Plan social : derrière les chiffres la réalité humaine
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Plan social : derrière les chiffres la réalité humaine
Plan social : derrière les chiffres la réalité humaine par Maxime BILLY et Hichem ABBOUR ● Aulnay-sous-bois ● C’est le 25 octobre 2013 qu’est sortie la dernière voiture des chaînes de production de l’usine PSA d’Aulnaysous-bois. Ouverte en 1973, elle fût la victime du plan de restructuration de l’activité mené par le groupe. Mais l’activité avait cessé dès le mois de janvier. Après une grève de quatre mois et suite à la signature du plan social, les départs ont commencé et c’est donc en fin d’année que les quelques véhicules bloqués sur la ligne de production ont été descendus. Comme à Rennes, des reclassements en interne ou dans d’autres entreprises de la région ont été proposés aux employés, propositions qualifiées de « magouilles entre patrons » par Gilles. C’est le premier avril que devaient partir les lettres de licenciements pour les employés n’ayant pas voulu des propositions d’emploi offertes ou n’ayant pas trouvé de reconversion. renchérir : « Heureusement que mon mari a un bon poste plutôt sûr parce qu’avec les enfants et les traites de la maison ça aurait été difficile ». Pour eux, ce sont les dépenses en sorties et en loisirs qui ont diminué, hors de question de toucher à l’alimentaire même s’ils font maintenant plus attention aux prix des produits. Ç « a n’arrive qu’aux autres mais non, tout s’est cassé la gueule ici aussi ». Entre résignation et fatalisme, quatre employés de l’usine PSA de Rennes ont accepté de tirer un premier bilan du plan social de l’usine. Jeudi, 13 heures, nous retrouvons Myriam, Béatrice, Alain et Gilles à la sortie de l’usine PSA de Rennes. Ils viennent de terminer leur journée de travail et ont accepté de nous raconter leur vécu du plan social. Ce dernier s’est déroulé de juin à décembre 2013 et a vu le départ volontaire de 1400 personnes. Les salariés sont prévenus de ce plan en juin 2012 et tout un système est déployé pour trouver des volontaires. Une prime de départ d’environ 50 000€, plus ou moins selon l’ancienneté, ainsi qu’une aide à la création d’entreprise sont proposées aux salariés. Ne rencontrant pas un succès suffisant, un plan de reclassement interne et externe est mis en place. Durant les briefings, des entreprises extérieures viennent se présenter aux employés et proposer des offres d’emploi. Un système de notation, selon l’ancienneté, la situation familiale, complète le dispositif pour identifier les employés les plus susceptibles de quitter le groupe. Suite à ce plan qualifié de sauvetage de l’emploi, l’effectif de l’usine est de 4 500 personnes pour une ligne de production, alors qu’ils étaient 13 000 pour trois lignes dix ans auparavant. Nous voilà donc réunis autour de la table de cuisine du petit pavillon castelbriantais de Béatrice. Le plan social est terminé depuis quatre mois et bien qu’ils gardent leur emploi pour le moment, les quatre collègues n’ont pas réellement tourné la page et fait le bilan de cette mésaventure. Myriam et Alain sont caristes. Avec la diminution du nombre de ligne de production, le métier était en première ligne lors de la restructuration. Myriam en rigole maintenant, mais elle nous avoue avoir été extrêmement stressée : « Je demandais tous les jours aux responsables où on en était, si c’était bon pour les caristes. On pourrait presque dire que je les harcelais ! ». Des sourires fugaces apparaissent autour de la table. Mais, comme nous l’explique, Alain cette inquiétude trop vivement exprimée aurait pu coûter cher. En effet, mieux vaut ne pas se faire remarquer. Nous pensons tout de suite au fait de revendiquer quelque chose ou de mal faire son travail, mais Alain nous parle d’un tout autre sujet : « Ils n’aiment pas du tout les accidents de tra- vail. Quand par exemple quelqu’un se fait mal au dos, ils lui font comprendre qu’il ne faut pas faire passer ça en accident du travail. ». La pression est constante. D’un côté la hiérarchie qui, durant les briefings, présentent les décomptes des postes restants à libérer et réalise des audits stop : plusieurs membres de l’encadrement viennent observer, chronométrer et poser des questions aux ouvriers pour rationaliser encore un peu plus la production. De l’autre les ouvriers s’empoisonnent la vie entre les rumeurs qui amplifient le sentiment d’appréhension avant chaque annonce et l’ambiance de chacun pour soi qui pousse certains à la délation. De plus le syndicat majoritaire, le SIA (syndicat indépendant de l’automobile), a la réputation d’être du côté des patrons ce qui renforce la sensation d’isolement dans l’entreprise. Une situation qui reste tendue Et la charge de travail aussi a augmenté. Ce sont Béatrice et Gilles, eux sur la ligne de production, qui nous le confirment. Là apparaît un paradoxe. Un programme de chômage tournant est mis en place bien qu’il faille aller toujours plus vite à réaliser sa tâche. Malgré tous les départs, l’effectif reste encore trop important et l’encadrement a donc instauré un roulement qui force une partie des ouvriers à rester chez eux à tour de rôle. Cela entraîne aussi de l’anxiété, premièrement car cette situation rappelle que l’usine n’est pas encore sauvée et deuxièmement d’un point de vu financier. Les jours de chôme sont moins bien rémunérées que les heures travaillées et cela se ressent sur le salaire. Gilles nous parle « d’environ 200€ en moins à la fin du mois pour sept jours en repos forcé ». Il est possible de demander à se faire payer ses heures de repos compensatoire mais celles-ci étant en fonction de l’ancienneté, tout le monde n’en bénéficie pas. Ils déclarent tous avoir observé une baisse significative de leur pouvoir d’achat. « Après mon divorce en 2011, je voulais m’acheter un appartement mais avec le plan et la situation actuelle, le projet est en suspens », nous confie Alain. Béatrice de ● Arrivée au capital de PSA de Dongfeng et de l’État ● 1,05 milliard d’euros. C’est le montant de l’augmentation de capital réservé que l’État et Dongfeng ont effectué. Le constructeur chinois est un partenaire de longue date du groupe PSA puisque leurs rapports ont commencé dans les années 90. Avec ces prises de participations, l’État, Dongfeng et la famille Peugeot possèdent chacun 14% du groupe PSA. L’agglomération rennaise touchée Les employés de PSA ne sont cependant pas les seuls à souffrir de ce ralentissement de l’activité. Une usine telle que celle de Rennes fait vivre un grand nombre d’entreprises sous-traitantes. Tout cette écosystème se retrouve fragilisé par la méforme du constructeur automobile et certains fournisseurs ne travaillent que pour l’usine. La baisse d’activité se répercute aussi dans ces entreprises et les employés de ces dernières ne bénéficient pas des avantages d’appartenir à un grand groupe. Si les pertes d’emploi sèches ont pu être évitées au sein de l’usine, les sous-traitants ont connu des vagues de licenciements et malheureusement pas de plan de reclassement ou de réelles compensations. Ceci est d’autant plus critique que PSA avait demandé à toutes ces entreprises, au début des années 2000, de se regrouper dans un parc d’activité proche de l’usine pour faciliter le transit des marchandises. L’État, une garantie ? Mais même si pas mal de jeunes sont partis suite au plan, un avenir semble possible pour l’usine. Dans l’immédiat, outre sa production, PSA Rennes travaille ponctuellement pour les autres usines du groupe ponctuellement, généralement en usinant des pièces qui seront montées ailleurs. Puis il y a l’entrée au capital de PSA de l’État et du groupe chinois Dongfeng qui réinjecte de l’argent et vient avec la promesse de ne voir aucune fermeture d’usine dans les trois prochaines années. Et il y a enfin la nouvelle voiture, le projet de refonte de la 508. Il a été annoncé aux ouvriers en décembre 2013, juste après la fin du plan, et sera dévoilé en juin de cette année. La production quand à elle débutera au mieux en 2016 voire en 2017. « Mais aujourd’hui ils s’en fichent, ils ferment ce qu’ils veulent » Les quatre collègues ne pensent pourtant pas que l’usine soit tirée d’affaire. Pour eux la prise de capital par l’État n’a rien d’un gage de sûreté et l’arrivée de Dongfeng est vécue avec beaucoup de méfiance, le spectre de délocalisation planant dans le sillage du géant chinois. Quant à la nouvelle voiture, ils ont un sentiment de quitte ou double : si celle-ci fonctionne, l’espoir renaîtra, mais un échec pourrait bien sonner le glas de l’usine PSA de Rennes. ●●●