François DEGUELT à la hune
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François DEGUELT à la hune
VINYL - 23 rue des Menus Plaisirs - 78690 Les Essarts-le-Roi ([email protected]) Y-a-t-il une différence entre le "François Deguelt" du tube Le ciel, le soleil et la mer et celui de La Ballade du vieux Montmartre ? Chez mon assureur, la dame qui s’occupe de mon dossier, découvrant mon nom, me regarde : "Vous n’écrivez plus de chansons pour votre fils ?" Moi, étonné : "Mon fils ?" "Oui, pour François Deguelt !" (Rires) Déjà, deux différences de taille : l’âge… et la tête ! On n’écrit pas non plus à 70 ans comme à 30. Je n’ose pas dire qu’à 110 ans… (Rires) Votre vie a changé ? Après cette phase "show-biz", j’ai vécu sur mon bateau, loin des médias. Ma maison de disques attendait avidement un autre tube. Mes nouvelles chansons ont été accueillies par un : "Cela ne vous correspond plus !". J’ai alors entamé une seconde carrière, produisant moi-même mes disques. Aujourd’hui, la scène, c’est mes vacances ! Récemment, fatigué d’une journée pénible, j’arrive sur scène et je dis au public : "Finalement, la scène, c’est là où on est le mieux, car personne ne vient vous emmerder !!" (Rires) Que vient chercher votre public, aujourd’hui ? Pour le public "bon enfant", le vrai public, l’important est que j’aie gardé la même couleur de voix. La voix de "crooner" ? Je préfère "chanteur de charme" ! Claveau m’a dit – j’avais 22 ans - : "Toi, tu prendras ma place !" Il n’avait pas tort : j’ai continué dans cette voie que, depuis, j’ai abandonnée. Passer de la notoriété à l’oubli médiatique a dû être douloureux ? Les médias ne peuvent pas toucher à la notoriété, acquise avec le temps et le travail ! J’ai chanté dans toutes les villes de France ! Quand je chante dans un coin aussi paumé soit-il, il y a toujours quatre-vingts personnes qui viennent là pour moi. Whitney Houston n’y ferait pas plus d’entrées ! (Rires) En outre, en tant que "vedette", je n’avais aucune vie de famille. J’ai découvert cela à 40 ans. Je me suis vraiment occupé de ma petite dernière, Marie alias "Poupoune" qui est devenue notaire ! (Rires) Vous menez une des carrières les plus atypiques de ce métier : un succès prodigieux en 1965 suivi d’un changement de cap radical… On croit que j’ai débuté à 31 ans avec Le ciel, le soleil et la mer. J’ai commencé à 19 ans, à Montmartre puis au Quartier latin. A L’échelle de Jacob, on nous avait baptisés "Les nouveaux troubadours" ! René-Louis Lafforgue était le "troubadour de Paris", Brel, le "trouvère du Nord", quant à moi… j’étais entre les deux ! (Rires) A quoi ressemblait Saint-Germain-des-Prés ? C’était une ambiance… "intello-snobinarde" ! (Rires) On parlait (ton faussement pompeux) de "chanson à message, chanson littéraire" ! C’était ridicule car on chantait pour un public populaire, pas pour les trois ou quatre intellos du François DEGUELT à la hune ! François Deguelt a fui la haute-mer du show-biz pour "naviguer en père peinard" dans les petites criques chansonnières, sa guitare pour tout gouvernail. Confidences d’un marin-chanteur heureux, entre cigarettes brunes et éclats de rire. Café de Flore qui venaient prendre un pot à L’échelle de Jacob ! La revue Music-Hall nous avait demandé d’interviewer Charles Trenet. Evidemment, on lui lâche la fameuse question : "Vous n’avez jamais eu envie d’écrire des chansons… à message ?" Et Trenet de répondre : "Je ne sais pas ce que c’est ! Tout ce que je veux transmettre au public c’est la joie de vivre ! C’est dans l’un des moments les plus difficiles de ma vie que j’ai écrit Y’a d’la joie ! " Des projets artistiques ? Un nouveau disque. Et puis la scène, toujours ! Vous passez souvent au Lapin agile… Oui, et je dors là où ont dormi Dorgelès, Carco, Dullin, Lagoya… C’est ma "rentrée parisienne" ! Et lorsque j’ouvre ma fenêtre, le matin, il y a toujours quinze Japonais qui me photographient. Ça marche terrible !! (Eclats de rires) Propos recueillis par Agnès Tytgat - Mars 05 Que conservez-vous d’essentiel de ce chemin parcouru ? (Grave et songeur) L’amour des autres. Mes premiers copains. Sur le moment, on ne mesure pas la résonance que ces affections peuvent avoir sur le temps d’une vie. En prenant de la bouteille, on réalise que les meilleurs copains sont ceux de cet âge-là. On ne se fait pas un ami d’enfance à 45 ans, mais à 18. On est pur, disponible. Cette époque n’était-elle pas plus riche qu’aujourd’hui pour la chanson ? Il y autant de talents. Le problème, c’est le manque de lieux, parisiens surtout. Les artistes devraient se fédérer, créer un lieu qui leur appartiendrait, où ils pourraient chanter. Quand les organisateurs rechignent sur le prix à payer pour avoir mon spectacle, je leur réponds : "Vous avez un théâtre, chez vous ? 300 places ? Vous me le prêtez, j’encaisse la recette et vous me direz combien je vous dois !" D’abord surpris, les types sont finalement contents ! Que pensez-vous de la "Star Ac’" ? L’idée est bonne mais gérée par des imbéciles. L’idéal serait de créer dans chaque conservatoire une classe de "Travail du spectacle". Mon père était chanteur lyrique. La mélodie classique, en France, n’a pas atteint le public parce que ceux qui s’en occupent ont, comme disait Colette, "une tringle dans le fondement". (Rires) Quels chansonniers vous ont marqué ? Bruant, d’abord. Couté, Mouloudji, puis toute cette "vague" dont le chef de file fut Brassens. Vos projets ? D’abord, finir Don Quichotte ! Livre colossal ! Plus tard, racheter un bateau, car je viens de vendre le mien. Les banquiers n’aiment pas les "vagues"… J’ai perdu mon "bateau-œuf". J’aurais pu le transformer en "pied-à-terre" mais on ne fait pas ça à un bateau de haute mer. Ce serait comme le type qui monte à Paris et va dormir chez une ancienne maîtresse plutôt qu’à l’hôtel… VINYL n°45 • Mars - Avril 2005 Site internet : www.vertes-prairies.fr.tc 23 Escales d’une vie : 4/12/1932 : naissance à Tarbes ; enfance dans le Bordelais. 1950 : "monte" à Paris pour préparer une licence de philo mais se fait happer par la chanson. 1951 –1965 : première carrière "rive gauche", d’abord comme interprète puis comme auteurcompositeur-interprète. Premiers disques, scènes prestigieuses (ABC, Bobino, Olympia, Alhambra…), nombreux prix (Charles Cros, Coq d’Or de la Chanson Française, Eurovision…). En parallèle, carrière d’animateur à Radio-Luxembourg et à la télévision (1963). 1965 – Le ciel, le soleil et la mer. 1966 à ce jour : deuxième carrière "hors showbiz". Devient propriétaire du cabaret montmartrois Chez ma cousine (jusqu’en 1983), achète un voilier, s’installe dans le midi et se partage entre écriture, navigation, concerts et vie de famille. Discographie (CD) : Noces d’or, double CD 40 titres couronnant 50 ans de chanson, Yvon Chateignier, 2001. Il suffirait de presque rien, Sony, 2003. Le ciel, le soleil et la mer, EMI 2003. A venir : CD 17 titres (Sony).