Résumé de mémoire : Murakami Takashi, l`Empire du Non-sens

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Résumé de mémoire : Murakami Takashi, l`Empire du Non-sens
Jean LASSALLE
Sous la direction de M. ASARI Makoto
Université Bordeaux III 2009-2010
Résumé du mémoire de Master de Recherche
Murakami Takashi : l’Empire du Non-sens
Murakami Takashi est un artiste japonais né en 1962 à Tôkyô. Ses études, qu'il a
poursuivies jusqu'au doctorat, portent sur le nihonga, discipline artistique japonaise née avec l'ère
Meiji, qui combine les styles picturaux traditionnels du Japon avec ceux de la Chine et les
innovations européennes de l'époque. Depuis sa première exposition en 1988 jusqu'à son inclusion
dans le Top 100 des personnalités les plus influentes du monde du Times en 2008, deux décennies
se sont écoulées, deux décennies qui lui feront emprunter les chemins des ready-mades et de l'art
conceptuel, du pop art nourri par les productions de la culture otaku, et de la mise en valeur d'un
style - presque une philosophie - qu'il nommera le superflat. Egalement, il bâtit un atelier qui
deviendra une multinationale, Kaikai Kiki Corporation, grâce à laquelle, en plus de la production de
ses propres fresques, sculptures et produits dérivés, il assurera la carrière de ses disciples et
employés (depuis la production de leurs œuvres jusqu'à la gestion financière et juridique, au soutien
logistique et aux services de traduction), montera le festival artistique GEISAI qui sera un mélange
entre une arène géante et un marché aux puces pour artistes en devenir, et fondera son propre studio
d'animation, qui en plus des commandes de spots publicitaires et de clips musicaux, lancera la
production d'un long métrage d'animation encore à paraître.
Au début de sa carrière, Murakami créé des installations conceptuelles qui jouent avec des
questions politiques et sociales japonaises (le rapport du pays avec la guerre, l'ostracisme envers les
étrangers, le nationalisme, l'exploitation des espèces en voie de disparition, etc.) sans jamais prendre
position, car il refuse son inclusion dans l'art politique dans lequel les critiques de l'époque tentent
de le caser. Il se détache beaucoup du contenu sémantique de ses œuvres en laissant une place
grandissante au non-sens, ce qui lui permet de remettre en question le concept d'art et ses
institutions, en même temps qu'il montre la difficulté pour un Japonais de faire de l'art
contemporain, pris entre les feus de l'imitation de l'art occidental (et de sa perspective historique
hors de propos au Japon) et de l'art japonais « exotique », se pliant aux stéréotypes culturels. Cela
peut aussi être un écho de sa recherche d'identité à cette phase de son activité artistique.
Lors d'un séjour aux Etats-Unis, qui le déterminera à conquérir le marché de l'art occidental
et à s'établir à New York, Murakami revient à son amour de jeunesse, c'est-à-dire la culture otaku,
qu'il dissèquera sous toutes les coutures pour en alimenter son art devenu pop. Sans renier ses
grandes influences occidentales - Jeff Koons, Damien Hirst, Keith Harring, Walt Disney et surtout
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Andy Warhol, il s'efforce de créer un mouvement pop à même de refléter ce qui pour lui est
caractéristique de la société japonaise d'après-guerre, notamment ses « côtés sombres » : la
dépendance et le complexe d'infériorité vis-à-vis du vainqueur et occupant américain, le
traumatisme de l'holocauste nucléaire et le refoulement du nationalisme et de ses dérives, l'absence
de responsabilité et l'infantilité rampantes, les différentes facettes de la sexualité des otaku, etc.
Ce pop art, qu'il nomme Tôkyô Pop ou Poku (« pop + otaku »), lui sert aussi d'arme pour
détruire la frontière entre la culture pop et l'art des élites et des musées, qu'il ne juge pas pertinente
dans un contexte japonais, ce qui lui vaut de vives critiques. A l'instar de ses homologues
étasuniens, il s'y attaque en utilisant d'abord la culture populaire dans ses œuvres, puis va plus loin
en transformant ses œuvres en purs produits commerciaux (sa sculpture la plus célèbre, Hiropon,
sera vendue un demi-million de dollars en tant qu'œuvre d'art, alors que sa version figurine sera
offerte gratuitement avec de la nourriture dans les épiceries, offrant même dans une version
ultérieure une brochure explicative similaire à celle d'un musée), et achève la confusion des genres
en installant des boutiques de produits dérivés dans ses expositions, ou encore en exposant des
toiles de ses commandes commerciales telles des peintures « orthodoxes ».
Ensuite, il réunit son œuvre et ses idées sous la bannière d'un concept, le superflat (« extraplat »). A travers ce néologisme, il relie d'abord la production contemporaine avec la tradition
picturale du Japon, que ce soit dans les thèmes ou dans le style extrêmement bidimensionnel et
dynamique, offrant ainsi une mise en perspective historique qui manquait vis-à-vis de l'histoire de
l'art occidental, et élargit le tout en considérant cette surface plane comme une représentation de la
tendance japonaise à importer des concepts et à les faire cohabiter spatialement sans les hiérarchiser
(avec une perspective, par exemple) ou sans qu'ils s'annulent les uns les autres, niant la notion
d'origine si chère à d'autres cultures (telles les cultures chinoises et de nombreuses cultures
occidentales, pour ne citer qu'elles). Azuma Hiroki analyse le superflat en faisant appel à Lacan et
Derrida et revisite le phénomène otaku en le mettant au cœur de la postmodernisation du Japon,
révélant les questions plus philosophiques soulevées - intentionnellement ou non - par Murakami, et
nous rapprochons également sa nature élastique et englobante au shintô de Maruyama Masao, sorte
de pendant religieux et philosophique de cette nature non-discriminante et non-aristotélicienne de la
pensée japonaise.
Ainsi, malgré les nombreuses incohérences et contradictions inhérentes à l'œuvre et aux
idées de Murakami Takashi, nous avançons qu'il a réussi, d'une certaine façon, à peindre des
idiosyncrasies japonaises, et soulève des problématiques tout à fait pertinentes sur la société, l'art et
la culture, nous donnant ainsi à réfléchir aux changements se produisant dans notre propre histoire
et culture, et dans notre relation avec l'autre.
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