Vous arrive-t-il à vous aussi, de manière
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Vous arrive-t-il à vous aussi, de manière
[ Vous arrive-t-il à vous aussi, de manière obsessionnelle, de vouloir savoir ce qui se cache derrière le mur qui vous fait face ? ] Timidité : ne pas parvenir à demander à quelqu’un de faire son portrait. Je m’exaspère.Je l’avais repéré à son entrée dans le bus. Une aura, un style, que sais-je ? Il avait attiré mon regard. Il était seul. Je voulais en faire une image. J’y ai pensé pendant plusieurs heures ; durant la première partie du trajet. Comment ? Que dire ? À quoi me sert cette intrusion ? Le bus s’est arrêté : nous devions attendre la barge qui nous mènerait de l’autre côté du détroit. Je suis descendu juste après lui. Assez facilement je lui ai adressé la parole, demandé où il allait et d’où il venait. Il se rendait dans une grande ville, loin d’ici : un lieu lié à son travail dans l’industrie pétrolière. Il revenait d’une semaine de vacances avec sa famille, femme et enfants, qu’il ne voyait que trop rarement. Sans se plaindre, heureux d’avoir un bon travail. Il avait l’air content de parler, de partager, malgré ma pratique lamentable de sa langue. Je lui ai demandé si je pouvais le prendre en photo et il a accepté. J’étais heureux, comme si j’avais franchi un cap. Il m’a souhaité bon voyage. J’ai oublié de lui demander son nom. Nous sommes montés sur le bateau, avons repris nos places respectives dans le car, et laissé le détroit derrière nous. A la suite d’un site touristique très connu et fréquenté, passage obligé et intéressant, nous avons pris les chemins de traverse sans nous soucier de la direction, sans but à atteindre. Rouler par plaisir, avec de la musique. Ne penser à rien d’autre que ce que l’on voit. J’ai beaucoup aimé le faire avec elle ( on ne le fait pas assez souvent ). Campings désertés, maisons anciennes, chemins de terre et pinèdes. Quelques pins parasols. Peu de gens : nous sommes hors-saison. Un dernier chemin cahoteux qui s’avère sans issue. Ou plus ou moins : à sa fin la mer et une plage de sable fin. La plage est grande, la mer belle. Un individu qui s’éloigne. Sur le sable, des détritus de toutes sortes, rejetés par les eaux, sans doute. Dans deux mois peut-être des dizaines de personnes viendront nettoyer tout cela, vider la plage de ses immondices afin de permettre aux vacanciers de s’y prélasser. Jamais je n’avais vu un tel carnage. Honte. Sur moi. Sur nous.