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Recherche et développement
Lire les traces dans
l’air à l’Equateur
Un conteneur transformé en station de mesure sur les flancs du Mont Kenya permet aux
climatologues de savoir ce qui se passe dans l’atmosphère des tropiques et comment
ces phénomènes influencent le climat global. Des chercheurs de l’Empa ont formé leurs
collègues kenyans sur place et assurent ainsi la qualité des données recueillies.
TEXTE: Martina Peter / PHOTOS: Jörg Klausen, Stephan Henne
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Recherche et développement
es météorologues kenyans travaillent
souvent dans des conditions difficiles. Le chemin pour parvenir à leur
station de mesure à 3700 mètres d’altitude
est ardu. Durant la saison des pluies, les 15
kilomètres de la «route» d’accès à travers le
parc national du Mont Kenya se transforme
en toboggan boueux. De plus elle s’arrête
soudain trois kilomètres avant le but: appareils, matériel de réparation et pièces de
rechange doivent être portés à dos
d’homme à travers un terrain malaisé.
Cette expérience, Jörg Klausen et Stephan Henne du laboratoire «Pollution atmosphérique/Technique de l’environnement
de l’Empa, l’ont ont aussi faite lors de leur
visite au mois de novembre dernier: ils ont
rencontré une route impraticable aux yeux
européens et des lignes électriques traversant la jungle souvent coupées. C’est une des
raisons pour lesquelles «le travail de nos collègues kenyans est tout sauf facile», pour citer Henne. Il se produit sans cesse des interruptions de courant, surtout pendant la
mousson. Les câbles sont arrachés par la
chute de branches et des éléphants se servent des poteaux électriques comme grattedos. Il se passe souvent une, voire plusieurs
semaines, avant que le courant soit rétabli.
Ce n’était pas une visite de politesse qui
avait conduit ces chercheurs de l’Empa sur
cette station. «Nous avons pour tâche de vérifier la qualité des données tous les deux à
trois ans. Nous calibrons les appareils de mesure, remplaçons des pièces ou même des
appareils si nécessaire», explique Jörg Klausen. «Par la même occasion nous formons les
météorologues qui y travaillent et leur apportons un soutien scientifique.»
L
1
La station de mesure du
Mont Kenya se situe à
15 kilomètres au sud de
l’Equateur à une altitude
de 3678 mètres.
2
Avance interrompue pour
les chercheurs sur le
Mont Kenya. Durant la
saison des pluies la piste
de mue en un toboggan
boueux
3
L’aménagement spartiate
du conteneur transformé
en station de mesure.
4
La ligne électrique
alimentant la station
de mesure traverse
la végétation dense de
la forêt tropicale.
Combler les lacunes du réseau
de mesure global
Au milieu des années 1990, la «World Meteorologial Organization» (WMO) a décidé
de construire, avec l’aide de la banque
mondiale, six stations supplémentaires en
Algérie, en Argentine, au Brésil, en Chine, en
Indonésie et au Kenya pour le programme
«Global Atmosphere Watch» (GAW; voir encadré). Cela afin de combler les lacunes du
réseau global de mesure terrestre. C’est en
effet précisément dans les pays de l’hémisphère sud et en Chine, qui du fait de leurs
structures politiques, économiques et sociales pourraient être particulièrement touchés par le changement climatique, que font
défaut les stations pour la mesure du climat
et de la composition de l’atmosphère.
Depuis 2002, l’Empa, apporte son aide
pour assurer la continuité des mesures au
Kenya avec le soutien financier de MétéoSuisse. La station du Mont Kenya a été
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construite et équipée en 1999 déjà par l’office météorologique kenyan et le «Forschungzentrum Karlsruhe» allemand.
Au sein du réseau GAW, cette station
de haute montagne en climat tropical effectue des mesures dites de fond, tout
comme la station du Jungfraujoch. Sur un
site sans émissions industrielles locales, où
la teneur de l’air en polluants est relativement faible, on peut mesurer «sans influence» toute une série de paramètres atmosphériques: sur le Mont Kenya on détermine par exemple la pollution par
l’ozone O3, le monoxyde de carbone CO, la
suie et bientôt aussi par le CO2 ainsi que le
rayonnement solaire.
«La station du Mont Kenya nous permet d’observer l’atmosphère d’une manière unique» déclare Henne. Les résultats
servent à déceler les tendances importantes dans cette région. En effet, l’économie kenyane croît, l’industrialisation et la
pollution atmosphérique augmentent
aussi. Avec ces mesures de longue durée,
les autorités ont en main un outil pour planifier et prendre les mesures adéquates.
L’atmosphère des tropiques: peu étudiée mais importante par son influence
La ceinture tropicale présente un intérêt
spécial pour les climatologues car il règne
dans cette zone des conditions particulières. C’est ainsi que, par exemple, du fait
de l’intensité du rayonnement solaire les
réactions chimiques y sont nettement plus
rapides que sous les latitudes tempérées.
Les données fournies par les satellites sont
souvent les seules sources d’information
sur ce qui se passe dans les masses d’air
tropicales. Les stations terrestres ont ainsi
une importance d’autant plus grande pour
compléter et valider les données satellites
et les modèles climatiques. «Si nous parvenons à comprendre comment l’atmosphère
des tropiques se modifie, nous comprendrons aussi mieux le changement climatique global car les tropiques exercent une
grande influence sur la chimie de l’atmosphère» explique Henne.
Le monoxyde de carbone et l’ozone à
proximité du sol sont des acteurs importants dans le système chimique de la troposphère, la couche basse de l’atmosphère.
La troposphère – une sorte de gros réacteur
chimique – «traite» sous l’action du rayonnement solaire d’énormes quantités de gaz
en traces et de particules en suspension
dans l’air. Le monoxyde de carbone est un
bon indicateur de la concentration des radicaux hydroxyles, le «produit de lessive»
de l’atmosphère, qui dégradent les polluants et les gaz à effet de serre tels que le
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Recherche et développement
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Qu’est ce que le GAW?
Le «Global Atmosphere Watch» (GAW) est un programme international d’observation de l’atmosphère, coordonné par la «World Meteorologial Organization» (WMO) qui fournit des données qu’utilise entre autres le GIEC pour ses pronostics climatiques.
L’Empa contribue de plus d’une façon à ce programme: la station de recherche de haute montagne du Jungfraujoch, une des 26 stations de mesure du GAW, analyse depuis plusieurs années les
polluants gazeux et particulaires dans l’air clair loin
au-dessus du Plateau suisse. L’Empa joue encore un
rôle important dans le transfert de savoir et contribue ainsi pour une part au succès des stations de
mesure d’Assekrem (Algérie), Bukit Toko Tabang (Indonésie) et du Mont Kenya (cf. article principal).
méthane. Lorsque la concentration de CO
augmente dans l’air, la concentration en
radicaux hydroxyles diminue et l’atmosphère s’enrichit en gaz climatiques.
Comme par exemple lors des incendies
de grande surface sous les tropiques: «Nos
mesures du CO montrent ce que provoquent les feux de forêt et de savane» déclare Henne. Souvent cette combustion de
biomasse est d’origine naturelle, mais les
hommes en sont aussi responsables d’une
grande partie: ils utilisent la biomasse
comme combustible, brûlent les déchets de
récolte et font du défrichage par le feu. La
combinaison des données de mesure avec
des modèles météorologiques permet aux
chercheurs de l’Empa de remonter aux
sources de ces polluants qui, pour la station du Mont Kenya, se situent dans la
ceinture de savane et en Afrique du Nord.
La combustion de biomasse génère
aussi indirectement de l’ozone par réaction
des hydrocarbures volatiles en présence
1
Les grands incendies de forêt du
mois de février 2004, marqués
en rouge et en jaune (densité du
feu plus faible), tels que les a vu
l’instrument MODIS embarqué
sur satellite. Les lignes indiquent
les mouvements des masses
d’air lors de ces vastes incendies.
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Régions d’origine potentielles de
l’air analysé sur le Mont Kenya.
Le rouge et le jaune indiquent que
ces régions exercent une forte
influence sur la composition
de l’air; en bleu les régions dont
l’influence est plus faible.
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d’une quantité suffisante d’oxydes d’azote.
L’ozone qui, dans la stratosphère à une altitude de 20 à 40 kilomètres, protège la
terre des rayons ultraviolets, est nocif à
proximité du sol. Il irrite les yeux et les
voies respiratoires et affaiblit les plantes.
Une pollution élevée par l’ozone peut réduire les rendements agricoles et même
provoquer des pertes totales de récolte. Ce
qui serait fatal pour un pays à prédominance agricole comme le Kenya. «Les septante pour-cent de l’ozone produits en
Afrique se retrouvent ensuite hors de ce
continent» déclare Henne. Une raison de
plus pour observer en continu et avec précision les conditions locales et comprendre
leurs effets globaux.
Recherche et développement
Des mesures de longue durée pour
démontrer le changement climatique
Les changements climatiques ne se produisent pas du jour au lendemain. Seules des
études de longue durée permettent aux
chercheurs de connaître les facteurs du réchauffement global. En 2007, le Groupe
d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) de l’ONU est arrivé à
la conclusion que le réchauffement de l’atmosphère depuis le début de l’ère industrielle a été provoqué essentiellement par
son enrichissement en gaz à effet de serre
produits par l’homme; cela sur la base des
innombrables données fournies par de
longues séries de mesure – provenant aussi
du Jungfraujoch et du Mont Kenya.
Seules des mesures régulières et standardisées de plusieurs grandeurs environnementales dans différentes régions permettent d’établir si et comment notre climat change, déclare Thomas Stocker, professeur de climatologie et de physique de
l’environnement à l’Université de Berne,
qui préside depuis peu le groupe de travail
Science du GIEC: «La saisie des données
scientifiques exige de la continuité. Un instantané ne permet pas de déceler les tendances et les évolutions.» //
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Le laser pour suivre à la trace les sources de CO2
Un appareil de mesure isotopique du CO2 installé sur le Jungfraujoch fournira des informations
sur l’influence des activités humaines sur les concentrations de ce gaz à effet de serre et sur la
part d’origine biologique de ses émissions. L’Empa a développé pour cela avec des partenaires
de la recherche un spectromètre d’un type nouveau.
Les échantillons de
gaz s’écoulent en
continu dans la
chambre du nouvel
appareil de mesure
isotopique du CO2.
Le dioxyde de carbone produit par l’homme par combustion du gaz naturel et du pétrole passe
pour être la cause principale du réchauffement climatique. «Pour en comprendre le cycle global, nous devons toutefois savoir à quelles molécules de CO2 nous avons affaire» explique le
chimiste de l’Empa Lukas Emmenegger. C’est ce qui l’a conduit à développer avec son équipe
et en collaboration avec la firme neuchâteloise Alpes Laser et la firme américaine Aerodyne Research, un spectromètre laser à cascade quantique pour la mesure en continu des isotopes stables du CO2. Ce projet a été financé par le Pôle de Recherche National «Photonique» et l’Office fédéral de l’environnement. En août 2008, le premier appareil au monde de ce type a été
mis en exploitation au Jungfraujoch.
Chaque molécule de dioxyde de carbone possède sa propre signature isotopique
Le dioxyde de carbone ne provient pas uniquement de la combustion des énergies fossiles. Les
océans en produisent des quantités énormes et aussi les plantes, les bactéries et les autres organismes vivants. Naturellement sa part anthropogène intéresse plus particulièrement les chercheurs (et les politiciens). Dans la détermination des sources et des puits de CO2, la nature leur
vient en aide: les molécules de CO2 issues de la combustion diffèrent de celles du CO2 produites «biologiquement» par leur signature isotopique; les atomes de carbone et d’oxygène
présentent en effet une composition isotopique légèrement différente selon leur origine. La caractérisation de cette composition s’effectue par détermination du rapport de deux types d’isotopes du carbone et de l’oxygène qui apparaissent dans les molécules de CO2.
L’Université de Berne détermine depuis quelques années déjà les signatures isotopiques du CO2
dans des échantillons d’air du Jungfraujoch. Avec ce nouveau spectromètre laser à cascade
quantique il n’est cependant plus nécessaire de transporter les échantillons en laboratoire, les
mesures s’effectuent automatiquement et les valeurs de mesures sont transmises par liaison
Internet.
Les origines du dioxyde de carbone dans l’atmosphère
Mais cela n’est pas tout. Les chercheurs de l’Empa désirent aussi savoir où se situent les sources
importantes de CO2, et ils recourent pour cela à la modélisation des courants atmosphériques.
La combinaison de ces mesures isotopiques associées à celles d’autres polluants avec des modèles météorologiques leur permet remonter le fil du temps. «Ce film à l’envers nous permet
d’identifier les sources et les puits de CO2» L’évaluation des données n’a fait que débuter. «Dans
une année nous pourrons présenter nos résultats», estime Emmenegger.