Lire un extrait - Editions Persée

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LE SECRET DES AMANTS DE BROCÉLIANDE
Anne Noël
Le secret des amants
de Brocéliande
Roman
Éditions Persée
Ce livre est une œuvre de fiction. Les noms, les personnages et les événements
sont le fruit de l’imagination de l’auteur et toute ressemblance avec des personnes vivantes ou ayant existé serait pure coïncidence.
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© Éditions Persée, 2016
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1956
C
ette histoire s’est passée il y a très longtemps. En ce tempslà, les événements merveilleux se produisaient souvent et
chacun avait suffisamment gardé son cœur d’enfant pour ne pas
s’en étonner outre mesure.
Un pas vers un autre monde. Peut-être au cœur même des mystères de Brocéliande, berceau mythique de légendes et mystères.
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À
l’orée de la forêt de Brocéliande dans une coquette petite
maison ancestrale au toit de chaume, vit une jolie jeune
fille, prénommée Anaic, avec sa grand-mère. C’est elle qui l’a
élevée depuis la disparition de sa maman, alors qu’elle n’avait
que quelques mois. C’est là qu’elle a grandi, au cœur de la forêt,
pourvue des grâces de la beauté et de l’esprit. Elle en connaît les
moindres recoins. Là, elle a appris à s’écouter, à faire confiance à
son intuition et à ne se diriger qu’en fonction de ce qu’elle sent.
Elle perçoit ce qui est bon pour elle, sans pouvoir se l’expliquer
rationnellement. Oui, c’est là, en pleine nature, au milieu de
branches tordues, enchevêtrées et vieillies par le temps ; là, où
beaucoup de gens se seraient perdus, dans cet embrouillamini de
broussailles inextricables, qu’elle a découvert la source de son
inspiration qui lui souffle ce qu’elle a à créer. Elle fait naître la
vie, là où elle n’existe pas. Chaque œuvre qu’elle crée n’est rien
d’autre que l’expression libre de sa vérité qui cherche à naître à
sa dimension sacrée. Pour donner la vie, elle doit compter sur sa
disponibilité et son aptitude à remettre à plus tard ses préoccupations personnelles et à faire face à l’incertitude quant à la façon
de s’y prendre pour accueillir ce qui vient, car le moment de la
descente en conscience de l’œuvre à mettre au monde ne dépend
pas d’elle. Quand c’est l’heure, la création n’attend pas. Elle est
devenue créatrice de bijoux.
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Toujours vêtue de bleu ; ce bleu qui la pousse à créer, à exprimer la vie qu’elle reçoit en elle. Le bleu mature n’est-il pas la
couleur des créateurs inspirés ? Connectée à sa partie invisible
à sa dimension sacrée, elle veut consacrer sa vie au service de
la création. Ce qu’elle sait faire avec autant d’agilité, elle ne l’a
pas appris, cela lui a été donné, un don du ciel, depuis la disparition de sa maman. Son père, elle ne l’a jamais connu. Sa grandmère pourtant si bienveillante n’a jamais rien voulu lui révéler à
son sujet. Un mystère pour elle… Ce n’est pas pour rien que les
gens du village la surnomment la fée, car, elle transforme tout
ce qu’elle touche, comme par enchantement, avec ses doigts si
fins, si agiles. Cette jolie jeune fille toujours en bleu comme une
fée. L’été, c’est à Belle-Île qu’elle vend ses créations dans une
petite boutique que lui a laissée sa maman. Elle l’a baptisée : au
scarabée, juste un gros scarabée bleu turquoise irisée situé juste
au-dessus de l’entrée. L’inscription sur la façade blanchie à la
chaux vive, représente des coquillages en faïence bleue. Il faut
bien qu’elle vive la petite, disent les gens du village qui l’apprécient beaucoup pour sa douceur et sa gentillesse. Peu de temps
après son arrivée, au début de la saison, on ne la reconnaît déjà
plus. Elle, si pâle auparavant avec son teint de porcelaine qui lui
va si bien. Forcément, elle sort si peu, le reste de l’année, dans la
forêt. Début juin sa chevelure noire avait tellement poussé ! Aussi
avait-elle pris soin de la tresser sur le côté gauche, et d’y ajouter
un ruban bleu satiné. Celui-ci retombait dans son décolleté léger,
entre ses seins. Cette coiffure lui donnait un charme fou, un petit
genre. Son visage était doré, juste un soupçon de rouge sur les
lèvres ; belle naturellement, elle n’avait pas besoin de maquillage.
Ses yeux clairs semblaient lavés par la mer. Sa robe légère descendait juste au-dessus du genou, laissant apparaître ses jolies jambes
bien dessinées, dorées par le soleil. Lundi était son jour de congé.
Les autres jours de la semaine, elle n’ouvrait qu’à quinze heures
jusqu’à pas d’heure le soir. Aussi la croisait-on souvent, se glis7
sant dans les rues de son pas agile. Semblant toujours ailleurs sur
un nuage, elle séduisait par sa beauté. La langueur de sa démarche
appelait… immanquablement le regard. Son port de tête, son léger
déhanchement, ses cheveux épais et bruns qui lui descendaient
jusqu’à la chute des reins, le plus souvent attachés, tressés, parfois remontés en un chignon banane : elle plaisait. Partout les yeux
étaient rivés sur elle. Dans le four de la rue, ce lundi, elle sentait
bien sur sa peau, la chaleur de seize heures après la sieste, en sortant de sa chambre qui était relativement fraîche. Elle retrouva
même l’odeur des langoustes grillées. Un petit frôlement de sa
robe à l’épaule, vint délicieusement mettre fin à ses souvenirs de
Jeff, son premier baiser. Alors qu’elle se dorait au soleil, allongée
sur le sable fin ; il le lui avait donné en se penchant sur elle. Elle fut
surprise, mais elle ne fit aucun mouvement pour le repousser. Elle
avait le béguin pour ce bel homme brun, plutôt bien bâti. De plus,
il était de son âge. Peut-être un simple flirt ? Car jusqu’à présent
elle ne s’était guère accordé de temps pour les amourettes. Mais
elle ne pouvait s’empêcher de penser à lui. Son premier baiser.
Bien des hommes la regardaient, se retournaient même sur son
passage. Mais cela l’indifférait. Elle était sérieuse. Cela l’amusait
bien sûr, aussi se contentait-elle de sourire timidement. Dans ses
songes, elle faillit bousculer un homme dans la rue.
— Alors on rêve, jolie demoiselle ? Quel soleil ! Vous avez une
mine resplendissante ! dit l’inconnu.
— Merci, répondit-elle, en redressant fièrement la tête, tout en
relevant avec grâce une mèche de cheveux qui tombait sur son œil
droit. Puis, elle poursuivit son chemin de nulle part d’ailleurs, car
elle se promenait sereinement au gré du vent. Tout à coup, elle
sentit une main sur son épaule qui la fit sursauter et redescendre
sur terre.
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— Alors, toujours dans la lune ? Tenez, lui dit ce même inconnu,
en lui tendant un bout de ruban bleu. Il est bien à vous, n’est-ce
pas ? Vous êtes toujours en bleu.
— Euh ! Oui, répondit-elle surprise. Mais, vous m’avez donc
suivie ? dit-elle avec les yeux ronds.
— Eh oui, comme vous le voyez.
Il caressa doucement sa mèche de cheveux qui ne tenait pas en
place. Elle se sentit fléchir, dominée par cette volonté d’homme,
cette énergie tout entière vers un but intéressé… Elle leva les
yeux, son visage était bouleversé. Elle était impressionnée. Il était
tellement grand, une bonne tête de plus qu’elle. Il resta un long
moment silencieux, puis murmura : « Je suis vraiment désolé. Je
ne voulais pas vous choquer ».
Hésitant un instant, il décida enfin de jouer la carte de la franchise. Il lui avoua tout simplement que l’ayant remarquée, et, ne
sachant pas trop comment s’y prendre, le fameux ruban bleu était
l’unique occasion de se rapprocher d’elle. Elle le remercia de sa
franchise. Mais, il voulut savoir si elle avait un amoureux. Là,
c’en était trop. Quel toupet ! pensa-telle. Sur ce, elle lui tourna les
talons. Mais l’homme s’empressa de la rattraper.
— Je désire simplement faire votre connaissance ! lança-t-il
d’un sourire timide.
Son regard était si triste qu’elle accepta, quoique un peu
méfiante. Soudain, elle eut l’impression que la nuit tombait. Elle
entendit un grondement, leva les yeux. Le ciel était noir d’encre.
Un vent méchant se mit à souffler.
— Un orage… dit-il, en passant son bras autour de son cou.
Courons vers la cabane.
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Elle ne put s’empêcher de jeter un regard intrigué vers ce bel
homme qu’elle ne connaissait pas et qui avait l’air déjà bien à
l’aise avec elle. La respiration coupée, elle dut s’arrêter pour
reprendre haleine. D’un seul coup, le sol se déroba sous ses pas.
Il l’avait soulevée par la taille pour lui éviter de trébucher sur les
galets, avec ses talons hauts… Elle était si légère. Anaic éclata de
rire et l’homme ébahi par la spontanéité, la beauté, l’éclat de ce
rire, par la blanche et parfaite dentition qu’il découvrait se tut, le
sourire béat. Elle comprit qu’elle lui plaisait et sourit largement,
les cheveux dans le vent. La blancheur de ses dents faisait ressortir
son teint abricot. Calme, souriant, détendu, il semblait heureux.
En bavardant gentiment, elle fut surprise de sa culture. À présent,
il pleuvait à grosses gouttes. Il lui proposa d’avancer sa voiture
et de la raccompagner chez elle. Elle hésita, puis accepta ayant
horreur de se mouiller. Il s’appelait Patrick Le Kimberley, avait
dix ans de plus qu’elle. Lorsqu’elle fut seule avec lui dans sa voiture, elle éprouva à nouveau cette espèce de gêne qu’elle avait
déjà ressentie, lorsqu’il avait osé l’aborder. De sentir son corps,
si près d’elle la troublait : elle respirait le parfum à la fois amer
et citronné de son eau de toilette et l’odeur de son tabac blond.
Elle voyait si proches des siennes ses grandes mains aux doigts
fins et longs : aux ongles nets légèrement brillants. Elle appréciait
ses gestes d’une apparence nonchalante, mais tellement virils dans
leur façon d’étreindre les choses, de les saisir… Comme il prenait tout avec force ! Après l’avoir quitté, elle dut s’avouer que ce
trouble n’était pas simplement le fait de la timidité. À peine rentrée, elle s’aperçut d’un petit mot glissé dans la poche de sa robe.
Merci Anaic pour cette agréable rencontre, je suis le plus heureux des hommes. Je me sens moins seul à présent. Vous êtes adorable. À très bientôt Avec toute ma sympathie.
Patrick
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Toute rouge d’émotion, elle replia le petit billet avec soin et le
glissa délicatement sous son sein gauche dans son soutien-gorge.
Plus tard, dans la soirée, avant de s’endormir, elle le lira et le relira
encore ; le serrera encore une fois contre son cœur et le déposera
sur sa table de chevet. Ce soir-là, elle mettra bien du temps pour
s’endormir, pensant à son prince charmant. Elle attacha son regard
sur sa peau dorée, promena ses doigts sur ses seins, son ventre, ses
hanches, ses cuisses… Elle prenait entièrement possession de son
corps. Son plaisir se confondait avec des gestes impudiques, des
secrets dévoilés. Elle frissonna. La puissance d’un rappel à l’ordre
lui interdit tout égarement. De menues perles de nacre roulaient
sur ses épaules et sa nuque. Elle laissa son corps dériver dans la
douceur du soir. Très tard dans la nuit, le sommeil enfin commença
à vaincre la fatigue. Bientôt, la fenêtre de sa chambre, la seule
éclairée s’éteignit. Tout dormait. Le lendemain, au petit jour, elle
se leva toute guillerette. Se surprit même à chantonner de sa voix
frêle, dans la salle de bains. Elle était heureuse. Elle n’avait aucun
souci à se faire : ses bijoux se vendaient bien, les clients agréables
avec elle, la trouvaient de plus, charmante. Elle eut soudain une
envie folle de revoir ce bel inconnu, Patrick. Après-tout, ils se
connaissaient si peu, et il ne la laissait pas indifférente. À treize
heures, elle se prépara donc à sortir, au cas où… Elle enfila sa robe
préférée, bleue bien sûr, d’un bleu mature à volants, toute parsemée de fleurettes rose. Sa taille de guêpe bien soulignée paraissait
encore plus fine, avec un nœud sur le côté gauche. Sa tresse était
moins serrée que d’habitude, mais toujours avec un petit ruban
bleu assorti. Un peu de poudre sur le bout de son nez, du gloss
sur les lèvres, son sac à l’épaule et la voilà prête. Elle jeta furtivement un dernier coup d’œil au miroir de l’entrée, parut satisfaite, sourit à l’image qu’il lui renvoyait et sortit en direction de la
cabane, espérant peut-être… Elle avait la mine radieuse des filles
qui meurent d’envie qu’on les taraude pour les obliger à dévoiler
leur secret. Elle ne pouvait s’empêcher de dévisager les passants
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avec l’espoir fou de voir Patrick apparaître quand soudain on lui
tapota l’épaule.
— Bonjour, Patrick. Ils se firent une bise sur la joue.
— Je t’attendais près de ta boutique. J’étais certain de te revoir.
Il lui proposa d’aller prendre un café ou un rafraîchissement. Ils
discutèrent littérature, poésie, musique et se rendirent compte
qu’ils avaient les mêmes passions. La regardant de plus près :
— Tu as des yeux magnifiques, aussi clairs que les miens.
— En effet, répondit-elle, j’ai l’impression qu’ils sont aussi
verts que les miens, avec ce même mélange de gris bleuté.
Ils avaient l’air de bien s’entendre, ces deux-là. Tout en la raccompagnant, il lui prit la main, et l’embrassa sur le front. Elle sentit qu’il se passait quelque chose, tout allait si vite pour elle. Mais
elle se sentait si bien en sa compagnie qu’elle décida de se laisser
aller. Après tout ils ne faisaient rien de mal. Et puis elle n’avait
plus la force de lutter contre le trouble qui l’envahissait. Presque
fortement il la serra contre lui. Alors elle eut un dernier réflexe de
défense qu’il prit pour de la peur. Il relâcha la pression de sa main
et il lui dit moqueur :
— Ne sois pas craintive comme cela, je ne suis ni une brute, ni
l’homme de Cro-Magnon. Tu n’es pas une proie.
Il desserra un peu plus son étreinte. Ce soir-là, encore, elle eut
du mal à s’endormir, elle rêvait… heureuse, détendue. Sur son
épaule, à la place où Patrick avait posé sa main, naissait une
chaleur douce qui se faisait caresse… Elle ne s’éloignait plus de
cette main. Tout son corps était à l’écoute de l’étrange sensation :
de son épaule la chaleur irradiait ses membres, se répandant en
elle, éveillait son désir vague, inconnu. Peut-être était-elle amoureuse ? Tous deux pouvaient s’ouvrir à travers l’écoute de l’autre.
Au début, ils se fréquentaient le lundi simplement. Quinze jours
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après leur rencontre, ils rajoutèrent le vendredi, puis le mardi. Elle
apprit que sa maman avait quitté le foyer pour un autre homme très
riche, le laissant seul avec son père et les domestiques. Il n’avait
que deux ans. Mais elle ne le laissait jamais sans nouvelles. Elle
avait beaucoup voyagé et avait fini par s’installer en Angleterre.
Patrick avait fait de longues études de journalisme, dans une très
grande école en Angleterre d’où il était revenu bardé de diplômes.
Il semblait venir d’un milieu aisé, mais, n’en laissait rien paraître,
ayant reçu une très belle éducation. Une certaine classe, il savait
rester simple par ses faits et gestes, il était délicat, respectueux,
une personne intègre. Il abordait tous les sujets avec une certaine
aisance. Mais elle se sentait à l’aise avec lui, car, en vrai rat de
bibliothèque, elle se documentait beaucoup et s’intéressait à tout.
D’une intelligence vive, elle avait réponse à tout. Ce qui le faisait rire. Depuis l’âge de neuf ans enfermé dans un pensionnat
et le reste du temps à voyager, il n’avait certes jamais manqué
de rien, sauf d’écoute. Aussi recherchait-il la compagnie. Une
épaule sur qui s’épancher. Il avait envie de se rapprocher d’elle.
Un dimanche soir, il l’embrassa légèrement dans le cou. Il eut à
la fois une manière douce et pleine de fermeté de la serrer dans
ses bras. Elle avait relevé son visage vers le sien et passé ses bras
autour de son cou. Elle attira doucement ses lèvres qui se rapprochèrent. Patrick embrassa Anaic mais cette fois ni sur le front,
ni sur la joue, ni légèrement. Il lui donna doucement son premier
baiser. Cela dura un long et plaisant moment. Quand ce fut fini,
Anaic continuait à le serrer contre elle…
— J’aime ça, dit-elle.
Elle se sentit désirée et se laissa guider jusqu’à sa chambre.
Leur intimité était plus grande, ils avaient l’un pour l’autre des
gestes affectueux ; ils s’étaient embrassés. À côté de lui, Anaic
avait l’air d’une adolescente, d’une gamine. Il la prit dans ses
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bras. Troublée, elle se dégagea, levant les yeux remplis de larmes.
Patrick savait voir au fond d’Anaic. Il connaissait les choses sans
qu’elle ait besoin de les lui dire. « Je… Je… ne connais rien à
l’amour ».
Il avait eu une certaine expérience avec les femmes, aussi il
n’insista pas. Devinant bien ce qu’elle voulait dire, il lui dit d’un
air attendri :
— Ma petite chérie, ne t’inquiète pas. J’attendrai que tu sois
prête, même si j’ai très envie de te faire l’amour, je te respecte
trop pour te brusquer, je serai patient. Il poursuivit : « J’ai des
sentiments pour toi et ne veux en rien gâcher notre relation ». Ils
s’embrassèrent à nouveau.
— Tu ne m’en veux pas ? dit-elle timidement, de sa voix calme.
Il la rassura.
— Pourquoi t’en voudrais-je ? D’être une fille qui se respecte ?
Je sais que tu ne te donneras que par amour, lorsque tu seras sûre
de tes sentiments. Tu es bien trop pure. Je t’aime Anaic. Je t’aime
de tout mon cœur.
Il l’embrassa sur le front. Patrick s’en alla… Elle souleva le
rideau et le regarda partir, le cœur serré. Il reviendra bientôt. Il
s’éloigna de celle qui était déjà la maîtresse de son cœur. Il semblait ému. Il lui fit un dernier signe de la main en montant dans sa
voiture. Elle se sentait bien seule ce soir-là. La gorge serrée, elle
avait besoin de se confier, de conseils peut-être ? Elle se coucha et
appela sa grand-mère qui était sa seule confidente, sa deuxième
maman. Elle seule savait la conseiller. Régulièrement elle prenait
de ses nouvelles pour la rassurer. Mais, cette semaine elle avait
complètement oublié de le faire.
— Tu ne m’appelles plus, ma chérie, que se passe-t-il ?
— Tu dois bien t’en douter…
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— Naturellement que je m’en doute et je ne te fais aucun
reproche.
— Je ne fais aucun mal.
— J’en suis sûre, ma chérie, répliqua la grand-mère, mais
essaie de te mettre à ma place, je ne sais pas ce que tu fais en
dehors de tes bijoux et qui tu fréquentes d’ailleurs.
— Écoute, grand-mère, je n’ai plus douze ans.
— Tu n’as plus douze ans, c’est entendu. Mais tu es si jeune. Je
suis responsable de toi, et je n’ai que toi. Anaic, faillit lui dire ce
qui la tourmentait le plus, mais elle se contint :
— Qui est-ce ? rajouta la grand-mère.
— Patrick, un garçon merveilleux, brun, grand, plutôt beau
garçon, nous avons les mêmes affinités. Je suis heureuse, grandmère. Tu sais, nous avons exactement les mêmes yeux.
— Ah bon ! fit-elle interloquée. C’est bien de ton âge évidemment. Mais sois sage.
Anaic n’en dit pas davantage. Peut-être oserait-elle un autre
jour. Le lundi, elle fut tout émue de revoir son cher Patrick. Elle
se précipita dans ses bras, lui fit un rapide baiser et vint se blottir au creux de son épaule. Il se demanda s’il ne rêvait pas. Il
sentait contre sa poitrine, battre le cœur de la jeune fille. Elle le
contemplait, extasiée. Elle pressentit son désir mais ne voulut pas
répondre à ce trouble en lui. Elle le repoussa doucement. Il lui prit
la main et l’effleura délicatement avec ses lèvres. Il était tard. Ils
marchaient silencieusement dans la nuit de l’été. Anaic aurait bien
voulu lui offrir ce qu’il désirait mais ne pouvait s’y résoudre pour
le moment.
— J’ai besoin de ton amour et de la force qu’il me donne. Qu’il
soit à moi à jamais, lui disait-elle.
— Il l’est, je peux te l’assurer.
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