Camille Saint-Jacques "Contre-jour"
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Camille Saint-Jacques "Contre-jour"
Camille SAINT-JACQUES Contre-jour Pistes pédagogiques (tous niveaux) FRAC Auvergne, du 21 juin au 21 sptembre 2014 “Les chiffres romains indiquent mon âge en années, les chiffres arabes, le nombre de jours écoulés depuis mon dernier anniversaire.” Cette manière de signer met l’accent sur la durée de vie dont témoigne la peinture” précise Cammille Saint-Jacques à propos du titre de ses oeuvres (correspondant aussi à ses écrits). LIII 98 - aquarelle sur papier Ingres – 65x98 cm Camille Saint-Jacques est né en 1956. "Il a été un temps militant politique [...] et a rencontré, à ses début picturaux, quelques membres du groupe Support-Surface qui ont compté pour lui : Louis Cane et, surtout, Marc Devade" écrit Eric Suchère (Catalogue de l’exposition L’imagicien). En 1982 il fonde un journal, le Journal des Expositions. Cette entreprise s’arrêtera en 2000 après 74 numéros. Parallèlement au Journal des Expositions, il crée L’atelier parisien, structure d’expositions nomades qui fonctionnera de 1995 à 1999. Quant au Journal des Expositions, il sera suivi par Post – autre journal gratuit basé sur le même principe – diffusé de 2000 à 2001. C'est environ depuis 2006 - 2007 que Camille Saint-Jacques se consacre exclusivement à la peinture de paysages à l'aquarelle. Depuis il réduit au maximum l'empreinte spatiale de sa pratique, travaillant sur un coin de table dans l'appartement familial. "Plus le temps passe, plus il faut voyager léger, reconsidérer ce qu’il convient de conserver et ce qui finalement n’est pas indispensable pour cheminer encore et arriver souriant, les mains vides, devant la mort. Mais, on cède toujours aux penchants, aux manies, manières, gestes, tons, valeurs… qu’on aime par dessus tout, qu’on retrouve sans y songer, qui nous viennent « comme ça », impromptus, et dans lesquels on se rassure lorsque le terrain est glissant et semble se dérober sans cesse sous nos pas” écrit Camille Saint Jacques, et narquois de rajouter "C'est 1 fou la quantité de "matos" dont un jeune artiste peut avoir besoin pour se rassurer". Il réduit donc son matériel au minimum, un coin de table, des pigments, chiffon, eau, du liant, oeil de vieux (verre qui permet d’éloigner la vision de l’objet), une boite de pointe, un niveau. Le support lui même porte les traces du pliage qui lui permet de ranger, sous un lit au besoin, ses productions. Camille Saint-Jacques est un artiste qui écrit, qui écrit peut- être autant qu'il peint. Ses écrits, un journal de création, sont une source particulièrement riche. L'artiste y mêle des réflexions sur ce qu'il produit, au fil de son travail, des remarques plus personnelles sur la vie familiale comme par exemple ce déménagement qu'il va devoir faire pour "que Louis puisse disposer de sa propre chambre. J’installerai donc mon petit matériel dans le salon-salle à manger, juste en face de la cuisine. Ce déménagement me ravit, j’espère que la peinture sentira la soupe… et non l’inverse !" (LV 290). Mais aussi des informations sur sa vie professionnelle, il est enseignant, ou des remarques sur le monde de l'art, ses sources artistiques. Mine particulièrement riche à laquelle il sera largement fait référence ici. Ces textes ainsi que celui d'Eric Suchère sont publiés dans le catalogue édité à l'occasion de cette exposition. Être peintre est pour lui une nécessité ou plutôt un état auquel il se résigne "simplement parce que quoi que je fasse, je suis peintre. Chaque battement de mon cœur, chaque geste de mes mains pourrait finir en peinture, si je ne prenais plutôt l’initiative d’écrire, de faire du vélo, de faire l’amour ou une sauce tomate…. Nous sommes tous peintres, mais peu peignent vraiment, et nous finissons par oublier que nous le sommes, jusqu’à ce qu’on s’en aperçoive – parfois sur le tard – en hôpital psychiatrique ou en maison de retraite ; but that’s OK !" (LV 290) Il faut également noter que son approche du monde de l'art est assez singulière dans la mesure où elle tient plus de la pratique amateur que de la pratique professionnelle, le tenant ainsi en marge du milieu de l'art. C'est une pratique qui est ancrée dans son quotidien. Il dit pouvoir "peindre dans la vie quotidienne, au milieu de mes activités familiales [...] Je n'aurai plus le goût de peindre dans un atelier coupé de la maison, un atelier qui ne sentirait pas un peu la soupe familiale" (LV 236). D'abord préparer le support Ses formats sont variables mais on en verra quelques uns qui réunissent 6 formats « grand monde » (80x120cm) couvrant ainsi presque tout le mur, lui donnant "l'impression de peindre directement sur le mur" (LVI 348). "J'aime bien l'idée de peindre sur du "grand monde" [...] 4 "grand monde", c'est presque l'infini" (LV 236). "Une fois le papier fixé au mur, je ne guide plus rien. Seule m’appartient la volonté de peindre. Une fois devant le support, tout est déjà là" (LIV 275). De cette contemplation va naître une véritable jubilation "c'est ce blanc qui m'occupe et me nourrit" (LV 105). Ce travail préparatoire, dont le premier est d’ajointer les feuilles, est pour lui un rituel nécessaire : "coller, plier, peindre le cadre de la première couleur venue… tous ces gestes mis bout à bout, sont pour moi comme une gymnastique, une sorte de yoga dans lequel je trouve la concentration, la mesure de la surface, le souffle surtout, pour ce qui va suivre" (LV 19). Ensuite peindre le cadre La seconde étape du travail est la réalisation du cadre puisque toutes les œuvres ont ceci en commun que le cadre fait partie intégrante de l'œuvre, comme dans certaines peinture de Seurat par exemple. "Je sens bien que ce cadre est comme mon squelette, ma croix, mon bois de supplice… une carapace qui me tient de l’extérieur" (LIV 307). Il agit aussi comme une fenêtre et Eric Suchère rapporte que Camille Saint-Jacques aime à citer cette phrase de Pierre Bonnard « Ce qu’il y a de mieux dans les musées, ce sont les fenêtres ». (Opus cité) Le cadre est composé d’une première marge blanche et de deux bandes colorées en dégradé inversé, produisant un effet illusionniste sans pour autant être une représentation. “Le cadre peint avec son dégradé me semble être une réminiscence des Toiles Sol/Mur de Louis Cane de 1974” note Eric Suchère (opus cité). "Ce cadre que je peins après avoir déplié et punaisé le papier au mur, s’est vraiment éloigné du bâti à angles droits singeant une fenêtre ouvrant sur une peinture-veduta. Les côtés divisés en deux bandes inégales sont peints dans un dégradé allant en sens inverse" (LIV 293). Le cadre produit donc une démarcation bien nette entre le peint et le non peint. "Avec le temps, c’est par le geste pictural lui-même qu’on se rassure. Coller, plier, peindre un cadre, tracer ce square, cette première fenêtre, est une façon de réapprendre à chaque fois tout le parcours de l’expérience du bourgeonnant sommeil qui nous fait peintre. LVI 142 - aquarelle sur En ce qui me concerne, j’ai tellement besoin de cette réassurance rituelle qu’il me faut papier Ingres - 239 x 159 cm encore l’écrire pour la jouer de nouveau en somnambule ! Le square se donne franchement comme une fenêtre, un cadre de verdure construit par l’homme pour faire contraste avec le reste de la ville. En ce qui me concerne, la peinture est le square de ma vie" (LV 323). C'est par la couleur que va s'établir le lien avec l'œuvre précédente. C'est en effet le plus souvent en remployant un reste de pigment qu'il va peindre le cadre. "La couleur qui faisait l’atmosphère de la peinture 2 précédente est maintenant sur le cadre de celle-ci. Ainsi, le centre s’est mué en un horizon pour le grand espace blanc qui s’ouvre maintenant devant moi. J’aime cette respiration qui permet l’échange entre un milieu et sa périphérie, l’intérieur et l’extérieur, le sac et le ressac" (LVI 137). C'est à l'intérieur de cet espace clairement délimité par le cadre que "le blanc du papier, de matière, devient lumière" (LVII 22). Une peinture à la gomme La gomme à dessiner, type drawing gum, permet de peindre en réserve, celle si s'enlevant par frottage après séchage de la peinture. "Le tube applicateur se présente comme un gros stylo, aussi les doigts le saisissent-ils d’emblée comme un outil d’écriture" (LV 323). Mais c’est une écriture “à l'aveugle” à laquelle se livre Camille Saint-Jacques puisque la forme blanche ne sera visible qu'à la fin du travail. "Aujourd’hui, j’ai encore dessiné avec la gomme et, ce soir, je ne sais vraiment pas ce que j’ai fait. À quoi cela va-t-il ressembler ? Je devrais sans doute m’inquiéter un peu que le grand espace blanc demeure à ce point immaculé après tous ces traits, ces points, ces taches. Pourtant, il est plaisant d’œuvrer sans rien faire, de se contenter d’accomplir ce qui s’impose, d’en jouir sans retards ni détours, avant que rien n’y paraisse à la fin, autre qu’une impression d’achèvement, le désir soudain de céder à l’appel d’une couleur encore indistincte certes, mais déjà en puissance" (LVI 137) "Après plusieurs jours de « dessin à la gomme », arrive un moment où je me fatigue. [...] Je connais cette lassitude. Si je dessinais normalement au crayon ou au fusain, je m’en tiendrais sans doute là, gardant le dessin en l’état, comme fin en soi, sans passer à la peinture. [...] Il n’y a toujours rien sur la feuille, à part quelques salissures éparses à peine visibles" (LV 27). "Lorsque je peins avec la gomme, je suis totalement concentré sur les valeurs. Je joue localement avec les traces déjà présentes, mais j’essaie d’oublier l’ensemble pour me plier au battement de chaque trait comme s’il s’agissait de l’unique, LVI 142 - aquarelle sur l’ultime, électrocardiogramme de mon dernier souffle avant la ligne droite et plate de la papier Ingres - 239 x 159 cm mort" (LV 131) Peindre le paysage d'une flaque d'eau Les sujets de ses peintures ou devrait-on dire ce qui sert de point de départ, est aussi bien une vague, le ciel ou une flaque d'eau. "Deux mètres carrés de terre qui servaient autrefois, lorsque les enfants étaient encore petits, de but pour les jeux de ballons, et que les piétinements, par tassement, ont fini par creuser légèrement, décourageant définitivement l’herbe de pousser, laissant l’eau stagner dès qu’il pleut un peu fort" (LVI 142). La banalité du sujet va de pair avec le choix d’un support somme toute assez pauvre - des feuilles assemblées aux pliures apparentes - ainsi que le médium – l’aquarelle ne déposant qu’une fine couche de pigment. Mais paradoxalement Camille Saint-Jacques “produit du luxe” et “impulse l’idée de l’image, dans une retranscription qui n’est pas mimétique” écrit Eric Suchère. Pour Camille Saint-Jacques tout est motif à peinture, "l’infime comme l’infini". Mais il précise aussi "Encore faut-il être attentif, prêter au motif l’attention qu’il mérite, ne pas s’en tenir à l’idée qu’on s’en fait. Être attentif, c’est souvent attendre le temps nécessaire pour se défaire de ce que l’on sait et retrouver dans un paysage, un simple bol, un visage… l’émerveillement du premier regard : le coup de foudre" (LVI 109). Et c'est toujours dans une position d'ouverture, d’attente à ce qui va advenir, qu'il se tient. "J’ignore encore ce qui viendra en définitive, je n’ai aucun projet, aucune idée de ce qui devrait advenir. Nul doute que l’écho du document originel sera assez lointain" (LVI 348). Tous les possibles sont là, « un art de la tache d’où l’imagination peut advenir » dit Eric Suchère (opus cité), la peinture se fait comme toute seule. "J’ai mouillé presque toute la surface blanche avant de passer la couleur. La forme du milieu s’est imposée au fil des gestes. Dire que je ne m’y attendais pas, serait mentir. Mais je ne l’ai pas peinte à proprement parler. Elle s’est venue ici comme elle s’imposera sans doute dans les peintures à venir" (LIV 293). C'est donc aussi le processus de réalisation qui est en œuvre. Ainsi, à propos de l'œuvre LV 105 l'artiste déclare avoir "commencé par 5 taches rouge sang. Il s’agissait bien du sang du Crucifié" mais je les ai posées presque en aveugle, sans tenir compte de l’anatomie", texte repris sur les cimaises. Et de poursuivre "L’affaire fut faite en un instant. Sans doute y avait-il longtemps qu’il fallait que cela sorte parce que je me suis senti instantanément vide d’énergie, incapable de voir ce que je venais de faire. Je me suis mis aussitôt à écrire ces lignes – ce qui ne m’arrive jamais – en attendant que ce premier jet sèche. Qu’est-ce que ce souvenir du Crucifié vient faire là ? LV 323 - aquarelle sur papier Ingres - 239 x 159 cm Finalement, je suis très content de cette peinture, même si je ne me fais pas à ce qui s’y est joué. Je sens bien que c’est cette figure-là dont je pressentais depuis quelque mois l’apparition, celle de ce frère dibbouk [exprit ou démon qui dans la mythologie juive 3 habite un corps], de ce fœtus qui veille sur moi depuis toujours de son bocal de formol. Frère, quel voyage as-tu fait dans les étoiles pour n’être là, en peinture ?" (LV 105). Partant d'images il peut aussi travailler au plus près du modèle comme pour l'œuvre LV131. "L’image montre deux red necks dans leurs costumes cravates, transfigurés par la grâce de la danse. J’ai décalqué les deux personnages pour les fondre en un seul et, tout de suite, j’ai esquissé sur mon rectangle un grand chaos de lignes grises à mi-chemin de mon ombre gesticulante et des deux silhouettes" (LV 131). Dans le travail de Camille Saint-Jacques il y a constamment un va et vient “entre le mineur et le majeur “ précise Eric Suchère. “Ma vie est simple : de peinture en peinture, je cherche une image, une seule, qui serait à la fois la partie et le tout, une sorte de miroir du monde dans lequel il serait possible de rendre compte de soi et du monde, pour « se faire une idée », comme on dit. Un Point de vue du Gras susceptible d’éclairer un peu, à la fois le présent immédiat tel que je le vois de ma fenêtre et la course du soleil. Si, pour moi, cette image-première de Niepce éclaire toutes les autres, c’est justement parce qu’il s’agit d’un point… de vue, d’un « point » qui ne se limite d’autant moins au punctum barthien qu’il est pleinement privatif : le point, le pas, le contraire de la vue. Avant même d’être enfermé à jamais dans son coffre-fort rempli de gaz, ce « point de vue » était déjà une veduta invisible. Aucun œil humain ne peut voir ainsi un paysage 12 heures durant sous la course du soleil, pour n’en garder qu’une seule image, à la fois désuète par sa banalité et son manque de pittoresque et, d’emblée, étrange parce qu’abstraction-même du monde tel qu’il nous apparaît dès que nous cessons de le considérer sous l’angle de nos habitudes" (LV 333). De la couleur "J’ai ce goût primordial de la couleur, plus que du dessin. Souvent je jalouse les harmonies spontanées, les sonorités d’untel, je m’essaie à les retrouver mais, rien à faire. Ce ne sont pas des choses qui se volent ou s’apprennent" (LIV 328) déclaré l'artiste. Dans sa peinture la couleur a donc une place déterminante. Coloriste il va rechercher les accords. "La peinture n’est pas un projet, un devenir, c’est un déjà là. Tous ses accords sont dans le monde qui nous entoure, déjà vus par d’autres et par nous-mêmes, enregistrés sciemment ou non dans notre mémoire collective. Au moment de peindre, nous ne faisons que restituer, plus ou moins bien" (LVI 142). Ces accords, ces harmonies il les trouve aussi bien en feuilletant des magazines, "un accord de rose et de jaune souffre plein de promesses" (LIV 284), que dans l'histoire de l'art. Ce travail de la couleur procède aussi d'un travail plus pragmatique, du centre à la périphérie par exemple lorsqu'il s'agit de trouver une couleur pour le cadre de la peinture qui va débuter. "J’aime ce type d’échos dans la peinture, cela me permet de sentir une continuité de l’expérience chromatique sans avoir pour autant besoin d’y réfléchir" (LV 27). Mais aussi parfois simplement parce qu'elle est là, sur la table, de la couleur ou l’art d’accommoder les restes "comme une ménagère cuisine, en accommodant les restes, rallongeant les sauces... J'aime que le centre d'hier devienne le bord d'aujourd'hui" (LVI 130). Dans ses commentaires, le travail peut être suivi pas à pas, comme pour l'œuvre LV 323: "J’ignore bien pourquoi j’ai commencé à peindre en blanc sur blanc, mais je sais que, contrairement à d’habitude, j’en avais envie depuis deux ou trois jours. Sans attendre que ce premier passage sèche, je l’ai recouvert d’un noir réchauffé avec de la terre d’ombre brûlée et un peu d’indigo pour la profondeur, mais comme les tons blanc et noir se sont mélangés en un gris, aucun des deux n’a vraiment pu jouer distinctement. J’ai attendu que la lumière décline totalement en écoutant des airs de Vivaldi et en changeant les perspectives de la peinture avec l’œil de vieux. Au fur et à mesure qu’elle séchait, je voyais, sans vraiment les chercher, apparaître des nuances froides ; on verra demain ! » (LV 323) « Là où il pouvait y avoir de la lumière à prendre, je l’ai dite en vert clair – un LV 105 - aquarelle sur mélange tout fait qui était là – et en bleu cobalt. Puis, j’ai multiplié les passages de tons papier Ingres - 239 x 159 cm foncés toujours avec la même base de terre et d’indigo pour creuser l’obscurité tout en jouant avec les remontées de blancs de la couche initiale. N’étant pas vraiment attentif aux proportions de pigment et de liant, la couleur a eu tendance à poudroyer un peu. Je sais que je devrais être plus soigneux, mais j’aime assez cette poussière colorée qui vient salir les réserves obtenues grâce à la gomme. Cela atténue un peu l’éclat du blanc et donne une image plus liée aux tons plus fondus" (LV 323). Comme on peut le voir la couleur a pour fonction de creuser l'espace. "Tous les pigments pèsent sur la blancheur première du papier. Couche après couche, passage après passage, ils voilent cette lumière parfois jusqu’à la boucher complètement" rajoute t-il (LVII 22). La couleur est aussi pour lui le moyen d'établir des connections avec les œuvres et les artistes qu'il connait bien. Ainsi pour l'œuvre LVI 142 il dit avoir "reconnu cet accord de verts, de bleu clair et d’indigo. Tout petit, il m’avait frappé dans le Déjeuner sur l’herbe de Manet. Ce n’est pas la nudité qui m’avait excité, mais cet accord de couleur et l’eau au loin avec la baigneuse et la barque [...] Picasso lui aussi, dans ses études du Déjeuner, semble pris par cette verdeur des tons froids, leur érotisme sourd, faunesque, quelque chose qui sent l’humus, le sous-bois, l’herbe moussue à l’orée des sources". 4 L'inachèvement Le non fini, l’inachèvement sont au cœur de ce travail pictural qui laisse respirer le support. “Tant pis s’il y a des lacunes dans la peinture. Je préfère cela au remplissage habile, à la décoration. À la fin de sa vie, Cézanne comprend parfaitement l’intérêt du non finito. Il ne s’agit pas d’un effet rhétorique à la manière de Michel-Ange signifiant une matériologie de l’œuvre, son origine chaotique dans la matière, mais une façon de jouer de l’incomplétude de son être, de ses propres limites en tant qu’être et aussi comme peintre. Ses espaces blancs ne sont pas seulement des réserves d’énergies et de lumière, elles nous disent : « là, je ne sais pas… ici peut-être, mais comme je ne suis pas sûr, je laisse en blanc… Là non plus, je ne vois pas assez bien… ». Il faut une grande maîtrise pour que l’ignorance et la faiblesse, nous dissuadent enfin de l’orgueil de remplir l’espace de notre bavardage formel" (LV 27) « Je regarde avec autant d’attention ce rectangle de papier encore blanc que je le regarde lorsque la peinture est en cours. Dès l’instant où l’on cesse de s’inquiéter de l’absence, d’aspirer à ce qu’on imagine être une présence, un projet… alors cette contemplation est une pure jubilation. C’est ce blanc qui m’occupe et me nourrit, c’est à lui, lourd de tous les possibles, plein de toutes les virtualités, de toutes les promesses que je reviens toujours. C’est ce qui me lie à la peinture, beaucoup plus que le dessin et les LIII 280 - aquarelle sur papier Ingres – 96x65 cm couleurs que j’oublie invariablement dès le papier replié » (LV105). "Il ne s’agit pas de finir quoi que ce soit, mais simplement de faire ce qui doit l’être et j’ai plus à apprendre de l’expérience de mes mains que des idées qui me viennent" (LVI 137). Sa peinture étrangère Camille Saint-Jacques est un « peintre amateur » comme le définit Eric Suchère. Il se tient à l'écart du monde de l'art se refusant au commerce. "Autant dire que vendre la peinture est une forme de prostitution. D’une manière générale, en faire commerce, profession, s’y adonner de manière ordonnée, habituelle… sont autant de manières de dévoyer ce lien si fragile que la peinture tisse entre l’ici, le maintenant et l’au-delà" (LV 22). Il semble porter un regard un peu désabusé sur le monde de l'art et celui de l'exposition, l'idée de fréquenter une œuvre comme on maintient des relations même épisodiques avec des amis est pour lui plus importante. "Il n’y a plus guère de « visiteurs » dans les expositions et les musées. L’heure est aux « regardeurs » voire, plus généralement aux « publics » : notion massive, quantitative, qui ne laisse aucune chance à l’individu de subsister. J’aime pourtant l’idée de « rendre visite », qu’il y ait dans le « voir souvent » de la visite, ce quelque chose qui relève de la restitution, du retour de politesse, du (p)rendre. Mais qui rend quoi à qui, qui visite et qui est visité ? Est-ce moi qui rend visite au Lorrain, à Watteau, ou bien est-ce eux qui me hantent depuis des jours" (LIV 328). L'œuvre terminée, elle est pliée et rangée, oubliée peut-être. « Puis soudain LIII 280 - aquarelle sur une exposition vous impose un arrêt, une observation impuissante, comme une « petite papier Ingres – 96x65 cm mort ». Bien sûr ce n’est pas désagréable, mais quelque chose vous dit à l’oreille que, puisque c’est là, exposé, public, ce n’est tout de même plus seulement fait, mais un peu fini aussi : « verni » comme une photo souvenir dans son cadre, une coiffe de mariée sous la cloche de verre de nos grands-mères. On a tellement donné pour chacun de ces trucs, que les voir ainsi épinglés dans le décor vous semble dérisoire (LV105). Document réalisé par Patrice Leray professeur correspondant culturel auprès du FRAC, permanence le vendredi de 13h à 16h tel : 04 73 90 50 00 [email protected] Ensemble adoptons des gestes responsables: n'imprimez ce courriel que si nécessaire! 5