Présentation en Français
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Association internationale des critiques d’art : Section suisse Associazione internazionale dei critici d’arte : Sezione svizzera Internationaler Kunstkritiker-Verband : Sektion Schweiz Associaziun internaziunala dals critichers d’art : Secziun svizra ème 45 Congrès de l’AICA, Zurich, 10 au 12 juillet 2012 «Ecrire avec un accent» Pablo Sigg 3 cas critiques The Beast 666, la biographie déjà légendaire de John Symonds sur Aleister Crowley, écrite en cinquante ans et en quatre versions différentes, constitue, plus qu'autre chose, un surprenant exemple d'écriture critique. Paradoxalement, Symonds, qui a intimement et profondément connu la personne et l'œuvre de Crowley – écrivain infâme, peintre, alpiniste, magicien et fondateur de la religion appelée Thelema – avait autant en horreur l'une que l'autre. Dans The Beast 666 il ne cache jamais son hostilité. La préface dit tout : “Throughout his life he [Crowley] was intoxicated with shame: he ate shit literally as well as figuratively.” “Indeed, he lacked the taste, if not the capacity, for introspection; introspection does not make you famous, and he was desperate for fame.” “He would never admit to any failing; he did not see that he was in any way at fault. It was always the fault of the other person, whom he described in the vilest way.” / « Tout au long de sa vie, il [Crowley] fut intoxiqué de honte : il mangeait de la merde aussi bien dans le sens littéral que métaphorique » Effectivement, il manquait de goût, si ce n’est de talent, pour l’introspection ; l’introspection ne vous rend pas célèbre, et il était prêt à tout pour être célèbre » « Jamais, il n’a admis quelque erreur que ce soit ; il n’envisageait pas qu’il pouvait se tromper. C’était toujours la faute de l’autre, qu’il décrivait de la façon la plus ignoble. » (viii) “There was no love or kindness in Aleister Crowley in spite of his [motto] ‘Love is the Law’[.]” / Il n’y avait aucun amour ni aucune gentillesse chez Aleister Crowley malgré sa [devise] ‘L’Amour est la Loi’ [.] (x) Et Symonds clôt mystérieusement la préface de la façon suivante : “If I had to carve in stone the epitaph of this talented and extraordinary man, it would be: Aleister Crowley, 1875-1947. He delivered the psychotic gods.” (x) / « Si je devais graver dans la pierre l’épitaphe de cet homme extraordinaire et talenteux, j’écrirais : Aleister Crowley, 1875-1947. Il libéra les dieux psychotiques. »(x) John Symonds n'a pas dédié toute une vie de travail à la destruction oiseuse de son personnage. La particularité de The Beast 666 réside en une construction double : la biographie d'un homme infâme, et un essai critique dilaté dans presque 600 pages. L'héritage de Crowley, nous dit Symonds, fut de nous livrer aux dieux psychotiques, au paradigme délirant du messianisme moderne ; l'homme dont le destin et les dieux sont schizophréniquement individuels. Vu sous cet angle, Crowley nous semble beaucoup plus proche. Cette curieuse empathie sous-jacente à The Beast 666 est de nature essentiellement critique, et c'est ici que nous découvrons un Crowley pluriel, paradigmatique. Pour John Symonds, exécuteur du testament littéraire d'Aleister Crowley et auteur de livres pour enfants, écrire de façon critique c'est créer un objet à partir d'une lecture critique d'un autre objet : faire une exégèse du personnage de Crowley signifie trouver des erreurs critiques pour critiquer l'individualisme messianique. ** Gilles Deleuze considérait que la biographie de John Symonds se trouve à la périlleuse frontière où le critique devient clinique : “Mais quand le délire retombe à l’état clinique, les mots ne débouchent plus sur rien, on n’entend ni ne voit plus rien à travers eux, sauf une nuit qui a perdu son histoire, ses couleurs et ses chants.” Certainement que l'étrange élément propulseur de The Beast 666, le moteur, est l'hostilité. De façon mystérieuse, une sorte de mépris critico-créatif pousse Symonds durant cinquante ans à réécrire son livre et à éditer, en tant qu'exécuteur de testament littéraire, l'œuvre de “this talented and extraordinary man” / « cet homme extraordinaire et talentueux ». Aleister Crowley. **** L'exercice critique n'est pas autre chose qu'une façon de se mettre en relation – via une série d'opérations de rapprochement et de distanciation – avec les objets qui peuplent le monde. Pour Deleuze la critique est plus que la simple fonction de lecture de produits culturels ; dans son cas la critique est, d'une part, une sorte de propédeutique du travail d'écrivain par une méthode systématique d'analyse des objets que produit l'écriture ; d'autre part, la critique est aussi capable de générer ces mêmes objets : comme dans le cas de Pound, d'Eliot, du premier Beckett, du Godard cinéaste et critique, et de Deleuze lui-même. Pour John Symonds l'écriture critique est une forme d'exorcisme culturel dont le système, comme celui des hérésiologues des premiers siècles du Christianisme, consiste en la destruction d'un objet par une approche critique de cet objet. Ainsi, Symonds conçoit aussi le système critique de façon double : d'un côté, la critique serait une tâche établissant les canons permettant d'approcher systématiquement un objet, et d'un autre côté, la critique signifierait aussi “criticisme”, ou la possibilité de la penser comme une méthode négative : à savoir, comme la construction minutieuse et critique d'un objet par le biais de tous les éléments qui le détruisent, ou mieux encore, qui le reconstituent non plus en un unique objet, hégémonique, mais en une chaîne d'objets. En ce sens, lire Tuymans, Carroll, L'exorciste, Symonds, le film de Paul Thomas Anderson, signifie lire des objets et des objets adjacents aux objets ; c'est faire une chaîne de “et” du genre Deleuze-Parnet : les surfaces de Tuymans et le mouchoir de Carroll et le cuerpo plano de Regan et le trou-miroir de Paul Thomas Anderson et la territorialité psychotique de Crowley et... 2