au sein du service petite enfance, dans le but d’améliorer l’accueil et l’accompagnement de la population. A la faveur d’un départ au sein de la DEES, la direction des différents services a été repensée : Mme Margerit, qui était en charge de l’enfance et de la petite enfance, est dorénavant en charge de la petite enfance et des infirmières scolaires, tandis que le nouveau directeur de l’éducation, M. Damblin, devient responsable de l’enfance en remplacement de la santé scolaire. L’objectif est de permettre une approche plus globale de l’enfant dans tous ses temps de vie. En effet, pour M. Damblin, « rapprocher l’enfance de l’éducation ça 34 a du sens parce que pour être en centre de loisirs, il faut être scolarisé. » En outre, Mme Margerit ayant une formation de professionnelle de santé, il semblait légitime qu’elle ait la responsabilité des infirmières scolaires. Ainsi, pour M. Damblin, « ça permet de rationaliser un peu les choses et d’avoir une vision globale de l’enfant. Ces changements permettent 35 de progresser, globalement. » Par ailleurs, la pression des usagers insatisfaits du fait d’une réponse négative à leur demande de place en crèche ainsi que la volonté de mieux respecter les axes du projet social ont conduit à une réflexion sur la refonte des critères d’attribution des places de crèche. Les critères actuels sont : la date de la demande, le fait d’habiter à Vénissieux ou de travailler dans un EAJE de Vénissieux, le fait que les deux parents travaillent, et un critère de revenus (si deux dossiers réunissent les précédents critères, priorité est donnée à celui 31 32 33 34 35 Celle-ci comprend 84 places d’accueil chez des assistantes maternelles rattachées à cette crèche familiale. Ces trois dernières crèches font partie respectivement des centres sociaux Moulin à Vent, Eugénie Cotton et Roger Vailland. Entretien n°6. Entretien n°7. Ibid. BONNARD Camille - 2012 17 La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation dont les revenus sont les plus faibles). Les nouveaux critères seraient : la domiciliation à Vénissieux, l’activité des deux parents (ou bien une formation), la disponibilité d’une place qui corresponde aux besoins exprimés (date d’entrée, structures demandées, horaires et amplitude hebdomadaire, âge de l’enfant, mixité du public accueilli) et la situation familiale (parent mineur, monoparentalité, niveau de ressources). Pour Mme Neri, responsable du PIF, le but est d’être « au plus près de la demande, et du coup plus juste au niveau des 36 dossiers ». De même, pour Mme Margerit, il s’agit d’essayer d’être le plus juste possible : On veut pas non plus que les crèches deviennent des crèches ghettos pour les milieux précaires exclusivement. On essaie toujours, dans nos axes, c’est mixité sociale, donc on essaie de faire des critères croisés qui maintiennent une répartition juste et équilibrée de l’ensemble de la population, mais en étant 37 attentifs à certaines problématiques comme la monoparentalité… Enfin, face au manque de moyens des deux RAM, un processus a été entamé pour que ceux-ci fusionnent avec le PIF, afin de créer un Point Info – RAM. Les missions des deux types de structures seront ainsi rassemblées, et quatre antennes RAM seront installées dans différents quartiers de la ville pour être situées au plus près des besoins. Cette évolution répond au constat que les familles venaient au Point Info dans le but unique de s’inscrire en crèche, alors que le rôle de ce service est d’accompagner dans la recherche d’un mode de garde, quel qu’il soit. Après quand y’avait pas de place en crèche on renvoyait ces mêmes familles au relais. Donc on s’est dit, plutôt qu’on déçoive les familles, on va fusionner ces deux dispositifs, […] et comme c’est la même personne qui fait Point Info et relais, elle deviendra référent de la famille, du début à la fin, et la famille aura 38 moins l’impression de venir s’inscrire en crèche, explique Mme Margerit . Le service petite enfance et ses acteurs sont donc en mutation constante, dans l’optique de s’adapter aux évolutions sociétales. Ces mutations ne peuvent toutefois pas s’accomplir en totale autonomie, puisque la mise en œuvre de la politique de la petite enfance dépend aussi des interactions avec différents partenaires non municipaux. 2. Les partenaires non municipaux Si la municipalité est souveraine en matière de développement de l’accueil des jeunes enfants, elle ne peut augmenter son offre d’accueil qu’avec le concours d’autres acteurs, que sont la CAF et la Protection Maternelle et Infantile (PMI). D’autres partenaires tels que les travailleurs sociaux sont également présents sur le territoire et collaborent au quotidien avec les professionnels de la petite enfance. La CAF est le principal partenaire de la municipalité car elle finance le fonctionnement des structures d’accueil au moyen de deux dispositifs : la Prestation de Service Unique er (PSU) et le Contrat Enfance Jeunesse (CEJ). La PSU a été mise en place en 2002 (au 1 janvier 2003 à Vénissieux) ; elle visait à simplifier les modes de financement et à favoriser le multi-accueil. Celle-ci oblige les structures à signer des contrats avec les familles, et 36 Entretien n°2. 37 Entretien n°6. 38 Ibid. 18 BONNARD Camille - 2012 I.Une politique mise en œuvre par des acteurs multiples sur un territoire aux enjeux spécifiques fixe un prix plafond et un prix plancher pour la participation financière des familles, qui est désormais facturée à l’heure. Cette participation est progressive en fonction des ressources des foyers, du nombre d’enfants à charge, de la présence d’un enfant handicapé, etc. Le financement de la CAF vient s’ajouter à la participation familiale dans la limite de 66% du 39 prix plafond retenu selon le type d’accueil concerné . Ces barèmes CAF garantissent que le prix payé par les familles, ou « taux d’effort », soit le même sur tout le territoire français : « qu’on aille dans une crèche à Vénissieux, à Lyon, à Paris ou en Corse, on paie le même 40 tarif en fonction de ses revenus. » Ainsi, en 2011, la somme des participations de la CAF et des familles s’élevaient à 4,27€ par heure et par enfant. Comme le précise M. Damblin, « si la famille paie un euro, la CAF paie 3,27€ en fonction du revenu des familles, du taux d’effort. Ca veut dire que déjà d’entrée y’a 4,27€ qui sont payés par un autre financeur que 41 la ville ». Si l’on estime qu’une place en crèche municipale coûte environ dix euros par heure et par enfant à Vénissieux, les 5,73€ restants sont financés par la ville d’une part, et par la CAF dans le cadre du CEJ d’autre part, via la PSEJ (Prestation de Service Enfance Jeunesse). Le premier CEJ entre la CAF et la ville de Vénissieux a été signé en 2006, pour une période de quatre ans. Il correspond à la fusion des contrats « enfance » et des contrats « temps libre » qui existaient auparavant, et il s’adresse aux enfants de 0 à 17 ans. Son taux de cofinancement est de 55% pris en charge par la CAF. L’objectif est de favoriser et d’optimiser l’offre d’accueil en ciblant les territoires les moins biens pourvus et en 42 menant une politique tarifaire accessible aux familles les plus modestes . En contrepartie, la municipalité s’engage à rendre des comptes à la CAF et à respecter certains critères tels 43 que le taux d’occupation ou le taux de rotation . A Vénissieux, cette subvention du CEJ s’élève à environ 900 000 voire un million d’euros par an, et ne concerne que certaines 44 créations de places de crèche qui ont été inscrites au CEJ . La Protection Maternelle et Infantile, service du Conseil Général, est également présente sur le territoire vénissian au sein de deux Maisons du Rhône (situées respectivement dans les cantons de Vénissieux-Sud et Vénissieux-Nord). Ses deux grandes missions, la promotion de la santé de la mère et de l’enfant ainsi que la protection de l’enfance, s’articulent autour de trois axes : les actions préventives autour de la naissance, le suivi de l’enfant dans son milieu de vie, et la protection des enfants en difficulté. En ce qui concerne l’accueil de la petite enfance, la PMI joue un rôle majeur puisqu’elle délivre l’agrément permettant aux EAJE d’accueillir des enfants. Elle effectue ensuite un suivi et des contrôles de ces lieux d’accueil des moins de six ans, qui doivent respecter des critères stricts d’hygiène, d’aménagement, etc. C’est également la PMI qui forme les assistantes maternelles et leur octroie l’agrément nécessaire à l’exercice de leur profession. Les équipes des EAJE et la PMI travaillent en étroite collaboration dans un but de suivi des familles. En effet, la PMI ayant un rôle de prévention et de protection de l’enfance, elle 39 CAF [en ligne]. La prestation de service unique pour les structures d’accueil des jeunes enfants. 2012. [page consultée le 21 mai 2012] < http://www.caf.fr/sites/default/files/caf/741/psu_fiche_technique_2012.pdf > 40 41 42 Entretien n°7. Ibid. CAF [en ligne]. Le point sur le Contrat Enfance et Jeunesse. 2006. [page consultée le 21 mai 2012] < http://www.caf.fr/sites/ default/files/caf/131/Documents/plaquette_enfance_et_jeunesse.pdf > 43 44 Voir infra p. 53. Entretien n°6. BONNARD Camille - 2012 19 La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation peut cibler des familles pour lesquelles l’accueil en collectivité serait bénéfique. Comme l’explique Mme Ruiz, « [les puéricultrices] vont venir repérer les familles, elles vont venir donner leur avis sur les familles prioritaires qui ont vraiment besoin. Et du coup nous quand on va considérer ces gens-là à la commission, on va mettre une petite option pour qu’elles 45 soient prioritaires par rapport aux autres ». De même, les crèches sont en lien avec les travailleurs sociaux de la protection de l’enfance pour effectuer des bilans lorsqu’une famille est soumise à une AEMO (Action Educative en Milieu Ouvert) ou une AEA (Aide Educative Administrative). Enfin, les EAJE collaborent avec les Centres Médico-Psychologiques (CMP) qui comme la PMI recommandent certaines familles pour l’accueil en collectivité selon certains 46 critères . Certaines crèches reçoivent aussi des familles suivies à l’Unité Mère-Bébé de l’hôpital psychiatrique du Vinatier. 47 La mise en réseau des acteurs Ce schéma montre qu’il existe sur le territoire un réseau constitué de partenaires réunis autour du suivi des familles, et en particulier des enfants et de leur bien-être. Ces partenaires agissent auprès d’une population singulière, vivant sur un territoire spécifique. B.Une population et un territoire particuliers La politique de la petite enfance étant fondée sur l’évaluation des besoins des familles, il convient de s’intéresser aux caractéristiques démographiques, sociales et économiques 45 46 Entretien n°1. Entretien n°1 : « Un enfant qui va pas bien, qui a des difficultés familiales, qui est pauvre en stimulations dans sa famille, qu’il y a la barrière de la langue ou un repli de la famille sur elle-même. » 47 Schéma tiré de DAVID, Olivier. « Les politiques locales en faveur de la petite enfance : de la mobilisation des acteurs à la construction de partenariats. » Espaces et sociétés, n°24, mars 2006. P. 11. 20 BONNARD Camille - 2012 I.Une politique mise en œuvre par des acteurs multiples sur un territoire aux enjeux spécifiques de la population et du territoire vénissians. Celles-ci sont en effet particulières et vont déterminer la mise en œuvre de cette politique. On observe ainsi une précarité globale de la population ainsi qu’un nombre élevé d’enfants de moins de six ans, couplés à de grandes différences sociales et culturelles entre les quartiers. Nous nous baserons ici largement sur le bilan du Contrat Enfance Jeunesse 2006-2010 effectuée en 2010 par le coordinateur 48 Enfance Jeunesse . 1. Une population jeune et précaire D’une part, les indicateurs démographiques en ce qui concerne le nombre de naissances et d’enfants de moins de six ans sont élevés, et toujours supérieurs à la moyenne du Grand Lyon. En effet, en 2009, environ 1200 naissances ont été dénombrées, le taux de natalité atteignant 17,6‰ sur la période 1999-2008 (contre 14,5‰ dans le Rhône sur la période 49 1999-2009 ). On compte 6230 enfants de moins de 6 ans, soit 37% du total du nombre 50 d’enfants . Ils sont ceux dont la proportion a le plus augmenté entre 2006 et 2009 (+11,4% 51 contre seulement +5,33% dans le Grand Lyon) . Au total, la population de 0 à 14 ans représente près de 23% de la population vénissiane totale, soit la tranche d’âge la plus 52 nombreuse. Les familles sont plus nombreuses à Vénissieux que dans le Grand Lyon, et la proportion de couples sans enfant est moindre à Vénissieux. D’autre part, les données socio-économiques indiquent des fragilités importantes, tant au niveau économique qu’au niveau familial, avec un grand nombre de familles monoparentales. Celles-ci représentent en effet 30% des allocataires de la CAF à Vénissieux contre 25% dans le Grand Lyon, et sont concentrées pour presque la moitié d’entre elles dans le quartier des Minguettes. Mais ce chiffre est peut-être à nuancer : Mme Ruiz, directrice de l’EAJE Graines d’Eugénie dans le quartier des Minguettes, fait remarquer que « celles [les familles] qui sont déclarées monoparentales, dans la réalité y’a les papas quoi. C’est un peu à la débrouille, c’est tellement difficile au niveau de l’emploi, et que 53 familles monoparentales ça veut dire une aide de la CAF, allocation parent isolé. » De plus, en 2008, 44% des allocataires ont des revenus en dessous du seuil de bas revenu (en dessous de 60% du revenu médian, calculé en fonction de la composition de la famille, soit moins de 903€ par Unité de Consommation) contre 34% pour le Grand Lyon. 30% des allocataires situés en dessous du seuil de bas revenu sont des familles monoparentales, tandis que seules 24% le sont dans le Grand Lyon. En ce qui concerne les enfants de moins de 6 ans, 18% vivent dans une famille monoparentale, 12% dans une famille monoparentale sans emploi et 14% dans une famille en couple sans emploi. Au total, seulement 22,5% des parents avec un enfant de moins de six travaillent tous les deux, contre 43% dans le Grand 48 49 DAMBLIN, Matthieu. Bilan du Contrat Enfance Jeunesse 2006-2010. Ville de Vénissieux : 2010. 72 p. INSEE [en ligne]. Chiffres clé : Rhône. Evolution et structure de la population (mise à jour le 28 juin 2012). [page consultée le 30 juin 2012] <http://www.insee.fr/fr/bases-de-donnees/default.asp?page=statistiques-locales.htm> 50 51 52 Les chiffres ne sont pas disponibles pour les enfants de moins de trois ans, qui sont ceux concernés par l’accueil en crèche. DAMBLIN, Matthieu. Bilan du Contrat Enfance Jeunesse 2006-2010. Ville de Vénissieux : 2010. P.3. INSEE [en ligne]. Chiffres clé : Vénissieux. Evolution et Structure de la population (mise à jour le 30 juin 2011). [page consultée le 18 avril 2012] < http://www.insee.fr/fr/bases-de-donnees/default.asp?page=statistiques-locales.htm> 53 Entretien n°1. BONNARD Camille - 2012 21 La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation 54 Lyon . Ces chiffres démontrent le haut niveau de chômage et la proportion importante de familles en difficultés. Enfin, on observe que plus de la moitié des familles qui utilisent un EAJE disposent de moins de 1520€ mensuels. La catégorie de population accueillie la plus importante est celle 55 qui a de très bas revenus : 28% des familles accueillies ont moins de 760€ par mois . Ainsi, l’accueil en collectivité répond principalement aux besoins des familles les plus modestes, les assistants maternels représentant une offre complémentaire mais plus onéreuse. 2. L’hétérogénéité du territoire vénissian L’analyse de la demande en matière d’accueil de la petite enfance nécessite d’étudier les besoins de la population à l’échelle de la ville. En effet, si des diagnostics sont réalisés au niveau départemental (schémas départementaux d’accueil du jeune enfant) ou par l’Observatoire national de la petite enfance pour repérer les déséquilibres globaux, ceux-ci 56 ne permettent pas « d’apprécier l’adaptation de l’offre aux besoins » selon Audrey Daniel. La ville de Vénissieux est composée de quartiers bien distincts, ayant chacun des spécificités socio-démographiques. Afin de démontrer ces spécificités et d’étudier les besoins de chaque quartier, nous reprendrons ici le découpage en cinq grands quartiers qui a été effectué lors des bilans des Contrats Enfance Jeunesse en 2005 et en 2010. Ce découpage a l’avantage de mettre en avant la distinction entre cinq « bassins de vie », c'està-dire d’espaces dans lesquels la population se déplace aisément entre son domicile et son lieu de travail, et auxquels elle s’identifie. Il apporte donc une vision assez globale du territoire, en cohérence avec la zone d’influence des structures d’accueil du jeune enfant, qui dépasse le quartier immédiat du fait d’un manque de services dans certains quartiers. Ces cinq bassins sont donc le Centre-Gabriel Péri, les Minguettes, Moulin à Vent-Viviani, Jules Guesde-Parilly et Max Barel-Charréard-Pasteur. (Image à consulter sur place au centre de documentation de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon.) Le quartier du Centre-Gabriel Péri regroupe 9156 habitants soit 16% de la population vénissiane et 14% des enfants de moins de 12 ans. Ce quartier est en cours de réhabilitation et voit donc une nouvelle population arriver, plus jeune et avec des enfants. Les indicateurs de précarité y sont moins prégnants que dans le reste de la ville ; on y dénombre davantage de retraités et de catégories socio-professionnelles supérieures et moins de personnes sans activité professionnelle. Le nombre d’enfants est en augmentation, si bien que deux classes de maternelle ont été ouvertes en 2010. Lequartier du Centre – Gabriel Péri compte 33 places en EAJE, réparties entre la crèche municipale Berlingot et la crèche associative Saperlipopette. Cette dernière est en En 2009, les places de ce secteur ont cours d’extension pour passer de 12 à 24 places. été occupées par 148 enfants différents. 7 assistantes maternelles de la crèche En outre, familiale accueillant chacune 2 à 3 enfants par jour habitent sur ce quartier. On recense 54 55 56 DAMBLIN, Matthieu. Op. cit., p. 20. Ibid, p.17. DANIEL, Audrey. « Accueil de la petite enfance : une approche territoriale pour évaluer la couverture des besoins », Revue française des affaires sociales, 2011/4 n° 4, p. 33. 22 BONNARD Camille - 2012 I.Une politique mise en œuvre par des acteurs multiples sur un territoire aux enjeux spécifiques également 45 assistantes maternelles indépendantes. Le bilan du CEJ fait apparaitre que ce quartier semble sous-équipé en EAJE car une proportion conséquente d’enfants du quartier est accueillie dans d’autres structures de la ville. Compte tenu de la demande, certaines familles du Centre doivent donc se déplacer pour accompagner leurs enfants dans un autre secteur de la ville que celui de leur résidence. Le quartier des Minguettes est connupour ses difficultés sociales, et dispose d’une image encore négative dans les esprits, malgré le programme de rénovation urbaine en cours, qui a entrainé le passage du tram et la « dé-densification » de l’habitat. Ces changements n’ont pas amélioré la mixité de la population de ce quartier, qui demeure encore relativement isolée. Ce quartier se caractérise par sa population jeune : 47% des moins de 12 ans y habitent, pour 37% de la population totale (21 288 habitants). Les ouvriers et les personnes sans emploi y sont plus nombreux que sur le reste de la ville. On note aussi une certaine précarité des contrats de travail, qui s’est accentuée avec la crise économique. 54% des allocataires vivent en dessous du seuil de bas revenu, soit 10 points de plus que sur Vénissieux. Près d’un tiers des familles ayant un enfant de moins de six ans sont sans emploi. Lequartier des Minguettes totalise 123 places en EAJE, soit la majorité de l’ensemble des places de la ville, avecdeux structures municipales (Carrousel et Capucine) et trois associatives (Graine d’Eugénie, Eugénie Cotton et Arc en ciel, crèche parentale). En2009, elles ont été occupées par 501 enfants différents. Huit assistantes maternelles de la crèche familiale ainsi que 99 assistantes maternelles indépendantes habitent sur ce territoire. Le quartier bénéficie aussi d’un Lieu d’Accueil Enfants parents (LAEP), Cerf Volant, situé au rez-de-chaussée d’une tour d’immeuble. Ce lieu est également proposé par le Relais d’Assistantes Maternelles comme un lieu de regroupement pour les assistantes maternelles du secteur. Il est toutefois constaté une fréquentation faible et peu diversifiée, tant des familles que des assistantes maternelles, qui ne saisissent pas toujours l’objectif de la démarche. Bon nombre d’assistantes maternelles du quartier sont sans emploi car la mauvaise image du quartier n’attire pas les familles extérieures. De plus la signature du contrat complexe et le prix de la garde individuelle sont souvent rédhibitoires pour les familles en difficultés. Le secteur qui regroupe Parilly et Jules Guesde regroupe 7 185 individus, soit 13% de la population de la ville et 9 %des enfants de moins de 12 ans. Ce quartier est marqué par le vieillissement de sa population et par une plus grandemixitésocialequedans l’ensemble de la ville. Les indicateurs de précarité sont meilleurs que dans les autres bassins de vie, même si des disparités importantes existent à l’intérieur de ce grand territoire. Le quartier de Parilly - Jules Guesde dénombre un seul EAJE de15 places, la crèche Parilly. 63 enfants différents ont occupé ces places en 2009. 6 assistantes maternelles de la crèche familiale et 52 assistantes maternelles indépendantes habitent sur ce secteur. Les familles de Parilly - Jules Guesde ont un taux de recours aux EAJE bien supérieur au 57 taux d’équipement du quartier, par conséquent le quartier apparaît comme sous-équipé au regard des besoins de la population. Le grand territoire Max Barel-Charréard-Pasteur regroupe 8 067 individus soit 14% de la population de la ville et 13% des enfants de moins de 12 ans. Il est composé de trois quartiers distincts ayant peu de liens entre eux, et il n’a donc pas d’unité globale. Les périmètres d’intervention d’action sociale de la Maison du Rhône traversent ce grand 57 Nombre d’enfants accueillis dans les EAJE du quartier rapporté au total d’enfants de moins de six ans du quartier. BONNARD Camille - 2012 23 La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation territoire et rendent l’accès aux services sociaux plus compliqué tant pour la population que pour les professionnels dans un travail de partenariat (pour les écoles, l’EAJE, le RAM). Les caractéristiques socio-démographiques de ce territoire sont semblables à celles du reste de la ville, avec de grandes disparités sociales et économiques d’un « sous-quartier » à un autre. Le quartier Max Barel-Charréard-Pasteur compte 36 places en EAJE, au sein de la structure Pain d’Epices qui a été créée en 2005. En 2009, ces places ont été occupées par 155 enfants différents. Six assistantes maternelles et 50 assistantes maternelles indépendantes exercent sur ce secteur. Les familles de Max Barel-Charréard-Pasteur ont un taux de recours aux EAJE équivalent au taux d’équipement du quartier : tous les enfants qui obtiennent une place pour un accueil en mode de garde(plus de 15 heures par semaine)ont donc la possibilité d’être accueillis en EAJE dans le quartier. La particularité de l’EAJE Pain d’Epices est d’accueillir des populations en grande difficulté sociale, notamment lors de l’accueil occasionnel. Hormis les écoles, la crèche est l’un des rares services publics identifié du secteur ; elle y joue donc un rôle social particulier. Enfin, le grand quartier Moulin à Vent regroupe 11 484 habitants, soit 20% de la population de la ville et 17% des enfants de moins de 12 ans. C’est un quartier marqué par le vieillissement de sa population et davantage de mixité sociale que pour le reste de la ville. Le niveau de vie de ce territoire est en moyenne plus élevé que pour l’ensemble de la ville. Il existe néanmoins d’importantes inégalités entre quartiers, notamment pour Viviani et Joliot-Curie, plus sujets à la précarité et enclavés du fait des grands axes de circulation qui les entourent. Le quartier Moulin à Vent Viviani totalise69 places en EAJE, dans les crèches municipales Musicaline et Gribouille d’une part etla crèche associative Moulin à Malice d’autre part. 242 enfants différents ont occupé ces places en 2009. 11 assistantes maternelles de la crèche familiale travaillent sur ce secteur ainsi que 63 assistantes maternelles indépendantes, dont l’activité s’adresse aussi largement à des familles non vénissianes. Les familles de Moulin à Vent ont un taux de recours aux EAJE légèrement supérieur au taux d’équipement du quartier. On observe donc que les crèches sont implantées sur le territoire en fonction des besoins de la population. Toutefois les bassins de population étant fluctuants, certains quartiers sont moins bien pourvus que d’autres en places de crèche. M. Damblin précise 58 toutefois qu’ « on est sur un besoin tellement fort des populations qu’elles se déplacent. » C.Les objectifs de la politique de la petite enfance 1. Le projet social du service Petite Enfance de Vénissieux Un projet social inscrit l’action des services de la petite enfance dans le cadre plus large du développement territorial : « il s’agit ici de solliciter les établissements et services d’accueil 58 24 Entretien n°7. BONNARD Camille - 2012 I.Une politique mise en œuvre par des acteurs multiples sur un territoire aux enjeux spécifiques petite enfance comme contributeurs au développement éducatif et social territorial, à travers 59 leur projet social. » A Vénissieux, ce projet s’applique à l’ensemble des structures d’accueil de la ville et a été élaboré à la fois par des élus, des professionnels de la petite enfance et des directeurs de centres sociaux. Ainsi, les structures associatives sont elles aussi inclues dans ce projet social, au même titre que les crèches municipales. Chaque EAJE décline ce projet social au sein de son projet pédagogique d’établissement, en fonction de ses spécificités. Le 60 projet social s’articule en 11 axes , adaptés au terrain spécifique que constitue la ville de Vénissieux. Le premier de ces axes est la promotion d’un accueil de qualité, fondé sur des compétences professionnelles actualisées et développées ainsi qu’une organisation et des procédures adaptées. L’accueil de l’enfant et de sa famille se veut personnalisé et adapté aux besoins. Il est basé sur des valeurs telles que l’équité, le respect de la diversité, la laïcité et la coéducation. L’accueil du jeune enfant vise aussi à dépister et prévenir les situations d’exclusion, dans une optique d’égalité des chances et de cohésion sociale. Cet axe est mis en œuvre par une procédure favorisant les familles en situation de précarité pour l’obtention d’une place de crèche, pour encourager la mixité sociale. De plus, l’offre de garde occasionnelle (moins de 15 heures par semaine) et l’accueil en urgence permettent à certaines familles, malgré qu’elles n’aient pas d’emploi, de socialiser leur enfant et d’avoir accès à ce service public. L’accueil des enfants en situation de handicap constitue le troisième axe de ce projet social. Le soutien des savoirs parentaux est également une orientation importante, que j’ai retrouvée dans plusieurs de mes entretiens. Cet axe de soutien et d’accompagnement est relativement nouveau, car auparavant les professionnelles étaient plus facilement dans une position de supériorité par rapport aux familles. Mme Champmartin explique ainsi que dorénavant, « l’idée c’est de faire ensemble, avec eux. Donc on n’est pas là pour leur dire comment faire parce que je pense que c’est fini ce temps où les professionnels savaient 61 et apprenaient aux parents. » Cet axe s’articule avec le suivant, intitulé « favoriser la participation citoyenne des 62 63 usagers que sont les familles ». Depuis le décret d’août 2000 notamment , les familles sont invitées à participer au fonctionnement de la structure, en donnant leur avis ou en participant à des activités collectives. Les familles sont particulièrement intégrées dans la crèche parentale Arc en Ciel puisque celle-ci est gérée par les parents, ainsi que dans les crèches de centres sociaux (Graines d’Eugénie et Tourni Cotton), qui peuvent davantage les accueillir dans leur globalité du fait des autres activités proposées par le centre social. 59 PUEYO Bernard, MORETON Françoise. Articuler projet social et projet éducatif dans le domaine de la petite enfance. Institut ème National de Recherche Pédagogique. Contribution n°240 de la 8 Biennale de l’Education et de la Formation. P.2. 60 Direction Enfance Education Santé, ville de Vénissieux. Projet social et éducatif 0-6 ans. Les axes de travail du projet social. 16 p. 61 62 Entretien n°5. Direction Enfance Education Santé, ville de Vénissieux. Projet social et éducatif 0-6 ans. Les axes de travail du projet social. P.8. 63 Voir infra, p. 42. BONNARD Camille - 2012 25 La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation Pour Mme Margerit, cet axe correspond à l’idée que « le parent est capable de. […] Qu’il soit précaire, qu’il soit dans une difficulté sociale, psychologique, matérielle ou autre, partons de ce que sait faire le parent, de ce qu’il a à nous montrer, et portons sur cette famille un 64 regard digne. […] L’assistanat clairement c’est pas la solution. » Le sixième axe vise à mieux prendre en compte les besoins de l’enfant entre deux et trois ans, notamment face au déclin de la scolarisation dès deux ans et demi, en développant par exemple un réseau d’assistantes maternelles pour l’accueil péri-scolaire. Favoriser l’accès de tous les enfants aux activités culturelles, artistiques et sportives, ainsi que susciter les liens intergénérationnels, constituent les septième et huitième axes. Le projet social se situe aussi au niveau administratif, avec l’idée de concourir à l’unité de la politique de la petite enfance à Vénissieux et de promouvoir un travail en réseau entre les acteurs. Pour cela, il stipule qu’il est nécessaire de formaliser davantage les liens existants et de distinguer les rôles de chacun pour éviter les chevauchements, tout en 65 développant la transversalité . 66 L’avant-dernier axe correspond à la fusion des RAM et du Point Info . Enfin, le projet social énonce que la politique de la petite enfance doit soutenir la promotion sociale des professionnelles, et notamment des assistants maternels. Si le contenu de ce projet semble comparable à celui de biens d’autres villes, sa mise en œuvre s’en différencie du fait de l’adaptation aux réalités du terrain et à la spécificité de sa population. Par ailleurs, la politique de la petite enfance répond à des objectifs sociétaux plus larges tels que l’épanouissement des jeunes enfants et leur réussite scolaire et sociale à plus long terme, ainsi que l’insertion sociale et professionnelle des parents. 2. Un investissement social dans la petite enfance Si le jeune enfant doit nécessairement passer beaucoup de temps auprès de ses parents pour sa sécurité affective et son développement, de nombreux travaux de recherche montrent les effets bénéfiques de l’accueil en collectivité. Celui-ci se doit d’être de qualité et de respecter le rythme et le bien-être de l’enfant s’il veut favoriser son développement cognitif, psycho-affectif, physique et social. L’accueil en crèche constitue tout d’abord un premier lieu de socialisation pour l’enfant, qui va apprendre à côtoyer d’autres enfants et d’autres adultes que ceux de son cercle familial. Il va également intérioriser le respect des règles sociales et d’autrui. Ainsi, « les enfants gardés collectivement ont une meilleure compétence sociale, sont plus indépendants vis-à-vis des adultes, ont moins peur des étrangers, sont plus sûrs d’eux67 mêmes. » 64 65 Entretien n°6. Direction Enfance Education Santé, ville de Vénissieux. Projet social et éducatif 0-6 ans. Les axes de travail du projet social. P. 14. 66 67 Voir supra, p. 24. FLORIN Agnès. Modes d’accueil pour la petite enfance au regard de la recherche internationale. In BEN SOUSSAN Patrick. Le livre noir de l’accueil de la petite enfance. Toulouse : Editions Erès, 2010. Collection 1001 BB. P. 91. 26 BONNARD Camille - 2012 I.Une politique mise en œuvre par des acteurs multiples sur un territoire aux enjeux spécifiques Le développement de l’offre d’accueil de la petite enfance est aussi largement considéré comme un moyen de favoriser la réussite scolaire et sociale. En effet, « en matière d’héritage 68 social, les mécanismes qui comptent vraiment sont enfouis à l’âge préscolaire. » Les inégalités s’établissant dès le plus jeune âge, il parait alors important de promouvoir un accueil collectif de qualité qui permette une certaine égalité des chances. L’accueil en crèche va ensuite faciliter l’entrée et l’intégration dans le système scolaire. Cet accueil est notamment très bénéfique pour les enfants issus de milieux en difficultés ou issus de familles immigrées : « pour les enfants immigrés et de ‘deuxième langue’, des services de qualité peuvent faciliter l’intégration, l’acquisition linguistique, réduisant ainsi le handicap lors de 69 l’entrée dans le système d’éducation formelle. » Il est en effet avéré que les enfants issus de milieux dans lesquels on ne parle pas toujours français et ayant passé du temps en 70 collectivité progressent davantage dans l’acquisition du langage . Le développement d’une telle politique semble ainsi correspondre aux enjeux présents à Vénissieux, du fait d’une population en forte proportion précaire et d’origine étrangère, ne maitrisant pas toujours le français. L’investissement dans l’accueil de la petite enfance est un investissement sur le long terme, puisqu’in fine l’objectif est de réduire la pauvreté et les inégalités, ainsi que d’améliorer la santé de la population et la formation de la main d’œuvre. Cette vision se retrouve lors de différents discours du maire de Vénissieux, qui répète fréquemment que 71 « la jeunesse […] n’est pas un coût, mais un investissement. » L’accueil de l’enfant dans un service de qualité, et par des professionnels compétents est donc un des objectifs premiers de la politique petite enfance. Toutefois, l’enfant étant toujours accueilli avec sa famille, les objectifs de cette politique ne se limitent pas à l’enfant mais s’étendent à la société toute entière. 3. Un moyen de favoriser l’insertion professionnelle et sociale L’objectif premier de l’accueil des jeunes enfants est d’offrir un mode de garde aux parents et donc de leur permettre de concilier leur vie professionnelle et familiale. Cela est particulièrement vrai pour les femmes, qui sont bien souvent les premières à devoir arbitrer entre leur emploi et la garde de leur enfant. Ceci se remarque notamment dans les milieux en difficultés : si une offre de garde peu coûteuse n’est pas disponible, la mère choisira fréquemment l’option de garder son enfant à domicile au détriment de son travail. « Ainsi, il existe une relation claire entre une offre de garde élevée et un taux d’emploi des femmes élevé. En l’absence de services de garde et d’aide publique au retour sur le marché de 72 l’emploi, les congés parentaux peuvent affaiblir le lien des femmes au marché du travail. » En France, le taux de fécondité est le plus élevé d’Europe avec 1,98 enfant par femme en 68 ESPING-ANDERSEN Gosta, PALIER Bruno. Trois leçons sur l’Etat-providence. Paris : Seuil, 2008. Collection La République des idées.P. 72. 69 UNICEF, Centre de recherche Innocenti. La transition en cours dans la garde et l’éducation de l’enfant. Bilan Innocenti 8, 2008. P. 9. 70 71 FLORIN, Agnès. Op. cit., p.91. Intervention de Michèle Picard à l’occasion de la signature du Contrat Enfance Jeunesse [en ligne]. 2 mai 2011. [page consultée le 15 juin 2012] < http://www.michele-picard.com/ > 72 TABAROT, Michèle. Rapport sur le Développement de l’offre d’accueil de la petite enfance. La documentation française, 2008. P. 14. BONNARD Camille - 2012 27 La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation 73 2006 , ce qui montre que dans l’ensemble les femmes n’ont pas à arbitrer entre grossesse et emploi, en partie grâce à une politique d’accueil du jeune enfant efficace. La politique de la petite enfance répond donc aux objectifs de dynamiser la croissance démographique tout en palliant au vieillissement de la population, mais aussi d’augmenter la population active par le travail des femmes. Elle vient de fait alimenter le moteur de la croissance économique, en générant des emplois et en rendant les territoires dynamiques et attractifs. La politique de la petite enfance est aussi un « des moyens d’arriver à réaliser l’égalité hommes-femmes, puisqu’elle permet aux femmes de s’extraire de leur rôle de mère pour 74 s’investir dans une carrière professionnelle. » L’éducation et le soin des enfants restent toutefois encore largement à la charge des femmes dans la société française, ce qui conduit à un fort taux de travail à temps partiel parmi les emplois féminins. Parmi ceux-ci, trois sur 75 dix sont subis, ce qui représente un taux plus élevé que dans le reste de l’Europe . Cette situation se vérifie à Vénissieux, où bon nombre de personnes interviewées m’ont cité la difficulté d’accueillir des enfants dont les parents ont des horaires atypiques et irréguliers, avec beaucoup de temps partiels. Grâce au critère des deux parents qui travaillent, nécessaire pour obtenir une place régulière en crèche, la politique vénissiane vise à encourager le retour à l’emploi de la population, et en particulier des femmes. Le maire, Mme Picard, est en effet très sensible à la cause féminine : C’est compliqué parce qu’on a beaucoup de femmes qui subissent les temps partiels, les temps partiels imposés. […]On peut pas parler du professionnel des femmes sans parler de la garde des enfants, quelque part. Je pense que ça va de pair, au plus vos enfants sont biens dans des services publics, au plus les femmes se sentent libres de faire des choses aussi. […] C’est les femmes qui s’occupent des vieux, des enfants, des malades, des personnes handicapées, etc. Donc au plus vous avez des services publics forts, au plus ça donne de 76 l’émancipation aux femmes. Cependant, « sur certains bassins d’emploi très dégradés, les lieux d’accueil participent 77 davantage à soutenir les parcours d’insertion qu’à permettre l’accès à l’emploi. » Cette description correspond au cas de Vénissieux, où le taux de chômage s’élèvait à 18,6% 78 en 2008 . De fait, l’accueil des enfants en mode occasionnel (moins de 15 heures par semaine), qui ne nécessite pas que les parents aient un emploi, permet à l’enfant de se socialiser, mais aussi aux parents d’être en contact avec un service public et de recevoir un accompagnement. Cela leur donne aussi du temps libre, nécessaire pour effectuer leurs démarches de recherche d’emploi par exemple : « ils font ça aussi pour permettre de 73 Ibid., p. 13. 74 75 76 Ibid., p. 16. Ibid., p. 17. Entretien n°9. 77 PUEYO Bernard, MORETON Françoise. Articuler projet social et projet éducatif dans le domaine de la petite enfance. Institut ème National de Recherche Pédagogique. Contribution n°240 de la 8 Biennale de l’Education et de la Formation. P.2. 78 INSEE [en ligne]. Chiffres clé : Vénissieux. Evolution et Structure de la population (mise à jour le 30 juin 2011). [page consultée le 18 avril 2012] < http://www.insee.fr/fr/bases-de-donnees/default.asp?page=statistiques-locales.htm > 28 BONNARD Camille - 2012 I.Une politique mise en œuvre par des acteurs multiples sur un territoire aux enjeux spécifiques faire autre chose, de s’occuper des autres enfants, des démarches administratives, des 79 démarches personnelles… » Comme l’expliquent Bernard Pueyo et Françoise Moreton, un accueil ponctuel mais régulier peut alors aider à lever les freins successifs (alphabétisation, permis de conduire…), franchir les étapes, soutenir la construction d’une sécurité et d’une confiance pour la mère et l’enfant, et faciliter la séparation progressive ainsi que l’élaboration de projets. Enfin, la crèche représente pour les parents un premier lieu de contact avec le service public et ainsi un levier d’insertion et de prévention. Pour Mme Margerit, « la petite enfance c’est la prévention, on devrait mettre le paquet ! Parce que c’est là où on a les parents, c’est là où on a les familles, c’est là où on devrait faire passer les messages principaux ! Puisque les 80 familles amènent leur enfant, elles ont pas le choix. » L’accueil des familles débouche sur un travail d’accompagnement à la parentalité mais aussi de citoyenneté. Il s’agit de rendre les parents acteurs et de les renforcer dans leur rôle de premier éducateur de l’enfant. Mme Margerit insiste sur l’importance de recevoir les familles de manière digne, pour leur montrer que leurs préoccupations sont prises en compte même si une solution n’est pas toujours disponible. En cela, elle considère réaliser un travail de citoyenneté car les parents ont 81 ainsi un droit de regard sur ce que deviennent leurs cotisations . De la même façon, pour Mme Picard, la crèche est un « lieu public, laïc et républicain », donc un lieu d’exercice de 82 citoyenneté. Cette idée correspond à l’évolution décrite par Marc-Henry Soulet , selon qui les nouvelles modalités du travail social visent à parvenir à la « subjectivation de l’individu », par un accompagnement individualisé. L’autonomie et la responsabilisation sont alors des conditions d’intégration sociale. Ainsi, les politiques publiques en faveur de la petite enfance poursuivent simultanément plusieurs objectifs de nature différente : satisfaire les besoins des familles, socialiser les enfants, faciliter la conciliation vie professionnelle/vie familiale et accroitre le taux d’activité des femmes, soutenir les taux de fécondité, lutter contre la pauvreté infantile, garantir 83 l’égalité des chances. » Ces objectifs peuvent parfois s’avérer contradictoires : comment par exemple encourager les femmes à travailler sans que l’enfant ne passe trop de temps en structure collective ? Un congé parental de longue durée peut être une réponse aux besoins des familles, mais il risque aussi d’éloigner les parents du marché du travail, et notamment les femmes. La mise en place d’une prestation universelle pour pallier aux coûts que représente l’arrivée d’un enfant est aussi une solution pour soutenir la natalité, mais 84 elle pose des problèmes d’équité . Il s’agit donc de trouver un compromis délicat entre différentes options de développement de la politique petite enfance. Au terme de cette première partie, il semble nécessaire de pointer les deux enjeux stratégiques que sont l’adaptation aux besoins territoriaux d’une part, et la coordination des intervenants d’autre part. En effet, il est clair que Vénissieux n’est pas une ville « ordinaire », du fait de sa grande mixité sociale, des disparités entre ses quartiers, et de la précarité 79 80 81 82 Entretien n°7. Entretien n°6. Ibid. SOULET, Marc-Henry. Une solidarité de responsabilisation ? In ION, Jacques. Le travail social en débats. Paris : La Découverte, 2005. Collection Alternatives Sociales. 267 p. 83 84 Conseil d’Analyse Stratégique. Rapport sur le service public de la petite enfance. Paris, 2007. P.5. Ibid., p. 5. BONNARD Camille - 2012 29 La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation de sa population. La politique de la petite enfance étant mise en œuvre par des acteurs multiples et visant des objectifs différents, se pose alors la question de la coordination : comment les partenaires peuvent-ils collaborer de manière efficace pour répondre aux besoins de la population ? Comment concilier les objectifs, complémentaires mais parfois aussi contradictoires de la politique petite enfance ? C’est pour tenter de répondre à ces enjeux que d’importantes évolutions (législatives notamment) ont eu lieu durant les dix dernières années, celles-ci allant majoritairement dans le sens d’une standardisation de la politique de la petite enfance. 30 BONNARD Camille - 2012 II. Une politique s’inscrivant dans une certaine standardisation de l’action publique locale II. Une politique s’inscrivant dans une certaine standardisation de l’action publique locale Cette deuxième partie a pour objectif de montrer en quoi la politique en faveur de la petite enfance à Vénissieux s’inscrit dans des évolutions nationales : au niveau législatif tout d’abord, avec la parution récente de plusieurs décrets modifiant les conditions d’accueil des jeunes enfants ; mais aussi au niveau des pratiques et des procédures, avec une hausse des normes en la matière. Comme les politiques publiques dans leur ensemble, la politique de la petite enfance tend à devenir moins sectorialisée et davantage territorialisée autour de partenariats transversaux entre les différents acteurs locaux. Tous ces processus amènent ainsi à une certaine standardisation de l’action publique en faveur de la petite enfance. A.Les évolutions récentes du cadre législatif : optimisation ou rationalisation ? Depuis les années 1970, les attentes des familles envers les lieux d’accueil ont augmenté et changé. Le regard des parents sur ces structures a évolué vers la reconnaissance de leur rôle socio-éducatif, d’éveil et de socialisation. Bien que la majorité des parents préfèrent la 85 garde par une assistante maternelle , qui peut avoir des horaires plus souples et propose un accueil plus individualisé, la demande de places de crèche n’a fait que croitre. Cette demande s’est en outre diversifiée avec la montée des emplois aux horaires atypiques qui a généré de nouveaux besoins de la part des familles. Auparavant, les parents inscrivaient leur enfant en crèche car ils travaillaient tous les deux. Dorénavant, il n’est pas rare qu’un des deux parents (voire les deux) suive une formation, ait un emploi précaire ou soit au chômage. Cela nécessite une adaptation de la part des professionnels des lieux d’accueil. Face à cela, de nouvelles formes de garde ont dû être trouvées, qui ont entrainé plusieurs réformes de la législation sur l’accueil des jeunes enfants. De 2000 à 2010, trois décrets et une circulaire vont ainsi tourner une page dans l’histoire de l’accueil des jeunes enfants. 1. Le décret du 1 er 86 août 2000 Ce décret est le premier d’une série de réformes qui vont profondément transformer la prise en charge des enfants en structures d’accueil. Il commence par donner un nouveau nom aux 85 86 Ceci n’est toutefois pas le cas à Vénissieux, où les parents demandent en priorité une place de crèche. Voir infra, p. 77. FRANCE, CONSEIL D’ETAT. Décret n°2000-762 du 1 er août 2000 relatif aux établissements et services d’accueil des enfants de moins de six ans et modifiant le code de la santé publique. Journal Officiel n°181, 6 août 2000. BONNARD Camille - 2012 31 La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation crèches, qui deviennent des Etablissements d’Accueil du Jeune Enfant (EAJE). L’accent est ainsi porté sur l’accueil des familles dans leur diversité et la tenue de réunions au sein de la structure. Mme Ruiz note à ce propos le changement généré par ce décret : « avant les familles étaient dehors et nous on était dedans. Avant le décret d’août 2000 les familles étaient peu impliquées et y’avait pas cette réflexion et ce cheminement d’ouvrir les portes 87 pour amener les familles à être actrices aussi… » Une avancée est aussi produite pour le soutien à l’intégration des enfants en situation de handicap. Les établissements ou services doivent par ailleurs élaborer un projet d’établissement ou de service ainsi qu’un règlement intérieur qui, après leur adoption définitive, sont transmis au Président du Conseil Général. Selon Marie-Paule Thollon-Behar, « ce projet leur a apporté une ouverture vers l’extérieur 88 et une dynamique qui n’existaient pas toujours auparavant. » Le décret permet d’unifier les règles pour les rendre communes aux différents modes d’accueil (collectif, familial, parental). Il fixe ainsi des qualifications minimales pour les professionnels (notamment les directeurs de structures) ainsi qu’une capacité d’accueil maximale en fonction des types de structures et un taux d’encadrement minimal (un adulte pour cinq enfants qui ne marchent pas, un adulte pour huit enfants qui marchent). Enfin, il introduit la notion de « multi-accueil », c'est-à-dire la possibilité pour une structure d’accueillir à la fois des enfants en mode régulier et des enfants en occasionnel, ou bien d’associer mode de garde collectif et familial. Cette nouvelle pratique va profondément changer les habitudes et l’organisation des professionnels, qui doivent désormais s’adapter à l’accueil d’un plus grand nombre d’enfants et de familles aux attentes différentes pour un même nombre de places. 2. La circulaire du 31 janvier 2002 : la mise en place de la PSU 90 89 La création de la Prestation de Service Unique répond à la nécessité de s’adapter aux évolutions sociales citées précédemment ainsi qu’aux changements initiés par le décret d’août 2000. La PSU est définitivement appliquée pour toutes les structures depuis le 31 décembre 2005. Elledevient la seule prestation de service accordée par la CAF pour les enfants de 0 à 4 ans accueillis en crèche. Elle introduit une caractéristique nouvelle quant à la tarification : l’heure devient l’unité de référence pour tous les types d’accueil (la facturation se faisait auparavant au mois). Les établissements appliquent un barème CAF national de participation financière pour les familles, proportionnelle aux ressources du foyer. Les professionnels doivent donc signer un contrat (uniquement pour les accueils réguliers) au début de la relation avec la famille pour fixer et gérer les horaires d’accueil de l’enfant. La PSU simplifie les choses pour les parents, qui ne paient que le nombre d’heures qu’ils ont effectivement utilisées. La participation financière des familles a ainsi baissé depuis 2005. Mais la PSU alourdit les tâches administratives pour les professionnels gestionnaires, qui doivent assurer les facturations. De plus, le financement de la CAF dépendant du nombre d’heures de présence réelle des enfants, le personnel de la structure doit veiller à ce que son taux de remplissage soit toujours supérieur à 70%, en comblant les places éventuellement vacantes. Au final, la PSU a permis d’assouplir les modalités d’accueil par une optimisation des capacités d’accueil des équipements et des amplitudes 87 88 89 90 32 Entretien n°1. THOLLON-BEHAR, Marie-Paule. Du côté des professionnels. In BEN SOUSSAN, Patrick. Op. cit., p. 125. CAISSE NATIONALE DES ALLOCATIONS FAMILIALES. Lettre circulaire n°2002-025 du 31 janvier 2002. Voir aussi supra, p. 25. BONNARD Camille - 2012 II. Une politique s’inscrivant dans une certaine standardisation de l’action publique locale d’ouverture mieux adaptées au besoin des familles, de rendre plus lisibles les aides de la CAF en simplifiant les prestations de service, de mieux prendre en compte les besoins atypiques et d’accompagner le développement du multi-accueil. Elle a toutefois suscité une profonde modification des pratiques professionnelles en introduisant une notion financière et en demandant une réorganisation significative des EAJE. 3. Le décret du 20 février 2007 91 Toujours dans l’optique de mieux répondre aux besoins des familles, le gouvernement français met en place en 2006 un Plan Petite Enfance. Ce dernier annonce neuf mesures 92 précises : amplifier la création de places d’accueil, lever les obstacles au développement de ces places et faciliter le recrutement des professionnels de la petite enfance, autoriser des micro-crèches à titre expérimental, aider les PME à créer des crèches, diffuser aux professionnels et à la PMI un guide d’accompagnement afin d’offrir les mêmes services sur tout le territoire, accompagner la mise en œuvre de la loi rénovant la profession d’assistante maternelle, développer l’emploi dans les filières de la petite enfance, mieux informer les familles sur les possibilités de garde existantes et assouplir les modalités du congé maternité. L’idée générale est de faire face à la pénurie de personnel diplômé et à l’augmentation des demandes de places, tout en réduisant les coûts et en assouplissant le fonctionnement des différents types d’accueil. Le décret de février 2007 s’inscrit dans la continuité du Plan Petite Enfance. Sous certaines conditions, les postes de direction d’EAJE peuvent désormais être confiés à des éducateurs de jeunes enfants, des infirmiers, des psychomotriciens ou des sagesfemmes, ce qui était impossible avant. Ce décret autorise aussi les micro-crèches à titre expérimental : à mi-chemin entre l’accueil individuel et l’accueil collectif, de statut municipal, associatif ou privé, elles sont conçues pour augmenter l’offre d’accueil dans certains territoires, notamment ruraux. Les assistants maternels de la micro-crèche peuvent accueillir de trois à neuf enfants dans une maison ou un appartement. La municipalité bénéficie ainsi de nouvelles places de crèches à moindre coût, mais la question se pose de savoir si la qualité d’accueil de ces structures est à la hauteur de celle des crèches traditionnelles. 93 4. Le décret du 7 juin 2010 Plusieurs des principales mesures de ce décret ont été vivement critiquées par les professionnels de la petite enfance. Si le taux d’encadrement des enfants demeure inchangé, le pourcentage minimal de personnel diplômé de la petite enfance passe de 50% à 40%. Le décret donne aussi la possibilité d’accueillir des enfants en surnombre (10% pour les établissements de moins de 21 places, 15% pour les établissements entre 21 et 91 FRANCE, PREMIER MINISTRE. Décret n°2007-230 du 20 février 2007 relatif aux établissements et services d’accueil des enfants de moins de six ans et modifiant le code de la santé publique. Journal Officiel n°45, 22 février 2007. 92 RICAUD-DROISY, Hélène. Plan petite enfance 2006 et rapport sur le service public de la petite enfance 2007 : éléments d’analyse. In BEN SOUSSAN, Patrick. Op. cit., p. 111. 93 FRANCE, PREMIER MINISTRE. Décret n°2010-613 du 7 juin 2010 relatif aux établissements et services d’accueil des enfants de moins de six ans. Journal officiel n°0130, 8 juin 2010. BONNARD Camille - 2012 33 La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation 40 places, 20% pour tous les autres), dans une certaine limite hebdomadaire. Les microcrèches sont reconnues comme des structures d’accueil en tant que telles, d’une capacité maximale de 10 places. Par ailleurs, dans un contexte de déscolarisation des enfants de deux ans, un nouveau type d’EAJE, les jardins d’éveil, voit le jour : ceux-ci peuvent accueillir de 12 à 80 enfants de deux ou plus afin de faciliter leur entrée à l’école maternelle. Ces deux nouveaux modes d’accueil que sont les micro-crèches et les jardins d’éveil suscitent de nombreuses inquiétudes quant à leur qualité d’accueil, du fait des réglementations plus souples auxquels ils sont assujettis en matière de qualification des personnels et de taux d’encadrement. C’est en réaction au projet de ce décret qu’est né au niveau national le collectif de mobilisation « Pas de bébé à la consigne ». Celui-ci dénonce « la dégradation de la qualité de l'accueil et [la] marchandisation des crèches au détriment de leurs missions 94 d'éveil » que représente le décret de 2010. Les professionnels redoutent également une déprofessionnalisation de leur filière qui vienne détériorer les conditions d’accueil. Ils dénoncent ainsi la hausse du taux d’accueil en surnombre rendu possible par les nouvelles règles, la baisse de 50% à 40% du seuil minimal obligatoire de personnel qualifié. Ils s’opposent aussi à la déréglementation mise en œuvre dans les jardins d’éveil ainsi qu’à la possible création de maisons d’assistants maternels, « en réalité des crèches low cost, sans règle de fonctionnement et exposant les professionnel(le)s à de graves problèmes 95 de responsabilité » . Leurs revendications semblent toutefois ne pas avoir été entendues puisque le décret de 2010 a bel et bien été adopté, et les maisons d’assistants maternels créées. 96 5. La directive européenne « services » du 12 décembre 2006 Cette directive, aussi dite « directive Bolkestein », vise à libéraliser le marché européen des services, à l’image des biens, des capitaux et des hommes. Les formalités administratives sont réduites pour les prestataires de services intervenant dans un autre Etat membre que le leur. Après le vote de cette directive en 2006, les pays européens disposaient de trois ans pour la transposer dans leur législation nationale. La directive est ainsi entrée en vigueur en France fin 2009. Elle s’applique également aux services sociaux et donc aux services de la petite enfance, ce qui a généré de nombreuses protestations. Les professionnels de la petite enfance craignent en effet que cette directive entraine la dérégulation progressive de leur secteur et son ouverture à la concurrence, ainsi que la suppression des subventions publiques. Ils ont ainsi demandé à ce que la petite enfance soit exclue du champ d’application de la directive et soit considérée comme un service d’intérêt général et d’utilité sociale, et non comme un service pouvant dépendre uniquement des lois du marché intérieur européen. Cette demande a cependant été refusée par le Ministère du Travail, de la Solidarité et de la Fonction Publique pour qui l’application de la directive n’induit aucune 94 POTTIEE-SPERY, Philippe. Levée de bouclier des professionnels de la petite enfance [en ligne]. La Gazette Santé Social, 19 février 2010. [page consultée le 18 mai 2012] < www.gazette-sante-social.fr/actualite/a-la-une-Levee-de-bouclier-des-professionnelsde-la-petite-enfance-16178.html > 95 96 Ibid. PARLEMENT EUROPEEN ET CONSEIL. Directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur. Journal Officiel de l’Union Européenne n° L376, 27 décembre 2006. 34 BONNARD Camille - 2012 II. Une politique s’inscrivant dans une certaine standardisation de l’action publique locale dérégulation ni aucun abaissement des exigences de qualité dans le secteur de la petite enfance. On assiste donc au niveau national voire européen à une multiplication des types de modes de garde s’efforçant de répondre à la diversification des besoins des familles, l’assouplissement des règles permettant d’augmenter le nombre de places d’accueil. Si cette multiplicité des modes d’accueil et des gestionnaires ne va pas dans le sens de la standardisation, cette dernière est en revanche bien présente dans la tendance générale d’assouplissement des règles d’accueil. Ces réformes successives montrent bien la tension constante entre les aspects quantitatif et qualitatif. La volonté est d’une part d’accueillir le plus possible d’enfants sur un nombre limité de places afin de restreindre le coût financier, et d’autre part d’améliorer la qualité de l’accueil en apportant une réponse adaptée à l’évolution des besoins des familles. Si pour certains il s’agit d’un processus vertueux d’optimisation des équipements d’accueil et d’une meilleure utilisation des services, pour d’autres les nouvelles législations soumettent le secteur de la petite enfance à des normes de rentabilité et de rationalisation peu compatibles avec ses missions initiales. La ville de Vénissieux a bien sûr dû se conformer et s’adapter à ces réformes législatives. Les professionnels que j’ai rencontrés m’ont tous fait part des changements que cela avait généré dans leur quotidien et de leur ressenti, voire parfois de leur 97 mécontentement ou de leur incompréhension . D’autres adaptations ont également été nécessaires face à la hausse du nombre et de l’exigence des normes et des procédures dans le champ de la petite enfance. B.La standardisation des pratiques et des procédures Cette sous-partie a pour objectif de montrer en quoi la petite enfance n’échappe pas à la standardisation des pratiques qui a caractérisé les politiques sociales depuis la Seconde Guerre Mondiale. Ce secteur a en effet subi un processus de professionnalisation remarqué : composé à l’origine de bénévoles, il est aujourd’hui organisé en métiers, avec 98 une multiplication des diplômes de professions du social . C’est le cas pour le champ de la petite enfance, avec les diplômes de puéricultrice, d’éducateur de jeunes enfants, d’auxiliaire de puériculture, le CAP petite enfance ou encore l’agrément d’assistant maternel. Cette professionnalisation s’est accompagnée d’une meilleure qualité du service rendu aux populations. Dans l’optique d’améliorer davantage cette qualité sont également apparues de nombreuses normes pour les pratiques en matière d’hygiène, de santé ou d’alimentation. Ces recommandations entrainent une certaine standardisation du travail quotidien des professionnels, qui reçoivent une formation similaire sur ce sujet et sont ensuite soumis à des normes identiques et contraignantes. Cette standardisation a pour finalité la qualité de l’accueil, dans une double exigence de sécurité et d’égalité de traitement des usagers. Nous allons voir que la qualité telle qu’elle est entendue ici répond à une définition particulière, qui n’est pas nécessairement partagée universellement. 97 98 Voir infra, p. 81. ION, Jacques. Op.cit. BONNARD Camille - 2012 35 La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation 1. Une définition particulière de la qualité Le domaine de la petite enfance n’échappe pas la mise en place de référentiels de qualité ni à la tendance actuelle d’évaluation des politiques publiques. En effet, parmi les évolutions récentes de l’action publique, l’influence du « new public management » et de sa rhétorique de performance et d’évaluation des politiques publiques se fait particulièrement sentir. Le « new public management » correspond à l’idée d’introduire des techniques de gestion privées dans les institutions publiques, dans un contexte de crise de l’Etat-providence, de restriction des moyens budgétaires et de nouvelles demandes des citoyens (désormais appelés « usagers » et non plus « personnes », comme s’ils étaient devenus des « clients » 99 de l’administration) . Pour Pierre Muller, cela correspond à un « changement du référentiel 100 global : référentiel de la performance publique puis référentiel de l’efficacité globale ». Le recours à la notion de prestation de service (la PSU par exemple dans le cas de la petite enfance), la généralisation des normes relatives à la qualité et à l’évaluation introduisent ainsi des pratiques managériales dans les politiques sociales. De façon plus générale, on observe petit à petit une transformation des schémas de pensée de l’action publique. Marleen Brans et Diederick Vancoppenolle relèvent cinq changements majeurs dans la manière dont sont pensées et construites les politiques publiques : la mise en place de stratégies pour mieux identifier les objectifs des politiques, le renforcement des moyens de coordination entre politiques, la dépendance toujours plus forte par rapport à la qualité de l’information, l’importance croissante de la fonction d’évaluation et la nécessaire implication de la société 101 civile dans le processus politique . Ces cinq thématiques s’appliquent de manière cohérente en ce qui concerne la politique de la petite enfance, comme nous l’avons vu pour l’identification des objectifs multiples de cette politique, et comme nous le verrons ensuite pour les autres thèmes. Nous allons ici nous intéresser plus spécifiquement à l’évaluation. Jean Leca la définit comme « l’activité de rassemblement, d’analyse et d’interprétation de l’information concernant la mise en œuvre et l’impact de mesures visant à agir sur une situation sociale, ainsi que la préparation de 102 mesures nouvelles ». Il s’agit d’évaluer non seulement l’organisation d’une administration et son fonctionnement, mais bien l’impact de l’action publique sur une population, ses effets et sa performance par rapport aux objectifs attendus. Cette idée centrale de performance se retrouve au cœur de la LOLF (Loi Organique relative aux Lois de Finances), qui organise des missions divisées en programmes, chacun étant assorti d’indicateurs de mesure de sa performance. Le Projet de Loi de Finance de la Sécurité Sociale (PLFSS) est ainsi organisé en PQE (Programmes de Qualité et 99 100 101 OBERDOFF, Henri. Les institutions administratives. Paris : Armand Colin, 2002. MULLER, Pierre. Les politiques publiques. Paris : PUF, 2006. P. 112. BRANS, Marleen & VANCOPPENOLLE Diederick. « Policy-making reforms and civil service systems: an exploration of agendas and consequences ». In PAINTER, M. & PIERRE, J. Challenges to state policy capacities, global trends and comparative perspectives. Palgrave Macmillan, 2005. P. 171. 102 36 LECA, Jean. « L’évaluation dans la modernisation de l’Etat ». Politiques et management public. Vol. 11, n°2, juin 1993, p. 165. BONNARD Camille - 2012 II. Une politique s’inscrivant dans une certaine standardisation de l’action publique locale 103 d’Efficience) . La petite enfance appartient par exemple au programme « Famille » : l’objectif numéro trois de ce programme est intitulé « concilier vie professionnelle et vie familiale » et est mesuré par un indicateur sur l’offre en modes de garde. Celui-ci se décompose en deux sous-indicateurs : l’offre de garde formelle pour 100 enfants de moins de six ans et le taux d’occupation des EAJE. Ainsi, on constate que des mesures très précises sont mises en place pour évaluer des actions liées à des objectifs plus généraux. Ces objectifs répondent aussi à des impératifs issus de l’européanisation des politiques publiques, puisqu’un des objectifs fixé par le Conseil Européen de Barcelone de 2002 est de mettre en place des structures d’accueil pour au moins 33% des enfants de moins trois 104 ans, afin de favoriser l’insertion des femmes sur le marché du travail . La performance devient donc un horizon à atteindre, légitimé par un motif d’efficacité et de correction des défaillances du système. L’usage de la statistique et des mesures chiffrées se banalise lui aussi. Le bilan du Contrat Enfance Jeunesse réalisé tous les quatre ans à Vénissieux est un bon exemple d’évaluation chiffrée des effets de la politique de la petite enfance. L’idée de performance est associée à celle de qualité. Cette dernière est ici entendue comme un concept lié au discours de l’évaluation, qui privilégie l’objectivité et les chiffres. Dans un monde soucieux de minimiser les risques, il s’agit de maitriser l’incertitude et d’y 105 faire face par « une quête de critères permanents ou stables de rationalité » et le recours de plus en plus fréquent à des experts. Pour Peter Moss, cette approche correspond au 106 paradigme positiviste de la modernité , c'est-à-dire à un discours scientifique rationnel se voulant objectif, universel et normalisateur. La standardisation est donc un moyen de parvenir à la qualité, en décontextualisant toute politique pour lui appliquer des critères et des normes universels. Peter Moss distingue trois groupes de critères d’évaluation pour la politique de la petite enfance : les critères de structures (taille des groupes, niveau de formation, ratio adultes/enfants, contenu du programme éducatif), de processus (ce qui se fait, les activités des enfants, les interactions entre le personnel et les enfants) et de résultats (développement de l’enfant, réussite scolaire ultérieure, satisfaction des parents). Selon lui, les résultats étant difficiles à mesurer, l’évaluation des politiques de la petite enfance s’est focalisée sur les critères structurels et de processus. Ainsi le « comment » est davantage interrogé et évalué que le « pourquoi » et ses résultats, ce qui aboutit à la standardisation des procédures et des pratiques. La qualité est ainsi un paradigme central dans le secteur de la petite enfance : on le retrouve dans tous les discours et tous les travaux de recherche sur l’accueil du jeune enfant. Il est en effet largement admis qu’étant donné le public spécifique que constituent les jeunes enfants, les structures d’accueil doivent plus que n’importe quels autres services sociaux produire un service de qualité. Cela débouche sur de nouvelles exigences auxquelles doivent s’adapter les professionnels dans leurs pratiques quotidiennes. 103 ELBAUM, Mireille. « Les indicateurs de performance en matière de politiques sociales : Quel sens pour l'action publique ? » Revue de l'OFCE, 2009/4 n° 111, p. 39-80. 104 105 TABAROT, Michèle. Op.cit., p. 18. MOSS, Peter et al. Au-delà de la qualité dans l’accueil et l’éducation de la petite enfance. Les langages de l’évaluation. Toulouse : Erès, 2012. P. 160. 106 Ibid., p. 170. BONNARD Camille - 2012 37 La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation 2. Les exigences liées à l’amélioration de la qualité Les évolutions précédemment citées se traduisent au quotidien dans la pratique des professionnels par de plus grandes exigences en matière de qualité, notamment dans les procédures. Au sein des EAJE, la qualité se décline sous de multiples facettes, allant des procédures d’hygiène alimentaire à l’accueil bienveillant de l’enfant et de sa famille. Nous nous intéresserons ici à la qualité sous son aspect « technique », c'est-à-dire aux normes de sécurité, d’hygiène, d’alimentation et de santé. Mes entretiens ainsi que mon expérience au sein du service Petite Enfance m’ont offert de multiples exemples de la prégnance des normes procédurales au quotidien dans les structures d’accueil. La PMI ainsi que l’ANSES (Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’Alimentation, de l’Environnement et du Travail) et au niveau régional l’Agence Régionale de Santé (ARS) imposent ainsi des directives en matière de santé que le service Petite Enfance se doit de mettre en œuvre dans ses EAJE. Ces normes évoluant et étant mises à jour constamment, la mise en cohérence nécessite un suivi permanent et laborieux. Depuis deux ans, certaines professionnelles de terrain de Vénissieux ainsi que les médecins de crèche ont formé un groupe de travail chargé de réécrire le protocole santé afin de l’actualiser. Ce protocole, alliant des aspects administratifs et sanitaires, est un document de référence distribué à chaque professionnel et indiquant la conduite à tenir dans différents types de situation (fièvre, allergie, chutes…). Mme Henner, directrice de la crèche municipale Carrousel, fait notamment partie de ce groupe de réflexion et précise qu’ « effectivement il y a des choses tout le temps à ajouter ou à réactualiser parce que ça 107 évolue tout le temps, notamment au niveau de l’AFSSA. » De nombreux sujets font débat lors des réunions de ce groupe de réflexion : lors de l’une d’elles à laquelle j’ai pu assister, les personnes présentes ont questionné des thématiques diverses telles que la communication entre les structures lors d’une alerte à la pollution chimique, le contenu de la trousse de secours au sein de l’EAJE, l’utilisation de thermomètres rectaux, ou encore le traitement des chocs anaphylactiques. Au niveau alimentaire, c’est la méthode HACCP (Hazard Analysis Critical Control Point) qui prédomine. Celle-ci se définit comme une méthode ainsi qu’un système de gestion fondé sur sept principes et douze étapes, qui permettent d’identifier, d’évaluer et de maîtriser les dangers significatifs au regard de la sécurité des aliments. De plus, un livret d’accueil est délivré aux parents lors du premier accueil de leur enfant en EAJE : celui-ci contient des décharges et autorisations parentales, des certificats médicaux ainsi qu’une fiche sur l’alimentation adaptée à l’âge de l’enfant. Ce livret est donc à la fois un outil d’accueil et de sensibilisation des parents à de bonnes pratiques de santé pour leur enfant, mais aussi un moyen pour la crèche de se protéger en cas de problème de santé chez l’enfant. On observe en effet une extrême préoccupation de sécurité car la crèche est tenue pour responsable si l’enfant reçoit un médicament qu’il n’aurait pas dû recevoir. A titre d’exemple, lors d’un entretien avec une directrice de crèche, celle-ci a été sollicitée à deux reprises par deux professionnelles qui souhaitaient avoir son autorisation pour administrer un comprimé de paracétamol à un enfant. Même cet acte que l’on pourrait juger anodin est sous la responsabilité de la directrice afin de respecter le protocole de santé et d’assurer la sécurité des enfants. 107 Entretien n°4. L’AFSSA, l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments, a fusionné en juillet 2010 avec l’Agence Française de Sécurité Sanitaire de l’Environnement et du Travail pour donner l’ANSES. 38 BONNARD Camille - 2012 II. Une politique s’inscrivant dans une certaine standardisation de l’action publique locale Les EAJE sont régulièrement soumis à des visites de contrôle de la veille sanitaire et de la PMI, qui vérifient l’aménagement et l’hygiène des locaux, le taux d’encadrement, etc., ce qui oblige les directrices et les professionnels à être encore plus attentifs au respect des normes diverses. Par ailleurs, les professionnels de la petite enfance reçoivent des formations sur ces thématiques leur permettant d’actualiser leurs savoirs et leurs compétences sur ces procédures. En août 2011, deux journées de formation ont ainsi été organisées avec le CNFPT (Centre National de la Fonction Publique Territoriale). Parmi les thématiques, deux étaient particulièrement en lien avec l’adoption de pratiques jugées « bonnes » et « standard » : « Sensibilisation aux bons gestes et aux bonnes postures pour les personnels » et « Sécurité alimentaire, une responsabilité partagée » à propos de la méthode HACCP appliquée dans les structures éducatives. La mise en conformité aux normes se retrouve donc dans les formations des professionnels qui reçoivent ainsi des consignes standardisées quant aux pratiques à adopter. Une certaine frustration est cependant perceptible lorsque les normes sont plus strictes pour les crèches municipales que pour les crèches associatives. Mme Margerit déclare ainsi avec humour que « les normes sont beaucoup plus sévères pour la fonction publique et on voit que les associations ont des dérogations à toutes les normes. […] Les microbes 108 doivent sélectionner les crèches municipales et pas les crèches associatives ! » Cela peut engendrer des difficultés de gestion au niveau du service Petite Enfance puisque le personnel de ce service est perçu comme personnel ressource et interlocuteur expert par les professionnels de terrain. Ces derniers s’adressent donc en premier lieu aux personnes du service, qui ne peuvent pas apporter une réponse uniforme en fonction du type de structure concernée. Ces normes sont désormais incontournables pour tous les acteurs du secteur de la petite enfance. Bien que parfois jugées « lourdes » et entrainant des modifications organisationnelles importantes, elles garantissent un accueil sécurisé et de qualité aux jeunes enfants. Elles s’accompagnent en outre de contraintes de gestion générées par la CAF. 3. Les exigences de la CAF La CAF étant le principal financeur de la politique de la petite enfance, elle exige en contrepartie de pouvoir contrôler la manière dont sont utilisés ces financements. M. Damblin reconnait qu’étant donné le taux élevé de cofinancement de la CAF, le fait qu’elle « demande 109 des comptes par rapport à ça n’est pas illogique ». Elle fixe ainsi des objectifs de qualité et de quantité à atteindre au sein des EAJE, mesurables par différents taux et statistiques. Les directrices de crèche doivent ainsi veiller à ce que chaque taux soit respecté chaque jour, ce qui demande une vigilance constante. La première de ces exigences concerne le taux d’occupation ou taux de remplissage. La CAF prend en compte le taux d’occupation qui correspond aux heures d’accueil effectivement facturées aux familles, rapportées au nombre de places agréées multiplié par l’amplitude horaire d’ouverture annuelle. Ce taux doit être supérieur à 70% pour que la CAF verse la PSU. La possibilité nouvelle d’accueillir des enfants en surnombre suppose que le 108 109 Entretien n°6. Entretien n°7. BONNARD Camille - 2012 39 La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation taux d’occupation peut être supérieur à 100% sur certaines journées ; il ne doit néanmoins pas dépasser 100% sur l’ensemble de la semaine. En réalité, comme l’indique Mme Henner, le taux d’occupation n’atteint jamais 100% car « on ne peut pas avoir des enfants de 7h du matin jusqu’à 18h30. Si j’ai un enfant qui vient de 9h à 17h30, je ne peux pas trouver un 110 enfant de 7h à 9h et de 17h30 à 18h30. » Cependant, ce taux d’occupation ne correspond pas à l’occupation réelle de la structure, car les parents peuvent réserver et payer des heures qu’ils n’utiliseront pas par la suite, si l’enfant est malade ou s’ils ont un empêchement par exemple. La CAF demande à ce que la différence entre le taux d’occupation réel et le taux d’occupation financier soit inférieure à 10%, afin de s’assurer que les financements et les participations financières des familles soient effectivement utilisés. Le nombre d’heures réelles, lorsqu’il est rapporté au total des charges financières d’une structure, sert à calculer le prix de revient horaire d’une place de crèche. Ce prix ne doit pas er dépasser le seuil d’exclusion de la CAF. Au 1 janvier 2012, ce seuil d’exclusion s’élevait 111 à 15,19 euros pour une heure d’accueil en multi-accueil . Au-delà de ce prix de revient, la structure peut subir des sanctions financières. La CAF impose aussi aux EAJE de limiter la participation financière des familles dans le cadre d’un taux d’effort, calculé en fonction des revenus du foyer et du nombre d’enfants à charge. L’obligation pour les crèches de respecter le multi-accueil (régulier et occasionnel) er depuis le décret du 1 août 2000 implique par ailleurs un taux de rotation important des enfants. Une place n’est plus occupée par un seul enfant mais par plusieurs qui se succèdent dans une même journée. Cela aboutit pour les professionnels à accueillir davantage d’enfants et de familles, ce qui demande un temps spécifique qui n’est par conséquent pas passé auprès des autres enfants. A Vénissieux, une place était occupée par 1,07 enfant en 1999 et par 3,77 enfants en moyenne en 2009, augmentation qui démontre 112 une optimisation des places et une meilleure utilisation des équipements . 113 Une circulaire récente de la CAF soulève en ce moment de nombreux questionnements et oppositions : celle-ci demande à ce que les EAJE fournissent désormais les couches pour les enfants, alors que les parents le faisaient auparavant. Cela représente un coût nouveau pour les structures, non compensé par une hausse parallèle des financements. De plus cet achat nécessite des capacités de stockage dont tous les EAJE ne disposent pas. La CAF effectue en outre des visites de contrôle dans les EAJE. Lors de ces visites, elle exige que le trombinoscope ou un organigramme de l’équipe soit affiché, que les horaires ainsi que la participation financière des familles soient également affichés clairement, que le règlement de fonctionnement soit mis à disposition des familles, et que les données concernant la structure soient à jour sur le site www.mon-enfant.fr . 110 111 Entretien n°4. CAF [en ligne]. Prestations de service. Prix plafonds et montants à compter du 1 er janvier 2012. [page consultée le 12 juillet 2012] < www.caf.fr/sites/default/files/caf/791/Documents/Partenaires/bareme_prestations_de_service_2012.pdf> 112 113 40 DAMBLIN, Matthieu. Op.cit., p. 9. CNAF. Lettre circulaire n°2011-105 du 29 juin 2011 relative à la PSU. BONNARD Camille - 2012 II. Une politique s’inscrivant dans une certaine standardisation de l’action publique locale Des tableaux de bord synthétisant l’ensemble des statistiques (réalisés tous les mois) ainsi qu’un bilan du CEJ (effectué tous les quatre ans) sont également exigés par la CAF. L’introduction de pratiques gestionnaires et d’un impératif de rentabilité entraine une forte hausse du temps administratif, notamment pour les directrices de structures. Celles-ci doivent en effet vérifier en permanence qu’elles respectent les taux fixés par la CAF, sous peine de voir leurs financements diminuer. Un bon exemple pratique est fourni par MariePaule Thollon Behar : EAJE « Les petits lutins », lundi matin, 8 heures : deux coups de téléphone, la maman d’Ambrine annonce que celle-ci est malade et ne viendra pas de toute la semaine, même chose pour Iliès mais seulement aujourd’hui, il reviendra peut-être demain. Céline a noté ces absences et, entre les arrivées des enfants avec leurs parents et leur accueil, elle consulte la liste d’attente et appelle successivement trois familles pour leur proposer les places vacantes. Elle sait qu’il faut assurer un taux de remplissage de 70%, sinon la structure risque d’être 114 en difficulté, vis-à-vis de la CAF. Cet exemple montre à la fois l’effet bénéfique de l’imposition d’un taux d’occupation minimum, qui permet à certaines familles d’être « dépannées » à la dernière minute, mais aussi le caractère chronophage de cette gestion. Le temps passé auprès des enfants présents et la qualité de ce temps diminuent au profit d’appels téléphoniques aux parents. Selon Mme Thollon-Behar, « l’argument "service rendu aux parents" et l’argument "rentabilité de la structure" vont dans le même sens. Il serait certes dommageable que les structures ne fonctionnent qu’au tiers de leur capacité, mais le temps passé à gérer les 115 places disponibles est du temps (et de la sérénité) en moins pour les enfants présents. » Enfin, suite à des directives étatiques imposant à la CNAF de réduire ses dépenses, cette dernière a dû réduire ses financements par de nouvelles règles, mises en œuvre depuis les CEJ de 2006 entre les CAF et les collectivités. Le CEJ fixe ainsi une dotation pour quatre ans qui ne peut pas évoluer. Plus important encore, le taux de financement de la CAF dans le cadre du CEJ est limité à 55% du reste à charge de la collectivité, c'est-àdire une fois déduites la PSU, les subventions éventuelles et la participation des familles. Ce taux de cofinancement s’élevait auparavant à 70%, ce qui représente une baisse des moyens pour bon nombre de collectivités. Le secteur de la petite enfance est donc soumis à des restrictions budgétaires comparables à celles des autres secteurs des politiques publiques. Cette rationalisation oblige à des compromis et des adaptations dans les stratégies des collectivités si cellesci veulent maintenir leur offre d’accueil. M. Damblin explique que Vénissieux parvient à « compenser cette diminution de prestation enfance jeunesse [PSEJ] en augmentant l’activité. […] C'est-à-dire que globalement la subvention reste à peu près stable alors qu’il y a une dégressivité. Pour la ville s’il y a une augmentation d’activité ça veut dire qu’on 116 dépense plus. » La CAF parait donc être une préoccupation constante des professionnels de la petite enfance ; elle est omniprésente dans le discours de ces acteurs, car ses directives touchent les financements et l’organisation même des structures. 114 115 THOLLON BEHAR Marie-Paule. Du côté des professionnels. In BEN SOUSSAN, Patrick. Op.cit., p. 126. Ibid., p. 127. 116 Entretien n°7. BONNARD Camille - 2012 41 La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation L’apparition de pratiques néo-managériales dans le champ des politiques sociales semble ainsi conduire à une standardisation à laquelle la politique de la petite enfance n’échappe pas. Les évolutions législatives ainsi que la standardisation des normes et des pratiques semblent quelque peu entrer en contradiction et soulèvent un paradoxe : comment concilier l’assouplissement de la réglementation des EAJE en ce qui concerne les taux d’encadrement et la qualification des professionnels, tout en respectant les normes exigeantes que nous venons d’étudier ? Cette idée rejoint le questionnement de Laurence Rameau et Philippe Duval : « comment ne pas risquer une forme de déréglementation à 117 l’intérieur même d’une extrême réglementation de l’accueil des jeunes enfants ? » Les auteurs soulignent aussi le risque de perdre la « cohérence éducative globale » recherchée entre les différents services d’accueil, si chacun est soumis à des règles différentes. Ce paradoxe est par ailleurs relevé par l’ensemble des professionnels que j’ai rencontrés, qui ont l’impression qu’on leur demande de « faire plus et mieux avec moins ». Beaucoup craignent que les acteurs décisionnaires des politiques sociales, mobilisés par la qualité, substituent des normes gestionnaires aux principes qui donnaient leur sens aux professions du social. Au nom de la qualité, précise Michel Chauvière, on réorganise, à grand renfort de prescriptions normatives, les conditions même de la professionnalité, en disputant ce droit aux professions elles-mêmes et aux lieux de formation. Tous sont sommés d'intégrer le nouvel ordre des pratiques et de renoncer aux régulations obsolètes : relationnelles, cliniques ou simplement compréhensives. Ces nouveaux outils composent un triptyque : ex ante : les référentiels et les 118 schémas ; in itineris : les bonnes pratiques ; ex post , l'évaluation . Nous allons maintenant voir que la politique de la petite enfance s’inscrit également dans d’autres tendances actuelles des politiques publiques, que sont la territorialisation et la gouvernance. C.Territorialisation et gouvernance : la petite enfance au cœur des enjeux actuels des politiques publiques 1. La territorialisation de la politique de la petite enfance A partir des années 1980 et des lois de décentralisation, les politiques familiales qui avaient été longtemps étatiques et centralisées commencent à entrer dans le champ de compétences des collectivités territoriales. C’est le cas des politiques de jeunesse et de la politique de la petite enfance en particulier. Cette impulsion issue de l’Etat passe par la multiplication des dispositifs et des contrats, d’abord avec les contrats « Enfance » d’une 117 RAMEAU, Laurence et DUVAL, Philippe. Accueil de la petite enfance : pour une cohérence éducative. In BEN SOUSSAN, Patrick. Op.cit., p. 157. 118 CHAUVIERE, Michel. Trop de gestion tue le social. Essai sur une discrète chalandisation. Paris : La Découverte, 2007. Collections Alternatives Sociales. P.63. 42 BONNARD Camille - 2012 II. Une politique s’inscrivant dans une certaine standardisation de l’action publique locale part et « Temps Libre » d’autre part, puis avec les Contrats Enfance Jeunesse. On passe ainsi selon la formule de Renaud Epstein d’un « gouvernement centralisé du local » hérité du 119 gaullisme à un « gouvernement négocié des territoires » . L’Etat pousse en effet, à travers l’action de la CNAF, à ce que les collectivités territoriales développent ces politiques et ces compétences qui ne sont pourtant pas obligatoires. Comme le précise M. Damblin, « c’est du plus qu’on considère normal pour les usagers, les citoyens, et en même temps ça reste du plus pour la collectivité. On n’est pas obligé quoi. On a 350 places en crèche, on pourrait 120 en avoir 700, mais on pourrait n’en avoir que 50 et on ne serait pas en tort. » Chaque collectivité est donc libre de développer son offre d’accueil des jeunes enfants comme elle l’entend. Toutefois, le pouvoir et la légitimité des municipalités étant renforcés par la 121 décentralisation, la pression sociale exercée sur elles s’accroit . Les citoyens attendent beaucoup de leurs élus locaux en ce qui concerne l’offre d’accueil, ce qui oblige ces élus à répondre à cette demande. Selon Pierre Muller, les collectivités locales deviennent ainsi des « producteurs de politiques publiques » et les élus doivent démontrer leur capacité à résoudre les problèmes de leur territoire ainsi qu’à favoriser son développement 122 économique et social . « Le local apparait aujourd’hui comme un espace où l’exigence 123 d’efficacité pourrait se réconcilier avec l’exigence de proximité. » Non seulement la proximité est valorisée car elle permet de mieux prendre en compte les besoins des citoyens, mais l’action à un niveau local est aussi jugée plus adaptée et moins coûteuse, donc plus efficiente. Ce processus de décentralisation et de renforcement du local s’accompagne en outre d’un changement de cadre de pensée des politiques publiques. Celles-ci ne sont peu à peu plus construites de manière sectorielle, avec chacune leur population cible, leurs moyens d’action et leurs professionnels, mais davantage pensées de manière globale sur un territoire. Cela permet d’identifier les besoins à l’échelle du territoire et d’avoir une réflexion plus transversale, moins sectorialisée. C’est ce qu’observe notamment Pierre Muller lorsqu’il étudie les politiques agricoles et environnementales : pour lui la sectorialité, caractéristique des politiques publiques d’Etat, est en crise et « l’espace local apparait comme un lieu potentiel de remise en cause de la sectorialité […] et comme un lieu où pourraient se 124 reconstruire des relations de proximité ». Du fait de cette désectorialisation, la politique de la petite enfance devient ainsi une politique transversale, faisant partie intégrante des politiques sociales et s’articulant avec elles. Ce principe de transversalité est observable dans l’ensemble des politiques publiques. Il consiste à mobiliser les services des collectivités territoriales qui interviennent directement ou indirectement auprès des jeunes enfants pour les amener à travailler de manière transversale. Le constat de Jean-Pierre Halter à propos des politiques de jeunesse s’applique également à la politique de la petite enfance : 119 120 EPSTEIN, Renaud. « Gouverner à distance. Quand l’Etat se retire des territoires ». Esprit, novembre 2005, n°11, pp.96-111. Entretien n°7. 121 122 er RICHEZ, Jean-Claude. « Politiques de jeunesse : la nouvelle donne. » Agora, n°43, 1 trimestre 2007, pp. 4-10. MULLER, Pierre. « Les politiques publiques entre secteurs et territoires. » Politiques et management public, vol. 8 n° 3, 1990, p. 29 123 124 Ibid., p. 31. Ibid.,p. 31. BONNARD Camille - 2012 43 La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation Certains élus et techniciens admettaient que l’obligation de partenariat avec l’État les avaient conduits à travailler différemment, en créant des synergies entre services, en mettant en commun des compétences qui favorisaient l’élaboration de stratégies, en tenant compte des différentes ressources internes dont disposaient la collectivité et les associations pour répondre de façon univoque et adaptée aux problématiques de jeunesse du territoire. Cette transversalité permettait d’avoir une vision plus globale de ces questions, une meilleure lisibilité des actions et d’agir de manière complémentaire en interne dans les institutions publiques, ainsi qu’au niveau des différents territoires 125 d’intervention. Par conséquent, la politique de la petite enfance ne se soucie plus uniquement de fournir un mode de garde mais également de permettre aux EAJE d’être un lieu de développement et d’épanouissement pour l’enfant, un lieu d’accompagnement et de soutien des parents, un lieu d’insertion sociale, etc. Pour cela, les équipes de professionnels de la petite enfance travaillent en collaboration avec les autres services de la mairie, avec la CAF, les services de PMI et différents acteurs de la protection de l’enfance, afin d’assurer un suivi global des jeunes enfants et de leurs parents. Ce travail en réseau transparait dans le discours des acteurs : « J’ai un réseau très large 126 127 au niveau des partenaires. », « Le partenariat c’est quelque chose de très important. », « On est sur des périodes où les notions d’horizontalité fonctionnent à plein, notamment avec 128 l’exemple des réseaux […] et notamment avec des notions de territoire par exemple. » Toutefois, si la volonté de transversalité est bien présente, elle est en pratique encore difficilement mise en œuvre du fait de la multiplicité des acteurs locaux, qui n’ont pas toujours les mêmes objectifs ou les mêmes modes de fonctionnement. Le coordinateur enfance jeunesse a ainsi pour rôle l’amélioration de la collaboration des différents partenaires. 2. Le poste de coordinateur enfance jeunesse : une illustration de la territorialisation et de la transversalité A Vénissieux, le poste de coordinateur a été créé en même temps que la signature du premier contrat Enfance, c'est-à-dire en 2000. Le coordinateur n’était alors en charge que du secteur de la petite enfance. Lorsque cette personne est partie et a été remplacée par M. Damblin en 2009, le profil de poste a été modifié afin qu’il soit en cohérence avec le nouveau Contrat Enfance Jeunesse signé en 2006 et qu’il respecte les attentes de la CAF. Le nouveau coordinateur est alors devenu coordinateur du secteur de la petite enfance et du secteur de l’enfance, et il appartient à la Direction Enfance Education Santé de la ville. Le secteur de la jeunesse faisant partie d’un autre service, la ville de Vénissieux ne respecte donc pas la volonté de la CAF que le CEJ prenne en compte les enfants de 0 à 18 ans. A Vénissieux, le CEJ ne concerne ainsi que les enfants de 0 à 12 ans. M. Damblin explique que « la CAF pousse à ce que la jeunesse soit prise en compte pour avoir une vision 125 er HALTER, Jean-Pierre. « Politiques territoriales de jeunesse et transversalité. » Agora, n°43, 1 trimestre 2007, p. 45. 126 127 128 44 Entretien n°2. Entretien n°3. Entretien n°7. BONNARD Camille - 2012 II. Une politique s’inscrivant dans une certaine standardisation de l’action publique locale globale de la politique enfance jeunesse sur la ville, et qu’on ne scinde pas les différents 129 publics en fonction de leur tranche d’âge. » Selon lui, le fait que Vénissieux soit une ville de taille importante rend difficile la création d’un véritable poste de coordinateur enfance jeunesse : « avoir une vision globale c’est difficile quand il y a beaucoup d’équipements, beaucoup d’enfants touchés, et à un moment on n’arrive plus à tout embrasser, donc il faut 130 bien qu’on scinde et qu’on articule les choses. » La transversalité n’est donc pas totale et rencontre des obstacles de cloisonnement entre les différents services municipaux. Au niveau national, les missions des coordinateurs ne sont pas définies précisément. Leur nombre et leurs compétences vont augmenter au fur et à mesure des décennies, sans qu’aucun texte législatif ne vienne encadrer cette fonction. Seule la circulaire du 2 novembre 131 1981 indique que les collectivitésterritoriales participent à l’élaboration et à la mise en œuvre de la politique de la petite enfance. Ce texte recommande pour la première fois « d’accueillir la demande » des familles mais aussi de « susciter l’offre ». Il n’est toutefois qu’incitatif et la prescription portant sur la coordination est peu précise, les coordinateurs petite enfance n’étant pas mentionnés. Par conséquent, aucun profil de poste fixe n’existe, et des personnes de formations très diverses peuvent occuper cette fonction : puéricultrices, éducateurs de jeunes enfants, animateurs, travailleurs sociaux ou encore cadre de la fonction publique territoriale. Si aucune définition claire n’est disponible, Olga Baudelot et Sylvie Rayna décrivent ce poste comme suit : La mission de ces coordonnateurs sera, à la fois, de gérer l’existant en matière d’accueil des jeunes enfants, de faire vivre la petite enfance comme une entité autonome et unifiée, et de développer une politique globale à leur égard. Ils devront se confronter à la transversalité et à la diversité, prendre en compte les attentes nouvelles des parents pour eux-mêmes et leurs jeunes enfants. En fait, ils se trouvent au carrefour des interlocuteurs concernés par la petite enfance : 132 les usagers, les professionnels, les décideurs et les partenaires. Le poste se construit donc dans une position d’interface entre les acteurs intervenant dans la mise en œuvre de la politique de la petite enfance. Il s’agit de mettre en cohérence les diverses structures et équipes autour du projet municipal pour la petite enfance. Le coordinateur a en outre pour rôle d’analyser la demande et de la rapprocher de l’offre, dans une optique de rapprochement entre les élus et les usagers d’une part, et entre les personnels et les partenaires extérieurs d’autre part. M. Damblin déclare ainsi : Ce qui était intéressant dans le poste de coordinateur enfance jeunesse, c’est qu’on était sur l’entrée "besoins des familles", qui ne sont pas toujours représentées au sein des instances de décision des mairies. […] Ca nous oblige 129 130 Entretien n°7. Ibid. 131 FRANCE, MINISTERE CHARGE DES AFFAIRES SOCIALES. Circulaire n° 4 du 2 novembre 1981 relative au développement, à la coordination et à l'organisation des modes d'accueil et de garde des jeunes enfants. Bulletin officiel n° 81/49, texte n° 21963, 9 p. 132 BAUDELOT, Olga & RAYNA, Sylvie. « La coordination de la petite enfance : une nouvelle fonction relationnelle. » Recherches et prévisions, n°61, 2000, p. 63. BONNARD Camille - 2012 45 La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation à sortir un peu de la logique comptable ou gestionnaire. […] On est au service du 133 public. L’objectif est en outre de parvenir à certaines synergies pour optimiser les actions des partenaires ainsi que les financements. Le coordinateur enfance jeunesse est l’interlocuteur privilégié de la CAF, principal financeur de la politique de la petite enfance, et fait le lien entre cette institution et les EAJE. Cette fonction de relation et de mise en relation s’inscrit dans l’évolution des métiers de l’intervention sociale vers le relationnel et la coordination. Elle peut par exemple être comparée à la mission d’un chef de projet dans le cadre de la politique de la ville, dont l’ambition est de mettre l’accent sur les conditions de vie locales et de rapprocher les habitants des décideurs. La particularité du poste de coordinateur enfance jeunesse est donc de se situer dans une position très transversale. Sa seule hiérarchie est celle du chef de service, et il n’a aucune personne sous ses ordres. Cette transversalité peut alors parfois entrer en contradiction avec la verticalité qui caractérise habituellement les organisations municipales. Cela peut se traduire par exemple par une confusion entre les missions du coordinateur et celles du directeur de service. L’axe du projet social du service Petite Enfance précise ainsi que « le poste de coordinateur mérite d’être précisément défini et à 134 distinguer de celui du chef de service ». Les responsabilités du coordinateur enfance jeunesse sont cependant très variables d’une ville à l’autre, puisqu’aucun profil de poste prédéfini n’existe. A Lyon, par exemple, le poste de coordinateur enfance jeunesse est en fait occupé par deux coordinateurs petite enfance, rattachés à la Direction de l’Enfance. Ils ne sont donc chargés que des EAJE, pour l’accueil des enfants de 0 à 3 ans. Du fait de la taille très importante de la ville, un service spécifique est chargé des questions financières et des relations avec la CAF. Les coordinateurs petite enfance travaillent ainsi uniquement sur les projets transversaux d’amélioration qualitative de l’offre d’accueil, tels que les projets artistiques dans les structures par exemple. De plus, des coordinatrices supplémentaires existent pour chaque arrondissement et sont responsables de la gestion des EAJE de l’arrondissement. En revanche, à Vénissieux, étant donné la moindre taille de la ville et les moyens financiers plus restreints, le coordinateur enfance jeunesse a en charge à la fois les questions financières, l’analyse des besoins et de l’offre existants, les relations inter-partenariales et les divers projets de service en cours. En somme, le coordinateur enfance jeunesse de la ville de Vénissieux tente de coordonner et d’améliorer l’offre d’accueil tant au niveau quantitatif que qualitatif. Le point commun demeure la transversalité du poste, quelle que soit la municipalité. Ainsi le poste de coordinateur enfance jeunesse représente une illustration pertinente de la transversalité recherchée dans le politique de la petite enfance, transversalité caractéristique des politiques sociales actuelles. Celle-ci se met également en œuvre au travers de partenariats. Ces derniers posent toutefois question en matière de gouvernance, car la multiplicité des acteurs collaborant sur le territoire rend peu aisée la visibilité des véritables décideurs de la politique de la petite enfance. 133 Entretien n°7. 134 Direction Enfance Education Santé, ville de Vénissieux. Projet social et éducatif 0-6 ans. Les axes de travail du projet social. P. 14. 46 BONNARD Camille - 2012 II. Une politique s’inscrivant dans une certaine standardisation de l’action publique locale 3. Les partenariats et les problèmes de gouvernance Comme nous l’avons vu précédemment, de multiples acteurs interviennent dans la mise en œuvre de la politique de la petite enfance sur le territoire vénissian. Ces acteurs ont des statuts divers : ils peuvent être issus des collectivités territoriales, comme la mairie et le Conseil Général qui intervient au travers de l’action de deux Maisons du Rhône et de leur service de PMI, ils peuvent dépendre des institutions parapubliques telles que la CAF, ou encore appartenir à des associations. Ces dernières jouent en effet un rôle croissant dans la production des politiques sociales et sont de plus en plus intégrées dans les partenariats. Les crèches associatives par exemple, jouent le même rôle de service public d’accueil des jeunes enfants que les crèches municipales. La politique de la petite enfance subit comme d’autres politiques la rénovation de l’action publique, amenée par l’utilisation de nouveaux instruments. Parmi ceux-ci, on peut citer la contractualisation (avec l’exemple du CEJ), le travail par projet (projet social et éducatif, projets d’établissement…), le travail en partenariat et la gouvernance. Nous allons nous intéresser ici à ces deux derniers instruments, qui pour Julien Damon sont des notions floues 135 mais « à la mode » . Le partenariat est surtout promu à l’échelon local et a émergé en parallèle des politiques de lutte contre l’exclusion (politique de la ville, politiques d’insertion). Ce changement de vocabulaire est lié aux nouveaux impératifs de modernisation et de performance de l’intervention publique. Le terme « partenariat » n’a cependant pas encore d’existence juridique et relève davantage du management public. Le Dictionnaire Critique de l’Action Sociale en donne la définition suivante : Un rapport complémentaire et équitable entre deux parties différentes par leur nature, leur mission, leurs activités, leurs ressources et leur mode de fonctionnement. Dans ce rapport, les deux parties ont des contributions mutuelles différentes mais jugées essentielles. Le partenariat est donc fondé sur un respect et une reconnaissance mutuelle des contributions et des parties impliquées dans un rapport d’interdépendance. De plus, le partenariat laisse place à des espaces de négociation, où les parties peuvent définir leur projet 136 commun. Cette idée d’interdépendance et de contributions mutuelles est observable dans le cas de la politique de la petite enfance, puisque la municipalité dépend des financements de la CAF et de l’agrément de la PMI pour ouvrir de nouvelles structures. Chaque participant du partenariat autour de la politique de la petite enfance impose ses contraintes et ses critères, tout en devant respecter ceux des autres. Julien Damon évoque par ailleurs le jeu de « co » pour désigner les nouvelles méthodes de construction des politiques sociales : « co-production, co-construction, co-animation, co137 responsabilité, et, bien entendu, co-financement ». On tente par exemple d’inclure la population dans la politique de la petite enfance et de réaliser de la « coéducation » avec les parents. Le fonctionnement partenarial est aussi caractérisé par de nombreuses réunions 135 DAMON, Julien. « La dictature du partenariat. Vers de nouveaux modes de management public ? » Futuribles, numéro 273, mars 2002, p.1. 136 BARREYRE, Jean-Yves & BOUQUET, Brigitte. Dictionnaire critique de l’action sociale, article « Partenariat ». Paris : Bayard, 2006. Collection Travail Social. 637 p. 137 DAMON, Julien. Questions sociales et questions urbaines. Paris : PUF, 2010. P. 296. BONNARD Camille - 2012 47 La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation de coordination et de concertation. Durant mon mois de stage, ce type de réunion était quasi quotidien. Cette fréquence se justifie par l’idée que chacun peut participer équitablement à la construction des politiques. Cependant, des spécificités, la hiérarchie ou la conflictualité viennent fréquemment compromettre cet idéal. Ce travail partenarial ne va en effet pas sans poser certaines questions. A travers le foisonnement de formes que le partenariat peut prendre, il apparait davantage comme un fonctionnement imposé de l’action publique décentralisée que comme une modalité 138 librement négociée. Julien Damon parle d’ailleurs de « dictature du partenariat » pour signifier combien le partenariat est devenu incontournable dans les politiques sociales. Selon lui, comme dans un jeu, le partenariat suppose des règles du jeu claires, un objet commun et une égalité entre les partenaires. Or ces conditions ne sont pas toujours réunies : aucun cadre juridique clair n’existe pour les partenariats (hormis les Partenariats PublicsPrivés) et les partenaires ne sont pas tous égaux. En effet, dans le cas de la politique de la petite enfance, si l’on peut considérer les EAJE associatifs comme des « prestataires de service », ceux-ci sont largement tributaires de la municipalité pour leur financement et sont finalement peu indépendants. De la même façon, la CAF dispose d’un certain ascendant sur la municipalité puisqu’elle finance en grande partie l’offre d’accueil. M. Damblin explique bien cette dépendance qui oblige les élus à s’adapter aux changements décidés par la CAF, en prenant l’exemple de la baisse du taux de cofinancement du CEJ de 70% à 55% : « tous les élus se sont dits : "vous nous avez dit ça et puis vous changez les règles du jeu en cours 139 de contrat". » Ainsi, le terme de partenariat n’est peut-être pas toujours adapté car les acteurs ne sont pas constamment sur un pied d’égalité. La notion de « partenariat » est étroitement corrélée à celle de « gouvernance ». Cette dernière est également un des mots clés de l’évolution des politiques publiques et a fait l’objet de nombreux travaux de recherche. Elle traduit les nouvelles formes que peut prendre l’action publique, sans toutefois avoir de définition précise. Pour Patrick Le Galès, la gouvernance est d’abord un chantier de recherche qui concerne les formes de coordination, de pilotage et de direction des secteurs, des groupes, de la société, au-delà des organes classiques du gouvernement. […] Il s’agit d’une piste à explorer pour expliquer notamment les formes contemporaines et les transformations (mais aussi les permanences) de l’État et de l’action publique. […] La gouvernance peut être définie comme un processus de coordination d’acteurs, de groupes sociaux et d’institutions, en vue d’atteindre des objectifs définis et discutés collectivement. La gouvernance renvoie alors à l’ensemble d’institutions, de réseaux, de directives, de réglementations, de normes, d’usages politiques et sociaux ainsi que d’acteurs publics et privés qui contribuent à la stabilité d’une société et d’un régime politique, à son orientation, à la capacité de 140 diriger et à celle de fournir des services et à assurer sa légitimité. La gouvernance est donc un processus faisant entrer en interaction des institutions, des réseaux d’acteurs publics ou privés ainsi que des normes, dans l’optique de fournir un service. Ce concept semble s’appliquer à la politique de la petite enfance, qui voit des partenaires se coordonner autour de normes diverses, dans le but de produire un service à la 138 139 140 DAMON Julien, Op.cit. Entretien n°7. LE GALES, Patrick. « Gouvernance ». In BOUSSAGUET, L. et al. Dictionnaire des politiques publiques . Paris : Les Presses de Sciences Po, 2006, pp. 244-251. 48 BONNARD Camille - 2012 II. Une politique s’inscrivant dans une certaine standardisation de l’action publique locale population. La diversification des acteurs, des services offerts et des objectifs de la politique de la petite enfance est une évolution importante à prendre en compte pour caractériser son mode de gouvernance. Lhuillier et Petrella distinguent trois éléments constitutifs d’un régime de gouvernance : les acteurs impliqués dans la production du service ainsi que leur statut, les instruments de politiques publiques utilisés en vue d’atteindre les objectifs fixés, ainsi que les modalités de 141 coordination mises en œuvre . La façon dont ces éléments sont combinés aboutit selon eux à quatre types de régimes de gouvernance, ces derniers pouvant faire varier fortement la participation des usagers, l’accessibilité de l’offre ou encore sa qualité. La gouvernance publique est caractérisée par des politiques mises en œuvre principalement par des acteurs publics, les règles et les critères de l’intérêt général étant définis par l’administration publique. La gouvernance marchande met en concurrence les différents prestataires potentiels à travers des mécanismes tels que des appels d’offre ou de la sous-traitance, mis en place par la puissance publique. La gouvernance multilatérale ou partenariale implique une diversité d’acteurs publics et privés dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques locales, autour d’instances de coordination horizontale et décentralisée. Les politiques publiques sont ainsi co-construites en fonction des divers intérêts représentés. Enfin, la gouvernance citoyenne fait également participer des acteurs non institutionnels (usagers, associations…) qui permettent de faire émerger l’évolution des besoins. Ces quatre modèles sont bien entendu des idéaux-types, et la politique de la petite enfance constitue toujours une hybridation des ces différents types de gouvernance. A Vénissieux, la gouvernance marchande n’existe quasiment pas puisqu’une seule crèche 142 d’entreprise existe et que la création de crèches privées n’est pas encouragée . En revanche, les trois autres modèles de gouvernance sont présents puisque si la politique de la petite enfance était originellement fixée par la municipalité, elle intègre aujourd’hui d’autres partenaires, notamment associatifs, et tente d’associer la population à cette politique. Le régime de gouvernance de la politique de la petite enfance de Vénissieux peut donc être caractérisé de « mixte ». La gouvernance citoyenne demeure toutefois limitée car les Vénissians sont encore peu impliqués dans la construction de la politique de la petite enfance. Rappelons de plus que la relation bilatérale entre la municipalité et la CAF reste prédominante par rapport aux autres. Pour Bernard Eme et Laurent Fraisse, la gouvernance locale de la politique de la petite enfance est en fait construite sur une juxtaposition de 143 relations bilatérales . La diversification des modes de garde et des acteurs de la politique de la petite enfance amènerait donc à une diversification des modes de gouvernance, voire à une hybridation de ceux-ci. Certains auteurs vont cependant plus loin et redoutent que cette diversification mène en fait à une fragmentation de la gouvernance. Pour Eme et Fraisse, il s’agit là 141 LHUILLIER, Vincent & PETRELLA, Francesca. La régulation locale dans le secteur de la petite enfance. Charleroi : Colloque « A la recherche de solidarités », 2005. Centre de recherche interdisciplinaire pour la solidarité et l’innovation sociale. 6 p. 142 143 Voir infra, p. 73. EME, Bernard & FRAISSE, Laurent. « La gouvernance locale de la diversification des modes d’accueil : un nouvel enjeu de "cohésion sociale" ». Recherche et prévisions, n°80, juin 2005. P. 16. BONNARD Camille - 2012 49 La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation 144 d’un enjeu de cohésion sociale . En effet, selon eux, malgré la décentralisation et la territorialisation, la politique de la petite enfance demeure relativement opaque, du fait notamment de la multiplication de ses objectifs, de ses gestionnaires et des modes de garde. La pluralité des normes locales qui en découle génère des difficultés de régulation : la diversification entraine une fragmentation voire une illisibilité de l’offre d’accueil pour les familles. De plus, une particularité française est que la réponse aux besoins des familles est financée à un niveau national, tandis que la gestion et la coordination se font au niveau local. Ainsi, « deux scènes politiques sont en jeu, l’une liée à la régulation verticale entre des appareils politico-administratifs de différents niveaux territoriaux (rapports Etat/CNAF, rapports CAF/conseils généraux/communes, etc.), l’autre à la coordination des acteurs 145 concernés localement. » Des orientations sont fixées à l’échelle nationale, auxquelles les acteurs locaux doivent se plier ou au moins s’adapter. La municipalité se retrouve par conséquent dans une position relativement privilégiée : « interface entre ces deux scènes, les acteurs politiques et administratifs locaux sont, de toute évidence, dans une position stratégique confortable au croisement des deux types de régulation ». Malgré les problèmes de gouvernance cités précédemment, on peut donc considérer que la municipalité est au centre de l’action publique en faveur de la petite enfance et joue un rôle de pilote. Au cours de ces dix dernières années, les collectivités locales se sont souvent affirmées comme les pilotes des dispositifs d’action en direction des enfants et des jeunes, lorsqu’elles ont su combiner les différentes mesures proposées par l’État ou par la CAF par exemple, et quand elles ont su animer l’espace public 146 avec l’ensemble des partenaires, en particulier avec les associations. Cette situation est observable à Vénissieux, où le service Petite Enfance est le premier interlocuteur de tous les partenaires intervenant dans la mise en œuvre de la politique de la petite enfance. 144 145 146 50 Ibid., p. 1. Ibid., p. 14. HALTER, Jean-Pierre. Op. cit., p. 48. BONNARD Camille - 2012 II. Une politique s’inscrivant dans une certaine standardisation de l’action publique locale 147 Un partenariat difficile Finalement, comme le montre le schéma ci-dessus, les questions de gouvernance et de partenariats sont centrales dans le champ de la petite enfance comme pour l’ensemble des politiques sociales. Elles illustrent les « tâtonnements » de la puissance publique et ses tentatives d’adaptation aux nouvelles réalités sociétales ainsi qu’à l’évolution des besoins du public. Julien Damon va même jusqu’à parler de « souk territorial » et de « bricolage » pour qualifier ces nouveaux instruments : « comme la réponse publique unilatérale est difficilement envisageable face à la complexité et à l’individualisation des questions sociales, 148 le "bricolage" partenarial est plus adapté. » Face à ce « souk territorial », la récente note d'analyse du Centre d’Analyse 149 Stratégique préconise de rendre obligatoires et publics des schémas départementaux de développement de l'offre d'accueil du jeune enfant, afin de rationaliser les moyens existants dans les différents territoires. Dans le Rhône, une Commission Départementale de l’Accueil des Jeunes Enfants (CDAJE), constituée de professionnels, d’élus et de parents, a été créée en 2007. Celle-ci a élaboré un Schéma Départemental de l’Accueil du Jeune Enfant et de sa famille (SDAJE) pour 2012-2015, ce qui correspond à sa mission d’observatoire de l’offre et de la demande en matière d’accueil du jeune enfant. Ce schéma réaffirme des valeurs (équité, accessibilité, coéducation) et propose des orientations pour rendre cohérents les 150 dispositifs d’accueil du jeune enfant dans le Rhône . Ce schéma n’a cependant aucune valeur prescriptive et aucun élu ou professionnel de Vénissieux n’y participe. Pour M. Damblin, « c’est plus une analyse de l’existant, sur des politiques facultatives. Ca réaffirme un cadre général, des objectifs généraux à atteindre, mais plus sur du bon sens de 147 148 149 150 Schéma issu de DAVID Olivier. Op.cit., p. 12. DAMON, Julien. Op.cit., p. 11. Centre d’Analyse Stratégique. Quel avenir pour l’accueil des jeunes enfants ? Note d’analyse n°257, janvier 2012. 12 p. DEPARTEMENT DU RHONE. Schéma départemental de l’accueil du jeune enfant et de sa famille, 2012-2015. 2012. 36 p. BONNARD Camille - 2012 51 La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation 151 politiques publiques. » Mme Margerit regrette néanmoins la perte d’informations que peut 152 représenter la non participation à cette instance de centralisation des besoins . Cette seconde partie a permis de montrer les changements multiples auxquels fait face la politique de la petite enfance, en parallèle des politiques sociales : évolutions du territoire d’action, des modes de relations (État, collectivités territoriales, associations), des échelons de décision. La politique de la petite enfance s’inscrit donc bien dans une certaine standardisation des politiques sociales. Ces dernières semblent toutes suivre certaines tendances actuelles de territorialisation de l’action publique, de fonctionnement partenarial et de transversalité. On peut par exemple prendre la description que fait Valérie Löchen de la politique de la ville. 153 L’auteur la qualifie de « contractuelle, transversale, territoriale, partenariale et globale », cinq adjectifs que nous avons employés pour qualifier la politique de la petite enfance. Cette dernière ne serait alors qu’une politique sociale comme une autre, subissant les mêmes enjeux et les mêmes évolutions. La ville de Vénissieux se trouve par ailleurs confrontée à de nouvelles réglementations et de nouvelles normes de procédures et de pratiques, auxquelles les différents acteurs sont contraints de s’adapter. Cependant cette adaptation se fait avec des spécificités qui demeurent, et des effets différents en comparaison d’autres villes. 151 152 153 52 Entretien n°7. Entretien n°6. LOCHEN, Valérie. Comprendre les politiques d’action sociale. Paris : Dunod, 2010. Collection Action sociale. 464 p. BONNARD Camille - 2012 III. Une politique différenciée préservant une identité singulière III. Une politique différenciée préservant une identité singulière Le fait que la ville de Vénissieux soit souvent surnommée « la rebelle » laisse entendre que la ville a une identité singulière. Mon enquête de terrain m’a permis d’observer que cette ville ne se conforme pas toujours à ce que peuvent faire d’autres villes de même envergure ou à ce que les politiques nationales imposent. Cette différenciation provient pour une part d’une volonté politique, mais aussi d’autre part d’une adaptation nécessaire aux réalités locales. A.Une différenciation induite par l’adaptation aux spécificités du terrain et de sa population Cette première sous-partie aura pour objectif de montrer en quoi la politique de la petite enfance mise en œuvre à Vénissieux se différencie des tendances nationales, du fait des spécificités de la population. Comme nous l’avons vu précédemment, les habitants de Vénissieux sont caractérisés par leur précarité, ce qui oblige les acteurs de la politique de la petite enfance à adapter leurs pratiques. Le questionnement que nous aurons ici rejoint celui de Jacques Donzelot : « comment l’Etat, instance du collectif par excellence et représentant de l’intérêt général, peut-il être localisé et se déployer à travers des modes d’action ajustés à des populations spécifiques 154 placées dans des situations particulières ? » . Dans notre cas, il ne s’agit pas de l’Etat mais de la municipalité de Vénissieux, qui doit s’adapter aux besoins spécifiques de ses citoyens. 1. Une diversification des modes d’accueil qui reste limitée L’accueil des jeunes enfants se caractérise actuellement par la diversification des formes qu’il peut prendre. Plusieurs nouveaux types de modes de garde ont été crées durant la dernière décennie, dans l’optique de répondre à une demande croissante et à des besoins de plus en plus divers. Ainsi sont apparus le multi-accueil, les micro-crèches, les jardins d’enfants, les maisons d’assistantes maternelles, etc. Ces modes de garde se distinguent de la crèche ou de la halte-garderie « classiques » par leur plus grande souplesse et leurs normes moins exigeantes. A Vénissieux, si le multi-accueil a été appliqué, en conformité avec les critères de la PSU, les modes d’accueil demeurent néanmoins relativement traditionnels. On dénombre huit EAJE municipaux dont une crèche familiale et cinq EAJE associatifs dont une crèche parentale. Une seule crèche privée d’entreprise existe sur le territoire, dans le quartier Moulin à Vent. La diversification des modes d’accueil demeure donc limitée sur le territoire vénissian. 154 DONZELOT, Jacques. Devenir de l’Etat providence et travail social. In ION, Jacques. Op.cit. BONNARD Camille - 2012 53 La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation Cette réalité s’explique pour deux raisons. La première est d’ordre socio-économique : les micro-crèches, crèches privées ou autres modes d’accueil alternatifs sont souvent plus coûteux pour les familles que les modes d’accueil collectifs classiques, car ils ne sont pas toujours en contrat avec la CAF. Ils correspondent ainsi davantage aux besoins de familles plus aisées qui sont prêtes à payer un prix plus élevé pour faire garder leur enfant. Les familles vénissianes, en revanche, si elles sont confrontées à ce genre de dilemme, préféreront sans doute qu’un des deux parents, probablement la mère, cesse de travailler pour garder l’enfant à domicile. M. Damblin explique que le reste à charge n’est pas pour la structure mais pour les familles, avec des frais à avancer. Par conséquent, « pour certaines familles cela convient, mais pour des familles plus précaires comme on a à Vénissieux, ça répond moins à la demande. […] A l’inverse de communes comme Lyon, on est sur un terrain 155 d’implantation moins favorable à Vénissieux, y’aurait moins de réponse de la population. » Il résulte de cela que le taux de couverture (nombre de places en EAJE par rapport au nombre total d’enfants de moins de trois ans) de Vénissieux est en baisse et se situe désormais dans une moyenne plutôt basse en comparaison d’autres villes, alors qu’il était plutôt dans la moyenne haute auparavant. Néanmoins les villes qui ont vu leur offre d’accueil augmenter ont très souvent recours aux crèches privées et aux micro-crèches, dont le nombre a explosé, comme à Lyon par exemple. Certaines villes vont même jusqu’à acheter des places de crèche privées, ce qui coûte moins cher et engage sur un terme plus court, sans impliquer de personnel municipal. La ville de Vénissieux a refusé ce type de fonctionnement. Le développement d’une offre privée n’est cependant pas interdit puisque l’accord de la municipalité n’est pas requis pour ouvrir une crèche privée. La mairie donne seulement un avis consultatif. La politique vénissiane n’encourage toutefois ni la diversification ni la privatisation de l’accueil des jeunes enfants et le bilan du CEJ 2006-2010 indique que l’arrivée d’une structure privée ne faisant pas partie d’un schéma concerté de 156 développement pose question . Cette volonté politique, même si elle n’est pas clairement énoncée, constitue la seconde explication. En effet, la diversification des modes de garde entraine avec elle une complexification, qui rend peu lisible une offre déjà multiple et compliquée. Certaines familles ayant peu de connaissances du fonctionnement de l’accueil des jeunes enfants ou comprenant mal le français pourraient rester en marge de ce système complexe. Pour Mme Margerit, « la politique locale fait qu’on n’encourage pas les diversités de modes de garde dans lesquels les parents se perdent. […] Vous complexifiez les intitulés de modes de garde et vous avez affaire à une population assez précaire, ce qui aggrave 157 leur précarité. » Ainsi, la politique menée ces dernières années a consisté à rénover et réhabiliter les structures existantes, parfois en augmentant leur capacité d’accueil. Aucune nouvelle structure n’a donc ouvert à Vénissieux depuis 2002, ce qui correspond également à un contexte de finances limitées. En revanche, depuis cette même date, 61 places d’accueil supplémentaires ont été créées dans des structures pré-existantes, à la faveur de changements de locaux ou de travaux de rénovation. Cette « non diversification » correspond par ailleurs à une volonté (consciente ou non) de ne pas fragmenter l’offre de garde. Bernard Eme et Laurent Fraisse pointent en effet le risque que la diversification, si elle est mal régulée, puisse aller contre la justice sociale et produise une segmentation sociale des modes de garde. Les auteurs prennent l’exemple de 155 156 157 54 Entretien n°7. DAMBLIN, Matthieu. Op.cit., p.50. Entretien n°6. BONNARD Camille - 2012 III. Une politique différenciée préservant une identité singulière la ville de Montreuil, ville de la banlieue parisienne comparable à Vénissieux car composée d’une population ouvrière et immigrée : Alors que les tarifs des crèches municipales et non municipales respectent un barème national qui tient compte des revenus des parents, le recours à une assistante maternelle ou à une aide à domicile demeure inabordable pour les familles à revenus modestes qui ne peuvent profiter des incitations fiscales. Les familles à bas revenus ne peuvent compter que sur l’accueil collectif ou informel 158 lorsque la mère ne renonce pas à travailler. Ainsi la conservation d’une variété restreinte de modes d’accueil permet de préserver une certaine mixité sociale dans les EAJE de Vénissieux, cette mixité sociale étant un des axes du projet social et éducatif de la ville. La diversification des modes de garde qui a lieu ailleurs reste donc limitée à Vénissieux, tant du fait de l’absence de demande de ce type d’offre que du fait d’un choix politique. On pourrait ainsi se risquer à parler de « standardisation » des modes de garde sur le territoire vénissian (ceux-ci étant majoritairement classiques), ce qui en soi représenterait une forme de différenciation. Ce paradoxe montre bien la relativité de ces deux termes de standardisation et différenciation, et la difficulté de leur usage, puisqu’une pratique peut à la fois relever de la standardisation et de la différenciation, en fonction de ce à quoi on la compare. 2. Une diversité du public accueilli L’adaptation nécessaire aux caractéristiques sociales des usagers provient aussi de la diversité de la population vénissiane. Cette diversité induit que les pratiques des équipes de terrain sont modifiées, même si les professionnels n’en ont pas toujours conscience du fait de l’habitude. Cette diversité prend des formes multiples, allant de la diversité culturelle et ethnique 159 (75 origines ethniques différentes ont été recensées à Vénissieux ) à la diversité sociale (différents niveaux de ressources, différents types de besoins) et à l’accueil du handicap. La crèche est toujours un lieu de rencontre avec les familles, de négociations et parfois de malentendus, car chaque famille a des pratiques éducatives différentes. Pour Graziella Favaro, il s’agit de trouver « un équilibre au sein de la crèche entre flexibilité et raidissement 160 identitaire » et pour cela des règles doivent être établies. La crèche est en effet le premier lieu où les familles vont être confrontées à des professionnels mais aussi à d’autres familles ayant des pratiques et des habitudes différentes. Elle joue donc en cela un rôle fondamental d’intégration interculturelle et d’apprentissage de la différence, tant pour les enfants que pour les parents. La diversité culturelle étant une réalité qui m’avait interrogée lors de mon stage, j’ai demandé à chacune des personnes interviewées comment elle travaillait au quotidien avec cette diversité et ce qu’elle pouvait entrainer comme conséquences pratiques. La plupart ont déclaré que la diversité étant une réalité quotidienne, elles n’y prêtaient plus attention 158 EME, Bernard & FRAISSE, Laurent. Op.cit., p. 12. 159 160 DAMBLIN, Matthieu. Op.cit., p. 49. FAVARO, Graziella et al. Une crèche pour apprendre à vivre ensemble. Paris : Editions Erès, 2008. Collection Petite Enfance et Diversité. 262 p. BONNARD Camille - 2012 55 La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation et « faisaient avec » sans s’en préoccuper particulièrement : « on a tellement des capacités d’adaptation que du coup après on se rend plus compte », « c’est une problématique qui aujourd’hui est assez claire dans la tête des équipes. […] Elles ont travaillé là-dessus et c’est pas quelque chose qui pose vraiment problème. », « On se pose pas la question, on fait de la même manière pour tous les enfants », « on n’est pas focalisé dessus, on la voit plus la diversité au bout d’un moment. C’est normal. », « La diversité à Vénissieux c’est 161 historique, c’est incontournable. » Ces témoignages montrent que la diversité culturelle est reconnue et qu’elle semble être intégrée au quotidien car devenue habituelle. Les professionnels valorisent la ressemblance plutôt que la différence, même si beaucoup citent la diversité comme une source de « richesse ». Si la prise en compte de la diversité est une valeur du projet éducatif et social, elle n’est cependant pas mise en avant dans les pratiques quotidiennes. Derrière ces discours, on perçoit également les valeurs de laïcité et d’égalité, très puissantes à Vénissieux et défendues par les élus comme par les professionnels de terrain. On peut toutefois se demander si cette notion floue de « diversité culturelle » ne représente pas une sorte de tabou. Les questions de cultures et d’origines ethniques souffrent en France d’un relatif non-dit, comme le montre l’interdiction de produire des statistiques ethniques. Les professionnels que j’ai rencontrés ne semblaient pas tous à l’aise pour parler de cette thématique : mon hypothèse est donc que leurs déclarations unanimes sur leur acceptation de la diversité masquent peut-être certains non-dits. La diversité culturelle pose en effet des questions pratiques chaque jour dans les crèches et plusieurs professionnels m’ont fait part de leurs interrogations, qui peuvent concerner les soins apportés à l’enfant, son alimentation ou encore la relation avec les parents. Dans certaines cultures, les enfants sont allaités jusqu’à un âge très tardif et sont endormis dans les bras de leur mère ou bien avec leur biberon ; les professionnels ne pouvant pas appliquer ces pratiques au sein des structures, il y a donc un décalage pouvant perturber l’enfant mais aussi les parents, notamment au moment difficile de la séparation. C’est pourquoi le lien avec les familles et le dialogue est particulièrement important. Les équipes mènent aussi des réflexions collectives sur leurs pratiques afin de les harmoniser et de créer un climat de confiance avec les familles. Mme Ruiz remarque que lorsque l’équipe est stable et solide, les relations avec les familles se déroulent bien ; en revanche, « dès 162 qu’on arrive dans un flou, c’est là où on a des clashs. » L’alimentation est aussi une thématique qui a causé de nombreux débats à Vénissieux. En effet, de nombreux parents demandent à ce que leurs enfants mangent de la viande halal. Les EAJE ne souhaitant pas et n’ayant pas les moyens matériels de préparer des plats différents en fonction des enfants, une décision a été prise au niveau municipal de ne pas donner de viande aux enfants censés manger de la viande halal. Il est ainsi expliqué aux parents qu’ils peuvent donner de la viande à leur enfant lors du repas du soir, un seul apport de protéine par jour étant suffisant pour un enfant. On retrouve ici l’affirmation de la valeur de laïcité. De la même façon, les fêtes religieuses telles que Noël ou Pâques sont remplacées par des fêtes non religieuses et célébrées sans occasion spéciale. Mme Champmartin explique comment cela se déroule dans l’EAJE Gribouille : 161 162 56 Entretiens n°1, 3, 4, 5, 6. Entretien n°1. BONNARD Camille - 2012 III. Une politique différenciée préservant une identité singulière On fait la fête, mais pour rien ! Parce qu’un jour on a envie de danser et de manger du chocolat ! Mais y’a pas de raison. Parce qu’après si on rentre làdedans va falloir qu’on fête toutes les fêtes de toutes les communautés, ça va être interminable. On n’est pas là pour célébrer telle ou telle journée en 163 particulier, donc on fait pas. Une autre source de malentendu peut être les règles de fonctionnement des EAJE, tels que les horaires d’ouverture. Mme Ruiz précise : « on n’a pas le même rapport à la règle et du coup c’est difficile d’amener les familles, ne serait-ce qu’à téléphoner pour dire qu’elles 164 viennent pas […], d’arriver à l’heure. » L’enquête menée par Graziella Favaro en Italie dans des structures accueillant des familles primo-migrantes montre également que le respect des règles (horaires, adaptation, autorisation) est la source la plus fréquente de 165 malentendus et de tensions, car le rapport à la règle n’est pas le même selon les cultures . Enfin, les mères portant un voile qui dissimule leur visage sont obligées de se dévoiler pour qu’on leur confie leur enfant le soir, car la structure est responsable de ne pas confier l’enfant à une personne dont l’identité n’est pas connue. Cette vérification a parfois pu être considérée comme intrusive et irrespectueuse par certaines mères, ce qui a pu susciter des conflits avec les professionnels. Le bilan du CEJ retrace également les évolutions en cours et les questionnements qui en émergent, notamment les situations déroutantes auxquelles peuvent être confrontés les professionnels, les nouvelles origines géographiques des familles primo-arrivantes ou 166 encore la place plus importante que prend la religion. Tous ces exemples montrent que malgré les discours des acteurs qui tendaient à minimiser l’impact de la diversité, celle-ci oblige les équipes de professionnels à adapter leurs pratiques et leurs comportements afin d’instaurer une relation de confiance avec les familles. L’échange avec les familles est plus qu’ailleurs essentiel pour expliquer les normes auxquelles est soumis l’accueil des jeunes enfants. C’est aussi dans ce sens-là qu’on peut parler d’un travail d’accompagnement à la citoyenneté : « tout ça peut permettre aux familles 167 de reprendre des repères. » Cet échange est néanmoins rendu fréquemment difficile lorsque des parents maitrisent mal voire pas du tout le français. 3. Une population aux attentes singulières et élevées La différenciation réalisée à Vénissieux trouve aussi son origine dans les demandes et attentes spécifiques des usagers. En effet, la majorité des demandes concernent les places en accueil collectif, les parents souhaitant bénéficier du mode d’accueil le moins onéreux. Le bilan du CEJ recensait 549 demandes d’accueil régulier (plus de 15 heures par semaine) et 782 demandes d’accueil occasionnel (moins de 15 heures par semaine) pour l’année 2009. Les demandes d’accueil occasionnel sont donc plus nombreuses, mais reçoivent plus rarement une 163 164 165 Entretien n°5. Ibid. FAVARO, Graziella. Op.cit. 166 167 DAMBLIN, Matthieu. Op.cit., p. 49. Entretien n°2. BONNARD Camille - 2012 57 La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation réponse positive : moins d’un tiers de ces demandes reçoit une réponse positive, tandis 168 qu’à peine la moitié des demandes d’accueil régulier peut être satisfaite . La mise en place de la PSU n’a donc pas eu les mêmes effets à Vénissieux qu’ailleurs. La PSU avait pour objectif d’accroitre la mixité sociale dans les EAJE en supprimant le critère des deux parents qui travaillent pour l’obtention d’une place. A Vénissieux, ce critère a été maintenu pour l’accueil régulier, ce qui pourrait être contraire aux exigences de la PSU si ce mode d’accueil était le seul existant. Cependant, la possibilité d’être accueilli en occasionnel sans aucun critère d’emploi des parents rend la politique de Vénissieux conforme à la PSU. Ainsi, selon M. Damblin, la PSU c’est un peu un moyen de forcer la main aux structures pour qu’elles accueillent des enfants dont les parents ne travaillent pas. A Vénissieux ça a peut-être eu l’effet un peu inverse, parce que dans la population y’a beaucoup de taux de chômage et les crèches étaient aussi utilisées pour la socialisation 169 depuis longtemps. L’accueil en collectivité répond donc à des besoins de parents qui travaillent mais aussi largement à des parents sans emploi, ayant d’autres types de besoins. Cet accueil occasionnel permet à la fois à l’enfant d’être confronté à la collectivité, mais aussi aux parents de disposer de temps libre pour leurs formalités administratives par exemple. Ainsi, pour M. Damblin, Le besoin de mode de garde est assez transversal. Pas sur les mêmes volumes : celui qui travaille il a forcément besoin qu’on lui couvre tous ses temps de travail, mais celui qui travaille pas il a aussi besoin de temps pour autre chose, surtout lorsqu’on est sur des populations en difficultés. Parce qu’on choisit pas son rendez-vous à Pôle Emploi, on choisit pas son rendez-vous à la CAF, on subit 170 aussi… Le fait que beaucoup de demandes subissent un refus m’a conduite à me demander si la ville de Vénissieux manquait de places d’accueil. Le bilan du CEJ indique notamment que la population d’enfants de moins de trois ans a augmenté plus rapidement que les créations de place. Mais lorsque j’ai posé cette question à la responsable du Point Info, celle-ci m’a 171 expliqué que paradoxalement certaines assistantes maternelles étaient au chômage . En effet, les parents sont souvent réticents à employer une assistante maternelle, et ce pour diverses raisons. Le premier obstacle est financier : les tarifs des assistantes maternelles sont souvent plus élevés que ceux de l’accueil collectif, et les parents n’ont pas toujours les moyens de faire l’avance du premier mois de salaire avant que l’aide de la CAF ne soit active. La deuxième difficulté est que l’emploi d’une assistante maternelle nécessite de signer un contrat complexe, engageant sur une longue durée, alors que les parents ne peuvent pas nécessairement se projeter sur un mode de garde pérenne. Les difficultés liées à la compréhension de la langue ou à l’accès à Internet renforcent cet obstacle qu’est le contrat. Enfin, le fait que les parents ne puissent pas choisir le quartier de leur assistante maternelle est souvent un motif de refus de ce mode de garde ; en l’occurrence, ils ne 168 DAMBLIN, Matthieu. Op.cit., p.11. 169 Entretien n°7. 170 Ibid. 171 58 Entretien n°2. BONNARD Camille - 2012 III. Une politique différenciée préservant une identité singulière souhaitent pas que leur enfant soit gardé par une assistante maternelle des Minguettes, à cause de l’image péjorative de ce quartier auprès des familles extérieures. Ainsi, de nombreuses assistantes maternelles, notamment du quartier des Minguettes, peinent à trouver des parents employeurs, et le recours à la « débrouille » et à des contrats 172 officieux (familiaux ou amicaux) sont très fréquents . Le nombre élevé de demandes d’accueil en collectivité montre par ailleurs la forte attente des familles vis-à-vis de la municipalité. Cette attente peut même aller jusqu’à l’exigence, comme plusieurs entretiens le décrivent : « des familles qui sont de plus en plus exigeantes par rapport au service public ; on veut tout, tout de suite, maintenant. », « ce qui a changé c’est l’exigence. Le parent qui exige, et qui ne veut, qui ne nous laisse qu’un choix, et en plus le choix le plus improbable. », « quand les gens n’ont pas ce qu’ils veulent, 173 ils râlent, ils écrivent, ils envoient des mails, ils vont sur le site de la ville… » . Cette forte exigence, qui s’accompagne d’une augmentation des tendances procédurières, est relativement nouvelle et interroge beaucoup les professionnels. Elle démontre que les habitants attendent beaucoup de la collectivité et du service public et perçoivent l’offre d’accueil comme un droit, voire comme un dû. Pour Mme Picard, les habitants considèrent que le fait de payer des impôts leur donne un droit d’accès aux services publics : « j’ai le droit de. Je paie des impôts donc j’ai le droit d’avoir une place en 174 crèche. » Michel Chauvière voit dans cette tendance la manifestation du consumérisme 175 des services publics par les usagers . Ce consumérisme serait masqué par la volonté politique affichée de faire des usagers des citoyens autonomes et rationnels, ainsi que de renforcer leurs droits. Pour Mme Neri, cette hausse de l’exigence, voire parfois de l’agressivité, s’explique par le contexte économique difficile qui précarise les familles et les place dans l’incertitude. Face à cette incertitude, l’obtention d’une place en crèche peut représenter une base de stabilité sur laquelle s’appuyer pour faire des projets. Par conséquent lorsque la famille 176 reçoit un refus, les projets sont annulés et la déception est grande . M. Damblin voit dans cette hausse des contestations des décisions municipales le signe que le service public perd son sens et que les gens ne perçoivent plus « qu’il n’est pas un service qui répond 177 systématiquement à tous les besoins particuliers » . Pour lui les règles ne sont peut-être pas assez claires, empêchant la population de comprendre que même si leurs attentes sont légitimes d’un point de vue individuel, elles sont intenables au sens du service public, qui se doit d’avoir des règles générales et des moyens rationalisés. Enfin, cette frustration peut aussi traduire un mécontentement plus général vis-à-vis de l’Etat et de l’institution publique en général, représentés à Vénissieux par la mairie. Cette évolution oblige également l’ensemble des professionnels à revoir leurs pratiques afin de mieux expliquer aux familles comment le système fonctionne et pourquoi les refus sont parfois inévitables. Un temps important est alors consacré à la « gestion de la 172 173 174 175 176 177 DAMBLIN, Matthieu. Op.cit., p. 49. Entretiens n°2, 6, 7. Entretien n°9. CHAUVIERE, Michel. Op. cit. Entretien n°2. Entretien n°7. BONNARD Camille - 2012 59 La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation 178 frustration » car les parents font des courriers ou téléphonent, demandent de plus en plus fréquemment à rencontrer la chef de service voire l’élu en charge de la petite enfance ou le maire. Ainsi, l’action municipale est fortement sollicitée par les familles pour développer l’offre d’accueil collectif des jeunes enfants, et ce d’autant plus que l’offre privée est quasi inexistante à Vénissieux. Pour Audrey Daniel, « offrir une solution de garde s’impose progressivement comme une "obligation" faite aux collectivités jusqu’à l’inscrire dans une 179 logique de "service" public » . Cela est une nécessité d’autant plus importante que les modes d’accueil de la petite enfance contribuent à l’ancrage des familles et à la cohésion sociale sur la commune. La différenciation observée à Vénissieux semble donc à première vue être davantage le résultat d’une adaptation pragmatique aux besoins spécifiques de la population que le fruit d’une volonté politique particulière. A travers mes entretiens, il est toutefois évident que de profondes divergences existent entre les tendances nationales, notamment les évolutions législatives, et le ressenti des professionnels (tant sur le terrain qu’au niveau du service). Ces derniers n’hésitent pas à critiquer les nouvelles politiques nationales ainsi que ce qui relève pour eux de l’incohérence. B.La différenciation volontaire des politiques nationales 1. La critique des politiques nationales par les professionnels de terrain L’identité « rebelle » de Vénissieux se manifeste même au niveau des personnels, qui sont nombreux à dénoncer les nouvelles législations et normes nationales. Lors des entretiens que j’ai menés avec des directrices d’EAJE, toutes m’ont fait part des difficultés qu’elles rencontraient pour faire face aux nouvelles exigences des normes d’accueil. En effet les changements importants apportés par les différentes réformes étudiées précédemment ont obligé les professionnels à profondément modifier leurs pratiques. Le travail administratif, en particulier pour les directrices de structures, a vu son temps augmenter de façon importante. Le multi-accueil induit par la PSU a entrainé la multiplication du nombre d’enfants accueillis et par là même du nombre de contrats et de familles à gérer. De plus, les familles demandent souvent à recalculer leur contrat au plus près de leurs besoins afin de minimiser leur participation financière, ce qui engendre de nouvelles charges administratives pour les directrices. Le paiement à l’heure introduit en outre une dimension financière, voire « commerciale » pour certains, dans le rapport entre les parents et les professionnels. 178 179 60 Entretien n°6. DANIEL Audrey. Op.cit., p. 32. BONNARD Camille - 2012 III. Une politique différenciée préservant une identité singulière On observe ainsi un sentiment global de manque de temps et d’une organisation souvent « sur le fil ». Sylviane Giampino remarque que « de plus en plus de responsables, puéricultrices et éducatrices déclarent une perte de sens dans l’exercice de leur fonction : 180 le temps passé à gérer l’administratif prévaut sur l’accompagnement "métier" ». C’est ce qui ressort du discours de Mme Champmartin : Le manque de sens ça nous déstabilise beaucoup. […] Et puis après je pense qu’au niveau des équipes ce qui pèse le plus c’est d’être toujours tendu, toujours au minimum, et nous on en arrive certains jours, à compter au quart d’heure près le nombre d’enfants et le nombre de professionnelles. […] On n’a pas de 181 souplesse. Ainsi, lorsqu’une seule personne est absente, l’ensemble de l’équipe est mis en difficulté, voire même une autre structure si elle est sollicitée pour envoyer du personnel en renfort. Les professionnels dénoncent par ailleurs les contradictions présentes entre les politiques mises en œuvre et la réalité du terrain. Une critique récurrente porte par exemple sur les impératifs de qualité, qui paraissent souvent peu compatibles avec les règles de taux de remplissage et la baisse autorisée de la qualification des professionnels et du taux d’encadrement. Pour Mme Champmartin, cela est dû à un « décalage entre ceux qui font et ceux qui pensent ». Selon elle, les décideurs ne réalisent pas assez la spécificité de l’accueil des jeunes enfants : « Ils se rendent pas compte mais c’est impossible. "Regardez sur un papier vous avez tant d’adultes et y’a tant d’enfants, c’est bon, ça marche." Mais c’est pas 182 ça, parce que les enfants c’est pas des trucs qu’on range et qui tiennent… » De la même façon, Mme Margerit constate qu’il n’y pas « la même porte d’entrée » entre la politique nationale et la politique menée à Vénissieux : « on n’a pas le même regard sur les choses. La loi qui part du national, elle est généraliste et elle ne prend pas en compte la particularité 183 du local. » L’impression générale est donc qu’on demande aux professionnels de l’accueil de répondre à de plus en plus d’objectifs (épanouissement de l’enfant, accompagnement à la parentalité, insertion sociale), tout en leur enlevant des moyens matériels et du temps pour le faire. Un autre paradoxe relevé par Mme Margerit est la déprofessionnalisation de l’accueil, alors que celui-ci est supposé bénéficier d’une amélioration qualitative. Pour elle cela correspond à une vision dévalorisante des métiers de la petite enfance : « la petite enfance est à la portée de tous, [et il n’y a] pas besoin de formation pour s’occuper de la petite 184 enfance. » Mme Margerit cite également l’influence des politiques européennes pour expliquer la déréglementation, peut-être en référence à la directive « Services » étudiée 185 précédemment : « regardez bien avec l’Europe ce que ça donne. Je suis pas sûre qu’il 186 y ait une volonté qu’on développe encore plus. » 180 181 GIAMPINO, Sylviane. Confier ses enfants : qualité, liberté, priorité. In BEN SOUSSAN, Patrick. Op.cit., p. 53. Entretien n°5. 182 183 184 185 186 Ibid. Entretien n°6. Ibid. Voir supra, p. 46. Entretien n°6. BONNARD Camille - 2012 61 La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation Cette baisse des exigences en ce qui concerne les qualifications entre également en contradiction avec l’augmentation des normes de procédure. Le discours de Mme Margerit est encore une fois très évocateur à ce sujet : La norme excessive tue l’humanisme. On est tellement centré sur la norme technique qu’on oublie le bon sens pratique. Et ça me fait très peur. Le risque zéro n’existe pas. Donc parasiter la tête des personnes avec des normes extrêmement strictes, techniques, pointues, qui prennent beaucoup de temps, ça m’interroge beaucoup. Le relationnel humain du coup est forcément mis à mal. C’est la procédure, on se protège par la procédure avant de faire de l’éducatif et 187 du social. La procéduralisation croissante semble donc être préjudiciable à la qualité des relations, en ayant pour effet négatifs une certaine perte de bon sens et de temps ainsi que des problèmes organisationnels. Ces remarques rejoignent la réflexion de Sylviane Giampino : « comment on peut céder sur l’axe liberté-créativité comme valeur clef de l’épanouissement 188 des tout-petits, au profit de la valeur qui désaxe : la sécurité ? ». De même, Sylvie Rayna parle d’un « hygiénisme moderne, d’une montée des réglementations qui inhibent au lieu 189 de soutenir le travail auprès des jeunes enfants. » Enfin, il ne faut pas oublier la forte tradition syndicale qui existe à Vénissieux, avec environ une personne syndiquée par EAJE. Des tracts sont régulièrement distribués pour protester contre le fait que « les conditions de travail sont dégradées » et signaler que « les équipes sont dans la souffrance parce que maintenant on est dans une logique de 190 rentabilité » . Toutefois ces revendications ne représentent pas l’opinion de l’ensemble du personnel petite enfance de Vénissieux. Mme Henner par exemple considère qu’avec une équipe quasi complète, des locaux neufs et des taux d’occupation et d’encadrement 191 raisonnables, elle n’est pas « en souffrance » . Les revendications dont m’ont fait part les personnes que j’ai rencontrées rejoignent en 192 grande partie celles du collectif « Pas de bébé à la consigne » évoquées précédemment , bien qu’aucun professionnel n’ait mentionné son appartenance à ce collectif. 193 Ces critiques traduisent une certaine usure des professionnels face aux exigences croissantes de la politique nationale de la petite enfance, alliée à ce qui est ressenti comme une baisse des moyens et une perte de sens. Le service de la petite enfance a donc réfléchi à un projet global qui permettrait aux équipes de terrain d’être redynamisées en 194 s’appropriant les nouvelles problématiques . Ces critiques trouvent aussi leur écho dans celles des élus politiques de Vénissieux. 187 188 189 Ibid. GIAMPINO, Sylviane. Confier ses enfants : qualité, liberté, priorité. In BEN SOUSSAN, Patrick. Op. cit., p. 59. RAYNA, Sylvie. La qualité, parlons-en ! In BEN SOUSSAN, Patrick. Op.cit., p. 188. 190 191 192 193 194 62 Entretien n°4. Ibid. Voir supra, p. 45. « Toutes les nouvelles directives qui viennent de l’Etat ont impacté le moral de nos troupes », entretien n°6. Voir infra, p. 90. BONNARD Camille - 2012 III. Une politique différenciée préservant une identité singulière 2. La critique des politiques nationales par les élus N’ayant pas pu rencontrer l’adjointe à la petite enfance, mon analyse va porter ici sur l’entretien réalisé avec le maire de Vénissieux, Mme Picard, et sur quelques-uns de ses 195 discours disponibles sur son blog . L’appartenance communiste du maire de Vénissieux l’a conduite depuis 2008 à fortement s’opposer aux politiques nationales. La politique de la petite enfance, de par sa transversalité, est un moyen de critiquer l’ensemble des politiques menées à l’échelle nationale. En effet, tant dans ses discours que durant notre entretien, Mme Picard relie la thématique de la petite enfance à des thématiques plus larges telles que la scolarisation, la précarité sociale, le statut des femmes, etc. Chacun de ses discours est l’occasion de dénoncer les politiques gouvernementales, sur divers thèmes. Le premier d’entre eux est le manque de considération pour la petite enfance et la jeunesse en général, à travers la dénonciation des « apprentis sorciers en tout 196 genre qui font passer la jeunesse pour un coût et non pour un investissement ». Cette idée est liée à la lutte contre la déscolarisation des enfants de deux ans (« le démantèlement 197 de l’école publique en général et de la maternelle en particulier »). Mme Picard va jusqu’à citer explicitement des ministres : « des déclarations odieuses de Xavier Darcos aux propositions de Nadine Morano sur les jardins d’éveil, c’est la scolarisation des 2/3 ans et 198 la maternelle qui sont attaquées. » Le second porte sur la libéralisation du marché du travail et les solutions apportées à la crise ; selon Mme Picard, « la déréglementation a des conséquences désastreuses sur l’organisation de la vie privée : temps partiels, travail 199 de nuit, horaires fragmentés. » De plus, elle rappelle fréquemment « la démission et 200 l’abandon sans précédent des missions régaliennes de l’Etat » et fustige « le jeu de 201 dupes des politiciens » qui ne mettent pas en cohérence leurs discours et leurs actes. Ces discours sont donc empreints d’une certaine combativité voire agressivité et d’un appel à se différencier : « quelles résistances voulons-nous mettre en place face à un Etat qui remet en cause l’indépendance et l’autonomie des communes, face à une crise économique et 202 une crise du capitalisme qui ravagent nos sociétés, et donc nos villes et nos quartiers ? » Si les paroles du maire étaient plus mesurées lors de notre entretien, elles exprimaient néanmoins des revendications claires. On retrouve parmi celles-ci la critique de « la tentation 203 actuelle de supprimer l’école maternelle pour avoir un système de garderies payantes ». La baisse des moyens alloués aux communes, avec notamment la suppression de la taxe 195 Michèle Picard, maire de Vénissieux [en ligne]. [page consultée le 13 juillet 2012]. <http://www.michele-picard.com/> 196 Intervention de Michèle Picard à l’occasion de l’inauguration de la crèche Gribouille [en ligne]. 16 novembre 2010. [page consultée le 15 juin 2012] <http://www.michele-picard.com/> 197 198 199 200 Ibid. Ibid. Ibid. Intervention de Michèle Picard à l’occasion de la signature du Contrat Enfance Jeunesse [en ligne]. 2 mai 2011. [page consultée le 15 juin 2012] <http://www.michele-picard.com/> 201 202 Ibid. Intervention de Michèle Picard lors de la conférence de presse « Grand rendez-vous de la ville 2011. Les Minguettes 1981-2011 » [en ligne]. 23 juin 2011. [page consultée le 15 juin 2012] <http://www.michele-picard.com/> 203 Entretien n°9. BONNARD Camille - 2012 63 La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation professionnelle, et la réforme des collectivités territoriales sont en outre perçues comme « une mise au pas de l’autonomie des communes » et comme une remise en cause de 204 « l’indépendance des choix politiques ». Mme Picard pointe également l’étendue de la pauvreté, en particulier celle des enfants : « je pense qu’il y a une urgence sociale dans ce pays qu’on ne mesure pas suffisamment. On ne mesure pas ce que ça casse chez les enfants. On nous présente la pauvreté comme une fatalité, mais non c’est une conséquence 205 du chômage, de la désindustrialisation de la France. » Le maire se déclare pour la victoire de la gauche mais regrette que les socialistes n’aillent pas assez loin : « c’est pas les 206 socialistes qui iront aussi loin que moi je le souhaiterais. » Enfin, une grande fierté est perceptible dans les discours de Mme Picard. Elle insiste notamment sur la tradition historique de la ville de Vénissieux d’investir dans la jeunesse : « ça a toujours été une préoccupation de la municipalité. […] Notre ancien député André 207 Gerin, c’est lui qui avait porté la Journée de l’Enfance au niveau national » Elle affirme aussi régulièrement combien la politique de la petite enfance menée à Vénissieux est volontariste et se distingue des politiques nationales et des politiques menées dans d’autres villes. Prenons quelques exemples tirés de ses discours : « la ville mène pour sa jeunesse un combat politique exemplaire » ; « ça demande des efforts, une sacrée volonté » ; « l’ambition et la résolution de la ville de Vénissieux en matière de politique éducative » ; « fierté et honneur des orientations claires, nettes et volontaristes prises par l’équipe municipale en faveur de l’enfance et de la petite enfance ». Une attention particulière est également portée à la lutte contre la marchandisation de l’accueil de la petite enfance. La petite enfance est considérée comme « une des pierres de base [du] pacte communal, car c’est tout 208 simplement l’avenir et le futur de la ville qui s’écrivent ». Ainsi, pour Mme Picard, Vénissieux se distingue des autres villes et rencontre moins de difficultés à accueillir les enfants de moins de trois ans : « quand on regarde les écoles ou les crèches, le nombre de places de crèches à Lyon, ou les villes autour, on voit bien 209 que nous on est privilégiés. » Cette affirmation n’est toutefois pas vérifiée et se trouve en contradiction avec le discours de M. Damblin pour qui Vénissieux se situe désormais dans 210 une « moyenne basse ». Par conséquent, la différenciation mise en avant par Mme Picard dans ses discours est à nuancer car elle relève peut-être davantage d’une volonté de valorisation de la politique municipale que d’une réalité. Cette différenciation se retrouve néanmoins dans la conservation de certaines règles spécifiques à Vénissieux. 3. La conservation de pratiques et de règles spécifiques à la ville 204 205 206 207 208 Ibid. Ibid. Ibid. Ibid. Intervention de Michèle Picard à l’occasion de l’inauguration de la crèche Gribouille [en ligne]. 16 novembre 2010. [page consultée le 15 juin 2012] <http://www.michele-picard.com/> 209 210 64 Ibid. Entretien n°7. BONNARD Camille - 2012 III. Une politique différenciée préservant une identité singulière Face aux évolutions législatives et aux nouvelles règles qui en découlent, la ville de Vénissieux a fait le choix de se différencier en conservant certaines règles spécifiques. En effet, si le taux d’encadrement peut désormais être assoupli, c'est-à-dire que les professionnels peuvent être moins nombreux pour un plus grand nombre d’enfants, à Vénissieux, ce taux demeure inchangé à un adulte pour six enfants. Cela permet selon Mme 211 Henner d’avoir « des conditions de travail tout à fait appropriées ». De plus, l’embauche de travailleurs intérimaires pour remplacer des absences est interdite (alors qu’elle peut se faire dans d’autres villes). L’objectif de cette interdiction est sans doute de privilégier la qualité et de ne pas encourager les contrats de travail précaires et coûteux. Pour Mme Champmartin, cela a toutefois pour effet négatif d’ôter toute souplesse au fonctionnement 212 de la structure et de précariser son organisation . Notons aussi qu’une attention spécifique est portée aux familles en difficultés, dans une optique d’accompagnement social, ce reflète une volonté particulière : « il y a des gens qui ne respectent pas les contrats, moi je refais le point avec eux, je revois leurs besoins, et puis des familles qui arrivent pas à se lever le matin ou pas à venir, j’arrête jamais définitivement, 213 je les mets jamais à la porte », explique Mme Ruiz. Comme vu précédemment, la diversification des modes d’accueil est limitée à Vénissieux et aucune création d’équipement n’a eu lieu depuis 2002. Dans un contexte budgétaire restreint et du fait de la baisse des financements de la CAF, la municipalité a adopté une stratégie d’adaptation consistant à augmenter l’activité afin de compenser la diminution de la prestation enfance jeunesse (PSEJ). L’activité est développée uniquement au moyen d’extensions du nombre de places des structures pré-existantes. La ville dépense donc davantage mais cela lui permet de conserver une subvention stable d’environ un 214 million d’euros . Par ailleurs, comme l’a précisé Mme Picard, la ville « se bat pour l’entrée en maternelle à partir de deux ans. Chaque année on inscrit les enfants à partir de deux ans et on se 215 bat pour qu’ils soient inscrits effectivement, qu’ils soient pris en compte. » Cela cause cependant certains problèmes car les enfants de moins de trois ans ne sont pas pris en compte dans les effectifs par l’Education Nationale. Il peut donc y avoir des fermetures de classe même s’il existe une demande pour les enfants de deux ans. Les crèches recevant pour instruction de ne pas accueillir de nouveaux enfants si ceux-ci ont plus de deux ans et demi, certains enfants se retrouvent sans place à l’école ni à la crèche. Ce type de situation problématique est de plus en plus fréquent et génère une importante frustration chez les familles, qui se retrouvent sans aucun mode de garde (l’école représentant aussi un mode de garde). Lorsqu’un enfant de plus de deux ans déjà inscrit dans un EAJE se voit refuser l’entrée à la maternelle, il conserve sa place dans la structure mais empêche un autre enfant d’y avoir accès. Pour Mme Margerit, le choix politique qui est fait de refuser une place en crèche aux enfants de plus de deux ans et demi relève du « paradoxe » : « la réalité est que les enfants nous restent sur les bras. Moi j’ai pas de solution. Et les familles se tournent 216 vers moi quand elles ne sont pas contentes. » 211 212 213 214 215 216 Entretien n°4. Entretien n°5. Entretien n°1. Entretien n°7. Entretien n°9. Entretien n°6. BONNARD Camille - 2012 65 La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation Un autre type de paradoxe que l’on peut remarquer à Vénissieux est la conservation du critère des deux parents qui travaillent pour l’obtention d’une place en accueil régulier. Ce critère a pourtant été supprimé par l’instauration de la PSU afin de favoriser l’accueil d’enfants dont les parents ne travaillent pas. Vénissieux est quand même conforme aux exigences de la PSU car un enfant peut être accueilli en socialisation occasionnelle. Mais la conservation de ce critère pose question, notamment si l’on considère la longue liste d’attente pour les places en accueil occasionnel. En effet, cela signifie que la priorité est donnée aux familles ayant des emplois, qui ne sont peut-être pas celles dont les enfants ont le plus besoin de socialisation. Certains enfants vivant dans des familles où aucun parent ne travaille peuvent davantage nécessiter une intégration, tandis que leurs parents peuvent aussi avoir besoin de temps pour leurs formalités de recherche d’emploi par exemple. Cela rejoint la réflexion d’une note du CAS : L’accès des enfants aux crèches a longtemps été réservé aux familles dont les parents travaillent (…). Si l’on se place du point de vue du bien-être de l’enfant, alors il faudrait sans doute donner la priorité aux enfants dont les familles ont le plus de difficultés à développer le langage, les capacités cognitives et de 217 socialisation, notamment aux familles immigrées défavorisées. La ville de Lyon, par exemple, a adopté un système prenant en compte davantage de critères : un barème a été établi avec des points attribués en fonction de certaines données (emploi ou non des parents, niveau de ressources, nombre d’enfants à charge, présence d’un handicap, besoin d’un soutien à la parentalité). Le fait que les deux parents travaillent ou non est un critère parmi d’autres, qui n’est pas essentiel pour l’obtention d’une place. On s’aperçoit ici de la complexité et parfois de la contradiction qui peut exister entre les différents objectifs de l’accueil du jeune enfant. Faut-il prioritairement encourager l’insertion professionnelle des parents ou bien privilégier l’accueil des enfants en besoin de socialisation ? La réponse à cette question provient d’un choix politique, qui à Vénissieux s’est fait en faveur de l’insertion professionnelle des parents. On voit bien encore une fois la tension qui existe entre la préservation de la qualité d’une part, qui conduit la municipalité de Vénissieux à adopter une politique de différenciation, et la nécessité d’une certaine souplesse avec la confrontation aux nouvelles normes d’autre part. Finalement, la différenciation par rapport aux politiques gouvernementales s’observe à Vénissieux tant dans les discours que dans les pratiques. Les professionnels sont très concernés au quotidien par le manque de valorisation dont souffre le secteur de la petite enfance et par les nouvelles normes, qui sont majoritairement perçues comme ayant un effet négatif. Le maire ne cache pas non plus son indignation face à certaines tendances nationales et met en avant les spécificités et le volontarisme de sa municipalité en matière de politique de la petite enfance. Ces spécificités sont mises en œuvre à travers des règles que Vénissieux est une des rares villes françaises à appliquer. Cette différenciation se décline notamment dans un projet mis en place au sein du service Petite Enfance, dans le but de redonner une certaine motivation aux professionnels et un sens global à la politique de la petite enfance menée à Vénissieux. 217 BRABANT-DELANNOY, Laetitia & LEMOINE, Sylvain. Accueil de la petite enfance : Comment continuer à assurer son développement dans le contexte actuel des finances sociales ? Note de veille du CAS n°157, novembre 2009. P. 5. 66 BONNARD Camille - 2012 III. Une politique différenciée préservant une identité singulière C.Le projet global « Enfant Phare » : une autre approche de la qualité 1. Le constat d’un certain cloisonnement La nécessité du projet global provient tout d’abord du constat d’une certaine usure professionnelle, liée à l’impact des réformes citées précédemment, qui ont alourdi la charge des professionnels et modifié de façon significative l’exercice de leur métier. Ce projet doit pallier la perte de sens ressentie par bon nombre de professionnels, en permettant de fixer à nouveau certaines valeurs importantes. Ce projet est par ailleurs issu de l’observation d’un manque de transversalité et d’un certain cloisonnement entre les différentes structures du service Petite Enfance, et plus généralement entre ce service et les autres services de la ville (services Enfance, Education, Jeunesse, Sports, Culture). Ces différents services peuvent être amenés à travailler avec les mêmes familles, parfois les mêmes enfants, sans qu’ils communiquent réellement entre eux, empêchant qu’une continuité d’action puisse s’établir. Le bilan du CEJ ainsi que le projet social et éducatif indiquent tous deux comme perspective la nécessité d’améliorer le travail en transversalité. L’objectif est ainsi d’offrir un service plus global et moins segmenté aux familles. Pour Mme Ruiz, cela permettrait d’éviter « cette déperdition d’énergie et de 218 travail lorsque chacun fait dans son coin ». Le cloisonnement est visible en premier lieu entre les différents EAJE. Même si les directrices se connaissent et se rencontrent fréquemment à la mairie lors de réunions, les structures en tant que telles ne travaillent pas en lien les unes avec les autres. Mme Ruiz donne un exemple pour sa structure Tourni Cotton : « on est voisins avec la crèche du Carrousel, mais c’est tout bête, on est en décalé par rapport au rythme de la journée. Du 219 coup c’est hyper compliqué pour faire des choses ensemble. » De même, pour M. Naton, « le fonctionnement des structures Enfance – Petite Enfance est assez cloisonné, chacun 220 est un peu en autonomie, chacun fait un peu à sa sauce ». De plus, alors que les services Petite Enfance, Enfance et Education sont situés au sein de la même direction et peuvent avoir en charge les mêmes enfants ou des enfants d’une même famille, ils ne sont pas nécessairement en lien. Pour M. Naton, Il y a un saucissonnage actuellement. Quand on regarde le rythme d’un enfant, entre l’école, la nounou, le périscolaire, la cantine, des fois l’enfant il peut passer par un nombre important de structures ou de personnes ou de dispositifs. Du coup ça reflète le cloisonnement des dispositifs et la structuration des services de la mairie. On est découpé entre éducation, enfance, culture, sports et y’a pas forcément de lien. Deux exemples concrets illustrent ce cloisonnement : Mme Henner remarque d’une part que lorsqu’un enfant quitte la crèche pour aller à l’école, il n’y a pas de communication entre les deux structures alors que pour certains enfants présentant des problèmes particuliers 218 219 220 Entretien n°1. Ibid. Entretien n°3. BONNARD Camille - 2012 67 La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation 221 (de santé par exemple), des liens pourraient s’avérer intéressants . Les enfants ayant un problème de santé particulier bénéficient en effet d’un PAI (Projet d’Accueil Individualisé) : or la procédure pour ce PAI est différente à la crèche, sur le temps scolaire et sur le temps méridien. Mme Margerit s’interroge : « qu’est-ce qui nous empêche de faire de la cohérence 222 même s’il y a des institutions différentes ? » D’autre part, nous avons vu que les EAJE ne fournissaient pas de viande halal aux enfants dont les parents le réclamaient mais respectaient leur choix en ne leur donnant pas de viande du tout ; en revanche la cantine scolaire oblige les enfants à manger de la viande non halal, au nom de la laïcité. On observe donc là aussi un manque de cohérence entre les deux services. Le manque de transversalité peut aussi s’expliquer par le fait que les professionnels des différents services ont des métiers très différents, relevant de formations et de pratiques différentes. Ils n’ont par conséquent pas le même point de vue sur l’enfant et sa famille, et M. Naton précise que des a priori existent sur ce que fait chacun, voire sur ce qui se fait 223 dans certaines structures ou certains quartiers . Par ailleurs, le consultant intervenant pour mettre en place ce projet global, M. Bély, semble étonné de la verticalité qui caractérise le fonctionnement de la mairie de Vénissieux : « Vénissieux est une ville communiste, avec une culture verticale très très puissante. C’est 224 donc une approche de changement positionnel et culturel. » M. Damblin confirme ces propos puisqu’il compare la mairie à une « entreprise pyramidale avec un fonctionnement descendant, avec des directives qu’il s’agit de faire appliquer jusque tout en bas, jusqu’à 225 l’usager. » Ce fonctionnement vient donc se heurter aux tendances que nous avons étudiées précédemment de travail horizontal en réseau et en partenariat. Enfin, cette verticalité rejoint le constat de Bernard Eme et Laurent Fraisse qu’il manque une régulation territoriale visant une politique globale et que la politique de la petite enfance 226 est davantage une juxtaposition de relations bilatérales . Ce cloisonnement existe donc tant au niveau des services municipaux qu’entre les différentes structures de la ville (EAJE, maisons de l’enfance, écoles). Le service Petite Enfance de Vénissieux essaie de lutter contre ce cloisonnement avec un projet global, au niveau du management. 2. L’adoption d’un « regard global » et d’un discours du « faire sens » La démarche du projet global a démarré en 2008, avec l’ouverture de l’EAJE Gribouille en remplacement de la crèche Viviani. Mme Champmartin, future directrice, avait rencontré M. Bély lors d’une formation et a fait appel à lui pour aider l’équipe à écrire son projet d’établissement. M. Bély explique qu’il s’est alors « aperçu que l’équipe de terrain ne pourrait se mettre en dynamique globale que si le management à Vénissieux était mené dans une telle dynamique. » En commun accord avec Mme Margerit, un cursus de « formation-action » de six jours a été organisé en 2010, autour du thème « manager 221 222 Entretien n°4. Entretien n°6. 223 224 225 226 68 Entretien n°3. Entretien n°8. Entretien n°7. EME, Bernard & FRAISSE, Laurent. Op.cit., p. 16. BONNARD Camille - 2012 III. Une politique différenciée préservant une identité singulière un projet dans un environnement complexe ». Cette formation réunissait en majorité des directrices et directrices-adjointes (des structures municipales ou associatives) ainsi que des professionnels de l’enfance. Il a permis de « prendre conscience des liens qu’il pouvait 227 y avoir entre ces professionnels, du partenariat qu’on pouvait développer. » Un deuxième cursus de formation a eu lieu l’année suivante, et un groupe de supervision a émergé. Celui-ci est constitué des participants au cursus mais est également ouvert à d’autres professionnels, qui l’ont peu à peu intégré (personnel des centres sociaux, éducatrices de jeunes enfants, adjoints des maisons de l’enfance, auxiliaires de puériculture, infirmières scolaires). Ce groupe porte le projet tout au long de l’année et est divisé en trois sousgroupes : le premier est chargé de l’organisation du festival « Enfant Phare » pour 2014, le deuxième travaille sur le projet de formation global de la ville, et le troisième réfléchit aux outils transversaux qui peuvent servir à créer du lien entre les structures. Selon M. Bély, « le groupe de supervision permet l’articulation du transversal, qui est la caractéristique du 228 groupe, et du vertical, qui est la logique qui prime à Vénissieux ». Le groupe de supervision est ainsi mobilisé chaque fois qu’un nouveau projet complexe se présente. De plus, les crèches Capucine, Parilly et Carrousel ont par la suite bénéficié d’un accompagnement du consultant. Petit à petit, les professionnels se sont donc approprié le projet global et M. Bély ne vient plus à Vénissieux que tous les trois mois. M. Naton a un rôle d’intermédiaire entre lui et les équipes de terrain en animant les réunions des différents groupes et en coordonnant l’ensemble du projet. Il est donc intéressant de remarquer que ce projet a émergé du terrain pour ensuite s’étendre à l’ensemble du service, ce qui modifie la tradition de verticalité évoquée précédemment. 229 Ce projet s’inscrit dans une démarche systémique afin d’aider les professionnels à développer les axes communs de leurs pratiques, puisque tous ont notamment la valeur commune de la famille. Il est intéressant de remarquer que les professionnels adoptent tous le même discours quand je leur demande de décrire le projet global : « travailler sur le décloisonnement, travailler sur les valeurs et le sens, travailler ensemble », « on lève le nez du guidon pour prendre de la hauteur et changer notre vision », « une dynamique, un processus qui crée du lien et qui met en lien les professionnels de l’enfance et de la petite enfance », « un fil conducteur pour amener les services à travailler ensemble », « c’est hyper-transversal, c’est vraiment une cohérence globale qu’on cherche ». Les mots « lien », « transversal », « regard global », « ensemble », « sens » et « cohérence » figurent parmi ceux qui reviennent le plus souvent. M. Bély ajoute la notion de co-construction qui pour lui caractérise le management global. Cette co-construction s’illustre par exemple pour les formations du CNFPT : depuis l’an dernier, le sous-groupe chargé du projet de formation global a modifié le cahier des charges pour faire évoluer les formations traditionnelles assez techniques proposées par le CNFPT. Les thématiques des formations ont ainsi été reformulées pour intégrer davantage de transversalité, ainsi qu’une réflexion sur le bien230 être au travail . L’approche systémique La théorie systémique voit le jour dans les années 1940 aux Etats-Unis sous l’influence de l’école Palo Alto, qui travaillait sur la 227 228 Entretien n°3. Entretien n°8. 229 230 Voir encadré page suivante. Entretien n°5. BONNARD Camille - 2012 69 La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation théorie de la communication et de la relation entre les individus. Elle s’étend en Europe dans les années 1970, et s’applique notamment dans le champ du travail social et de la thérapie familiale. Cette approche est fondée sur une conception synthétique et non pas analytique de la réalité. Elle consiste à considérer un système non pas comme une somme d’unité mais comme un ensemble d’interactions entre des unités. Par exemple, dans un contexte déterminé, un individu est toujours en interrelation avec l’environnement et avec les autres membres du groupe. Le principe de totalité implique que le comportement de chaque élément du groupe est lié aux comportements de tous les autres et en dépend directement. Cette approche a été pensée notamment par Edgar Morin, qui l’associe aux notions de complexité et d’incertitude. La complexité est liée à la multiplicité des composantes d’un système mais aussi et surtout à l’imprévisibilité des comportements de ces composantes. Quant à l’incertitude, elle est selon Edgar Morin caractéristique de nos sociétés contemporaines : « nous sommes condamnés à la pensée incertaine, à une pensée criblée de trous, à une pensée qui n’à aucun fondement absolu de certitude, mais nous sommes capables de penser dans ces conditions dramatiques. 231 » Une autre valeur centrale dans le projet global est la créativité. Celle-ci est mise en œuvre durant les séminaires de formation, au travers d’ateliers créatifs (construction de panneaux imagés, rédaction de contes ou d’articles) ou de jeux permettant de faire émerger une réflexion collective. Pour M. Naton, « on parle beaucoup de management dans les métiers du social alors qu’on a d’autres outils comme le jeu, la créativité, l’imaginaire qui marchent aussi bien voire mieux et qui correspondent plus aux valeurs 232 qu’on porte. » M. Bély précise qu’il « faut travailler sur les synergies, pour qu’ensuite 233 les gens accompagnent la créativité des autres ». La créativité se retrouve également dans les projets d’établissement de certains EAJE, notamment Gribouille. Cette structure accueille en effet régulièrement des artistes (chanteurs, danseurs) dans le cadre de projets artistiques construits sur une année. Par ailleurs, l’idée de mettre en place un curriculum de la petite enfance commence à émerger. Celui-ci serait une sorte de livre de « recettes » évolutif et participatif, dans lequel les équipes pourrait partager des techniques, des gestes, des pratiques pédagogiques ou encore des jeux. Sylvie Rayna le définit comme « un socle commun » et comme « l’ensemble des objectifs, valeurs, normes qui sous-tendent et 234 encadrent les pratiques d’accueil et d’éducation ». Le curriculum permettrait de renouveler le rapport des professionnels à l’enfant, aux parents, mais aussi le rapport au sein des équipes et avec les gestionnaires. Les familles seraient amenées à participer elles aussi, toujours une optique de co-construction. Ce travail autour du sens donné aux pratiques correspond à la définition de la qualité telle que la décrit Peter Moss dans son ouvrage Au-delà de la qualité. Cette vision de la qualité se distingue de celle issue du management traditionnel, fondée sur les normes et l’évaluation. Selon Peter Moss, « le pouvoir que la décentralisation donne d’une 232 233 234 Entretien n°3. Entretien n°8. RAYNA, Sylvie et al. Pour un accueil de qualité de la petite enfance : quel curriculum ? Paris : Editions Erès, 2009. Collection Petite enfance et parentalité. P. 15. 70 BONNARD Camille - 2012 III. Une politique différenciée préservant une identité singulière 235 main, l’évaluation peut la reprendre de l’autre. » Ce constat aboutit au questionnement suivant : « à mesure que la possibilité de standardiser décline face à la diversité et la complexité, pourquoi ne pas rechercher une façon de comprendre comment l’institution fonctionne réellement plutôt que d’évaluer sa conformité à une norme de plus en plus 236 problématique ? » Il s’agit donc de remplacer le discours de l’évaluation par celui du « faire sens », qui correspond à une approche postmoderne : ce nouveau langage se base la co-construction et l’évaluation participative, en se servant de la diversité du local au lieu d’appliquer l’universalité, car « amoindrir la diversité revient à réduire le possible 237 et la créativité ». Il se situe dans l’incertitude et ne propose donc pas une logique de solution. Ainsi, une vision alternative des structures d’accueil des jeunes enfants est mise en avant. Ces dernières sont vues comme des « forums de la société civile » promouvant une démocratie participative locale. Cette idée de participation est d’ailleurs reprise par M. Bély, pour qui « les relations parents/professionnels/enfants sont une métaphore de la démocratie 238 participative ». De même, pour Sylvie Rayna la qualité de l’accueil des jeunes enfants ne se réduit pas à la définition de normes quantifiables (espaces, encadrement, notamment) mais est une notion pluridimensionnelle : « sa définition relève d’un processus participatif de construction 239 d'un socle commun de valeurs et de principes pédagogiques. » Le projet Enfant Phare a donc pour objectif de redonner un sens aux pratiques des professionnels et ainsi d’améliorer la qualité du service offert à la population. Unanimement convaincus que ce projet apporte beaucoup aux équipes, les professionnels semblent enjoués et motivés quand ils en parlent, comme en témoigne Mme Champmartin : « on a l’impression de travailler avec du sens, de savoir pourquoi on le fait, et quel sens ça a pour 240 nous en tant que professionnelles et c’est ça qui est important. » 3. Les limites de la démarche Le projet Enfant Phare génère des effets bénéfiques indéniables pour la dynamisation et la motivation des équipes de terrain. Il présente cependant certaines limites, en partie du fait de son caractère récent et encore peu abouti. La première remarque porte sur le petit nombre de personnels du service de l’Enfance impliqué dans ce processus. En effet, si le projet est porté par le service Petite Enfance, son but est de s’ouvrir aux autres services. Le service Enfance est pourtant peu représenté dans le groupe de supervision, ce qui s’explique pour une part par le grand nombre de vacataires encadrés par seulement 18 permanents, tandis que le service Petite Enfance compte une centaine de professionnels permanents. Ce manque de stabilité empêche donc une implication sur le long terme. Mais M. Bély ajoute que « les professionnels de l’animation étaient beaucoup moins présents, car ils sont enfermés dans des logiques de 235 MOSS, Peter et al. Au-delà de la qualité dans l’accueil et l’éducation de la petite enfance. Les langages de l’évaluation. Toulouse : Erès, 2012. P. 157. 236 237 238 239 240 Ibid., p. 175. Ibid., p. 285. Entretien n°8. RAYNA, Sylvie et al. Op. cit., p. 16. Entretien n°5. BONNARD Camille - 2012 71 La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation pouvoir, alors que la petite enfance c’est plus circulaire, la question des valeurs se pose 241 nécessairement. » Sans savoir vraiment ce que sous-entend l’expression « logiques de pouvoir », on peut supposer que le projet Enfant Phare résonne de manière plus pertinente pour les professionnels de la petite enfance que pour ceux de l’animation. La mise en lien et la transversalité ne sont pas des objectifs faciles à atteindre, comme en témoigne l’organisation d’une journée sous la forme d’un forum entre les différents services de la ville. Cette journée s’est déroulée au mois de février 2012 et réunissait des personnes du service culturel, du service des sports, de la petite enfance, de l’animation ainsi que quelques associations comme le Centre Associatif Boris Vian, et une personne du Grand Projet de Ville. C’est au cours de cette journée que le nom du projet « Enfant Phare » a été trouvé. Pour M. Naton, cette journée a bien fonctionné pour les services de l’Enfance et de la Petite Enfance, mais moins pour les services culturels et sportifs, qu’il a 242 sentis « en décalage » et « déstabilisés ». La conclusion tirée de cette journée a donc été de prendre davantage de temps, en travaillant d’abord prioritairement avec les personnels de l’enfance et de la petite enfance. Une autre illustration de résistance à un fonctionnement décloisonné est l’absence d’implication des élus dans cette démarche. L’adjointe à la petite enfance est très peu présente pour des raisons personnelles et lorsque j’ai interrogé le maire sur sa connaissance du projet Enfant Phare, elle semblait peu au fait du processus en cours. Il résulte de cela que les professionnels de terrain sont les principaux porteurs du projet et que la volonté de changement semble davantage provenir d’eux que des élus. M. Bély explique son regret de ne pas pouvoir être en lien avec les politiques : Sur le terrain il y a une vraie intention de sortir des sentiers battus. Mais elle se heurte à des logiques qui ne rejoignent pas ces intentions, il y a des difficultés d’articulation. Par exemple je n’ai jamais rencontré le Directeur Général des Services ni aucun élu en trois ans. Ce qui est grave c’est qu’ils nous laissent faire, ils sont au courant de ce qu’on fait mais ils n’en voient pas la portée. C’est la seule ville où je n’arrive pas à monter à ce niveau, ça ne peut pas se jouer. J’interviens aussi à Montpellier, là bas j’ai organisé un séminaire de management avec les professionnels de terrain, les coordonnateurs, et aussi les managers de la direction générale des services. A Vénissieux rien n’émerge. Le travail de 243 terrain ne suffit pas s’il ne peut pas remonter. M. Naton confirme cette impression : « il y a une volonté très forte des professionnels de terrain de se mettre en lien, de travailler avec les autres, d’échanger leurs pratiques. La 244 déclinaison technique du projet sur le terrain est portée par les professionnels. » La conséquence de cette forte implication des professionnels peut être une certaine usure professionnelle. En effet, la mise en place d’un projet tel que le projet Enfant Phare nécessite beaucoup de temps et est un travail de longue haleine. Les participants n’ont pas tous la même culture professionnelle, ne travaillent pas tous dans le même contexte, et sont souvent absorbés par la réalité du quotidien. Comme l’explique Mme Champmartin, « tous ces projets ça demande des temps de rencontre, de réunion, de formation, donc 241 242 243 244 72 Entretien n°8. Entretien n°3. Ibid. Entretien n°3. BONNARD Camille - 2012 III. Une politique différenciée préservant une identité singulière on multiplie… Parfois au bout d’un moment c’est un peu difficile, ça reste un boulot. C’est une grande exigence. Ca demande à chacun de s’investir, de s’impliquer, ça demande du 245 temps. » Pour M. Naton, la difficulté est donc de « trouver les articulations entre les 246 choses », c'est-à-dire entre le travail quotidien et les projets de long terme. En outre, on peut observer un certain écart entre le discours des acteurs et leurs pratiques, car les mots employés (transversalité, regard global, systémie…) sont encore peu appliqués dans les pratiques. Les professionnels peinent parfois à expliquer ce qui se cache derrière certains « grands mots », ce qui peut donner l’impression que le discours a été intégré sans qu’il corresponde à une réalité concrète. Par exemple, lorsque j’ai interrogé Mme Champmartin sur le sens qu’elle donnait au concept de « curriculum », sa réponse a été très évasive : « c’est un ensemble de perspectives, je sais pas, c’est un modèle un peu… 247 C’est difficile hein… Je vois mais mettre des mots exacts… » Le manque de concrétisation peut par conséquent se révéler un peu décourageant. Plusieurs professionnels précisent par ailleurs que s’ils trouvent le temps de participer à ces projets, c’est en partie grâce à la politique menée à Vénissieux, qui conserve un taux d’encadrement relativement élevé et donc une certaine souplesse en comparaison d’autres villes. De plus l’intervention d’un consultant extérieur nécessite un budget spécifique, ce qui montre que la ville est prête à investir dans le secteur de la petite enfance. Ainsi, même si les élus ne sont pas personnellement impliqués dans le projet Enfant Phare, la politique de qualité mise en place à Vénissieux pour l’accueil de la petite enfance permet à ce projet de se développer. Enfin, un des objectifs non encore atteints du projet Enfant Phare est celui de la participation des familles. Il faut souligner que le projet étant situé au niveau du management, il est difficile d’y inclure les familles. Cependant, l’optique générale étant celle de la co-construction, il me parait important de remarquer que cette volonté de rendre la population actrice demeure difficile à mettre en œuvre. Malgré les discours des acteurs et le contenu du projet social visant à rendre les parents « premiers éducateurs » de leurs enfants, l’impression générale est que l’on « agit sur » une population plutôt que de « faire avec » elle. Mme Neri explique par exemple que « les parents ont besoin de cadres, comme les enfants, si on donne pas des limites à un enfant il s’y perd et il arrive pas à se construire. [….] Un cadrage ça canalise et ça structure les familles, et les familles elles ont aussi 248 besoin de ça. » Ces propos peuvent être mis en perspective avec la réflexion de MarcHenry Soulet, pour qui l’Etat providence est passé d’un principe de solidarité à un principe 249 de responsabilité des individus, dans un logique d’individualisation et d’autonomisation . Il semble qu’à Vénissieux, au contraire, le fait que la population soit dans des situations souvent difficiles préserve une forme d’assistance. Au final, si le projet global Enfant Phare rencontre certaines difficultés et des résistances dues à un cloisonnement bien ancré des services municipaux, il a le mérite de redonner un souffle et une dynamique au travail quotidien des professionnels. Ces derniers n’ont ainsi plus l’impression de « faire pour faire » mais d’agir en réfléchissant au sens de leurs pratiques. « C’est dans le discours, dans l’attitude, mais pour que ça marche, faut pas que 245 246 247 248 249 Entretien n°5. Entretien n°3. Ibid. Entretien n°2. SOULET, Marc-Henry. Une solidarité de responsabilisation ? In ION, Jacques. Op.cit. BONNARD Camille - 2012 73 La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation 250 le dire, faut pas que l’écrire, faut le vivre. » indique Mme Champmartin. On peut avancer l’hypothèse que pour l’heure, la démarche et la dynamique initiées par le projet comptent davantage que les résultats à court terme. Si l’on se replace dans la perspective de la différenciation, on peut dire que Vénissieux se démarque des tendances nationales à plusieurs égards. La différenciation est tout d’abord induite par l’adaptation aux caractéristiques socio-économiques du territoire ainsi qu’à sa diversité culturelle, qui obligent les professionnels à modifier leurs pratiques. La population vénissiane présente une forte attente vis-à-vis de la municipalité et des besoins singuliers auxquels répond par conséquent une offre singulière, moins diversifiée qu’ailleurs. De plus, tant les professionnels que les élus sont en opposition avec la politique de la petite enfance menée au niveau national et n’hésitent pas à en dénoncer les paradoxes. Cela aboutit à la conservation de pratiques et de règles spécifiques à la ville de Vénissieux. Enfin, le projet Enfant Phare démontre une capacité de différenciation par rapport aux évolutions nationales, différenciation issue non pas d’une volonté politique mais d’un engagement des acteurs de terrain, animés par la volonté de redonner du sens à leur travail, notamment en plaçant l’enfant au centre de leurs actions. 250 74 Entretien n°5. BONNARD Camille - 2012 Conclusion Conclusion Lors de mon stage au sein du service Petite Enfance de Vénissieux, j’avais eu l’impression que la politique de la petite enfance menée à Vénissieux était hors du commun et avantgardiste. Cette étude a permis de montrer que si Vénissieux a été avant-gardiste pendant un temps - premier service de l’enfance, taux de couverture du territoire en places de crèches élevé -, cet avant-gardisme n’est plus d’actualité, ou plus de la même façon. Les professionnels eux-mêmes le reconnaissent : si la volonté politique semble toujours présente, elle s’est développée parallèlement au niveau national et dans d’autres villes, ce qui place Vénissieux dans une moyenne en matière de développement de l’offre d’accueil. Pour répondre à notre question initiale, il semble que la politique de la petite enfance de Vénissieux se situe à mi-chemin entre standardisation et différenciation, et qu’il n’est pas aisé de tracer une ligne de démarcation nette entre ces processus. Les deux sont étroitement liés et peuvent être complémentaires. Le projet global Enfant Phare constitue un bon exemple de cette imbrication entre différenciation et standardisation. En effet, si le contenu de ce projet constitue une certaine différenciation, sa forme (celle d’un projet avec l’intervention d’un consultant d’un cabinet privé) demeure toutefois conforme aux tendances actuelles des politiques publiques. De la même façon, pour Peter Moss, différenciation et standardisation peuvent coexister : Nous admettons que le discours de la qualité pourrait être particulièrement utile pour certaines questions hautement techniques, peut-être par exemple, l’hygiène alimentaire ou les normes de construction destinées à assurer la sécurité physique… Adopter le discours du faire sens n’implique pas le rejet de la 251 quantification. Il convient d’ajouter que la perception de ce qui relève ou non de la différenciation varie d’un acteur à un autre. Pour M. Naton par exemple, le projet global appartient à « une tendance, 252 peut-être pas générale ou massive, mais qui se fait dans d’autres villes ». L’instrument du curriculum est notamment utilisé en Allemagne et au Canada. En revanche, M. Bély déclare que « c’est une démarche qui se fait très peu, les modèles dominants étant très 253 cartésiens » et qu’il ne connait pas de consultant engagé dans le même type de démarche que lui. De même, lors de notre entretien, Mme Ruiz vante le côté avant-gardiste et original de la politique de la petite enfance de Vénissieux et notamment du projet global, et reconnait quelques minutes plus tard que « c’est une réflexion qui se fait au niveau mondial et qu’on 254 n’est pas en décalé par rapport à tout ce qui se fait ». Elle explique également avoir réalisé lors d’une conférence de Peter Moss que le projet Enfant Phare s’inscrivait dans « le discours du faire sens » prôné par l’auteur, ce dont les acteurs de Vénissieux n’ont probablement pas conscience. Certains acteurs perçoivent la démarche comme unique alors qu’un processus similaire peut être entrepris ailleurs. Mme Champmartin indique par 251 252 253 254 MOSS, Peter et al. Op.cit., p. 195. Entretien n°3. Entretien n°8. Entretien n°1. BONNARD Camille - 2012 75 La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation exemple que si la créativité peut sembler un axe original des projets pédagogiques de la ville, des aspects créatifs et artistiques sont en fait de plus en plus fréquemment inclus dans 255 les projets d’EAJE d’autres villes . Pour synthétiser, on peut donc parler de tendances globales qui prennent des formes différentes selon les villes, illustrant le métissage et la tension constante entre imitation et innovation. Par ailleurs, d’un point de vue plus politique, le fait que la mairie soit communiste ne semble pas jouer un rôle significatif. Cela ressort assez peu dans le discours des acteurs et semble peu impacter la construction de la politique de la petite enfance, même si certaines valeurs telles que l’égalité, la laïcité, l’éducation populaire demeurent caractéristiques du communisme. Le caractère communiste ressort peut-être davantage dans l’organisation administrative, avec un fonctionnement très vertical décrit par M. Bély. Cette identité communiste génère cependant quelques paradoxes dus au respect strict de certains principes, relevés par les acteurs. La limitation de l’accueil en crèche à deux ans et demi, qui vise à défendre la scolarisation dès deux ans, conduit par exemple à ce que certains enfants n’aient de place ni à l’école ni en crèche, car l’Education Nationale ne prend pas en compte les enfants de moins de trois ans dans les effectifs de classes. L’interdiction de recruter des intérimaires peut en outre nuire au bon fonctionnement d’une structure en manque de personnel. C’est donc une certaine rigidité que les professionnels vénissians de la petite enfance dénoncent parfois. Ils reconnaissent néanmoins quasi unanimement la présence à Vénissieux d’une volonté politique en matière de développement de l’offre d’accueil de la petite enfance. Les moyens attribués à cette politique ainsi que la conservation de règles spécifiques telles qu’un taux d’encadrement d’un professionnel pour six enfants garantissent le maintien de la qualité et d’un environnement de travail agréable. Il me semble toutefois important de nuancer ces propos car mes recherches ont aussi montré le fort cloisonnement qui existait entre le terrain et les élus. Ces derniers ne sont pas impliqués dans la démarche du projet Enfant Phare, et beaucoup d’impulsions semblent résulter de la volonté des responsables de service et des professionnels de terrain. En ce sens, Mme Margerit et M. Damblin forment un binôme stratégique à la tête des quatre services de la DEES et ont un rôle d’interface entre les élus et les acteurs de terrain. La politique de la petite enfance de Vénissieux parviendrait donc à préserver une identité singulière, malgré les contraintes obligeant à se plier aux exigences nationales et les interdépendances dues à la multiplicité des acteurs. On peut aussi avancer l’idée que cette différenciation est pour une part induite par l’adaptation aux réalités du territoire et de la population : elle ne serait alors qu’un fait social banal lié à l’appropriation du territoire par les acteurs. Comme l’expliquent Gilles Pinson et Hélène Reigner, La différenciation n’est peut-être pas à attendre des acteurs et organisations impliqués dans la compétition électorale locale ; elle procède peut-être davantage du type de territoire considéré, des positions des territoires dans les hiérarchies spatiales, de leur spécialisation productive et équations socio-économiques qui y 256 prévalent. 255 256 76 Entretien n°5. PINSON, Gilles & REIGNER, Hélène. In DOUILLET, Anne-Cécile. Op. cit., p. 167. BONNARD Camille - 2012 Conclusion Dans le cas de Vénissieux, la proportion importante de familles en situation difficile implique 257 des traitements au cas par cas et donc une nécessaire « déstandardisation » . Cela montre la tension entre les revendications individuelles et légitimes de ces familles d’une part et l’intérêt général d’autre part, qui oblige à adopter des règles collectives. Il me parait finalement important de valoriser la forte volonté des professionnels de terrain de Vénissieux de sans cesse améliorer le service rendu à la population et l’accueil fourni aux enfants et à leurs familles. Pour conclure, élargissons le débat à la politique de la petite enfance à un niveau national pour cerner les évolutions potentielles auxquelles seront confrontés les acteurs de la petite enfance à Vénissieux. La note de veille n°157 du Conseil d’Analyse Stratégique propose des perspectives pour 2017 et élabore plusieurs recommandations dans une optique d’amélioration de l’offre d’accueil du jeune enfant. Un premier axe est la clarification de la gouvernance de cette politique, car « l’éclatement de la compétence petite enfance constitue aujourd’hui un frein à la mise en œuvre d’une politique à la fois plus ambitieuse, plus rationnelle et plus 258 équitable. » Un second axe réside dans la mise en cohérence des dispositifs variés d’aide aux parents ayant de jeunes enfants : le CAS préconise ainsi un maillage de guichets uniques sur le territoire, avec un référent « mode de garde », un peu à l’image du référent « pôle Emploi ». Ces guichets pourraient même évoluer en agences rassemblant l’ensemble des acteurs et des dispositifs. Des schémas locaux de l’offre d’accueil pourraient alors être mis en place, qui mentionneraient les créations de places et les moyens mis en œuvre. Le CAS pointe aussi la nécessité de prévoir des solutions de garde pour les demandes spécifiques (horaires atypiques, handicap, urgence) ainsi qu’un accès privilégié aux modes de garde pour certains publics ou territoires (les territoires soumis à la politique de la ville par exemple, ce qui serait le cas de Vénissieux). Les parents pourraient disposer d’un numéro unique d’enregistrement sur le site www.mon-enfant.fr afin d’évaluer le service rendu. Enfin, le CAS évoque la création d’un Objectif national des dépenses pour l’enfance (Onde), par analogie avec l’Ondam (Objectif national des dépenses de l’assurance maladie), pour mettre en cohérence les moyens et les objectifs de la politique de la petite enfance. Toutes ces perspectives s’inscriraient donc dans les tendances actuelles des politiques publiques de rationalisation des moyens et de création d’agences. Par ailleurs, certains auteurs comme Julien Damon émettent l’idée de la mise en place 259 d’un service public de la petite enfance à vocation générale (idée reprise par plusieurs candidats aux élections présidentielles de 2012). Celui-ci permettrait aux parents de faciliter la conciliation entre leur vie professionnelle et leur vie familiale. Ce service public de la petite enfance pourrait être accompagné d’un droit opposable au mode de garde, à l’image du droit au logement opposable. Les conditions de mise en œuvre de ces idées restent néanmoins floues et nécessiteraient une amélioration importante de la coordination des différents acteurs. A ce jour, aucune démarche n’a été entreprise dans ce sens, bien que la création d’un service public de la petite enfance fasse partie du programme de François Hollande. 257 ASTIER, Isabelle. Qu’est-ce qu’un travail public ? Le cas des métiers de la ville et de l’insertion. In ION, Jacques. Op. cit. 258 Centre d’Analyse Stratégique. Accueil de la petite enfance : comment continuer à assurer son développement dans le contexte actuel des finances sociales ? Note de veille n°157, novembre 2009. P. 8. 259 DAMON, Julien. Comment donner corps à un « service public de la petite enfance » ? CAS, Note de veille n°34, 13 novembre 2006. 8 p. BONNARD Camille - 2012 77 La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation Enfin, un élément essentiel à prendre compte est l’européanisation d’un nombre croissant de secteurs des politiques publiques. Bien que les politiques sociales demeurent encore largement l’apanage des Etats membres, l’exemple de la directive « Services » ou Bolkestein montre que les impératifs européens s’étendent à des domaines de plus en plus variés. Ainsi, dans le cadre de la stratégie « Europe 2020 pour la croissance et l’emploi », 260 l’objectif d’un taux d’emploi des femmes de 75% a été fixé . Celui-ci impliquera donc de développer l’offre d’accueil des jeunes enfants. Les prochaines années verront donc probablement des changements importants en matière d’offre d’accueil des jeunes enfants, auxquels la ville de Vénissieux et ses professionnels de la petite enfance devront faire face et s’adapter une nouvelle fois. 260 MINISTERE DU TRAVAIL ET DE L’EMPLOI. « Stratégie Europe 2020 : pour la croissance et l’emploi » [en ligne]. 10 octobre 2011. [page consultée le 20 juillet 2012] <travail-emploi.gouv.fr/europe-international,884/l-action-europeenne-et,1707/europe,2073/ strategie-europe-2020-pour-la,14036.htm> 78 BONNARD Camille - 2012 Bibliographie Bibliographie Ouvrages BARREYRE, Jean-Yves & BOUQUET, Brigitte. Dictionnaire Critique de l’Action Sociale, article « Partenariat ». Paris : Bayard, 2006. Collection Travail Social. 637 p. BEN SOUSSAN Patrick. Le livre noir de l’accueil de la petite enfance. Toulouse : Editions Erès, 2010. Collection 1001 BB. 341 p. CHAUVIERE, Michel. Trop de gestion tue le social. Essai sur une discrète chalandisation. Paris : La Découverte, 2007. Collections Alternatives Sociales. 232 p. DAMON, Julien. Questions sociales et questions urbaines. Paris : PUF, 2010. 369 p. DOUILLET, Anne-Cécile et al. L’action publique locale dans tous ses états. Différenciation et standardisation. Paris : L’Harmattan, 2012. Collection Logiques Politiques. 353 p. ESPING-ANDERSEN Gosta & PALIER Bruno. Trois leçons sur l’Etat-providence. Paris : Seuil, 2008. Collection La République des idées. 134 p. FAVARO, Graziella et al. Une crèche pour apprendre à vivre ensemble. Paris : Editions Erès, 2008. Collection Petite Enfance et Diversité. 262 p. GUILLOU, Anne & PENNEC, Simone. Les parcours de vie des femmes. Travail, famille et représentations publiques. Paris : L’Harmattan, 1999. Collection Le travail du social. 235 p. LE GALES, Patrick. « Gouvernance ». In BOUSSAGUET, L. et al. Dictionnaire des politiques publiques . Paris : Les Presses de Sciences Po, 2006. Pp. 244-251. ION, Jacques. Le travail social en débats. Paris : La Découverte, 2005. Collection Alternatives Sociales. 267 p. LOCHEN, Valérie. Comprendre les politiques d’action sociale. Paris : Dunod, 2010. Collection Action sociale. 464 p. MORIN, Edgar. Introduction à la pensée complexe. Paris : Seuil, 1990. 158 p. MOSS, Peter et al. Au-delà de la qualité dans l’accueil et l’éducation de la petite enfance. Les langages de l’évaluation. Toulouse : Erès, 2012. 302 p. MULLER, Pierre. Les politiques publiques. Paris : PUF, 2006. Collection Que sais-je ? 126 p. OBERDOFF, Henri. Les institutions administratives. Paris : Armand Colin, 2002. 308 p. PAINTER, M. & PIERRE, J. Challenges to state policy capacities, global trends and comparative perspectives. Palgrave Macmillan, 2005. 288 p. RAMEAU, Laurence. Le lendemain des crèches, Réinventer l’accueil de la petite enfance. Paris : Erès, 2009. 222 p. RAYNA, Sylvie et al. Pour un accueil de qualité de la petite enfance : quel curriculum ? Paris : Editions Erès, 2009. Collection Petite enfance et parentalité. 416 p. BONNARD Camille - 2012 79 La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation Articles BAUDELOT, Olga & RAYNA, Sylvie. « La coordination de la petite enfance : une nouvelle fonction relationnelle. » Recherches et prévisions, n°61, 2000, pp. 61-73. EME, Bernard & FRAISSE, Laurent. « La gouvernance locale de la diversification des modes d’accueil : un nouvel enjeu de "cohésion sociale" ». Recherche et prévisions, n°80, juin 2005, pp. 7-23. DAMON, Julien. « La dictature du partenariat. Vers de nouveaux modes de management public ? » Futuribles, numéro 273, mars 2002, 11 p. DANIEL, Audrey. « Accueil de la petite enfance : une approche territoriale pour évaluer la couverture des besoins », Revue française des affaires sociales, 2011/4 n° 4, p. 30-55. DAVID, Olivier. « Les politiques locales en faveur de la petite enfance : de la mobilisation des acteurs à la construction de partenariats. » Espaces et sociétés, n °24, mars 2006, pp. 7-13. ELBAUM, Mireille. « Les indicateurs de performance en matière de politiques sociales : Quel sens pour l'action publique ? » Revue de l'OFCE, 2009/4 n° 111, p. 39-80. EPSTEIN, Renaud. « Gouverner à distance. Quand l’Etat se retire des territoires ». Esprit, novembre 2005, n°11, pp.96-111. HALTER, Jean-Pierre. « Politiques territoriales de jeunesse et transversalité. » Agora, n er °43, 1 trimestre 2007, pp. 44-54. LEBON, Francis. « Une politique de l'enfance, du patronage au centre de loisirs ». Education et sociétés, 2003/1 n°11, pp. 135-152. LECA, Jean. « L’évaluation dans la modernisation de l’Etat ». Politiques et management public. Vol. 11, n°2, juin 1993, p. 165. LHUILLIER, Vincent & PETRELLA, Francesca. La régulation locale dans le secteur de la petite enfance. Charleroi : Colloque « A la recherche de solidarités », 2005. Centre de recherche interdisciplinaire pour la solidarité et l’innovation sociale. 6 p. MULLER, Pierre. « Les politiques publiques entre secteurs et territoires. » Politiques et management public, vol. 8 n° 3, 1990, pp. 19-33. POTTIEE-SPERY, Philippe. Levée de bouclier des professionnels de la petite enfance [en ligne]. La Gazette Santé Social, 19 février 2010. [page consultée le 18 mai 2012] < www.gazette-sante-social.fr/actualite/a-la-une-Levee-de-bouclier-desprofessionnels-de-la-petite-enfance-16178.html > PUEYO Bernard, MORETON Françoise. Articuler projet social et projet éducatif dans le domaine de la petite enfance. Institut National de Recherche Pédagogique. ème Contribution n°240 de la 8 Biennale de l’Education et de la Formation. 3 p. er RICHEZ, Jean-Claude. « Politiques de jeunesse : la nouvelle donne. » Agora, n°43, 1 trimestre 2007, pp.4-10. 80 BONNARD Camille - 2012 Bibliographie Rapports BRABANT-DELANNOY, Laetitia & LEMOINE, Sylvain. Accueil de la petite enfance : Comment continuer à assurer son développement dans le contexte actuel des finances sociales ? Note de veille du CAS n°157, novembre 2009. CAF [en ligne]. La prestation de service unique pour les structures d’accueil des jeunes enfants. 2012. [page consultée le 21 mai 2012] < http://www.caf.fr/sites/default/files/caf/741/psu_fiche_technique_2012.pdf > CAF [en ligne]. Le point sur le Contrat Enfance et Jeunesse. 2006. [page consultée le 21 mai 2012] < http://www.caf.fr/sites/default/files/caf/131/Documents/ plaquette_enfance_et_jeunesse.pdf > er CAF [en ligne]. Prestations de service. Prix plafonds et montants à compter du 1 janvier 2012. 2012.[page consultée le 12 juillet 2012] < www.caf.fr/sites/default/files/caf/791/Documents/Partenaires/ bareme_prestations_de_service_2012.pdf > Centre d’Analyse Stratégique. Rapport sur le service public de la petite enfance. Paris, 2007. 82 p. Centre d’Analyse Stratégique. Accueil de la petite enfance : Comment continuer à assurer son développement dans le contexte actuel des finances sociales ? Note de veille n°157, novembre 2009. 10 p. Centre d’Analyse Stratégique. Quel avenir pour l’accueil des jeunes enfants ? Note d’analyse n°257, janvier 2012. 12 p. DAMON, Julien. Comment donner corps à un « service public de la petite enfance » ? CAS, Note de veille n°34, 13 novembre 2006. 8 p. DEPARTEMENT DU RHONE. Schéma départemental de l’accueil du jeune enfant et de sa famille, 2012-2015. 2012. 36 p. INSEE [en ligne]. Chiffres clé : Rhône. Evolution et structure de la population (mise à jour le 28 juin 2012). [page consultée le 30 juin 2012] < http://www.insee.fr/fr/basesde-donnees/default.asp?page=statistiques-locales.htm > INSEE [en ligne]. Chiffres clé : Vénissieux. Evolution et Structure de la population (mise à jour le 30 juin 2011). [page consultée le 18 avril 2012] < http://www.insee.fr/fr/ bases-de-donnees/default.asp?page=statistiques-locales.htm > MINISTERE DES AFFAIRES ETRANGERES. La France à la loupe : la politique en faveur de la petite enfance en France. Info Synthèse, mai 2007. 5 p. TABAROT, Michèle. Rapport sur le Développement de l’offre d’accueil de la petite enfance. La documentation française, 2008. 129 p. UNICEF, Centre de recherche Innocenti. La transition en cours dans la garde et l’éducation de l’enfant. Bilan Innocenti 8, 2008. 40 p. Documents internes du service Petite Enfance de la mairie de Vénissieux BONNARD Camille - 2012 81 La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation DAMBLIN, Matthieu. Bilan du Contrat Enfance Jeunesse 2006-2010. Ville de Vénissieux : 2010. 72 p. Direction Enfance Education Santé, ville de Vénissieux. Projet social et éducatif 0-6 ans. Les axes de travail du projet social. 16 p. Magazine Vénissieux Singulier Pluriel. « Budget 2012, Finances locales. » Mai 2012, n °7. Textes juridiques CAISSE NATIONALE DES ALLOCATIONS FAMILIALES. Lettre circulaire n°2002-025 du 31 janvier 2002. CNAF. Lettre circulaire n°2011-105 du 29 juin 2011 relative à la PSU. er FRANCE, CONSEIL D’ETAT. Décret n°2000-762 du 1 août 2000 relatif aux établissements et services d’accueil des enfants de moins de six ans et modifiant le code de la santé publique. Journal Officiel n°181, 6 août 2000. FRANCE, MINISTERE CHARGE DES AFFAIRES SOCIALES. Circulaire n° 4 du 2 novembre 1981 relative au développement, à la coordination et à l'organisation des modes d'accueil et de garde des jeunes enfants. Bulletin officiel n° 81/49, texte n° 21963, 9 p. FRANCE, PREMIER MINISTRE. Décret n°2007-230 du 20 février 2007 relatif aux établissements et services d’accueil des enfants de moins de six ans et modifiant le code de la santé publique. Journal Officiel n°45, 22 février 2007. FRANCE, PREMIER MINISTRE. Décret n°2010-613 du 7 juin 2010 relatif aux établissements et services d’accueil des enfants de moins de six ans. Journal officiel n°0130, 8 juin 2010. PARLEMENT EUROPEEN ET CONSEIL. Directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur. Journal Officiel de l’Union Européenne n° L376, 27 décembre 2006. Ressources en ligne CANASSE, Serge. « Politiques de la petite enfance, combien ça coûte ? » [en ligne]. Carnets de santé [page consultée le 18 juillet 2012] < http://www.carnetsdesante.fr/ Politiques-de-la-petite-enfance,463 > « Comparez les programmes des candidats » [en ligne]. Le Monde, édition du 20 mars 2012. [page consultée le 2 avril 2012] < http://www.lemonde.fr/electionpresidentielle-2012/visuel/2012/03/20/comparez-les-programmes-des-candidats-a-lapresidentielle-2012_1672519_1471069.html > Intervention de Michèle Picard à l’occasion de l’inauguration de la crèche Gribouille [en ligne]. 16 novembre 2010. [page consultée le 15 juin 2012] < http://www.michelepicard.com/ > 82 BONNARD Camille - 2012 Bibliographie Intervention de Michèle Picard à l’occasion de la signature du Contrat Enfance Jeunesse [en ligne]. 2 mai 2011. [page consultée le 15 juin 2012] < http:// www.michele-picard.com/ > Intervention de Michèle Picard lors de la conférence de presse « Grand rendez-vous de la ville 2011. Les Minguettes 1981-2011 » [en ligne]. 23 juin 2011. [page consultée le 15 juin 2012] < http://www.michele-picard.com/ > MINISTERE DU TRAVAIL ET DE L’EMPLOI. « Stratégie Europe 2020 : pour la croissance et l’emploi » [en ligne]. 10 octobre 2011. [page consultée le 20 juillet 2012] < http://www.travail-emploi.gouv.fr/europe-international,884/l-action-europeenneet,1707/europe,2073/strategie-europe-2020-pour-la,14036.htm > BONNARD Camille - 2012 83 La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation Annexes Annexe 1 : Liste des abréviations utilisées ∙ AEA : Aide Educative Administrative ∙ AEMO : Aide Educative en Milieu Ouvert ∙ AFSSA : Agence Française de la Sécurité Sanitaire des Aliments ∙ ANSES : Agence Nationale de la Sécurité Sanitaire ∙ ARS : Agence Régionale de Santé ∙ CAF : Caisse d’Allocations Familiales ∙ CAS : Centre d’Analyse Stratégique ∙ CDAJE : Commission Départementale de l’Accueil des Jeunes Enfants ∙ CEJ : Contrat Enfance Jeunesse ∙ CMP : Centre Médico-Psychologique ∙ CNAF : Caisse Nationale d’Allocations Familiales ∙ CNFPT : Centre National de la Fonction Publique Territoriale ∙ DEES : Direction Enfance Education Santé ∙ EAJE : Etablissement d’Accueil du Jeune Enfant ∙ HACCP : Hazard Analysis Critical Control Point ∙ LAEP : Lieu d’Accueil Parent Enfant ∙ LOLF : Loi Organique relative aux Lois de Finance ∙ PAI : Projet d’Accueil Individualisé ∙ PAJE : Prestation d’Accueil du Jeune Enfant ∙ PIF : Point accueil Information et orientation des Familles ∙ PLFSS : Projet de Loi de Finances de la Sécurité Sociale ∙ PMI : Protection Maternelle et Infantile ∙ PQE : Programme de Qualité et d’Efficience ∙ PSEJ : Prestation de Service Enfance Jeunesse ∙ PSU : Prestation de Service Unique ∙ SDAJE : Schéma Départemental de l’Accueil du Jeune Enfant et de sa Famille Annexe 2 : Liste des entretiens réalisés ∙ 84 Entretien n°1 : Marie-Lydie Ruiz, directrice de la crèche Tourni Cotton du centre social Eugénie Cotton, dans le quartier des Minguettes BONNARD Camille - 2012 Annexes ∙ Entretien n°2 : Carole Neri, responsable du Point Accueil, Orientation et Information des Familles au sein du service Petite Enfance ∙ Entretien n°3 : Milan Naton, coordinateur du projet global Enfant Phare, en apprentissage au sein de la Direction Education Enfance Santé ∙ Entretien n°4 : Nicole Henner, directrice de la crèche municipale Carrousel, dans le quartier des Minguettes ∙ Entretien n°5 : Isabelle Champmartin, directrice de la crèche municipale Gribouille, dans le quartier Moulin à Vent ∙ Entretien n°6 : Victorine Margerit, responsable des services Petite-Enfance et Santé Scolaire ∙ Entretien n°7 : Matthieu Damblin, responsable des services Education et Enfance, ancien coordinateur enfance-jeunesse ∙ Entretien n°8 : Pascal Bély, consultant du cabinet Trigone, spécialisé en conseil à la fonction publique ∙ Entretien n°9 : Michèle Picard, maire de Vénissieux A consulter sur place au centre de documentation de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon BONNARD Camille - 2012 85