Lever par contrepoids ou levier à station debout ?
Transcription
Lever par contrepoids ou levier à station debout ?
D O S S I E R A U 2 1 e S I È C L E : E N C O R E E T T O U J O U R S L E S T M S ! Lever par contrepoids ou levier à station debout ? 22 – OBJECTIF PRÉVENTION – VOL. 29, NO 3, 2006 Malgré le risque élevé de blessure, tant pour les clients que pour les soignants, la manœuvre de lever par contrepoids est souvent utilisée dans les soins de longue durée pour déplacer des clients incapables de supporter leur propre poids. Cet article identifie les dangers associés à cette manœuvre et offre une alternative plus sécuritaire : le levier à station debout. son utilisation. De plus, lorsque le lever par contrepoids est utilisé pendant 90 jours et plus, des accidents et des blessures sont rapportés dans 100 % des cas. Reconnaître les dangers d’un lever par contrepoids Pour une infime partie de la clientèle Le lever par contrepoids ne convient qu’à une infime partie de la clientèle. Il présente un très grand risque d’erreur et ne Paula Pless1 doit jamais être utilisé sur une longue période de temps. Les Kaleida Health Center B u f f a l o , N e w Yo r k clients capables d’effectuer ce transfert sont ceux chez qui il est permis de croire à une amélioration notable de leurs capaNote de la rédaction. Le lever cités. Il s’agit d’une aide de transition. par contrepoids dont il est quesCe type de transfert requiert une surveillance soutenue tion ici2 est un transfert d’une position assise à une autre po- lorsqu’il est exécuté sur une base quotidienne. Utilisé adéquasition assise : le client est assis tement, il permet au client de bouger de façon indépendante sur le bord du lit ou du faupendant le transfert. Lors d’un véritable lever par contrepoids, teuil ; la surface d’arrivée est perpendiculaire à la surface de le client effectue lui-même au moins un pas, c’est-à-dire qu’il départ ; le soignant, placé face enlève son poids sur un de ses pieds pendant le pivotement et au client, l’aide à se mettre dele dépose de nouveau près de sa destination. bout puis, ensemble, ils tournent à 90° pour que le client La réalité s’avère souvent fort différente. Les probabilités puisse s’asseoir sur le siège. que la manœuvre soit réalisée correctement demeurent très Bien effectuée, cette manœuvre faibles. Le fonctionnement et la performance du client peuvent offre un niveau d’assistance partielle légère à modérée. Le être inégaux, être affectés par son comportement ou dépendre soignant utilise le contrepoids du moment de la journée. pour aider à lever et à asseoir En enquêtant sur les incidents, j’ai souvent observé que le le client qui peut se maintenir debout et effectuer les pas nésoignant se retrouve en déséquilibre parce que le client est incessaires pour tourner à 90°. capable de bouger ses pieds, ou encore, le client et le soignant perdent l’équilibre parce que leurs pieds s’emmêlent ou que les pieds du client demeurent rivés au sol. Le soignant effectue une torsion, balance le poids du client pour le déplacer vers la surface désirée tandis que les pieds de ce dernier demeurent sur place. Seule la moitié supérieure du corps du client est déplacée vers la Le lever par contrepoids ne consurface de destination. vient qu’à une infime partie de la C’est donc le tronc du clientèle. Il présente un très grand client qui pivote. Souvent, ce transfert correspond risque d’erreur. plutôt à un soulèvement effectué physiquement par le soignant. Personnellement, j’ai observé, chez 90 % des clients ainsi déplacés sur une période de 30 à 90 jours, une détérioration de leurs habiletés, une augmentation des blessures aux épaules et aux genoux ou une progression de leurs problèmes articulaires. Plusieurs clients doivent abandonner ce type de transfert dans les 24 à 48 heures à cause de blessures subies lors de Le premier point à observer avant d’utiliser le lever par contrepoids est l’habileté du client à bouger ses pieds pendant un transfert. Si vous estimez qu’il peut y arriver, demandez-lui de vous le démontrer sur une période de 24 heures et sur toutes sortes de surfaces de sol. Il arrive aussi que le soignant ne réalise pas que les pieds du client ne sont pas au sol et que, par conséquent, ils ne supportent aucun poids au cours du déplacement. Parlez aux soignants et observez les transferts effectués pendant différents quarts de travail. Certains soi- Une fois le client assis, installer la toile autour de son abdomen. Le client place ses pieds sur la base du levier. Le levier est ensuite rapproché du client. Lorsque les bras du levier sont en position la plus basse, la toile est fixée au levier. Le soignant active la manette électrique, les bras du levier se soulèvent. Le client passe ainsi de la position assise à debout avec un minimum, sinon aucun effort de la part du soignant. D O S S I E R A U 2 1 e S I È C L E : E N C O R E gnants agissent de façon inadéquate depuis si longtemps qu’ils ne s’aperçoivent même pas de l’aspect « levier manuel » du lever par contrepoids. Le soignant qui supporte le poids du client lors d’un transfert ou lorsque ce dernier se déplace avec une démarche trébuchante s’expose à une des principales sources de blessures. Examinez les endroits où l’on exécute ce type de transfert. L’environnement permetil toujours au client de bouger et de pivoter en utilisant son côté le plus fort ? Lorsque le soignant est confronté à une posture contraignante et à un espace confiné, le succès du transfert devient de moins en moins probable et le risque d’accident augmente. Le soignant qui supporte le poids du client lors d’un transfert ou lorsque ce dernier se déplace avec une démarche trébuchante s’expose à une des principales sources de blessures. Blessures causées par le lever par contrepoids Un lever par contrepoids mal exécuté augmente le risque de blessure tant pour le soignant que pour le client. Les blessures les plus courantes chez les clients sont les traumas répétés, les contusions, les déchirures de la peau, les dommages occasionnés aux tissus mous autour des articulations (surtout les hanches et les genoux), les fractures de torsion de même que les fractures d’impact aux hanches, aux chevilles et aux genoux. Souvent les épaules du client servent de support, car le soignant les utilise comme levier et point d’ancrage. L’aggravation de l’arthrite et des maladies articulaires dégénératives de même que la perte de l’amplitude des mouvements se développent avec le temps. Les dommages subtils causés par chaque pivotement s’accumulent graduellement et finissent par compromettre les chances du client d’améliorer sa capacité à supporter son poids. On ne fait pas toujours le lien de cause à effet entre les accidents et les levers par contrepoids. Cependant, dans un établissement, j’ai constaté une diminution de 64 % des fractures et de 37 % des lésions cutanées et des contusions, et ce, 14 mois après l’implantation d’un programme de soins sans soulèvement manuel. D’autre part, je n’ai observé aucune fracture en spirale (torsion) des membres inférieurs comparativement à deux l’année précédente. Cet établissement a aussi observé une amélioration de 26 % dans l’amplitude des mouvements des membres supérieurs, une diminution du nombre de cas de perte de la fonction de l’épaule et une augmentation de clients dont l’état demeure stable ou s’améliore. L’utilisation d’une ceinture de transfert diminue le risque de blessure aux épaules E T T O U J O U R S L E S T M S ! du client. Par contre, elle ne corrige pas les problèmes associés à son incapacité à bouger les pieds et à effectuer le pas nécessaire à son transfert. La ceinture de marche ou de transfert peut alors devenir aussi, à tort, un accessoire de levage. Le programme Zéro soulèvement manuel tient compte de ces risques graves pour la sécurité. La plupart des établissements qui l’appliquent ont complètement cessé d’utiliser le lever par contrepoids ou, à tout le moins, en ont réduit et contrôlé l’usage. Le résultat se traduit par une diminution du nombre de blessures, une sécurité accrue et une prolongation du temps pendant lequel le client supporte lui-même son poids. L’alternative : le levier à station debout Le levier à station debout représente une alternative au lever par contrepoids. Il permet au client de supporter son poids, il favorise un alignement articulaire adéquat et sécuritaire et augmente sa protection et son confort. Cet équipement est destiné au client qui conserve 30 à 60 % de sa capacité à supporter son poids et qui peut s’agripper avec au moins une main. La distance à parcourir avec le levier dépend aussi de > Cette technique requiert toujours deux soignants. > La coopération du client, son endurance, sa performance et sa capacité à participer activement tout au long du transfert sont primordiales. > Il faut minimiser la distance à parcourir pendant le transfert pour améliorer la sécurité des soignants et diminuer le risque d’accident lorsqu’il faut pousser ou tirer le levier. > Les planchers sans moquette sont les meilleures surfaces. Ils présentent moins de friction et demandent moins d’effort pour bouger l’équipement. Le levier demeure stable sur les tapis à poils courts, tissés serrés et uniformes. Tout recouvrement de plancher doit être exempt de raccords, de fissures ou de déchirures. Ne jamais utiliser un levier sur une surface mouillée ou glissante. > Les cadres de portes doivent être suffisamment larges pour permettre au levier et au client de passer sans encombre. > Les seuils de portes doivent être lisses et sans raccords. Le levier ne devrait pas être tiré ou poussé pour passer un seuil de porte dont la hauteur ou l’inclinaison représente un obstacle. > Le lieu où l’on dépose le client doit être suffisamment grand pour permettre à deux soignants d’y prendre place et d’y manœuvrer le levier sans posture inconfortable. Le levier à station debout est destiné aux clients qui ont conservé de 30 à 60 % de leur capacité à supporter leur poids et qui peuvent se tenir avec au moins une main (toile avec support aux jambes), ou à deux mains (toile simple). 23 – OBJECTIF PRÉVENTION – VOL. 29, NO 3, 2006 Utilisation du levier à station debout : conseils aux soignants D O S S I E R A U 2 1 e S I È C L E : E N C O R E la capacité du client à maintenir, à utiliser le haut de son corps et à supporter son poids, de son endurance, de son degré de fatigue et, enfin, de sa capacité à demeurer en station debout prolongée. Vous devez toujours prendre en considération le type de plancher, les cadres et les seuils de portes que le client doit franchir. N’oubliez pas que ce transfert nécessite la participation active du client et il ne faut pas le confondre avec un transfert passif au moyen d’un lève-personne. Les personnes à qui ce type de transfert convient voient Je recommande de rendre dispoleur qualité de vie s’améliorer, nible un levier à station debout tout en jouissant d’une plus grande sécurité. On leur offre pour huit à dix clients capables de l’occasion de changer plus soul’utiliser. vent de position de façon sécuritaire, tout en ménageant le dos des soignants. Les clients que l’on pivotait de façon traditionnelle d’une surface à l’autre (ex. : d’un fauteuil roulant vers une chaise droite) peuvent désormais être transférés aisément grâce au levier à station debout. Les services de réadaptation peuvent aussi faire appel au levier à station debout, car il représente un transfert actif à valeur thérapeutique. Le client qui éprouve de la difficulté à accepter ce transfert, ou qui présente un problème particulier, bénéficierait d’une utilisation contrôlée de l’équipement dans un contexte clinique. Celui ayant des difficultés à supporter son poids à cause de problèmes orthopédiques peut aussi utiliser ce levier pour se supporter sur une seule jambe. L’utilisation du levier à station debout pendant la convalescence, à la suite d’une chirurgie du genou ou de la hanche, facilite la guérison en diminuant les risques de traumatisme et d’inflammation au niveau de l’articulation opérée. Ceci réduit également l’œdème souvent occasionné par un lever par contrepoids mal exécuté. Changer les habitudes Le secteur des soins de santé a changé de même que les types de clients dont nous prenons soin. Malgré tout, certains établissements n’ont pas modifié leur façon de prendre en charge leurs clients. Le levier à station debout est sous-utilisé, pourtant il peut s’avérer très utile. J’ai souvent noté que les travailleurs de la santé ignorent l’existence du levier à station debout. Souvent, même, l’établissement n’en possède aucun. Je recommande de rendre disponible un levier à station debout pour huit à dix clients capables de l’utiliser. 24 – OBJECTIF PRÉVENTION – VOL. 29, NO 3, 2006 Utilisation du levier à station debout : critères pour les clients > Minimum de 30 à 60 % de capacité à supporter son poids. > Capacité de se tenir au levier. Sinon, il faut opter pour une toile qui assure la sécurité et le confort du client. Il y a plusieurs types de toiles ; certaines supportent le bassin et compensent pour l’incapacité du client. > Coopération pendant tout le transfert. Le client confus, dément ou présentant des problèmes de comportement peut quand même profiter de l’utilisation sécuritaire du levier à station debout si ces conditions n’interfèrent pas avec les manœuvres. Après des exercices répétés dans un environnement contrôlé, le client s’habitue à cet équipement. > Capacité de passer d’une position couchée à une position assise lors du transfert du lit. Il y a un grand risque de blessure si le client ne peut aider lors de cette manœuvre. > Certaines toiles qui enserrent fermement l’abdomen ou le thorax sont contre-indiquées en présence de certaines conditions médicales : l’anévrisme abdominale, les stomas, les problèmes d’intégrité de la peau, les colostomies, les plaies de toute nature ou les fractures de la colonne. > Le levier mobile au sol et le et lève-personne sur rail au plafond demeurent les seules alternatives si le client ne répond pas à ces critères. Lorsque la condition du client change, une nouvelle évaluation devient nécessaire. On devrait utiliser un levier à station debout pour tout transfert impliquant une assistance de la part du soignant. E T T O U J O U R S L E S T M S ! L’établissement devrait implanter un système pour assurer la formation et la compétence du personnel à l’utilisation de cet équipement. Ce programme s’adresserait à tous les employés, anciens et nouveaux, et ferait obligatoirement l’objet d’une mise à jour annuelle. De plus, des séances d’entraînement et de vérification des compétences devraient être données à tout employé impliqué dans un incident qui met en cause l’utilisation de l’équipement. Des vérifications périodiques effectuées pendant les transferts de routine assureraient ainsi que les transferts par levier à station debout sont exécutés adéquatement. À mesure que les établissements reconnaîtront la valeur de cet équipement, ils comprendront aussi le besoin de l’utiliser partout et non seulement dans les chambres des clients. C’est en changeant les habitudes et en comprenant bien l’impact négatif des levers par contrepoids mal utilisés ou exécutés, que l’on accroîtra la sécurité aussi bien des clients et que du personnel. • RÉFÉRENCES 1. Paula Pless est spécialiste en prévention de blessures et directrice du programme Zéro soulèvement manuel au Kaleida Health Center de Buffalo dans l’état de New York. Elle possède plus de 23 années d’expérience dans les soins de santé, dont 9 consacrées au programme Zéro soulèvement manuel. En 1997, elle a collaboré à l’implantation du programme dans un centre de soins de longue durée à Niagara Falls dans l’état de New York, programme qu’elle a étendu à des établissements de soins aigus en 2003. Elle a collaboré avec plusieurs organismes et institutions pour promouvoir la manipulation des clients sans soulèvement. Elle a aussi contribué à d’autres initiatives visant à réduire les dangers inhérents au déplacement des clients. 2. ASSTSAS. PDSB régulier - Cahier du participant, 2004, p. 68 à 72. Fournisseur des leviers et des toiles présentés sur les photos : Total Health Equipment (www.themedical.com). Pour d’autres fournisseurs, consultez le Répertoire des équipements sur notre site Internet (www.asstsas.qc.ca).