NOTES DE LECTURE

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NOTES DE LECTURE
NOTES DE LECTURE
●
L’histoire de la mutualité en cinq ouvrages
• La Mutualité en Loire-Atlantique, dix
générations de traditions et d’innovations
solidaires, sous la direction de Jean-Luc
Souchet et Denis Roux, Nantes, Mutuelles
de Loire-Atlantique, 1996, 320 p.
• La Mutualité tourangelle, creuset
de solidarité, Jean-Luc Souchet, Tours,
Mutualité de l’Indre-et-Loire, 2000, 288 p.
• La Mutualité au sein des populations
littorales en Charente-Inférieure (18501945), Patricia Toucas, Paris, Librairie de
l’Inde, 1998, 408 p.
• Les sociétés de secours mutuels
et leur union dans les Pyrénées-Orientales
(XIXe-XXe siècle), Edwige Praca, Mutualité
Pyrénées-Orientales, Trabucaire, 2000, 350 p.
• Histoire de la Mutualité dans l’Hérault,
Edwige Praca, Toulouse, Privat, 2003, 128 p.
Trop longtemps, l’histoire de la mutualité est restée un terrain en friche. Une telle situation ne peut
qu’étonner dans la mesure où la mutualité constitue le mouvement social le plus ancien et le plus
puissant de notre pays. Pourtant, et il serait facile
de le relever, la mutualité a été la grande oubliée
de très nombreux ouvrages consacrés à l’histoire
sociale et même à l’histoire de la protection sociale.
Plusieurs raisons expliquent ce retard historiographique et en particulier le fait que, lorsque
l’histoire sociale a commencé à être reconnue par
l’Université au début des années 60, elle a davantage été pensée en termes d’affrontement que de
compromis : cette vision de l’histoire était marquée par son caractère « héroïque », à travers
une succession d’épisodes sinon dramatiques, du
moins hauts en couleur, allant de la révolte des
canuts à la Libération, en passant par la Commune, la Grande Guerre, le Front populaire et
la Résistance. Que ces moments aient joué un
rôle essentiel dans l’histoire de notre pays est une
évidence, mais on ne peut pourtant pas s’en tenir
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à cette vision des choses: certaines réformes, considérables pour l’ensemble de la société, ont été
conçues dans le cadre d’une démarche fondamentalement réformiste et négociées « à froid ».
Ne prenons que deux exemples : la loi de 1898
sur la mutualité – la Charte de la mutualité – et
les assurances sociales, instaurées en 1930, constituent deux étapes majeures dans la constitution
de notre système de protection sociale; elles n’ont
pourtant laissé aucun souvenir dans la mémoire
collective des Français et ont peu intéressé les historiens jusqu’à une date fort récente.
C’est dire combien la publication de ces ouvrages
retraçant l’histoire de la mutualité dans cinq départements est bienvenue. D’emblée, précisons que
quatre d’entre eux – ceux dont Jean-Luc Souchet
et Edwige Praca ont été les maîtres d’œuvre – sont
des ouvrages de commande, rédigés à la demande
des unions mutualistes départementales concernées et destinés d’abord aux mutualistes. Dans
ces conditions, on aurait pu craindre que ces
ouvrages ne glissent du terrain de l’hagiographie
à celui de l’histoire, mais fort heureusement, il
n’en est rien. Le livre de Patricia Toucas repose
sur les recherches exposées dans sa thèse. De façon
générale, la qualité de tous ces auteurs, chercheurs
confirmés ou en passe de le devenir, donne toutes
les garanties souhaitables au lecteur.
On découvre donc l’histoire d’un mouvement
social qui plonge ses racines dans des formes d’organisation très anciennes. Les grandes étapes de
l’histoire de la mutualité sont maintenant connues.
Durant une première phase (1780-1852), les sociétés de secours mutuels passent d’abord sans
encombre la décennie agitée de la Révolution française. Leur tout petit nombre, leur faiblesse les
mettent à l’abri des troubles du moment, mais en
revanche, elles seront ultérieurement concernées
par les effets de la loi Le Chapelier. Avec les débuts
de la révolution industrielle, elles se développent
et remplissent souvent une double fonction: prise
en charge minimale des besoins sociaux et, parfois
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aussi, organisation des luttes en lieu et place
d’organisations syndicales qui n’ont pas droit de
cité. Confiée à la direction des notables par
Napoléon III à partir de 1852, la mutualité continue de se développer tout en se transformant assez
sensiblement, puis se républicanise avec lenteur
durant la décennie 1870-1880. Ensuite, elle prend
peu à peu conscience de sa force en tant que mouvement national, à l’heure où l’Etat commence
à intervenir timidement dans la protection sociale.
L’Etat confie alors à la mutualité la gestion du
risque maladie tout en étant bien plus réticent à
lui accorder une large place dans la constitution
d’un système de retraite. L’apprentissage de la
coopération avec l’Etat est facilité par la Grande
Guerre, qui ôte toute illusion aux mutualistes sur
leur capacité de construire, à eux seuls, un système général et complet de protection sociale; dès
lors, la Fédération nationale de la mutualité française (FNMF) se résigne, en 1923, à soutenir le
projet en discussion des assurances sociales, avant
de s’y investir fortement sept ans plus tard. A la
Libération, la mutualité doit se redéfinir de façon
complémentaire à la Sécurité sociale, qu’elle ne
gère d’abord que de façon marginale. Jusqu’à la
fin des années 60, la rénovation de la mutualité
s’effectue à travers la montée conjointe de la
mutualité des fonctionnaires et des enseignants
ainsi que de la mutualité d’entreprise.
Ce canevas général se décline toutefois de façon
assez différente dans les cinq départements concernés, pour une raison simple: la mutualité s’ancre
fortement dans les particularités et les spécificités
de chacun. L’histoire de la mutualité est étroitement liée à l’histoire régionale, dont elle est un
élément constitutif considérable. De grandes différences d’activité peuvent apparaître à l’échelle
d’un même département: les formes de la mutualité en sont alors modifiées. Ainsi, en CharenteInférieure, le tissu mutualiste n’est pas de même
nature dans les zones agricoles et dans les zones
plus maritimes, comme le montre fort bien Patricia Toucas. Sur un autre plan, la période difficile
de la Seconde Guerre mondiale, longtemps occultée dans l’histoire mutualiste, est désormais abordée sans complaisance : au-delà du discours, on
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mesure mieux ainsi combien la réalité a pu être
complexe sur le terrain.
Un autre grand mérite de ces ouvrages est de nous
faire connaître les hommes, beaucoup plus rarement les femmes, qui ont animé la mutualité, ainsi
que ceux qui, sans être mutualistes, l’ont aidée à
se développer. On connaissait quelque-uns de
ces « parrains » de la mutualité dont Léon Bourgeois a été l’archétype au début du XXe siècle sur
le plan national. Mais qui savait que Camille Chautemps, député puis sénateur du Loir-et-Cher de
1925 à 1941, quatre fois président du Conseil jusqu’en 1940, a largement contribué au développement de la mutualité tourangelle? Les liens de la
mutualité avec le monde patronal et politique apparaissent aussi dans les Pyrénées-Orientales, avec la
figure du sénateur Eugène Pams, commerçant,
l’un des responsables de la chambre de commerce
de Perpignan, fondateur et président de l’Union
mutualiste, de 1900 à sa mort en 1932. Dans la
décennie 1930, la forte implication de la mutualité dans les assurances sociales l’a souvent rapprochée, également, des syndicalistes CGT
confédérés et CFTC. Ces cinq livres fourmillent
d’informations relatives à la personnalité des mutualistes de ces départements. Si de telles études se
multipliaient, il serait possible d’avoir une vision
d’ensemble de ceux qui, depuis un siècle, ont animé
le mouvement mutualiste. A la différence de ce
qu’il en est pour les hommes politiques et les militants du mouvement ouvrier, à travers la grande
entreprise du Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français (le « Maitron »), on connaît
encore bien mal aujourd’hui les protagonistes de
la mutualité, on ne sait que peu de choses sur les
milliers de responsables de ce mouvement.
Pourtant, beaucoup ont également joué un rôle
politique et social actif dans leur département: les
nombreux contacts que la mutualité leur offrait
ont souvent facilité leur carrière politique.
Ces cinq livres apprennent également beaucoup
sur la façon dont s’opère, sur le terrain, l’engagement
mutualiste et sur les modalités selon lesquelles se
sont construites les œuvres mutualistes: pharmacies, cliniques, dispensaires, réalisations sociales de
toutes sortes. On mesure mieux ainsi comment la
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mutualité s’est inscrite dans le paysage social général du pays, marqué par un rapport complexe entre
assistance et assurance, et comment elle a contribué à le façonner. On voit la difficulté avec laquelle
la mutualité s’implique dans les retraites ouvrières
et paysannes en 1910, puis beaucoup plus largement dans les assurances sociales vingt ans plus
tard; comment, enfin, elle se redéploie en aval de
la Sécurité sociale après 1946.
Last but not least, soulignons la qualité iconographique de la plupart de ces ouvrages, qui restituent de très beaux documents iconographiques
à leurs lecteurs. Il y a là tout un patrimoine que
l’on pourrait également retrouver, sans doute, dans
de nombreux autres départements. A l’heure où
la FNMF jette les bases d’un Musée d’histoire de
la mutualité sur le réseau Internet, il y a là plus
qu’une coïncidence: là encore, ce patrimoine ne
se limite pas seulement à l’histoire mutualiste, il
concerne plus largement départements et régions
dans leur ensemble. Il faut souhaiter que tout soit
mis en œuvre pour le retrouver, le collecter et le
faire connaître. Si l’histoire de la mutualité a été
trop longtemps négligée, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Nombreux sont les documents d’archives
et iconographiques, de toutes sortes, susceptibles
de faire revivre l’histoire de ce vaste mouvement. Souhaitons que la recherche en ce domaine
se poursuive et s’amplifie. Michel Dreyfus ●
Le mouvement coopératif
de consommation dans l’Ouest (1)
des origines au congrès de Fougères (1925)
De la foi associationniste au consumérisme
Entre l’utopie et le réel,
un projet de réforme sociale
Robert Gautier. Thèse pour le doctorat
d’histoire, université Rennes-2 HauteBretagne, 2003. Directeur de thèse : Claude
Geslin. Lauréat du prix de l’Addes 2003.
Cette thèse peut être qualifiée de « généreuse » non
seulement pour son volume (778 pages plus
300 pages de documents historiques en annexe),
(1) Départements formant aujourd’hui les régions Bretagne et Pays-de-la-Loire.
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mais aussi par l’étendue des investigations conduites
à travers les archives nationales, départementales
et municipales, publiques ou privées (par exemple
les archives manuscrites et privées de Dugast-Matifeux, un ancien directeur de la Boulangerie fraternelle de Nantes, ou celles de Charles Loyer de
Cholet, ou encore celles de Paulin Desroche qui
réunit notamment les fonds privés comme ceux
de Jean Gaumont et de Gaston Prache).
Bien sûr, aucune des thèses ou des études d’historiens, de juristes et d’économistes sur la coopération en région réalisées depuis le début du
XXe siècle ne lui est étrangère et le Dictionnaire
biographique du mouvement ouvrier français l’a
accompagné en permanence au cours de ces cinq
années de recherche pour montrer les liens inextricables qui unissent l’action coopérative et le
mouvement ouvrier.
Ainsi, des militants coopérateurs comme Emmanuel Svob à Nantes, Henri Lepouriel et Eugène
Trebourg à Fougères, Henri Gautier, Victor Pengam à Brest, Alice Jouanne (enfin une femme !)
et Charles Brunellières au niveau régional sont
aussi des syndicalistes et des militants du socialisme. L’un des mérites essentiels de cette
recherche est bien de nous faire redécouvrir, voire
d’exhumer des vestiges impressionnants du patrimoine de l’associationnisme, de la coopération
et du mutualisme dans les régions de Bretagne
et des Pays-de-la-Loire.
Robert Gautier a découpé son approche en trois
parties.
La première, qu’il intitule « De l’association
à la coopération », couvre la période 18301892 qui recouvre elle-même deux phases distinctes. La première phase (de la révolution de
juillet 1830 au début du Second Empire libéral) est celle des manifestations émergentes de
l’associationnisme dans la région de l’Ouest.
S’y manifestent la progression et la diffusion
des doctrines du socialisme associationniste
des Fourier, Bazard, Cabet, Buchez, Leroux,
Proudhon et de leurs disciples nationaux et
locaux. C’est alors principalement la bourgeoisie républicaine locale qui propage les doctrines socialistes. Dans une époque où le pain
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occupe encore une place prédominante dans
l’alimentation du peuple, en l’occurrence dans
les cités ouvrières de l’Ouest, les premières expériences de sociétés fraternelles ou d’organisations collectives ou associatives vont
naturellement se réaliser dans la boulangerie,
parfois à partir des sociétés de secours mutuels.
Sous l’Empire libéral, trois mesures vont permettre l’éclosion et le développement de véritables coopératives de consommation dans la
boulangerie : le décret de 1863 qui supprime
la taxation du pain et libère la profession de
boulanger, la suppression du délit de coalition
en 1864 et la loi de 1867 sur les sociétés anonymes qui, par son titre III relatif aux SA à
capital variable, offre un cadre légal aux coopératives. Dès lors, les coopératives vont se multiplier ou se développer, principalement dans
les bassins industriels (comme le Sud vendéen,
la région lorientaise, celle de la basse Loire
ou du triangle angevin). On y relève toujours
une prédominance de boulangeries coopératives, mais aussi une tendance à la diversification et à l’intercoopération, notamment avec
les sociétés de secours mutuels ou les premières
sociétés de crédit et d’épargne.
Les initiatives ne relèvent pas toutes des mouvements ouvriers. Les patrons de grandes compagnies de chemin de fer de l’Ouest ou de
l’arsenal de l’Indret encouragent la création de
coopératives maison, facteurs de paix sociale.
Dans les campagnes de la Mayenne, de la Sarthe,
du Maine-et-Loire, c’est carrément le château
qui pousse à la création des syndicats agricoles
ou des sociétés d’assurances mutualistes.
Enfin, il faut souligner déjà l’influence des premières organisations centrales de la coopération
sur les sociétés de l’Ouest: celle de l’Union coopérative animée par Charles Gide et celle de
la Bourse des coopératives socialistes sous
inspiration du modèle coopératif belge et du
Parti ouvrier socialiste révolutionnaire (POSR,
fondé par Jean Allemane). Désormais, le mouvement coopératif dans l’Ouest devra chercher
et affirmer sa voie entre les tendances opposées, voire irréductibles.
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C’est en particulier ce qui est à l’œuvre dans la
deuxième période, intitulée « L’âge héroïque de
la coopération ouvrière, 1890-1912 ».
En 1912, c’est la fondation de la Fédération
nationale des coopératives de consommation
(FNCC) qui marque le succès de la campagne
pour l’unité de la coopération en France et dans
les régions. Bien sûr, la Fédération de Bretagne
trouvera toute sa place dans la FNCC après avoir
intégré elle-même toutes les sociétés de l’Ouest
adhérentes des anciennes unions ou fédérations
régionales rivales.
La création de la FNCC, qui consacre l’union et
l’autonomie du mouvement coopératif, a été précédée d’une assez longue période de division et
d’opposition des mouvements coopératifs qui
s’étaient développés dans l’Ouest, dans le dernier
quart du siècle, sur des bases idéologiques, doctrinales et militantes antagonistes. La coopération
ouvrière s’y construit en relation étroite avec le
mouvement syndical et les partis socialistes. Ainsi,
F. Pelloutier et plus tard Léon Jouhaux et Albert
Thomas ont été respectivement à la tête de la
bourse du travail de Saint-Nazaire ou de celle d’Angers ou (et) des coopérateurs militants. Une doctrine coopérative spécifique est à construire entre
les forces ouvrières et politiques qui préconisent
d’asseoir la coopération sur des objectifs économiques et syndicaux et celles qui préconisent la
voie politique (comme Jules Guesde, par exemple).
Emmanuel Svor, militant socialiste nantais puis
lorientais, va incarner la coopération en Bretagne. Sans renoncer au projet social, ni même
à l’espoir socialiste que porte en elle la coopération, il va s’engager à affirmer l’autonomie (et
non pas l’indépendance) du mouvement coopératif dans l’Ouest. L’extension territoriale des
coopératives et leur diversification en direction
de produits de consommation autres que le pain
(vers les coopératives de production dans
la meunerie, la conserverie de poissons)
s’accompagnent alors d’un intense travail de propagande et d’éducation coopérative des ouvriers,
des femmes, des jeunes et aussi d’une « pédagogie de l’administrateur de coopérative », futur
cadre de la société à venir.
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Mais pour que l’autonomie du mouvement
coopératif soit acquise, il faudra d’abord en
passer par l’acceptation du principe d’autonomie du syndicalisme lui-même (lors du congrès
d’Amiens en 1906) et du parti socialiste (la
SFIO lors du congrès de Paris de 1910) qui,
sous l’influence déterminante d’Albert Thomas (contre celle de Jules Guesde), fera
admettre l’autonomie et l’indépendance du
mouvement coopératif par rapport aux partis
socialistes.
A la veille de la guerre de 1914, les forces coopératives de consommation, désormais regroupées
et autonomes, vont devoir se réorganiser, se
concentrer pour dépasser la crise économique
qui les a frappées. La réforme économique du
mouvement passe en particulier par la fusion
et la concentration des coopératives et par la création de succursales multiples, sur le modèle de
la grande distribution capitaliste déjà à l’œuvre.
Bernard Lavergne en sera le grand artisan lors
du congrès de la FNCC de 1913.
La dernière partie et période étudiée par Robert
Gautier s’intitule « Les débuts de l’ère technique
de la coopération de consommation : 19131925 ».
Pourquoi ce découpage ?
1913 est la date du congrès de la FNCC de
Reims, qui fait entrer la coopération de consommation d’abord dans la neutralité politique et
syndicale, puis dans la réforme économique et
par là même dans l’ère technicienne.
Les militants coopérateurs bretons comme
Emmanuel Svor ou Henri Lepouriel vont devoir
passer la main à une nouvelle génération de dirigeants gestionnaires avec la crainte et le risque
de voir s’affadir le projet social que portait le
mouvement coopératif. La guerre de 1914-1918
va accélérer cette transition, d’abord par la désorganisation qu’elle provoque par la mobilisation
dans les forces vives de la coopération, mais aussi
par la place et le rôle clé qui vont être reconnus
à la coopération (de consommation comme de
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production) dans la politique de ravitaillement
local des populations civiles, la lutte contre la
vie chère et les « mercanti » ou « accapareurs »,
et dans l’équipement ou le ravitaillement même
des armées (par exemple les chaussures de la
coopérative de Fougères ou les usines de conserves
de Nantes).
La guerre a donc été favorable au développement
de la coopération de consommation dans l’Ouest
et la Bretagne tout particulièrement est devenue
une base arrière de la FNCC avec les usines de
Fougères et les conserveries du Finistère et de
Nantes.
« La paix retrouvée, le point de non-retour est
atteint ; le choix est désormais pris de la primeur
de l’économique sur le social. »
De plus, une nouvelle vocation s’est dessinée
pour la coopération de consommation, qui n’est
plus un organe d’émancipation de la classe
ouvrière, mais bien un organe de défense des
consommateurs auprès de l’Etat et le rempart
aux abus du commerce libéral. Mais la solidité
du rempart dépend alors étroitement de la nouvelle vague de concentration qui s’amorce dans
les années 20 et de la mobilisation des fonds
propres et des capitaux permanents insuffisamment étayée par les banques des coopératives de
France de l’époque. La mobilisation des adhérents et des militants devient également difficile
dans la mesure où les liens avec les syndicats sont
désormais bien distendus.
Le jury de l’Addes, comme le jury de la thèse
d’ailleurs, a regretté que la recherche s’arrête à la
fin des années 20, la date limite explicite de 1925
n’étant elle-même pas clairement justifiée sinon
par la tenue du congrès de la Fédération de
l’Ouest de Fougères le 12 avril 1925.
Mais le champ de la recherche sur l’histoire de
la coopération dans l’Ouest est désormais bien
labouré et la voie ouverte à d’autres chercheurs
pour la suite de l’aventure.
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Maurice Parodi ●
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