La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation

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La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation
Université de Lyon
Université lumière Lyon 2
Institut d'Études Politiques de Lyon
La politique de la petite enfance à
Vénissieux : entre standardisation et
différenciation
Bonnard Camille
Mémoire de Master 1
Politiques, Sociétés et Gouvernances Urbaines
Sous la direction de Pinson Gilles
(Soutenu le 03-09-2012)
Table des matières
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Remerciements . .
Introduction . .
I.Une politique mise en œuvre par des acteurs multiples sur un territoire aux enjeux
spécifiques . .
A.Les acteurs de la petite enfance à Vénissieux . .
1. Le service Petite Enfance de la mairie de Vénissieux . .
2. Les partenaires non municipaux . .
B.Une population et un territoire particuliers . .
1. Une population jeune et précaire . .
2. L’hétérogénéité du territoire vénissian . .
C.Les objectifs de la politique de la petite enfance . .
1. Le projet social du service Petite Enfance de Vénissieux . .
2. Un investissement social dans la petite enfance . .
3. Un moyen de favoriser l’insertion professionnelle et sociale . .
II. Une politique s’inscrivant dans une certaine standardisation de l’action publique locale
..
A.Les évolutions récentes du cadre législatif : optimisation ou rationalisation ? . .
er
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1. Le décret du 1 août 2000 . .
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4. Le décret du 7 juin 2010
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..
B.La standardisation des pratiques et des procédures . .
1. Une définition particulière de la qualité . .
2. Les exigences liées à l’amélioration de la qualité . .
3. Les exigences de la CAF . .
C.Territorialisation et gouvernance : la petite enfance au cœur des enjeux actuels des
politiques publiques . .
1.La territorialisation de la politique de la petite enfance . .
2. Le poste de coordinateur enfance jeunesse : une illustration de la territorialisation
et de la transversalité . .
3. Les partenariats et les problèmes de gouvernance . .
III. Une politique différenciée préservant une identité singulière . .
A.Une différenciation induite par l’adaptation aux spécificités du terrain et de sa population
..
1.Une diversification des modes d’accueil qui reste limitée . .
2. Une diversité du public accueilli . .
3.Une population aux attentes singulières et élevées . .
B.La différenciation volontaire des politiques nationales . .
1. La critique des politiques nationales par les professionnels de terrain . .
2. La critique des politiques nationales par les élus . .
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..
5. La directive européenne « services » du 12 décembre 2006
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2. La circulaire du 31 janvier 2002 : la mise en place de la PSU
3. Le décret du 20 février 2007
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3. La conservation de pratiques et de règles spécifiques à la ville . .
C.Le projet global « Enfant Phare » : une autre approche de la qualité . .
1. Le constat d’un certain cloisonnement . .
2. L’adoption d’un « regard global » et d’un discours du « faire sens » . .
3. Les limites de la démarche . .
Conclusion . .
Bibliographie . .
Ouvrages . .
Articles . .
Rapports . .
Documents internes du service Petite Enfance de la mairie de Vénissieux . .
Textes juridiques . .
Ressources en ligne . .
Annexes . .
Annexe 1 : Liste des abréviations utilisées . .
Annexe 2 : Liste des entretiens réalisés . .
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Remerciements
Remerciements
Je remercie Gilles Pinson pour son accompagnement dans la réalisation de ce mémoire, ainsi que
Gwenola Le Naour pour avoir accepté de participer à ma soutenance.
Je remercie également toutes les personnes que j’ai rencontrées à Vénissieux et qui m’ont
aidée dans mes recherches, notamment toutes celles qui ont accepté de répondre à mes questions
lors d’entretiens : Mesdames Ruiz, Henner, Champmartin, Neri, et Messieurs Naton, Damblin et
Bély. Je suis reconnaissante à Mme Picard, maire de Vénissieux, de m’avoir accordé un moment
de son temps lors de notre échange.
Un merci particulier à Victorine Margerit, ma tutrice lors de mon stage au service Enfance
- Petite Enfance de la ville de Vénissieux, qui m’a donné envie d’écrire ce mémoire et qui s’est
toujours rendue très disponible pour m’aider.
Enfin, je remercie ma famille et mes amis pour leurs encouragements et leur soutien, ainsi que
pour les échanges que nous avons pu avoir qui ont enrichi ma réflexion.
BONNARD Camille - 2012
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La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation
Introduction
« Ouvrir 300 000 nouvelles places en crèche », « Atteindre 100 000 places de crèche
supplémentaires en cinq ans », « Création d'un service public de la petite enfance », « Droit à
1
la scolarité dès 2 ans » . A l’exception de François Bayrou et Marine Le Pen, les candidats à
l’élection présidentielle de 2012 ont tous développé dans leur programme un axe concernant
les modes de garde pour la petite enfance. Nathalie Arthaud, François Hollande, Eva Joly
et Philippe Poutou proposaient par exemple la mise en place d’un service public de la petite
enfance, tandis que Jean-Luc Mélenchon souhaitait ouvrir 500 000 places supplémentaires
d’accueil en crèche, et Nicolas Sarkozy 200 000 nouvelles places de garde d’enfants.
Bien que la petite enfance n’ait pas été un thème central de la campagne électorale,
ces propositions montrent combien cette problématique est désormais intégrée dans les
programmes politiques. L’accueil des jeunes enfants est en effet une condition sine qua
non du dynamisme démographique et de l’emploi des femmes, qui sont de plus en plus
nombreuses à faire garder leur enfant pour pouvoir travailler. Ainsi, l’Unicef relève dans
un rapport de 2008 sur la garde et l’éducation de l’enfant que « la génération montante
d’aujourd’hui, dans les pays de l’OCDE, est la première dont les enfants passent une grande
partie de leurs premières années non dans leur propre foyer avec leur propre famille mais
2
dans quelque structure de garde d’enfant » . La petite enfance est par conséquent devenue
un champ actif de la recherche, mais aussi de l’analyse et de l’évaluation des politiques
publiques.
Mon intérêt pour la politique de la petite enfance provient d’un stage que j’ai effectué
au sein du service Enfance-Petite Enfance de la ville de Vénissieux au mois de juin 2011.
Ce stage a été l’occasion pour moi de découvrir la construction de cette politique, sa
mise en œuvre par les différents partenaires et les enjeux qui la sous-tendent. J’ai ainsi
pu m’entretenir avec divers acteurs du secteur de la petite enfance à Vénissieux et ces
rencontres m’ont donné envie de me questionner davantage sur cette politique, au point
d’en faire l’objet de ce mémoire.
Mais de quoi parle-t-on au juste lorsque l’on parle de « politique de la petite enfance » ?
Une politique transversale
« Ce qui est bien avec la petite enfance, c’est que c’est le secteur où la logique
systémique est le plus en jeu, c’est hyper transversal. A partir de la petite enfance
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on peut penser la société dans sa globalité. »
Ces propos illustrent la manière dont la politique de la petite enfance peut toucher l’ensemble
des politiques sociales, telles que les politiques familiales, les politiques d’insertion ou
encore d’emploi. Cette transversalité est liée au fait que les politiques sociales pénètrent
1
« Comparez les programmes des candidats » [en ligne]. Le Monde, édition du 20 mars 2012. [page consultée le
2 avril 2012] < http://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2012/visuel/2012/03/20/comparez-les-programmes-des-candidats-a-lapresidentielle-2012_1672519_1471069.html>
2
UNICEF, Centre de recherche Innocenti. La transition en cours dans la garde et l’éducation de l’enfant. Bilan Innocenti 8,
2008. 40 p.
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Entretien n°8.
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Introduction
et dominent la plupart des politiques sectorielles locales. C’est d’ailleurs l’impression qui
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ressort du discours des acteurs que j’ai rencontrés . La politique de la petite enfance
devient en quelque sorte une facette d’une politique plus globale en direction de certaines
5
populations .
Les politiques familiales ont été le premier cadre d’action en faveur des enfants. La
place importante de ces politiques familiales dans les politiques sociales est une tradition
française, qui distingue la France d’autres pays d’Europe dans lesquels ces politiques sont
moins institutionnalisées. Julien Damon les définit comme « des programmes publics qui
identifient les familles comme cibles d’action et qui sont mis en œuvre pour avoir un impact
sur les ressources des ménages, sur la vie quotidienne des enfants et des parents, sur les
partages et les équilibres domestiques, voire sur les structures familiales elles-mêmes et
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sur la dynamique démographique d’un pays.» En effet, l’objectif des politiques familiales
a d’abord été principalement de soutenir la natalité française, puis de réduire les inégalités
entre les familles. Elles ont pour sources les dispositifs d’assistance et de bienfaisance
du XIXème siècle destinés aux mères et aux enfants ainsi que les caisses patronales
liées à l’emploi, qui se sont progressivement institutionnalisés au XXème siècle avec la
généralisation des allocations familiales en 1938, puis la Sécurité Sociale en 1945 et donc
la mise en place d’un système assuranciel. Au sein de la Sécurité Sociale, la branche famille
a longtemps été la plus importante.
Cependant, face à l’évolution de la société et de la famille, les politiques familiales
ont changé de nature, en ne promouvant plus un modèle familial, mais en s’adaptant
davantage aux réalités de chaque famille, et notamment au travail croissant des femmes.
Les mutations de la famille comprennent aussi la baisse du nombre d’enfants (bien que la
France ait le taux de fécondité le plus élevé d’Europe avec environ 2 enfants par femme
7
en 2010 ), l’apparition de familles monoparentales, recomposées, pluriparentales etc. Les
revendications féministes et de l’homoparentalité jouent aussi un rôle dans la recomposition
des politiques familiales et leur complexification.
Les politiques familiales prennent également un aspect plus social dans les années
1970 en ciblant des populations prioritaires dans le but de réduire les inégalités et de lutter
contre la pauvreté. Des conditions de ressources sont établies pour certaines prestations,
afin de cibler les populations les plus défavorisées. La lutte se fait à la fois contre les
inégalités verticales (de revenus) et horizontales (charges liées au nombre d’enfants).
Dans les vingt dernières années, selon Julien Damon, les politiques familiales ont
ainsi poursuivi trois types d’objectifs : donner la priorité à la petite enfance, accompagner
les évolutions et les transformations de la parentalité, et augmenter le ciblage de
certaines familles afin de réduire les dépenses publiques. La politique de la famille devient
progressivement une politique de l’enfance, et la garde des enfants devient une question
publique dans les années 1980.
La garde des enfants a beaucoup évolué dans le temps, puisqu’au début du
XXème siècle, avec l’apparition du phénomène de féminisation du marché du travail, les
4
5
Entretien n°1 : « C’est un travail qui est vraiment intéressant et passionnant parce qu’on fait vraiment du social. »
GUILLOU, Anne & PENNEC, Simone. Les parcours de vie des femmes. Travail, famille et représentations publiques. Paris :
L’Harmattan, 1999. Collection Le travail du social. P. 91.
6
7
DAMON, Julien. Questions sociales et questions urbaines. Paris : PUF, 2010. P. 119.
TABAROT, Michèle. Rapport sur le Développement de l’offre d’accueil de la petite enfance. La documentation française,
2008. P. 13.
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La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation
enfants étaient confiés à des patronages, le plus souvent catholiques, prédécesseurs des
associations paroissiales d’activités éducatives et sportives. La IVème République voit
quant à elle la naissance des premiers centres aérés et de mouvements de Jeunesse
et d’Education Populaire, avec un rôle croissant de l’Etat. Progressivement le métier
d’animateur apparait, c'est-à-dire que les personnes en charge des enfants sont des
professionnels ayant des diplômes spécifiques. Le centre de loisirs n’est plus vu comme un
8
lieu où les enfants sont uniquement gardés mais bien comme une « entité éducative » ,
qui devient une partie intégrante des politiques économiques et sociales des communes.
La distinction opérée par Laurence Rameau est à cet égard intéressante puisqu’elle trace
une évolution pour des enfants que l’on « recueille », puis que l’on « garde », et enfin que
9
l’on « accueille » .
Cette évolution se retrouve à Vénissieux puisque c’est d’abord un mouvement
d’éducation populaire, les Francas, qui prend en charge les enfants, en partenariat avec la
mairie dans les années 1960.
L’évolution en matière législative depuis les années 1980 est en outre significative.
Le congé parental d’éducation est instauré en 1984 et de nouvelles prestations sont
créées : l’allocation parentale d’éducation (1985), l’allocation pour jeunes enfants (1985) et
l’allocation de garde d’enfant à domicile (1986). Les allocations familiales sont également
augmentées de 25% en 1981. Ces allocations encouragent à l’origine les femmes à élever
les enfants à la maison, en leur reconnaissant un statut social et en compensant l’éventuelle
perte de salaire. Mais face au travail croissant des femmes, les prestations familiales
passent d’un système centré sur la femme au foyer vers un système plus neutre en direction
de la femme active professionnellement.
Cette activité croissante des femmes oblige la collectivité à poser la question de
l’accueil des jeunes enfants : ainsi sont créées progressivement des crèches municipales,
associatives, familiales ou encore parentales. Selon Valérie Löchen, « les points forts de la
politique française de la petite enfance sont probablement une offre nombreuse et de qualité,
10
le maintien du libre choix des familles et la diversité des modes d’accueil »
. De plus, un
fort accent est mis sur l’accompagnement à la parentalité, c'est-à-dire non plus seulement
sur l’éducation de l’enfant mais aussi la responsabilisation des parents dans cette mission.
Les années 1980 sont également celles de la décentralisation et de la territorialisation
de la politique de la petite enfance. La responsabilité des lieux d’accueil pour la petite
enfance est confiée aux villes, tandis que les conseils généraux doivent via la PMI
(Protection Maternelle et Infantile) se charger de leur agrément et de leur contrôle. La CAF
(Caisse d’Allocations Familiales) joue aussi un rôle très important de financement à travers
les contrats enfance avec les villes, mis en place en 1988, remplacés par les contrats
enfance jeunesse (CEJ) en 2006.
Les années 2000 voient aussi des évolutions importantes, notamment en termes de
er
souplesse et d’adaptation aux besoins des parents. Le décret du 1 août 2000 crée en effet
les structures multi-accueils (régulier, occasionnel ou d’urgence). On ne parle désormais
plus dans la loi de crèche ou de halte-garderie mais d’Etablissement d’Accueil du Jeune
er
Enfant (EAJE). La création au 1 janvier 2002 de la Prestation de Service Unique (PSU)
8
9
10
8
LEBON, Francis. « Une politique de l'enfance, du patronage au centre de loisirs ». Education et sociétés, 2003/1 n°11. P. 14.
RAMEAU, Laurence. Le lendemain des crèches, Réinventer l’accueil de la petite enfance. Paris : Erès, 2009. 222 p.
LOCHEN, Valérie. Comprendre les politiques d’action sociale. Paris : Dunod, 2010. Collection Action sociale. P. 105.
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Introduction
par la CAF contribue à cette tendance du multi-accueil en permettant de prendre en compte
la réalité du nombre d’heures durant lesquelles l’enfant a été accueilli. La qualité est en
outre un objectif de plus en plus mis en avant, tant pour l’accueil que pour l’alimentation,
les locaux ou l’hygiène.
Plus récemment, la PAJE (Prestation d’Accueil du Jeune Enfant) est créée en 2004.
Elle regroupe les principales aides directement versées aux familles par les CAF : la prime
à la naissance, l’allocation de base, le complément de libre choix du mode de garde, le
complément de libre choix d'activité. Elle ne vise plus la famille dans sa globalité, mais d’un
côté les enfants et de l’autre les parents. L’accueil du jeune enfant doit permettre un travail
d’accompagnement à la parentalité et d’aide aux familles défavorisées via la prévention.
Enfin, face à la hausse du nombre annuel de naissances est lancé en 2006 par le
ministre de la Famille Philippe Bas le plan Petite Enfance, qui vise à augmenter et diversifier
l’offre de garde et à assouplir l’accès aux métiers de la petite enfance tout en facilitant les
ouvertures de structures. Cet assouplissement vise en réalité à mieux maitriser les coûts de
cette politique : le prix d’une place de crèche étant très élevé, l’objectif est de la rentabiliser
11
en faisant en sorte que plusieurs enfants puissent l’occuper .
Les politiques pour la petite enfance résultent donc d’un véritable choix de société et
d’un volontarisme politique. La petite enfance est au cœur de la politique familiale française,
puisque ce secteur représente 1 % du PIB, les aides à la petite enfance s’élevant à 10,2
12
milliards d’euros en 2006 . La France se situe ainsi au troisième rang des pays de l’OCDE
13
en matière de dépenses pour la petite enfance . La diversité des prestations existantes
montre la volonté de soutenir les familles quel que soit le mode de garde qu’elles choisissent.
Toutefois, la tendance actuelle est plutôt d’encourager les modes de garde collectifs (à
travers une diversification de ceux-ci), comme le montrent les derniers « plans pour la petite
enfance », qui contiennent tous un objectif d’augmentation du nombre de places en accueil
collectif. Cette volonté semble relever d’une orientation nouvelle de l’action publique, vers
14
« la production de services à valeur ajoutée plus que vers le versement de prestations. »
15
Comme le souligne Esping-Andersen , l’accueil de la petite enfance peut être reconnu
comme un élément central dans la réforme des Etats-Providence.
La petite enfance à Vénissieux
A Vénissieux, le premier établissement d’accueil des jeunes enfants, Charréard
(transféré aujourd’hui dans la structure Pain d’Epices) a ouvert ses portes en 1966 et avait
un agrément de 20 places.Plusieurs structures sont créées tout au long des années 1970 à
1990, avec différents déménagements et agrandissements. Le premier Relais d’Assistants
Maternels (RAM) est créé en 2001 (un deuxième verra le jour en 2007) et le Point Accueil,
Information et Orientation des Familles (ou Point Info ou PIF) en 2003. Les nouvelles places
d’accueil collectif sont dorénavant issues de rénovations ou de changements de locaux
11
12
Voir infra p. 41 pour le détail de ces évolutions législatives.
MINISTERE DES AFFAIRES ETRANGERES. La France à la loupe : la politique en faveur de la petite enfance en France.
Info Synthèse, mai 2007. P. 1.
13
CANASSE, Serge. « Politiques de la petite enfance, combien ça coûte ? » [en ligne]. Carnets de santé [page consultée le
18 juillet 2012] < http://www.carnetsdesante.fr/Politiques-de-la-petite-enfance,463>
14
Centre d’Analyse Stratégique. Accueil de la petite enfance : Comment continuer à assurer son développement dans le
contexte actuel des finances sociales ? Note de veille n°157, novembre 2009. P. 5.
15
ESPING-ANDERSEN, Gosta & PALIER Bruno. Trois leçons sur l’Etat-providence. Paris : Seuil, 2008. Collection La
République des idées. 134 p.
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La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation
des structures existantes qui s’agrandissent. La ville de Vénissieux dispose ainsi à ce jour
d’un total de 360 places en accueil collectif, dont 268 en équipements municipaux et 92 en
équipements associatifs.
La ville a signé deux contrats enfance avec la CAF, le premier de 1993 à 1997 qui a
vu notamment la création du poste de coordinateur enfance et d’un Lieu d’Accueil EnfantParent (LAEP), et le second de 1998 à 2005. Ce dernier a permis la création du premier
RAM et du Point Info. De 2006 à 2010, c’est un nouveau type de contrat, le CEJ, que la ville
a signé avec la CAF. Une augmentation de 22 places a été possible grâce au financement
de ce CEJ, ainsi que l’ouverture du deuxième RAM. Un nouveau CEJ a été signé pour la
période 2011-2014, qui prévoit la fusion des RAM et du Point Info ainsi que la rénovation et
l’augmentation de la capacité de plusieurs structures.
La petite enfance et la jeunesse semblent être des priorités politiques à Vénissieux.
La ville a longtemps été dans une position avant-gardiste en étant la première à créer un
service de l’Enfance en 1966, et en disposant de nombreuses crèches. Si ce côté avantgardiste parait moins vrai aujourd’hui, la municipalité consacre tout de même 8,6% de son
budget 2012 à la famille (secteur qui comprend les crèches, les centres de loisirs et maisons
de l’enfance, ainsi que les dépenses en faveur des personnes âgées), soit 8,9 millions
d’euros. A ces 8,9 millions s’ajoutent 23,3 millions d’euros pour les écoles, 11 millions pour
16
la jeunesse et le sport, et 7,9 millions pour la culture . Notons qu’une place en accueil
collectif coûte en moyenne 15 000 euros de frais de fonctionnement annuels, et autant de
17
frais d’investissement . Dans son discours du 2 mai 2011, à l’occasion de la signature du
nouveau CEJ, le maire de Vénissieux, Mme Picard, déclarait ainsi que « nous consacrons
en volume, un euro sur deux à l’enfance et la jeunesse, et à la place qu’elles vont occuper
18
au cœur de notre cité ».
Cette volonté politique est fidèle à l’histoire de Vénissieux, troisième ville du Rhône,
banlieue d’ouvriers et d’immigrés, dont les maires sont communistes depuis 1944. Connue
pour les émeutes du quartier des Minguettes à l’été 1981, la ville est marquée par
19
une population précaire et une grande mixité sociale et culturelle . Un programme de
rénovation urbaine est en cours à Vénissieux avec un Grand Projet de Ville nommé « Réunir
Vénissieux » pour les quartiers des Minguettes et de Max Barel. L’arrivée du tramway qui
ème
relie Vénissieux à Lyon 8
en avril 2009 fait partie de ce programme de rénovation
urbaine visant à désenclaver la ville. La tradition d’éducation populaire, d’accès à la culture
et aux services publics pour tous et d’égalité des chances est très forte au sein de cette
« banlieue rouge ». Cette tradition est fièrement affichée dans les discours du maire, qui
revendique le caractère historique de la promotion de la jeunesse à Vénissieux : « la
jeunesse, l’enfance, la petite enfance ne sont pas des sujets secondaires, mais une priorité.
16
17
Magazine Vénissieux Singulier Pluriel. « Budget 2012, Finances locales. » Mai 2012, n°7.
CANASSE, Serge. « Politiques de la petite enfance, combien ça coûte ? » [en ligne]. Carnets de santé [page consultée le
18 juillet 2012] < http://www.carnetsdesante.fr/Politiques-de-la-petite-enfance,463>
18
Intervention de Michèle Picard à l’occasion de la signature du Contrat Enfance Jeunesse [en ligne]. 2 mai 2011. [page
consultée le 15 juin 2012] < http://www.michele-picard.com/ >
19
Une analyse détaillée des caractéristiques du territoire et de la population du terrain d’enquête est fournie dans la première
partie de cette étude.
10
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Introduction
Vénissieux en a fait le cœur de son contrat communal. […] Le signe fort d’une politique
20
volontariste, pertinente, au service des habitants. »
L’hypothèse personnelle qui a germé au cours de mon stage est donc que la politique
de la petite enfance à Vénissieux revêt un caractère singulier, notamment du fait de l’identité
communiste de la ville. Cette étude, bien qu’elle ne soit pas comparative, visera à évaluer
« l’originalité » de la politique de la petite enfance de Vénissieux ainsi que la façon dont elle
s’inscrit (ou non) dans les tendances nationales de cette politique.
Les enjeux de la standardisation et de la différenciation
Le secteur de la petite enfance a connu une forte professionnalisation depuis les années
1950, avec diverses identités professionnelles et des valeurs qui ont émergé. Le diplôme de
puéricultrice est créé en 1945, celui d’auxiliaire de puériculture en 1947. Il faut attendre 1973
pour la création du diplôme d’éducateur de jeunes enfants. La crèche se décline petit à petit
en crèche collective, crèche parentale, crèche familiale, puis dernièrement micro-crèche.
Au niveau des pratiques, dans les années 1980, la mission de garde de l’enfant évolue
en mission d’accueil, avec une dimension éducative et affective plus présente. Pour MariePaule Thollon-Behar, « une véritable culture professionnelle s’est constituée, avec des
21
contenus théoriques et des valeurs. » La qualité de l’accueil de l’enfant et de sa famille
devient un objectif primordial et le concept de soutien à la parentalité est intégré dans les
pratiques. De plus, les contrats Enfance avec la CAF encouragent les professionnels à
développer des projets de création de lieux d’accueil enfant-parent, d’accueil d’intervenants
artistiques, de liens passerelles avec l’école maternelle… Les professionnels doivent donc
s’adapter à de nouvelles missions et développer de nouvelles compétences.
Ainsi les modes de garde n’ont cessé de s’améliorer en termes d’objectifs, de formation
professionnelle des intervenants et de modalités d’accueil. Cette amélioration semble
toutefois quelque peu remise en cause par les évolutions législatives des dix dernières
années, qui ont profondément modifié les pratiques professionnelles.
De manière plus générale, il paraitrait que la petite enfance subisse un processus
de standardisation lié à l’amélioration de la qualité. La standardisation des normes et
des procédures garantit en effet un traitement égal des enfants. Cette standardisation
correspond aussi à une individualisation des usagers des services sociaux, qui permet que
l’enfant soit reconnu en tant qu’individu à part entière. Toutefois les contenus théoriques
qu’intègrent les professionnels au cours de leur formation ne sont peut-être pas toujours
adaptables à un terrain aux réalités spécifiques (bien qu’une partie de leur formation vise
aussi à rendre les professionnels polyvalents et opérationnels dans différentes situations
et avec différentes populations). Dès lors, comment adapter le métier appris et comment
22
« faire du sur mesure » ? Comment concilier l’individualisation et l’égalité ?
Cette standardisation ne se joue pas seulement dans les pratiques professionnelles
mais aussi à mon sens dans les formes que revêt l’action publique. Celle-ci est dorénavant
territorialisée, intègre une multiplicité d’acteurs et utilise des instruments tels que les
partenariats, les contrats et les projets.
20
Intervention de Michèle Picard à l’occasion de la signature du Contrat Enfance Jeunesse [en ligne]. 2 mai 2011. [page
consultée le 15 juin 2012] < http://www.michele-picard.com/ >
21
22
THOLLON-BEHAR, Marie-Paule. Du côté des professionnels. In BEN SOUSSAN, Patrick. Op. cit., p. 121.
GUILLOU, Anne & PENNEC, Simone. Op. cit., p. 91.
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La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation
Par ailleurs, on peut relever une tendance inverse de différenciation de l’action publique
locale du fait de la décentralisation et de l’attribution de certaines compétences, telles que
la gestion de l’accueil de la petite enfance, aux municipalités.
Le danger qui apparait assez vite est de mettre en avant cette différenciation en
ne prenant pas assez de recul face au discours des acteurs locaux, qui tendent à
valoriser leurs pratiques en les décrivant comme originales. Comme le précise Anne-Cécile
Douillet, « c’est le risque, pour l’analyse scientifique, de prendre pour argent comptant
23
le discours des acteurs locaux qui valorisent leurs spécificités. » La mise en avant de
cette différenciation se retrouve pourtant fréquemment sur les territoires, du fait de la
décentralisation notamment, ce qui laisse à penser que la différenciation est en fait un
processus généralisé. Ainsi, « s’il faut nuancer l’idée de différenciation dans l’action publique
locale, c’est d’abord parce que la valorisation de celle-ci répond à des évolutions communes
24
à tous les territoires. »
La difficulté de ce travail sera donc de distinguer ce qui relève de la différenciation en
tant que processus commun et actuel des politiques publiques, et ce qui relève des vraies
spécificités du territoire vénissian.
Il m’a semblé intéressant de voir en quoi la politique de la petite enfance d’une
ville telle que Vénissieux se conformait ou non aux évolutions décrites précédemment.
Il est évident que la mise en œuvre de la politique de la petite enfance se doit de
respecter les nouvelles législations nationales et les exigences de la CAF. Toutefois, la
petite enfance n’est pas un secteur tout à fait comme les autres du fait du public qu’il
concerne. Vénissieux est également un territoire singulier du fait de son identité politique
communiste et de sa population précaire. Ainsi, ces éléments particuliers laissent penser
que ces tendances générales, si elles sont appliquées à Vénissieux, ne le sont peut-être
pas dans les mêmes modalités qu’ailleurs, ou avec des effets différents. Les spécificités de
Vénissieux mèneraient donc à une certaine différenciation.
Nous nous demanderons donc tout au long de cette étude dans quelle mesure
la politique d’accueil de la petite enfance à Vénissieux s’inscrit dans les tendances
actuelles des politiques sociales que sont la rationalisation, la standardisation des
procédures et la territorialisation.
Ce questionnement nous amènera à étudier les effets de ces processus et la manière
dont les professionnels s’y adaptent, ainsi que leur ressenti face à ces évolutions, qui
modifient souvent de manière non négligeable leurs pratiques.
Il faudra aussi s’interroger sur l’origine des différenciations constatées. Les élus
développent-ils volontairement une politique se distinguant des politiques nationales ?
Les professionnels de l’administration et du terrain choisissent-ils eux-mêmes d’adopter
des pratiques différentes ? Dans ce cas, comment adapter des pratiques censées être
standardisées à un terrain et une population spécifiques ?
Pour reprendre les propos de Ludovic Méasson,
L’enjeu est de savoir si la territorialisation croissante de l’action publique conduit
à une recomposition des structures et modes de gouvernement dans le sens
d’une standardisation fondée sur un certain nombre de principes modernisateurs
23
DOUILLET, Anne-Cécile. L’action publique locale dans tous ses états. Différenciation et standardisation. Paris : L’Harmattan,
2012. Collection Logiques Politiques. P. 21.
24
12
Ibid., p.22.
BONNARD Camille - 2012
Introduction
(contractualisation, gouvernance territoriale, approche participative, etc.) ou si, à
l’inverse, la territorialisation engendre des déplacements et des recompositions
différentes selon les territoires, selon les types de collectivité locale et selon le
25
domaine d’intervention.
J’essayerai donc au travers de mon étude de mieux cerner les effets de cette territorialisation
en ce qui concerne le domaine de la politique de la petite enfance à Vénissieux.
La standardisation sera ici entendue comme l’homogénéisation de la construction et
du contenu des politiques publiques ainsi que des modes de gouvernance du local. La
différenciation sera définie comme « le processus par lequel le contenu des politiques
publiques, les styles de mobilisation et de domination politiques, mais aussi les rapports
de pouvoir entre les différentes organisations participant à la gouvernance de ces espaces
26
varient d’un lieu à l’autre. »
Il convient en outre de souligner que le débat entre différenciation et standardisation
est particulièrement aigu dans le champ des politiques sociales : comment arbitrer entre
l’obligation d’un traitement identique et égalitaire des usagers d’une part, et la nécessité de
prendre en compte la singularité des situations de chaque famille avec ses problématiques
particulières d’autre part ? Le service petite enfance de Vénissieux, en ayant affaire
à de nombreuses situations familiales difficiles, est particulièrement confronté à cette
ambivalence, et tente d’y faire face de diverses façons.
Ce débat a de plus toujours été au cœur des travaux de science politique portant
sur l’action publique locale : celle-ci est en effet d’une part le lieu d’exécution des
politiques nationales permettant une certaine unité du territoire national et d’autre part le
27
lieu d’expression des intérêts et spécificités locales . Selon les périodes, l’un ou l’autre des
paradigmes de standardisation et de différenciation a été prédominant, bien que les deux
coexistent toujours. Ainsi, Gilles Pinson et Hélène Reigner distinguent
la période keynesiano-fordiste d’une part, au cours de laquelle la standardisation
de l’action sur le territoire national est présentée comme un des éléments clé
d’un projet politique modernisateur global, la période post-keynésienne et postfordiste, d’autre part, caractérisée par une mise en récit des vertus et nécessités
28
de la différenciation territoriale.
Mon hypothèse est qu’aujourd’hui ces deux phénomènes coexistent à Vénissieux dans le
contexte de la petite enfance.
Je me concentrerai principalement sur l’étude des structures d’accueil collectif, et moins
sur l’accueil individuel des assistants maternels, - pour une raison pratique qui est je n’ai
rencontré aucun assistant maternel -, même s’ils font eux aussi partie intégrante de la
politique de la petite enfance. Les termes d’établissement d’accueil du jeune enfant (EAJE),
de structure d’accueil, de crèche ou encore de multi-accueil seront utilisés indifféremment
tout au long de ce mémoire.
25
MEASSON, Ludovic. Différenciation, incertitude, espace et politique : l’exemple des territoires de projet LEADER. In
DOUILLET, Anne-Cécile. Op. cit., p. 27.
26
PINSON, Gilles et REIGNER, Hélène. Différenciation et standardisation dans la(es) politique(s) urbaine(s). In DOUILLET,
Anne-Cécile. Op.cit., p. 166.
27
28
Ibid., p.163.
Ibid., p. 168.
BONNARD Camille - 2012
13
La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation
Le point de vue adopté sera celui de la construction de la politique de la petite enfance
par la municipalité et le service Petite Enfance, et non le point de vue des familles, même
si cette politique est largement fondée sur l’évaluation des besoins de la population.
Protocole de recherche
L’enquête de terrain est fondée d’une part sur les observations et entretiens réalisés
en juin 2011 au cours de mon stage, et d’autre part sur neuf entretiens supplémentaires
effectués en 2012 dans le cadre spécifique de ce mémoire.
La politique de la petite enfance étant construite et mise en œuvre par des acteurs
divers, mon objectif a été de constituer un échantillon représentatif des différents profils
d’acteurs de ce champ, afin d’obtenir des points de vue variés et de pouvoir confronter
les discours de chacun. Mes grilles d’entretien étaient différentes pour chaque personne
interviewée, mais contenaient cependant toutes des questions similaires ou sur les mêmes
thématiques dans l’optique d’une comparaison entre les entretiens. Les entretiens menés
étaient tous semi-directifs et j’ai laissé une importante liberté de parole aux acteurs. Avec
leur autorisation, les entretiens étaient enregistrés.
Je me suis tout d’abord entretenue avec trois directrices d’EAJE : Mme Ruiz, directrice
de la crèche associative Tourni-Cotton rattachée au centre social Eugénie Cotton, dans le
quartier des Minguettes ; Mme Henner, directrice de la crèche municipale Carrousel dans le
quartier des Minguettes également ; Mme Champmartin, directrice de la crèche municipale
Gribouille dans le quartier Moulin à Vent. Ces trois entretiens m’ont permis de comprendre
les spécificités du statut municipal et du statut associatif ainsi que leurs points communs, et
d’aborder les particularités de certains quartiers de Vénissieux. Les trois directrices ayant
29
évoqué le projet global Enfant Phare en cours au niveau des services de l’enfance et de
la petite enfance, j’ai cherché la personne en charge de la coordination de ce projet.
J’ai ainsi rencontré M. Naton, animateur en cours de formation de DEJEPS (Diplôme
d’Etat de la Jeunesse, de l’Education Populaire et des Sports) et en contrat d’apprentissage
au sein du service Enfance – Petite Enfance. M. Naton est chargé de faire le lien entre
les personnels des services de Vénissieux et un consultant extérieur qui accompagne
les équipes autour de ce projet. J’ai pu m’entretenir par téléphone avec ce consultant
spécialisé dans l’accompagnement de projets transversaux et de projets de développement
de territoire, M. Bély, ce qui m’a permis d’obtenir un regard extérieur sur la politique de la
petite enfance menée à Vénissieux.
J’ai également interviewé par téléphone Mme Neri, la responsable du Point Info, c'està-dire de l’accompagnement des familles dans la recherche d’un mode de garde : elle a pu
me renseigner sur les critères d’attribution des places en crèche et la fusion en cours du
Point Info avec le Relais d’Assistants Maternels (RAM).
J’ai rencontré à nouveau ma tutrice de stage, Mme Margerit, directrice du service
Enfance – Petite Enfance, ainsi que l’ancien coordinateur du Contrat Enfance Jeunesse
30
(CEJ), M. Damblin, qui a changé de poste récemment . Mme Margerit est puéricultrice et
cadre de santé de formation, et M. Damblin est cadre A de la fonction publique (conseiller
d’éducation populaire et de jeunesse) : ils ont donc une approche différente mais tous deux
ont une vision globale de la politique menée à Vénissieux en matière de petite enfance et
de réponse aux besoins de la population.
29
30
Voir infra, p. 90.
M. Damblin est désormais directeur du service Education – Enfance. Sa remplaçante, arrivée en avril 2012, a préféré que
je m’entretienne avec M. Damblin, mais était présente lors de notre entretien.
14
BONNARD Camille - 2012
Introduction
Enfin, il m’a semblé essentiel, pour un mémoire portant sur la politique de la petite
enfance, d’interroger un ou des élus, afin de mieux cerner la volonté politique à l’origine de
sa mise en œuvre. Il a été beaucoup moins aisé de parvenir à contacter ces personnes.
J’ai tenté de rencontrer l’adjointe à la petite enfance, Mme Gicquel, mais elle n’a pas
pu me recevoir, étant très peu présente à la mairie de Vénissieux pour des raisons
personnelles. J’ai en revanche réussi à réaliser un entretien avec le maire de Vénissieux,
Mme Picard. Cette dernière m’a expliqué qu’historiquement l’enfance a toujours été une
priorité à Vénissieux, et que la politique petite enfance s’inscrit dans une politique municipale
plus globale.
Mme Margerit m’a par ailleurs fait parvenir divers documents internes au service
enfance - petite enfance : le projet social et éducatif de Vénissieux, le bilan du CEJ
2006-2010 et l’analyse des besoins de la population. Ceux-ci m’ont été d’une grande
aide pour obtenir des données chiffrées sur la population de Vénissieux (nombre de
naissances, nombre d’enfants de moins de 6 ans, revenus des familles) ainsi que pour mieux
comprendre l’évolution des besoins et la mise en œuvre de la politique de la petite enfance.
Mes lectures sont venues compléter ces données issues du terrain. Elles ont porté
sur les politiques publiques et leurs tendances actuelles, sur les politiques sociales et le
travail social en général et plus particulièrement sur la politique de la petite enfance, avec
notamment bon nombre de rapports ou de notes de synthèse (de la Caisse d’Allocations
Familiales, du Conseil d’Analyse Stratégique…).
La petite enfance est un secteur dynamique de la recherche, dans le champ de la
pédagogie, de la psychologie mais aussi des sciences sociales ; il m’a donc fallu être
vigilante dans le choix des lectures afin de cibler les thématiques liées à mon sujet.
L’ensemble de ces recherches m’a permis de combiner apports théoriques plus
généraux et éléments concrets issus du terrain. J’ai ainsi pu analyser les entretiens à la
lumière de mes lectures, et voir en quoi les pratiques vénissianes s’inscrivaient dans des
tendances globales (territorialisation, gouvernance, travail en partenariat) ou au contraire
s’en différenciaient.
Plan du mémoire
L’analyse des caractéristiques démographiques et socio-économiques de la population
et du territoire vénissians feront l’objet d’une première partie, qui sera aussi l’occasion de
présenter le service Petite Enfance de la ville ainsi que les différentes structures d’accueil
des jeunes enfants et les multiples intervenants du champ de la petite enfance. La deuxième
partie montrera en quoi la politique de la petite enfance de Vénissieux s’inscrit dans une
certaine standardisation, due aux nouvelles législations et normes encadrant le secteur de
la petite enfance dans une optique de qualité, mais aussi aux modalités nouvelles de l’action
publique locale que sont la territorialisation, la gouvernance et le travail en partenariat. Enfin,
la troisième partie portera sur le caractère singulier de la politique de la petite enfance de
Vénissieux, induit par les spécificités de la population et l’identité « rebelle » de la ville,
qui impliquent l’adoption de pratiques différenciées. La différenciation se traduit aussi par
la mise en œuvre d’un projet global de management du service Petite Enfance, que nous
décrirons pour conclure cette étude.
BONNARD Camille - 2012
15
La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation
I.Une politique mise en œuvre par des
acteurs multiples sur un territoire aux
enjeux spécifiques
A.Les acteurs de la petite enfance à Vénissieux
1. Le service Petite Enfance de la mairie de Vénissieux
Le service Petite Enfance est situé au sein de la Direction Enfance Education Santé (DEES)
de la mairie de Vénissieux. Cette grande direction comprend le service Education (gestion
des écoles et des cantines), le service Enfance (gestion des Maisons de l’Enfance pour
l’accueil des enfants de plus de trois ans durant le temps périscolaire), le service de Santé
Scolaire, et le service Petite Enfance qui gère les crèches et les assistants maternels à
travers deux Relais d’Assistants Maternels.
Une particularité à Vénissieux est que la petite enfance (0-3 ans) est dissociée de
l’enfance (3-12 ans) alors qu’un troisième service est chargé de la jeunesse (12-17 ans).
Le service petite enfance auquel nous nous intéressons ne concerne donc que les enfants
de 0 à 3 ans. Ce service est dirigé par Mme Margerit, puéricultrice et cadre de santé, qui
travaille en étroite collaboration avec la coordinatrice du Contrat Enfance Jeunesse (CEJ),
Mme Carcouet. Celle-ci a un rôle d’interface entre la CAF (Caisse d’Allocations Familiales),
le Conseil Général et les EAJE (Etablissements d’Accueil du Jeune Enfant), rôle que nous
détaillerons plus tard.
Le Point Accueil, Information et Orientation des Familles (PIF ou Point Info), créé en
2003 et situé dans les mêmes locaux que le service petite enfance, est animé par une
éducatrice de jeunes enfants, Mme Neri. Son rôle est de recevoir les familles à la recherche
d’un mode de garde et de les accompagner dans leur démarche. Le Point Info ne centralise
que les demandes de garde de plus de 15 heures par semaine, c'est-à-dire en mode de
garde régulier. Lorsqu’il s’agit d’un mode de garde occasionnel de moins de 15 heures par
semaine, les parents s’adressent directement à la directrice de la structure. Le PIF a aussi un
rôle d’observatoire de la demande et de production de statistiques afin d’analyser l’évolution
des besoins et ainsi d’éclairer les décisions politiques.
Deux médecins de crèche travaillent par ailleurs avec le service Petite Enfance pour
recevoir les familles lors de l’entrée d’un enfant en EAJE ainsi que pour élaborer les
protocoles d’hygiène, d’alimentation et de santé.
Mme Brouillaud, secrétaire, vient assister les personnes précitées ainsi que les EAJE
dans la gestion des facturations et des contrats. Le service administratif à proprement parler
est donc assez restreint.
16
BONNARD Camille - 2012
I.Une politique mise en œuvre par des acteurs multiples sur un territoire aux enjeux spécifiques
A ce service viennent s’ajouter huit EAJE municipaux (Berlingot, Capucine, Carrousel,
31
Musicaline, Pain d’Epices, Parilly, Gribouille et la crèche familiale Sac de Billes ) et cinq
EAJE associatifs (Arc en Ciel, qui est une crèche parentale, Saperlipopette, Moulin à Malice,
32
Tourni Cotton et Graines d’Eugénie ). Les crèches associatives, bien qu’ayant un statut
et une réglementation différents, sont inclues dans la commission d’attribution des places
au même titre que les crèches municipales, et respectent le projet social et éducatif de la
ville. Elles travaillent donc en étroite collaboration avec l’équipe municipale. Au total, 360
places sont disponibles en accueil collectif, dont 268 places en équipements municipaux
et 92 places en équipements associatifs. Il existe aussi un Lieu d’Accueil Parents-Enfants
(LAEP), Cerf-Volant, situé dans un appartement du quartier des Minguettes.
Les assistants maternels sont au nombre de 343, parmi lesquelles moins de 200
utilisent les services des deux Relais d’Assistants Maternels existant (créés respectivement
en 2001 et 2007). En 2009, 63 assistants maternels adhéraient au RAM et bénéficiaient,
au-delà des services d’information et d’accompagnement aux contrats, de formations, de
temps collectifs avec les enfants et de temps festifs impliquant aussi les parents.
Au niveau politique, l’adjointe chargée de la petite enfance est Mme Gicquel, que je
n’ai pas pu rencontrer. L’adjointe et le maire élaborent un projet politique concernant la
petite enfance à partir des analyses des besoins réalisées par les « experts » que sont
les professionnels du service petite enfance. Comme l’indique Mme Margerit, « c’est une
boucle, c'est-à-dire qu’à un moment les experts font remonter au politique, le politique va
33
mettre en place une politique qui sera mise en œuvre par les experts, et ainsi de suite. »
Diverses évolutions ont eu lieu ou sont en cours au sein du service petite enfance, dans
le but d’améliorer l’accueil et l’accompagnement de la population.
A la faveur d’un départ au sein de la DEES, la direction des différents services a été
repensée : Mme Margerit, qui était en charge de l’enfance et de la petite enfance, est
dorénavant en charge de la petite enfance et des infirmières scolaires, tandis que le nouveau
directeur de l’éducation, M. Damblin, devient responsable de l’enfance en remplacement
de la santé scolaire. L’objectif est de permettre une approche plus globale de l’enfant dans
tous ses temps de vie. En effet, pour M. Damblin, « rapprocher l’enfance de l’éducation ça
34
a du sens parce que pour être en centre de loisirs, il faut être scolarisé. » En outre, Mme
Margerit ayant une formation de professionnelle de santé, il semblait légitime qu’elle ait la
responsabilité des infirmières scolaires. Ainsi, pour M. Damblin, « ça permet de rationaliser
un peu les choses et d’avoir une vision globale de l’enfant. Ces changements permettent
35
de progresser, globalement. »
Par ailleurs, la pression des usagers insatisfaits du fait d’une réponse négative à leur
demande de place en crèche ainsi que la volonté de mieux respecter les axes du projet
social ont conduit à une réflexion sur la refonte des critères d’attribution des places de
crèche. Les critères actuels sont : la date de la demande, le fait d’habiter à Vénissieux ou de
travailler dans un EAJE de Vénissieux, le fait que les deux parents travaillent, et un critère
de revenus (si deux dossiers réunissent les précédents critères, priorité est donnée à celui
31
32
33
34
35
Celle-ci comprend 84 places d’accueil chez des assistantes maternelles rattachées à cette crèche familiale.
Ces trois dernières crèches font partie respectivement des centres sociaux Moulin à Vent, Eugénie Cotton et Roger Vailland.
Entretien n°6.
Entretien n°7.
Ibid.
BONNARD Camille - 2012
17
La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation
dont les revenus sont les plus faibles). Les nouveaux critères seraient : la domiciliation à
Vénissieux, l’activité des deux parents (ou bien une formation), la disponibilité d’une place
qui corresponde aux besoins exprimés (date d’entrée, structures demandées, horaires et
amplitude hebdomadaire, âge de l’enfant, mixité du public accueilli) et la situation familiale
(parent mineur, monoparentalité, niveau de ressources). Pour Mme Neri, responsable du
PIF, le but est d’être « au plus près de la demande, et du coup plus juste au niveau des
36
dossiers ». De même, pour Mme Margerit, il s’agit d’essayer d’être le plus juste possible :
On veut pas non plus que les crèches deviennent des crèches ghettos pour
les milieux précaires exclusivement. On essaie toujours, dans nos axes, c’est
mixité sociale, donc on essaie de faire des critères croisés qui maintiennent
une répartition juste et équilibrée de l’ensemble de la population, mais en étant
37
attentifs à certaines problématiques comme la monoparentalité…
Enfin, face au manque de moyens des deux RAM, un processus a été entamé pour que
ceux-ci fusionnent avec le PIF, afin de créer un Point Info – RAM. Les missions des deux
types de structures seront ainsi rassemblées, et quatre antennes RAM seront installées
dans différents quartiers de la ville pour être situées au plus près des besoins. Cette
évolution répond au constat que les familles venaient au Point Info dans le but unique de
s’inscrire en crèche, alors que le rôle de ce service est d’accompagner dans la recherche
d’un mode de garde, quel qu’il soit.
Après quand y’avait pas de place en crèche on renvoyait ces mêmes familles
au relais. Donc on s’est dit, plutôt qu’on déçoive les familles, on va fusionner
ces deux dispositifs, […] et comme c’est la même personne qui fait Point Info
et relais, elle deviendra référent de la famille, du début à la fin, et la famille aura
38
moins l’impression de venir s’inscrire en crèche, explique Mme Margerit
.
Le service petite enfance et ses acteurs sont donc en mutation constante, dans l’optique
de s’adapter aux évolutions sociétales. Ces mutations ne peuvent toutefois pas s’accomplir
en totale autonomie, puisque la mise en œuvre de la politique de la petite enfance dépend
aussi des interactions avec différents partenaires non municipaux.
2. Les partenaires non municipaux
Si la municipalité est souveraine en matière de développement de l’accueil des jeunes
enfants, elle ne peut augmenter son offre d’accueil qu’avec le concours d’autres acteurs,
que sont la CAF et la Protection Maternelle et Infantile (PMI). D’autres partenaires tels que
les travailleurs sociaux sont également présents sur le territoire et collaborent au quotidien
avec les professionnels de la petite enfance.
La CAF est le principal partenaire de la municipalité car elle finance le fonctionnement
des structures d’accueil au moyen de deux dispositifs : la Prestation de Service Unique
er
(PSU) et le Contrat Enfance Jeunesse (CEJ). La PSU a été mise en place en 2002 (au 1
janvier 2003 à Vénissieux) ; elle visait à simplifier les modes de financement et à favoriser
le multi-accueil. Celle-ci oblige les structures à signer des contrats avec les familles, et
36
Entretien n°2.
37
Entretien n°6.
38
Ibid.
18
BONNARD Camille - 2012
I.Une politique mise en œuvre par des acteurs multiples sur un territoire aux enjeux spécifiques
fixe un prix plafond et un prix plancher pour la participation financière des familles, qui est
désormais facturée à l’heure. Cette participation est progressive en fonction des ressources
des foyers, du nombre d’enfants à charge, de la présence d’un enfant handicapé, etc. Le
financement de la CAF vient s’ajouter à la participation familiale dans la limite de 66% du
39
prix plafond retenu selon le type d’accueil concerné . Ces barèmes CAF garantissent que
le prix payé par les familles, ou « taux d’effort », soit le même sur tout le territoire français :
« qu’on aille dans une crèche à Vénissieux, à Lyon, à Paris ou en Corse, on paie le même
40
tarif en fonction de ses revenus. » Ainsi, en 2011, la somme des participations de la CAF
et des familles s’élevaient à 4,27€ par heure et par enfant. Comme le précise M. Damblin,
« si la famille paie un euro, la CAF paie 3,27€ en fonction du revenu des familles, du taux
d’effort. Ca veut dire que déjà d’entrée y’a 4,27€ qui sont payés par un autre financeur que
41
la ville ». Si l’on estime qu’une place en crèche municipale coûte environ dix euros par
heure et par enfant à Vénissieux, les 5,73€ restants sont financés par la ville d’une part, et
par la CAF dans le cadre du CEJ d’autre part, via la PSEJ (Prestation de Service Enfance
Jeunesse).
Le premier CEJ entre la CAF et la ville de Vénissieux a été signé en 2006, pour
une période de quatre ans. Il correspond à la fusion des contrats « enfance » et des
contrats « temps libre » qui existaient auparavant, et il s’adresse aux enfants de 0 à 17
ans. Son taux de cofinancement est de 55% pris en charge par la CAF. L’objectif est de
favoriser et d’optimiser l’offre d’accueil en ciblant les territoires les moins biens pourvus et en
42
menant une politique tarifaire accessible aux familles les plus modestes . En contrepartie,
la municipalité s’engage à rendre des comptes à la CAF et à respecter certains critères tels
43
que le taux d’occupation ou le taux de rotation . A Vénissieux, cette subvention du CEJ
s’élève à environ 900 000 voire un million d’euros par an, et ne concerne que certaines
44
créations de places de crèche qui ont été inscrites au CEJ .
La Protection Maternelle et Infantile, service du Conseil Général, est également
présente sur le territoire vénissian au sein de deux Maisons du Rhône (situées
respectivement dans les cantons de Vénissieux-Sud et Vénissieux-Nord). Ses deux grandes
missions, la promotion de la santé de la mère et de l’enfant ainsi que la protection de
l’enfance, s’articulent autour de trois axes : les actions préventives autour de la naissance,
le suivi de l’enfant dans son milieu de vie, et la protection des enfants en difficulté. En ce
qui concerne l’accueil de la petite enfance, la PMI joue un rôle majeur puisqu’elle délivre
l’agrément permettant aux EAJE d’accueillir des enfants. Elle effectue ensuite un suivi et
des contrôles de ces lieux d’accueil des moins de six ans, qui doivent respecter des critères
stricts d’hygiène, d’aménagement, etc. C’est également la PMI qui forme les assistantes
maternelles et leur octroie l’agrément nécessaire à l’exercice de leur profession.
Les équipes des EAJE et la PMI travaillent en étroite collaboration dans un but de suivi
des familles. En effet, la PMI ayant un rôle de prévention et de protection de l’enfance, elle
39
CAF [en ligne]. La prestation de service unique pour les structures d’accueil des jeunes enfants. 2012. [page consultée le
21 mai 2012] < http://www.caf.fr/sites/default/files/caf/741/psu_fiche_technique_2012.pdf >
40
41
42
Entretien n°7.
Ibid.
CAF [en ligne]. Le point sur le Contrat Enfance et Jeunesse. 2006. [page consultée le 21 mai 2012] < http://www.caf.fr/sites/
default/files/caf/131/Documents/plaquette_enfance_et_jeunesse.pdf >
43
44
Voir infra p. 53.
Entretien n°6.
BONNARD Camille - 2012
19
La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation
peut cibler des familles pour lesquelles l’accueil en collectivité serait bénéfique. Comme
l’explique Mme Ruiz, « [les puéricultrices] vont venir repérer les familles, elles vont venir
donner leur avis sur les familles prioritaires qui ont vraiment besoin. Et du coup nous quand
on va considérer ces gens-là à la commission, on va mettre une petite option pour qu’elles
45
soient prioritaires par rapport aux autres ». De même, les crèches sont en lien avec les
travailleurs sociaux de la protection de l’enfance pour effectuer des bilans lorsqu’une famille
est soumise à une AEMO (Action Educative en Milieu Ouvert) ou une AEA (Aide Educative
Administrative).
Enfin, les EAJE collaborent avec les Centres Médico-Psychologiques (CMP) qui
comme la PMI recommandent certaines familles pour l’accueil en collectivité selon certains
46
critères . Certaines crèches reçoivent aussi des familles suivies à l’Unité Mère-Bébé de
l’hôpital psychiatrique du Vinatier.
47
La mise en réseau des acteurs
Ce schéma montre qu’il existe sur le territoire un réseau constitué de partenaires réunis
autour du suivi des familles, et en particulier des enfants et de leur bien-être. Ces partenaires
agissent auprès d’une population singulière, vivant sur un territoire spécifique.
B.Une population et un territoire particuliers
La politique de la petite enfance étant fondée sur l’évaluation des besoins des familles,
il convient de s’intéresser aux caractéristiques démographiques, sociales et économiques
45
46
Entretien n°1.
Entretien n°1 : « Un enfant qui va pas bien, qui a des difficultés familiales, qui est pauvre en stimulations dans sa famille,
qu’il y a la barrière de la langue ou un repli de la famille sur elle-même. »
47
Schéma tiré de DAVID, Olivier. « Les politiques locales en faveur de la petite enfance : de la mobilisation des acteurs à la
construction de partenariats. » Espaces et sociétés, n°24, mars 2006. P. 11.
20
BONNARD Camille - 2012
I.Une politique mise en œuvre par des acteurs multiples sur un territoire aux enjeux spécifiques
de la population et du territoire vénissians. Celles-ci sont en effet particulières et vont
déterminer la mise en œuvre de cette politique. On observe ainsi une précarité globale de
la population ainsi qu’un nombre élevé d’enfants de moins de six ans, couplés à de grandes
différences sociales et culturelles entre les quartiers. Nous nous baserons ici largement sur
le bilan du Contrat Enfance Jeunesse 2006-2010 effectuée en 2010 par le coordinateur
48
Enfance Jeunesse .
1. Une population jeune et précaire
D’une part, les indicateurs démographiques en ce qui concerne le nombre de naissances
et d’enfants de moins de six ans sont élevés, et toujours supérieurs à la moyenne du Grand
Lyon. En effet, en 2009, environ 1200 naissances ont été dénombrées, le taux de natalité
atteignant 17,6‰ sur la période 1999-2008 (contre 14,5‰ dans le Rhône sur la période
49
1999-2009 ). On compte 6230 enfants de moins de 6 ans, soit 37% du total du nombre
50
d’enfants . Ils sont ceux dont la proportion a le plus augmenté entre 2006 et 2009 (+11,4%
51
contre seulement +5,33% dans le Grand Lyon) . Au total, la population de 0 à 14 ans
représente près de 23% de la population vénissiane totale, soit la tranche d’âge la plus
52
nombreuse. Les familles sont plus nombreuses à Vénissieux que dans le Grand Lyon, et
la proportion de couples sans enfant est moindre à Vénissieux.
D’autre part, les données socio-économiques indiquent des fragilités importantes,
tant au niveau économique qu’au niveau familial, avec un grand nombre de familles
monoparentales. Celles-ci représentent en effet 30% des allocataires de la CAF à
Vénissieux contre 25% dans le Grand Lyon, et sont concentrées pour presque la moitié
d’entre elles dans le quartier des Minguettes. Mais ce chiffre est peut-être à nuancer : Mme
Ruiz, directrice de l’EAJE Graines d’Eugénie dans le quartier des Minguettes, fait remarquer
que « celles [les familles] qui sont déclarées monoparentales, dans la réalité y’a les papas
quoi. C’est un peu à la débrouille, c’est tellement difficile au niveau de l’emploi, et que
53
familles monoparentales ça veut dire une aide de la CAF, allocation parent isolé. » De
plus, en 2008, 44% des allocataires ont des revenus en dessous du seuil de bas revenu
(en dessous de 60% du revenu médian, calculé en fonction de la composition de la famille,
soit moins de 903€ par Unité de Consommation) contre 34% pour le Grand Lyon. 30% des
allocataires situés en dessous du seuil de bas revenu sont des familles monoparentales,
tandis que seules 24% le sont dans le Grand Lyon. En ce qui concerne les enfants de moins
de 6 ans, 18% vivent dans une famille monoparentale, 12% dans une famille monoparentale
sans emploi et 14% dans une famille en couple sans emploi. Au total, seulement 22,5% des
parents avec un enfant de moins de six travaillent tous les deux, contre 43% dans le Grand
48
49
DAMBLIN, Matthieu. Bilan du Contrat Enfance Jeunesse 2006-2010. Ville de Vénissieux : 2010. 72 p.
INSEE [en ligne]. Chiffres clé : Rhône. Evolution et structure de la population (mise à jour le 28 juin 2012). [page consultée le 30
juin 2012] <http://www.insee.fr/fr/bases-de-donnees/default.asp?page=statistiques-locales.htm>
50
51
52
Les chiffres ne sont pas disponibles pour les enfants de moins de trois ans, qui sont ceux concernés par l’accueil en crèche.
DAMBLIN, Matthieu. Bilan du Contrat Enfance Jeunesse 2006-2010. Ville de Vénissieux : 2010. P.3.
INSEE [en ligne]. Chiffres clé : Vénissieux. Evolution et Structure de la population (mise à jour le 30 juin 2011). [page consultée le
18 avril 2012] < http://www.insee.fr/fr/bases-de-donnees/default.asp?page=statistiques-locales.htm>
53
Entretien n°1.
BONNARD Camille - 2012
21
La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation
54
Lyon . Ces chiffres démontrent le haut niveau de chômage et la proportion importante de
familles en difficultés.
Enfin, on observe que plus de la moitié des familles qui utilisent un EAJE disposent de
moins de 1520€ mensuels. La catégorie de population accueillie la plus importante est celle
55
qui a de très bas revenus : 28% des familles accueillies ont moins de 760€ par mois . Ainsi,
l’accueil en collectivité répond principalement aux besoins des familles les plus modestes,
les assistants maternels représentant une offre complémentaire mais plus onéreuse.
2. L’hétérogénéité du territoire vénissian
L’analyse de la demande en matière d’accueil de la petite enfance nécessite d’étudier les
besoins de la population à l’échelle de la ville. En effet, si des diagnostics sont réalisés
au niveau départemental (schémas départementaux d’accueil du jeune enfant) ou par
l’Observatoire national de la petite enfance pour repérer les déséquilibres globaux, ceux-ci
56
ne permettent pas « d’apprécier l’adaptation de l’offre aux besoins » selon Audrey Daniel.
La ville de Vénissieux est composée de quartiers bien distincts, ayant chacun des
spécificités socio-démographiques. Afin de démontrer ces spécificités et d’étudier les
besoins de chaque quartier, nous reprendrons ici le découpage en cinq grands quartiers
qui a été effectué lors des bilans des Contrats Enfance Jeunesse en 2005 et en 2010. Ce
découpage a l’avantage de mettre en avant la distinction entre cinq « bassins de vie », c'està-dire d’espaces dans lesquels la population se déplace aisément entre son domicile et
son lieu de travail, et auxquels elle s’identifie. Il apporte donc une vision assez globale du
territoire, en cohérence avec la zone d’influence des structures d’accueil du jeune enfant,
qui dépasse le quartier immédiat du fait d’un manque de services dans certains quartiers.
Ces cinq bassins sont donc le Centre-Gabriel Péri, les Minguettes, Moulin à Vent-Viviani,
Jules Guesde-Parilly et Max Barel-Charréard-Pasteur.
(Image à consulter sur place au centre de documentation de l'Institut d'Etudes Politiques
de Lyon.)
Le quartier du Centre-Gabriel Péri regroupe 9156 habitants soit 16% de la population
vénissiane et 14% des enfants de moins de 12 ans. Ce quartier est en cours de réhabilitation
et voit donc une nouvelle population arriver, plus jeune et avec des enfants. Les indicateurs
de précarité y sont moins prégnants que dans le reste de la ville ; on y dénombre davantage
de retraités et de catégories socio-professionnelles supérieures et moins de personnes sans
activité professionnelle. Le nombre d’enfants est en augmentation, si bien que deux classes
de maternelle ont été ouvertes en 2010.
Lequartier du Centre – Gabriel Péri compte 33 places en EAJE, réparties entre la
crèche municipale Berlingot et la crèche associative Saperlipopette. Cette dernière est en
En 2009, les places de ce secteur ont
cours d’extension pour passer de 12 à 24 places.
été occupées par 148 enfants différents.
7 assistantes maternelles de la crèche
En outre,
familiale accueillant chacune 2 à 3 enfants par jour habitent sur ce quartier. On recense
54
55
56
DAMBLIN, Matthieu. Op. cit., p. 20.
Ibid, p.17.
DANIEL, Audrey. « Accueil de la petite enfance : une approche territoriale pour évaluer la couverture des besoins », Revue
française des affaires sociales, 2011/4 n° 4, p. 33.
22
BONNARD Camille - 2012
I.Une politique mise en œuvre par des acteurs multiples sur un territoire aux enjeux spécifiques
également 45 assistantes maternelles indépendantes. Le bilan du CEJ fait apparaitre que ce
quartier semble
sous-équipé en EAJE car une proportion conséquente d’enfants du quartier
est accueillie dans d’autres structures de la ville. Compte tenu de la demande, certaines
familles du Centre doivent donc se déplacer pour accompagner leurs enfants dans un autre
secteur de la ville que celui de leur résidence.
Le quartier des Minguettes est connupour ses difficultés sociales, et dispose d’une
image encore négative dans les esprits, malgré le programme de rénovation urbaine en
cours, qui a entrainé le passage du tram et la « dé-densification » de l’habitat. Ces
changements n’ont pas amélioré la mixité de la population de ce quartier, qui demeure
encore relativement isolée. Ce quartier se caractérise par sa population jeune : 47% des
moins de 12 ans y habitent, pour 37% de la population totale (21 288 habitants). Les ouvriers
et les personnes sans emploi y sont plus nombreux que sur le reste de la ville. On note aussi
une certaine précarité des contrats de travail, qui s’est accentuée avec la crise économique.
54% des allocataires vivent en dessous du seuil de bas revenu, soit 10 points de plus que
sur Vénissieux. Près d’un tiers des familles ayant un enfant de moins de six ans sont sans
emploi.
Lequartier des Minguettes totalise 123 places en EAJE, soit la majorité de l’ensemble
des places de la ville, avecdeux structures municipales (Carrousel et Capucine) et trois
associatives (Graine d’Eugénie, Eugénie Cotton et Arc en ciel, crèche parentale). En2009,
elles ont été occupées par 501 enfants différents. Huit assistantes maternelles de la crèche
familiale ainsi que 99 assistantes maternelles indépendantes habitent sur ce territoire. Le
quartier bénéficie aussi d’un Lieu d’Accueil Enfants parents (LAEP), Cerf Volant, situé
au rez-de-chaussée d’une tour d’immeuble. Ce lieu est également proposé par le Relais
d’Assistantes Maternelles comme un lieu de regroupement pour les assistantes maternelles
du secteur. Il est toutefois constaté une fréquentation faible et peu diversifiée, tant des
familles que des assistantes maternelles, qui ne saisissent pas toujours l’objectif de la
démarche. Bon nombre d’assistantes maternelles du quartier sont sans emploi car la
mauvaise image du quartier n’attire pas les familles extérieures. De plus la signature du
contrat complexe et le prix de la garde individuelle sont souvent rédhibitoires pour les
familles en difficultés.
Le secteur qui regroupe Parilly et Jules Guesde regroupe 7 185 individus, soit 13% de
la population de la ville et 9 %des enfants de moins de 12 ans. Ce quartier est marqué par
le vieillissement de sa population et par une plus grandemixitésocialequedans l’ensemble
de la ville. Les indicateurs de précarité sont meilleurs que dans les autres bassins de vie,
même si des disparités importantes existent à l’intérieur de ce grand territoire.
Le quartier de Parilly - Jules Guesde dénombre un seul EAJE de15 places, la crèche
Parilly. 63 enfants différents ont occupé ces places en 2009. 6 assistantes maternelles de
la crèche familiale et 52 assistantes maternelles indépendantes habitent sur ce secteur.
Les familles de Parilly - Jules Guesde ont un taux de recours aux EAJE bien supérieur au
57
taux d’équipement du quartier, par conséquent le quartier apparaît comme sous-équipé
au regard des besoins de la population.
Le grand territoire Max Barel-Charréard-Pasteur regroupe 8 067 individus soit 14%
de la population de la ville et 13% des enfants de moins de 12 ans. Il est composé de
trois quartiers distincts ayant peu de liens entre eux, et il n’a donc pas d’unité globale.
Les périmètres d’intervention d’action sociale de la Maison du Rhône traversent ce grand
57
Nombre d’enfants accueillis dans les EAJE du quartier rapporté au total d’enfants de moins de six ans du quartier.
BONNARD Camille - 2012
23
La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation
territoire et rendent l’accès aux services sociaux plus compliqué tant pour la population que
pour les professionnels dans un travail de partenariat (pour les écoles, l’EAJE, le RAM). Les
caractéristiques socio-démographiques de ce territoire sont semblables à celles du reste
de la ville, avec de grandes disparités sociales et économiques d’un « sous-quartier » à
un autre.
Le quartier Max Barel-Charréard-Pasteur compte 36 places en EAJE, au sein de la
structure Pain d’Epices qui a été créée en 2005. En 2009, ces places ont été occupées
par 155 enfants différents. Six assistantes maternelles et 50 assistantes maternelles
indépendantes exercent sur ce secteur. Les familles de Max Barel-Charréard-Pasteur ont un
taux de recours aux EAJE équivalent au taux d’équipement du quartier : tous les enfants qui
obtiennent une place pour un accueil en mode de garde(plus de 15 heures par semaine)ont
donc la possibilité d’être accueillis en EAJE dans le quartier. La particularité de l’EAJE Pain
d’Epices est d’accueillir des populations en grande difficulté sociale, notamment lors de
l’accueil occasionnel. Hormis les écoles, la crèche est l’un des rares services publics identifié
du secteur ; elle y joue donc un rôle social particulier.
Enfin, le grand quartier Moulin à Vent regroupe 11 484 habitants, soit 20% de la
population de la ville et 17% des enfants de moins de 12 ans. C’est un quartier marqué par
le vieillissement de sa population et davantage de mixité sociale que pour le reste de la
ville. Le niveau de vie de ce territoire est en moyenne plus élevé que pour l’ensemble de la
ville. Il existe néanmoins d’importantes inégalités entre quartiers, notamment pour Viviani
et Joliot-Curie, plus sujets à la précarité et enclavés du fait des grands axes de circulation
qui les entourent.
Le quartier Moulin à Vent Viviani totalise69 places en EAJE, dans les crèches
municipales Musicaline et Gribouille d’une part etla crèche associative Moulin à Malice
d’autre part. 242 enfants différents ont occupé ces places en 2009. 11 assistantes
maternelles de la crèche familiale travaillent sur ce secteur ainsi que 63 assistantes
maternelles indépendantes, dont l’activité s’adresse aussi largement à des familles non
vénissianes. Les familles de Moulin à Vent ont un taux de recours aux EAJE légèrement
supérieur au taux d’équipement du quartier.
On observe donc que les crèches sont implantées sur le territoire en fonction des
besoins de la population. Toutefois les bassins de population étant fluctuants, certains
quartiers sont moins bien pourvus que d’autres en places de crèche. M. Damblin précise
58
toutefois qu’ « on est sur un besoin tellement fort des populations qu’elles se déplacent. »
C.Les objectifs de la politique de la petite enfance
1. Le projet social du service Petite Enfance de Vénissieux
Un projet social inscrit l’action des services de la petite enfance dans le cadre plus large du
développement territorial : « il s’agit ici de solliciter les établissements et services d’accueil
58
24
Entretien n°7.
BONNARD Camille - 2012
I.Une politique mise en œuvre par des acteurs multiples sur un territoire aux enjeux spécifiques
petite enfance comme contributeurs au développement éducatif et social territorial, à travers
59
leur projet social. »
A Vénissieux, ce projet s’applique à l’ensemble des structures d’accueil de la ville et a
été élaboré à la fois par des élus, des professionnels de la petite enfance et des directeurs
de centres sociaux. Ainsi, les structures associatives sont elles aussi inclues dans ce projet
social, au même titre que les crèches municipales. Chaque EAJE décline ce projet social
au sein de son projet pédagogique d’établissement, en fonction de ses spécificités. Le
60
projet social s’articule en 11 axes , adaptés au terrain spécifique que constitue la ville de
Vénissieux.
Le premier de ces axes est la promotion d’un accueil de qualité, fondé sur des
compétences professionnelles actualisées et développées ainsi qu’une organisation et des
procédures adaptées. L’accueil de l’enfant et de sa famille se veut personnalisé et adapté
aux besoins. Il est basé sur des valeurs telles que l’équité, le respect de la diversité, la laïcité
et la coéducation.
L’accueil du jeune enfant vise aussi à dépister et prévenir les situations d’exclusion,
dans une optique d’égalité des chances et de cohésion sociale. Cet axe est mis en œuvre
par une procédure favorisant les familles en situation de précarité pour l’obtention d’une
place de crèche, pour encourager la mixité sociale. De plus, l’offre de garde occasionnelle
(moins de 15 heures par semaine) et l’accueil en urgence permettent à certaines familles,
malgré qu’elles n’aient pas d’emploi, de socialiser leur enfant et d’avoir accès à ce service
public.
L’accueil des enfants en situation de handicap constitue le troisième axe de ce projet
social.
Le soutien des savoirs parentaux est également une orientation importante, que j’ai
retrouvée dans plusieurs de mes entretiens. Cet axe de soutien et d’accompagnement est
relativement nouveau, car auparavant les professionnelles étaient plus facilement dans
une position de supériorité par rapport aux familles. Mme Champmartin explique ainsi que
dorénavant, « l’idée c’est de faire ensemble, avec eux. Donc on n’est pas là pour leur dire
comment faire parce que je pense que c’est fini ce temps où les professionnels savaient
61
et apprenaient aux parents. »
Cet axe s’articule avec le suivant, intitulé « favoriser la participation citoyenne des
62
63
usagers que sont les familles ». Depuis le décret d’août 2000 notamment , les familles
sont invitées à participer au fonctionnement de la structure, en donnant leur avis ou en
participant à des activités collectives. Les familles sont particulièrement intégrées dans la
crèche parentale Arc en Ciel puisque celle-ci est gérée par les parents, ainsi que dans les
crèches de centres sociaux (Graines d’Eugénie et Tourni Cotton), qui peuvent davantage
les accueillir dans leur globalité du fait des autres activités proposées par le centre social.
59
PUEYO Bernard, MORETON Françoise. Articuler projet social et projet éducatif dans le domaine de la petite enfance. Institut
ème
National de Recherche Pédagogique. Contribution n°240 de la 8
Biennale de l’Education et de la Formation. P.2.
60
Direction Enfance Education Santé, ville de Vénissieux. Projet social et éducatif 0-6 ans. Les axes de travail du projet social.
16 p.
61
62
Entretien n°5.
Direction Enfance Education Santé, ville de Vénissieux. Projet social et éducatif 0-6 ans. Les axes de travail du projet social.
P.8.
63
Voir infra, p. 42.
BONNARD Camille - 2012
25
La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation
Pour Mme Margerit, cet axe correspond à l’idée que « le parent est capable de. […] Qu’il soit
précaire, qu’il soit dans une difficulté sociale, psychologique, matérielle ou autre, partons
de ce que sait faire le parent, de ce qu’il a à nous montrer, et portons sur cette famille un
64
regard digne. […] L’assistanat clairement c’est pas la solution. »
Le sixième axe vise à mieux prendre en compte les besoins de l’enfant entre deux et
trois ans, notamment face au déclin de la scolarisation dès deux ans et demi, en développant
par exemple un réseau d’assistantes maternelles pour l’accueil péri-scolaire.
Favoriser l’accès de tous les enfants aux activités culturelles, artistiques et sportives,
ainsi que susciter les liens intergénérationnels, constituent les septième et huitième axes.
Le projet social se situe aussi au niveau administratif, avec l’idée de concourir à l’unité
de la politique de la petite enfance à Vénissieux et de promouvoir un travail en réseau
entre les acteurs. Pour cela, il stipule qu’il est nécessaire de formaliser davantage les liens
existants et de distinguer les rôles de chacun pour éviter les chevauchements, tout en
65
développant la transversalité .
66
L’avant-dernier axe correspond à la fusion des RAM et du Point Info .
Enfin, le projet social énonce que la politique de la petite enfance doit soutenir la
promotion sociale des professionnelles, et notamment des assistants maternels.
Si le contenu de ce projet semble comparable à celui de biens d’autres villes, sa mise
en œuvre s’en différencie du fait de l’adaptation aux réalités du terrain et à la spécificité
de sa population.
Par ailleurs, la politique de la petite enfance répond à des objectifs sociétaux plus larges
tels que l’épanouissement des jeunes enfants et leur réussite scolaire et sociale à plus long
terme, ainsi que l’insertion sociale et professionnelle des parents.
2. Un investissement social dans la petite enfance
Si le jeune enfant doit nécessairement passer beaucoup de temps auprès de ses parents
pour sa sécurité affective et son développement, de nombreux travaux de recherche
montrent les effets bénéfiques de l’accueil en collectivité. Celui-ci se doit d’être de qualité
et de respecter le rythme et le bien-être de l’enfant s’il veut favoriser son développement
cognitif, psycho-affectif, physique et social.
L’accueil en crèche constitue tout d’abord un premier lieu de socialisation pour l’enfant,
qui va apprendre à côtoyer d’autres enfants et d’autres adultes que ceux de son cercle
familial. Il va également intérioriser le respect des règles sociales et d’autrui. Ainsi,
« les enfants gardés collectivement ont une meilleure compétence sociale, sont plus
indépendants vis-à-vis des adultes, ont moins peur des étrangers, sont plus sûrs d’eux67
mêmes. »
64
65
Entretien n°6.
Direction Enfance Education Santé, ville de Vénissieux. Projet social et éducatif 0-6 ans. Les axes de travail du projet social.
P. 14.
66
67
Voir supra, p. 24.
FLORIN Agnès. Modes d’accueil pour la petite enfance au regard de la recherche internationale. In BEN SOUSSAN Patrick.
Le livre noir de l’accueil de la petite enfance. Toulouse : Editions Erès, 2010. Collection 1001 BB. P. 91.
26
BONNARD Camille - 2012
I.Une politique mise en œuvre par des acteurs multiples sur un territoire aux enjeux spécifiques
Le développement de l’offre d’accueil de la petite enfance est aussi largement considéré
comme un moyen de favoriser la réussite scolaire et sociale. En effet, « en matière d’héritage
68
social, les mécanismes qui comptent vraiment sont enfouis à l’âge préscolaire. » Les
inégalités s’établissant dès le plus jeune âge, il parait alors important de promouvoir un
accueil collectif de qualité qui permette une certaine égalité des chances. L’accueil en
crèche va ensuite faciliter l’entrée et l’intégration dans le système scolaire. Cet accueil est
notamment très bénéfique pour les enfants issus de milieux en difficultés ou issus de familles
immigrées : « pour les enfants immigrés et de ‘deuxième langue’, des services de qualité
peuvent faciliter l’intégration, l’acquisition linguistique, réduisant ainsi le handicap lors de
69
l’entrée dans le système d’éducation formelle. » Il est en effet avéré que les enfants issus
de milieux dans lesquels on ne parle pas toujours français et ayant passé du temps en
70
collectivité progressent davantage dans l’acquisition du langage . Le développement d’une
telle politique semble ainsi correspondre aux enjeux présents à Vénissieux, du fait d’une
population en forte proportion précaire et d’origine étrangère, ne maitrisant pas toujours le
français.
L’investissement dans l’accueil de la petite enfance est un investissement sur le
long terme, puisqu’in fine l’objectif est de réduire la pauvreté et les inégalités, ainsi que
d’améliorer la santé de la population et la formation de la main d’œuvre. Cette vision se
retrouve lors de différents discours du maire de Vénissieux, qui répète fréquemment que
71
« la jeunesse […] n’est pas un coût, mais un investissement. »
L’accueil de l’enfant dans un service de qualité, et par des professionnels compétents
est donc un des objectifs premiers de la politique petite enfance. Toutefois, l’enfant étant
toujours accueilli avec sa famille, les objectifs de cette politique ne se limitent pas à l’enfant
mais s’étendent à la société toute entière.
3. Un moyen de favoriser l’insertion professionnelle et sociale
L’objectif premier de l’accueil des jeunes enfants est d’offrir un mode de garde aux
parents et donc de leur permettre de concilier leur vie professionnelle et familiale. Cela est
particulièrement vrai pour les femmes, qui sont bien souvent les premières à devoir arbitrer
entre leur emploi et la garde de leur enfant. Ceci se remarque notamment dans les milieux
en difficultés : si une offre de garde peu coûteuse n’est pas disponible, la mère choisira
fréquemment l’option de garder son enfant à domicile au détriment de son travail. « Ainsi,
il existe une relation claire entre une offre de garde élevée et un taux d’emploi des femmes
élevé. En l’absence de services de garde et d’aide publique au retour sur le marché de
72
l’emploi, les congés parentaux peuvent affaiblir le lien des femmes au marché du travail. »
En France, le taux de fécondité est le plus élevé d’Europe avec 1,98 enfant par femme en
68
ESPING-ANDERSEN Gosta, PALIER Bruno. Trois leçons sur l’Etat-providence. Paris : Seuil, 2008. Collection La République
des idées.P. 72.
69
UNICEF, Centre de recherche Innocenti. La transition en cours dans la garde et l’éducation de l’enfant. Bilan Innocenti 8,
2008. P. 9.
70
71
FLORIN, Agnès. Op. cit., p.91.
Intervention de Michèle Picard à l’occasion de la signature du Contrat Enfance Jeunesse [en ligne]. 2 mai 2011. [page
consultée le 15 juin 2012] < http://www.michele-picard.com/ >
72
TABAROT, Michèle. Rapport sur le Développement de l’offre d’accueil de la petite enfance. La documentation française, 2008. P. 14.
BONNARD Camille - 2012
27
La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation
73
2006 , ce qui montre que dans l’ensemble les femmes n’ont pas à arbitrer entre grossesse
et emploi, en partie grâce à une politique d’accueil du jeune enfant efficace. La politique de
la petite enfance répond donc aux objectifs de dynamiser la croissance démographique tout
en palliant au vieillissement de la population, mais aussi d’augmenter la population active
par le travail des femmes. Elle vient de fait alimenter le moteur de la croissance économique,
en générant des emplois et en rendant les territoires dynamiques et attractifs.
La politique de la petite enfance est aussi un « des moyens d’arriver à réaliser l’égalité
hommes-femmes, puisqu’elle permet aux femmes de s’extraire de leur rôle de mère pour
74
s’investir dans une carrière professionnelle. » L’éducation et le soin des enfants restent
toutefois encore largement à la charge des femmes dans la société française, ce qui conduit
à un fort taux de travail à temps partiel parmi les emplois féminins. Parmi ceux-ci, trois sur
75
dix sont subis, ce qui représente un taux plus élevé que dans le reste de l’Europe .
Cette situation se vérifie à Vénissieux, où bon nombre de personnes interviewées
m’ont cité la difficulté d’accueillir des enfants dont les parents ont des horaires atypiques
et irréguliers, avec beaucoup de temps partiels. Grâce au critère des deux parents qui
travaillent, nécessaire pour obtenir une place régulière en crèche, la politique vénissiane
vise à encourager le retour à l’emploi de la population, et en particulier des femmes. Le
maire, Mme Picard, est en effet très sensible à la cause féminine :
C’est compliqué parce qu’on a beaucoup de femmes qui subissent les temps
partiels, les temps partiels imposés. […]On peut pas parler du professionnel des
femmes sans parler de la garde des enfants, quelque part. Je pense que ça va
de pair, au plus vos enfants sont biens dans des services publics, au plus les
femmes se sentent libres de faire des choses aussi. […] C’est les femmes qui
s’occupent des vieux, des enfants, des malades, des personnes handicapées,
etc. Donc au plus vous avez des services publics forts, au plus ça donne de
76
l’émancipation aux femmes.
Cependant, « sur certains bassins d’emploi très dégradés, les lieux d’accueil participent
77
davantage à soutenir les parcours d’insertion qu’à permettre l’accès à l’emploi. » Cette
description correspond au cas de Vénissieux, où le taux de chômage s’élèvait à 18,6%
78
en 2008 . De fait, l’accueil des enfants en mode occasionnel (moins de 15 heures par
semaine), qui ne nécessite pas que les parents aient un emploi, permet à l’enfant de se
socialiser, mais aussi aux parents d’être en contact avec un service public et de recevoir
un accompagnement. Cela leur donne aussi du temps libre, nécessaire pour effectuer leurs
démarches de recherche d’emploi par exemple : « ils font ça aussi pour permettre de
73
Ibid., p. 13.
74
75
76
Ibid., p. 16.
Ibid., p. 17.
Entretien n°9.
77
PUEYO Bernard, MORETON Françoise. Articuler projet social et projet éducatif dans le domaine de la petite enfance. Institut
ème
National de Recherche Pédagogique. Contribution n°240 de la 8
Biennale de l’Education et de la Formation. P.2.
78
INSEE [en ligne]. Chiffres clé : Vénissieux. Evolution et Structure de la population (mise à jour le 30 juin 2011). [page consultée le
18 avril 2012] < http://www.insee.fr/fr/bases-de-donnees/default.asp?page=statistiques-locales.htm >
28
BONNARD Camille - 2012
I.Une politique mise en œuvre par des acteurs multiples sur un territoire aux enjeux spécifiques
faire autre chose, de s’occuper des autres enfants, des démarches administratives, des
79
démarches personnelles… » Comme l’expliquent Bernard Pueyo et Françoise Moreton,
un accueil ponctuel mais régulier peut alors aider à lever les freins successifs
(alphabétisation, permis de conduire…), franchir les étapes, soutenir la
construction d’une sécurité et d’une confiance pour la mère et l’enfant, et faciliter
la séparation progressive ainsi que l’élaboration de projets.
Enfin, la crèche représente pour les parents un premier lieu de contact avec le service public
et ainsi un levier d’insertion et de prévention. Pour Mme Margerit, « la petite enfance c’est
la prévention, on devrait mettre le paquet ! Parce que c’est là où on a les parents, c’est là où
on a les familles, c’est là où on devrait faire passer les messages principaux ! Puisque les
80
familles amènent leur enfant, elles ont pas le choix. » L’accueil des familles débouche sur
un travail d’accompagnement à la parentalité mais aussi de citoyenneté. Il s’agit de rendre
les parents acteurs et de les renforcer dans leur rôle de premier éducateur de l’enfant. Mme
Margerit insiste sur l’importance de recevoir les familles de manière digne, pour leur montrer
que leurs préoccupations sont prises en compte même si une solution n’est pas toujours
disponible. En cela, elle considère réaliser un travail de citoyenneté car les parents ont
81
ainsi un droit de regard sur ce que deviennent leurs cotisations . De la même façon, pour
Mme Picard, la crèche est un « lieu public, laïc et républicain », donc un lieu d’exercice de
82
citoyenneté. Cette idée correspond à l’évolution décrite par Marc-Henry Soulet , selon qui
les nouvelles modalités du travail social visent à parvenir à la « subjectivation de l’individu »,
par un accompagnement individualisé. L’autonomie et la responsabilisation sont alors des
conditions d’intégration sociale.
Ainsi, les politiques publiques en faveur de la petite enfance poursuivent simultanément
plusieurs objectifs de nature différente : satisfaire les besoins des familles, socialiser les
enfants, faciliter la conciliation vie professionnelle/vie familiale et accroitre le taux d’activité
des femmes, soutenir les taux de fécondité, lutter contre la pauvreté infantile, garantir
83
l’égalité des chances. » Ces objectifs peuvent parfois s’avérer contradictoires : comment
par exemple encourager les femmes à travailler sans que l’enfant ne passe trop de temps
en structure collective ? Un congé parental de longue durée peut être une réponse aux
besoins des familles, mais il risque aussi d’éloigner les parents du marché du travail, et
notamment les femmes. La mise en place d’une prestation universelle pour pallier aux coûts
que représente l’arrivée d’un enfant est aussi une solution pour soutenir la natalité, mais
84
elle pose des problèmes d’équité . Il s’agit donc de trouver un compromis délicat entre
différentes options de développement de la politique petite enfance.
Au terme de cette première partie, il semble nécessaire de pointer les deux enjeux
stratégiques que sont l’adaptation aux besoins territoriaux d’une part, et la coordination des
intervenants d’autre part. En effet, il est clair que Vénissieux n’est pas une ville « ordinaire »,
du fait de sa grande mixité sociale, des disparités entre ses quartiers, et de la précarité
79
80
81
82
Entretien n°7.
Entretien n°6.
Ibid.
SOULET, Marc-Henry. Une solidarité de responsabilisation ? In ION, Jacques. Le travail social en débats. Paris : La Découverte,
2005. Collection Alternatives Sociales. 267 p.
83
84
Conseil d’Analyse Stratégique. Rapport sur le service public de la petite enfance. Paris, 2007. P.5.
Ibid., p. 5.
BONNARD Camille - 2012
29
La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation
de sa population. La politique de la petite enfance étant mise en œuvre par des acteurs
multiples et visant des objectifs différents, se pose alors la question de la coordination :
comment les partenaires peuvent-ils collaborer de manière efficace pour répondre aux
besoins de la population ? Comment concilier les objectifs, complémentaires mais parfois
aussi contradictoires de la politique petite enfance ?
C’est pour tenter de répondre à ces enjeux que d’importantes évolutions (législatives
notamment) ont eu lieu durant les dix dernières années, celles-ci allant majoritairement dans
le sens d’une standardisation de la politique de la petite enfance.
30
BONNARD Camille - 2012
II. Une politique s’inscrivant dans une certaine standardisation de l’action publique locale
II. Une politique s’inscrivant dans une
certaine standardisation de l’action
publique locale
Cette deuxième partie a pour objectif de montrer en quoi la politique en faveur de la petite
enfance à Vénissieux s’inscrit dans des évolutions nationales : au niveau législatif tout
d’abord, avec la parution récente de plusieurs décrets modifiant les conditions d’accueil des
jeunes enfants ; mais aussi au niveau des pratiques et des procédures, avec une hausse
des normes en la matière. Comme les politiques publiques dans leur ensemble, la politique
de la petite enfance tend à devenir moins sectorialisée et davantage territorialisée autour de
partenariats transversaux entre les différents acteurs locaux. Tous ces processus amènent
ainsi à une certaine standardisation de l’action publique en faveur de la petite enfance.
A.Les évolutions récentes du cadre législatif :
optimisation ou rationalisation ?
Depuis les années 1970, les attentes des familles envers les lieux d’accueil ont augmenté
et changé. Le regard des parents sur ces structures a évolué vers la reconnaissance de leur
rôle socio-éducatif, d’éveil et de socialisation. Bien que la majorité des parents préfèrent la
85
garde par une assistante maternelle , qui peut avoir des horaires plus souples et propose
un accueil plus individualisé, la demande de places de crèche n’a fait que croitre. Cette
demande s’est en outre diversifiée avec la montée des emplois aux horaires atypiques qui
a généré de nouveaux besoins de la part des familles. Auparavant, les parents inscrivaient
leur enfant en crèche car ils travaillaient tous les deux. Dorénavant, il n’est pas rare qu’un
des deux parents (voire les deux) suive une formation, ait un emploi précaire ou soit au
chômage. Cela nécessite une adaptation de la part des professionnels des lieux d’accueil.
Face à cela, de nouvelles formes de garde ont dû être trouvées, qui ont entrainé plusieurs
réformes de la législation sur l’accueil des jeunes enfants. De 2000 à 2010, trois décrets et
une circulaire vont ainsi tourner une page dans l’histoire de l’accueil des jeunes enfants.
1. Le décret du 1
er
86
août 2000
Ce décret est le premier d’une série de réformes qui vont profondément transformer la prise
en charge des enfants en structures d’accueil. Il commence par donner un nouveau nom aux
85
86
Ceci n’est toutefois pas le cas à Vénissieux, où les parents demandent en priorité une place de crèche. Voir infra, p. 77.
FRANCE, CONSEIL D’ETAT. Décret n°2000-762 du 1
er
août 2000 relatif aux établissements et services d’accueil des
enfants de moins de six ans et modifiant le code de la santé publique. Journal Officiel n°181, 6 août 2000.
BONNARD Camille - 2012
31
La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation
crèches, qui deviennent des Etablissements d’Accueil du Jeune Enfant (EAJE). L’accent
est ainsi porté sur l’accueil des familles dans leur diversité et la tenue de réunions au sein
de la structure. Mme Ruiz note à ce propos le changement généré par ce décret : « avant
les familles étaient dehors et nous on était dedans. Avant le décret d’août 2000 les familles
étaient peu impliquées et y’avait pas cette réflexion et ce cheminement d’ouvrir les portes
87
pour amener les familles à être actrices aussi… » Une avancée est aussi produite pour le
soutien à l’intégration des enfants en situation de handicap. Les établissements ou services
doivent par ailleurs élaborer un projet d’établissement ou de service ainsi qu’un règlement
intérieur qui, après leur adoption définitive, sont transmis au Président du Conseil Général.
Selon Marie-Paule Thollon-Behar, « ce projet leur a apporté une ouverture vers l’extérieur
88
et une dynamique qui n’existaient pas toujours auparavant. »
Le décret permet d’unifier les règles pour les rendre communes aux différents modes
d’accueil (collectif, familial, parental). Il fixe ainsi des qualifications minimales pour les
professionnels (notamment les directeurs de structures) ainsi qu’une capacité d’accueil
maximale en fonction des types de structures et un taux d’encadrement minimal (un adulte
pour cinq enfants qui ne marchent pas, un adulte pour huit enfants qui marchent). Enfin, il
introduit la notion de « multi-accueil », c'est-à-dire la possibilité pour une structure d’accueillir
à la fois des enfants en mode régulier et des enfants en occasionnel, ou bien d’associer
mode de garde collectif et familial. Cette nouvelle pratique va profondément changer les
habitudes et l’organisation des professionnels, qui doivent désormais s’adapter à l’accueil
d’un plus grand nombre d’enfants et de familles aux attentes différentes pour un même
nombre de places.
2. La circulaire du 31 janvier 2002 : la mise en place de la PSU
90
89
La création de la Prestation de Service Unique répond à la nécessité de s’adapter aux
évolutions sociales citées précédemment ainsi qu’aux changements initiés par le décret
d’août 2000. La PSU est définitivement appliquée pour toutes les structures depuis le
31 décembre 2005. Elledevient la seule prestation de service accordée par la CAF pour
les enfants de 0 à 4 ans accueillis en crèche. Elle introduit une caractéristique nouvelle
quant à la tarification : l’heure devient l’unité de référence pour tous les types d’accueil
(la facturation se faisait auparavant au mois). Les établissements appliquent un barème
CAF national de participation financière pour les familles, proportionnelle aux ressources
du foyer. Les professionnels doivent donc signer un contrat (uniquement pour les accueils
réguliers) au début de la relation avec la famille pour fixer et gérer les horaires d’accueil
de l’enfant. La PSU simplifie les choses pour les parents, qui ne paient que le nombre
d’heures qu’ils ont effectivement utilisées. La participation financière des familles a ainsi
baissé depuis 2005. Mais la PSU alourdit les tâches administratives pour les professionnels
gestionnaires, qui doivent assurer les facturations. De plus, le financement de la CAF
dépendant du nombre d’heures de présence réelle des enfants, le personnel de la structure
doit veiller à ce que son taux de remplissage soit toujours supérieur à 70%, en comblant
les places éventuellement vacantes. Au final, la PSU a permis d’assouplir les modalités
d’accueil par une optimisation des capacités d’accueil des équipements et des amplitudes
87
88
89
90
32
Entretien n°1.
THOLLON-BEHAR, Marie-Paule. Du côté des professionnels. In BEN SOUSSAN, Patrick. Op. cit., p. 125.
CAISSE NATIONALE DES ALLOCATIONS FAMILIALES. Lettre circulaire n°2002-025 du 31 janvier 2002.
Voir aussi supra, p. 25.
BONNARD Camille - 2012
II. Une politique s’inscrivant dans une certaine standardisation de l’action publique locale
d’ouverture mieux adaptées au besoin des familles, de rendre plus lisibles les aides de
la CAF en simplifiant les prestations de service, de mieux prendre en compte les besoins
atypiques et d’accompagner le développement du multi-accueil. Elle a toutefois suscité une
profonde modification des pratiques professionnelles en introduisant une notion financière
et en demandant une réorganisation significative des EAJE.
3. Le décret du 20 février 2007
91
Toujours dans l’optique de mieux répondre aux besoins des familles, le gouvernement
français met en place en 2006 un Plan Petite Enfance. Ce dernier annonce neuf mesures
92
précises : amplifier la création de places d’accueil, lever les obstacles au développement
de ces places et faciliter le recrutement des professionnels de la petite enfance, autoriser
des micro-crèches à titre expérimental, aider les PME à créer des crèches, diffuser aux
professionnels et à la PMI un guide d’accompagnement afin d’offrir les mêmes services
sur tout le territoire, accompagner la mise en œuvre de la loi rénovant la profession
d’assistante maternelle, développer l’emploi dans les filières de la petite enfance, mieux
informer les familles sur les possibilités de garde existantes et assouplir les modalités du
congé maternité. L’idée générale est de faire face à la pénurie de personnel diplômé et à
l’augmentation des demandes de places, tout en réduisant les coûts et en assouplissant le
fonctionnement des différents types d’accueil.
Le décret de février 2007 s’inscrit dans la continuité du Plan Petite Enfance. Sous
certaines conditions, les postes de direction d’EAJE peuvent désormais être confiés à
des éducateurs de jeunes enfants, des infirmiers, des psychomotriciens ou des sagesfemmes, ce qui était impossible avant. Ce décret autorise aussi les micro-crèches à
titre expérimental : à mi-chemin entre l’accueil individuel et l’accueil collectif, de statut
municipal, associatif ou privé, elles sont conçues pour augmenter l’offre d’accueil dans
certains territoires, notamment ruraux. Les assistants maternels de la micro-crèche peuvent
accueillir de trois à neuf enfants dans une maison ou un appartement. La municipalité
bénéficie ainsi de nouvelles places de crèches à moindre coût, mais la question se pose
de savoir si la qualité d’accueil de ces structures est à la hauteur de celle des crèches
traditionnelles.
93
4. Le décret du 7 juin 2010
Plusieurs des principales mesures de ce décret ont été vivement critiquées par les
professionnels de la petite enfance. Si le taux d’encadrement des enfants demeure
inchangé, le pourcentage minimal de personnel diplômé de la petite enfance passe de 50%
à 40%. Le décret donne aussi la possibilité d’accueillir des enfants en surnombre (10%
pour les établissements de moins de 21 places, 15% pour les établissements entre 21 et
91
FRANCE, PREMIER MINISTRE. Décret n°2007-230 du 20 février 2007 relatif aux établissements et services d’accueil des
enfants de moins de six ans et modifiant le code de la santé publique. Journal Officiel n°45, 22 février 2007.
92
RICAUD-DROISY, Hélène. Plan petite enfance 2006 et rapport sur le service public de la petite enfance 2007 : éléments d’analyse.
In BEN SOUSSAN, Patrick. Op. cit., p. 111.
93
FRANCE, PREMIER MINISTRE. Décret n°2010-613 du 7 juin 2010 relatif aux établissements et services d’accueil des
enfants de moins de six ans. Journal officiel n°0130, 8 juin 2010.
BONNARD Camille - 2012
33
La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation
40 places, 20% pour tous les autres), dans une certaine limite hebdomadaire. Les microcrèches sont reconnues comme des structures d’accueil en tant que telles, d’une capacité
maximale de 10 places. Par ailleurs, dans un contexte de déscolarisation des enfants de
deux ans, un nouveau type d’EAJE, les jardins d’éveil, voit le jour : ceux-ci peuvent accueillir
de 12 à 80 enfants de deux ou plus afin de faciliter leur entrée à l’école maternelle. Ces
deux nouveaux modes d’accueil que sont les micro-crèches et les jardins d’éveil suscitent
de nombreuses inquiétudes quant à leur qualité d’accueil, du fait des réglementations plus
souples auxquels ils sont assujettis en matière de qualification des personnels et de taux
d’encadrement.
C’est en réaction au projet de ce décret qu’est né au niveau national le collectif de
mobilisation « Pas de bébé à la consigne ». Celui-ci dénonce « la dégradation de la
qualité de l'accueil et [la] marchandisation des crèches au détriment de leurs missions
94
d'éveil » que représente le décret de 2010. Les professionnels redoutent également
une déprofessionnalisation de leur filière qui vienne détériorer les conditions d’accueil. Ils
dénoncent ainsi la hausse du taux d’accueil en surnombre rendu possible par les nouvelles
règles, la baisse de 50% à 40% du seuil minimal obligatoire de personnel qualifié. Ils
s’opposent aussi à la déréglementation mise en œuvre dans les jardins d’éveil ainsi qu’à
la possible création de maisons d’assistants maternels, « en réalité des crèches low cost,
sans règle de fonctionnement et exposant les professionnel(le)s à de graves problèmes
95
de responsabilité » . Leurs revendications semblent toutefois ne pas avoir été entendues
puisque le décret de 2010 a bel et bien été adopté, et les maisons d’assistants maternels
créées.
96
5. La directive européenne « services » du 12 décembre 2006
Cette directive, aussi dite « directive Bolkestein », vise à libéraliser le marché européen des
services, à l’image des biens, des capitaux et des hommes. Les formalités administratives
sont réduites pour les prestataires de services intervenant dans un autre Etat membre que
le leur. Après le vote de cette directive en 2006, les pays européens disposaient de trois ans
pour la transposer dans leur législation nationale. La directive est ainsi entrée en vigueur
en France fin 2009.
Elle s’applique également aux services sociaux et donc aux services de la petite
enfance, ce qui a généré de nombreuses protestations. Les professionnels de la petite
enfance craignent en effet que cette directive entraine la dérégulation progressive de
leur secteur et son ouverture à la concurrence, ainsi que la suppression des subventions
publiques. Ils ont ainsi demandé à ce que la petite enfance soit exclue du champ
d’application de la directive et soit considérée comme un service d’intérêt général et d’utilité
sociale, et non comme un service pouvant dépendre uniquement des lois du marché
intérieur européen. Cette demande a cependant été refusée par le Ministère du Travail, de
la Solidarité et de la Fonction Publique pour qui l’application de la directive n’induit aucune
94
POTTIEE-SPERY, Philippe. Levée de bouclier des professionnels de la petite enfance [en ligne]. La Gazette Santé Social, 19
février 2010. [page consultée le 18 mai 2012] < www.gazette-sante-social.fr/actualite/a-la-une-Levee-de-bouclier-des-professionnelsde-la-petite-enfance-16178.html >
95
96
Ibid.
PARLEMENT EUROPEEN ET CONSEIL. Directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 relative aux services dans le
marché intérieur. Journal Officiel de l’Union Européenne n° L376, 27 décembre 2006.
34
BONNARD Camille - 2012
II. Une politique s’inscrivant dans une certaine standardisation de l’action publique locale
dérégulation ni aucun abaissement des exigences de qualité dans le secteur de la petite
enfance.
On assiste donc au niveau national voire européen à une multiplication des types
de modes de garde s’efforçant de répondre à la diversification des besoins des familles,
l’assouplissement des règles permettant d’augmenter le nombre de places d’accueil. Si
cette multiplicité des modes d’accueil et des gestionnaires ne va pas dans le sens de la
standardisation, cette dernière est en revanche bien présente dans la tendance générale
d’assouplissement des règles d’accueil.
Ces réformes successives montrent bien la tension constante entre les aspects
quantitatif et qualitatif. La volonté est d’une part d’accueillir le plus possible d’enfants sur un
nombre limité de places afin de restreindre le coût financier, et d’autre part d’améliorer la
qualité de l’accueil en apportant une réponse adaptée à l’évolution des besoins des familles.
Si pour certains il s’agit d’un processus vertueux d’optimisation des équipements
d’accueil et d’une meilleure utilisation des services, pour d’autres les nouvelles législations
soumettent le secteur de la petite enfance à des normes de rentabilité et de rationalisation
peu compatibles avec ses missions initiales.
La ville de Vénissieux a bien sûr dû se conformer et s’adapter à ces réformes
législatives. Les professionnels que j’ai rencontrés m’ont tous fait part des changements
que cela avait généré dans leur quotidien et de leur ressenti, voire parfois de leur
97
mécontentement ou de leur incompréhension .
D’autres adaptations ont également été nécessaires face à la hausse du nombre et de
l’exigence des normes et des procédures dans le champ de la petite enfance.
B.La standardisation des pratiques et des procédures
Cette sous-partie a pour objectif de montrer en quoi la petite enfance n’échappe pas
à la standardisation des pratiques qui a caractérisé les politiques sociales depuis la
Seconde Guerre Mondiale. Ce secteur a en effet subi un processus de professionnalisation
remarqué : composé à l’origine de bénévoles, il est aujourd’hui organisé en métiers, avec
98
une multiplication des diplômes de professions du social . C’est le cas pour le champ
de la petite enfance, avec les diplômes de puéricultrice, d’éducateur de jeunes enfants,
d’auxiliaire de puériculture, le CAP petite enfance ou encore l’agrément d’assistant maternel.
Cette professionnalisation s’est accompagnée d’une meilleure qualité du service rendu aux
populations. Dans l’optique d’améliorer davantage cette qualité sont également apparues
de nombreuses normes pour les pratiques en matière d’hygiène, de santé ou d’alimentation.
Ces recommandations entrainent une certaine standardisation du travail quotidien des
professionnels, qui reçoivent une formation similaire sur ce sujet et sont ensuite soumis à
des normes identiques et contraignantes.
Cette standardisation a pour finalité la qualité de l’accueil, dans une double exigence de
sécurité et d’égalité de traitement des usagers. Nous allons voir que la qualité telle qu’elle
est entendue ici répond à une définition particulière, qui n’est pas nécessairement partagée
universellement.
97
98
Voir infra, p. 81.
ION, Jacques. Op.cit.
BONNARD Camille - 2012
35
La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation
1. Une définition particulière de la qualité
Le domaine de la petite enfance n’échappe pas la mise en place de référentiels de qualité ni
à la tendance actuelle d’évaluation des politiques publiques. En effet, parmi les évolutions
récentes de l’action publique, l’influence du « new public management » et de sa rhétorique
de performance et d’évaluation des politiques publiques se fait particulièrement sentir. Le
« new public management » correspond à l’idée d’introduire des techniques de gestion
privées dans les institutions publiques, dans un contexte de crise de l’Etat-providence, de
restriction des moyens budgétaires et de nouvelles demandes des citoyens (désormais
appelés « usagers » et non plus « personnes », comme s’ils étaient devenus des « clients »
99
de l’administration) . Pour Pierre Muller, cela correspond à un « changement du référentiel
100
global : référentiel de la performance publique puis référentiel de l’efficacité globale ». Le
recours à la notion de prestation de service (la PSU par exemple dans le cas de la petite
enfance), la généralisation des normes relatives à la qualité et à l’évaluation introduisent
ainsi des pratiques managériales dans les politiques sociales.
De façon plus générale, on observe petit à petit une transformation des schémas
de pensée de l’action publique. Marleen Brans et Diederick Vancoppenolle relèvent cinq
changements majeurs dans la manière dont sont pensées et construites les politiques
publiques :
la mise en place de stratégies pour mieux identifier les objectifs des politiques,
le renforcement des moyens de coordination entre politiques, la dépendance
toujours plus forte par rapport à la qualité de l’information, l’importance
croissante de la fonction d’évaluation et la nécessaire implication de la société
101
civile dans le processus politique .
Ces cinq thématiques s’appliquent de manière cohérente en ce qui concerne la politique
de la petite enfance, comme nous l’avons vu pour l’identification des objectifs multiples de
cette politique, et comme nous le verrons ensuite pour les autres thèmes. Nous allons ici
nous intéresser plus spécifiquement à l’évaluation. Jean Leca la définit comme « l’activité de
rassemblement, d’analyse et d’interprétation de l’information concernant la mise en œuvre
et l’impact de mesures visant à agir sur une situation sociale, ainsi que la préparation de
102
mesures nouvelles ». Il s’agit d’évaluer non seulement l’organisation d’une administration
et son fonctionnement, mais bien l’impact de l’action publique sur une population, ses effets
et sa performance par rapport aux objectifs attendus.
Cette idée centrale de performance se retrouve au cœur de la LOLF (Loi Organique
relative aux Lois de Finances), qui organise des missions divisées en programmes, chacun
étant assorti d’indicateurs de mesure de sa performance. Le Projet de Loi de Finance
de la Sécurité Sociale (PLFSS) est ainsi organisé en PQE (Programmes de Qualité et
99
100
101
OBERDOFF, Henri. Les institutions administratives. Paris : Armand Colin, 2002.
MULLER, Pierre. Les politiques publiques. Paris : PUF, 2006. P. 112.
BRANS, Marleen & VANCOPPENOLLE Diederick. « Policy-making reforms and civil service systems: an exploration
of agendas and consequences ». In PAINTER, M. & PIERRE, J. Challenges to state policy capacities, global trends and
comparative perspectives. Palgrave Macmillan, 2005. P. 171.
102
36
LECA, Jean. « L’évaluation dans la modernisation de l’Etat ». Politiques et management public. Vol. 11, n°2, juin 1993, p. 165.
BONNARD Camille - 2012
II. Une politique s’inscrivant dans une certaine standardisation de l’action publique locale
103
d’Efficience) . La petite enfance appartient par exemple au programme « Famille » :
l’objectif numéro trois de ce programme est intitulé « concilier vie professionnelle et vie
familiale » et est mesuré par un indicateur sur l’offre en modes de garde. Celui-ci se
décompose en deux sous-indicateurs : l’offre de garde formelle pour 100 enfants de moins
de six ans et le taux d’occupation des EAJE. Ainsi, on constate que des mesures très
précises sont mises en place pour évaluer des actions liées à des objectifs plus généraux.
Ces objectifs répondent aussi à des impératifs issus de l’européanisation des politiques
publiques, puisqu’un des objectifs fixé par le Conseil Européen de Barcelone de 2002 est
de mettre en place des structures d’accueil pour au moins 33% des enfants de moins trois
104
ans, afin de favoriser l’insertion des femmes sur le marché du travail .
La performance devient donc un horizon à atteindre, légitimé par un motif d’efficacité et
de correction des défaillances du système. L’usage de la statistique et des mesures chiffrées
se banalise lui aussi. Le bilan du Contrat Enfance Jeunesse réalisé tous les quatre ans à
Vénissieux est un bon exemple d’évaluation chiffrée des effets de la politique de la petite
enfance.
L’idée de performance est associée à celle de qualité. Cette dernière est ici entendue
comme un concept lié au discours de l’évaluation, qui privilégie l’objectivité et les chiffres.
Dans un monde soucieux de minimiser les risques, il s’agit de maitriser l’incertitude et d’y
105
faire face par « une quête de critères permanents ou stables de rationalité » et le recours
de plus en plus fréquent à des experts. Pour Peter Moss, cette approche correspond au
106
paradigme positiviste de la modernité , c'est-à-dire à un discours scientifique rationnel
se voulant objectif, universel et normalisateur. La standardisation est donc un moyen de
parvenir à la qualité, en décontextualisant toute politique pour lui appliquer des critères et
des normes universels. Peter Moss distingue trois groupes de critères d’évaluation pour
la politique de la petite enfance : les critères de structures (taille des groupes, niveau de
formation, ratio adultes/enfants, contenu du programme éducatif), de processus (ce qui se
fait, les activités des enfants, les interactions entre le personnel et les enfants) et de résultats
(développement de l’enfant, réussite scolaire ultérieure, satisfaction des parents). Selon lui,
les résultats étant difficiles à mesurer, l’évaluation des politiques de la petite enfance s’est
focalisée sur les critères structurels et de processus. Ainsi le « comment » est davantage
interrogé et évalué que le « pourquoi » et ses résultats, ce qui aboutit à la standardisation
des procédures et des pratiques.
La qualité est ainsi un paradigme central dans le secteur de la petite enfance : on le
retrouve dans tous les discours et tous les travaux de recherche sur l’accueil du jeune enfant.
Il est en effet largement admis qu’étant donné le public spécifique que constituent les jeunes
enfants, les structures d’accueil doivent plus que n’importe quels autres services sociaux
produire un service de qualité. Cela débouche sur de nouvelles exigences auxquelles
doivent s’adapter les professionnels dans leurs pratiques quotidiennes.
103
ELBAUM, Mireille. « Les indicateurs de performance en matière de politiques sociales : Quel sens pour l'action publique ? »
Revue de l'OFCE, 2009/4 n° 111, p. 39-80.
104
105
TABAROT, Michèle. Op.cit., p. 18.
MOSS, Peter et al. Au-delà de la qualité dans l’accueil et l’éducation de la petite enfance. Les langages de l’évaluation.
Toulouse : Erès, 2012. P. 160.
106
Ibid., p. 170.
BONNARD Camille - 2012
37
La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation
2. Les exigences liées à l’amélioration de la qualité
Les évolutions précédemment citées se traduisent au quotidien dans la pratique des
professionnels par de plus grandes exigences en matière de qualité, notamment dans les
procédures. Au sein des EAJE, la qualité se décline sous de multiples facettes, allant des
procédures d’hygiène alimentaire à l’accueil bienveillant de l’enfant et de sa famille. Nous
nous intéresserons ici à la qualité sous son aspect « technique », c'est-à-dire aux normes
de sécurité, d’hygiène, d’alimentation et de santé.
Mes entretiens ainsi que mon expérience au sein du service Petite Enfance m’ont offert
de multiples exemples de la prégnance des normes procédurales au quotidien dans les
structures d’accueil. La PMI ainsi que l’ANSES (Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de
l’Alimentation, de l’Environnement et du Travail) et au niveau régional l’Agence Régionale
de Santé (ARS) imposent ainsi des directives en matière de santé que le service Petite
Enfance se doit de mettre en œuvre dans ses EAJE. Ces normes évoluant et étant mises
à jour constamment, la mise en cohérence nécessite un suivi permanent et laborieux.
Depuis deux ans, certaines professionnelles de terrain de Vénissieux ainsi que les
médecins de crèche ont formé un groupe de travail chargé de réécrire le protocole santé
afin de l’actualiser. Ce protocole, alliant des aspects administratifs et sanitaires, est un
document de référence distribué à chaque professionnel et indiquant la conduite à tenir
dans différents types de situation (fièvre, allergie, chutes…). Mme Henner, directrice de la
crèche municipale Carrousel, fait notamment partie de ce groupe de réflexion et précise
qu’ « effectivement il y a des choses tout le temps à ajouter ou à réactualiser parce que ça
107
évolue tout le temps, notamment au niveau de l’AFSSA. » De nombreux sujets font débat
lors des réunions de ce groupe de réflexion : lors de l’une d’elles à laquelle j’ai pu assister, les
personnes présentes ont questionné des thématiques diverses telles que la communication
entre les structures lors d’une alerte à la pollution chimique, le contenu de la trousse de
secours au sein de l’EAJE, l’utilisation de thermomètres rectaux, ou encore le traitement des
chocs anaphylactiques. Au niveau alimentaire, c’est la méthode HACCP (Hazard Analysis
Critical Control Point) qui prédomine. Celle-ci se définit comme une méthode ainsi qu’un
système de gestion fondé sur sept principes et douze étapes, qui permettent d’identifier,
d’évaluer et de maîtriser les dangers significatifs au regard de la sécurité des aliments.
De plus, un livret d’accueil est délivré aux parents lors du premier accueil de leur
enfant en EAJE : celui-ci contient des décharges et autorisations parentales, des certificats
médicaux ainsi qu’une fiche sur l’alimentation adaptée à l’âge de l’enfant. Ce livret est donc
à la fois un outil d’accueil et de sensibilisation des parents à de bonnes pratiques de santé
pour leur enfant, mais aussi un moyen pour la crèche de se protéger en cas de problème
de santé chez l’enfant.
On observe en effet une extrême préoccupation de sécurité car la crèche est tenue
pour responsable si l’enfant reçoit un médicament qu’il n’aurait pas dû recevoir. A titre
d’exemple, lors d’un entretien avec une directrice de crèche, celle-ci a été sollicitée à deux
reprises par deux professionnelles qui souhaitaient avoir son autorisation pour administrer
un comprimé de paracétamol à un enfant. Même cet acte que l’on pourrait juger anodin est
sous la responsabilité de la directrice afin de respecter le protocole de santé et d’assurer
la sécurité des enfants.
107
Entretien n°4. L’AFSSA, l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments, a fusionné en juillet 2010 avec l’Agence
Française de Sécurité Sanitaire de l’Environnement et du Travail pour donner l’ANSES.
38
BONNARD Camille - 2012
II. Une politique s’inscrivant dans une certaine standardisation de l’action publique locale
Les EAJE sont régulièrement soumis à des visites de contrôle de la veille sanitaire et
de la PMI, qui vérifient l’aménagement et l’hygiène des locaux, le taux d’encadrement, etc.,
ce qui oblige les directrices et les professionnels à être encore plus attentifs au respect des
normes diverses.
Par ailleurs, les professionnels de la petite enfance reçoivent des formations sur
ces thématiques leur permettant d’actualiser leurs savoirs et leurs compétences sur ces
procédures. En août 2011, deux journées de formation ont ainsi été organisées avec
le CNFPT (Centre National de la Fonction Publique Territoriale). Parmi les thématiques,
deux étaient particulièrement en lien avec l’adoption de pratiques jugées « bonnes »
et « standard » : « Sensibilisation aux bons gestes et aux bonnes postures pour les
personnels » et « Sécurité alimentaire, une responsabilité partagée » à propos de la
méthode HACCP appliquée dans les structures éducatives. La mise en conformité aux
normes se retrouve donc dans les formations des professionnels qui reçoivent ainsi des
consignes standardisées quant aux pratiques à adopter.
Une certaine frustration est cependant perceptible lorsque les normes sont plus strictes
pour les crèches municipales que pour les crèches associatives. Mme Margerit déclare ainsi
avec humour que « les normes sont beaucoup plus sévères pour la fonction publique et
on voit que les associations ont des dérogations à toutes les normes. […] Les microbes
108
doivent sélectionner les crèches municipales et pas les crèches associatives ! » Cela
peut engendrer des difficultés de gestion au niveau du service Petite Enfance puisque le
personnel de ce service est perçu comme personnel ressource et interlocuteur expert par les
professionnels de terrain. Ces derniers s’adressent donc en premier lieu aux personnes du
service, qui ne peuvent pas apporter une réponse uniforme en fonction du type de structure
concernée.
Ces normes sont désormais incontournables pour tous les acteurs du secteur de
la petite enfance. Bien que parfois jugées « lourdes » et entrainant des modifications
organisationnelles importantes, elles garantissent un accueil sécurisé et de qualité aux
jeunes enfants.
Elles s’accompagnent en outre de contraintes de gestion générées par la CAF.
3. Les exigences de la CAF
La CAF étant le principal financeur de la politique de la petite enfance, elle exige en
contrepartie de pouvoir contrôler la manière dont sont utilisés ces financements. M. Damblin
reconnait qu’étant donné le taux élevé de cofinancement de la CAF, le fait qu’elle « demande
109
des comptes par rapport à ça n’est pas illogique ». Elle fixe ainsi des objectifs de qualité
et de quantité à atteindre au sein des EAJE, mesurables par différents taux et statistiques.
Les directrices de crèche doivent ainsi veiller à ce que chaque taux soit respecté chaque
jour, ce qui demande une vigilance constante.
La première de ces exigences concerne le taux d’occupation ou taux de remplissage.
La CAF prend en compte le taux d’occupation qui correspond aux heures d’accueil
effectivement facturées aux familles, rapportées au nombre de places agréées multiplié par
l’amplitude horaire d’ouverture annuelle. Ce taux doit être supérieur à 70% pour que la CAF
verse la PSU. La possibilité nouvelle d’accueillir des enfants en surnombre suppose que le
108
109
Entretien n°6.
Entretien n°7.
BONNARD Camille - 2012
39
La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation
taux d’occupation peut être supérieur à 100% sur certaines journées ; il ne doit néanmoins
pas dépasser 100% sur l’ensemble de la semaine. En réalité, comme l’indique Mme Henner,
le taux d’occupation n’atteint jamais 100% car « on ne peut pas avoir des enfants de 7h du
matin jusqu’à 18h30. Si j’ai un enfant qui vient de 9h à 17h30, je ne peux pas trouver un
110
enfant de 7h à 9h et de 17h30 à 18h30. »
Cependant, ce taux d’occupation ne correspond pas à l’occupation réelle de la
structure, car les parents peuvent réserver et payer des heures qu’ils n’utiliseront pas par
la suite, si l’enfant est malade ou s’ils ont un empêchement par exemple. La CAF demande
à ce que la différence entre le taux d’occupation réel et le taux d’occupation financier soit
inférieure à 10%, afin de s’assurer que les financements et les participations financières
des familles soient effectivement utilisés.
Le nombre d’heures réelles, lorsqu’il est rapporté au total des charges financières d’une
structure, sert à calculer le prix de revient horaire d’une place de crèche. Ce prix ne doit pas
er
dépasser le seuil d’exclusion de la CAF. Au 1 janvier 2012, ce seuil d’exclusion s’élevait
111
à 15,19 euros pour une heure d’accueil en multi-accueil . Au-delà de ce prix de revient, la
structure peut subir des sanctions financières.
La CAF impose aussi aux EAJE de limiter la participation financière des familles dans
le cadre d’un taux d’effort, calculé en fonction des revenus du foyer et du nombre d’enfants
à charge.
L’obligation pour les crèches de respecter le multi-accueil (régulier et occasionnel)
er
depuis le décret du 1 août 2000 implique par ailleurs un taux de rotation important
des enfants. Une place n’est plus occupée par un seul enfant mais par plusieurs qui
se succèdent dans une même journée. Cela aboutit pour les professionnels à accueillir
davantage d’enfants et de familles, ce qui demande un temps spécifique qui n’est par
conséquent pas passé auprès des autres enfants. A Vénissieux, une place était occupée par
1,07 enfant en 1999 et par 3,77 enfants en moyenne en 2009, augmentation qui démontre
112
une optimisation des places et une meilleure utilisation des équipements .
113
Une circulaire récente
de la CAF soulève en ce moment de nombreux
questionnements et oppositions : celle-ci demande à ce que les EAJE fournissent désormais
les couches pour les enfants, alors que les parents le faisaient auparavant. Cela représente
un coût nouveau pour les structures, non compensé par une hausse parallèle des
financements. De plus cet achat nécessite des capacités de stockage dont tous les EAJE
ne disposent pas.
La CAF effectue en outre des visites de contrôle dans les EAJE. Lors de ces visites, elle
exige que le trombinoscope ou un organigramme de l’équipe soit affiché, que les horaires
ainsi que la participation financière des familles soient également affichés clairement, que
le règlement de fonctionnement soit mis à disposition des familles, et que les données
concernant la structure soient à jour sur le site www.mon-enfant.fr .
110
111
Entretien n°4.
CAF [en ligne]. Prestations de service. Prix plafonds et montants à compter du 1
er
janvier 2012. [page consultée le 12
juillet 2012] < www.caf.fr/sites/default/files/caf/791/Documents/Partenaires/bareme_prestations_de_service_2012.pdf>
112
113
40
DAMBLIN, Matthieu. Op.cit., p. 9.
CNAF. Lettre circulaire n°2011-105 du 29 juin 2011 relative à la PSU.
BONNARD Camille - 2012
II. Une politique s’inscrivant dans une certaine standardisation de l’action publique locale
Des tableaux de bord synthétisant l’ensemble des statistiques (réalisés tous les mois)
ainsi qu’un bilan du CEJ (effectué tous les quatre ans) sont également exigés par la CAF.
L’introduction de pratiques gestionnaires et d’un impératif de rentabilité entraine une
forte hausse du temps administratif, notamment pour les directrices de structures. Celles-ci
doivent en effet vérifier en permanence qu’elles respectent les taux fixés par la CAF, sous
peine de voir leurs financements diminuer. Un bon exemple pratique est fourni par MariePaule Thollon Behar :
EAJE « Les petits lutins », lundi matin, 8 heures : deux coups de téléphone, la
maman d’Ambrine annonce que celle-ci est malade et ne viendra pas de toute
la semaine, même chose pour Iliès mais seulement aujourd’hui, il reviendra
peut-être demain. Céline a noté ces absences et, entre les arrivées des enfants
avec leurs parents et leur accueil, elle consulte la liste d’attente et appelle
successivement trois familles pour leur proposer les places vacantes. Elle sait
qu’il faut assurer un taux de remplissage de 70%, sinon la structure risque d’être
114
en difficulté, vis-à-vis de la CAF.
Cet exemple montre à la fois l’effet bénéfique de l’imposition d’un taux d’occupation
minimum, qui permet à certaines familles d’être « dépannées » à la dernière minute,
mais aussi le caractère chronophage de cette gestion. Le temps passé auprès des
enfants présents et la qualité de ce temps diminuent au profit d’appels téléphoniques aux
parents. Selon Mme Thollon-Behar, « l’argument "service rendu aux parents" et l’argument
"rentabilité de la structure" vont dans le même sens. Il serait certes dommageable que les
structures ne fonctionnent qu’au tiers de leur capacité, mais le temps passé à gérer les
115
places disponibles est du temps (et de la sérénité) en moins pour les enfants présents. »
Enfin, suite à des directives étatiques imposant à la CNAF de réduire ses dépenses,
cette dernière a dû réduire ses financements par de nouvelles règles, mises en œuvre
depuis les CEJ de 2006 entre les CAF et les collectivités. Le CEJ fixe ainsi une dotation
pour quatre ans qui ne peut pas évoluer. Plus important encore, le taux de financement de
la CAF dans le cadre du CEJ est limité à 55% du reste à charge de la collectivité, c'est-àdire une fois déduites la PSU, les subventions éventuelles et la participation des familles.
Ce taux de cofinancement s’élevait auparavant à 70%, ce qui représente une baisse des
moyens pour bon nombre de collectivités.
Le secteur de la petite enfance est donc soumis à des restrictions budgétaires
comparables à celles des autres secteurs des politiques publiques. Cette rationalisation
oblige à des compromis et des adaptations dans les stratégies des collectivités si cellesci veulent maintenir leur offre d’accueil. M. Damblin explique que Vénissieux parvient
à « compenser cette diminution de prestation enfance jeunesse [PSEJ] en augmentant
l’activité. […] C'est-à-dire que globalement la subvention reste à peu près stable alors qu’il
y a une dégressivité. Pour la ville s’il y a une augmentation d’activité ça veut dire qu’on
116
dépense plus. »
La CAF parait donc être une préoccupation constante des professionnels de la petite
enfance ; elle est omniprésente dans le discours de ces acteurs, car ses directives touchent
les financements et l’organisation même des structures.
114
115
THOLLON BEHAR Marie-Paule. Du côté des professionnels. In BEN SOUSSAN, Patrick. Op.cit., p. 126.
Ibid., p. 127.
116
Entretien n°7.
BONNARD Camille - 2012
41
La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation
L’apparition de pratiques néo-managériales dans le champ des politiques sociales
semble ainsi conduire à une standardisation à laquelle la politique de la petite enfance
n’échappe pas.
Les évolutions législatives ainsi que la standardisation des normes et des pratiques
semblent quelque peu entrer en contradiction et soulèvent un paradoxe : comment
concilier l’assouplissement de la réglementation des EAJE en ce qui concerne les taux
d’encadrement et la qualification des professionnels, tout en respectant les normes
exigeantes que nous venons d’étudier ? Cette idée rejoint le questionnement de Laurence
Rameau et Philippe Duval : « comment ne pas risquer une forme de déréglementation à
117
l’intérieur même d’une extrême réglementation de l’accueil des jeunes enfants ? » Les
auteurs soulignent aussi le risque de perdre la « cohérence éducative globale » recherchée
entre les différents services d’accueil, si chacun est soumis à des règles différentes. Ce
paradoxe est par ailleurs relevé par l’ensemble des professionnels que j’ai rencontrés, qui
ont l’impression qu’on leur demande de « faire plus et mieux avec moins ». Beaucoup
craignent que les acteurs décisionnaires des politiques sociales, mobilisés par la qualité,
substituent des normes gestionnaires aux principes qui donnaient leur sens aux professions
du social.
Au nom de la qualité, précise Michel Chauvière, on réorganise, à grand renfort
de prescriptions normatives, les conditions même de la professionnalité, en
disputant ce droit aux professions elles-mêmes et aux lieux de formation.
Tous sont sommés d'intégrer le nouvel ordre des pratiques et de renoncer aux
régulations obsolètes : relationnelles, cliniques ou simplement compréhensives.
Ces nouveaux outils composent un triptyque : ex ante : les référentiels et les
118
schémas ; in itineris : les bonnes pratiques ; ex post , l'évaluation .
Nous allons maintenant voir que la politique de la petite enfance s’inscrit également dans
d’autres tendances actuelles des politiques publiques, que sont la territorialisation et la
gouvernance.
C.Territorialisation et gouvernance : la petite enfance
au cœur des enjeux actuels des politiques publiques
1. La territorialisation de la politique de la petite enfance
A partir des années 1980 et des lois de décentralisation, les politiques familiales qui
avaient été longtemps étatiques et centralisées commencent à entrer dans le champ de
compétences des collectivités territoriales. C’est le cas des politiques de jeunesse et de
la politique de la petite enfance en particulier. Cette impulsion issue de l’Etat passe par la
multiplication des dispositifs et des contrats, d’abord avec les contrats « Enfance » d’une
117
RAMEAU, Laurence et DUVAL, Philippe. Accueil de la petite enfance : pour une cohérence éducative. In BEN SOUSSAN,
Patrick. Op.cit., p. 157.
118
CHAUVIERE, Michel. Trop de gestion tue le social. Essai sur une discrète chalandisation. Paris : La Découverte, 2007.
Collections Alternatives Sociales. P.63.
42
BONNARD Camille - 2012
II. Une politique s’inscrivant dans une certaine standardisation de l’action publique locale
part et « Temps Libre » d’autre part, puis avec les Contrats Enfance Jeunesse. On passe
ainsi selon la formule de Renaud Epstein d’un « gouvernement centralisé du local » hérité du
119
gaullisme à un « gouvernement négocié des territoires » . L’Etat pousse en effet, à travers
l’action de la CNAF, à ce que les collectivités territoriales développent ces politiques et ces
compétences qui ne sont pourtant pas obligatoires. Comme le précise M. Damblin, « c’est
du plus qu’on considère normal pour les usagers, les citoyens, et en même temps ça reste
du plus pour la collectivité. On n’est pas obligé quoi. On a 350 places en crèche, on pourrait
120
en avoir 700, mais on pourrait n’en avoir que 50 et on ne serait pas en tort. » Chaque
collectivité est donc libre de développer son offre d’accueil des jeunes enfants comme elle
l’entend.
Toutefois, le pouvoir et la légitimité des municipalités étant renforcés par la
121
décentralisation, la pression sociale exercée sur elles s’accroit . Les citoyens attendent
beaucoup de leurs élus locaux en ce qui concerne l’offre d’accueil, ce qui oblige ces
élus à répondre à cette demande. Selon Pierre Muller, les collectivités locales deviennent
ainsi des « producteurs de politiques publiques » et les élus doivent démontrer leur
capacité à résoudre les problèmes de leur territoire ainsi qu’à favoriser son développement
122
économique et social . « Le local apparait aujourd’hui comme un espace où l’exigence
123
d’efficacité pourrait se réconcilier avec l’exigence de proximité.
» Non seulement la
proximité est valorisée car elle permet de mieux prendre en compte les besoins des citoyens,
mais l’action à un niveau local est aussi jugée plus adaptée et moins coûteuse, donc plus
efficiente.
Ce processus de décentralisation et de renforcement du local s’accompagne en outre
d’un changement de cadre de pensée des politiques publiques. Celles-ci ne sont peu
à peu plus construites de manière sectorielle, avec chacune leur population cible, leurs
moyens d’action et leurs professionnels, mais davantage pensées de manière globale sur un
territoire. Cela permet d’identifier les besoins à l’échelle du territoire et d’avoir une réflexion
plus transversale, moins sectorialisée. C’est ce qu’observe notamment Pierre Muller lorsqu’il
étudie les politiques agricoles et environnementales : pour lui la sectorialité, caractéristique
des politiques publiques d’Etat, est en crise et « l’espace local apparait comme un lieu
potentiel de remise en cause de la sectorialité […] et comme un lieu où pourraient se
124
reconstruire des relations de proximité ».
Du fait de cette désectorialisation, la politique de la petite enfance devient ainsi
une politique transversale, faisant partie intégrante des politiques sociales et s’articulant
avec elles. Ce principe de transversalité est observable dans l’ensemble des politiques
publiques. Il consiste à mobiliser les services des collectivités territoriales qui interviennent
directement ou indirectement auprès des jeunes enfants pour les amener à travailler de
manière transversale. Le constat de Jean-Pierre Halter à propos des politiques de jeunesse
s’applique également à la politique de la petite enfance :
119
120
EPSTEIN, Renaud. « Gouverner à distance. Quand l’Etat se retire des territoires ». Esprit, novembre 2005, n°11, pp.96-111.
Entretien n°7.
121
122
er
RICHEZ, Jean-Claude. « Politiques de jeunesse : la nouvelle donne. » Agora, n°43, 1 trimestre 2007, pp. 4-10.
MULLER, Pierre. « Les politiques publiques entre secteurs et territoires. » Politiques et management public, vol. 8 n° 3,
1990, p. 29
123
124
Ibid., p. 31.
Ibid.,p. 31.
BONNARD Camille - 2012
43
La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation
Certains élus et techniciens admettaient que l’obligation de partenariat avec
l’État les avaient conduits à travailler différemment, en créant des synergies
entre services, en mettant en commun des compétences qui favorisaient
l’élaboration de stratégies, en tenant compte des différentes ressources
internes dont disposaient la collectivité et les associations pour répondre de
façon univoque et adaptée aux problématiques de jeunesse du territoire. Cette
transversalité permettait d’avoir une vision plus globale de ces questions, une
meilleure lisibilité des actions et d’agir de manière complémentaire en interne
dans les institutions publiques, ainsi qu’au niveau des différents territoires
125
d’intervention.
Par conséquent, la politique de la petite enfance ne se soucie plus uniquement de fournir
un mode de garde mais également de permettre aux EAJE d’être un lieu de développement
et d’épanouissement pour l’enfant, un lieu d’accompagnement et de soutien des parents,
un lieu d’insertion sociale, etc. Pour cela, les équipes de professionnels de la petite enfance
travaillent en collaboration avec les autres services de la mairie, avec la CAF, les services
de PMI et différents acteurs de la protection de l’enfance, afin d’assurer un suivi global des
jeunes enfants et de leurs parents.
Ce travail en réseau transparait dans le discours des acteurs : « J’ai un réseau très large
126
127
au niveau des partenaires. », « Le partenariat c’est quelque chose de très important. »,
« On est sur des périodes où les notions d’horizontalité fonctionnent à plein, notamment avec
128
l’exemple des réseaux […] et notamment avec des notions de territoire par exemple. »
Toutefois, si la volonté de transversalité est bien présente, elle est en pratique encore
difficilement mise en œuvre du fait de la multiplicité des acteurs locaux, qui n’ont pas toujours
les mêmes objectifs ou les mêmes modes de fonctionnement.
Le coordinateur enfance jeunesse a ainsi pour rôle l’amélioration de la collaboration
des différents partenaires.
2. Le poste de coordinateur enfance jeunesse : une illustration de la
territorialisation et de la transversalité
A Vénissieux, le poste de coordinateur a été créé en même temps que la signature du
premier contrat Enfance, c'est-à-dire en 2000. Le coordinateur n’était alors en charge que
du secteur de la petite enfance. Lorsque cette personne est partie et a été remplacée par
M. Damblin en 2009, le profil de poste a été modifié afin qu’il soit en cohérence avec le
nouveau Contrat Enfance Jeunesse signé en 2006 et qu’il respecte les attentes de la CAF.
Le nouveau coordinateur est alors devenu coordinateur du secteur de la petite enfance
et du secteur de l’enfance, et il appartient à la Direction Enfance Education Santé de la
ville. Le secteur de la jeunesse faisant partie d’un autre service, la ville de Vénissieux ne
respecte donc pas la volonté de la CAF que le CEJ prenne en compte les enfants de 0 à
18 ans. A Vénissieux, le CEJ ne concerne ainsi que les enfants de 0 à 12 ans. M. Damblin
explique que « la CAF pousse à ce que la jeunesse soit prise en compte pour avoir une vision
125
er
HALTER, Jean-Pierre. « Politiques territoriales de jeunesse et transversalité. » Agora, n°43, 1 trimestre 2007, p. 45.
126
127
128
44
Entretien n°2.
Entretien n°3.
Entretien n°7.
BONNARD Camille - 2012
II. Une politique s’inscrivant dans une certaine standardisation de l’action publique locale
globale de la politique enfance jeunesse sur la ville, et qu’on ne scinde pas les différents
129
publics en fonction de leur tranche d’âge. » Selon lui, le fait que Vénissieux soit une ville
de taille importante rend difficile la création d’un véritable poste de coordinateur enfance
jeunesse : « avoir une vision globale c’est difficile quand il y a beaucoup d’équipements,
beaucoup d’enfants touchés, et à un moment on n’arrive plus à tout embrasser, donc il faut
130
bien qu’on scinde et qu’on articule les choses. » La transversalité n’est donc pas totale
et rencontre des obstacles de cloisonnement entre les différents services municipaux.
Au niveau national, les missions des coordinateurs ne sont pas définies précisément.
Leur nombre et leurs compétences vont augmenter au fur et à mesure des décennies, sans
qu’aucun texte législatif ne vienne encadrer cette fonction. Seule la circulaire du 2 novembre
131
1981 indique que les collectivitésterritoriales participent à l’élaboration et à la mise en
œuvre de la politique de la petite enfance. Ce texte recommande pour la première fois «
d’accueillir la demande » des familles mais aussi de « susciter l’offre ». Il n’est toutefois
qu’incitatif et la prescription portant sur la coordination est peu précise, les coordinateurs
petite enfance n’étant pas mentionnés.
Par conséquent, aucun profil de poste fixe n’existe, et des personnes de formations
très diverses peuvent occuper cette fonction : puéricultrices, éducateurs de jeunes enfants,
animateurs, travailleurs sociaux ou encore cadre de la fonction publique territoriale.
Si aucune définition claire n’est disponible, Olga Baudelot et Sylvie Rayna décrivent ce
poste comme suit :
La mission de ces coordonnateurs sera, à la fois, de gérer l’existant en matière
d’accueil des jeunes enfants, de faire vivre la petite enfance comme une entité
autonome et unifiée, et de développer une politique globale à leur égard. Ils
devront se confronter à la transversalité et à la diversité, prendre en compte les
attentes nouvelles des parents pour eux-mêmes et leurs jeunes enfants. En fait,
ils se trouvent au carrefour des interlocuteurs concernés par la petite enfance :
132
les usagers, les professionnels, les décideurs et les partenaires.
Le poste se construit donc dans une position d’interface entre les acteurs intervenant dans
la mise en œuvre de la politique de la petite enfance. Il s’agit de mettre en cohérence
les diverses structures et équipes autour du projet municipal pour la petite enfance. Le
coordinateur a en outre pour rôle d’analyser la demande et de la rapprocher de l’offre,
dans une optique de rapprochement entre les élus et les usagers d’une part, et entre les
personnels et les partenaires extérieurs d’autre part.
M. Damblin déclare ainsi :
Ce qui était intéressant dans le poste de coordinateur enfance jeunesse,
c’est qu’on était sur l’entrée "besoins des familles", qui ne sont pas toujours
représentées au sein des instances de décision des mairies. […] Ca nous oblige
129
130
Entretien n°7.
Ibid.
131
FRANCE, MINISTERE CHARGE DES AFFAIRES SOCIALES. Circulaire n° 4 du 2 novembre 1981 relative au
développement, à la coordination et à l'organisation des modes d'accueil et de garde des jeunes enfants. Bulletin officiel n° 81/49,
texte n° 21963, 9 p.
132
BAUDELOT, Olga & RAYNA, Sylvie. « La coordination de la petite enfance : une nouvelle fonction relationnelle. »
Recherches et prévisions, n°61, 2000, p. 63.
BONNARD Camille - 2012
45
La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation
à sortir un peu de la logique comptable ou gestionnaire. […] On est au service du
133
public.
L’objectif est en outre de parvenir à certaines synergies pour optimiser les actions des
partenaires ainsi que les financements. Le coordinateur enfance jeunesse est l’interlocuteur
privilégié de la CAF, principal financeur de la politique de la petite enfance, et fait le lien
entre cette institution et les EAJE.
Cette fonction de relation et de mise en relation s’inscrit dans l’évolution des métiers
de l’intervention sociale vers le relationnel et la coordination. Elle peut par exemple être
comparée à la mission d’un chef de projet dans le cadre de la politique de la ville, dont
l’ambition est de mettre l’accent sur les conditions de vie locales et de rapprocher les
habitants des décideurs.
La particularité du poste de coordinateur enfance jeunesse est donc de se situer
dans une position très transversale. Sa seule hiérarchie est celle du chef de service,
et il n’a aucune personne sous ses ordres. Cette transversalité peut alors parfois
entrer en contradiction avec la verticalité qui caractérise habituellement les organisations
municipales. Cela peut se traduire par exemple par une confusion entre les missions du
coordinateur et celles du directeur de service. L’axe du projet social du service Petite
Enfance précise ainsi que « le poste de coordinateur mérite d’être précisément défini et à
134
distinguer de celui du chef de service ».
Les responsabilités du coordinateur enfance jeunesse sont cependant très variables
d’une ville à l’autre, puisqu’aucun profil de poste prédéfini n’existe. A Lyon, par exemple, le
poste de coordinateur enfance jeunesse est en fait occupé par deux coordinateurs petite
enfance, rattachés à la Direction de l’Enfance. Ils ne sont donc chargés que des EAJE,
pour l’accueil des enfants de 0 à 3 ans. Du fait de la taille très importante de la ville,
un service spécifique est chargé des questions financières et des relations avec la CAF.
Les coordinateurs petite enfance travaillent ainsi uniquement sur les projets transversaux
d’amélioration qualitative de l’offre d’accueil, tels que les projets artistiques dans les
structures par exemple. De plus, des coordinatrices supplémentaires existent pour chaque
arrondissement et sont responsables de la gestion des EAJE de l’arrondissement. En
revanche, à Vénissieux, étant donné la moindre taille de la ville et les moyens financiers plus
restreints, le coordinateur enfance jeunesse a en charge à la fois les questions financières,
l’analyse des besoins et de l’offre existants, les relations inter-partenariales et les divers
projets de service en cours. En somme, le coordinateur enfance jeunesse de la ville de
Vénissieux tente de coordonner et d’améliorer l’offre d’accueil tant au niveau quantitatif
que qualitatif. Le point commun demeure la transversalité du poste, quelle que soit la
municipalité.
Ainsi le poste de coordinateur enfance jeunesse représente une illustration pertinente
de la transversalité recherchée dans le politique de la petite enfance, transversalité
caractéristique des politiques sociales actuelles. Celle-ci se met également en œuvre au
travers de partenariats. Ces derniers posent toutefois question en matière de gouvernance,
car la multiplicité des acteurs collaborant sur le territoire rend peu aisée la visibilité des
véritables décideurs de la politique de la petite enfance.
133
Entretien n°7.
134
Direction Enfance Education Santé, ville de Vénissieux. Projet social et éducatif 0-6 ans. Les axes de travail du projet
social. P. 14.
46
BONNARD Camille - 2012
II. Une politique s’inscrivant dans une certaine standardisation de l’action publique locale
3. Les partenariats et les problèmes de gouvernance
Comme nous l’avons vu précédemment, de multiples acteurs interviennent dans la mise en
œuvre de la politique de la petite enfance sur le territoire vénissian. Ces acteurs ont des
statuts divers : ils peuvent être issus des collectivités territoriales, comme la mairie et le
Conseil Général qui intervient au travers de l’action de deux Maisons du Rhône et de leur
service de PMI, ils peuvent dépendre des institutions parapubliques telles que la CAF, ou
encore appartenir à des associations. Ces dernières jouent en effet un rôle croissant dans
la production des politiques sociales et sont de plus en plus intégrées dans les partenariats.
Les crèches associatives par exemple, jouent le même rôle de service public d’accueil des
jeunes enfants que les crèches municipales.
La politique de la petite enfance subit comme d’autres politiques la rénovation de l’action
publique, amenée par l’utilisation de nouveaux instruments. Parmi ceux-ci, on peut citer la
contractualisation (avec l’exemple du CEJ), le travail par projet (projet social et éducatif,
projets d’établissement…), le travail en partenariat et la gouvernance. Nous allons nous
intéresser ici à ces deux derniers instruments, qui pour Julien Damon sont des notions floues
135
mais « à la mode » .
Le partenariat est surtout promu à l’échelon local et a émergé en parallèle des politiques
de lutte contre l’exclusion (politique de la ville, politiques d’insertion). Ce changement
de vocabulaire est lié aux nouveaux impératifs de modernisation et de performance de
l’intervention publique. Le terme « partenariat » n’a cependant pas encore d’existence
juridique et relève davantage du management public. Le Dictionnaire Critique de l’Action
Sociale en donne la définition suivante :
Un rapport complémentaire et équitable entre deux parties différentes par
leur nature, leur mission, leurs activités, leurs ressources et leur mode de
fonctionnement. Dans ce rapport, les deux parties ont des contributions
mutuelles différentes mais jugées essentielles. Le partenariat est donc fondé
sur un respect et une reconnaissance mutuelle des contributions et des parties
impliquées dans un rapport d’interdépendance. De plus, le partenariat laisse
place à des espaces de négociation, où les parties peuvent définir leur projet
136
commun.
Cette idée d’interdépendance et de contributions mutuelles est observable dans le cas de
la politique de la petite enfance, puisque la municipalité dépend des financements de la
CAF et de l’agrément de la PMI pour ouvrir de nouvelles structures. Chaque participant du
partenariat autour de la politique de la petite enfance impose ses contraintes et ses critères,
tout en devant respecter ceux des autres.
Julien Damon évoque par ailleurs le jeu de « co » pour désigner les nouvelles méthodes
de construction des politiques sociales : « co-production, co-construction, co-animation, co137
responsabilité, et, bien entendu, co-financement ». On tente par exemple d’inclure la
population dans la politique de la petite enfance et de réaliser de la « coéducation » avec les
parents. Le fonctionnement partenarial est aussi caractérisé par de nombreuses réunions
135
DAMON, Julien. « La dictature du partenariat. Vers de nouveaux modes de management public ? » Futuribles, numéro
273, mars 2002, p.1.
136
BARREYRE, Jean-Yves & BOUQUET, Brigitte. Dictionnaire critique de l’action sociale, article « Partenariat ». Paris :
Bayard, 2006. Collection Travail Social. 637 p.
137
DAMON, Julien. Questions sociales et questions urbaines. Paris : PUF, 2010. P. 296.
BONNARD Camille - 2012
47
La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation
de coordination et de concertation. Durant mon mois de stage, ce type de réunion était quasi
quotidien. Cette fréquence se justifie par l’idée que chacun peut participer équitablement à
la construction des politiques. Cependant, des spécificités, la hiérarchie ou la conflictualité
viennent fréquemment compromettre cet idéal.
Ce travail partenarial ne va en effet pas sans poser certaines questions. A travers
le foisonnement de formes que le partenariat peut prendre, il apparait davantage comme
un fonctionnement imposé de l’action publique décentralisée que comme une modalité
138
librement négociée. Julien Damon parle d’ailleurs de « dictature du partenariat » pour
signifier combien le partenariat est devenu incontournable dans les politiques sociales.
Selon lui, comme dans un jeu, le partenariat suppose des règles du jeu claires, un objet
commun et une égalité entre les partenaires. Or ces conditions ne sont pas toujours réunies :
aucun cadre juridique clair n’existe pour les partenariats (hormis les Partenariats PublicsPrivés) et les partenaires ne sont pas tous égaux. En effet, dans le cas de la politique de
la petite enfance, si l’on peut considérer les EAJE associatifs comme des « prestataires de
service », ceux-ci sont largement tributaires de la municipalité pour leur financement et sont
finalement peu indépendants. De la même façon, la CAF dispose d’un certain ascendant
sur la municipalité puisqu’elle finance en grande partie l’offre d’accueil. M. Damblin explique
bien cette dépendance qui oblige les élus à s’adapter aux changements décidés par la CAF,
en prenant l’exemple de la baisse du taux de cofinancement du CEJ de 70% à 55% : « tous
les élus se sont dits : "vous nous avez dit ça et puis vous changez les règles du jeu en cours
139
de contrat". » Ainsi, le terme de partenariat n’est peut-être pas toujours adapté car les
acteurs ne sont pas constamment sur un pied d’égalité.
La notion de « partenariat » est étroitement corrélée à celle de « gouvernance ». Cette
dernière est également un des mots clés de l’évolution des politiques publiques et a fait
l’objet de nombreux travaux de recherche. Elle traduit les nouvelles formes que peut prendre
l’action publique, sans toutefois avoir de définition précise. Pour Patrick Le Galès,
la gouvernance est d’abord un chantier de recherche qui concerne les formes
de coordination, de pilotage et de direction des secteurs, des groupes, de la
société, au-delà des organes classiques du gouvernement. […] Il s’agit d’une
piste à explorer pour expliquer notamment les formes contemporaines et les
transformations (mais aussi les permanences) de l’État et de l’action publique.
[…] La gouvernance peut être définie comme un processus de coordination
d’acteurs, de groupes sociaux et d’institutions, en vue d’atteindre des objectifs
définis et discutés collectivement. La gouvernance renvoie alors à l’ensemble
d’institutions, de réseaux, de directives, de réglementations, de normes, d’usages
politiques et sociaux ainsi que d’acteurs publics et privés qui contribuent à la
stabilité d’une société et d’un régime politique, à son orientation, à la capacité de
140
diriger et à celle de fournir des services et à assurer sa légitimité.
La gouvernance est donc un processus faisant entrer en interaction des institutions, des
réseaux d’acteurs publics ou privés ainsi que des normes, dans l’optique de fournir un
service. Ce concept semble s’appliquer à la politique de la petite enfance, qui voit des
partenaires se coordonner autour de normes diverses, dans le but de produire un service à la
138
139
140
DAMON Julien, Op.cit.
Entretien n°7.
LE GALES, Patrick. « Gouvernance ». In BOUSSAGUET, L. et al. Dictionnaire des politiques publiques . Paris : Les
Presses de Sciences Po, 2006, pp. 244-251.
48
BONNARD Camille - 2012
II. Une politique s’inscrivant dans une certaine standardisation de l’action publique locale
population. La diversification des acteurs, des services offerts et des objectifs de la politique
de la petite enfance est une évolution importante à prendre en compte pour caractériser
son mode de gouvernance.
Lhuillier et Petrella distinguent trois éléments constitutifs d’un régime de gouvernance :
les acteurs impliqués dans la production du service ainsi que leur statut, les instruments de
politiques publiques utilisés en vue d’atteindre les objectifs fixés, ainsi que les modalités de
141
coordination mises en œuvre . La façon dont ces éléments sont combinés aboutit selon
eux à quatre types de régimes de gouvernance, ces derniers pouvant faire varier fortement
la participation des usagers, l’accessibilité de l’offre ou encore sa qualité.
La gouvernance publique est caractérisée par des politiques mises en œuvre
principalement par des acteurs publics, les règles et les critères de l’intérêt général étant
définis par l’administration publique.
La gouvernance marchande met en concurrence les différents prestataires potentiels
à travers des mécanismes tels que des appels d’offre ou de la sous-traitance, mis en place
par la puissance publique.
La gouvernance multilatérale ou partenariale implique une diversité d’acteurs publics
et privés dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques locales, autour
d’instances de coordination horizontale et décentralisée. Les politiques publiques sont ainsi
co-construites en fonction des divers intérêts représentés.
Enfin, la gouvernance citoyenne fait également participer des acteurs non institutionnels
(usagers, associations…) qui permettent de faire émerger l’évolution des besoins.
Ces quatre modèles sont bien entendu des idéaux-types, et la politique de la petite
enfance constitue toujours une hybridation des ces différents types de gouvernance. A
Vénissieux, la gouvernance marchande n’existe quasiment pas puisqu’une seule crèche
142
d’entreprise existe et que la création de crèches privées n’est pas encouragée . En
revanche, les trois autres modèles de gouvernance sont présents puisque si la politique de la
petite enfance était originellement fixée par la municipalité, elle intègre aujourd’hui d’autres
partenaires, notamment associatifs, et tente d’associer la population à cette politique. Le
régime de gouvernance de la politique de la petite enfance de Vénissieux peut donc être
caractérisé de « mixte ». La gouvernance citoyenne demeure toutefois limitée car les
Vénissians sont encore peu impliqués dans la construction de la politique de la petite
enfance. Rappelons de plus que la relation bilatérale entre la municipalité et la CAF reste
prédominante par rapport aux autres. Pour Bernard Eme et Laurent Fraisse, la gouvernance
locale de la politique de la petite enfance est en fait construite sur une juxtaposition de
143
relations bilatérales .
La diversification des modes de garde et des acteurs de la politique de la petite enfance
amènerait donc à une diversification des modes de gouvernance, voire à une hybridation
de ceux-ci. Certains auteurs vont cependant plus loin et redoutent que cette diversification
mène en fait à une fragmentation de la gouvernance. Pour Eme et Fraisse, il s’agit là
141
LHUILLIER, Vincent & PETRELLA, Francesca. La régulation locale dans le secteur de la petite enfance. Charleroi : Colloque
« A la recherche de solidarités », 2005. Centre de recherche interdisciplinaire pour la solidarité et l’innovation sociale. 6 p.
142
143
Voir infra, p. 73.
EME, Bernard & FRAISSE, Laurent. « La gouvernance locale de la diversification des modes d’accueil : un nouvel enjeu
de "cohésion sociale" ». Recherche et prévisions, n°80, juin 2005. P. 16.
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49
La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation
144
d’un enjeu de cohésion sociale . En effet, selon eux, malgré la décentralisation et la
territorialisation, la politique de la petite enfance demeure relativement opaque, du fait
notamment de la multiplication de ses objectifs, de ses gestionnaires et des modes de
garde. La pluralité des normes locales qui en découle génère des difficultés de régulation :
la diversification entraine une fragmentation voire une illisibilité de l’offre d’accueil pour les
familles.
De plus, une particularité française est que la réponse aux besoins des familles est
financée à un niveau national, tandis que la gestion et la coordination se font au niveau
local. Ainsi, « deux scènes politiques sont en jeu, l’une liée à la régulation verticale entre
des appareils politico-administratifs de différents niveaux territoriaux (rapports Etat/CNAF,
rapports CAF/conseils généraux/communes, etc.), l’autre à la coordination des acteurs
145
concernés localement. » Des orientations sont fixées à l’échelle nationale, auxquelles
les acteurs locaux doivent se plier ou au moins s’adapter. La municipalité se retrouve par
conséquent dans une position relativement privilégiée : « interface entre ces deux scènes,
les acteurs politiques et administratifs locaux sont, de toute évidence, dans une position
stratégique confortable au croisement des deux types de régulation ». Malgré les problèmes
de gouvernance cités précédemment, on peut donc considérer que la municipalité est au
centre de l’action publique en faveur de la petite enfance et joue un rôle de pilote.
Au cours de ces dix dernières années, les collectivités locales se sont souvent
affirmées comme les pilotes des dispositifs d’action en direction des enfants et
des jeunes, lorsqu’elles ont su combiner les différentes mesures proposées par
l’État ou par la CAF par exemple, et quand elles ont su animer l’espace public
146
avec l’ensemble des partenaires, en particulier avec les associations.
Cette situation est observable à Vénissieux, où le service Petite Enfance est le premier
interlocuteur de tous les partenaires intervenant dans la mise en œuvre de la politique de
la petite enfance.
144
145
146
50
Ibid., p. 1.
Ibid., p. 14.
HALTER, Jean-Pierre. Op. cit., p. 48.
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II. Une politique s’inscrivant dans une certaine standardisation de l’action publique locale
147
Un partenariat difficile
Finalement, comme le montre le schéma ci-dessus, les questions de gouvernance et
de partenariats sont centrales dans le champ de la petite enfance comme pour l’ensemble
des politiques sociales. Elles illustrent les « tâtonnements » de la puissance publique et ses
tentatives d’adaptation aux nouvelles réalités sociétales ainsi qu’à l’évolution des besoins
du public. Julien Damon va même jusqu’à parler de « souk territorial » et de « bricolage »
pour qualifier ces nouveaux instruments : « comme la réponse publique unilatérale est
difficilement envisageable face à la complexité et à l’individualisation des questions sociales,
148
le "bricolage" partenarial est plus adapté. »
Face à ce « souk territorial », la récente note d'analyse du Centre d’Analyse
149
Stratégique préconise de rendre obligatoires et publics des schémas départementaux de
développement de l'offre d'accueil du jeune enfant, afin de rationaliser les moyens existants
dans les différents territoires. Dans le Rhône, une Commission Départementale de l’Accueil
des Jeunes Enfants (CDAJE), constituée de professionnels, d’élus et de parents, a été créée
en 2007. Celle-ci a élaboré un Schéma Départemental de l’Accueil du Jeune Enfant et de
sa famille (SDAJE) pour 2012-2015, ce qui correspond à sa mission d’observatoire de l’offre
et de la demande en matière d’accueil du jeune enfant. Ce schéma réaffirme des valeurs
(équité, accessibilité, coéducation) et propose des orientations pour rendre cohérents les
150
dispositifs d’accueil du jeune enfant dans le Rhône . Ce schéma n’a cependant aucune
valeur prescriptive et aucun élu ou professionnel de Vénissieux n’y participe. Pour M.
Damblin, « c’est plus une analyse de l’existant, sur des politiques facultatives. Ca réaffirme
un cadre général, des objectifs généraux à atteindre, mais plus sur du bon sens de
147
148
149
150
Schéma issu de DAVID Olivier. Op.cit., p. 12.
DAMON, Julien. Op.cit., p. 11.
Centre d’Analyse Stratégique. Quel avenir pour l’accueil des jeunes enfants ? Note d’analyse n°257, janvier 2012. 12 p.
DEPARTEMENT DU RHONE. Schéma départemental de l’accueil du jeune enfant et de sa famille, 2012-2015. 2012. 36 p.
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51
La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation
151
politiques publiques. » Mme Margerit regrette néanmoins la perte d’informations que peut
152
représenter la non participation à cette instance de centralisation des besoins .
Cette seconde partie a permis de montrer les changements multiples auxquels fait face
la politique de la petite enfance, en parallèle des politiques sociales : évolutions du territoire
d’action, des modes de relations (État, collectivités territoriales, associations), des échelons
de décision.
La politique de la petite enfance s’inscrit donc bien dans une certaine standardisation
des politiques sociales. Ces dernières semblent toutes suivre certaines tendances actuelles
de territorialisation de l’action publique, de fonctionnement partenarial et de transversalité.
On peut par exemple prendre la description que fait Valérie Löchen de la politique de la ville.
153
L’auteur la qualifie de « contractuelle, transversale, territoriale, partenariale et globale »,
cinq adjectifs que nous avons employés pour qualifier la politique de la petite enfance. Cette
dernière ne serait alors qu’une politique sociale comme une autre, subissant les mêmes
enjeux et les mêmes évolutions.
La ville de Vénissieux se trouve par ailleurs confrontée à de nouvelles réglementations
et de nouvelles normes de procédures et de pratiques, auxquelles les différents acteurs
sont contraints de s’adapter. Cependant cette adaptation se fait avec des spécificités qui
demeurent, et des effets différents en comparaison d’autres villes.
151
152
153
52
Entretien n°7.
Entretien n°6.
LOCHEN, Valérie. Comprendre les politiques d’action sociale. Paris : Dunod, 2010. Collection Action sociale. 464 p.
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III. Une politique différenciée préservant une identité singulière
III. Une politique différenciée préservant
une identité singulière
Le fait que la ville de Vénissieux soit souvent surnommée « la rebelle » laisse entendre que
la ville a une identité singulière. Mon enquête de terrain m’a permis d’observer que cette ville
ne se conforme pas toujours à ce que peuvent faire d’autres villes de même envergure ou à
ce que les politiques nationales imposent. Cette différenciation provient pour une part d’une
volonté politique, mais aussi d’autre part d’une adaptation nécessaire aux réalités locales.
A.Une différenciation induite par l’adaptation aux
spécificités du terrain et de sa population
Cette première sous-partie aura pour objectif de montrer en quoi la politique de la petite
enfance mise en œuvre à Vénissieux se différencie des tendances nationales, du fait des
spécificités de la population. Comme nous l’avons vu précédemment, les habitants de
Vénissieux sont caractérisés par leur précarité, ce qui oblige les acteurs de la politique de
la petite enfance à adapter leurs pratiques.
Le questionnement que nous aurons ici rejoint celui de Jacques Donzelot : « comment
l’Etat, instance du collectif par excellence et représentant de l’intérêt général, peut-il être
localisé et se déployer à travers des modes d’action ajustés à des populations spécifiques
154
placées dans des situations particulières ? » . Dans notre cas, il ne s’agit pas de l’Etat mais
de la municipalité de Vénissieux, qui doit s’adapter aux besoins spécifiques de ses citoyens.
1. Une diversification des modes d’accueil qui reste limitée
L’accueil des jeunes enfants se caractérise actuellement par la diversification des formes
qu’il peut prendre. Plusieurs nouveaux types de modes de garde ont été crées durant la
dernière décennie, dans l’optique de répondre à une demande croissante et à des besoins
de plus en plus divers. Ainsi sont apparus le multi-accueil, les micro-crèches, les jardins
d’enfants, les maisons d’assistantes maternelles, etc. Ces modes de garde se distinguent
de la crèche ou de la halte-garderie « classiques » par leur plus grande souplesse et leurs
normes moins exigeantes.
A Vénissieux, si le multi-accueil a été appliqué, en conformité avec les critères de la
PSU, les modes d’accueil demeurent néanmoins relativement traditionnels. On dénombre
huit EAJE municipaux dont une crèche familiale et cinq EAJE associatifs dont une crèche
parentale. Une seule crèche privée d’entreprise existe sur le territoire, dans le quartier
Moulin à Vent. La diversification des modes d’accueil demeure donc limitée sur le territoire
vénissian.
154
DONZELOT, Jacques. Devenir de l’Etat providence et travail social. In ION, Jacques. Op.cit.
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53
La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation
Cette réalité s’explique pour deux raisons. La première est d’ordre socio-économique :
les micro-crèches, crèches privées ou autres modes d’accueil alternatifs sont souvent plus
coûteux pour les familles que les modes d’accueil collectifs classiques, car ils ne sont
pas toujours en contrat avec la CAF. Ils correspondent ainsi davantage aux besoins de
familles plus aisées qui sont prêtes à payer un prix plus élevé pour faire garder leur enfant.
Les familles vénissianes, en revanche, si elles sont confrontées à ce genre de dilemme,
préféreront sans doute qu’un des deux parents, probablement la mère, cesse de travailler
pour garder l’enfant à domicile. M. Damblin explique que le reste à charge n’est pas pour la
structure mais pour les familles, avec des frais à avancer. Par conséquent, « pour certaines
familles cela convient, mais pour des familles plus précaires comme on a à Vénissieux, ça
répond moins à la demande. […] A l’inverse de communes comme Lyon, on est sur un terrain
155
d’implantation moins favorable à Vénissieux, y’aurait moins de réponse de la population. »
Il résulte de cela que le taux de couverture (nombre de places en EAJE par rapport
au nombre total d’enfants de moins de trois ans) de Vénissieux est en baisse et se situe
désormais dans une moyenne plutôt basse en comparaison d’autres villes, alors qu’il
était plutôt dans la moyenne haute auparavant. Néanmoins les villes qui ont vu leur offre
d’accueil augmenter ont très souvent recours aux crèches privées et aux micro-crèches,
dont le nombre a explosé, comme à Lyon par exemple. Certaines villes vont même jusqu’à
acheter des places de crèche privées, ce qui coûte moins cher et engage sur un terme plus
court, sans impliquer de personnel municipal. La ville de Vénissieux a refusé ce type de
fonctionnement.
Le développement d’une offre privée n’est cependant pas interdit puisque l’accord de
la municipalité n’est pas requis pour ouvrir une crèche privée. La mairie donne seulement
un avis consultatif. La politique vénissiane n’encourage toutefois ni la diversification ni
la privatisation de l’accueil des jeunes enfants et le bilan du CEJ 2006-2010 indique
que l’arrivée d’une structure privée ne faisant pas partie d’un schéma concerté de
156
développement pose question . Cette volonté politique, même si elle n’est pas clairement
énoncée, constitue la seconde explication. En effet, la diversification des modes de garde
entraine avec elle une complexification, qui rend peu lisible une offre déjà multiple et
compliquée. Certaines familles ayant peu de connaissances du fonctionnement de l’accueil
des jeunes enfants ou comprenant mal le français pourraient rester en marge de ce système
complexe. Pour Mme Margerit, « la politique locale fait qu’on n’encourage pas les diversités
de modes de garde dans lesquels les parents se perdent. […] Vous complexifiez les intitulés
de modes de garde et vous avez affaire à une population assez précaire, ce qui aggrave
157
leur précarité. » Ainsi, la politique menée ces dernières années a consisté à rénover et
réhabiliter les structures existantes, parfois en augmentant leur capacité d’accueil. Aucune
nouvelle structure n’a donc ouvert à Vénissieux depuis 2002, ce qui correspond également
à un contexte de finances limitées. En revanche, depuis cette même date, 61 places
d’accueil supplémentaires ont été créées dans des structures pré-existantes, à la faveur de
changements de locaux ou de travaux de rénovation.
Cette « non diversification » correspond par ailleurs à une volonté (consciente ou non)
de ne pas fragmenter l’offre de garde. Bernard Eme et Laurent Fraisse pointent en effet le
risque que la diversification, si elle est mal régulée, puisse aller contre la justice sociale et
produise une segmentation sociale des modes de garde. Les auteurs prennent l’exemple de
155
156
157
54
Entretien n°7.
DAMBLIN, Matthieu. Op.cit., p.50.
Entretien n°6.
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III. Une politique différenciée préservant une identité singulière
la ville de Montreuil, ville de la banlieue parisienne comparable à Vénissieux car composée
d’une population ouvrière et immigrée :
Alors que les tarifs des crèches municipales et non municipales respectent un
barème national qui tient compte des revenus des parents, le recours à une
assistante maternelle ou à une aide à domicile demeure inabordable pour les
familles à revenus modestes qui ne peuvent profiter des incitations fiscales. Les
familles à bas revenus ne peuvent compter que sur l’accueil collectif ou informel
158
lorsque la mère ne renonce pas à travailler.
Ainsi la conservation d’une variété restreinte de modes d’accueil permet de préserver une
certaine mixité sociale dans les EAJE de Vénissieux, cette mixité sociale étant un des axes
du projet social et éducatif de la ville.
La diversification des modes de garde qui a lieu ailleurs reste donc limitée à Vénissieux,
tant du fait de l’absence de demande de ce type d’offre que du fait d’un choix politique.
On pourrait ainsi se risquer à parler de « standardisation » des modes de garde sur le
territoire vénissian (ceux-ci étant majoritairement classiques), ce qui en soi représenterait
une forme de différenciation. Ce paradoxe montre bien la relativité de ces deux termes de
standardisation et différenciation, et la difficulté de leur usage, puisqu’une pratique peut à
la fois relever de la standardisation et de la différenciation, en fonction de ce à quoi on la
compare.
2. Une diversité du public accueilli
L’adaptation nécessaire aux caractéristiques sociales des usagers provient aussi de la
diversité de la population vénissiane. Cette diversité induit que les pratiques des équipes
de terrain sont modifiées, même si les professionnels n’en ont pas toujours conscience du
fait de l’habitude.
Cette diversité prend des formes multiples, allant de la diversité culturelle et ethnique
159
(75 origines ethniques différentes ont été recensées à Vénissieux ) à la diversité sociale
(différents niveaux de ressources, différents types de besoins) et à l’accueil du handicap.
La crèche est toujours un lieu de rencontre avec les familles, de négociations et parfois
de malentendus, car chaque famille a des pratiques éducatives différentes. Pour Graziella
Favaro, il s’agit de trouver « un équilibre au sein de la crèche entre flexibilité et raidissement
160
identitaire » et pour cela des règles doivent être établies. La crèche est en effet le premier
lieu où les familles vont être confrontées à des professionnels mais aussi à d’autres familles
ayant des pratiques et des habitudes différentes. Elle joue donc en cela un rôle fondamental
d’intégration interculturelle et d’apprentissage de la différence, tant pour les enfants que
pour les parents.
La diversité culturelle étant une réalité qui m’avait interrogée lors de mon stage, j’ai
demandé à chacune des personnes interviewées comment elle travaillait au quotidien avec
cette diversité et ce qu’elle pouvait entrainer comme conséquences pratiques. La plupart
ont déclaré que la diversité étant une réalité quotidienne, elles n’y prêtaient plus attention
158
EME, Bernard & FRAISSE, Laurent. Op.cit., p. 12.
159
160
DAMBLIN, Matthieu. Op.cit., p. 49.
FAVARO, Graziella et al. Une crèche pour apprendre à vivre ensemble. Paris : Editions Erès, 2008. Collection Petite
Enfance et Diversité. 262 p.
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55
La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation
et « faisaient avec » sans s’en préoccuper particulièrement : « on a tellement des capacités
d’adaptation que du coup après on se rend plus compte », « c’est une problématique qui
aujourd’hui est assez claire dans la tête des équipes. […] Elles ont travaillé là-dessus et
c’est pas quelque chose qui pose vraiment problème. », « On se pose pas la question, on
fait de la même manière pour tous les enfants », « on n’est pas focalisé dessus, on la voit
plus la diversité au bout d’un moment. C’est normal. », « La diversité à Vénissieux c’est
161
historique, c’est incontournable. »
Ces témoignages montrent que la diversité culturelle est reconnue et qu’elle semble
être intégrée au quotidien car devenue habituelle. Les professionnels valorisent la
ressemblance plutôt que la différence, même si beaucoup citent la diversité comme une
source de « richesse ». Si la prise en compte de la diversité est une valeur du projet éducatif
et social, elle n’est cependant pas mise en avant dans les pratiques quotidiennes. Derrière
ces discours, on perçoit également les valeurs de laïcité et d’égalité, très puissantes à
Vénissieux et défendues par les élus comme par les professionnels de terrain.
On peut toutefois se demander si cette notion floue de « diversité culturelle » ne
représente pas une sorte de tabou. Les questions de cultures et d’origines ethniques
souffrent en France d’un relatif non-dit, comme le montre l’interdiction de produire des
statistiques ethniques. Les professionnels que j’ai rencontrés ne semblaient pas tous à l’aise
pour parler de cette thématique : mon hypothèse est donc que leurs déclarations unanimes
sur leur acceptation de la diversité masquent peut-être certains non-dits.
La diversité culturelle pose en effet des questions pratiques chaque jour dans les
crèches et plusieurs professionnels m’ont fait part de leurs interrogations, qui peuvent
concerner les soins apportés à l’enfant, son alimentation ou encore la relation avec les
parents. Dans certaines cultures, les enfants sont allaités jusqu’à un âge très tardif et sont
endormis dans les bras de leur mère ou bien avec leur biberon ; les professionnels ne
pouvant pas appliquer ces pratiques au sein des structures, il y a donc un décalage pouvant
perturber l’enfant mais aussi les parents, notamment au moment difficile de la séparation.
C’est pourquoi le lien avec les familles et le dialogue est particulièrement important. Les
équipes mènent aussi des réflexions collectives sur leurs pratiques afin de les harmoniser et
de créer un climat de confiance avec les familles. Mme Ruiz remarque que lorsque l’équipe
est stable et solide, les relations avec les familles se déroulent bien ; en revanche, « dès
162
qu’on arrive dans un flou, c’est là où on a des clashs. »
L’alimentation est aussi une thématique qui a causé de nombreux débats à Vénissieux.
En effet, de nombreux parents demandent à ce que leurs enfants mangent de la viande
halal. Les EAJE ne souhaitant pas et n’ayant pas les moyens matériels de préparer des
plats différents en fonction des enfants, une décision a été prise au niveau municipal de ne
pas donner de viande aux enfants censés manger de la viande halal. Il est ainsi expliqué
aux parents qu’ils peuvent donner de la viande à leur enfant lors du repas du soir, un seul
apport de protéine par jour étant suffisant pour un enfant. On retrouve ici l’affirmation de
la valeur de laïcité.
De la même façon, les fêtes religieuses telles que Noël ou Pâques sont remplacées par
des fêtes non religieuses et célébrées sans occasion spéciale. Mme Champmartin explique
comment cela se déroule dans l’EAJE Gribouille :
161
162
56
Entretiens n°1, 3, 4, 5, 6.
Entretien n°1.
BONNARD Camille - 2012
III. Une politique différenciée préservant une identité singulière
On fait la fête, mais pour rien ! Parce qu’un jour on a envie de danser et de
manger du chocolat ! Mais y’a pas de raison. Parce qu’après si on rentre làdedans va falloir qu’on fête toutes les fêtes de toutes les communautés, ça
va être interminable. On n’est pas là pour célébrer telle ou telle journée en
163
particulier, donc on fait pas.
Une autre source de malentendu peut être les règles de fonctionnement des EAJE, tels que
les horaires d’ouverture. Mme Ruiz précise : « on n’a pas le même rapport à la règle et
du coup c’est difficile d’amener les familles, ne serait-ce qu’à téléphoner pour dire qu’elles
164
viennent pas […], d’arriver à l’heure. » L’enquête menée par Graziella Favaro en Italie
dans des structures accueillant des familles primo-migrantes montre également que le
respect des règles (horaires, adaptation, autorisation) est la source la plus fréquente de
165
malentendus et de tensions, car le rapport à la règle n’est pas le même selon les cultures .
Enfin, les mères portant un voile qui dissimule leur visage sont obligées de se dévoiler
pour qu’on leur confie leur enfant le soir, car la structure est responsable de ne pas confier
l’enfant à une personne dont l’identité n’est pas connue. Cette vérification a parfois pu être
considérée comme intrusive et irrespectueuse par certaines mères, ce qui a pu susciter des
conflits avec les professionnels.
Le bilan du CEJ retrace également les évolutions en cours et les questionnements
qui en émergent, notamment les situations déroutantes auxquelles peuvent être confrontés
les professionnels, les nouvelles origines géographiques des familles primo-arrivantes ou
166
encore la place plus importante que prend la religion.
Tous ces exemples montrent que malgré les discours des acteurs qui tendaient à
minimiser l’impact de la diversité, celle-ci oblige les équipes de professionnels à adapter
leurs pratiques et leurs comportements afin d’instaurer une relation de confiance avec les
familles. L’échange avec les familles est plus qu’ailleurs essentiel pour expliquer les normes
auxquelles est soumis l’accueil des jeunes enfants. C’est aussi dans ce sens-là qu’on peut
parler d’un travail d’accompagnement à la citoyenneté : « tout ça peut permettre aux familles
167
de reprendre des repères. » Cet échange est néanmoins rendu fréquemment difficile
lorsque des parents maitrisent mal voire pas du tout le français.
3. Une population aux attentes singulières et élevées
La différenciation réalisée à Vénissieux trouve aussi son origine dans les demandes et
attentes spécifiques des usagers.
En effet, la majorité des demandes concernent les places en accueil collectif, les
parents souhaitant bénéficier du mode d’accueil le moins onéreux. Le bilan du CEJ recensait
549 demandes d’accueil régulier (plus de 15 heures par semaine) et 782 demandes
d’accueil occasionnel (moins de 15 heures par semaine) pour l’année 2009. Les demandes
d’accueil occasionnel sont donc plus nombreuses, mais reçoivent plus rarement une
163
164
165
Entretien n°5.
Ibid.
FAVARO, Graziella. Op.cit.
166
167
DAMBLIN, Matthieu. Op.cit., p. 49.
Entretien n°2.
BONNARD Camille - 2012
57
La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation
réponse positive : moins d’un tiers de ces demandes reçoit une réponse positive, tandis
168
qu’à peine la moitié des demandes d’accueil régulier peut être satisfaite .
La mise en place de la PSU n’a donc pas eu les mêmes effets à Vénissieux qu’ailleurs.
La PSU avait pour objectif d’accroitre la mixité sociale dans les EAJE en supprimant le critère
des deux parents qui travaillent pour l’obtention d’une place. A Vénissieux, ce critère a été
maintenu pour l’accueil régulier, ce qui pourrait être contraire aux exigences de la PSU si ce
mode d’accueil était le seul existant. Cependant, la possibilité d’être accueilli en occasionnel
sans aucun critère d’emploi des parents rend la politique de Vénissieux conforme à la PSU.
Ainsi, selon M. Damblin,
la PSU c’est un peu un moyen de forcer la main aux structures pour qu’elles
accueillent des enfants dont les parents ne travaillent pas. A Vénissieux ça a
peut-être eu l’effet un peu inverse, parce que dans la population y’a beaucoup
de taux de chômage et les crèches étaient aussi utilisées pour la socialisation
169
depuis longtemps.
L’accueil en collectivité répond donc à des besoins de parents qui travaillent mais aussi
largement à des parents sans emploi, ayant d’autres types de besoins. Cet accueil
occasionnel permet à la fois à l’enfant d’être confronté à la collectivité, mais aussi aux
parents de disposer de temps libre pour leurs formalités administratives par exemple. Ainsi,
pour M. Damblin,
Le besoin de mode de garde est assez transversal. Pas sur les mêmes volumes :
celui qui travaille il a forcément besoin qu’on lui couvre tous ses temps de travail,
mais celui qui travaille pas il a aussi besoin de temps pour autre chose, surtout
lorsqu’on est sur des populations en difficultés. Parce qu’on choisit pas son
rendez-vous à Pôle Emploi, on choisit pas son rendez-vous à la CAF, on subit
170
aussi…
Le fait que beaucoup de demandes subissent un refus m’a conduite à me demander si la
ville de Vénissieux manquait de places d’accueil. Le bilan du CEJ indique notamment que
la population d’enfants de moins de trois ans a augmenté plus rapidement que les créations
de place. Mais lorsque j’ai posé cette question à la responsable du Point Info, celle-ci m’a
171
expliqué que paradoxalement certaines assistantes maternelles étaient au chômage . En
effet, les parents sont souvent réticents à employer une assistante maternelle, et ce pour
diverses raisons. Le premier obstacle est financier : les tarifs des assistantes maternelles
sont souvent plus élevés que ceux de l’accueil collectif, et les parents n’ont pas toujours
les moyens de faire l’avance du premier mois de salaire avant que l’aide de la CAF ne
soit active. La deuxième difficulté est que l’emploi d’une assistante maternelle nécessite
de signer un contrat complexe, engageant sur une longue durée, alors que les parents ne
peuvent pas nécessairement se projeter sur un mode de garde pérenne. Les difficultés liées
à la compréhension de la langue ou à l’accès à Internet renforcent cet obstacle qu’est le
contrat. Enfin, le fait que les parents ne puissent pas choisir le quartier de leur assistante
maternelle est souvent un motif de refus de ce mode de garde ; en l’occurrence, ils ne
168
DAMBLIN, Matthieu. Op.cit., p.11.
169
Entretien n°7.
170
Ibid.
171
58
Entretien n°2.
BONNARD Camille - 2012
III. Une politique différenciée préservant une identité singulière
souhaitent pas que leur enfant soit gardé par une assistante maternelle des Minguettes, à
cause de l’image péjorative de ce quartier auprès des familles extérieures.
Ainsi, de nombreuses assistantes maternelles, notamment du quartier des Minguettes,
peinent à trouver des parents employeurs, et le recours à la « débrouille » et à des contrats
172
officieux (familiaux ou amicaux) sont très fréquents .
Le nombre élevé de demandes d’accueil en collectivité montre par ailleurs la forte
attente des familles vis-à-vis de la municipalité. Cette attente peut même aller jusqu’à
l’exigence, comme plusieurs entretiens le décrivent : « des familles qui sont de plus en plus
exigeantes par rapport au service public ; on veut tout, tout de suite, maintenant. », « ce
qui a changé c’est l’exigence. Le parent qui exige, et qui ne veut, qui ne nous laisse qu’un
choix, et en plus le choix le plus improbable. », « quand les gens n’ont pas ce qu’ils veulent,
173
ils râlent, ils écrivent, ils envoient des mails, ils vont sur le site de la ville… » .
Cette forte exigence, qui s’accompagne d’une augmentation des tendances
procédurières, est relativement nouvelle et interroge beaucoup les professionnels. Elle
démontre que les habitants attendent beaucoup de la collectivité et du service public et
perçoivent l’offre d’accueil comme un droit, voire comme un dû. Pour Mme Picard, les
habitants considèrent que le fait de payer des impôts leur donne un droit d’accès aux
services publics : « j’ai le droit de. Je paie des impôts donc j’ai le droit d’avoir une place en
174
crèche. » Michel Chauvière voit dans cette tendance la manifestation du consumérisme
175
des services publics par les usagers . Ce consumérisme serait masqué par la volonté
politique affichée de faire des usagers des citoyens autonomes et rationnels, ainsi que de
renforcer leurs droits.
Pour Mme Neri, cette hausse de l’exigence, voire parfois de l’agressivité, s’explique
par le contexte économique difficile qui précarise les familles et les place dans l’incertitude.
Face à cette incertitude, l’obtention d’une place en crèche peut représenter une base de
stabilité sur laquelle s’appuyer pour faire des projets. Par conséquent lorsque la famille
176
reçoit un refus, les projets sont annulés et la déception est grande . M. Damblin voit dans
cette hausse des contestations des décisions municipales le signe que le service public
perd son sens et que les gens ne perçoivent plus « qu’il n’est pas un service qui répond
177
systématiquement à tous les besoins particuliers » . Pour lui les règles ne sont peut-être
pas assez claires, empêchant la population de comprendre que même si leurs attentes sont
légitimes d’un point de vue individuel, elles sont intenables au sens du service public, qui
se doit d’avoir des règles générales et des moyens rationalisés. Enfin, cette frustration peut
aussi traduire un mécontentement plus général vis-à-vis de l’Etat et de l’institution publique
en général, représentés à Vénissieux par la mairie.
Cette évolution oblige également l’ensemble des professionnels à revoir leurs pratiques
afin de mieux expliquer aux familles comment le système fonctionne et pourquoi les
refus sont parfois inévitables. Un temps important est alors consacré à la « gestion de la
172
173
174
175
176
177
DAMBLIN, Matthieu. Op.cit., p. 49.
Entretiens n°2, 6, 7.
Entretien n°9.
CHAUVIERE, Michel. Op. cit.
Entretien n°2.
Entretien n°7.
BONNARD Camille - 2012
59
La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation
178
frustration » car les parents font des courriers ou téléphonent, demandent de plus en plus
fréquemment à rencontrer la chef de service voire l’élu en charge de la petite enfance ou
le maire.
Ainsi, l’action municipale est fortement sollicitée par les familles pour développer
l’offre d’accueil collectif des jeunes enfants, et ce d’autant plus que l’offre privée est quasi
inexistante à Vénissieux. Pour Audrey Daniel, « offrir une solution de garde s’impose
progressivement comme une "obligation" faite aux collectivités jusqu’à l’inscrire dans une
179
logique de "service" public » . Cela est une nécessité d’autant plus importante que les
modes d’accueil de la petite enfance contribuent à l’ancrage des familles et à la cohésion
sociale sur la commune.
La différenciation observée à Vénissieux semble donc à première vue être davantage
le résultat d’une adaptation pragmatique aux besoins spécifiques de la population que le
fruit d’une volonté politique particulière.
A travers mes entretiens, il est toutefois évident que de profondes divergences
existent entre les tendances nationales, notamment les évolutions législatives, et le ressenti
des professionnels (tant sur le terrain qu’au niveau du service). Ces derniers n’hésitent
pas à critiquer les nouvelles politiques nationales ainsi que ce qui relève pour eux de
l’incohérence.
B.La différenciation volontaire des politiques
nationales
1. La critique des politiques nationales par les professionnels de
terrain
L’identité « rebelle » de Vénissieux se manifeste même au niveau des personnels, qui sont
nombreux à dénoncer les nouvelles législations et normes nationales.
Lors des entretiens que j’ai menés avec des directrices d’EAJE, toutes m’ont fait part
des difficultés qu’elles rencontraient pour faire face aux nouvelles exigences des normes
d’accueil.
En effet les changements importants apportés par les différentes réformes étudiées
précédemment ont obligé les professionnels à profondément modifier leurs pratiques.
Le travail administratif, en particulier pour les directrices de structures, a vu son temps
augmenter de façon importante. Le multi-accueil induit par la PSU a entrainé la multiplication
du nombre d’enfants accueillis et par là même du nombre de contrats et de familles à gérer.
De plus, les familles demandent souvent à recalculer leur contrat au plus près de leurs
besoins afin de minimiser leur participation financière, ce qui engendre de nouvelles charges
administratives pour les directrices. Le paiement à l’heure introduit en outre une dimension
financière, voire « commerciale » pour certains, dans le rapport entre les parents et les
professionnels.
178
179
60
Entretien n°6.
DANIEL Audrey. Op.cit., p. 32.
BONNARD Camille - 2012
III. Une politique différenciée préservant une identité singulière
On observe ainsi un sentiment global de manque de temps et d’une organisation
souvent « sur le fil ». Sylviane Giampino remarque que « de plus en plus de responsables,
puéricultrices et éducatrices déclarent une perte de sens dans l’exercice de leur fonction :
180
le temps passé à gérer l’administratif prévaut sur l’accompagnement "métier" ». C’est ce
qui ressort du discours de Mme Champmartin :
Le manque de sens ça nous déstabilise beaucoup. […] Et puis après je pense
qu’au niveau des équipes ce qui pèse le plus c’est d’être toujours tendu, toujours
au minimum, et nous on en arrive certains jours, à compter au quart d’heure
près le nombre d’enfants et le nombre de professionnelles. […] On n’a pas de
181
souplesse.
Ainsi, lorsqu’une seule personne est absente, l’ensemble de l’équipe est mis en difficulté,
voire même une autre structure si elle est sollicitée pour envoyer du personnel en renfort.
Les professionnels dénoncent par ailleurs les contradictions présentes entre les
politiques mises en œuvre et la réalité du terrain. Une critique récurrente porte par exemple
sur les impératifs de qualité, qui paraissent souvent peu compatibles avec les règles de
taux de remplissage et la baisse autorisée de la qualification des professionnels et du taux
d’encadrement. Pour Mme Champmartin, cela est dû à un « décalage entre ceux qui font et
ceux qui pensent ». Selon elle, les décideurs ne réalisent pas assez la spécificité de l’accueil
des jeunes enfants : « Ils se rendent pas compte mais c’est impossible. "Regardez sur un
papier vous avez tant d’adultes et y’a tant d’enfants, c’est bon, ça marche." Mais c’est pas
182
ça, parce que les enfants c’est pas des trucs qu’on range et qui tiennent… » De la même
façon, Mme Margerit constate qu’il n’y pas « la même porte d’entrée » entre la politique
nationale et la politique menée à Vénissieux : « on n’a pas le même regard sur les choses.
La loi qui part du national, elle est généraliste et elle ne prend pas en compte la particularité
183
du local. » L’impression générale est donc qu’on demande aux professionnels de l’accueil
de répondre à de plus en plus d’objectifs (épanouissement de l’enfant, accompagnement
à la parentalité, insertion sociale), tout en leur enlevant des moyens matériels et du temps
pour le faire.
Un autre paradoxe relevé par Mme Margerit est la déprofessionnalisation de l’accueil,
alors que celui-ci est supposé bénéficier d’une amélioration qualitative. Pour elle cela
correspond à une vision dévalorisante des métiers de la petite enfance : « la petite enfance
est à la portée de tous, [et il n’y a] pas besoin de formation pour s’occuper de la petite
184
enfance. » Mme Margerit cite également l’influence des politiques européennes pour
expliquer la déréglementation, peut-être en référence à la directive « Services » étudiée
185
précédemment : « regardez bien avec l’Europe ce que ça donne. Je suis pas sûre qu’il
186
y ait une volonté qu’on développe encore plus. »
180
181
GIAMPINO, Sylviane. Confier ses enfants : qualité, liberté, priorité. In BEN SOUSSAN, Patrick. Op.cit., p. 53.
Entretien n°5.
182
183
184
185
186
Ibid.
Entretien n°6.
Ibid.
Voir supra, p. 46.
Entretien n°6.
BONNARD Camille - 2012
61
La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation
Cette baisse des exigences en ce qui concerne les qualifications entre également en
contradiction avec l’augmentation des normes de procédure. Le discours de Mme Margerit
est encore une fois très évocateur à ce sujet :
La norme excessive tue l’humanisme. On est tellement centré sur la norme
technique qu’on oublie le bon sens pratique. Et ça me fait très peur. Le risque
zéro n’existe pas. Donc parasiter la tête des personnes avec des normes
extrêmement strictes, techniques, pointues, qui prennent beaucoup de temps, ça
m’interroge beaucoup. Le relationnel humain du coup est forcément mis à mal.
C’est la procédure, on se protège par la procédure avant de faire de l’éducatif et
187
du social.
La procéduralisation croissante semble donc être préjudiciable à la qualité des relations,
en ayant pour effet négatifs une certaine perte de bon sens et de temps ainsi que des
problèmes organisationnels. Ces remarques rejoignent la réflexion de Sylviane Giampino :
« comment on peut céder sur l’axe liberté-créativité comme valeur clef de l’épanouissement
188
des tout-petits, au profit de la valeur qui désaxe : la sécurité ? ». De même, Sylvie Rayna
parle d’un « hygiénisme moderne, d’une montée des réglementations qui inhibent au lieu
189
de soutenir le travail auprès des jeunes enfants. »
Enfin, il ne faut pas oublier la forte tradition syndicale qui existe à Vénissieux, avec
environ une personne syndiquée par EAJE. Des tracts sont régulièrement distribués pour
protester contre le fait que « les conditions de travail sont dégradées » et signaler que
« les équipes sont dans la souffrance parce que maintenant on est dans une logique de
190
rentabilité » . Toutefois ces revendications ne représentent pas l’opinion de l’ensemble
du personnel petite enfance de Vénissieux. Mme Henner par exemple considère qu’avec
une équipe quasi complète, des locaux neufs et des taux d’occupation et d’encadrement
191
raisonnables, elle n’est pas « en souffrance » .
Les revendications dont m’ont fait part les personnes que j’ai rencontrées rejoignent en
192
grande partie celles du collectif « Pas de bébé à la consigne » évoquées précédemment ,
bien qu’aucun professionnel n’ait mentionné son appartenance à ce collectif.
193
Ces critiques traduisent une certaine usure des professionnels face aux exigences
croissantes de la politique nationale de la petite enfance, alliée à ce qui est ressenti comme
une baisse des moyens et une perte de sens. Le service de la petite enfance a donc
réfléchi à un projet global qui permettrait aux équipes de terrain d’être redynamisées en
194
s’appropriant les nouvelles problématiques .
Ces critiques trouvent aussi leur écho dans celles des élus politiques de Vénissieux.
187
188
189
Ibid.
GIAMPINO, Sylviane. Confier ses enfants : qualité, liberté, priorité. In BEN SOUSSAN, Patrick. Op. cit., p. 59.
RAYNA, Sylvie. La qualité, parlons-en ! In BEN SOUSSAN, Patrick. Op.cit., p. 188.
190
191
192
193
194
62
Entretien n°4.
Ibid.
Voir supra, p. 45.
« Toutes les nouvelles directives qui viennent de l’Etat ont impacté le moral de nos troupes », entretien n°6.
Voir infra, p. 90.
BONNARD Camille - 2012
III. Une politique différenciée préservant une identité singulière
2. La critique des politiques nationales par les élus
N’ayant pas pu rencontrer l’adjointe à la petite enfance, mon analyse va porter ici sur
l’entretien réalisé avec le maire de Vénissieux, Mme Picard, et sur quelques-uns de ses
195
discours disponibles sur son blog .
L’appartenance communiste du maire de Vénissieux l’a conduite depuis 2008 à
fortement s’opposer aux politiques nationales. La politique de la petite enfance, de par
sa transversalité, est un moyen de critiquer l’ensemble des politiques menées à l’échelle
nationale. En effet, tant dans ses discours que durant notre entretien, Mme Picard relie la
thématique de la petite enfance à des thématiques plus larges telles que la scolarisation,
la précarité sociale, le statut des femmes, etc.
Chacun de ses discours est l’occasion de dénoncer les politiques gouvernementales,
sur divers thèmes. Le premier d’entre eux est le manque de considération pour la petite
enfance et la jeunesse en général, à travers la dénonciation des « apprentis sorciers en tout
196
genre qui font passer la jeunesse pour un coût et non pour un investissement ». Cette
idée est liée à la lutte contre la déscolarisation des enfants de deux ans (« le démantèlement
197
de l’école publique en général et de la maternelle en particulier
»). Mme Picard va
jusqu’à citer explicitement des ministres : « des déclarations odieuses de Xavier Darcos aux
propositions de Nadine Morano sur les jardins d’éveil, c’est la scolarisation des 2/3 ans et
198
la maternelle qui sont attaquées. » Le second porte sur la libéralisation du marché du
travail et les solutions apportées à la crise ; selon Mme Picard, « la déréglementation a
des conséquences désastreuses sur l’organisation de la vie privée : temps partiels, travail
199
de nuit, horaires fragmentés. » De plus, elle rappelle fréquemment « la démission et
200
l’abandon sans précédent des missions régaliennes de l’Etat » et fustige « le jeu de
201
dupes des politiciens » qui ne mettent pas en cohérence leurs discours et leurs actes. Ces
discours sont donc empreints d’une certaine combativité voire agressivité et d’un appel à se
différencier : « quelles résistances voulons-nous mettre en place face à un Etat qui remet
en cause l’indépendance et l’autonomie des communes, face à une crise économique et
202
une crise du capitalisme qui ravagent nos sociétés, et donc nos villes et nos quartiers ? »
Si les paroles du maire étaient plus mesurées lors de notre entretien, elles exprimaient
néanmoins des revendications claires. On retrouve parmi celles-ci la critique de « la tentation
203
actuelle de supprimer l’école maternelle pour avoir un système de garderies payantes ».
La baisse des moyens alloués aux communes, avec notamment la suppression de la taxe
195
Michèle Picard, maire de Vénissieux [en ligne]. [page consultée le 13 juillet 2012]. <http://www.michele-picard.com/>
196
Intervention de Michèle Picard à l’occasion de l’inauguration de la crèche Gribouille [en ligne]. 16 novembre 2010. [page
consultée le 15 juin 2012] <http://www.michele-picard.com/>
197
198
199
200
Ibid.
Ibid.
Ibid.
Intervention de Michèle Picard à l’occasion de la signature du Contrat Enfance Jeunesse [en ligne]. 2 mai 2011. [page
consultée le 15 juin 2012] <http://www.michele-picard.com/>
201
202
Ibid.
Intervention de Michèle Picard lors de la conférence de presse « Grand rendez-vous de la ville 2011. Les Minguettes
1981-2011 » [en ligne]. 23 juin 2011. [page consultée le 15 juin 2012] <http://www.michele-picard.com/>
203
Entretien n°9.
BONNARD Camille - 2012
63
La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation
professionnelle, et la réforme des collectivités territoriales sont en outre perçues comme
« une mise au pas de l’autonomie des communes » et comme une remise en cause de
204
« l’indépendance des choix politiques ». Mme Picard pointe également l’étendue de la
pauvreté, en particulier celle des enfants : « je pense qu’il y a une urgence sociale dans
ce pays qu’on ne mesure pas suffisamment. On ne mesure pas ce que ça casse chez les
enfants. On nous présente la pauvreté comme une fatalité, mais non c’est une conséquence
205
du chômage, de la désindustrialisation de la France. » Le maire se déclare pour la victoire
de la gauche mais regrette que les socialistes n’aillent pas assez loin : « c’est pas les
206
socialistes qui iront aussi loin que moi je le souhaiterais. »
Enfin, une grande fierté est perceptible dans les discours de Mme Picard. Elle insiste
notamment sur la tradition historique de la ville de Vénissieux d’investir dans la jeunesse :
« ça a toujours été une préoccupation de la municipalité. […] Notre ancien député André
207
Gerin, c’est lui qui avait porté la Journée de l’Enfance au niveau national » Elle affirme
aussi régulièrement combien la politique de la petite enfance menée à Vénissieux est
volontariste et se distingue des politiques nationales et des politiques menées dans d’autres
villes. Prenons quelques exemples tirés de ses discours : « la ville mène pour sa jeunesse un
combat politique exemplaire » ; « ça demande des efforts, une sacrée volonté » ; « l’ambition
et la résolution de la ville de Vénissieux en matière de politique éducative » ; « fierté et
honneur des orientations claires, nettes et volontaristes prises par l’équipe municipale en
faveur de l’enfance et de la petite enfance ». Une attention particulière est également portée
à la lutte contre la marchandisation de l’accueil de la petite enfance. La petite enfance
est considérée comme « une des pierres de base [du] pacte communal, car c’est tout
208
simplement l’avenir et le futur de la ville qui s’écrivent ».
Ainsi, pour Mme Picard, Vénissieux se distingue des autres villes et rencontre moins
de difficultés à accueillir les enfants de moins de trois ans : « quand on regarde les écoles
ou les crèches, le nombre de places de crèches à Lyon, ou les villes autour, on voit bien
209
que nous on est privilégiés. » Cette affirmation n’est toutefois pas vérifiée et se trouve en
contradiction avec le discours de M. Damblin pour qui Vénissieux se situe désormais dans
210
une « moyenne basse ».
Par conséquent, la différenciation mise en avant par Mme Picard dans ses discours est
à nuancer car elle relève peut-être davantage d’une volonté de valorisation de la politique
municipale que d’une réalité.
Cette différenciation se retrouve néanmoins dans la conservation de certaines règles
spécifiques à Vénissieux.
3. La conservation de pratiques et de règles spécifiques à la ville
204
205
206
207
208
Ibid.
Ibid.
Ibid.
Ibid.
Intervention de Michèle Picard à l’occasion de l’inauguration de la crèche Gribouille [en ligne]. 16 novembre 2010. [page
consultée le 15 juin 2012] <http://www.michele-picard.com/>
209
210
64
Ibid.
Entretien n°7.
BONNARD Camille - 2012
III. Une politique différenciée préservant une identité singulière
Face aux évolutions législatives et aux nouvelles règles qui en découlent, la ville de
Vénissieux a fait le choix de se différencier en conservant certaines règles spécifiques.
En effet, si le taux d’encadrement peut désormais être assoupli, c'est-à-dire que les
professionnels peuvent être moins nombreux pour un plus grand nombre d’enfants, à
Vénissieux, ce taux demeure inchangé à un adulte pour six enfants. Cela permet selon Mme
211
Henner d’avoir « des conditions de travail tout à fait appropriées ». De plus, l’embauche
de travailleurs intérimaires pour remplacer des absences est interdite (alors qu’elle peut
se faire dans d’autres villes). L’objectif de cette interdiction est sans doute de privilégier
la qualité et de ne pas encourager les contrats de travail précaires et coûteux. Pour Mme
Champmartin, cela a toutefois pour effet négatif d’ôter toute souplesse au fonctionnement
212
de la structure et de précariser son organisation .
Notons aussi qu’une attention spécifique est portée aux familles en difficultés, dans une
optique d’accompagnement social, ce reflète une volonté particulière : « il y a des gens qui
ne respectent pas les contrats, moi je refais le point avec eux, je revois leurs besoins, et puis
des familles qui arrivent pas à se lever le matin ou pas à venir, j’arrête jamais définitivement,
213
je les mets jamais à la porte », explique Mme Ruiz.
Comme vu précédemment, la diversification des modes d’accueil est limitée à
Vénissieux et aucune création d’équipement n’a eu lieu depuis 2002. Dans un contexte
budgétaire restreint et du fait de la baisse des financements de la CAF, la municipalité a
adopté une stratégie d’adaptation consistant à augmenter l’activité afin de compenser la
diminution de la prestation enfance jeunesse (PSEJ). L’activité est développée uniquement
au moyen d’extensions du nombre de places des structures pré-existantes. La ville dépense
donc davantage mais cela lui permet de conserver une subvention stable d’environ un
214
million d’euros .
Par ailleurs, comme l’a précisé Mme Picard, la ville « se bat pour l’entrée en maternelle
à partir de deux ans. Chaque année on inscrit les enfants à partir de deux ans et on se
215
bat pour qu’ils soient inscrits effectivement, qu’ils soient pris en compte. » Cela cause
cependant certains problèmes car les enfants de moins de trois ans ne sont pas pris en
compte dans les effectifs par l’Education Nationale. Il peut donc y avoir des fermetures de
classe même s’il existe une demande pour les enfants de deux ans. Les crèches recevant
pour instruction de ne pas accueillir de nouveaux enfants si ceux-ci ont plus de deux ans et
demi, certains enfants se retrouvent sans place à l’école ni à la crèche. Ce type de situation
problématique est de plus en plus fréquent et génère une importante frustration chez les
familles, qui se retrouvent sans aucun mode de garde (l’école représentant aussi un mode
de garde). Lorsqu’un enfant de plus de deux ans déjà inscrit dans un EAJE se voit refuser
l’entrée à la maternelle, il conserve sa place dans la structure mais empêche un autre enfant
d’y avoir accès. Pour Mme Margerit, le choix politique qui est fait de refuser une place en
crèche aux enfants de plus de deux ans et demi relève du « paradoxe » : « la réalité est
que les enfants nous restent sur les bras. Moi j’ai pas de solution. Et les familles se tournent
216
vers moi quand elles ne sont pas contentes. »
211
212
213
214
215
216
Entretien n°4.
Entretien n°5.
Entretien n°1.
Entretien n°7.
Entretien n°9.
Entretien n°6.
BONNARD Camille - 2012
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La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation
Un autre type de paradoxe que l’on peut remarquer à Vénissieux est la conservation
du critère des deux parents qui travaillent pour l’obtention d’une place en accueil régulier.
Ce critère a pourtant été supprimé par l’instauration de la PSU afin de favoriser l’accueil
d’enfants dont les parents ne travaillent pas. Vénissieux est quand même conforme aux
exigences de la PSU car un enfant peut être accueilli en socialisation occasionnelle. Mais
la conservation de ce critère pose question, notamment si l’on considère la longue liste
d’attente pour les places en accueil occasionnel. En effet, cela signifie que la priorité est
donnée aux familles ayant des emplois, qui ne sont peut-être pas celles dont les enfants ont
le plus besoin de socialisation. Certains enfants vivant dans des familles où aucun parent
ne travaille peuvent davantage nécessiter une intégration, tandis que leurs parents peuvent
aussi avoir besoin de temps pour leurs formalités de recherche d’emploi par exemple. Cela
rejoint la réflexion d’une note du CAS :
L’accès des enfants aux crèches a longtemps été réservé aux familles dont les
parents travaillent (…). Si l’on se place du point de vue du bien-être de l’enfant,
alors il faudrait sans doute donner la priorité aux enfants dont les familles ont
le plus de difficultés à développer le langage, les capacités cognitives et de
217
socialisation, notamment aux familles immigrées défavorisées.
La ville de Lyon, par exemple, a adopté un système prenant en compte davantage de
critères : un barème a été établi avec des points attribués en fonction de certaines données
(emploi ou non des parents, niveau de ressources, nombre d’enfants à charge, présence
d’un handicap, besoin d’un soutien à la parentalité). Le fait que les deux parents travaillent
ou non est un critère parmi d’autres, qui n’est pas essentiel pour l’obtention d’une place.
On s’aperçoit ici de la complexité et parfois de la contradiction qui peut exister entre
les différents objectifs de l’accueil du jeune enfant. Faut-il prioritairement encourager
l’insertion professionnelle des parents ou bien privilégier l’accueil des enfants en besoin de
socialisation ? La réponse à cette question provient d’un choix politique, qui à Vénissieux
s’est fait en faveur de l’insertion professionnelle des parents.
On voit bien encore une fois la tension qui existe entre la préservation de la qualité d’une
part, qui conduit la municipalité de Vénissieux à adopter une politique de différenciation, et la
nécessité d’une certaine souplesse avec la confrontation aux nouvelles normes d’autre part.
Finalement, la différenciation par rapport aux politiques gouvernementales s’observe
à Vénissieux tant dans les discours que dans les pratiques. Les professionnels sont très
concernés au quotidien par le manque de valorisation dont souffre le secteur de la petite
enfance et par les nouvelles normes, qui sont majoritairement perçues comme ayant un
effet négatif. Le maire ne cache pas non plus son indignation face à certaines tendances
nationales et met en avant les spécificités et le volontarisme de sa municipalité en matière
de politique de la petite enfance. Ces spécificités sont mises en œuvre à travers des règles
que Vénissieux est une des rares villes françaises à appliquer.
Cette différenciation se décline notamment dans un projet mis en place au sein du
service Petite Enfance, dans le but de redonner une certaine motivation aux professionnels
et un sens global à la politique de la petite enfance menée à Vénissieux.
217
BRABANT-DELANNOY, Laetitia & LEMOINE, Sylvain. Accueil de la petite enfance : Comment continuer à assurer son
développement dans le contexte actuel des finances sociales ? Note de veille du CAS n°157, novembre 2009. P. 5.
66
BONNARD Camille - 2012
III. Une politique différenciée préservant une identité singulière
C.Le projet global « Enfant Phare » : une autre
approche de la qualité
1. Le constat d’un certain cloisonnement
La nécessité du projet global provient tout d’abord du constat d’une certaine usure
professionnelle, liée à l’impact des réformes citées précédemment, qui ont alourdi la charge
des professionnels et modifié de façon significative l’exercice de leur métier. Ce projet doit
pallier la perte de sens ressentie par bon nombre de professionnels, en permettant de fixer
à nouveau certaines valeurs importantes.
Ce projet est par ailleurs issu de l’observation d’un manque de transversalité et d’un
certain cloisonnement entre les différentes structures du service Petite Enfance, et plus
généralement entre ce service et les autres services de la ville (services Enfance, Education,
Jeunesse, Sports, Culture). Ces différents services peuvent être amenés à travailler avec
les mêmes familles, parfois les mêmes enfants, sans qu’ils communiquent réellement entre
eux, empêchant qu’une continuité d’action puisse s’établir. Le bilan du CEJ ainsi que le
projet social et éducatif indiquent tous deux comme perspective la nécessité d’améliorer le
travail en transversalité. L’objectif est ainsi d’offrir un service plus global et moins segmenté
aux familles. Pour Mme Ruiz, cela permettrait d’éviter « cette déperdition d’énergie et de
218
travail lorsque chacun fait dans son coin ».
Le cloisonnement est visible en premier lieu entre les différents EAJE. Même si les
directrices se connaissent et se rencontrent fréquemment à la mairie lors de réunions, les
structures en tant que telles ne travaillent pas en lien les unes avec les autres. Mme Ruiz
donne un exemple pour sa structure Tourni Cotton : « on est voisins avec la crèche du
Carrousel, mais c’est tout bête, on est en décalé par rapport au rythme de la journée. Du
219
coup c’est hyper compliqué pour faire des choses ensemble. » De même, pour M. Naton,
« le fonctionnement des structures Enfance – Petite Enfance est assez cloisonné, chacun
220
est un peu en autonomie, chacun fait un peu à sa sauce ».
De plus, alors que les services Petite Enfance, Enfance et Education sont situés au
sein de la même direction et peuvent avoir en charge les mêmes enfants ou des enfants
d’une même famille, ils ne sont pas nécessairement en lien. Pour M. Naton,
Il y a un saucissonnage actuellement. Quand on regarde le rythme d’un enfant,
entre l’école, la nounou, le périscolaire, la cantine, des fois l’enfant il peut passer
par un nombre important de structures ou de personnes ou de dispositifs. Du
coup ça reflète le cloisonnement des dispositifs et la structuration des services
de la mairie. On est découpé entre éducation, enfance, culture, sports et y’a pas
forcément de lien.
Deux exemples concrets illustrent ce cloisonnement : Mme Henner remarque d’une part
que lorsqu’un enfant quitte la crèche pour aller à l’école, il n’y a pas de communication entre
les deux structures alors que pour certains enfants présentant des problèmes particuliers
218
219
220
Entretien n°1.
Ibid.
Entretien n°3.
BONNARD Camille - 2012
67
La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation
221
(de santé par exemple), des liens pourraient s’avérer intéressants . Les enfants ayant un
problème de santé particulier bénéficient en effet d’un PAI (Projet d’Accueil Individualisé) :
or la procédure pour ce PAI est différente à la crèche, sur le temps scolaire et sur le temps
méridien. Mme Margerit s’interroge : « qu’est-ce qui nous empêche de faire de la cohérence
222
même s’il y a des institutions différentes ? » D’autre part, nous avons vu que les EAJE
ne fournissaient pas de viande halal aux enfants dont les parents le réclamaient mais
respectaient leur choix en ne leur donnant pas de viande du tout ; en revanche la cantine
scolaire oblige les enfants à manger de la viande non halal, au nom de la laïcité. On observe
donc là aussi un manque de cohérence entre les deux services.
Le manque de transversalité peut aussi s’expliquer par le fait que les professionnels
des différents services ont des métiers très différents, relevant de formations et de pratiques
différentes. Ils n’ont par conséquent pas le même point de vue sur l’enfant et sa famille, et
M. Naton précise que des a priori existent sur ce que fait chacun, voire sur ce qui se fait
223
dans certaines structures ou certains quartiers .
Par ailleurs, le consultant intervenant pour mettre en place ce projet global, M. Bély,
semble étonné de la verticalité qui caractérise le fonctionnement de la mairie de Vénissieux :
« Vénissieux est une ville communiste, avec une culture verticale très très puissante. C’est
224
donc une approche de changement positionnel et culturel. » M. Damblin confirme ces
propos puisqu’il compare la mairie à une « entreprise pyramidale avec un fonctionnement
descendant, avec des directives qu’il s’agit de faire appliquer jusque tout en bas, jusqu’à
225
l’usager. » Ce fonctionnement vient donc se heurter aux tendances que nous avons
étudiées précédemment de travail horizontal en réseau et en partenariat.
Enfin, cette verticalité rejoint le constat de Bernard Eme et Laurent Fraisse qu’il manque
une régulation territoriale visant une politique globale et que la politique de la petite enfance
226
est davantage une juxtaposition de relations bilatérales .
Ce cloisonnement existe donc tant au niveau des services municipaux qu’entre les
différentes structures de la ville (EAJE, maisons de l’enfance, écoles). Le service Petite
Enfance de Vénissieux essaie de lutter contre ce cloisonnement avec un projet global, au
niveau du management.
2. L’adoption d’un « regard global » et d’un discours du « faire sens »
La démarche du projet global a démarré en 2008, avec l’ouverture de l’EAJE Gribouille en
remplacement de la crèche Viviani. Mme Champmartin, future directrice, avait rencontré
M. Bély lors d’une formation et a fait appel à lui pour aider l’équipe à écrire son projet
d’établissement. M. Bély explique qu’il s’est alors « aperçu que l’équipe de terrain ne
pourrait se mettre en dynamique globale que si le management à Vénissieux était mené
dans une telle dynamique. » En commun accord avec Mme Margerit, un cursus de
« formation-action » de six jours a été organisé en 2010, autour du thème « manager
221
222
Entretien n°4.
Entretien n°6.
223
224
225
226
68
Entretien n°3.
Entretien n°8.
Entretien n°7.
EME, Bernard & FRAISSE, Laurent. Op.cit., p. 16.
BONNARD Camille - 2012
III. Une politique différenciée préservant une identité singulière
un projet dans un environnement complexe ». Cette formation réunissait en majorité des
directrices et directrices-adjointes (des structures municipales ou associatives) ainsi que
des professionnels de l’enfance. Il a permis de « prendre conscience des liens qu’il pouvait
227
y avoir entre ces professionnels, du partenariat qu’on pouvait développer. » Un deuxième
cursus de formation a eu lieu l’année suivante, et un groupe de supervision a émergé.
Celui-ci est constitué des participants au cursus mais est également ouvert à d’autres
professionnels, qui l’ont peu à peu intégré (personnel des centres sociaux, éducatrices de
jeunes enfants, adjoints des maisons de l’enfance, auxiliaires de puériculture, infirmières
scolaires). Ce groupe porte le projet tout au long de l’année et est divisé en trois sousgroupes : le premier est chargé de l’organisation du festival « Enfant Phare » pour 2014, le
deuxième travaille sur le projet de formation global de la ville, et le troisième réfléchit aux
outils transversaux qui peuvent servir à créer du lien entre les structures. Selon M. Bély,
« le groupe de supervision permet l’articulation du transversal, qui est la caractéristique du
228
groupe, et du vertical, qui est la logique qui prime à Vénissieux ». Le groupe de supervision
est ainsi mobilisé chaque fois qu’un nouveau projet complexe se présente. De plus, les
crèches Capucine, Parilly et Carrousel ont par la suite bénéficié d’un accompagnement du
consultant. Petit à petit, les professionnels se sont donc approprié le projet global et M. Bély
ne vient plus à Vénissieux que tous les trois mois. M. Naton a un rôle d’intermédiaire entre lui
et les équipes de terrain en animant les réunions des différents groupes et en coordonnant
l’ensemble du projet.
Il est donc intéressant de remarquer que ce projet a émergé du terrain pour ensuite
s’étendre à l’ensemble du service, ce qui modifie la tradition de verticalité évoquée
précédemment.
229
Ce projet s’inscrit dans une démarche systémique afin d’aider les professionnels à
développer les axes communs de leurs pratiques, puisque tous ont notamment la valeur
commune de la famille. Il est intéressant de remarquer que les professionnels adoptent
tous le même discours quand je leur demande de décrire le projet global : « travailler sur
le décloisonnement, travailler sur les valeurs et le sens, travailler ensemble », « on lève le
nez du guidon pour prendre de la hauteur et changer notre vision », « une dynamique, un
processus qui crée du lien et qui met en lien les professionnels de l’enfance et de la petite
enfance », « un fil conducteur pour amener les services à travailler ensemble », « c’est
hyper-transversal, c’est vraiment une cohérence globale qu’on cherche ». Les mots « lien »,
« transversal », « regard global », « ensemble », « sens » et « cohérence » figurent parmi
ceux qui reviennent le plus souvent. M. Bély ajoute la notion de co-construction qui pour
lui caractérise le management global. Cette co-construction s’illustre par exemple pour les
formations du CNFPT : depuis l’an dernier, le sous-groupe chargé du projet de formation
global a modifié le cahier des charges pour faire évoluer les formations traditionnelles
assez techniques proposées par le CNFPT. Les thématiques des formations ont ainsi été
reformulées pour intégrer davantage de transversalité, ainsi qu’une réflexion sur le bien230
être au travail .
L’approche systémique La théorie systémique voit le jour dans les années
1940 aux Etats-Unis sous l’influence de l’école Palo Alto, qui travaillait sur la
227
228
Entretien n°3.
Entretien n°8.
229
230
Voir encadré page suivante.
Entretien n°5.
BONNARD Camille - 2012
69
La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation
théorie de la communication et de la relation entre les individus. Elle s’étend
en Europe dans les années 1970, et s’applique notamment dans le champ
du travail social et de la thérapie familiale. Cette approche est fondée sur
une conception synthétique et non pas analytique de la réalité. Elle consiste
à considérer un système non pas comme une somme d’unité mais comme
un ensemble d’interactions entre des unités. Par exemple, dans un contexte
déterminé, un individu est toujours en interrelation avec l’environnement et
avec les autres membres du groupe. Le principe de totalité implique que
le comportement de chaque élément du groupe est lié aux comportements
de tous les autres et en dépend directement. Cette approche a été pensée
notamment par Edgar Morin, qui l’associe aux notions de complexité et
d’incertitude. La complexité est liée à la multiplicité des composantes d’un
système mais aussi et surtout à l’imprévisibilité des comportements de ces
composantes. Quant à l’incertitude, elle est selon Edgar Morin caractéristique
de nos sociétés contemporaines : « nous sommes condamnés à la pensée
incertaine, à une pensée criblée de trous, à une pensée qui n’à aucun
fondement absolu de certitude, mais nous sommes capables de penser dans
ces conditions dramatiques.
231
»
Une autre valeur centrale dans le projet global est la créativité. Celle-ci est mise
en œuvre durant les séminaires de formation, au travers d’ateliers créatifs (construction
de panneaux imagés, rédaction de contes ou d’articles) ou de jeux permettant de faire
émerger une réflexion collective. Pour M. Naton, « on parle beaucoup de management
dans les métiers du social alors qu’on a d’autres outils comme le jeu, la créativité,
l’imaginaire qui marchent aussi bien voire mieux et qui correspondent plus aux valeurs
232
qu’on porte. » M. Bély précise qu’il « faut travailler sur les synergies, pour qu’ensuite
233
les gens accompagnent la créativité des autres ». La créativité se retrouve également
dans les projets d’établissement de certains EAJE, notamment Gribouille. Cette structure
accueille en effet régulièrement des artistes (chanteurs, danseurs) dans le cadre de projets
artistiques construits sur une année. Par ailleurs, l’idée de mettre en place un curriculum
de la petite enfance commence à émerger. Celui-ci serait une sorte de livre de « recettes »
évolutif et participatif, dans lequel les équipes pourrait partager des techniques, des gestes,
des pratiques pédagogiques ou encore des jeux. Sylvie Rayna le définit comme « un
socle commun » et comme « l’ensemble des objectifs, valeurs, normes qui sous-tendent et
234
encadrent les pratiques d’accueil et d’éducation ». Le curriculum permettrait de renouveler
le rapport des professionnels à l’enfant, aux parents, mais aussi le rapport au sein des
équipes et avec les gestionnaires. Les familles seraient amenées à participer elles aussi,
toujours une optique de co-construction.
Ce travail autour du sens donné aux pratiques correspond à la définition de la qualité
telle que la décrit Peter Moss dans son ouvrage Au-delà de la qualité. Cette vision
de la qualité se distingue de celle issue du management traditionnel, fondée sur les
normes et l’évaluation. Selon Peter Moss, « le pouvoir que la décentralisation donne d’une
232
233
234
Entretien n°3.
Entretien n°8.
RAYNA, Sylvie et al. Pour un accueil de qualité de la petite enfance : quel curriculum ? Paris : Editions Erès, 2009. Collection
Petite enfance et parentalité. P. 15.
70
BONNARD Camille - 2012
III. Une politique différenciée préservant une identité singulière
235
main, l’évaluation peut la reprendre de l’autre. » Ce constat aboutit au questionnement
suivant : « à mesure que la possibilité de standardiser décline face à la diversité et la
complexité, pourquoi ne pas rechercher une façon de comprendre comment l’institution
fonctionne réellement plutôt que d’évaluer sa conformité à une norme de plus en plus
236
problématique ? » Il s’agit donc de remplacer le discours de l’évaluation par celui du
« faire sens », qui correspond à une approche postmoderne : ce nouveau langage se
base la co-construction et l’évaluation participative, en se servant de la diversité du local
au lieu d’appliquer l’universalité, car « amoindrir la diversité revient à réduire le possible
237
et la créativité ». Il se situe dans l’incertitude et ne propose donc pas une logique de
solution. Ainsi, une vision alternative des structures d’accueil des jeunes enfants est mise en
avant. Ces dernières sont vues comme des « forums de la société civile » promouvant une
démocratie participative locale. Cette idée de participation est d’ailleurs reprise par M. Bély,
pour qui « les relations parents/professionnels/enfants sont une métaphore de la démocratie
238
participative ».
De même, pour Sylvie Rayna la qualité de l’accueil des jeunes enfants ne se réduit pas
à la définition de normes quantifiables (espaces, encadrement, notamment) mais est une
notion pluridimensionnelle : « sa définition relève d’un processus participatif de construction
239
d'un socle commun de valeurs et de principes pédagogiques. »
Le projet Enfant Phare a donc pour objectif de redonner un sens aux pratiques des
professionnels et ainsi d’améliorer la qualité du service offert à la population. Unanimement
convaincus que ce projet apporte beaucoup aux équipes, les professionnels semblent
enjoués et motivés quand ils en parlent, comme en témoigne Mme Champmartin : « on a
l’impression de travailler avec du sens, de savoir pourquoi on le fait, et quel sens ça a pour
240
nous en tant que professionnelles et c’est ça qui est important. »
3. Les limites de la démarche
Le projet Enfant Phare génère des effets bénéfiques indéniables pour la dynamisation et la
motivation des équipes de terrain. Il présente cependant certaines limites, en partie du fait
de son caractère récent et encore peu abouti.
La première remarque porte sur le petit nombre de personnels du service de l’Enfance
impliqué dans ce processus. En effet, si le projet est porté par le service Petite Enfance,
son but est de s’ouvrir aux autres services. Le service Enfance est pourtant peu représenté
dans le groupe de supervision, ce qui s’explique pour une part par le grand nombre de
vacataires encadrés par seulement 18 permanents, tandis que le service Petite Enfance
compte une centaine de professionnels permanents. Ce manque de stabilité empêche
donc une implication sur le long terme. Mais M. Bély ajoute que « les professionnels de
l’animation étaient beaucoup moins présents, car ils sont enfermés dans des logiques de
235
MOSS, Peter et al. Au-delà de la qualité dans l’accueil et l’éducation de la petite enfance. Les langages de l’évaluation.
Toulouse : Erès, 2012. P. 157.
236
237
238
239
240
Ibid., p. 175.
Ibid., p. 285.
Entretien n°8.
RAYNA, Sylvie et al. Op. cit., p. 16.
Entretien n°5.
BONNARD Camille - 2012
71
La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation
pouvoir, alors que la petite enfance c’est plus circulaire, la question des valeurs se pose
241
nécessairement. » Sans savoir vraiment ce que sous-entend l’expression « logiques de
pouvoir », on peut supposer que le projet Enfant Phare résonne de manière plus pertinente
pour les professionnels de la petite enfance que pour ceux de l’animation.
La mise en lien et la transversalité ne sont pas des objectifs faciles à atteindre, comme
en témoigne l’organisation d’une journée sous la forme d’un forum entre les différents
services de la ville. Cette journée s’est déroulée au mois de février 2012 et réunissait des
personnes du service culturel, du service des sports, de la petite enfance, de l’animation
ainsi que quelques associations comme le Centre Associatif Boris Vian, et une personne
du Grand Projet de Ville. C’est au cours de cette journée que le nom du projet « Enfant
Phare » a été trouvé. Pour M. Naton, cette journée a bien fonctionné pour les services de
l’Enfance et de la Petite Enfance, mais moins pour les services culturels et sportifs, qu’il a
242
sentis « en décalage » et « déstabilisés ». La conclusion tirée de cette journée a donc été
de prendre davantage de temps, en travaillant d’abord prioritairement avec les personnels
de l’enfance et de la petite enfance.
Une autre illustration de résistance à un fonctionnement décloisonné est l’absence
d’implication des élus dans cette démarche. L’adjointe à la petite enfance est très peu
présente pour des raisons personnelles et lorsque j’ai interrogé le maire sur sa connaissance
du projet Enfant Phare, elle semblait peu au fait du processus en cours. Il résulte de cela
que les professionnels de terrain sont les principaux porteurs du projet et que la volonté de
changement semble davantage provenir d’eux que des élus. M. Bély explique son regret de
ne pas pouvoir être en lien avec les politiques :
Sur le terrain il y a une vraie intention de sortir des sentiers battus. Mais elle se
heurte à des logiques qui ne rejoignent pas ces intentions, il y a des difficultés
d’articulation. Par exemple je n’ai jamais rencontré le Directeur Général des
Services ni aucun élu en trois ans. Ce qui est grave c’est qu’ils nous laissent
faire, ils sont au courant de ce qu’on fait mais ils n’en voient pas la portée. C’est
la seule ville où je n’arrive pas à monter à ce niveau, ça ne peut pas se jouer.
J’interviens aussi à Montpellier, là bas j’ai organisé un séminaire de management
avec les professionnels de terrain, les coordonnateurs, et aussi les managers
de la direction générale des services. A Vénissieux rien n’émerge. Le travail de
243
terrain ne suffit pas s’il ne peut pas remonter.
M. Naton confirme cette impression : « il y a une volonté très forte des professionnels de
terrain de se mettre en lien, de travailler avec les autres, d’échanger leurs pratiques. La
244
déclinaison technique du projet sur le terrain est portée par les professionnels. »
La conséquence de cette forte implication des professionnels peut être une certaine
usure professionnelle. En effet, la mise en place d’un projet tel que le projet Enfant Phare
nécessite beaucoup de temps et est un travail de longue haleine. Les participants n’ont pas
tous la même culture professionnelle, ne travaillent pas tous dans le même contexte, et
sont souvent absorbés par la réalité du quotidien. Comme l’explique Mme Champmartin,
« tous ces projets ça demande des temps de rencontre, de réunion, de formation, donc
241
242
243
244
72
Entretien n°8.
Entretien n°3.
Ibid.
Entretien n°3.
BONNARD Camille - 2012
III. Une politique différenciée préservant une identité singulière
on multiplie… Parfois au bout d’un moment c’est un peu difficile, ça reste un boulot. C’est
une grande exigence. Ca demande à chacun de s’investir, de s’impliquer, ça demande du
245
temps. » Pour M. Naton, la difficulté est donc de « trouver les articulations entre les
246
choses », c'est-à-dire entre le travail quotidien et les projets de long terme.
En outre, on peut observer un certain écart entre le discours des acteurs et leurs
pratiques, car les mots employés (transversalité, regard global, systémie…) sont encore
peu appliqués dans les pratiques. Les professionnels peinent parfois à expliquer ce qui se
cache derrière certains « grands mots », ce qui peut donner l’impression que le discours a
été intégré sans qu’il corresponde à une réalité concrète. Par exemple, lorsque j’ai interrogé
Mme Champmartin sur le sens qu’elle donnait au concept de « curriculum », sa réponse a
été très évasive : « c’est un ensemble de perspectives, je sais pas, c’est un modèle un peu…
247
C’est difficile hein… Je vois mais mettre des mots exacts… » Le manque de concrétisation
peut par conséquent se révéler un peu décourageant.
Plusieurs professionnels précisent par ailleurs que s’ils trouvent le temps de participer
à ces projets, c’est en partie grâce à la politique menée à Vénissieux, qui conserve un taux
d’encadrement relativement élevé et donc une certaine souplesse en comparaison d’autres
villes. De plus l’intervention d’un consultant extérieur nécessite un budget spécifique, ce qui
montre que la ville est prête à investir dans le secteur de la petite enfance. Ainsi, même si
les élus ne sont pas personnellement impliqués dans le projet Enfant Phare, la politique de
qualité mise en place à Vénissieux pour l’accueil de la petite enfance permet à ce projet
de se développer.
Enfin, un des objectifs non encore atteints du projet Enfant Phare est celui de
la participation des familles. Il faut souligner que le projet étant situé au niveau du
management, il est difficile d’y inclure les familles. Cependant, l’optique générale étant celle
de la co-construction, il me parait important de remarquer que cette volonté de rendre la
population actrice demeure difficile à mettre en œuvre. Malgré les discours des acteurs et
le contenu du projet social visant à rendre les parents « premiers éducateurs » de leurs
enfants, l’impression générale est que l’on « agit sur » une population plutôt que de « faire
avec » elle. Mme Neri explique par exemple que « les parents ont besoin de cadres, comme
les enfants, si on donne pas des limites à un enfant il s’y perd et il arrive pas à se construire.
[….] Un cadrage ça canalise et ça structure les familles, et les familles elles ont aussi
248
besoin de ça. » Ces propos peuvent être mis en perspective avec la réflexion de MarcHenry Soulet, pour qui l’Etat providence est passé d’un principe de solidarité à un principe
249
de responsabilité des individus, dans un logique d’individualisation et d’autonomisation .
Il semble qu’à Vénissieux, au contraire, le fait que la population soit dans des situations
souvent difficiles préserve une forme d’assistance.
Au final, si le projet global Enfant Phare rencontre certaines difficultés et des résistances
dues à un cloisonnement bien ancré des services municipaux, il a le mérite de redonner
un souffle et une dynamique au travail quotidien des professionnels. Ces derniers n’ont
ainsi plus l’impression de « faire pour faire » mais d’agir en réfléchissant au sens de leurs
pratiques. « C’est dans le discours, dans l’attitude, mais pour que ça marche, faut pas que
245
246
247
248
249
Entretien n°5.
Entretien n°3.
Ibid.
Entretien n°2.
SOULET, Marc-Henry. Une solidarité de responsabilisation ? In ION, Jacques. Op.cit.
BONNARD Camille - 2012
73
La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation
250
le dire, faut pas que l’écrire, faut le vivre. » indique Mme Champmartin. On peut avancer
l’hypothèse que pour l’heure, la démarche et la dynamique initiées par le projet comptent
davantage que les résultats à court terme.
Si l’on se replace dans la perspective de la différenciation, on peut dire que Vénissieux
se démarque des tendances nationales à plusieurs égards. La différenciation est tout
d’abord induite par l’adaptation aux caractéristiques socio-économiques du territoire ainsi
qu’à sa diversité culturelle, qui obligent les professionnels à modifier leurs pratiques.
La population vénissiane présente une forte attente vis-à-vis de la municipalité et des
besoins singuliers auxquels répond par conséquent une offre singulière, moins diversifiée
qu’ailleurs. De plus, tant les professionnels que les élus sont en opposition avec la politique
de la petite enfance menée au niveau national et n’hésitent pas à en dénoncer les
paradoxes. Cela aboutit à la conservation de pratiques et de règles spécifiques à la ville
de Vénissieux.
Enfin, le projet Enfant Phare démontre une capacité de différenciation par rapport
aux évolutions nationales, différenciation issue non pas d’une volonté politique mais d’un
engagement des acteurs de terrain, animés par la volonté de redonner du sens à leur travail,
notamment en plaçant l’enfant au centre de leurs actions.
250
74
Entretien n°5.
BONNARD Camille - 2012
Conclusion
Conclusion
Lors de mon stage au sein du service Petite Enfance de Vénissieux, j’avais eu l’impression
que la politique de la petite enfance menée à Vénissieux était hors du commun et avantgardiste. Cette étude a permis de montrer que si Vénissieux a été avant-gardiste pendant
un temps - premier service de l’enfance, taux de couverture du territoire en places de
crèches élevé -, cet avant-gardisme n’est plus d’actualité, ou plus de la même façon.
Les professionnels eux-mêmes le reconnaissent : si la volonté politique semble toujours
présente, elle s’est développée parallèlement au niveau national et dans d’autres villes, ce
qui place Vénissieux dans une moyenne en matière de développement de l’offre d’accueil.
Pour répondre à notre question initiale, il semble que la politique de la petite enfance
de Vénissieux se situe à mi-chemin entre standardisation et différenciation, et qu’il n’est
pas aisé de tracer une ligne de démarcation nette entre ces processus. Les deux sont
étroitement liés et peuvent être complémentaires. Le projet global Enfant Phare constitue
un bon exemple de cette imbrication entre différenciation et standardisation. En effet, si le
contenu de ce projet constitue une certaine différenciation, sa forme (celle d’un projet avec
l’intervention d’un consultant d’un cabinet privé) demeure toutefois conforme aux tendances
actuelles des politiques publiques. De la même façon, pour Peter Moss, différenciation et
standardisation peuvent coexister :
Nous admettons que le discours de la qualité pourrait être particulièrement
utile pour certaines questions hautement techniques, peut-être par exemple,
l’hygiène alimentaire ou les normes de construction destinées à assurer la
sécurité physique… Adopter le discours du faire sens n’implique pas le rejet de la
251
quantification.
Il convient d’ajouter que la perception de ce qui relève ou non de la différenciation varie d’un
acteur à un autre. Pour M. Naton par exemple, le projet global appartient à « une tendance,
252
peut-être pas générale ou massive, mais qui se fait dans d’autres villes ». L’instrument
du curriculum est notamment utilisé en Allemagne et au Canada. En revanche, M. Bély
déclare que « c’est une démarche qui se fait très peu, les modèles dominants étant très
253
cartésiens » et qu’il ne connait pas de consultant engagé dans le même type de démarche
que lui. De même, lors de notre entretien, Mme Ruiz vante le côté avant-gardiste et original
de la politique de la petite enfance de Vénissieux et notamment du projet global, et reconnait
quelques minutes plus tard que « c’est une réflexion qui se fait au niveau mondial et qu’on
254
n’est pas en décalé par rapport à tout ce qui se fait ». Elle explique également avoir
réalisé lors d’une conférence de Peter Moss que le projet Enfant Phare s’inscrivait dans
« le discours du faire sens » prôné par l’auteur, ce dont les acteurs de Vénissieux n’ont
probablement pas conscience. Certains acteurs perçoivent la démarche comme unique
alors qu’un processus similaire peut être entrepris ailleurs. Mme Champmartin indique par
251
252
253
254
MOSS, Peter et al. Op.cit., p. 195.
Entretien n°3.
Entretien n°8.
Entretien n°1.
BONNARD Camille - 2012
75
La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation
exemple que si la créativité peut sembler un axe original des projets pédagogiques de la
ville, des aspects créatifs et artistiques sont en fait de plus en plus fréquemment inclus dans
255
les projets d’EAJE d’autres villes .
Pour synthétiser, on peut donc parler de tendances globales qui prennent des formes
différentes selon les villes, illustrant le métissage et la tension constante entre imitation et
innovation.
Par ailleurs, d’un point de vue plus politique, le fait que la mairie soit communiste
ne semble pas jouer un rôle significatif. Cela ressort assez peu dans le discours des
acteurs et semble peu impacter la construction de la politique de la petite enfance,
même si certaines valeurs telles que l’égalité, la laïcité, l’éducation populaire demeurent
caractéristiques du communisme. Le caractère communiste ressort peut-être davantage
dans l’organisation administrative, avec un fonctionnement très vertical décrit par M. Bély.
Cette identité communiste génère cependant quelques paradoxes dus au respect strict de
certains principes, relevés par les acteurs. La limitation de l’accueil en crèche à deux ans
et demi, qui vise à défendre la scolarisation dès deux ans, conduit par exemple à ce que
certains enfants n’aient de place ni à l’école ni en crèche, car l’Education Nationale ne prend
pas en compte les enfants de moins de trois ans dans les effectifs de classes. L’interdiction
de recruter des intérimaires peut en outre nuire au bon fonctionnement d’une structure en
manque de personnel. C’est donc une certaine rigidité que les professionnels vénissians
de la petite enfance dénoncent parfois.
Ils reconnaissent néanmoins quasi unanimement la présence à Vénissieux d’une
volonté politique en matière de développement de l’offre d’accueil de la petite enfance. Les
moyens attribués à cette politique ainsi que la conservation de règles spécifiques telles
qu’un taux d’encadrement d’un professionnel pour six enfants garantissent le maintien de
la qualité et d’un environnement de travail agréable.
Il me semble toutefois important de nuancer ces propos car mes recherches ont aussi
montré le fort cloisonnement qui existait entre le terrain et les élus. Ces derniers ne sont pas
impliqués dans la démarche du projet Enfant Phare, et beaucoup d’impulsions semblent
résulter de la volonté des responsables de service et des professionnels de terrain. En
ce sens, Mme Margerit et M. Damblin forment un binôme stratégique à la tête des quatre
services de la DEES et ont un rôle d’interface entre les élus et les acteurs de terrain.
La politique de la petite enfance de Vénissieux parviendrait donc à préserver une identité
singulière, malgré les contraintes obligeant à se plier aux exigences nationales et les
interdépendances dues à la multiplicité des acteurs.
On peut aussi avancer l’idée que cette différenciation est pour une part induite par
l’adaptation aux réalités du territoire et de la population : elle ne serait alors qu’un fait social
banal lié à l’appropriation du territoire par les acteurs. Comme l’expliquent Gilles Pinson et
Hélène Reigner,
La différenciation n’est peut-être pas à attendre des acteurs et organisations
impliqués dans la compétition électorale locale ; elle procède peut-être davantage
du type de territoire considéré, des positions des territoires dans les hiérarchies
spatiales, de leur spécialisation productive et équations socio-économiques qui y
256
prévalent.
255
256
76
Entretien n°5.
PINSON, Gilles & REIGNER, Hélène. In DOUILLET, Anne-Cécile. Op. cit., p. 167.
BONNARD Camille - 2012
Conclusion
Dans le cas de Vénissieux, la proportion importante de familles en situation difficile implique
257
des traitements au cas par cas et donc une nécessaire « déstandardisation » . Cela montre
la tension entre les revendications individuelles et légitimes de ces familles d’une part et
l’intérêt général d’autre part, qui oblige à adopter des règles collectives.
Il me parait finalement important de valoriser la forte volonté des professionnels de
terrain de Vénissieux de sans cesse améliorer le service rendu à la population et l’accueil
fourni aux enfants et à leurs familles.
Pour conclure, élargissons le débat à la politique de la petite enfance à un niveau
national pour cerner les évolutions potentielles auxquelles seront confrontés les acteurs de
la petite enfance à Vénissieux.
La note de veille n°157 du Conseil d’Analyse Stratégique propose des perspectives
pour 2017 et élabore plusieurs recommandations dans une optique d’amélioration de l’offre
d’accueil du jeune enfant. Un premier axe est la clarification de la gouvernance de cette
politique, car « l’éclatement de la compétence petite enfance constitue aujourd’hui un
frein à la mise en œuvre d’une politique à la fois plus ambitieuse, plus rationnelle et plus
258
équitable. » Un second axe réside dans la mise en cohérence des dispositifs variés d’aide
aux parents ayant de jeunes enfants : le CAS préconise ainsi un maillage de guichets
uniques sur le territoire, avec un référent « mode de garde », un peu à l’image du référent
« pôle Emploi ». Ces guichets pourraient même évoluer en agences rassemblant l’ensemble
des acteurs et des dispositifs. Des schémas locaux de l’offre d’accueil pourraient alors être
mis en place, qui mentionneraient les créations de places et les moyens mis en œuvre.
Le CAS pointe aussi la nécessité de prévoir des solutions de garde pour les demandes
spécifiques (horaires atypiques, handicap, urgence) ainsi qu’un accès privilégié aux modes
de garde pour certains publics ou territoires (les territoires soumis à la politique de la ville par
exemple, ce qui serait le cas de Vénissieux). Les parents pourraient disposer d’un numéro
unique d’enregistrement sur le site www.mon-enfant.fr afin d’évaluer le service rendu.
Enfin, le CAS évoque la création d’un Objectif national des dépenses pour l’enfance (Onde),
par analogie avec l’Ondam (Objectif national des dépenses de l’assurance maladie), pour
mettre en cohérence les moyens et les objectifs de la politique de la petite enfance. Toutes
ces perspectives s’inscriraient donc dans les tendances actuelles des politiques publiques
de rationalisation des moyens et de création d’agences.
Par ailleurs, certains auteurs comme Julien Damon émettent l’idée de la mise en place
259
d’un service public de la petite enfance à vocation générale (idée reprise par plusieurs
candidats aux élections présidentielles de 2012). Celui-ci permettrait aux parents de faciliter
la conciliation entre leur vie professionnelle et leur vie familiale. Ce service public de la
petite enfance pourrait être accompagné d’un droit opposable au mode de garde, à l’image
du droit au logement opposable. Les conditions de mise en œuvre de ces idées restent
néanmoins floues et nécessiteraient une amélioration importante de la coordination des
différents acteurs. A ce jour, aucune démarche n’a été entreprise dans ce sens, bien que
la création d’un service public de la petite enfance fasse partie du programme de François
Hollande.
257
ASTIER, Isabelle. Qu’est-ce qu’un travail public ? Le cas des métiers de la ville et de l’insertion. In ION, Jacques. Op. cit.
258
Centre d’Analyse Stratégique. Accueil de la petite enfance : comment continuer à assurer son développement dans le
contexte actuel des finances sociales ? Note de veille n°157, novembre 2009. P. 8.
259
DAMON, Julien. Comment donner corps à un « service public de la petite enfance » ? CAS, Note de veille n°34, 13
novembre 2006. 8 p.
BONNARD Camille - 2012
77
La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation
Enfin, un élément essentiel à prendre compte est l’européanisation d’un nombre
croissant de secteurs des politiques publiques. Bien que les politiques sociales demeurent
encore largement l’apanage des Etats membres, l’exemple de la directive « Services » ou
Bolkestein montre que les impératifs européens s’étendent à des domaines de plus en plus
variés. Ainsi, dans le cadre de la stratégie « Europe 2020 pour la croissance et l’emploi »,
260
l’objectif d’un taux d’emploi des femmes de 75% a été fixé . Celui-ci impliquera donc de
développer l’offre d’accueil des jeunes enfants.
Les prochaines années verront donc probablement des changements importants
en matière d’offre d’accueil des jeunes enfants, auxquels la ville de Vénissieux et ses
professionnels de la petite enfance devront faire face et s’adapter une nouvelle fois.
260
MINISTERE DU TRAVAIL ET DE L’EMPLOI. « Stratégie Europe 2020 : pour la croissance et l’emploi » [en ligne]. 10 octobre
2011. [page consultée le 20 juillet 2012] <travail-emploi.gouv.fr/europe-international,884/l-action-europeenne-et,1707/europe,2073/
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78
BONNARD Camille - 2012
Bibliographie
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Ouvrages
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Paris : Editions Erès, 2009. Collection Petite enfance et parentalité. 416 p.
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La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation
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80
BONNARD Camille - 2012
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Documents internes du service Petite Enfance de la mairie de
Vénissieux
BONNARD Camille - 2012
81
La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation
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août 2000 relatif aux
établissements et services d’accueil des enfants de moins de six ans et modifiant le
code de la santé publique. Journal Officiel n°181, 6 août 2000.
FRANCE, MINISTERE CHARGE DES AFFAIRES SOCIALES. Circulaire n° 4 du 2
novembre 1981 relative au développement, à la coordination et à l'organisation des
modes d'accueil et de garde des jeunes enfants. Bulletin officiel n° 81/49, texte n°
21963, 9 p.
FRANCE, PREMIER MINISTRE. Décret n°2007-230 du 20 février 2007 relatif aux
établissements et services d’accueil des enfants de moins de six ans et modifiant le
code de la santé publique. Journal Officiel n°45, 22 février 2007.
FRANCE, PREMIER MINISTRE. Décret n°2010-613 du 7 juin 2010 relatif aux
établissements et services d’accueil des enfants de moins de six ans. Journal officiel
n°0130, 8 juin 2010.
PARLEMENT EUROPEEN ET CONSEIL. Directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006
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Bibliographie
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la ville 2011. Les Minguettes 1981-2011 » [en ligne]. 23 juin 2011. [page consultée le
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La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation
Annexes
Annexe 1 : Liste des abréviations utilisées
∙
AEA : Aide Educative Administrative
∙
AEMO : Aide Educative en Milieu Ouvert
∙
AFSSA : Agence Française de la Sécurité Sanitaire des Aliments
∙
ANSES : Agence Nationale de la Sécurité Sanitaire
∙
ARS : Agence Régionale de Santé
∙
CAF : Caisse d’Allocations Familiales
∙
CAS : Centre d’Analyse Stratégique
∙
CDAJE : Commission Départementale de l’Accueil des Jeunes Enfants
∙
CEJ : Contrat Enfance Jeunesse
∙
CMP : Centre Médico-Psychologique
∙
CNAF : Caisse Nationale d’Allocations Familiales
∙
CNFPT : Centre National de la Fonction Publique Territoriale
∙
DEES : Direction Enfance Education Santé
∙
EAJE : Etablissement d’Accueil du Jeune Enfant
∙
HACCP : Hazard Analysis Critical Control Point
∙
LAEP : Lieu d’Accueil Parent Enfant
∙
LOLF : Loi Organique relative aux Lois de Finance
∙
PAI : Projet d’Accueil Individualisé
∙
PAJE : Prestation d’Accueil du Jeune Enfant
∙
PIF : Point accueil Information et orientation des Familles
∙
PLFSS : Projet de Loi de Finances de la Sécurité Sociale
∙
PMI : Protection Maternelle et Infantile
∙
PQE : Programme de Qualité et d’Efficience
∙
PSEJ : Prestation de Service Enfance Jeunesse
∙
PSU : Prestation de Service Unique
∙
SDAJE : Schéma Départemental de l’Accueil du Jeune Enfant et de sa Famille
Annexe 2 : Liste des entretiens réalisés
∙
84
Entretien n°1 : Marie-Lydie Ruiz, directrice de la crèche Tourni Cotton du centre social
Eugénie Cotton, dans le quartier des Minguettes
BONNARD Camille - 2012
Annexes
∙
Entretien n°2 : Carole Neri, responsable du Point Accueil, Orientation et Information
des Familles au sein du service Petite Enfance
∙
Entretien n°3 : Milan Naton, coordinateur du projet global Enfant Phare, en
apprentissage au sein de la Direction Education Enfance Santé
∙
Entretien n°4 : Nicole Henner, directrice de la crèche municipale Carrousel, dans le
quartier des Minguettes
∙
Entretien n°5 : Isabelle Champmartin, directrice de la crèche municipale Gribouille,
dans le quartier Moulin à Vent
∙
Entretien n°6 : Victorine Margerit, responsable des services Petite-Enfance et Santé
Scolaire
∙
Entretien n°7 : Matthieu Damblin, responsable des services Education et Enfance,
ancien coordinateur enfance-jeunesse
∙
Entretien n°8 : Pascal Bély, consultant du cabinet Trigone, spécialisé en conseil à la
fonction publique
∙
Entretien n°9 : Michèle Picard, maire de Vénissieux
A consulter sur place au centre de documentation de l'Institut d'Etudes Politiques de
Lyon
BONNARD Camille - 2012
85