Charles-Ferdinand Ramuz : " Regarder avec des yeux nouveaux le

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Charles-Ferdinand Ramuz : " Regarder avec des yeux nouveaux le
Charles-Ferdinand Ramuz : " Regarder avec des yeux
nouveaux le pays qui nous entoure "
"J’ai été étudiant, j’ai porté la casquette blanche. J’ai été un mauvais étudiant, et
dans les deux sens du mot, car le mot implique une certaine part de cours à suivre,
auxquels je n’assistais guère, et il suppose, d’autre part, toute une vie de 'société',
tout un ensemble de rites et de coutumes auxquels je n’ai jamais pu me plier"1. C’est
en ces mots peu amènes que Charles-Ferdinand Ramuz 2 , figure centrale de la
littérature française – publié à la Pléiade en 2005 – évoque ses années zofingiennes.
Ne nous leurrons pas. Ramuz a bien plus de considération pour Zofingue que ce que
ces lignes laissent à croire.
Charles-Ferdinand Ramuz est né à Lausanne le 24 septembre 1878. Son père
exploite un commerce de "denrées coloniales" donnant sur la Place de la Riponne.
De ses années de gymnase au Gymnase classique cantonal, il garde le souvenir
d’une vocation. A la suite d’un exercice de composition libre, le jeune Ramuz rendit
un poème en alexandrins d’une telle qualité que son sévère maître exigea qu’il
prouve d’une signature parentale l’authenticité de ses vers.
En 1895, il entre à la faculté des Lettres de l’Université de Lausanne. Au semestre
d’été 1897, il est admis dans la Section vaudoise de Zofingue. En 1900, il part vivre à
Paris pour y rédiger une thèse de doctorat qu’il ne défendra jamais. Il y restera,
malgré quelques pérégrinations, jusqu’en 1914, date à laquelle il s’installe à Pully. En
1912, Ramuz remporte le Prix Rambert, décerné tous les trois ans par les Zofingiens
vaudois, pour Aimé Pache, peintre vaudois. Ce livre retrace le parcours d’un artiste
parti vivre à Paris. Tout comme Ramuz, Aimé Pache réalise sur les bords de la Seine
combien, en réalité, il est vaudois. Et combien son Pays mérite, tout autant que la
France, de prétendre à une vie artistique propre. Pour Ramuz, ce sera là le combat
littéraire d’une vie.
Ramuz a écrit son premier roman, Aline, en 1905 et ne posera plus la plume jusqu’à
sa mort. A côté d’une œuvre importante, de nombreuses entreprises culturelles et
littéraires sont marquées de son empreinte. Ce sera l’aventure des Cahiers vaudois
et, surtout, celle de l’Histoire du Soldat, pièce théâtrale en musique élaborée entre
1917 et 1918. Le texte de Ramuz est lointainement inspiré d’un vieux conte russe. Il
est accompagné de la musique d’Igor Stravinsky. Les décors sont du peintre René
Auberjonois. Ernest Ansermet, autre Zofingien, tient la baguette du chef d’orchestre.
Son œuvre se poursuit avec la publication de véritables piliers de la littérature
française. Citons entre autres, Passage du poète (1922), qui lui vaudra un nouveau
Prix Rambert en 1923, La Grande peur dans la Montagne (1925/1926), La Beauté
sur la Terre (1927) ou encore Si le soleil ne revenait pas (1937). Et nous ne citons
pas ses recueils de poésie, articles et nouvelles… Il tire son inspiration du pays qui
l’entoure, entre vignes vaudoises et montagnes valaisannes. Prenons garde à n’en
pas faire un simple "écrivain de chez nous". Car Ramuz est inconcevable sans le
style unique qui accompagne une importante partie de son œuvre, cette fausse
langue rurale, au rythme cisélé et à la subtile rime interne.
1
C.-F. Ramuz, Découverte du monde. 1939.
À C. F. Ramuz, Hommage des Zofingiens. 1947. - Juste Olivier, Le Canton de Vaud, sa vie et son
histoire, nouvelle édition précédée d’une lettre de C.-F. Ramuz. Lausanne 1938. - Jean-Marc
Spothelfer, Les Zofingiens, Livre d’or de la section vaudoise. 1995.
2
En 1941, six ans avant son décès, il siège avec ses frères de couleurs au Prix
Rambert ; preuve que son dédain à l’égard des Zofingiens n’était que passager. Le
poète décède le 23 mai 1947 à Pully. Il a marqué la littérature française, et romande
en particulier, par l’affirmation d’un message fort: celui de la possibilité d’une
littérature romande à vocation universelle. Son vœu, déjà exprimé dans Découverte
du monde, était de faire se tutoyer les pâtres attiques d’Eschyle et les vignerons de
Lavaux. En août 1947, les Zofingiens lui rendent hommage par une publication. Ils
commencent en remerciant l’écrivain : "Vous nous avez appris à regarder avec des
yeux nouveaux le pays qui nous entoure".
En 1938, les Zofingiens avaient réédité "Le Canton de Vaud" de Juste Olivier.
Ramuz en signe la préface sous forme de lettre. Il conclut, comme par nostalgie de
ses années zofingiennes : "Messieurs, vous avez vingt ans, considérez-vous donc
vous-même, et peut-être viendra-t-il un jour où vous regretterez certaine maladresse
qui est presque toujours la condition de la fraîcheur. Peut-être quand vous serez
vieux vous-mêmes, soupirerez-vous avec quelque mélancolie après le temps de
l’inexpérience, qui était aussi le temps de l’amour". Aujourd’hui encore, Ramuz est
omniprésent.
Félicien Monnier