Parolesparoles - Théâtre du Martolet

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Parolesparoles - Théâtre du Martolet
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Tribune de Genève | Samedi-dimanche 8-9 octobre 2011
Parolesparoles
Légitimus: métis et sage
L’humoriste teste sur scène le rire en solitaire avant de redevenir peut-être, un Inconnu. Rencontre
Corinne Jaquiéry
La dernière fois que…
S
on premier Alone man
show, Pascal Légitimus l’a
voulu engagé. Jouant avec
les codes du racisme, l’humoriste en démonte les mécanismes dans un sourire
mêlé d’un zeste de tristesse. Tel un nouveau tarzan métis, il explore la jungle des
relations humaines, sautant de douces
plaisanteries en souvenirs plus amers.
En tirant un fil rouge entre Caucase et
cocotier, de ses origines arméniennes à
ses racines guadeloupéennes, il met en
valeur une couleur plus chatoyante: celle
de la diversité.
…vous avez pleuré?
Sur scène. Je pleure tous les soirs.
…vous avez trop bu?
J’ai bu un litre et demi de pamplemousse frais sur l’île de Marie-Galante.
J’ai perdu 4 kilos en 4 jours. Je conseille
à tout le monde de se contenter d’un
verre, même si c’est très bon et même
si on veut faire un régime!
…vous avez envié quelqu’un?
Je ne suis pas un envieux. Ce n’est pas
un sentiment qui m’est familier. Je suis
plutôt content et fier pour lui ou elle
quand quelqu’un réussit quelque chose.
…vous vous êtes excusé?
Dans le TGV récemment, quelqu’un
avait pris ma place. Je me suis excusé
parce que je devais le faire se déplacer
et lui a encore râlé en allemand. Cela
montre à quel point je suis gentil!
… vous avez transpiré?
Je perds deux litres d’eau tous les soirs
sur scène.
Vous êtes seul en scène depuis
quelques semaines, est-ce que
quelqu’un vous manque?
Pour l’instant, bizarrement, rien ne me
manque. Je suis toujours en relation avec
les gens que j’aime. Quand je suis en
spectacle, je suis tellement concentré et
tellement monotâche que je ne pense à
rien d’autre. J’accouche de mon spectacle. Comme une femme qui met au
monde, je ne pense qu’au bébé qui arrive.
Pas du tout. J’étais déjà très Arménien
dans mon processus de vie. J’allais souvent dans ma famille arménienne. Je
mangeais arménien. Au contraire, quand
ma mère Madeleine est décédée, j’ai pris
de la distance. C’était trop douloureux
de la retrouver à travers mes tantes ou
mes oncles.
«Pour l’astrologie
chinoise, nous sommes
cochons. Et dans le
cochon, tout est bon…»
Avez-vous l’espoir que le métissage
soit la clé pour des jours meilleurs?
Je ne souhaite pas farouchement que cela
se développe, mais la société évolue vers
la tolérance. On se marie entre Suédois et
Chinois, entre Péruvien et Suisse, Breton
et Sénégalais. Entre homme et homme.
On mange des nems à Roubaix, de la
raclette à Marseille. Tout est possible,
c’est le grand mélange. Je n’aurais pas pu
faire de la télévision il y a trente ans. La
télé actuelle est plus colorée. Et les entreprises aussi. Les handicapés mieux acceptés. C’est donc beaucoup mieux qu’il
y a trente ans!
Pascal Legitimus
Comment vous est né le désir d’un
spectacle en solitaire?
Depuis des années, j’avais envie de parler de cette position particulière qu’est le
métissage. Enfant, j’étais un des rares
spécimens métis, pratiquement le seul,
né dans une famille qui reliait les antipodes, l’Afrique et l’Orient, par les Antilles
et l’Arménie. Je voulais transmettre cet
état d’être. Aujourd’hui, nous sommes
dans l’ère Obama. Beaucoup de gens parlent de métissage, les cultures se mélangent, on voyage beaucoup et on mange
exotique au quotidien. Le public a de
solides références métissées. Moi-même,
je suis mûr pour en parler. Il y a vingt
ans, le spectacle aurait été déplacé et
moins drôle.
Comment pourrait-on qualifier l’esprit
Légitimus?
C’est difficile de le dire moi-même, mais
mon spectacle me ressemble. On dit de
lui qu’il est touchant et drôle. Du fond et
de la forme. Toujours dans l’ambivalence, comme moi. Métissé en tout.
Barack Obama est votre
contemporain. Est-ce l’avènement des
gens de 59 ans?
Peut-être. Pour l’astrologie chinoise,
nous sommes cochons. Et dans le cochon, tout est bon…
Qu’est-ce que ça signifie, être métisse?
J’ai la couleur entre deux chaises. La plupart des gens que je rencontrais avant
d’être connu n’arrivaient pas à me situer.
On me prenait pour ce que je n’étais pas.
Ils se fiaient aux apparences. Ce spectacle me permet de rétablir une vérité.
Comme je l’explique dans un sketch, à
l’étranger on me voit Africain, Indien,
Argentin, Arabe, mais jamais ce que je
suis: un métis.
Evoquer la souffrance de l’esclavage,
c’est une catharsis?
Non. J’explique juste d’où je viens. Ça fait
partie de l’histoire de l’humanité. Certains ne connaissent pas cette histoire-là
car il faut en être curieux. Je ne m’appesantis pas. J’en parle deux minutes et
demie pour un spectacle qui dure plus
d’une heure trente. Mais ceux qui ignoraient que les ancêtres des Noirs européens et américains avaient fait une croisière serrés comme des sardines dans les
soutes des navires avec des types morts
à côté d’eux le sauront.
En quoi le métissage est-il une
richesse?
Contrôle qualité
Pascal Légitimus, ex-Inconnu resté humoriste, mais en solitaire. Sur l’ardoise, le comédien français a inscrit: «Il ne faut pas se
fier aux apparences». CHRIS BLASER
Questions fantômes
Quelle est la question que vous
détesteriez qu’on vous pose?
Celle qu’on me posait enfant: d’où tu
viens? Elle est à l’origine du spectacle.
La question que vous aimeriez qu’on
vous pose?
Dans le questionnaire de Proust, une
des questions est ce que Dieu pourrait
dire à notre arrivée au Paradis. Moi
j’aime bien: Ah, c’est à cette heure-ci
que t’arrives? Cela voudrait dire que j’ai
été tellement heureux sur terre que je
n’étais pas pressé de monter là-haut.
C’est toujours une richesse d’avoir le
meilleur des deux parents. On possède
une double culture, une double histoire,
un double sang, le double d’informations, une double éducation. On est polyculturel, plus instruit et les références
sont moins territoriales. En ce qui me
concerne, je ne viens pas d’un pays jeune
où il n’y a rien à raconter. C’est sur le
mont Ararat, en Arménie, que Noé a débarqué avec tous ses animaux. L’Arménie, c’est aussi le premier peuple catholique au monde. Et du côté africain, j’ai
des ancêtres juifs éthiopiens, les Falashas. Je suis issu de deux régions où le
passé est chargé, lourd de symboliques.
Vous dites que dans la vie vous êtes
Arménien et sur scène Antillais…
Ce sont deux énergies très différentes.
Dans la vie je suis calme. Je ne joue pas la
comédie, je ne suis pas extraverti ni démonstratif. Je suis Arménien. Le soir,
quand je revêts mes habits de lumière,
j’ai une énergie festive, sportive, schizophrène, j’aime jouer. Je suis Antillais. Les
deux énergies réunies me constituent.
Les Arméniens ont le sens de la famille,
ils sont méticuleux, travailleurs, sages. Je
m’y retrouve. L’harmonie en Arménie.
Les Antillais ont souvent des familles disloquées. Ils sont fils d’esclaves, ils sont
toujours inféodés par les Blancs. Je ne
Bio express
Pascal Légitimus est né à Paris le
13 mars 1959 d’un père Antillais et d’une
mère Arménienne. Petit-fils de Darling,
comédienne, et fils de Théo, acteur et
musicien de jazz, il a hérité de leur goût
pour le théâtre et la comédie. Reconnu
entre deux Inconnus, Pascal Légitimus
a aussi cultivé son jardin secret. Seul en
scène, il y fait pénétrer le public avec
son Alone man Show où il s’affiche
subtilement polymorphe. Pascal
Légitimus est également réalisateur de
documentaires et de films.
m’y retrouve pas. Ce qui est positif, c’est
leur côté festif, extraverti, la joie de vivre
et surtout le rire.
Le décès de votre mère, très jeune,
vous a-t-il poussé vers vos racines
arméniennes?
J’ai lu que vous pensiez n’avoir du
talent qu’avec les Inconnus?
Comme je n’avais pas confiance en moi,
je me disais que les deux autres étaient
meilleurs. J’étais fier de former un
groupe avec deux balèzes. Je m’inféodais
par manque d’assurance. Un jour, il y a
quinze ans, quelqu’un m’a ouvert les
yeux sur notre complémentarité.
A quand la reformation des Inconnus?
C’est en gestation, mais nous ne sommes
pas encore à l’échographie.
Aimeriez-vous avoir un jour un
Molière pour vous tout seul comme
avec les Inconnus?
Ce que je veux surtout, c’est qu’il y ait du
monde dans la salle, mais une récompense, c’est toujours agréable. C’est un
peu d’essence dans le moteur.
Que représente ce spectacle dans
votre carrière?
C’est mon point d’orgue.
Etes-vous heureux?
Heureux, mais pas satisfait… après cela
devient philosophique.
Pascal Légitimus Alone man show. Mise
en scène Gil Galliot. Paris, Le Palace. Du
11 octobre à fin janvier 2012.